SEANCE DU 22 NOVEMBRE 2001
LOI DE FINANCES POUR 2002
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2002, adopté
par l'Assemblée nationale.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 63 minutes ;
Groupe socialiste, 57 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 40 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 33 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 23 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 21 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
8 minutes.
Je vous rappelle que, en application de la décision prise par la conférence
des présidents, aucune intervention ne peut excéder dix minutes. Je veillerai à
l'application de cette décision.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de budget dont nous allons débattre n'est pas un projet facile, et, en
cette période, je n'envie pas votre place, madame la secrétaire d'Etat.
Oui, en matière budgétaire aussi, on peut bel et bien dire qu'il existe un «
avant », et un « après 11 septembre ». A tel point d'ailleurs que ce qui
paraissait auparavant être un budget optimiste est en train de devenir un
budget illusoire.
Optimiste, il l'était en raison du scénario de croissance de 2,25 % retenu par
le Gouvernement.
Illusoire, il l'est devenu aujourd'hui en raison du ralentissement qui avait,
certes, commencé avant le 11 septembre, mais qui s'est accéléré depuis deux
mois.
Si le risque d'une réelle déstabilisation de l'économie mondiale paraît
écarté, la situation demeure fragile et notre Europe aura bien du mal à dégager
une croissance significative. Seule l'évolution positive de l'économie
américaine pourrait indiquer la voie de l'amélioration.
En Europe, la faiblesse de la croissance, pratiquement nulle au second
semestre, trouve ses sources majeures dans le recul de l'investissement et le
compression des stocks.
L'économie européenne demeure faible à deux titres : son incapacité à
poursuivre la création d'emplois, ainsi qu'à restaurer l'équilibre des finances
publiques. Les taux d'imposition et la charge de la dette publique restent
élevés ; les dépenses étatiques sont maintenues pendant que diminuent les
recettes.
Dans ce contexte, la France jouit d'une croissance médiocre. Le redressement
de l'emploi salarié est stoppé. Les ménages sont confrontés à l'incertitude, et
donc enclins à épargner toujours plus.
Les entreprises, enfin, font preuve de modération et de découragement,
attitudes liées au poids de plus en plus lourd des contraintes qui pèsent sur
leurs activités.
La sensibilité de la conjoncture française à la dégradation de son
environnement est très forte. Comment, dans un tel contexte, renouer avec une
croissance durable ? C'est la question à poser aujourd'hui. Comment définir
l'environnement favorable à l'indispensable croissance ?
Certes, la poursuite de l'allégement de notre fiscalité, la flexibilité du
marché du travail, la réduction des déficits sont des routes tracées vers la
croissance. Mais, en fin de compte, nous allons débattre d'un budget sans
surprise à la réalisation incertaine, puisque ce projet de loi de finances
présente d'ores et déjà des équilibres dégradés par rapport à ce qu'ils étaient
les années précédentes.
Les dépenses totales enregistrent une augmentation en volume de 0,5 %,
sensiblement plus rapide, donc, que celle qui était prévue pour 2001.
Le programme de stabilité budgétaire, qui prévoit une progression des dépenses
de 1 % en volume entre 2002 et 2004, est certes toujours respecté, mais quelle
marge de manoeuvre va-t-il rester pour les deux prochaines années en cas de
dérapage ?
Pour ce qui concerne la charge de la dette de l'Etat, les intérêts versés par
ce dernier ne devraient augmenter que de 0,5 %.
Les dépenses en capital, tant civiles que militaires, et les dépenses
d'intervention sont en baisse, ce qui est inquiétant. En revanche, les moyens
des services, et plus spécialement les frais de pension, connaissent une
croissance record de 5,8 % et les rémunérations et charges sociales croissent
aussi vite que le PIB, ce qui est encore plus inquiétant.
Enfin, le niveau du déficit prévu pour 2002 devrait s'inscrire en hausse de 2
milliards d'euros par rapport à celui qui était initialement envisagé pour
2001.
Même en révisant les hypothèses de croissance, madame la secrétaire d'Etat, on
ne pourrait se satisfaire d'un relâchement de l'effort à peine amorcé lors des
années précédentes dans un contexte pourtant très favorable.
C'est pourquoi je reste persuadé que le Sénat, dans sa majorité, s'efforcera
de réaliser un effort de contrôle et de maîtrise des dépenses semblable à celui
de l'année 2001, de réduire le déficit afin de stabiliser la charge de la dette
et de couvrir le risque d'un aléa de croissance.
Premier budget en euros, dernier budget de la législature, le projet de loi de
finances pourrait s'inscrire facilement en rupture par rapport à ceux qui l'ont
précédé et à leur toute relative orthodoxie.
Les ordres de grandeurs de ses principaux équilibres sont temporairement
estompés, et son exécution ne sera pas forcément assumée par l'équipe qui l'a
élaboré.
Dans un environnement incertain, il convient de ne pas perdre de vue les
équilibres de moyen terme afin de ne pas creuser à l'excès les comptes publics,
puis de les redresser brutalement par des mesures fiscales provisoires qui
briseraient les premiers éléments de reprise.
Au-delà de ces incertitudes conjoncturelles, on ne peut que constater une
dégradation des équilibres des comptes.
Ainsi, l'évolution spontanée des recettes fiscales revient à son régime de
long terme, parallèlement à l'évolution du PIB, ce qui ne permet pas d'espérer
des rentrées supplémentaires comme en 2000.
Néanmoins, toute augmentation volontaire des prélèvements obligatoires serait
de nature à réduire encore le niveau de la croissance.
Sur le plan des mesures fiscales, force est de constater que le projet de loi
de finances est centré sur la poursuite de mesures antérieures, initiées les
années précédentes : baisse de l'impôt sur le revenu, baisse de l'impôt sur les
sociétés et poursuite de la réforme de la taxe professionnelle.
Certaines mesures nouvelles concernent, quant à elles, directement les
entreprises et leur environnement.
Si l'on ne trouve dans ce projet de loi de finances ni grand sujet de
satisfaction, ni profonde matière à inquiétude, il n'en reste pas moins que les
ménages et les entreprises attendent encore une indispensable diminution de la
pression fiscale.
Il est cependant intéressant de relever la présentation de mesures allant dans
le bon sens : amélioration des modalités et de la durée des options fiscales
des petites entreprises, ouverture des PEA aux titres européens, droit à
déduction de la TVA pour les dépenses de gazole de certains types de véhicules,
...
En dépit de ces quelques mesures de progrès proposées par le Gouvernement et
acceptées par l'Assemblée nationale, on pourrait regretter l'absence de
dispositions destinées à renforcer l'attractivité de notre pays.
Le Sénat, j'en suis sûr, s'efforcera de recadrer le débat budgétaire sur
l'incontournable priorité qu'est la place réservée à notre pays dans la
compétitivité européenne et internationale.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Absolument !
M. Jacques Pelletier.
Le temps semble venu d'engager une nécessaire et grande réforme de notre
système de prélèvements afin de le rendre à la fois plus simple, plus juste et
moins pénalisant pour les consommateurs et l'ensemble des acteurs
économiques.
La fiscalité, madame la secrétaire d'Etat, ne doit plus être une variable
d'ajustements de politiques économiques à court terme. Le groupe que je préside
restera très attentif à toute proposition qui serait susceptible de modifier de
façon substantielle le régime des prélèvements obligatoires.
Pour ce qui concerne le budget des collectivités locales, je note avec
satisfaction la hausse des crédits qui leur sont destinés, ainsi que la
reconduction exceptionnelle l'an prochain du contrat de croissance et de
solidarité triannuel en vigueur depuis 1999.
Néanmoins, il est regrettable, d'une part, que l'Etat tende de plus en plus à
opérer des transferts de charges sur les collectivités sans leur garantir les
moyens d'y faire face ; je pense à l'allocation personnalisée d'autonomie et à
la couverture maladie universelle.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Bon exemple !
M. Jacques Pelletier.
Il est regrettable, d'autre part, que la péréquation souffre d'un effort
global insuffisant.
M. Alain Lambert,
président de la commission de finances.
Encore un bon exemple !
M. Jacques Pelletier.
En aucun cas, le budget pour 2002 ne devra masquer une perte d'autonomie
financière au détriment de l'efficacité de la gestion locale et du bon
fonctionnement de la démocratie.
Ne pas céder à un mouvement de recentralisation des finances locales, c'est
répondre favorablement à l'aspiration de nos concitoyens à davantage de
proximité. Fragiliser les finances des collectivités territoriales, c'est
ébranler les fondements mêmes de la démocratie locale en déréglant un levier
essentiel de contrôle et d'efficacité.
La fiscalité locale ne peut être remodelée en l'absence de toute réflexion
d'ensemble sans laquelle les réformes entreprises depuis deux ans - je pense à
la taxe professionnelle, à la taxe d'habitation et à la suppression de la
vignette - conduiraient inexorablement à augmenter dans des proportions
excessives le rôle et la participation de l'Etat dans la fiscalité locale.
La multiplication des abondements dits exceptionnels, et hors enveloppe
normée, ainsi que le poids croissant des compensations d'exonération de
fiscalité locale traduisent d'ailleurs le malaise des relations financières qui
existent entre l'Etat et les collectivités locales.
Après avoir rappelé l'intérêt dont ont toujours fait preuve les membres de mon
groupe, le RDSE, pour la construction européenne, je conclurai par deux
remarques relatives à la participation de la France au budget des Communautés
européennes.
Tout d'abord, je tiens à souligner que cette participation est en forte hausse
cette année, puisque le prélèvement sur les recettes de l'Etat est évalué à 17
millards d'euros et que, une fois encore, la France devrait être le premier
bénéficiaire de la dépense européenne.
Ensuite, l'éparpillement des crédits finançant les politiques internes conduit
à regretter le saupoudrage des moyens distribués. Il faudrait sûrement revoir
la finalité des politiques internes européennes, qui ne devraient financer que
de vraies politiques européennes.
Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans un contexte
international pour le moins troublé, notre pays dispose cependant de ressources
humaines et économiques indéniables.
L'Etat ne peut pas et ne doit pas tout faire. Il doit néanmoins, tout en
impulsant un indispensable effort de solidarité, s'attacher à consolider la
croissance.
L'Europe se construit et l'euro la conforte, nous nous en félicitons. Vous
souhaitez, madame la secrétaire d'Etat, que la France l'accompagne dans
l'activité, la volonté et la solidarité : puissent ces qualités s'épanouir sans
entraves, sans failles, sans utopie et sans trop d'idéologie.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet.
Madame la secrétaire d'Etat, le projet de budget que vous nous soumettez
étonne les observateurs. Il annonce en effet des lendemains très incertains et
des surlendemains assurément difficiles.
Au mois de juin dernier, votre prévision de croissance de 3 % était déjà mise
en doute. Vous évaluez désormais l'impact des attentats du 11 septembre sur
notre économique à 0,5 point de PIB, et vous nous proposez donc un taux moyen
de 2,5 %. L'écart avec la prévision de l'OCDE - 1,6 % - et la moyenne des taux
prévus par les conjoncturistes est donc de 1 point, c'est beaucoup.
Après avoir indiqué que « la croissance devrait freiner nettement en 2002 »,
le FMI prévoit 1,3 %. Vous restez donc seule à prévoir une croissance du PIB
pour 2002 supérieure à celle de 2001.
Chacun sait que la tendance n'est pas bonne. La France vient de connaître son
cinquième mois consécutif d'augmentation du chômage, et les prévisions ne sont,
hélas ! pas très optimistes.
Lorsqu'un budget est construit sur des prévisions irréalistes, cela se traduit
immanquablement par une surestimation des recettes, par une sous-estimation des
dépenses et par un déficit budgétaire accru.
Au mois de juillet dernier, vous nous annonciez d'ailleurs, madame la
secrétaire d'Etat, qu'il manquerait environ 3,81 milliards d'euros de recettes
fiscales en fin d'année, compte tenu du ralentissement de la croissance. Cela
démontre bien que vos prévisions ne sont pas bonnes.
Dans les années fastes, durant la croissance, vous avez encaissé des recettes
exceptionnelles. Aujourd'hui, les recettes ne sont plus là, mais vous avez mis
en place des dépenses solides, rigides, incompressibles. L'effet de ciseau va
être terrible pour ceux qui vont vous succéder !
Dans ces conditions, vous ne pouvez pas diminuer les impôts. Dès lors, vous
tentez seulement d'atténuer les hausses décidées depuis quatre ans.
En mai 1997, le taux des prélèvements obligatoires était de 44,9 % du PIB.
Pour cette année, le Gouvernement annonce une réduction de 0,5 point par
rapport à l'année dernière, mais nous n'en sommes qu'à 0,3. Avec un taux de
44,9 % du PIB, c'est-à-dire le même niveau qu'en 1997, il y a donc eu une
législature pour rien, en tout cas à cet égard.
La baisse des impôts n'a donc pas eu lieu.
Qu'en est-il de la suppression dont il a été question de soixante-deux taxes
et impôts instaurés depuis 1997 dont il a été question ? Si l'on examine ces
soixante-deux suppressions en termes de produit fiscal, elles sont entièrement
compensées par seulement deux des dix-neuf taxes et impôts créés dans le même
temps par le Gouvernement, sans parler des trente augmentations et majorations
de taxes et impôts existants dont le Gouvernement a gratifié les Français.
Pour ce qui est de la suppression partielle de la vignette automobile, de la
suppression de la part régionale de la taxe d'habitation ou de celle de la part
salaire de la taxe professionnelle, l'Etat devant intégralement compenser aux
collectivités locales ces pertes de recettes, la baisse d'impôt du contribuable
local est à la charge du contribuable national ; en l'occurrence, c'est la même
personne.
Pour 2002, vous annoncez une baisse des impôts de près de 6 milliards d'euros
mais vous la financez par une augmentation des recettes non fiscales sans
précédent par rapport à 2001 : 13,5 %. Il s'agit essentiellement de ponctions :
ponction du 1 % logement à hauteur de 0,7 milliard d'euros - je suis donc tenté
de dire : « vive le logement social ! » ; ponction sur les entreprises
publiques EDF et GDF de 1,37 milliard d'euros qui va entraîner une augmentation
des tarifs d'EDF ; ponction de 1,14 milliard d'euros sur la caisse
d'amortissement de la dette sociale, la CADES ; ponction sur le fonds
d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des
activités commerciales et artisanales, le FISAC, et la compagnie française
d'assurance pour le commerce extérieur, la COFACE - 0,15 milliard d'euros
chaque - et sur l'organisation autonome nationale d'assurance vieillesse de
l'industrie et du commerce, l'ORGANIC, pour 0,11 milliard d'euros ; ponction de
0,62 milliard d'euros sur la Caisse des dépôts et consignations qui n'est plus
une caisse des dépôts mais une caisse des retraits !
(M. le rapporteur
général sourit.)
En clair, vous financez le manque de recettes fiscales pérennes par des
recettes occasionnelles. La réduction des impôts annoncée par le Gouvernement
n'est donc pas financée pour l'avenir.
Je croyais savoir que l'un des principes fondamentaux de la bonne gestion
était de toujours compenser des pertes durables de recettes par des recettes
nouvelles tout aussi durables ou alors par une réduction des dépenses, ce qui
est encore beaucoup mieux.
S'agissant des dépenses, alors que le Gouvernement s'était engagé en 1998 à ne
pas les augmenter, le résultat s'est traduit par une hausse de 3 % en volume.
En 1999, l'engagement portait sur une progression de 1 %, laquelle a été
finalement de 2,8 %. En 2000, l'engagement de stabilité a été respecté.
Chacun s'accorde à reconnaître que le 0,3 % de 2001 ne sera pas tenu et que le
0,5 % de 2002 n'est pas réaliste. Le programme pluriannuel des finances
publiques du Gouvernement pour 2002 à 2004 prévoit une progression des dépenses
de l'Etat de 1 % en volume sur trois ans. Or avec une hypothèse d'augmentation
de 0,5 % pour 2002, le Gouvernement aura engagé la moitié de son objectif
triennal sur une seule année.
A la fin du mois de septembre 2001, la progression des dépenses du budget
général était de 3,5 % par rapport à 2000, alors qu'elle n'était que de 0,2 %
entre 2000 et 1999. De 1997 à 2001, les dépenses du budget général ont augmenté
de plus de 100 milliards de francs, ce qui représente une hausse de 14 %. La
démonstration est donc faite que nous ne sommes pas dans une tendance de
maîtrise des dépenses de fonctionnement.
En valeur, ce sont les dépenses relatives à la fonction publique qui ont le
plus augmenté. Plus de 70 % de la hausse des dépenses sur la période 1997 à
2001 sont imputables aux dépenses de la fonction publique. Pour 2002, la
progression continue et représente 4,6 % par rapport à 2001.
Après les 15 000 fonctionnaires supplémentaires de 2001, le Gouvernement ouvre
les vannes en grand pour 2002 avec le recrutement de 15 692 personnes
supplémentaires, la titularisation de 11 000 contractuels et le remplacement
des 54 700 départs à la retraite.
La fonction publique constitue à l'évidence un point d'application de l'effort
indispensable de réduction des dépenses publiques.
Si l'on peut comprendre les créations de postes dans les secteurs de la santé,
de la justice, de la police ou de la gendarmerie, il y a quelque chose
d'incongru dans la progression continue des recrutements dans l'éducation
nationale - 12 000 pour 2002 - alors que le nombre d'élèves continue de
baisser. Depuis 1997, on note en effet une diminution de 200 000 élèves dans
l'enseignement primaire et de 100 000 dans l'enseignement secondaire.
L'augmentation du nombre des enseignants ne se traduit pourtant pas par une
baisse du nombre des élèves par classe, qui serait bien propice à un travail de
qualité.
Nous savons que de nombreux personnels de l'éducation nationale comptabilisés
comme enseignants ne voient jamais un élève. Cette ressource permettrait de
répondre à certains besoins sans nouveaux recrutements. Nous demandons
simplement que les personnels actuellement rémunérés comme enseignants
enseignent effectivement.
Voilà un exemple de gisement d'économie sans rogner sur la qualité du service
public.
Au lieu de cela, les vannes sont ouvertes : à la fin du mois de septembre, le
poste de dépenses, c'est-à-dire les rémunérations, les pensions et les charges
sociales, était déjà à 449 milliards de francs, soit presque 11 milliards de
francs de plus qu'à la même époque il y a un an et 25 milliards de francs de
plus par rapport au mois de septembre 1999.
Les chiffres sont clairs : les dépenses de fonctionnement sont bridées et
c'est l'investissement qui sert de variable. Les dépenses civiles des titres V
et VI représentaient plus de 92,3 milliards de francs en 1997 ; pour 2002,
elles s'affichent à moins de 80 milliards de francs, soit une chute de plus de
17 % en cinq ans.
Notre pays a pourtant besoin d'équipements de toute nature. Un Etat qui
n'investit plus ne prépare pas l'avenir et ne pérennise pas le développement
enregistré en période de croissance, qui est pourtant un levier
extraordinaire.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
C'est clair !
M. Alain Joyandet.
C'est ainsi que le chômage, qui était à la baisse, repart aussitôt à la
hausse.
Force est de constater que, depuis 1997, cinq Etats de l'Union européenne ont
affiché une diminution du chômage supérieure à la nôtre. Avec le ralentissement
de la croissance, votre collègue Mme Elisabeth Guigou maintient-t-elle son
pronostic selon lequel la France finira l'année 2001 avec moins de 2 millions
de chômeurs et un taux de chômage à 8,5 % ?
M. Raymond Courrière.
Nous pouvons le souhaiter !
M. Alain Joyandet.
Mais revenons-en aux « grands équilibres », notamment au déficit.
Dans son programme pluriannuel pour 2002 à 2004, le Gouvernement s'engageait à
atteindre l'équilibre global des finances publiques en 2004 si la croissance se
maintenait à 3 % par an. Si la croissance n'était que de 2,5 %, le déficit en
2004 serait à 0,5 %.
Dans les deux cas, le Sénat n'avait pas manqué de dénoncer l'effort fourni par
l'Etat, qui était le plus faible, puisque le déficit restait à 1,1 point de
PIB, pendant que les autres administrations publiques consolidaient leurs
excédents. Le FMI a pourtant rappelé récemment combien il était important
d'atteindre cet équilibre.
Pour 2001, l'engagement du Gouvernement portait sur un déficit de 28,36
milliards d'euros. A la fin du mois de septembre 2001, le solde d'exécution du
budget s'établissait déjà à 27,9 milliards d'euros, soit un chiffre supérieur
de 5,5 milliards d'euros à celui de septembre 2000. Le collectif budgétaire
affiche un déficit de 32,4 milliards d'euros. Grâce à 1,17 milliard d'euros de
recettes non fiscales, le Gouvernement limite cependant le dérapage du déficit
à 3,95 milliards d'euros.
La prévision de déficit associée au projet de budget pour 2002 - 30,4
milliards d'euros -, soit 1,4 % du PIB est irréaliste. Nous pouvons prendre
date et craindre, hélas ! que nous ne soyons au-dessus de 2 % du PIB alors que,
dans les autres pays européens, la moyenne est de 0,5 %. Je note d'ailleurs
que, pour 2002, vous construisez votre budget avec un déficit en augmentation
de 7 % par rapport à 2001.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Joyandet.
M. Alain Joyandet.
Je vais abréger mon intervention sur un certain nombre de points.
Je ne pourrai pas, hélas ! parler longuement de la dette. Je résumerai donc
l'analyse faite par notre groupe sur ce sujet : une prévision de recettes
surestimé ; des dépenses de fonctionnement qui continuent de galoper et qui
rigidifient la dépense publique ; l'investissement public, les dépenses
militaires notamment, et c'est le plus grave, qui servent de variable
d'ajustement ; un déficit budgétaire en hausse ; une dette qui explose
fatalement et dont une partie sert encore à financer les dépenses de
fonctionnement.
Cela veut dire qu'après quatre années bénies de « sainte croissance » on
continue, en France, à payer une partie des fonctionnaires avec des
emprunts.
Bref, un terrible effet de ciseau est à attendre du contexte budgétaire.
J'ajoute, madame la secrétaire d'Etat, que l'on ne peut pas accepter certaines
opérations de fonds de tiroirs. On ne peut pas financer, avec des recettes
occasionnelles dites non fiscales, des dépenses solides ou des pertes de
recettes durables.
M. le président.
Je vous prie de conclure, monsieur Joyandet.
M. Alain Joyandet.
Quand on vend l'argenterie pour payer l'eau, le gaz et l'électricité,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La fin est proche !
M. Alain Joyandet
... il faut se préparer à changer d'appartement pour en prendre un plus petit
en espérant que le premier ne soit pas trop hypothéqué.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur le sénateur !
M. Alain Joyandet.
Je ne reviendrai pas ici sur les dangereuses opérations entre comptes sociaux
et budget de l'Etat, le président de la commission des affaires sociales, M.
Nicolas About, l'ayant fait ce matin.
Je crains que cette description ne soit assez fidèle. Cela ne pourra pas
durer. Il faudra bien qu'un jour un gouvernement courageux s'attaque à cette
situation périlleuse.
Nous savons déjà que ce sera long et difficile. La marge de manoeuvre sera
très étroite entre la volonté de rétablir les comptes de la nation et la
nécessité de ne pas plonger dans la récession. La période qui était favorable
pour résoudre cette difficile équation est, hélas ! derrière nous.
M. le président.
Pour la dernière fois, je vous prie de conclure !
M. Alain Joyandet.
Notre commission des finances, dont nous félicitons le rapporteur général et
le président, tire la sonnette d'alarme depuis longtemps sans être entendue.
Notre groupe la soutiendra pendant cette session budgétaire qui commence, au
cours de laquelle elle pourra compter sur notre contribution, que nous voulons
sincère et courageuse.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Madame la secrétaire d'Etat, depuis 1997, votre gouvernement a bénéficié d'une
conjoncture exceptionnellement favorable. Il n'a cependant pas choisi
d'utiliser les fruits de la croissance pour préparer l'avenir et voilà que la
conjoncture se retourne et que le déficit explose à nouveau ! Avec les
échéances électorales nous arrivons au temps des bilans. Sur trois grandes
priorités au moins - la maîtrise des déficits, de la dépense publique et des
prélèvements obligatoires - votre bilan n'est pas bon.
Vous nous aviez dit que vous préfériez privilégier une priorité absolue,
l'emploi, et nous pensions que vous y parviendriez plus durablement en portant
attention aux priorités que je viens de citer. « Seuls les choix durables sont
valables », disait le ministre de l'économie et des finances ce matin.
Sur l'emploi, vous avez apparemment très vite réussi ; mais vous devez
reconnaître aujourd'hui que la détente sur ce front a été largement obtenue
grâce au retournement de la conjoncture fin 1997 et au fait que le terrain
avait été préparé de 1993 à 1997 pour que notre pays en tire parti.
Personne ne vous impute la crise qui arrive, comme plus personne ne peut
croire que seule votre arrivée au pouvoir en 1997 a entraîné le retour de la
croissance. Il faudrait revenir d'urgence aux vrais choix durables - sur les
déficits, la dépense et les prélèvements - pour que le progrès sur l'emploi
devienne lui aussi durable.
S'agissant du déficit, non seulement il atteint le niveau que nous
connaissions voilà quatre ans, mais il se creuse encore ! Depuis 1993, année
après année, nous avions pourtant regagné du terrain ; Maastricht nous en
faisait - et nous en fait toujours - obligation. Union européenne rime, nous ne
le disons pas assez, avec sagesse budgétaire.
Alors que la croissance vous en donnait le moyen, vous n'avez pas éliminé
définitivement nos déficits et vous reperdez du terrain, précisément au moment
où nos marges de manoeuvre s'amenuisent. Bon courage au prochain gouvernement
et tant pis pour nos enfants !
En effet, n'oublions jamais que ce que nous qualifiions de « déficit » dans le
budget de l'Etat correspond à ce que nous nommons « emprunt » dans nos budgets
communaux. Un emprunt peut très bien se justifier pour financer un
investissement productif. Or ce n'est pas le cas de votre budget, dans lequel
l'investissement est précisément négligé. Vous avez même pris l'habitude de
financer les augmentations des dépenses militaires en amputant les crédits
d'investissement de la défense !
En un mot, avec une augmentation de la dépense civile de 3,5 % en 2001 et de
2,3 % en 2002, vous ne pouvez dire que la dépense publique est maîtrisée.
Venons-en à la fiscalité : ce que nous n'aurons pas fait aujourd'hui pour
permettre à nos contribuables de souffler et à nos entreprises de rester
compétitives, nous devrons le faire demain, lorsque Bruxelles, au nom de la
sagesse fiscale cette fois, nous le demandera. Il aurait tout de même mieux
valu le faire plus tôt et spontanément. Cela aurait été bénéfique pour notre
économie. Demain, ce sera mission impossible pour un budget plombé par des
dépenses qui seront devenues incompressibles.
La facilité paie d'autant moins que nous vivons dans un monde ouvert. Le
rapport d'information intitulé « Mondialisation : réagir ou subir ? », fait au
nom de notre mission commune d'information chargée d'étudier l'ensemble des
questions liées à l'expatriation des compétences, des capitaux et des
entreprises par M. André Ferrand, attire l'attention sur une réalité
incontournable : nous ne pourrons demeurer dans le peloton de tête des nations
qu'en nous en donnant les moyens. Les jeunes Français l'ont compris, qui
répondent facilement à l'appel du large.
La France reste en effet le pays où il fait bon vivre, mais elle n'est déjà
plus de ceux où il fait bon travailler. Nos formations restent enviées dans le
monde, mais pour combien de temps ? Les groupes étrangers sont de plus en plus
réticents à investir ou à venir en France en raison du poids de notre Etat ou,
par exemple, de l'alourdissement du coût du travail lié aux 35 heures. Ils
hésitent à faire confiance à un pays qui affiche l'ambition de moins
travailler. Sans doute n'ont-ils pas bien compris notre démarche, mais l'image
est bien là et elle nous fait du tort !
Les cadres étrangers hésitent à venir en France et les Français expatriés
hésitent à y revenir. Pourtant, ils auraient payé l'impôt - et souvent un gros
! - et placé des capitaux dans notre pays, pour le plus grand bien de notre
économie ! Le manque-à-gagner fiscal et économique est énorme ;
malheureusement, il ne peut apparaître dans vos statistiques. Vous ne pouvez
mesurer que ce que nous perdons, mais nous ne pouvons connaître ce qui n'existe
pas !
Le constat et les propositions de notre mission ont été largement repris dans
le rapport au Premier ministre de M. Michel Charzat ; M. André Ferrand y
reviendra, j'en suis sûr. Il m'avait semblé que cette analyse avait également
retenu votre attention, madame la secrétaire d'Etat. Mais rien ne vient le
confirmer, ni dans la présentation ni dans le contenu de votre budget. Madame
la secrétaire d'Etat, ne sacrifiez pas la compétitivité de notre pays ! Si la
conjoncture ne permet plus de procéder immédiatement à des allégements massifs
de charges - il aurait fallu le faire plus tôt - il me semble utile de prendre
maintenant quelques mesures traduisant une réelle prise de conscience et
l'indispensable volonté de bousculer nos priorités car, je le répète, dans ce
domaine, les effets d'images comptent également.
Nous avons par conséquent déposé des amendements, volontairement limités,
relatifs à des aménagements de l'impôt sur la fortune et des droits de
mutation, à la suppression du taux supérieur de la taxe sur les salaires ainsi
qu'à l'adoption d'un régime spécial d'imposition pour les impatriés. Une
réforme lourde de notre droit des sociétés ou de l'impôt sur le revenu ne peut
être improvisée par le biais d'amendements parlementaires. Toutefois, une
réflexion sérieuse doit très vite être engagée sur ces questions. Face à la
mondialisation, il faut agir d'urgence pour ne pas avoir à en subir les
effets.
J'ai par ailleurs déposé à nouveau - vous vous en doutez, madame la secrétaire
d'Etat - une série d'amendements concernant le passage au taux reduit de la TVA
de certains produits ou services. Il reste de vrais problèmes à régler si nous
voulons faire prévaloir la justice fiscale dans ce domaine. Je sais que vous en
être consciente, puisque vous m'avez indiqué que vous étiez disposée à en
reparler très vite, ce dont je vous remercie.
Les maires, réunis en congrès, qui vont subir, comme l'Etat, la difficulté des
temps, s'inquiètent de voir sans cesse augmenter les charges qui sont
transférées, directement ou indirectement, aux communes.
Avec les charges transférées indirectement - prenons l'exemple des 35 heures
-, nombre de communes, dont la mienne, vont d'un coup reperdre les marges de
manoeuvre qu'elles avaient tenté de regagner au cours d'un mandat complet. La
mission des maires devient impossible !
Les membres du groupe de l'Union centriste défendront des amendements en
faveur des familles, de l'environnement et d'une plus grande justice fiscale.
Ils admirent sans réserve le travail réalisé par le président de notre
commission des finances, Alain Lambert, et notre rapporteur général, Philippe
Marini, et voteront le projet de budget tel qu'il sera modifié par le Sénat.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Vous avez respecté votre temps de parole et je vous en sais gré. La parole est
à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
débat que nous ouvrons cet après-midi sur le projet de loi de finances pour
2002 est profondément marqué par une situation économique et sociale différente
de celle de l'année dernière. En effet, au-delà des événements internationaux,
les données qui président à la conception et à la discussion budgétaire sont
profondément modifiées.
Le premier élément de la situation est la croissance, qui est aujourd'hui
quelque peu en panne. Cela génère un décalage avec l'équilibre affiché à
l'origine, traduit dans le collectif budgétaire dont nous discuterons
prochainement. Ce relentissement de l'activité économique a des causes sur
lesquelles il sera utile de revenir.
Le second élément est la situation de l'emploi, qui avait connu une
amélioration ces dernières années, mais qui est désormais plus incertaine. La
progression du nombre des chômeurs inscrits atteste en effet d'une moins grande
capacité de notre économie à créer des emplois. J'ajoute à cela les
encouragements du MEDEF à la grève des investissements productifs.
Le troisième élément est le climat plutôt confiant de ces dernières années,
qui semble quelque peu émoussé, nous le constatons chaque jour sur nombre de
questions : la sécurité, l'emploi - des jeunes, par exemple, ou l'emploi en
général. Il s'ensuit une préoccupation grandissante de la part de nos
compatriotes, préoccupation que nous partageons et qui nous paraît assez
éloignée des calculs politiciens du côté de la droite, que ce soit la majorité
sénatoriale ou la droite en général.
Ainsi, le MEDEF décide aujourd'hui de mettre en oeuvre ses moyens contre les
35 heures et contre la modernisation sociale. Je vous rappelle, mes chers
collègues de la majorité sénatoriale, l'urgence qu'il y a à appliquer ce
texte.
Mais ce tableau de la situation, vite esquissé ici, ne doit pas nous faire
perdre de vue l'essentiel : le gouvernement de la gauche plurielle dispose d'un
bilan qui a permis certains changements essentiels pour la vie du pays.
Les parlementaires communistes et apparentés de l'Assemblée nationale et les
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen du Sénat ont contribué à
ces résultats. Il l'ont encore fait cette année, notamment à l'Assemblée
nationale, au travers de mesures sur la redevance audiovisuelle, sur la
fiscalité locale, sur l'impôt sur les sociétés dû par les compagnies
pétrolières, sur la prime pour l'emploi ou encore sur l'octroi pour les
collectivités locales de prêts préférentiels à taux zéro dans les zones
urbaines sensibles.
De même, les mesures prises en faveur de l'hôpital public sont à mettre à
l'actif de notre action au cours du débat parlementaire, tout comme l'extension
de l'exonération de la vignette automobile pour les artisans et les
collectivités locales.
Toutefois, sur la durée de la législature, les choix opérés n'ont-ils pas été,
parfois, trop timides pour prolonger pleinement les réformes indispensables
dont notre pays a besoin et que la population attend ?
Nous ne souscrivons donc pas à une politique budgétaire trop restrictive ; il
nous faut une politique budgétaire de relance. Il s'agit non pas de laisser
filer le déficit, mais d'améliorer l'efficacité de la dépense et des
prélèvements sociaux et fiscaux. Il s'agit de mettre plus l'accent sur
l'investissement réel et l'emploi que sur les placements financiers. Et cela
vaut évidemment pour aujourd'hui comme pour demain. En effet, on se trompe
lorsqu'on réduit la dépense publique, car les besoins sociaux ne reçoivent plus
les réponses adaptées. Une partie des difficultés trouve donc son origine dans
l'insuffisance de la dépense publique.
En matière d'insécurité, par exemple, dont nous parlions ce matin, nous
soutenons les revendications exprimées aujourd'hui par la majorité des
syndicats de police. Il ne faut pas s'adresser seulement au ministère de
l'intérieur. D'autres budgets sont concernés. Je pense en particulier à celui
de la ville. Des sommes devraient être octroyées aux collectivités locales pour
leur permettre de faire face, dans les quartiers sensibles, à un certain nombre
de difficultés. Il ne faut pas se limiter aux grands projets de ville, les GPV,
même s'il s'agit d'une bonne initiative.
Posons-nous maintenant la question de la réduction des prélèvements
obligatoires, qui a constitué l'une des pierres de touche de la politique menée
depuis 1997.
Tout d'abord, le poids relatif des impôts, des taxes et des cotisations
sociales dans la richesse nationale est dépendant de la croissance ; plus
celle-ci est forte, plus il se réduit.
Ensuite, la baisse des prélèvements a donné aux agents économiques, tels que
les ménages et les entreprises, plus de liberté. Même si le comportement des
ménages a été plutôt positif, puisque la consommation intérieure a largement
soutenu la croissance, il semble bien que les entreprises n'aient pas joué le
même rôle. En effet, nous observons une absence de progression de la part des
salaires dans la valeur ajoutée et, dans le même temps, une sensible
amélioration de la rémunération et de la rentabilité du capital. Malgré la
crise traversée par le marché des valeurs mobilières au cours de la dernière
période, force est de constater que les dividendes versés ont largement
augmenté, bien plus vite en tout cas que le pouvoir d'achat des salaires ou des
prestations sociales. Certes, des emplois ont été créés, mais ce sont, pour la
plupart, des emplois « pauvres », pas assez rémunérés.
Cette incapacité des responsables d'entreprise de notre pays et des assemblées
d'actionnaires à définir et à appliquer des choix positifs pour l'emploi, la
formation et l'investissement est, de notre point de vue, la source des
difficultés rencontrées aujourd'hui. Et ce n'est pas la prime pour l'emploi,
sorte de prise en charge par les deniers publics de l'absence de revalorisation
des salaires, qui doit faire oublier l'essentiel.
La croissance souffre d'un partage inéquitable de ses fruits. Dans ce
contexte, notre participation au présent débat budgétaire est guidée par une
ligne directrice.
D'abord, nous appuierons toute mesure allant dans le sens d'un soutien
effectif à l'activité, grâce à la fiscalité ou à la mobilisation de la dépense
publique, comme nous le verrons en seconde partie.
Ensuite, nous présenterons dans ce débat une quarantaine d'amendements
portant, notamment, sur une plus grande justice dans le calcul de l'impôt sur
le revenu, sur la baisse générale de la TVA ou certaines baisses établies, sur
le renforcement de l'efficacité de l'impôt sur les sociétés.
Enfin, nous combattrons avec la dernière énergie toute mesure - je pense,
évidemment, à la philosophie générale des amendements de M. le rapporteur
général, au nom de la commission - qui tendrait à confisquer le produit de la
croissance au profit de quelques-uns,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Du grand capital !
M. Thierry Foucaud.
... et singulièrement, dans le cas qui nous préoccupe, des revenus les plus
élevés, des entreprises aux capacités financières les plus importantes ou des
ménages les plus fortunés.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Bien sûr !
M. Thierry Foucaud.
Monsieur le rapporteur général, les propositions de la majorité sénatoriale
sentent quelque peu le réchauffé ou le renfermé et, même parées des couleurs de
la « sincérité budgétaire », elles ne constituent que le catalogue habituel des
idées les plus étroitement libérales.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Les vôtres sont encore étroitement marxistes !
M. Thierry Foucaud.
Je vous ai écouté ce matin, monsieur le rapporteur général : votre objectif
est de diminuer la dépense publique, de diminuer l'emploi public et de diminuer
l'impôt sur les sociétés. Et, si j'ai bien compris l'exemple que vous avez cité
de l'Espagne et du Portugal, lorsque quatre emplois seraient libérés dans la
fonction publique, on les remplacerait par un emploi.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Alain Gournac.
M. Marini n'a jamais dit cela !
M. Thierry Foucaud.
Je dois dire que vous faites un peu plus fort que Mme Alliot-Marie puisque,
dernièrement, je lisais dans un journal que, lorsqu'il y avait trois départs,
il fallait les remplacer par une seule personne.
(M. Gournac s'exclame.)
Mme Hélène Luc.
Parlons du service public !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur
Foucaud ?
M. Thierry Foucaud.
Je vous en prie, monsieur le rapporteur général.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je ne voudrais pas être désagréable à l'égard de
notre excellent collègue, mais je lui ferai remarquer que, tout à l'heure,
j'évoquais une comparaison - cela figure d'ailleurs dans mon rapport écrit -
que nous avons effectuée entre deux pays de l'Union européenne qui adhèrent à
l'euro. J'ai dit que ces deux pays, dont l'un a actuellement au pouvoir un
gouvernement socialiste homogène, qui doit même être soutenu par vos amis,
monsieur Foucaud - il s'agit du Portugal - annonçaient et pratiquaient comme
norme politique et budgétaire la règle d'un remplacement sur quatre. Je n'ai
pas dit que cela devait être transposé à la France ! Ce n'était qu'un exemple
!
Mais cela montre bien que, face à une nécessité commune, certains s'efforcent
de remettre en cause leurs habitudes ; d'autres seront sans doute obligés d'y
venir, chacun avec sa voie nationale propre, avec ses méthodes propres, compte
tenu de sa réalité. Mais l'immobilisme, avec un remplacement pour un départ et
aucun redéploiement des effectifs, n'est ni crédible ni possible à l'heure
actuelle. C'est tout ce que j'ai voulu dire, mon cher collègue !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
Dont acte ! J'ai cru comprendre que, pour vous, comparaison voulait dire
raison, surtout que j'avais déjà entendu, lors de l'examen du texte en
commission des finances, exprimer ce propos, qui a été réitéré ce matin.
Votre défense acharnée pour diminuer la dépense publique, pour réduire le
déficit alors qu'il passe de 250 à 200 milliards de francs, n'a pas, dans les
faits - et vous avez pu le constater vous-même - diminué les inégalités
sociales. Il est évident que nous avons là un désaccord de fond.
Aussi, au nom des membres de notre groupe, rappelons-nous quelques instants ce
que nous ne devons jamais oublier au moment d'engager cette discussion. Quand
nous débattons de la loi de finances, nous devons penser aux salariés et
notamment à ceux qui luttent pour préserver leur emploi, sacrifiés sur l'autel
de la rentabilité financière immédiate et victimes de la violence feutrée des
décisions d'assemblées d'actionnaires.
Pensons aux infirmiers et infirmières, qu'ils soient du public ou du privé.
Pensons aux chômeurs, qui ont aujourd'hui besoin d'une véritable politique de
formation et d'emploi, que la seule mise en oeuvre du plan d'aide au retour à
l'emploi, le PARE, qui tend à les culpabiliser, ne permet pas de mener.
Pensons aux emplois-jeunes, dont l'expérience a montré, dans de nombreux
domaines sensibles, l'utilité pour l'ensemble de la société.
Enfin, nous serons de nouveaux porteurs, dans ce débat, de propositions pour
une réforme plus complète des finances locales, permettant aux collectivités
territoriales de jouer pleinement leur rôle dans la vie du pays en termes
d'emplois, de réponse aux besoins de nos concitoyens et d'investissement
public. Mon temps de parole étant épuisé, j'interviendrai à cet égard lors de
la discussion sur les 35 heures ; j'aborderai alors les modalités d'application
de cette mesure au sein des collectivités territoriales, notamment en ce qui
concerne les moyens financiers.
Nos compatriotes, habitants de ce pays développé, riche de potentiels de
création et de production, attendent de cette loi de finances qu'elle participe
à la satisfaction des besoins collectifs. Elle doit répondre aux aspirations
populaires, portant la croissane et la confortant.
C'est cet objectif qui constitue, en première et dernière instance, la
motivation des amendements que notre groupe défendra lors de la discussion des
articles.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà
tout juste un an, nous nous félicitions, à juste titre, de l'embellie
économique que connaissait notre pays.
Le brusque ralentissement de l'économie américaine, dès janvier 2001, et ses
répercussions sur l'économie mondiale ont, depuis, quelque peu modéré notre
enthousiasme d'alors. Les attentats du 11 septembre dernier ont ajouté
l'incertitude à l'inquiétude. Toutefois, la manière dont le Gouvernement a
surmonté les difficultés dans le passé augure bien de l'avenir.
Depuis presque cinq ans, ses orientations budgétaires ont contribué pour une
large part au dynamisme de la croissance française.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Gérard Miquel.
De 1997 à 2000, elle a toujours été d'au moins 3 % par an, affichant une
solidité et une régularité rares dans notre histoire. La conjoncture
internationale, certes favorable, n'explique pas tout, mes chers collègues, car
la performance française se situe à la deuxième place des grands pays
occidentaux, juste derrière les Etats-Unis, mais devant le Royaume-Uni,
l'Italie et l'Allemagne. En 2001, le PIB de notre pays progressera une nouvelle
fois plus vite que la moyenne des pays de la zone euro.
Je rappelle, à titre de comparaison, que, de 1993 à 1997, période chère aux
yeux de la majorité sénatoriale, l'activité a progressé moins vite en France
que dans la plupart des pays européens. Cela a eu un coût : perte de richesses,
chômage, et probablement sanction électorale...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Si c'est le Gouvernement qui
décide de la croissance, il faut faire mieux !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Eh oui !
M. Gérard Miquel.
C'est vrai ! Mais, dans les mêmes conditions, les décisions prises par un
gouvernement peuvent modifier quelque peu les résultats.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Absolument !
M. Gérard Miquel.
C'est ce à quoi je faisais allusion !
En visant un taux de 2,5 %, le projet de budget pour 2002 poursuit cette
politique de croissance, malgré la passe délicate de ralentissement économique
généralisé que nous connaissons aujourd'hui. Si d'aucuns estiment cette
prévision trop optimiste, rappelons-leur qu'il est plus souvent arrivé au
Gouvernement de pécher par pessimisme que par excès d'optimisme. Rappelons-leur
aussi que la seule fois où la prévision d'une loi de finances aurait pu être
critiquée, c'est-à-dire en 2001, elle ne l'a pas été, contrairement aux
prévisions de 1998, 1999 et 2000.
L'économie n'est évidemment pas une science exacte. La preuve en est qu'au
lendemain des attentats américains la principale crainte des économistes était
de voir le prix du pétrole monter en flèche et la consommation des Français
s'effondrer. Pronostic erroné, puisque le prix du pétrole n'a pas été aussi bas
depuis bien longtemps et que la consommation se maintient à un niveau élevé,
même si elle a légèrement régressé au mois d'octobre. Certes, les événements de
septembre auront un effet négatif, mais je ne me prononcerai pas aussi vite que
notre rapporteur général sur son ampleur.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Pas aussi vite que le FMI, l'OCDE ou l'Union
européenne !
M. Gérard Miquel.
Nous verrons !
A vrai dire, lorsque l'on considère un à un les fondamentaux de notre
économie, force est de constater qu'ils constituent un socle solide pour une
croissante forte en 2002. En plus de la faiblesse du prix du pétrole et de la
vigueur de la consommation déjà soulignés, on notera une inflation de 1,8 %,
soit l'un des taux les plus bas de la zone euro, qui préserve le pouvoir
d'achat des Français, par ailleurs stimulé par la politique gouvernementale.
Nous pouvons également nous féliciter du rebond de la Bourse après les pertes
enregistrées à la suite des attentats.
Enfin on s'aperçoit, au détour d'une décision de la Banque centrale
européenne, qu'il reste aussi des marges de manoeuvres à exploiter en matière
de politique monétaire.
Mes chers collègues, le Gouvernement affiche une prévision de croissance
volontariste, mais il se donne aussi les moyens de son ambition. Son attitude
n'est pas et ne sera pas de contempler le ralentissement sans rien faire. Il a
agi, il agit, il agira encore s'il le faut. Depuis 1997, il a restauré la
confiance et compte bien la maintenir et l'encourager davantage.
Les Français peuvent croire à sa détermination. Il ne s'agit pas de paroles en
l'air : des mesures de soutien de l'activité, saluées par la plupart des
observateurs comme particulièrement pertinentes, ont déjà été annoncées par
Laurent Fabius devant l'Assemblée nationale. Elles s'adressent aux ménages,
avec le versement, au début de 2002, d'une deuxième prime pour l'emploi. Elles
s'adressent aux entreprises, avec la mise en place d'un abattement sur la
comptabilisation de leurs investissements. Elles s'adressent enfin aux secteurs
particulièrement affectés par le ralentissement économique, comme les
télécommunications, ou directement touchés par les événements du 11 septembre
et de Toulouse, comme les compagnies aériennes, les assurances et les
entreprises du tourisme.
Si toutefois le ralentissement devait se faire plus menaçant, le Gouvernement
a rappelé qu'il laisserait jouer les stabilisateurs automatiques et
réorienterait de manière plus franche les crédits en direction de l'emploi.
Ce budget, comme les précédents, affiche donc clairement une volonté de
soutien à la croissance.
En ce sens, l'heure n'est, et ne doit évidemment pas être à la restriction :
ne commettons pas l'erreur du gouvernement Juppé qui, en 1995, avait étouffé la
croissance en augmentant la TVA de deux points, amputant de la sorte le pouvoir
d'achat des ménages. Les Américains eux-mêmes ont dépassé leurs réticences
dogmatiques, en injectant des milliards de dollars de dépenses budgétaires dans
leur économie. Cet exemple doit être médité, mes chers collègues.
Pour ce budget, le Gouvernement a retenu une progression en volume des
dépenses de 0,5 %. Plus importante que l'année précédente, cette hausse reste
raisonnable dans le contexte actuel et respecte nos engagements européens.
Ce budget réaffirme le principe de gestion dynamique des crédits par
redéploiements vers les secteurs prioritaires auxquels sont affectés plus de 80
% de sa progression. Evitant ainsi les saupoudrages sans effet, le Gouvernement
poursuit depuis 1997 sa politique en faveur de l'emploi, de la sécurité, de la
justice, de l'éducation et de l'environnement : les budgets ont augmenté, sur
la durée de cette législature, de 16 % pour l'emploi, de 19 % pour l'éducation
nationale, de 18 % pour la sécurité, de 25 % pour la justice et de 58 % pour
l'environnement.
M. Philippe Adnot.
C'est faux !
M. Gérard Miquel.
Pour autant, le financement des politiques auxquelles nous étions attachés ne
s'est pas fait au détriment du déficit public puisqu'il a été cantonné à 1,3 %
du PIB en 2000, soit son niveau le plus bas depuis 1990. Pour sa part, la dette
publique a été ramenée en quatre ans de 59,3 % à 57,6 % du PIB.
Mais le ralentissement économique actuel et les baisses d'impôts pèsent sur
les recettes et le déficit de l'Etat prévu pour 2002. Toutefois, il faut
souligner que, depuis 1996, la réduction du déficit s'élève tout de même à 100
milliards de francs et, en s'établissant à 30,2 milliards d'euros en 2002, le
déficit régressera par rapport à l'exécution du budget de 2001.
Comprimer les dépenses ou augmenter les impôts aujourd'hui pour améliorer le
solde serait une politique irresponsable et à courte vue : demain, la
croissance s'évanouirait, entraînant dans sa chute les recettes et le déficit
flamberait à moyen terme.
Par ailleurs, toujours dans un souci de soutien du pouvoir d'achat des
ménages, de l'emploi et de l'investissement, la baisse des prélèvements se
poursuit. Ces allégements s'élèvent à près de 40 milliards de francs cette
année et à plus de 200 milliards de francs sur l'ensemble de la législature.
C'est une baisse à laquelle nous nous étions engagés et, ce qui est d'autant
plus méritoire, qui ne porte aucun préjudice aux services publics, comme nous
l'avons vu.
Les ménages français bénéficieront, en 2002, d'une nouvelle baisse de l'impôt
sur le revenu et d'un doublement de la prime pour l'emploi. Pour leur part, les
entreprises verront se poursuivre la suppression de la part salariale de la
taxe professionnelle et la suppression de la surtaxe Juppé de l'impôt sur les
sociétés. Les PME seront imposées sur leurs premiers francs de bénéfices au
taux historiquement bas de 15 %.
Au-delà de ces réformes inscrites dans les lois précédentes et appliquables
dès 2002, ce projet de loi de finances contient diverses mesures fiscales
innovantes en faveur de l'environnement, du logement social ou des
associations, sous la forme d'abattements, d'exonérations et de crédits
d'impôt.
Et la liste n'est pas exhaustive. Il va sans dire que les valeurs de justice
sociale, d'équité et d'efficacité, auxquelles nous sommes passionnément
attachés, sont toujours privilégiées. Car l'essentiel est bien que les Français
continuent de consommer, que les entrepreneurs continuent d'investir et que le
Gouvernement préserve leur confiance en adaptant, quand il le faut, sa
politique économique. Notre objectif est bien de construire une société plus
riche, plus juste et plus solidaire.
L'idée, défendue par certains, d'une « législature pour rien », d'un «
gaspillage des fruits de la croissance » est sans avenir. Elle ne peut que se
fracasser sur la réalité du bilan de ce gouvernement. En tout cas, elle ne
séduira pas le million de chômeurs qui a retrouvé un travail !
Jamais dans notre histoire politique un gouvernement n'a eu un aussi bon
crédit...
M. Alain Gournac.
Oh !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Oui, au parti socialiste !
M. Gérard Miquel.
... dans l'opinion et dans le pays.
(Exclamations sur les travées du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
Oui, messieurs, vous avez perdu la confiance beaucoup plus rapidement, et nous
avons su la garder, c'est ce qui vous gêne !
(Rires sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Attendez la fin de l'histoire
!
Mme Nelly Olin.
Et elle ne va pas tarder !
M. Gérard Miquel.
Pour terminer, je parlerai brièvement des collectivités locales, mais nous y
reviendrons plus longuement.
Je signale que l'attachement du Gouvernement au principe de libre
administration des collectivités locales trouve une nouvelle fois sa traduction
dans le présent projet de loi de finances. En effet, de la prolongation du
contrat de croissance et de solidarité en 2002 résulte un formidable effort
financier, effort sans commune mesure avec l'application du pacte de stabilité
de M. Juppé.
Mme Nelly Olin.
Oh la la !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Juppé, toujours Juppé !
M. Gérard Miquel.
La dotation globale de fonctionnement progressera ainsi de plus de 4 % cette
année.
Mes chers collègues, chaque fois que des difficultés se sont présentées, les
choix du Gouvernement ont été largement critiqués au sein de cette assemblée ;
et, chaque fois, le Gouvernement a su les surmonter.
Mme Nelly Olin.
Mon Dieu !
M. Gérard Miquel.
J'imagine que ces critiques se feront de plus en plus virulentes à mesure que
l'on approchera des échéances du printemps prochain. Il y aura aussi, n'en
doutons pas, de nombreuses tentatives de diversion pour que la campagne à venir
prenne d'autres tournures que celle d'un affrontement direct bilan contre
bilan, et pour cause !
Madame la secrétaire d'Etat, ce budget pour 2002 nous semble présenter
suffisamment d'atouts pour que notre pays surmonte le ralentissement actuel de
l'économie mondiale.
M. Alain Gournac.
Bref, c'est formidable !
Mme Nelly Olin.
Tout va bien !
M. Gérard Miquel.
Il s'inscrit, de plus, dans le respect des priorités et des objectifs que nous
nous sommes fixés dès le début de la législature.
C'est pourquoi vous pourrez compter sur le total soutien du groupe socialiste,
tout au long de la discussion.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Alain Gournac.
C'est un
scoop !
M. Roland du Luart.
Oui, un vrai
scoop !
M. le président.
La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ne
disposant que de peu de temps, j'irai droit au but. Ce budget n'est pas
sincère, car il est bâti sur une hypothèse de croissance dont tout le monde
sait qu'elle ne sera pas au rendez-vous.
(Très bien ! sur les travées de
l'Union centriste.)
La conséquence en sera immanquablement soit une augmentation du déficit
budgétaire, donc de l'emprunt, soit un abandon des investissements.
Vraisemblablement, nous connaîtrons les deux.
M. Roland du Luart.
Certainement !
M. Philippe Adnot.
A quoi bon batailler sur des budgets qui sont déjà obsolètes avant même
d'avoir été votés ? La question mérite d'être posée. La réponse est simple : il
nous appartient non pas de demander plus de crédits, mais de montrer ce qui est
bien ou mal utilisé, et de démonter les petites mystifications.
A propos de mystification, et puisque notre collègue Gérard Miquel vient de
mentionner l'augmentation des crédits du ministère de l'aménagement du
territoire et de l'environnement, je rappelle que, l'année dernière, Mme Voynet
a modifié le périmètre de son ministère, ce qui lui a permis de nous présenter
un budget en augmentation de 9 %, alors qu'il avait baissé, en réalité, de 20 %
! Alors, les statistiques, on peut toujours leur faire dire ce que l'on veut
!
M. Michel Charasse.
Mais tout le monde y a recours !
M. Philippe Adnot.
Le chiffre cité tout à l'heure était faux !
Il convient donc d'informer nos concitoyens tout en préparant un programme de
meilleure utilisation de l'argent public.
Pour ma part, je me contenterai donc, à partir de cinq exemples, de mettre en
évidence ce qui me paraît grave pour la France.
S'agissant de la loi de programmation militaire, les crédits d'investissement
ne sont pas consommés - le rapport de notre collègue sur le sujet est excellent
- et, plus grave encore, on constate l'inexécution de tous les programmes, ce
qui allonge la durée de réalisation. Ainsi, avant même l'achèvement de nos
programmes, nos investissements doivent être revus en raison de l'évolution des
technologies, qui impose des modifications. Plutôt que d'inscrire des crédits
sans cesse repoussés, il vaudrait mieux choisir ce que l'on peut et ce que l'on
veut faire, et le réaliser.
Pour ce qui est de la prime pour l'emploi, l'article 3 du projet de loi
prévoit de la doubler...
M. Roland du Luart.
Comme par hasard, avant les élections !
M. Philippe Adnot.
... alors qu'elle est financée par emprunt. Dès lors, elle accroît le déficit
budgétaire. Surtout, ce qui est choquant dans cette prime, c'est qu'elle
dévalorise l'acte de travail. Or je crois qu'il n'est pas sain que le revenu
d'une famille dépende davantage de l'ensemble des primes ou des aides, comme
l'aide au logement, que d'une rémunération correcte du travail.
(Approbation sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
En ce qui concerne la caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES,
j'ai pu montrer, les années passées, qu'elle serait dans l'incapacité d'amortir
sa dette dans le temps qui lui est imparti.
C'était une formule déjà assez originale que d'emprunter pour solder des
déficits de fonctionnement. Mais là, c'est encore beaucoup plus fort ! Un des
créanciers - l'Etat - se paie en premier. Or, vous le savez, quand une
entreprise est en difficulté, la règle veut qu'aucun des créanciers ne se paie
en priorité. Dans le cas présent, l'Etat se paie en premier, créant ainsi un
déséquilibre qui aura une conséquence simple, nous le verrons, l'allongement de
la durée de remboursement de la CADES. On est donc au comble de la provocation,
car il s'agit de financer par emprunts des dépenses de fonctionnement. Quel
cadeau empoisonné pour les générations futures !
En ce qui concerne les 35 heures, le Gouvernement avait promis que, dans la
fonction publique, il n'y aurait pas de créations d'emplois à l'occasion de la
mise en place du dispositif. Nous avons entendu, dans cet hémicycle, nombre de
ministres l'affirmer haut et fort. Or, à l'analyse des budgets, on constate que
la moitié des créations de postes qui nous sont proposées résulte du passage
aux 35 heures. On trompe donc grossièrement les Français. En effet, s'il est
certain que les créations d'emplois n'apporteront aucun service supplémentaire,
puisqu'il s'agira de compenser les 35 heures, en revanche, les charges de
structures, elles, demeureront, avec toutes les conséquences que cela
entraînera en cas de retournement de la conjoncture.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est en train de se faire !
M. Philippe Adnot.
Concernant la fracture numérique, vous avez tous reçu, mes chers collègues, le
rapport du Gouvernement sur la téléphonie mobile. Vous avez pu voir, sur les
cartes qui figurent à la fin de ce document, les zones, figurées en noir, qui
ne sont pas aujourd'hui desservies par la téléphonie mobile. Or, entre ces
cartes et la réalité, il y aura une énorme différence.
Quelle est la situation ? Lors du dernier comité interministériel
d'aménagement du territoire, il a été décidé que les collectivités
participeraient, avec l'Etat et avec la Caisse des dépôts et consignations, au
financement de l'action visant à faire disparaître ces petites taches noires
qui figurent sur les cartes, mais qui ne représentent pas le dixième de ce qui
devra être fait en réalité. Donc, non seulement les crédits prévus seront
insuffisants, mais encore, et surtout, cela reviendra à demander aux régions
les plus fragiles démographiquement et économiquement de financer un équipement
qui est gratuit pour les zones très riches, très fortes et très puissantes.
C'est le comble de l'aménagement du territoire !
Non, mes chers collègues : l'Etat doit utiliser en priorité le produit de la
cession des licences UMTS pour instaurer l'égalité entre les citoyens dans un
domaine qui nous paraît essentiel pour l'avenir.
En résumé, parce qu'il pèche par absence de décision et de réalisation dans le
domaine militaire, parce qu'il dévalorise l'acte de travail, à crédit, parce
qu'il fait peser sur les générations futures, avec la CADES, le remboursement
d'un déficit de fonctionnement, parce qu'il crée des charges de structures
liées aux 35 heures sans prévoir de services supplémentaires, parce qu'il
accentue les déséquilibres du territoire en faisant payer les plus faibles,
pour toutes ces raisons, vous l'aurez compris, nous ne voterons pas ce budget,
qui est mauvais pour l'avenir de notre pays.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
attentats du 11 septembre dernier ont bouleversé la donne internationale ; ils
ne doivent cependant pas nous faire oublier les réalités nationales. La France
doit faire face à une crise sérieuse mais elle le fait dans de mauvaises
conditions car, depuis 1997, le Gouvernement n'a cessé de reporter les réformes
de fond, notamment en matière de retraites et de fonction publique.
Ceux qui avaient de bonnes idées ont été écartés : le ministre Claude Allègre,
pour avoir osé s'attaquer à la réforme de l'éducation nationale ; le ministre
Christian Sautter, pour avoir soutenu le projet de fusion de la comptabilité
publique et de la direction générale des impôts.
Le Gouvernement n'a ainsi engagé aucune véritable réforme de structure en
laissant passer la chance que lui offrait une conjoncture exceptionnellement
favorable.
A l'inverse, il a créé les conditions d'un grave dérapage des comptes publics,
car les dépenses n'ont pas été maîtrisées. Le poids de la fonction publique
dans le budget général n'a cessé d'augmenter. La dette de l'Etat a atteint des
sommets et les déficits ont été réduits de manière insuffisante et
essentiellement conjoncturelle.
J'ai eu plusieurs fois l'occasion de dénoncer les dangers d'une situation qui
rappelle de bien mauvais souvenirs. Comme en 1992 et en 1993, nous récoltons
aujourd'hui les fruits amers d'une politique laxiste et peu responsable.
Le Gouvernement pratique la fuite en avant budgétaire pour mieux fuir sa
responsabilité politique.
Il invoque le « patriotisme économique » pour justifier la présentation d'un
projet de loi de finances qui ne tient aucun compte de la réalité. Construire
un budget sur une hypothèse de croissance de 2,5 % lui permet de gonfler les
recettes tout en évitant de faire des choix en matière de dépense.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Absolument !
M. Roland du Luart.
La ficelle est un peu grosse, d'autant qu'elle se double d'une forte hausse
des recettes non fiscales, comme l'a rappelé, ce matin, M. le rapporteur
général.
Le Parlement a récemment consacré le principe de sincérité des lois de
finances, mais cela n'empêche par le Gouvernement de pratiquer de nouvelles
manipulations budgétaires.
Après avoir dissimulé l'importance des recettes de l'Etat en 1999 et déclenché
ce que l'on a improprement appelé l'affaire de la « cagnotte », le Gouvernement
cherche aujourd'hui à cacher leur dégradation. Dans les deux cas, il trompe les
Français et préfère travestir la réalité plutôt que de la regarder dans sa
nudité.
Mais, au-delà du manque de sincérité budgétaire que notre commission des
finances a souvent eu l'occasion de démontrer,...
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Elle a tenté de le faire, sans y parvenir !
M. Roland du Luart.
... je voudrais souligner quatre caractéristiques inquiétantes du budget que
nous examinons aujourd'hui.
La première est le poids considérable de la dette de l'Etat, qui continue de
progresser, augmentant de plus de 1 000 milliards de francs en quatre ans, ce
qui réduit considérablement les marges de manoeuvre budgétaires.
La deuxième caractéristique est la baisse des dépenses d'investissement.
Depuis quatre ans, en effet, les dépenses supplémentaires du budget de l'Etat
ont été affectées pour l'essentiel au remboursement de la dette et au paiement
des dépenses de fonctionnement.
Le Gouvernement a privilégié les choix idéologiques comme la réduction du
temps de travail au détriment de missions régaliennes de l'Etat comme la
sécurité, la justice et la défense, dont le caractère prioritaire nous a
pourtant été récemment rappelé par plusieurs événements dramatiques, que ce
soit au plan intérieur ou au plan extérieur.
Les 35 heures coûtent cher. Elles entretiennent l'illusion que l'on peut
gagner plus en travaillant moins, et isolent notre pays par rapport à ses
principaux partenaires et concurrents économiques.
Comme le rappelait récemment, devant l'académie des sciences morales, l'ancien
ambassadeur des Etats-Unis en France, Félix Rohatyn, par ailleurs grand ami de
notre pays, les Américains ont travaillé, dans l'année 2000, près de douze
semaines de plus que les Français. Ce déséquilibre s'accentuera encore en 2002
avec la généralisation de la réduction du temps de travail dans notre pays.
Dans ces conditions, comment peut-on prétendre combler notre retard de
compétitivité et renforcer l'attractivité de notre territoire ? Nos entreprises
risquent de payer le prix fort et, avec elles, nos salariés.
En tant que président d'un conseil général, je mesure également l'ampleur des
dégâts sociaux et budgétaires que va provoquer l'application des 35 heures dans
les collectivités territoriales et, en particulier, dans les maisons de
retraite et les établissements pour adultes ou enfants handicapés.
M. André Dulait.
Tout à fait !
M. Roland du Luart.
La réduction du temps de travail aura un coût considérable pour la nation,
mais elle entraînera aussi, de manière inéluctable, une hausse sensible des
impôts locaux.
La troisième caractéristique inquiétante de ce projet de loi de finances est
le poids considérable des dépenses de fonction publique, dont la part dans le
budget général atteindra 43,3 % l'année prochaine, contre 40 % il y a quatre
ans. Des pays comme l'Espagne et le Portugal ont fait preuve de courage en
annonçant le remplacement d'un seul départ à la retraite sur quatre. Sans aller
jusque-là, nous pourrions très bien redéployer les effectifs et même les
réduire de manière globale tout en les augmentant dans certains secteurs
prioritaires. C'est possible, mais à la condition d'engager une véritable
réforme de l'Etat, ce que le Gouvernement s'est jusqu'à présent refusé à
faire.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
En tout cas, il tarde !
M. Roland du Luart.
Plus de fonctionnaires, cela ne signifie pas nécessairement un meilleur
service public. Certains organismes, nous le savons tous, sont mal gérés, et
leur efficacité est contestable. C'est par exemple le cas de l'ANPE, du centre
chargé de la collecte de la redevance audiovisuelle, ou encore de la mission de
lutte contre la drogue et la toxicomanie, dont j'ai récemment constaté les
dysfonctionnements dans le cadre d'une mission de contrôle budgétaire.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'étaient 300 millions de francs pour pas grand-chose
!
M. Roland du Luart.
Enfin, c'est un comble : à cause de la réduction du temps de travail, nous ne
sommes même pas certains que les emplois budgétaires supplémentaires se
traduiront concrètement sur le terrain, c'est-à-dire dans les écoles, dans les
hôpitaux, dans les palais de justice, et dans la rue pour ce qui concerne les
policiers ou les gendarmes.
Le ministre de l'intérieur, M. Vaillant, m'a paru bien embarrassé quand je lui
ai posé la question, dernièrement, lors de la réunion de la commission des
finances. Il est vrai que, dans le budget pour 2002, il nous annonce 3 000
policiers supplémentaires, alors que les 35 heures entraîneront une réduction
mécanique de 10 % des effectifs disponibles sur le terrain, ce qui représente
13 000 policiers en moins - à rapporter aux 3 000 policiers en plus. Les
Français apprécieront, surtout ceux qui souffrent actuellement d'un fort
sentiment d'insécurité !
Mme Nelly Olin.
Très bien !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Cela a été rappelé ce matin par
M. Laurent Fabius !
M. Roland du Luart.
Je souhaite enfin parler des prélèvements obligatoires, qui se sont accrus de
92 milliards d'euros, soit plus de 600 milliards de francs, entre 1997 et 2001.
Les baisses d'impôts annoncées viennent bien tard et ne compensent que
partiellement les sommes prélevées depuis quatre ans.
Le Gouvernement pratique le saupoudrage fiscal et privilégie des mesures
électoralistes. Nous devons lui opposer des réformes de fond, globales et
durables, afin d'aider les familles, d'encourager l'investissement et de
soutenir l'activité, donc l'emploi.
Mais nous devons aussi tenir un langage de vérité. La situation budgétaire de
notre pays est telle que nous ne pourrons pas tout faire tout de suite.
Certaines mesures, envisageables en période de forte croissance, ne le sont
plus en période de fort ralentissement économique.
Au moment où le Gouvernement fait preuve de laxisme, le Sénat doit montrer son
sens des responsabilités.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Absolument !
M. Roland du Luart.
Nous devons analyser la situation économique et budgétaire avec lucidité, et
en tirer les conséquences politiques avec pragmatisme.
C'est ce que propose notre commission des finances, à l'instigation de son
président, Alain Lambert, et de son rapporteur général, Philippe Marini ; et
c'est dans cet esprit que le groupe des Républicains et Indépendants aborde
cette discussion budgétaire.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de budget pour 2002 est pour le Gouvernement celui de l'incertitude,
mais aussi de son inquiétude et de la traduction de son inaptitude à piloter à
long terme nos finances publiques.
Incertitude, évidemment, face à la déprime conjoncturelle qui parcourt le
monde depuis l'atterrissage brutal de l'économie américaine. Mais réduire cette
incertitude à un choc dû aux funestes événements du 11 septembre, c'est une
façon très commode pour le Gouvernement de s'exonérer de toute
responsabilité.
Vous avez corrigé, madame la secrétaire d'Etat, l'erreur - humaine - de
l'année dernière en ramenant l'estimation du taux de croissance de 3,3 % à 2,1
%. Mais je constate que vous persévérez cette année, et cela est diabolique
!...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Perseverare diabolicum !
M. Yves Fréville.
... en vous cramponnant, avec peu de conviction, il est vrai, à un taux voisin
de 2,5 %, espérant que la consommation se maintiendra jusqu'aux élections et
qu'ensuite la reconstitution des stocks des entrepreneurs provoquera un
rebond.
Je ne ferai pas de misérabilisme. Je ne crois pas au scénario noir de 1993. Je
pense que la baisse du prix du pétrole, que la politique monétaire, beaucoup
plus souple que celle de 1992 - qui fut extraordinaire et qui avait vu, à la
demande du Gouvernement, à l'époque, les taux d'intérêt monter jusqu'à 10 %,
voire 12 % - l'empêcheront de se répéter. Mais, madame la secrétaire d'Etat, le
consensus est clair ! Tous les instituts de conjoncture estiment que le taux de
croissance, l'année prochaine, correspondra à celui d'une croissance « molle »
et sera compris entre 1,4 % et 1,5 %.
Pourquoi ce débat sur la politique volontariste du Gouvernement ? Pourquoi ne
pas nous présenter une lettre qui rectifierait votre budget en fonction de ce
taux de croissance ? Ce serait si simple !
Incertitude, disais-je, et inquiétude du Gouvernement face à la dégradation
des finances publiques, qui ternirait certainement son bilan à la veille
d'élections majeures.
Oh, je connais votre doctrine, s'agissant des recettes : laiser jouer les
stabilisateurs automatiques. Ah ! qu'en termes galants ces choses-là sont dites
! En termes clairs, cela s'appelle : laisser filer le déficit budgétaire. Il
est certain qu'une diminution d'un point de la croissance entraînera 25
milliards de francs de déficit supplémentaires.
Vous nous présentez donc un budget à tête de Janus, un budget virtuel, irréel
pour les recettes, mais bien réel et qui sera exécuté pour les dépenses. Je
vous reproche non pas de laisser jouer les stabilisateurs automatiques, mais de
ne pas nous indiquer clairement quelle en sera l'incidence sur le déficit
budgétaire : c'est le principe même de la sincérité.
Enfin, j'évoquais l'inaptitude du Gouvernement à gérer à long terme les
finances publiques, à « faire des choix durables, les seuls valables », comme
le soulignait ce matin M. le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie.
Au fond, vous avez cru que le retour au plein emploi s'effectuerait dans une
période décennale de croissance. Vous avez donc été pris par surprise, à un
moment où votre déficit budgétaire est deux fois plus élevé que celui de
1991.
De plus, ce déficit reste un déficit structurel, parce que la baisse dont le
Gouvernement s'est prévalu au cours des dernières années - ce n'est pas moi qui
le dis, c'est le rapport économique et financier - est due pour les trois
quarts à la seule croissance et pour un quart à peine aux réformes
structurelles qu'appelait de ses voeux, ce matin, le président de la commission
des finances.
C'est à l'aune de ce contexte que je veux revenir sur vos choix financiers à
travers la marge de manoeuvre de cette année et le gaspillage de la manne lié à
la croissance au cours des cinq dernières années.
Votre marge de manoeuvre pour 2002, que vous dites s'élever à 14 milliards
d'euros, est absolument mirifique ! Mais 94 milliards de francs supplémentaires
en période de difficulté, est-ce sérieux ? L'étonnement croît encore lorsque
l'on constate la part énorme - 40 % - qu'y prennent les recettes non fiscales.
Comme mes collègues, comme M. Adnot tout à l'heure à propos de la CADES, j'ai
admiré, madame la secrétaire d'Etat, votre habileté à sortir de votre chapeau
de prestidigitateur quelques lapins. J'y suis pourtant relativement habitué,
maintenant !
Quand on pense que la CADES rendra à l'Etat deux fois plus que ce que
demanderait l'amortissement normal de sa dette de 110 milliards de francs qu'il
lui a fallu reprendre en 1993 ! Est-ce sérieux ? Est-il sérieux d'inscrire en
recettes budgétaires un remboursement en capital, en contradiction avec la
nouvelle loi organique ?
Voilà pour les recettes non fiscales.
Quant aux recettes fiscales, elles ne procureraient que 45 % de cette marge de
manoeuvre. Mais les évaluations mêmes de cette masse sont sujettes à
caution.
Comment expliquer que la TVA nette des remboursements augmente en évolution
spontanée de 4,6 % cette année, alors que vous prévoyez une consommation en
croissance plus faible, de 4,3 % seulement, et que les investissements taxables
n'augmenteraient que de 1,7 % ? J'ai consulté le fascicule des moyens, et je
n'ai pas compris.
Comment expliquer que l'impôt sur les sociétés puisse voir son rendement
augmenter de 1 %, alors que vous avez révisé à la baisse le taux de croissance
de l'économie pour l'année 2001 et que les résultats des entreprises
s'infléchissent fortement cette année ? Comment expliquer que des impôts dont
l'assiette est en baisse augmentent l'année prochaine ? Là encore, je ne
comprends pas.
Enfin, le ministre des finances ne l'a pas rappelé ce matin, mais
l'augmentation de la marge de manoeuvre de cette année s'appuie, pour la
première fois depuis cinq ans, sur un déficit budgétaire accru, c'est-à-dire
sur un plus grand recours à l'emprunt : le recours à l'emprunt net sera de 30
milliards d'euros. Comme nous devons rembourser 60 milliards d'euros d'annuités
- deux fois plus ! -, l'emprunt apportera donc 590 milliards de francs au
budget de l'Etat cette année. Voilà où nous a conduits l'accumulation de la
dette.
Votre marge de manoeuvre est donc irréelle : elle est fondée sur un
accroissement du déficit, sur des recettes non fiscales et sur des impôts dont
le rendement me semble surévalué. Devant cette situation, vous nous opposez que
vous utilisez la marge de manoeuvre essentiellement pour respecter la
limitation de la hausse des impôts. Or je vais essayer de vous montrer
maintenant, à partir d'une analyse du gaspillage de la manne de la croissance
de ces cinq dernières années, qu'en fait les impôts n'ont pas baissé.
Je me fonderai uniquement sur le budget de l'Etat. Pourtant, on pourrait très
facilement montrer, mais je respecte votre choix, qu'en ajoutant les dépenses
liées aux 35 heures, au FOREC et à l'aide sociale, on atteindrait des montants
beaucoup plus considérables.
Quoi qu'il en soit, la croissance, qui, durant ces cinq années, a connu une
augmentation de 20 %, a rapporté au total près de 300 milliards de francs. Pour
quels résultats ?
D'abord, premier résultat, malgré les baisses, la pression fiscale due aux
impôts d'Etat a augmenté. Je l'ai vérifié pour les quatre grands impôts d'Etat
: globalement, ils augmentent de 40 milliards d'euros. L'impôt sur les sociétés
a augmenté de 49 % - vous voyez que l'on est très au-dessus, et c'est normal,
des 20 % de croissance ! -, mais l'impôt sur le revenu, malgré les prétendues
baisses, augmente de 21 % entre 1997 et 2002. La TVA a légèrement diminué, et
seule la TIPP - mais c'était sans doute pour faire plaisir aux Verts, encore
que je ne sache pas s'ils y sont sensibles - n'a augmenté que de 4,8 %.
Deuxième résultat : vous avez sacrifié la réduction du déficit pendant les
années de vache grasse.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ça, oui !
M. Yves Fréville.
Seul un quart de la marge de manoeuvre totale y a été consacré.
Troisième résultat : vous n'avez pas appliqué votre fameuse norme de
modération de la dépense de fonctionnement aux dépenses de fonctionnement
civiles. Au demeurant, si vous aviez appliqué à l'Etat la règle qui s'impose
aux collectivités locales - le taux de l'inflation auquel on ajoute un tiers du
taux de la croissance -, vous auriez dû parvenir à une diminution d'au moins
cinq points.
Comment avez-vous procédé ? Vous avez ponctionné des secteurs par rapport à la
moyenne. Vous avez sacrifié le fonctionnement des armées, vous avez sacrifié
les investissements, mais surtout - et je m'arrêterai là, monsieur le président
- vous avez sacrifié les prélèvements pour les collectivités locales.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Il va falloir s'expliquer !
M. Yves Fréville.
En effet, madame le secrétaire d'Etat, si vous ne tenez pas compte des 7,8
milliards d'euros de compensation de la taxe professionnelle, vous constaterez
que les prélèvements aux collectivités locales...
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Ce n'est pas vrai !
M. Yves Fréville.
J'indique les chiffres, madame la secrétaire d'Etat !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Moi aussi, je les connais !
M. Yves Fréville.
Madame le secrétaire d'Etat, si vous prenez dans le tableau de l'état A
consacré au budget général la ligne des prélèvements pour les collectivités
locales - ce n'est pas moi qui invente, je cite vos chiffres -, vous pourrez
constater qu'ils sont passés de 21,84 milliards d'euros en 1997 à 30,81
milliards d'euros en 2002. Retirez les 7 milliards d'euros de taxe
professionnelle, madame la secrétaire d'Etat, et vous retrouverez le taux que
je vous indique. Je vous demande de me démontrer le contraire.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Excellente démonstration !
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Fréville !
M. Yves Fréville.
Je conclus, monsieur le président !
Les faits sont têtus, madame la secrétaire d'Etat. Vous avez obtenu pour la
seconde fois une forte croissance - la première fois, c'était en 1988 et 1990
-, et vous l'avez gâchée une seconde fois. Comment voudriez-vous que nous ne
repoussions pas un budget bâti sur le sable de l'illusion ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette
année, nous avons assisté à un grand moment de la vie parlementaire : nous
avons réformé la loi organique régissant les lois de finances de la
République.
Cette réforme a fait l'objet d'un large consensus. On constate d'ailleurs,
dans de nombreuses démocraties, une évolution analogue vers plus de
transparence financière et de sincérité budgétaire.
L'article 32 de la loi organique du 1er août 2001 précise que « les lois de
finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges
de l'Etat ».
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Sincère...
M. Jacques Oudin.
Nous savons que cela ne se fera pas en un jour. Toutefois, dans l'immédiat, le
résultat n'est pas à la hauteur de ce que nous pouvions espérer : la présente
loi de finances n'est ni sincère, ni claire, ni crédible. M. le rapporteur
général et M. le président de la commission des finances s'en sont expliqués,
les rapporteurs spéciaux et pour avis justifieront point par point l'ensemble
de ces critiques.
Le financement des 35 heures est, à cet égard, exemplaire.
Vous ponctionnez la sécurité sociale après avoir tenté de monter un autre
mécanisme sur la base d'une taxation écologique élargie, dont la mise en place
a heureusement été arrêtée par le Premier ministre.
Alors que le principe d'évaluation devrait être au coeur de tout engagement de
l'Etat lorsqu'il met an place différentes réformes, nous regrettons, pour notre
part, que vous ayez fait voter par votre majorité des réformes dont les coûts
n'étaient pas estimés et dont les financements n'étaient pas déterminés.
Il y avait une période où il était relativement facile de lancer des réformes
ou de nouveaux projets dont le financement était assuré soit par une
augmentation des impôts, soit par un endettement supplémentaire, soit par le
transfert de la charge à d'autres collectivités.
A ce rythme, la France a atteint un niveau record de prélèvements
obligatoires.
A la dette de l'Etat, s'ajoutent celle de la sécurité sociale que doit épurer
la CADES ou encore la dette ferroviaire, qui s'élève acutellement à 258
milliards de francs, madame la secrétaire d'Etat, mais dont personne ne sait
comment assurer le remboursement. D'ailleurs, personne n'en parle !
L'endettement d'aujourd'hui préfigurant les impôts de demain, je souhaite
savoir comment vous réduirez le niveau des prélèvements obligatoires.
Le transfert aux collectivités territoriales de nombreuses charges
supplémentaires les obligera à augmenter leurs propres impôts et ne résoudra
aucun problème de fond.
Le recrutement massif de fonctionnaires que vous avez réamorcé réduira encore
vos marges de manoeuvre, M. le rapporteur général comme l'orateur précédent
l'ont souligné.
Lorsque vous - ou vos successeurs - mettrez en oeuvre les indicateurs de
productivité, d'efficacité ou de rentabilité prévus par la loi organique, vous
- ou vos successeurs - risquez d'avoir quelques intéressantes surprises !
Tous les rapports sérieux présentent la même analyse de la situation de la
France : un secteur public pléthorique, un endettement trop important, une
fiscalité dissuasive, un avenir financier incertain.
Dans son très bon rapport, Michel Charzat, prenant enfin conscience d'une
situation que nous ne cessions de dénoncer, soumettait au Gouvernement quelques
propositions intéressantes en vue de permettre à la France de retrouver sa
juste place dans la sphère européenne et internationale. Nous avions cru
comprendre que certaines de ces propositions seraient insérées dans le projet
de loi de finances dont nous commençons la discussion. Cela n'a pas été le
cas.
Nous assistons donc à un alourdissement de nos charges financières et de
fonctionnement, en même temps qu'à la réduction corrélative de nos possibilités
d'investissement public, situation aggravée par une absence de lisibilité du
futur parce qu'aucune solution ne semble se dessiner, que ce soit pour réduire
notre endettement ou pour régler le problème des retraites.
Dans ces conditions, comment voulez-vous inspirer confiance à nos concitoyens
et à nos chefs d'entreprise ?
Le projet de budget pour 2002 fait à nouveau apparaître, madame la secrétaire
d'Etat, une baisse relative de l'investissement, qu'il soit civil ou militaire.
L'exemple des transports suffit d'ailleurs pour dénoncer l'insuffisance de
votre politique en matière d'infrastructures.
Le monde bouge et la demande de transports augmente. La France, quant à elle,
de par sa position géographique, occupe une place privilégiée dans la
répartition des trafics en Europe et dans l'élaboration d'une politique
européenne des transports. Malheureusement, nous accumulons des retards
inacceptables qui pèsent et pèseront sur la croissance, la compétitivité et
l'aménagement du territoire.
En matière de transports, trois constats s'imposent pourtant.
En premier lieu, notre société d'échanges est de plus en plus mobile. La
demande de transports et de déplacement ne fait que croître. Tous les chiffres
du passé le démontrent et toutes les analyses prospectives le confirment.
L'inaction d'aujourd'hui ne résoudra pas les problèmes de demain !
Le deuxième constat, c'est l'apparition, dans tous les modes de transport, de
phénomènes de congestion croissants.
Enfin, troisième constat, en matière de transports, toute politique de
développement nécessite des plans à long terme et des investissements
considérables.
L'amélioration des anciennes infrastructures comme la création de nouvelles
infrastructures coûtent de plus en plus cher en raison des impératifs de
sécurité et de protection de l'environnement. C'est un enjeu considérable, pour
notre pays et pour l'aménagement de l'Europe. Les catastrophes répétées
survenues dans les tunnels alpins et les difficultés rencontrées pour traverser
nos zones montagneuses, vers l'Italie comme vers l'Espagne, sont des exemples
qui mettent en évidence nos retards et nos responsabilités.
Nous sommes en effet responsables de cette situation, et le ministère des
finances l'est tout particulièrement. Jamais la France n'a aussi peu investi
dans ses infrastructures de transport !
En tant que rapporteur des schémas de services de transports pour la
délégation à l'aménagement du territoire du Sénat, j'ai été frappé par la
convergence des avis - pourtant nuancés - réservés, voire négatifs, de tous
ceux qui ont été consultés.
Parce qu'il a sacrifié à l'« écologiquement correct », les propositions du
Gouvernement sont en partie devenues irréalistes ou ingérables.
Le doublement du fret ferroviaire et le développement des lignes à grande
vitesse sont nécessaires. Malheureusement, vous aurez du mal à atteindre ces
objectifs, car le niveau des investissements dans le domaine ferroviaire n'a
jamais été aussi bas depuis dix ans.
Les longueurs d'autoroutes mises en service ont diminué de moitié au cours des
dernières années. Nos axes de circulation nord-sud, de Lille et Metz vers Lyon,
Marseille et Montpellier, sont saturés. Nos axes est-ouest contournant la
région parisienne par le nord et par le sud ou reliant le port de Nantes -
Saint-Nazaire à Mulhouse et à Lyon sont en retard ou « en panne ».
Vous avez volontairement limité à un niveau trop bas les capacités de la
plate-forme de Roissy et vous vous empêtrez actuellement dans le dossier du
troisième aéroport.
Il ne peut pourtant y avoir de politique d'aménagement du territoire
satisfaisante sans une politique cohérente des réseaux de transports.
Nous aurons enfin vu en septembre 2001 la parution tant attendue du Livre
blanc européen sur les transports. Il confirme très largement le bilan sévère
que j'ai dressé sur la politique européenne comme rapporteur de la délégation
du Sénat pour l'Union européenne.
Au-delà des retards accumulés, au moins trois orientations pour l'avenir en
ressortent.
Premièrement, la demande ne faiblira pas.
Deuxièmement, il est urgent de mettre en oeuvre les grandes liaisons
transeuropéennes compte tenu de la saturation de certains axes ou de certains
espaces.
Troisièmement, les efforts d'investissement devront être à la hauteur des
enjeux.
Tout se ramène en définitive à deux points essentiels : d'abord, il faut
concevoir un bon réseau de transports plurimodal qui puisse satisfaire la
demande mais aussi respecter les contraintes environnementales ; ensuite, il
faut mener une politique financière adaptée.
Les dernières années ne nous ont apporté sur ces deux points que des
désillusions et des déceptions et, si nos besoins sont considérables, l'état de
nos finances publiques ne nous permet guère d'espoirs !
Avec un déficit de plus de 200 milliards de francs, vous êtes incapables
d'amorcer le remboursement de la dette ferroviaire, nécessaire préalable à la
relance de l'investissement dans ce secteur.
Vous mettez en vente le capital de notre meilleure société d'autoroutes, mais
le produit de cette vente ne reviendra pas au secteur des transports.
Vous avez supprimé le FITTVN, le fonds d'investissement des transports
terrestres et des voies navigables, alors même qu'un instrument renforcé de
péréquation du financement de nos investissements de transports nous serait
nécessaire.
Vous exigez des collectivités territoriales des participations financières
exorbitantes pour la construction des axes autoroutiers, alors même que ces
axes seront à péage.
Vous prélevez une part croissante des recettes de péage des sociétés
d'autoroutes, puisqu'elle atteint près de 12 milliards de francs, alors que
jamais nos programmes d'investissement dans ce secteur n'ont été aussi
réduits.
Bref, madame la secrétaire d'Etat, le projet de budget est le reflet fidèle de
votre politique financière : il ne prépare pas l'avenir. Bien entendu, le
groupe du RPR ne pourra pas le voter.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette
discussion budgétaire s'engage dans une ambiance que je qualifierais
d'étrange...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ah !
M. Paul Girod.
... voire d'un peu surréaliste, pour ne pas dire virtuelle !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est le budget qui est comme cela !
M. Paul Girod.
D'abord, personne ne sait à qui reviendra de mettre en oeuvre le budget qui
sera voté - je n'ai pas dit que « nous » allons voter, je suis prudent ! - et
encore moins s'il sera adapté à la réalité économique et sociale de notre
pays.
J'ai quelques doutes !
Nous savons bien en effet que l'économie mondiale s'était déjà affaiblie avant
le 11 septembre. D'ailleurs, en juin dernier, lors d'une discussion - M. le
rapporteur général s'en souvient sûrement - sur les prévisions de croissance en
France pour 2001, je tablais déjà pour ma part sur une hypothèse de 2,2 %.
Certes, tout le monde me prenait pour un fou, mais je crains qu'aujourd'hui le
taux ne soit encore - et même assez largement - plus bas !
Au deuxième trimestre de 2001, la croissance était déjà nulle aux Etats-Unis
et, en Europe, elle fléchissait. Evidemment, les attentats du 11 septembre
n'ont rien arrangé, même si la panique a été maîtrisée. Il n'en reste pas moins
que la Bourse, qui est loin d'être sotte, avait depuis longtemps déjà intégré
des perspectives qui ne sont pas celles de Bercy !
Il sera déjà heureux que l'Europe bénéficie d'une croissance minimale.
Pourtant, on nous explique que, grâce à la consommation, qui, en France, est
bien entendu plus dynamique qu'ailleurs, nous allons passer, en quelque sorte,
entre les gouttes !
Madame la secrétaire d'Etat, je me permets de penser que c'est là une
illusion, parce que cette consommation intérieure sur laquelle tout le monde
compte - et se fonde - dépend directement du moral de la population. Or, notre
population, qui, comme la Bourse, est tout à fait capable de trier les
informations, ne manquera pas d'observer un certain nombre de facteurs
inquiétants.
Ainsi, force est de constater que les entreprises françaises ont suspendu
leurs investissements et les recrutements. Ici et là, hélas ! des situations
qui, quelquefois, étaient masquées ou retardées, se dénouent et aboutissent à
des vagues de licenciements.
Cela, tout le monde le voit.
Ce que l'on ne voit pas encore, mais que certains entrepreneurs importants
savent - et je pourrais vous citer quelques cas concrets -, c'est que les
entreprises françaises qui envisagent de développer leurs activités hors de nos
frontières ont de plus en plus de mal à trouver à l'extérieur les partenaires
financiers qui leur sont pourtant nécessaires. Et ça, c'est la conséquence des
ravages faits à la réputation de notre pays, par l'opération dite des 35
heures...
M. Roland du Luart.
Eh oui !
M. Paul Girod.
Aujourd'hui, il est très difficile à nos entreprises de trouver à l'étranger
les appuis dont elles ont pourtant besoin. C'est une réalité dont la nocivité
se révèlera progressivement dans les mois qui viennent.
Les incertitudes électorales, je le crains, n'arrangent rien en la
matière...
Madame la secrétaire d'Etat, je veux bien tout ce qu'on veut ! Je n'ai pas eu
l'honneur de faire l'ENA,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nul n'est parfait !
M. Paul Girod.
... mais j'ai gardé de l'école primaire un culte de l'arithmétique, laquelle
consiste, pour moi, à examiner, d'un côté, les recettes, de l'autre, les
dépenses, à voir comment elles s'équilibrent et à distinguer, parmi les
recettes et parmi les dépenses, celles qui sont pérennes.
M. Jean-Pierre Masseret.
C'est un mot savant !
M. Paul Girod.
Le moins que je puisse dire, c'est que la contemplation du projet de budget
pour 2002 ne satisfait pas mon goût de l'arithmétique. En effet, je vois, du
côté des recettes, un certain nombre de fusils à un coup, et, du côté des
dépenses, une mitrailleuse alimentée par une longue bande de munitions : je ne
comprends pas très bien comment on peut parvenir à un équilibre !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On équilibre sur un an !
M. Paul Girod.
Et encore ! Je constate, monsieur le rapporteur général, que vous faites
encore preuve d'un optimisme que je ne partage plus ! En effet, je ne suis même
pas sûr que l'on équilibrera les comptes à un an, sachant que, en 2002, le
déficit public atteindra au moins 2,5 % du PIB.
Cette constatation relativement simple me conduit tout de même à me poser de
nombreuses questions.
Ainsi, non seulement le projet de budget, tel qu'il nous est présenté,
comporte le défaut majeur que je viens d'évoquer, mais la télévision, la radio
et la presse m'apprennent que, jour après jour, on ajoute quelques milliards de
francs de dépenses supplémentaires ici ou là, rarement à bon escient,
d'ailleurs, pour apaiser les uns ou les autres. Par conséquent, à la bande de
mitrailleuse dont il était question à l'instant, il convient de joindre un
chargeur de mitraillette. Pour faire face, on ne dispose toujours que de fusils
à un coup, ce qui me fait éprouver quelque angoisse pour l'avenir...
Cela signifie, bien entendu, que tout retombera sur le dos des entreprises. En
définitive, qu'on le veuille ou non, c'est en effet sur les entreprises que
repose l'ensemble du système fiscal, qu'il s'agisse de l'impôt sur les
successions, pour lequel une estimation du patrimoine national est nécessaire,
de l'impôt de solidarité sur la fortune ou de l'impôt sur le revenu. L'économie
existe grâce aux entreprises.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Lesquelles ne votent pas !
M. Paul Girod.
En fin de compte, ce sont elles qui, directement ou indirectement, seront
conduites à payer la note et à équilibrer le budget. Par le biais du projet de
loi de finances pour 2002, le Gouvernement est donc en train de poser un
certain nombre de bombes à retardement. Après le fusil à un coup, la
mitrailleuse, la mitraillette et la bombe, on peut continuer à filer la
métaphore militaire !
M. Jean-Pierre Masseret.
Vous êtes un terroriste, monsieur Girod !
M. Paul Girod.
En réalité, tout cela ouvre à notre économie des perspectives que je ne peux
accepter.
En ce qui concerne le budget des collectivités territoriales, qui concerne
particulièrement le Sénat, j'ai entendu voilà deux jours, en commission des
lois, le ministre de l'intérieur nous expliquer que les concours de l'Etat aux
collectivités locales seraient accrus de 7 milliards de francs cette année.
Cependant,
quid
de la part de la compensation fiscale qui a été
supprimée, autrement dit
quid
de la recentralisation des finances
locales au profit du budget de l'Etat ? La réponse a été vague, pour être
gentil...
En outre, madame la secrétaire d'Etat, je voudrais vous interroger sur un
point particulier : qu'en est-il des économies réalisées par l'Etat au
détriment des collectivités territoriales, du fait de l'absence de références
pour les nouvelles entreprises s'agissant de la part salariale de la taxe
professionnelle, dont la suppression n'est donc plus compensée, dans ce cas,
pour les budgets locaux ? A cet égard, un petit calcul rapide m'indique que la
perte de recettes doit dépasser le milliard de francs pour les collectivités
locales au bout d'un an. J'attends que l'on conteste ce chiffre, mais, pour
l'heure, je n'ai pas vu l'ombre d'une étude provenant du ministère des finances
ou du ministère de l'intérieur et mettant les choses au clair sur ce point.
L'Etat, je le répète, fait des économies au titre de la non-compensation de la
suppression de la part salariale de la taxe professionnelle en l'absence de
références.
L'Etat fait des économies dans l'affaire, car l'indexation de la première
dotation ne suit pas l'évolution de la seconde. A ma connaissance, ces
économies atteignent un milliard de francs, et aucune étude ne permet de
contester ce que j'avance.
En conséquence, on ne peut pas prétendre que ce projet de budget présente des
perspectives équilibrées ni que les dispositifs qu'il prévoit soient pérennes.
En outre, les « cadeaux » apparemment consentis aux collectivités territoriales
sont pour le moins suspects, en raison d'insuffisances d'appréciation.
Ce constat amènera ceux des membres de mon groupe qui partagent mes
convictions à suivre avec beaucoup d'attention ce débat avant de déterminer
leur vote définitif. La commission des finances devra vraiment faire preuve de
beaucoup d'imagination, monsieur le rapporteur général, pour que nous
parvenions à découvrir un aspect positif dans ce projet de budget. Je vous
souhaite bon courage !
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union
centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
premier budget en euro, dernier budget de la législature, le projet de loi de
finances pour 2002 se distingue avant tout, à mes yeux, par la très grande
incertitude économique et sociale qui prévaudra au cours de son exécution.
Le ralentissement de la croissance économique, largement perceptible depuis
plusieurs mois, s'est trouvé tragiquement amplifié, mais non pas déclenché, par
l'onde de choc consécutive aux attentats commis aux Etats-Unis le 11 septembre
dernier.
Dans ces conditions, comment nous prononcer sur un projet de budget bâti en
fonction d'un taux de croissance estimé à environ 2,5 %, alors que les
perspectives affichées par tous les instituts de conjoncture oscillent, dans ce
domaine, entre 1,3 % et 1,8 %.
A l'évidence, la discussion de ce projet de budget s'avère délicate, voire
surréaliste, tant les orientations budgétaires annoncées risquent d'être
révisées à la baisse dans un proche avenir.
Pourtant, madame le secrétaire d'Etat, ce douloureux exercice, auquel vous
serez rapidement contrainte et que la droite sénatoriale, si critique, connaît
bien pour l'avoir elle-même pratiqué de manière répétée entre 1993 et 1997,
aurait pu être évité par une politique audacieuse de gestion de la croissance
et de la consommation.
Depuis plusieurs années, mes collègues du parti communiste français et du
Mouvement des citoyens et moi-même n'avons eu de cesse de vous alerter sur les
conséquences négatives d'une politique économique qui n'était qu'un simple
accompagnement de la mondialisation et d'une politique budgétaire dont la
première caractéristique était la compression perpétuelle.
C'est l'écart entre des recettes dynamiques - de 8 % à 10 % de progression -
et un freinage de la dépense - 0,3 % en moyenne ces dernières années - qui a
rendu possibles l'amélioration relative des déficits publics et les baisses
d'impôt au profit, pour l'essentiel, des entreprises, et, de façon accessoire,
des ménages. En effet, entre 1998 et 2001, près de 130 milliards de francs ont
été économisés ou redéployés.
A cet égard, madame le secrétaire d'Etat, je regrette que la prime pour
l'emploi, qui a été versée pour la première fois en 2001, ne soit pas « lisible
» sur le plan politique. En effet, personne n'a félicité le Gouvernement ou les
membres de la majorité plurielle pour cette mesure, qui est passée
inaperçue.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Les gens sont ingrats !
M. Paul Loridant.
Je suis de ceux qui pensent qu'il eût mieux valu agir sur les salaires,
notamment sur les plus bas d'entre eux.
Cependant, cette politique, directement inspirée par les sacro-saints
principes et les dogmes libéraux du pacte de stabilité européen, n'a pas amené
la suppression des dépenses les plus inefficaces et les plus lourdes : je pense
ici aux quelque cent milliards de francs qui ont été distribués aux employeurs,
ce qui n'a pas empêché ceux-ci de mettre en oeuvre des plans de licenciements
systématiques et de majorer très régulièrement les dividendes distribués, y
compris lorsque des emplois sont supprimés.
Devant ce constat, nous ne pouvons que déplorer la résignation du
Gouvernement, qui a été exprimée de façon tragique, à mes yeux, par Lionel
Jospin lors de l'affaire des licenciements dits « boursiers » liés au plan
Michelin, voilà deux ans. La réduction des déficits et de l'endettement public,
aussi légitime soit-elle, ne peut à elle seule tenir lieu de politique pour un
gouvernement qui se veut progressiste. Ce choix, réaffirmé de loi de finances
en loi de finances, est contestable, car il va aujourd'hui amplifier le
ralentissement économique, mais aussi approfondir les inégalités sociales en
faisant reculer le rôle joué par l'Etat au travers de ses services publics, que
ce gouvernement et sa majorité devraient défendre avec davantage de
conviction.
Le choix exprimé par ce projet de budget est contestable, car il faut toujours
garder à l'esprit que l'endettement n'est qu'un ratio. On peut parfaitement
agir non pas sur le numérateur, à savoir les dépenses, mais plutôt sur le
dénominateur, c'est-à-dire la croissance, et ce par des investissements dans
les domaines d'avenir de la communication et des nouvelles technologies, par
des plans ambitieux de formation et d'insertion, par un pari audacieux sur
l'intelligence, par le biais de lois de programmation pour la recherche.
Judicieusement affectées, les dépenses publiques, n'en déplaise aux
sociaux-libéraux ou aux libéraux-sociaux, constituent la garantie d'une
croissance solidaire et riche en emplois.
Depuis plusieurs années, nous nous voyons opposer la rigueur budgétaire, le
désendettement de l'Etat, la compression des salaires, la liquidation des
entreprises publiques et le démantèlement de nos services publics, comme un
horizon indépassable confirmé par des contraintes européennes.
Ainsi, selon le journal
Les Echos,
le Trésor public aura encaissé en
cinq ans plus de 610 milliards de francs au titre des privatisations ou des
cessions d'actifs. A ce rythme, le rôle de l'Etat dans l'économie ne sera
bientôt plus qu'une matière enseignée, avec un brin de nostalgie, dans les
cours d'histoire économique...
Pourtant, mes chers collègues, les vrais « ringards », il faut les chercher du
côté des libéraux !
Perceptible depuis plusieurs années, le rejet de la mondialisation financière
et libérale, au Nord comme au Sud, a été consacré par les tragiques événements
du 11 septembre.
Pour soutenir l'économie américaine et les grandes entreprises,
l'administration Bush a mis en oeuvre un audacieux plan de relance budgétaire à
hauteur de plusieurs dizaines de milliards de dollars.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Parce que les Etats-Unis dégagent des excédents !
M. Paul Loridant.
Ces orientations se sont accompagnées de baisses de taux d'intérêt,
judicieusement décidées par la
Federal Reserve bank.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
L'Amérique est le modèle de M.
Loridant !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Curieuses références ! Curieux modèle !
M. Paul Loridant.
Curieusement, nos collègues de la droite sénatoriale, si prompts à ériger les
Etats-Unis en modèle, se font bien silencieux devant l'interventionnisme de
l'administration américaine...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ils sont en excédent !
M. Paul Loridant.
L'Europe, de son côté, veut demeurer le dernier bastion de l'orthodoxie
monétariste.
L'oeil rivé sur l'inflation, la Banque centrale européenne, dans une confusion
qui confine au ridicule, n'a jamais été en mesure d'anticiper les évolutions de
la conjoncture et de proposer des mesures salutaires pour les économies
européennes.
Si l'Europe a réellement pour objectif le bien-être de ses citoyens, elle doit
le prouver en prenant l'initiative d'une relance budgétaire, par
l'assouplissement du pacte de stabilité, et d'une relance monétaire, par une
baisse significative des taux d'intérêts directeurs, qui, je le rappelle, sont
toujours de deux points supérieurs aux taux américains.
L'Europe s'honorerait également, notamment à la suite des événements du 11
septembre, en engageant une lutte farouche contre les centres financiers
offshore
, c'est-à-dire contre les paradis fiscaux, notamment ceux qui
existent sur le territoire de l'Union européenne ou à sa périphérie.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Très bien !
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il
est encore temps d'éviter le pire, à savoir la récession.
Il faut agir vite, particulièrement en direction des ménages, principal
soutien de la croissance, développer des mesures de justice sociale, sans
lesquelles il ne peut y avoir de cohésion sociale, hisser notre outil de
défense à la hauteur des nouveaux risques, engager une grande politique de
soutien à la recherche, mettre en oeuvre un véritable « plan Marshall » pour
nos banlieues et pour nos campagnes en voie de désertification, nous donner les
moyens, parce que cela est essentiel, d'assurer la sécurité de nos concitoyens,
notamment des plus faibles d'entre eux.
Nous ne manquons pas de propositions pour assurer le financement de ces grands
projets, mais cela est affaire, avant tout, de volonté politique, et c'est sur
celle-ci que les Français nous jugeront.
C'est aussi, madame le secrétaire d'Etat, sur le volontarisme et la capacité
d'écoute du Gouvernement que nous nous prononcerons. Tel qu'il nous est
présenté, ce projet de budget ne nous satisfait pas, et je crains, hélas ! que
cela ne soit pire après qu'il aura été modifié par la majorité sénatoriale.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Ce sera pire !
(Sourires.)
M. Paul Loridant.
Quoi qu'il en soit, nous travaillerons, dans cet hémicycle, pour tenter de le
faire évoluer dans le sens que nous souhaitons.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
loi de finances dont nous commençons aujourd'hui l'examen sera la dernière
d'une législature qui ira jusqu'à son terme puisque le Gouvernement et la
majorité n'ont pas offert au Président de la République l'opportunité d'une
dissolution de l'Assemblée nationale.
C'est bien la preuve que, depuis 1997, du bon, de l'excellent travail a été
fait. Nulle place n'a été laissée pour une nouvelle expérimentation qui aurait
très certainement été encore plus hasardeuse que la précédente. C'est la preuve
que le bilan de la majorité plurielle, du Gouvernement, du Premier ministre est
largement positif.
La loi de finances est, par excellence, l'outil, l'instrument de la gestion,
même si des réformes importantes, qui font progresser la société, dépendent peu
de la programmation budgétaire ; je pense notamment au PACS et à d'autres
réformes de société importantes pour la vie des citoyens, que nous avons mises
en oeuvre depuis 1997.
Mme Nelly Olin.
Ça a changé la France !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Mais l'outil, mes chers collègues, ne vaut que par la main qui le tient et qui
seule est responsable de l'ouvrage. Nous, socialistes, nous, parlementaires de
la majorité plurielle, nous sommes fiers de notre ouvrage, nous sommes fiers de
notre bilan.
Présenter un bilan, c'est rendre des comptes, c'est montrer que l'on a tenu
ses engagements. Dire ce que l'on fait, faire ce que l'on dit : cette exigence
démocratique aura inspiré l'action du Gouvernement de Lionel Jospin en matière
économique et sociale ainsi que dans le domaine des grandes réformes de
société.
M. François Marc.
Très bien !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Assurément, les promesses de 1997 ont été tenues.
Mme Nelly Olin.
Oh oui !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Dès sa prise de fonction, le Premier ministre s'est résolument engagé à mettre
en oeuvre une nouvelle stratégie pour combattre l'austérité et l'injustice.
C'est au prix d'un volontarisme sans faille qu'il a su redonner aux Français le
goût de la confiance.
Nous avons défini et appliqué une stratégie de finances publiques saines. Cela
nous a permis de qualifier la France pour la monnaie unique, alors que le
gouvernement précédent éprouvait les plus grandes difficultés pour y
parvenir.
Les dépenses publiques ont été maîtrisées, bien évidemment sans renoncer au
financement des priorités gouvernementales, la fiscalité a été stabilisée puis
diminuée et, enfin, l'équilibre des comptes publics a été renforcé pour
reconstituer des marges de manoeuvre et inverser la spirale de la dette.
Les dépenses publiques ont été structurellement maîtrisées. Elles n'ont
augmenté que de 1,1 % en volume sur la période 1998-2000, conformément à nos
engagements européens, et cette maîtrise n'a pas empêché la mise en oeuvre de
mesure telles que les emplois-jeunes, la réduction du temps de travail, la
lutte contre les exclusions, la couverture maladie universelle et, aujourd'hui,
l'allocation personnalisée d'autonomie.
Cette politique aura permis d'améliorer le niveau de vie des Français, de
moderniser notre pays et d'en faire le meilleur élève de la classe européenne
en termes de croissance, d'emploi et de réduction des déficits publics. La
France a créé 1,6 million d'emplois depuis 1997.
M. Claude Domeizel.
Heureusement !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Le taux de chômage a reculé de près de quatre points. C'est le résultat de
notre bonne gestion,...
M. Philippe Nogrix.
C'est le résultat des entreprises !
M. Jean-Pierre Demerliat.
... aidée par une croissance soutenue mais que nous avons su canaliser et
enrichir.
Mes chers collègues, le Gouvernement a rompu avec l'austérité. La lutte contre
la pauvreté et l'exclusion a été au coeur de notre action. Les dépenses
publiques ont contribué à soutenir la croissance et ont consolidé le pouvoir
d'achat des ménages, notamment des plus modestes, avec des mesures telles que
le quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire, la revalorisation des
allocations logement et le basculement des cotisations maladie sur la CSG, qui
a, en moyenne, augmenté le pouvoir d'achat des salariés de 1,1 %.
M. Claude Domeizel.
Qui dit mieux ?
M. Jean-Pierre Demerliat.
Les ministères prioritaires ont vu leurs crédits croître de manière
importante, afin de répondre aux besoins de nos concitoyens. Ainsi, les crédits
de l'éducation ont largement augmenté, tout comme ceux de l'emploi, de la
santé, de la justice et de l'intérieur.
Les collectivités locales n'ont pas été oubliées avec le contrat de croissance
et de solidarité, qui, depuis 1999, va bien au-delà du pacte de stabilité
appliqué de 1996 à 1998.
Souvenons-nous également, mes chers collègues, des nombreuses mesures prises
en faveur des collectivités, mesures consécutives aux catastrophes naturelles
qui ont frappé notre pays ces dernières années. Nous avons tous en mémoire, ici
plus qu'ailleurs, les tempêtes et les inondations.
Enfin, le Gouvernement a mis en oeuvre une véritable réforme fiscale.
Contrairement aux gouvernements de droite, nous n'avons pas asphyxié la
croissance en alourdissant les prélèvements indirects, comme l'avait fait M.
Juppé avec la hausse de deux points de la TVA en 1995.
M. Claude Domeizel.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il sert toujours, Juppé !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Au contraire, nous nous sommes lancés dans un large plan d'allégement fiscal
afin de redonner du dynamisme à notre économie. Nous avons réformé le système
fiscal dans un sens plus conforme à notre idéal de justice sociale.
M. François Marc.
Très bien !
M. Jean-Pierre Demerliat.
L'impôt sur le revenu a diminué, notamment pour les tranches les plus basses ;
des exonérations iniques ont été supprimées. Cet impôt est devenu plus large,
plus juste et plus redistributif.
La taxe d'habitation a également été allégée, avec la suppression de la part
régionale, tout comme la fiscalité indirecte, avec la baisse d'un point du taux
normal et des baisses ciblées de la TVA. La prime pour l'emploi a, quant à
elle, profité aux travailleurs les plus modestes.
La fiscalité a été rééquilibrée, notamment avec la suppression de la part
salariale de la taxe professionnelle et la montée en force de la CSG qui touche
tous les types de revenus. Cela n'est pas complètement étranger à
l'augmentation spectaculaire des créations d'emploi que l'on a observée depuis
1997.
Le Gouvernement a procédé à une réduction de la fiscalité d'une ampleur jamais
égalée. Ces allégements ont renforcé le pouvoir d'achat des ménages, qui a
progressé de 3,1 % en 2000, contre seulement 0,1 % en 1996. La consommation
agit directement sur la croissance du PIB. Ce n'est donc pas un hasard si la
France a connu des taux de croissance supérieurs à ceux des autres pays
européens : la politique économique du Gouvernement y a largement contribué.
Enfin, mes chers collègues, les équilibres budgétaires ont été améliorés.
Le déficit a été réduit, sans artifice ni tour de passe-passe, comme cela
avait été le cas au début de l'année 1997, lorsque la fameuse soulte de France
Télécom, qui représentait plus d'un demi-point de PIB, avait été versée au
budget de l'Etat.
M. François Marc.
Oh ! là ! là ! Quelle honte !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Le déficit public a diminué de plus de deux points de PIB de 1997 à 2002,
contre 1,5 point pour l'ensemble de la zone euro, ce qui nous place en tête,
une fois de plus.
M. François Marc.
Très bien !
M. Jean-Pierre Demerliat.
La dette publique passera, elle, de 59,3 % du PIB en 1997 à 56,3 % en 2002.
Les finances publiques ont été consolidées et le budget de la sécurité sociale
est maintenant largement excédentaire,...
M. Claude Domeizel.
Largement excédentaire, en effet !
M. Jean-Pierre Demerliat.
... ce qui était loin d'être le cas en 1997.
M. Claude Domeizel.
Il n'y a plus de trou !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Des marges de manoeuvre importantes ont ainsi été dégagées pour financer des
politiques inspirées par nos valeurs.
Nous avons renforcé la justice sociale, nous avons réduit les inégalités
devant l'impôt, devant la justice mais aussi devant l'accès aux soins et au
logement.
Notre politique a allié efficacité économique et solidarité.
Le succès du Gouvernement est aujourd'hui une évidence.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Oh !
M. Claude Domeizel.
Ce sera une évidence pour les Français !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Pourtant, en 1997, rien n'était acquis, sinon la volonté politique de réussir
là où d'autres avaient échoué.
Mes chers collègues, nous sommes légitimement fiers de notre bilan. Nous
sommes fiers de tous les textes qui ont été votés depuis quatre ans et demi.
Une fois de plus, c'est la gauche qui fait avancer la société, comme en 1936,
comme en 1981 et comme depuis 1997.
M. Claude Domeizel.
Très bien !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Je ne suis pas absolument persuadé que chacun ici partage cette analyse
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants),...
M. Claude Domeizel.
Nous, nous la partageons !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Heureusement non ! Nous sommes encore en démocratie
!
M. Jean-Pierre Demerliat.
... mais nos prédécesseurs, eux, n'ont pas de bilan : ils ont déposé le leur
en 1997. Le Président de la République, lui, en a peut être un, puisque M.
Juppé a déclaré récemment que son bilan « n'était pas totalement négatif... ».
Protégez-nous de nos amis !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Si vous n'aviez pas M. Juppé, que diriez-vous ?
M. Jean-Pierre Demerliat.
Mais si la droite n'a pas de bilan, elle aura peut-être un projet. Il serait
honnête d'en présenter un aux électeurs avant de solliciter leurs suffrages.
Mais peut-être est-il déjà rédigé ? Peut-être est-ce celui du MEDEF ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est aberrant ! Quel sectarisme !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous dites et vous répétez
depuis longtemps votre intention de réduire les dépenses publiques, votre
volonté de diminuer le nombre des fonctionnaires ; vous ne voulez remplacer
qu'un fonctionnaire sur trois ou quatre, ou peut-être cinq, partant à la
retraite.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur
Demerliat ?
M. Jean-Pierre Demerliat.
Avec grand plaisir, monsieur le rapporteur général.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cher collègue, vous vous laissez emporter par votre
fougue ; c'est compréhensible, cela nous arrive aux uns et aux autres. Mais je
vous en prie, ne parlez pas à la place des autres. Vôtre rôle qui est de
soutenir le Gouvernement, nous le comprenons, mais il n'est pas nécessaire, en
forçant le trait, de caricaturer les autres.
Mon intervention a simplement pour objet de vous dire, mon cher collègue, que,
si chacun est en mesure de s'exprimer pour défendre ses convictions, il est un
peu étrange,...
Mme Nelly Olin.
Indécent !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... par un procédé que vous utilisiez à l'instant, de
laisser entendre que ses opposants ont tenu un langage différent de celui
qu'ils ont tenu.
Chaque chose en son temps. Les idées, les programmes viendront dans le débat
d'ici à quelques mois. Pour le moment, nous avons à juger du projet de budget
qui nous est présenté.
Vous appartenez à la commission des finances, vous savez comment nous
procédons : la majorité de la commission s'est livrée à un examen, en
conviction et en tâchant d'approfondir techniquement les choses, mais en aucun
cas elle ne se permettrait de caricaturer celles et ceux qui ne partagent pas
ses convictions ou ses engagements.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Je constate, monsieur le rapporteur général, que votre pensée a évolué. En
effet, tout à l'heure, vous nous avez dit que vous admiriez les Espagnols et
les Portugais qui ne voulaient remplacer qu'un retraité sur quatre. En
l'occurrence, vous n'avez pas chiffré votre volonté future, qui, je l'espère,
ne sera jamais mise en oeuvre.
Mme Nelly Olin.
C'est indécent !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je ne l'ai pas fait davantage tout à l'heure. Ne
travestissez pas mes propos une nouvelle fois !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Donc, vous voulez réduire la dépense publique, mais il faut nous dire, avant
les échéances électorales, où vous voulez supprimer des crédits et des
emplois.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Cela viendra !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce sera fait ! Chaque chose en son temps !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Est-ce dans l'enseignement que vous voulez supprimer des emplois ? Est-ce dans
la police ? Est-ce dans le domaine de la santé ? Est-ce partout à la fois ? Il
faut nous le dire et, surtout, il faut le dire aux Françaises et aux Français
!
Vous avez été contre la réduction du temps de travail, contre les
emplois-jeunes.
M. Claude Domeizel.
Ils le sont toujours !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Vous avez été et vous demeurez contre tout ce que nous avons proposé, et c'est
votre droit.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Heureusement, vous le reconnaissez !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Bien sûr ! Et vous aurez toujours, nous aux affaires, le droit de vous
exprimer, monsieur le rapporteur général !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je n'ai pas vraiment eu le sentiment en entendant
certains collègues de votre groupe !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Il faut dire aux Français que vous voulez supprimer tout ce que nous avons
fait depuis 1997. Les Français qui travaillent 35 heures seront sans doute très
heureux de travailler de nouveau 39 heures - pourquoi pas 40 heures ? -, de
voir des milliers de jeunes retrouver le chemin de l'ANPE et de voir baisser la
qualité des soins.
Mes chers collègues, nous, socialistes, représentants de la majorité
plurielle, nous sommes fiers de notre bilan et, comme le montrent les sondages,
les Français en sont satisfaits. Bien évidemment, un bon bilan ne suffit pas à
assurer le succès.
Mme Nelly Olin.
Ça !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Mais un mauvais bilan conduit immanquablement à l'échec. D'ailleurs M. Juppé
le sait, lui !
Notre bilan, mes chers collègues, assurera la crédibilité de notre projet, et
nous ne doutons pas que la confiance des Françaises et des Français nous sera
de nouveau accordée, et pour longtemps.
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées socialistes.)
Mme Nelly Olin.
Oh ! là ! là !
M. le président.
La parole est à M. Ferrand.
M. André Ferrand.
Monsieur le président, Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
tonalité de mon intervention sera - ai-je besoin de le préciser ? - assez
différente de celle de l'orateur qui m'a précédé.
M. Jacques Oudin.
Merci !
M. André Ferrand.
Il a été rappelé tout à l'heure que, voilà un an, le Sénat, qui n'était pas
seulement préoccupé par le problème de la « fuite des cerveaux » sur lequel le
président Jean François-Poncet venait excellemment de se pencher, a confié à
une mission la charge d'étudier les phénomènes liés à l'expatriation des
compétences, des capitaux et des entreprises.
Cette mission, présidée par mon collègue et ami Denis Badré - que nous avons
d'ailleurs entendu au début de ce débat - et dont j'étais le rapporteur, a
présenté les résultats de ses travaux à la fin du mois de juin dernier, sous le
titre
Mondialisation : réagir ou subir ?
C'était quelques jours avant
que notre collègue parlementaire M. Michel Charzat ne remette au Premier
ministre le rapport qu'il lui avait demandé sur l'attractivité du territoire
français. Le rapport Charzat était lui-même, on l'aura compris, le prolongement
d'un rapport demandé par le précédent ministre des finances, M. Christian
Sautter, à M. Frédéric Lavenir, inspecteur des finances. Il devait en être, en
quelque sorte, la « mise en musique » politique. Cette convergence
d'initiatives démontrait bien l'importance et l'urgence de la question.
Quant à nous, nous nous sommes rendus à New York, Boston, Chicago, Londres,
Bruxelles, en France aussi, dans les régions ; nous avons entendu à Paris
quatre ministres en exercice et plus de quatre-vingts acteurs majeurs de la vie
économique, universitaire, politique et syndicale ainsi que du monde de la
recherche ; nous avons reçu, dans le cadre d'un forum Internet, plus de quatre
cents témoignages venus de compatriotes établis à travers les cinq continents ;
nous avons interrogé les 2 500 anciens élèves d'HEC résidant à l'étranger.
Puis, forts de tous ces éminents témoignages, nous avons tiré nos conclusions
et proposé des mesures.
Il nous est ainsi apparu d'une façon évidente, et nous nous en sommes réjouis,
que si certaines nuances, légères, pouvaient apparaître au niveau du
diagnostic, les avis et les recommandations, aussi bien des experts que des
praticiens, convergeaient quant à ce qu'il convenait de faire pour que la
France et les Français tirent le meilleur parti des nombreux atouts dont la
nature les a pourvus et effacent progressivement les handicaps qu'ils s'étaient
eux-même créés.
Ainsi, toutes ces personnalités hautement responsables, que nous avons
découvertes animées d'un véritable patriotisme économique - le mot est ici
employé, me semble-t-il, à bon escient -, ces personnalités dis-je, toutes
sensibilités confondues - il faut le souligner - ont été d'accord sur un
certain nombre de constats.
J'en retiendrai quatre, tous liés au cadre fiscal et social, mais aussi
administratif et réglementaire de notre pays.
Premier constat : nous laissons filer hors de notre sphère d'intérêts des
compétences que le monde de la recherche, de l'innovation et de la nouvelle
économie au sens large se dispute.
Deuxième constat : nous assistons pratiquement sans réagir à l'exode des
patrimoines.
Plusieurs spécialistes de ces questions qui ont recoupé leurs données estiment
que ce sont plus de 500 milliards de francs, soit 80 milliards d'euros, qui
ont, entre 1996 et 2000, été délocalisés. On imagine les pertes fiscales et
économiques, directes et indirectes, d'une telle saignée !
Troisième constat : malgré les apparences, les montants des investissements
réalisés sur le territoire national par les entreprises françaises ou
étrangères ne sont pas au niveau auquel nous donne le droit de prétendre
l'attractivité potentielle de notre pays.
Les raisons en sont diverses, mais il est impossible de passer sous silence
l'effet désastreux des 35 heures et de la RTT, en particulier auprès des
étrangers, qui ne comprennent pas.
Quatrième constat : les centres de décision et, plus généralement, les centres
de gravité de nos grands groupes sont de plus en plus menacés quant à leur
localisation. Pour un certain nombre d'entre eux, seul le sens de l'intérêt
national de leurs dirigeants parvient encore à compenser les effets négatifs de
l'absence de fonds de pension ou des avantages de certaines places étrangères
quand il s'agit de l'implantation des sièges sociaux. On pense inévitablement
au symbole désastreux que représente la décision de Renault, qui, après EADS et
d'autres, domicilie aux Pays-Bas la nouvelle entité qu'elle a créée avec
Nissan.
Encore aurait-on pu espérer que notre qualité de vie, généralement appréciée,
attire les talents étrangers dont notre recherche, notre industrie et la place
financière de Paris ont besoin parce que, dans le monde d'aujourd'hui, il est
indispensable de croiser les connaissances et les expériences ! Mais les
charges fiscales et sociales, prohibitives par rapport à la concurrence
internationale, nous interdisent de faire venir chez nous ces experts à hauts
salaires.
A partir d'un tel état des lieux, nous nous employâmes à rassembler les
différentes propositions que nous avions recueillies et nous rendîmes notre
rapport.
Quelques jours plus tard, M. Charzat présentait à son tour le sien. Nous fûmes
heureux de constater que ses conclusions étaient proches des nôtres, même
souvent très proches.
Ainsi, pensions-nous, dans notre pays, le bon sens l'emportait et - divine
surprise ! - tout ce qui était jusque-là évident pour nos concurrents du monde
entier le devenait aussi pour les Français.
Entre acteurs responsables et raisonnables, allions-nous nous rejoindre pour
mettre notre pays en ordre de bataille au tournant de cette nouvelle ère ?
Avions-nous pris conscience ensemble que, dans un monde en voie
d'uniformisation, la patrie était réellement en danger quant à notre identité
nationale ? Comprenions-nous que l'enjeu, finalement politique et culturel,
dépendait d'abord de la vitalité de notre économie ?
Nous fûmes encore plus heureux, madame la secrétaire d'Etat, quand nous
apprîmes que le ministre, M. Fabius lui-même, avait reçu très positivement le
rapport de M. Charzat ; nous ne savons pas encore ce qu'il a pensé du nôtre. Il
a, à cette époque, déclaré qu'un certain nombre des mesures préconisées
pourraient trouver leur traduction dans la prochaine loi de finances.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
De belles paroles !
M. André Ferrand.
Malheureusement, notre joie fut de courte durée...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Eh oui !
M. André Ferrand.
... puisque, vous le savez, on ne retrouve pratiquement rien de ces
propositions dans le projet de budget que vous nous présentez aujourd'hui.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. André Ferrand.
Il n'est point besoin d'être grand clerc pour deviner les raisons de ce
renoncement.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Elles sont plurielles !
M. André Ferrand.
Les prochaines échéances électorales invitent le Gouvernement à ne pas
déplaire à une partie de la coalition très plurielle qui le soutient.
Ainsi, cette majorité ne vous permet pas de mener la politique que vous
estimez bonne. Il a été démontré que, sur un sujet d'une telle importance pour
l'avenir de tous nos concitoyens, alors qu'il existe au sein des forces vives
du pays une vaste majorité favorable à cette nécessaire modernisation, il n'y a
pas de majorité parlementaire pour passer aux actes.
Cela n'est plus acceptable.
Au-delà de toute polémique politicienne, il nous faut sortir de cette
situation, en créer une plus claire afin que nous nous trouvions, à l'avenir,
en face d'un budget qui reflétera la volonté et la capacité du Gouvernement à
mettre en oeuvre ces mesures.
Il s'agira d'abord, pour lui, de se donner les moyens de résister à tous les
corporatismes afin de, sérieusement cette fois, moderniser l'Etat et son
administration. Cela les rendra l'un et l'autre plus efficaces au service du
citoyen et permettra de dégager des marges pour financer les priorités et, en
particulier, tout ce qui a trait à l'attractivité et à la compétitivité de la
France.
Il aura ensuite, en Europe, à mettre toute sa détermination à progresser vers
l'harmonisation fiscale. Cela ne nous empêchera pas, au contraire, de faire en
sorte de nous placer, sans cynisme mais sans trop de candeur, au niveau du
mieux-disant fiscal parmi tous nos partenaires qui, ne l'oublions pas, restent
aussi nos concurrents. Eux en tout cas ne l'oublient pas !
Il devra enfin associer tous nos compatriotes à cette prise de conscience et
à cet effort en inscrivant la dimension internationale à la fois dans
l'ensemble de notre politique et dans la culture de tous les Français.
Une telle stratégie impose naturellement : d'abord, la mise en oeuvre des
recommandations d'ordre fiscal et social de notre rapport non pas à travers une
succession de demi-mesures trop éparpillées, mais dans le cadre d'une politique
cohérente et parfaitement lisible, à fort effet d'annonce auprès des
entrepreneurs et des investisseurs ; ensuite, une action prioritaire au niveau
de l'ensemble des filières de la formation et, là encore, nous proposons les
voies qui permettront de dynamiser la recherche et l'innovation ; enfin, le
développement d'une politique globale, volontaire et cohérente d'ouverture à
l'international.
Parmi toutes les actions qui, à ce titre, concourent à recenser et à
mobiliser nos forces, en moyens humains notamment, qu'il s'agisse de Français
ou d'amis de notre pays, en France et à l'étranger, nombre d'entre elles
dépendent du ministère des affaires étrangères. C'est pourquoi, madame la
secrétaire d'Etat, nous attendons de votre Gouvernement non seulement ce que je
viens d'évoquer, mais qu'il accorde aussi une priorité à notre action
extérieure en lui donnant les moyens de relever les extraordinaires défis de ce
temps.
Je déplore que ce ne soit toujours pas le cas aujourd'hui. Sans doute
l'absence de moyens de pression électorale au profit de ce ministère en
est-elle une des raisons...
Madame la secrétaire d'Etat, mon collègue Denis Badré et moi allons vous
proposer un certain nombre d'amendements. Pourquoi ne les accepteriez-vous pas
au nom du Gouvernement ? Il s'agit, pour le bénéfice de tous, de permettre aux
potentialités et aux forces dont, par chance et par mérite, dispose notre pays
de s'exprimer et de donner toute leur mesure.
Il s'agit, dans la compétition internationale, que la France reste la France.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
Alain, qui fut, me semble-t-il, professeur à Alençon, cher Alain Lambert,
disait : « Il y a l'avenir qui se fait et l'avenir qu'on fait. L'avenir réel se
compose des deux. »
C'est à l'aune de ce propos que je me suis efforcé d'apprécier, madame la
secrétaire d'Etat, le projet de budget qui nous est transmis.
L'« avenir qui se fait » n'est pas, convenons-en, facile à lire, tant la
conjoncture apparaît incertaine. J'évoquerai en premier lieu les points qui me
paraissent positifs.
Je citerai tout d'abord l'arrivée dans quelques semaines de l'euro, l'euro
qui, paradoxe curieux, est le grand absent du débat économique français
d'aujourd'hui. Certes, on s'intéresse aux modalités pratiques de son
introduction, aux problèmes matériels que celle-ci va poser, voire - comme l'a
fait récemment la commission des affaires économique - à la nécessité de
compenser par des soutiens exceptionnels les sujétions de service public que
devront supporter les entreprises du commerce et de l'artisanat durant la
période transitoire. Mais on ne parle guère des enjeux dont l'euro est porteur.
Aujourd'hui, qu'on l'ait souhaité ou non, la monnaie unique doit être une
opportunité pour notre économie, même si je mesure, comme chacun, l'ampleur du
changement qu'il représente dans notre vie, y compris quant à la façon que nous
avons de nous sentir français.
Deuxième point positif : l'accord intervenu voilà dix jours à la conférence de
Doha, qui peut être porteur d'un espoir raisonnable. Les Etats membres de
l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, sont finalement convenus du
principe et de l'agenda d'un nouveau cycle global de négociations commerciales
multilatérales. Certes, ce succès a été obtenu au prix d'ambiguïtés qui ne
faciliteront pas - et c'est un euphémisme - les futures négociations. Mais la
discussion demeure ouverte en ce qui concerne le dossier agricole et, surtout,
le négociateur européen est parvenu à écarter la menace d'une banalisation de
l'agriculture dans les échanges internationaux.
L'environnement est aussi intégré dans le champ de la négociation commerciale
internationale. De surcroît, grâce à une interprétation plus souple de l'accord
TRIP's,
Trade relative intellectual property rights' agreement,
protégeant les brevets, un blocage est enfin levé quant à l'accès aux
médicaments des pays les plus démunis, les brevets, donc la recherche, restant
protégés malgré tout.
Enfin a été engagé un processus d'élaboration de règles multilatérales visant
à protéger la concurrence et l'investissement. Oui, mes chers collègues, parce
que le succès ou l'insuccès des négociations commerciales internationales
influe de façon significative sur le taux de croissance mondial, donc sur celui
de notre pays, il nous faut suivre de près le déroulement du cycle à venir. Je
tiens à ce que le Sénat reste présent au fil des négociations.
Mais la conjoncture, dans l'ambiance internationale incertaine que nous
connaissons aujourd'hui, nous donne de réels motifs d'inquiétude. Nombre de «
fondamentaux », en effet, paraissent avoir cessé d'être bons.
Notre balance commerciale, excédentaire depuis 1993, a tout juste atteint
l'équilibre en 2000, faisant la preuve que rien n'est jamais acquis.
L'incertitude des perspectives économiques, assombries par les tragiques
événements de septembre dernier, le confirme.
Les prévisions de croissance sont partout révisées à la baisse, même si
certains conjoncturistes tablent sur une reprise dans le courant de l'année
prochaine. Sans m'attarder sur cet aspect, je rappellerai que le Fonds
monétaire international vient de ramener de 2,6 % à 2,4 % ses estimations de
croissance mondiale pour 2001 et de 3,5 % à 2,4 % ses prévisions pour 2002.
La croissance dans l'Union européenne, désormais évaluée à 1,7 % en 2001 et à
1,4 % pour 2002, n'échapperait pas à ce mouvement.
Quant aux prévisions concernant la France, elles seraient désormais, selon les
instituts de conjoncture, de l'ordre de 2,1 % en 2001 et de 1,8 % pour 2002.
L'OCDE, et la Commission européenne viennent également de publier leurs
pronostics, qui sont encore inférieurs de 0,2 point à certaines prévisions du
Fonds monétaire international. C'est dire à quel point l'hypothèse d'une
croissance envisagée à 2,5 % l'année prochaine relève désormais du voeu pieux.
« Volontarisme », nous a répondu le Gouvernement ! « Surréalisme », rétorquent
les plus sages ; un grand quotidien du soir a même parlé d'« autisme » !
Le taux de chômage a recommencé à croître depuis le printemps 2001, passant de
8,7 % en mars dernier à 9,1 % en septembre dernier. Par ailleurs, la vague de
licenciements annoncés ou intervenus ces dernières semaines - les uns
spectaculaires et abondamment commentés, d'autres moins visibles, mais tout
aussi préoccupants - laissent assez mal augurer de la suite.
Le dynamisme de la demande intérieure, très lié à l'existence et à la
perception d'une décrue du chômage, risque de s'en trouver affecté, amputant
notre économie de l'un de ses meilleurs leviers.
Mauvais signe aussi, car laissant prévoir une inversion de tendance durable :
le niveau de l'investissement industriel.
Selon la dernière enquête de l'INSEE, publiée voilà huit jours, les chefs
d'entreprise estiment désormais à 3 % en valeur, au lieu de 9 % au début de
l'année et de 6 % en avril dernier, la hausse de leurs investissements en 2001
! C'est un recul de 4 % qui est évoqué par ces mêmes chefs d'entreprise pour
l'année prochaine. Si cette anticipation se confirmait, ce serait un chiffre
sans précédent depuis 1993.
Venons-en maintenant, madame la secrétaire d'Etat, à « l'avenir que vous
faites », et qui s'incarne dans votre projet de budget. Celui-ci « sent bon la
campagne ».
(Sourires.)
Je reprends le titre d'un quotidien peu suspect
de partialité à votre encontre. Un des intervenants, lors du débat à
l'Assemblée nationale, n'a-t-il pas qualifié de « virtuel » ce budget, dont la
première caractéristique est de n'avoir, selon toutes probalités, pas vocation
à être exécuté ?
La commission des finances, dans son rapport et à travers les interventions de
son président, Alain Lambert, et du rapporteur général, Philippe Marini, a
démontré l'insincérité de ce projet de loi de finances et son manque de
rigueur.
A la lumière des préoccupations qui sont celles de notre commission des
affaires économiques, je formulerai, pour ma part, trois observations sur ce
budget.
Rien n'est prévu, tout d'abord, pour tenter de conforter la compétitivité
française.
Les chiffres, pourtant, nous pressent de le faire : alors que les
investissements directs français à l'étranger se sont considérablement accrus,
pour atteindre 195 milliards d'euros, les investissements étrangers sur notre
sol - qui avaient, eux aussi, augmenté jusqu'en 1999 - ont, en 2000, reculé de
plus de 6 % par rapport à l'année précédente ; ils s'établissent à moins de 51
milliards d'euros, soit presque quatre fois moins que nos investissements à
l'étranger.
D'autres phénomènes illustrent cette perte d'attractivité de notre pays, telle
la propension croissante de grands groupes ou entreprises à installer leur
siège hors de France. Le poids de la fiscalité et des prélèvements
obligatoires, les rigidités administratives et l'application des 35 heures sont
invoqués de façon récurrente par les chefs d'entreprise pour expliquer ce
rejet.
Les travaux sur le sujet n'ont pas manqué : ceux du président Jean
François-Poncet sur la fuite des cerveaux, ceux de nos collègues Denis Badré et
André Ferrand dans le cadre de la mission d'information sur l'expatriation,
notamment. Le Gouvernement lui-même s'en est préoccupé, et Michel Charzat a
écrit des choses fort intéressantes sur cette question.
Autre grande absente de votre budget, madame la secrétaire d'Etat : la réforme
de l'Etat et des grands services publics.
Tout vous y invitait, pourtant !
Les exemples étrangers, d'abord, puisque la plupart des grands pays - comme
l'a montré le rapport de notre collègue Gérard Braun - se sont engagés dans
cette direction. Une première étape a certes été franchie en France avec la loi
organique du 1er août 2001, mais je ne suis pas sûr que votre gouvernement
s'engage sur cette route d'un pas très allant...
Ensuite, l'arrivée à l'âge de la retraite de nombreux agents publics : 800 000
fonctionnaires civils de l'Etat, soit 45 % des effectifs, cesseront leur
activité dans les douze prochaines années. Voilà l'occasion d'engager une
réforme de l'Etat d'envergure ! Une occasion que vous avez choisi, semble-t-il,
de ne pas saisir !
Enfin, l'intégration européenne, qui nous impose une modernisation en
profondeur de nos services publics. Là encore, nous sommes face à un
rendez-vous manqué.
Je ne vais pas, sur ce point qui intéresse tout particulièrement la commission
des affaires économiques, multiplier les exemples ; j'en citerai tout de même
quelques-uns.
EDF, que vous avez ouverte à la concurrence à reculons, s'attache à trouver
les moyens de son expansion - en Italie cet été, en République tchèque dans
quelques jours - mais la question de son statut d'établissement public demeure
posée.
La SNCF paraît retombée dans les vieux démons d'une culture d'entreprise qui
se limite trop souvent à une culture du conflit, voire à un culte de la grève.
Elle va manifestement échouer dans sa relance du fret ferroviaire : au lieu du
doublement qu'on nous annonçait, nous constatons une diminution de 8 % !
Gaz de France attend toujours en vain une transposition de directive
perpétuellement différée.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Attendons le collectif !
M. Gérard Larcher.
Et La Poste, pour laquelle nous réclamons depuis des années un grand débat
national, va subir l'effet d'une ouverture imposée à la concurrence et beaucoup
plus large que ne l'avait proposé le Sénat en décembre dernier.
M. François Trucy.
Tout à fait !
M. Gérard Larcher.
Pour ce qui est de l'aménagement du territoire, je citerai seulement un
chiffre, mais il intéressera certainement notre collègue Jean-Pierre Raffarin,
président d'une région qui a une façade maritime : dans le projet de budget, 6
millions de francs sont prévus pour le développement du cabotage maritime, dont
on fait grand cas dans les colloques. C'est du niveau de la modeste
collectivité locale de Rambouillet qui, elle, n'a pas de façade maritime
(Sourires),
mais qui pourrait consacrer au développement alternatif une
telle somme sans mettre en péril son budget !
Cette somme dérisoire est à mettre en regard des 320 milliards de francs de
dettes de la SNCF et de RFF.
Nous aurons besoin, dans les prochaines années, d'une vraie politique
d'investissement, celle qui a fait tant défaut dans les précédents budgets et
qui manque toujours dans celui qui nous est proposé.
C'est un budget insincère et qui ne prévoit pas l'avenir. Comment, en effet,
ferons-nous face, dans le futur, aux emplois-jeunes et au paiement des
compensations pour la réduction du temps de travail ? En ces temps incertains
pour notre pays, ce budget n'ouvre aucune perspective et je ne lui apporterai
évidemment pas mon soutien. A moins que, éclairé par notre commission des
finances, le Gouvernement ne l'amende et ne lui donne ce dynamisme que nous
attendons...
(Sourires et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Nous applaudissons, en l'orateur, le sens de la perspective !
M. le président.
La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au
moment décisif où le Parlement débat du projet de loi de finances pour 2002,
qui engage l'avenir de notre pays et de ses collectivités territoriales, je
viens me faire l'écho des inquiétudes grandissantes de leurs élus à l'égard de
la situation financière qui est aujourd'hui la leur.
Ces préoccupations ont été largement exprimées cet automne à l'occasion des
grands rassemblements d'élus locaux, en particulier le congrès de l'Association
des départements de France et, cette semaine même, celui de l'Association des
maires de France.
Chaque fois, le même constat a été fait d'un double phénomène inquiétant :
d'une part, la suppression depuis quelques années de ressources fiscales
auxquelles sont substituées des dotations qui, très vite, aboutissent à une
diminution des recettes et à une perte d'autonomie financière ; d'autre part,
l'existence de transferts de charges non compensés.
Sur le premier sujet, celui de la réduction des ressources fiscales, nous
avons eu un large débat au Sénat lors de l'adoption, le 26 octobre 2000, d'une
proposition de loi constitutionnelle d'origine sénatoriale rappelant le
principe fondamental de libre administration et d'autonomie financière de nos
collectivités.
Comme le constate un récent rapport du Conseil économique et social, la
situation des collectivités locales est paradoxale : leur santé financière est
réelle ; leur épargne brute n'a cessé d'augmenter depuis 1994 ; un processus
spectaculaire de désendettement a commencé dès 1997 ; l'année 2000 a été la
quatrième année consécutive de limitation de la croissance des taux des impôts
locaux.
En outre, les collectivités locales continuent leur effort d'investissement :
la croissance des investissements publics locaux atteignait 8,5 % en 2000 ;
elle est de 2,3 % dans les budgets primitifs pour 2001.
Or, comme je l'ai dit, malgré ces performances, l'autonomie financière des
collectivités est menacée.
En effet, la part des recettes fiscales dans leurs budgets tend à décroître.
C'est le résultat d'une politique consistant à supprimer progressivement les
différentes parts territoriales des taxes locales. Je pense à plusieurs mesures
prises depuis 1999, en particulier, à la suppression de la part régionale de la
taxe d'habitation, de la part salaires des bases de la taxe professionnelle, de
la taxe régionale additionnelle aux droits d'enregistrement, ainsi qu'à la
suppression partielle de la vignette.
Le problème vient de ce que, jusqu'à présent, ces amputations n'ont été
compensées que par des dotations supplémentaires. Conséquence de cette
politique : selon l'Association des maires de France, la proportion des
ressources fiscales dans les recettes de fonctionnement des collectivités est
passée, depuis 1999, de 60 % à moins de 50 %. En 2003, au terme de la réforme
de la taxe professionnelle, le contribuable local ne participera plus que pour
41 % aux recettes de fonctionnement des collectivités locales, soit moins que
le contribuable national. Cette évolution tend à rompre le lien de citoyenneté
locale.
Corrélativement, la proportion des compensations au sein des concours de
l'Etat s'accroît d'année en année. A l'issue de la réforme de la taxe
professionnelle, il est probable que les dotations « actives » de l'Etat,
reflet d'une politique concertée, représenteront moins de la moitié des
concours de l'Etat aux collectivités locales.
Comme le démontre une étude de notre collègue Yves Fréville en date de mai
2000, l'essentiel de l'augmentation des concours de l'Etat depuis 1980
s'explique par l'augmentation des exonérations et dégrèvements. Il est vrai que
la croissance des dotations a été dynamique au cours de ces dernières années ;
cependant, cette évolution est surtout à mettre à l'actif de la croissance
économique.
Or, pour 2002, on peut craindre que le taux d'indexation de 2,25 %, fondé sur
des hypothèses économiques trop optimistes, ne puisse pas être atteint. Une
régularisation négative de la DGF risque donc d'intervenir.
D'autre part, chacun sait que 90 % de son montant est constitué par la
dotation forfaitaire. Or la progression de celle-ci ne représentera en 2002,
comme en 2001, qu'environ la moitié du taux moyen de la DGF. Pour l'ensemble de
ces raisons, je voterai, avec nombre de mes collègues du groupe de l'Union
centriste, l'amendement de la commission des finances qui prévoit de prendre en
compte dans le pacte de croissance et de solidarité 50 %, et non plus 33 %, de
l'augmentation du PIB.
Je tiens, enfin, à rappeler que ces causes récentes de diminution des
ressources fiscales sont aggravées par un facteur plus ancien et plus
structurel : je veux parler du mode de calcul de nos impôts locaux, dont les
bases ne correspondent plus à aucune réalité.
Les valeurs locatives cadastrales n'ont pas été revues depuis 1970 ! La
révision des bases prévue depuis plusieurs années est toujours au point mort. A
force d'attendre, les estimations réalisées en 1993-1994 sont devenues
obsolètes. Or ce travail a tout de même coûté plusieurs milliards aux
collectivités. Quant à la grande réforme de la fiscalité locale annoncée par le
Gouvernement, elle est renvoyée à on ne sait quand. Elections obligent !
Cependant, la fragilité des ressources des collectivités ne résulte pas que de
cet appauvrissement de leurs recettes fiscales. Fait plus grave : cette
précarité provient aussi, pour une large part, des transferts de charges qui
s'intensifient, sans compensation.
En effet, nous constatons, singulièrement depuis 1997, une série de transferts
de charges extrêmement lourds de l'Etat vers les collectivités. Je limiterai
mon analyse au cas particulier des départements, très affectés par ces
transferts.
En premier lieu, au 1er janvier 2002, l'allocation personnalisée d'autonomie,
l'APA, succédera à la prestation spécifique dépendance, la PSD.
Certes, ce nouveau dispositif constitue un progrès pour les personnes en
situation de dépendance. Les départements, qui sont depuis des décennies les
principaux acteurs de la solidarité, auront bien sûr à coeur d'assumer leurs
responsabilités.
Néanmoins, ce nouveau régime entraînera pour les finances des conseils
généraux une explosion des coûts qu'il est bien difficile aujourd'hui
d'appréhender avec précision.
Nous le savons, cette prestation concernera quelque 800 000 bénéficiaires,
contre environ 135 000 pour la PSD aujourd'hui.
Ainsi, dès l'an prochain, il est prévu que la charge supportée par les
départements passera de 5,5 milliards à 11 milliards de francs. Puis, elle sera
multipliée par trois en régime de croisière.
Hormis la contribution de la CSG et des caisses de retraite, l'Etat ne
prévoit, pour sa part, aucune participation au financement. Ainsi, comme le
titrait très récemment un éditorialiste : « L'Etat annonce, les collectivités
paient. »
Comment les conseils généraux pourront-ils donc supporter une charge aussi
lourde, dont l'évolution est aussi incertaine alors que, nous l'avons vu, leurs
marges de manoeuvre fiscales sont désormais fortement réduites ?
En outre, au-delà de ces transferts apparents, les collectivités locales
doivent aussi assumer un certain nombre de « transferts de fait », moins
visibles mais tout aussi coûteux.
Parmi ceux-ci, de nombreux orateurs l'ont déjà souligné, c'est très
certainement la réduction du temps de travail qui aura le coût le plus
considérable. L'incidence financière de cette mesure sera sensible dans toutes
les collectivités, mais son coût sera certainement plus lourd encore pour les
départements, en raison des compétences spécifiques qui leur sont dévolues.
En effet, les conseils généraux doivent supporter le coût de la réduction du
temps de travail dans leurs services ainsi que dans l'ensemble des
établissements d'aide à l'enfance et d'aide sociale qu'ils financent. Ils
doivent également supporter le poids de l'augmentation des charges des
associations d'aide aux personnes qu'ils subventionnent.
De même, la réduction du temps de travail entraînera une nouvelle hausse du
coût de fonctionnement des services départementaux d'incendie et de secours,
alors que les contributions des communes et des départements n'ont cessé de
croîre depuis l'entrée en vigueur de la loi du 3 mai 1996, au point
d'atteindre, dans un certain nombre de départements, un niveau jugé
insupportable.
Enfin, dans les départements de montagne, vont s'ajouter le coût de
l'évolution des normes applicables aux matériels de déneigement et celui de la
réglementation du travail des personnels assurant la viabilité hivernale du
réseau routier.
En vérité, mes chers collègues, nos collectivités territoriales sont prises en
tenaille entre une diminution de leurs ressources unilatéralement « décrétée »
par l'Etat et des transferts de charges non compensés, transferts encore
aggravés par la prolifération de normes diverses, dont le poids financier est
totalement incontrôlé.
Les conséquences prévisibles de cet « effet de ciseaux » sont de trois ordres
: d'abord, une remise en cause des capacités d'investissement des collectivités
locales et un ralentissement de leur désendettement, alors que celui-ci a été
particulièrement rapide ces dernières années ; ensuite, une dégradation des
comptes des collectivités, dégradation qui les conduira nécessairement à
augmenter la pression fiscale, du moins sur les recettes dont elles
conserveront le contrôle, pour faire face à l'augmentation de leurs charges ;
enfin, cette politique risque de pénaliser fortement certaines zones de notre
territoire jusque-là particulièrement dynamiques, et dans lesquelles l'action
des collectivités a largement contribué au maintien de l'emploi et de
l'activité.
Ainsi, en faisant supporter par les départements une part importante de ces
transferts, l'Etat met en péril un niveau stratégique de solidarité entre les
communes et d'équilibre entre les territoires.
En clair, ce projet de loi de finances contribue à affaiblir encore un peu
plus nos collectivités locales, sans pour autant permettre de restaurer les
fonctions régaliennes de l'Etat, qui traversent aujourd'hui une profonde et
grave crise.
Comment ne pas voir dans cette évolution une atteinte au principe de libre
administration de nos collectivités, affirmé par l'article 72 de la
Constitution, et un insidieux mais réel mouvement de recentralisation, dont
l'aboutissement risque bien de ramener des collectivités décentralisées au
simple rôle de services déconcentrés du pouvoir central ?
M. Jean-Pierre Raffarin,
Exact !
M. Jean-Paul Amoudry.
Aussi, et pour éviter que ce scénario inacceptable ne devienne réalité, il est
urgent de mettre en oeuvre des mesures de grande ampleur : modernisation des
impôts locaux ; mise en place de mécanismes de compensation des transferts de
compétences transparents et réalistes ; adoption de nouvelles règles du jeu
entre l'Etat et les collectivités locales.
Mais pour que de telles réformes puissent être menées à bien, une autre
politique doit être entreprise à l'échelon national, alliant la rigueur
budgétaire, le désendettement et une fiscalité protectrice de l'investissement
et de l'emploi.
En effet, pour être crédible, l'Etat doit lui-même être exemplaire en
favorisant l'investissement par rapport aux dépenses de fonctionnement et
l'autofinancement par rapport au recours à l'emprunt. En somme, l'Etat doit
revenir aux vertus que pratiquent la très grande majorité des collectivités
locales depuis les lois de décentralisation.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant
d'en venir à mon propos, je formulerai une remarque qui m'est venue en
entendant M. Larcher.
Je suis élu d'un département maritime qui comprend deux ports autonomes, un
port d'intérêt national et trois ports départementaux. Je suis rapporteur du
budget de la mer et des ports maritimes et j'ai entendu M. Larcher déclarer
d'un ton scandalisé que seuls 6 millions de francs étaient inscrits sur la
ligne « cabotage maritime ». La transparence ou la réalité aurait voulu qu'il
rappelle le montant des crédits inscrits sur cette même ligne dans le budget
qu'il avait adopté en 1997.
Je remarque, d'une façon générale, que lorsque nos collègues de la majorité
sénatoriale soulignent l'insuffisance de telle ou telle ligne du budget pour
2002, ils oublient systématiquement de rappeler les engagements qu'ils avaient
pris dans le dernier budget qu'ils ont voté. Nous pouvons nous interroger sur
les raisons de cet oubli systématique. La réponse est à l'esprit de tous : les
montants des crédits qu'ils ont adoptés étaient bien inférieurs à ceux que nous
proposons maintenant.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Regardez devant !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
L'avenir ne ressemblera pas au passé !
M. Marc Massion.
J'en viens à mon propos.
En 2002, comme cette année et les années précédentes, l'emploi est la priorité
« numéro un » du Gouvernement et de la majorité. Le Premier ministre s'y était
engagé lors de sa déclaration de politique générale en 1997 et les résultats
sont là : un million de chômeurs en moins et 1 600 000 emplois créés.
Les résultats négatifs de ces derniers mois doivent conforter notre
détermination et ce budget en porte témoignage.
La priorité, c'est l'emploi, pour que le travail non seulement donne ou
redonne aux Français qui en sont privés leur dignité, mais aussi leur permette
de consommer les biens et les services dont ils peuvent avoir légitimement
besoin. La priorité, c'est l'emploi, pour que la consommation soit un élément
essentiel de la croissance dont notre pays a besoin pour préparer son
avenir.
Malgré les difficultés, malgré les incertitudes dues au contexte
international, la confiance des Français en l'avenir est aujourd'hui bien
meilleure qu'elle ne l'était en 1996 et en 1997 - ils l'ont montré par leurs
votes - même si, bien entendu, il reste beaucoup à faire !...
Malgré les résultats importants de la politique du Gouvernement en matière
d'emploi, je suis bien conscient de la distance qui nous sépare encore du
plein-emploi, qui reste notre objectif.
Je n'ignore pas, bien entendu, les vents contraires qui soufflent sur nos
économies et qui peuvent freiner nos avancées. Mais je sais parfaitement - et,
avec mes collègues, nous en sommes fiers - que c'est notre politique, orientée
dès 1997 vers l'emploi, qui a redonné l'espoir à tant de nos compatriotes.
Que l'on songe aux emplois-jeunes, à la réduction du temps de travail, à
l'allégement des charges sur les bas salaires, à la suppression de la part
salariale de la taxe professionnelle, à l'accompagnement personnalisé des
chômeurs de longue durée, à la prime pour l'emploi, et à tant d'autres mesures
rappelées ce matin même par M. le ministre. Grâce à ces mesures, nombreux sont
ceux qui ont dès lors repris espoir. Les ménages ont repris espoir pour leurs
enfants, espoir dans l'avenir, alors même qu'un dispositif comme celui des 35
heures est loin d'avoir encore développé toutes ses possibilités.
(M. le
rapporteur général s'exclame.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Et ses effets pervers ?
M. Marc Massion.
Surtout, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, s'il vous plaît, ne
nous dites pas, pour la énième fois, que nous n'avons fait que profiter d'une
conjoncture internationale : si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait,
nous n'aurions pas, pardonnez-moi l'expression, « amorcé la pompe ».
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cela aurait été encore mieux !
M. Marc Massion.
Nous n'aurions pas pu exploiter une conjoncture qui s'est avérée meilleure ces
dernières années, ou nous l'aurions fait si lentement que nous n'aurions pas eu
le temps d'en faire « bénéficier » les Français, avant le retournement de
situation que nous connaissons aujourd'hui.
Nous aurions donc affronté la situation actuelle dans un tel état de faiblesse
que nous serions en bien plus mauvaise posture !
La gauche a su armer - pour reprendre une expression militaire déjà employée -
économiquement et socialement notre pays par une politique volontariste qui,
provoquant un choc psychologique, a consolidé l'efficacité des mesures mises en
oeuvre par le Gouvernement. C'est grâce à cette politique volontariste que la
France se trouve aujourd'hui dans une situation bien meilleure que celle de ses
voisins, notamment l'Allemagne. C'est au nom de cette même politique
volontariste que le Gouvernement, avec notre soutien, a décidé de confirmer ses
objectifs, donc ses priorités et la lutte pour l'emploi.
Ce n'est pas un hasard si la consommation se tient bien et si elle peut
compenser l'atonie de la demande des entreprises et de la demande
extérieure.
Soutenir la consommation est plus que jamais nécessaire à l'emploi et donc à
la croissance.
Au cours du présent semestre, la création de 50 000 contrats aidés participe
de la mobilisation des services de l'Etat, afin que tous les moyens existant en
matière d'emploi soient mis en oeuvre pour faire face au « coup de tabac » - si
vous me permettez cette expression maritime - de la conjoncture internationale.
Le doublement de la prime pour l'emploi, qui bénéficie déjà à 8,5 millions de
foyers, va agir dans le même sens : renforcer le pouvoir d'achat, toujours pour
la consommation, pour l'emploi et pour la croissance. Ce n'est pas pour rien
que la progression de la relation entre la croissance et l'emploi en France est
jugée la plus forte d'Europe !
Par ailleurs, le programme des emplois-jeunes, qui aura permis de procurer une
première expérience professionnelle et une source de revenus à 340 000 jeunes,
sera consolidé en 2002 et 9 000 nouveaux postes seront créés. On peut dire que
ce programme aura atteint ses objectifs, d'autant qu'il aura répondu, par la
création d'activités nouvelles, à de nombreux besoins jusque-là non satisfaits
par le marché.
Tous les dispositifs mis en place vont dans le même sens : celui de la
solidarité, de l'insertion ou de la réinsertion dans la vie économique de
personnes en difficulté, de l'emploi ou du retour à l'emploi.
La politique menée par le Gouvernement, avec notre soutien, a contribué pour
une part essentielle à la croissance française de ces dernières années, qui, de
3 % en moyenne, a été supérieure à celle de nos voisins. Le choix de soutenir
la demande intérieure, en particulier la consommation des ménages, par de
nombreux dispositifs et par des baisses d'impôts, a donc été un bon choix, qui
n'a pas été pour rien dans l'amélioration incontestable de la situation de
l'emploi. N'oublions pas qu'au cours des quatre dernières années l'emploi a
enregistré sa plus forte croissance depuis trente ans !
Tout ce que je viens d'évoquer devant vous, mes chers collègues, n'avait qu'un
but : rappeler la cohérence de la politique de la gauche depuis quatre ans.
Stimulation de la croissance, création d'emplois, consommation, croissance,
c'est un cercle vertueux qui n'est jamais absent de notre horizon. Même si la
croissance ralentit et que le contexte change, nous pensons que nous devons
maintenir le cap et ne pas ajouter la pusillanimité à l'adversité. Ce budget va
nous y aider.
Pour ces raisons, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, c'est avec fierté que nous soutenons ce budget, marqué au coin
du sens des réalités, du sens de la responsabilité et de la volonté !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Marc.
M. François Marc.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
parlant de l'Etat, un célèbre chef d'Etat américain, Ronald Reagan, avait un
jour déclaré : « L'Etat n'est pas une solution à nos problèmes, c'est l'Etat
qui est notre problème ».
Quel responsable américain oserait aujourd'hui se hasarder à prononcer une
telle affirmation ? Dès les premières informations diffusées lors des attentats
du 11 septembre dernier, les Américains se sont tournés en masse vers le
gouvernement fédéral pour qu'il les aide à surmonter cette crise. Dès lors,
toute la politique intérieure américaine, qui s'appuyait sur une méfiance
viscérale à l'égard de l'Etat, s'est vue en quelque sorte frappée
d'anachronisme.
Les événements internationaux de ces derniers mois nous enseignent aujourd'hui
l'importance qu'il y a à assurer la régulation de nos sociétés par l'Etat et à
développer des politiques publiques en ce sens. Ces politiques sont destinées à
répondre aux besoins structurels de nos sociétés contemporaines, mais aussi aux
situations de crise.
C'est dans ce type de contexte que notre conception française du service
public trouve sa signification. Elle s'appuie, en effet, sur une régulation
sociale et économique en continu, elle assure la pérennité de nos équilibres,
mais elle nous permet aussi de faire preuve d'une réelle réactivité dans des
contextes difficiles.
Nombreux sont ceux qui ont dénigré ou dénigrent encore l'Etat face à
l'omnipotence du marché et prônent la « régulation spontanée ». Or, des
exemples récents montrent l'intérêt d'un service public fort et les risques
encourus par ses carences.
Dans la crise de la vache folle, l'héritage thatchérien de réduction drastique
de la régulation publique en Grande-Bretagne a douloureusement montré ses
failles. Le repli des agents publics, l'absence de contrôle sanitaire
indépendant des intérêts économiques, puis le manque de réactivité des pouvoirs
publics ont objectivement contribué à l'expansion de la contamination dans ce
pays. Ce problème a également été observé en ce qui concerne le développement
de la fière aphteuse.
A contrario,
la France, forte d'un service public sanitaire solide a su
réagir promptement aux besoins nés de la crise et engager les moyens
nécessaires.
Le même type de constat conduit à accuser la politique britannique
ultra-libérale en matière de transport, et douloureusement, là encore, dans le
domaine ferroviaire.
Il est un exemple pertinent lui aussi, celui des services de santé ! Il suffit
à cet égard d'enregistrer les points de vue de citoyens américains ou
britanniques qui ont été soignés en France à propos de leurs systèmes nationaux
de santé publique pour comprendre à quel point la qualité de nos services
d'hospitalisation publique constitue un point fort largement envié dans le
monde.
S'agissant des attentes de nos propres concitoyens, on ne peut, dans le même
ordre d'idée, qu'être frappé par la sollicitation croissante des services
publics d'Etat ou décentralisés dès lors que des catastrophes naturelles ou
encore la gestion des crises économiques locales requièrent une prise en main
très rapide et rassurante de ces situations génératrices d'inquiétudes ou de
désarroi.
Tout le monde ici a probablement pris connaissance de la préoccupation
exprimée par les maires dans un sondage publié à l'occasion du récent congrès
de l'Association des maires de France : les maires y manifestent très
clairement le souhait qu'un Etat bien présent et efficace les aide au quotidien
dans leur difficile mission de gestion de la proximité.
On n'est dès lors pas très étonné de constater que des infléchissements
significatifs sont opérés dans le discours de ceux qui, au long des années
passées, n'ont pas manqué une occasion de critiquer le gouvernement de Lionel
Jospin dans son action ambitieuse de préservation et de développement de
l'intervention publique.
Les déclarations de M. le Président de la République, au début de cette
semaine, au congrès de l'AMF, illustrent ce constat de manière pertinente.
Il est incontestable que les contextes de crise sont propices à une prise de
conscience renforcée de l'importance des politiques publiques. Mais cette prise
de conscience ne révèlera réellement son utilité que si elle débouche sur des
décisions positives quant aux actes et aux moyens à mettre en place.
On ne peut à cet égard qu'être frappé par la contradiction permanente
caractérisant l'attitude de ceux qui, d'un côté, réclament des solutions
rapides aux problèmes du moment - plus de moyens pour lutter contre
l'insécurité, une justice plus rapide, plus efficace, plus de moyens pour la
défense, etc. - et, dans le même temps, ne cessent de s'insurger contre toute
augmentation des dépenses !
Notre conception d'un service public fort a un prix, celui des dépenses
publiques qu'elle dicte, et nous ne pouvons, d'un côté, réclamer constamment
plus de moyens et, d'un autre côté, refuser d'en assumer les coûts.
Notre groupe politique tient à cet égard à apporter son soutien déterminé à
l'action du Gouvernement qui s'attache à promouvoir un service public puissant
et adapté aux besoins de nos sociétés. Le projet de budget qui nous est soumis
aujourd'hui porte incontestablement la marque de cette conception
volontariste.
En menant une action forte de consolidation du service public à la française,
le Gouvernement répond bien à l'attente de nos concitoyens, comme le démontre
l'attribution de moyens pour l'éducation, la santé, la sécurité et la
justice.
Les Français souhaitent pour leurs enfants une éducation de qualité. Le
Gouvernement les entend puisque les moyens dégagés ont augmenté de 19 % depuis
1997, soit 4 % cette année avec 7 800 postes nouveaux. Pour la première fois,
le budget de l'éducation nationale dépassera les 400 milliards de francs.
Nos concitoyens veulent également être bien soignés. Le Gouvernement prend
cette préoccupation en compte. Depuis la loi de finances initiale pour 1997,
l'augmentation des moyens de la section santé-solidarité, mise en oeuvre par le
Gouvernement, aura été de plus de 20 % à structure constante 2002. Pour le
présent budget, les mesures nouvelles atteignent presque 230 millions d'euros,
soit le double de celui des années antérieures. Cet effort exceptionnel
permettra notamment de quadrupler des crédits consacrés par l'Etat aux
programmes prioritaires de santé publique.
Le soutien à la formation des professionnels de santé demeure une priorité et
connaît une progression sans précédent de 27,7 %. Enfin, au terme de la
négociation sur la mise en place de la réduction du temps de travail à
l'hôpital, et dans son souci de préserver la qualité de l'offre de soin, le
Gouvernement a décidé de porter à 45 000 les créations d'emplois dans la
fonction publique hospitalière à partir du 1er janvier 2002.
La sécurité est également une préoccupation majeure des Français. Le
Gouvernement y fait face.
(M. Gérard Larcher rit.)
Avec une augmentation
de crédits de 4,5 % en 2002, le budget consacré à la sécurité permet la
création de 3 000 emplois de policiers, notamment pour la généralisation de la
police de proximité, ainsi que de 1 000 postes de gendarmes.
Les Français aspirent aussi à une justice plus rapide et plus transparente :
là encore, le Gouvernement s'engage. Avec des crédits en hausse depuis quatre
ans, de 25 % depuis 1997 et de 5,7 % en 2002, la justice obtient les moyens de
mieux remplir sa mission, notamment grâce à la création de 3 200 emplois.
Enfin, le Gouvernement dégage une fois encore des moyens importants, 285
millions d'euros, afin d'assurer un aménagement équilibré et un développement
durable du territoire. Les objectifs prioritaires demeurent, notamment, le
renforcement de la cohésion des territoires par le soutien à la création
d'emplois, et le maintien des services publics en milieu rural ou en milieu
urbain défavorisé.
Nul ne peut, par conséquent, mes chers collègues, contester que des moyens
majeurs sont mis en oeuvre, par le biais de nos politiques publiques, pour
répondre aux attentes des Français.
Mais, parallèlement, notre service public sait se réformer. Le dernier comité
interministériel pour la réforme de l'Etat, qui s'est tenu le 15 novembre 2001,
vient de confirmer les grandes orientations prises depuis quatre ans par le
Gouvernement. Un vaste plan de réforme de l'Etat et de ses administrations est
à l'oeuvre, afin d'offrir à nos concitoyens un service public efficace et de
qualité, adapté aux évolutions de notre société.
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons suivre les arguments développés ce
matin par M. le rapporteur général au sujet des moyens attribués aux services
publics de notre pays. Nous apporterons, par conséquent, avec une totale
confiance, notre soutien à l'action déterminée du Gouvernement pour la
consolidation du service public et des moyens solidaires de la République.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers colllègues, je
suis le dernier intervenant de cette séance et le dernier du « tir groupé
socialiste » : trois intervenants socialistes en fin de discussion !
M. Gérard Larcher.
Trois d'un coup !
M. Jean-Pierre Masseret.
Oui, les trois « M » !
(Sourires.)
Je voudrais formuler quelques observations et faire état de quelques réactions
politiques. J'ai en effet, entendu, pour l'essentiel, un flot de critiques
depuis ce matin à l'endroit de la politique du Gouvernement.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est bien légitime !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
On cherche à l'améliorer !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On essaie d'aider Laurent Fabius, il en a bien besoin
!
M. Jean-Pierre Masseret.
Ce flot de critiques est sans doute justifié par la proximité des échéances
électorales importantes de l'année 2002, mais pas seulement. Il est aussi
inspiré par une posture idéologique.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Parce que vous, vous n'en avez pas ?
M. Jean-Pierre Masseret.
On les opposera si vous voulez !
C'est bien là que se situe notre combat : votre posture idéologique réside
dans la croyance que vous mettez dans la supériorité de la gestion libérale de
l'économie de marché. C'est cela votre conviction !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est encore autorisé !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il n'y en a pas d'autres !
M. Gérard Larcher.
Il n'y a rien d'autre qui marche !
M. le président.
Poursuivez, monsieur Masseret !
M. Jean-Pierre Masseret.
Attendez ! J'écoute les critiques : comme cela, nous allons avoir un débat
vivant, interactif !
Nous, nous sommes pour l'économie de marché.
(M. Alain Lambert, président
de la commission des finances, et M. Gérard Larcher s'exclament.)
Mais nous
ne sommes pas pour la gestion libérale de l'économie de marché.
M. Philippe Nogrix.
Cela veut dire quoi ?
M. Jean-Pierre Masseret.
C'est là toute la différence ! Nous voulons organiser, réguler et maîtriser.
Il est vrai que c'est beaucoup plus difficile d'être de gauche que de droite
!
(Mme le secrétaire d'Etat acquiesce.)
Quand on veut maîtriser,
organiser, promouvoir, défendre l'intérêt général, c'est compliqué parce qu'il
faut mettre en oeuvre des politiques différenciées. Vous, vous laissez aller,
tranquilles. Une main invisible...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Caricature !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Vous avez rasé gratis toute la
journée !
M. Jean-Pierre Masseret.
... viendra réguler. Résultat des courses : c'est du Reagan et du Thatcher
!
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Caricaturer l'adversaire, c'est trop facile !
M. Roland du Luart.
On va le mettre à l'amende !
M. Jean-Pierre Masseret.
Cette conviction, monsieur Marini, je la respecte, mais je la combats !
M. Roland du Luart.
On s'en serait douté !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous, on vous combat !
M. Jean-Pierre Masseret.
Quelle est votre principale critique au-delà des chiffres avancés ? C'est
finalement que le Gouvernement aurait manqué de courage politique pour conduire
toutes les réformes nécessaires. C'est cela, le coeur de votre critique !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est évident !
M. Yves Fréville.
Eh oui !
M. Jacques Oudin.
Le Gouvernement ne sait pas compter !
M. Jean-Pierre Masseret.
Mais quand vous utilisez, vous, le mot « réforme », monsieur Oudin, cela veut
dire quoi ? C'est moins d'Etat, moins d'administration, moins d'impôts, moins
de services publics, moins de régulation.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais moins de dette et plus de liberté !
M. Jean-Pierre Masseret.
C'est cela qui se cache derrière les mots « réforme nécessaire », dont vous
nous avez rebattu les oreilles tout au long de la journée, comme vous l'a
rappelé M. Demerliat.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On s'est rebattu réciproquement les oreilles !
M. Jean-Pierre Masseret.
Ces thèses sont connues !
M. Roland du Luart.
Il faut sortir du collectivisme soviétique !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Oui !
M. Jean-Pierre Masseret.
Comment, monsieur du Luart ?
M. le président.
Non, monsieur Masseret, poursuivez, je vous en prie !
M. Jean-Pierre Masseret.
J'écoute les reproches que l'on m'adresse, monsieur le président ! Je tiendrai
mon temps de parole, monsieur le président. J'en suis à trois minutes dix !
M. le président.
Si les orateurs souhaitent vous interrompre qu'ils me demandent la parole et
je la leur donnerai !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il nous a manqué pendant quatre
ans !
M. Jean-Pierre Masseret.
Ces thèses sont connues. Sans être agressif, je dirai que ce sont celles du
MEDEF.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Mais c'est votre droit
!
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Eh bien oui !
M. Jean-Pierre Masseret.
Franchement, ce n'est pas ainsi qu'on relèvera les défis du monde moderne !
Nous sommes, comme vous, pour un Etat efficace, une administration
performante, évolutive, qui s'adapte, qui se forme. Nous sommes pour des
fonctionnaires conscients de la responsabilité qu'ils ont d'être d'abord au
service de leurs concitoyens et de leur pays.
M. Gérard Larcher.
D'accord !
M. Jean-Pierre Masseret.
Mais, pour nous, les structures sont un peu moins importantes que pour vous,
bizarrement.
Elles sont aussi moins importantes que la vie des gens au quotidien. Notre
priorité est d'être confrontés aux problèmes du chômage, des rémunérations qui,
dans les entreprises françaises, sont souvent faibles et ne permettent pas
d'accéder à un niveau de vie satisfaisant !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Mais les charges sont si élevées
!
M. Jean-Pierre Masseret.
C'est la question du partage qui est posée, président !
La protection de la santé est aussi un problème qui nous importe, tout comme à
vous. Il en est de même de la formation nécessaire pour préparer nos jeunes
concitoyens aux défis du xxie siècle, aux nouvelles technologies de
l'information et de la communication, en un mot, au monde d'aujourd'hui !
Bien évidemment, cela nécessite des dépenses publiques !
M. Philippe Nogrix.
Qui va payer ?
M. Jean-Pierre Masseret.
Vous avez quelque peu brocardé la question de l'environnement. Des crédits ne
seraient pas utilisés, avez-vous dit.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ceux de l'ADEME !
M. Jean-Pierre Masseret.
Je vous conseille vivement de consulter vos enfants et vos petits-enfants sur
ces questions.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Bien sûr !
M. Jean-Pierre Masseret.
Elles sont au coeur de leurs préoccupations ! Il s'agit d'une dimension que
nous avons tout intérêt à prendre en compte, ne serait-ce que parce que nous
sommes responsables de cette planète !
Pour l'environnement, pour la sécurité, etc., bien sûr qu'il faut du
personnel.
Il en faut aussi pour que l'école remplisse sa mission et rappelle en
permanence que, dans notre société, nous avons plus de devoirs que de droits,
que la citoyenneté est une notion importante, dont le respect est au coeur de
la politique de la ville. Nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, des
zones de non-droit dans lesquelles les policiers ou les gendarmes ne sont pas
tolérés ! C'est inacceptable ! Voilà pourquoi il faut des personnels, des
moyens, mais surtout cette volonté politique à laquelle je me référais à
l'instant.
M. André Ferrand.
En travaillant 35 heures ?
M. Jean-Pierre Masseret.
Je constate aussi que le libéralisme dont vous portez les couleurs, et que je
respecte, ne sait pas partager utilement, efficacement et équitablement les
richesses au sein non seulement de notre pays, mais du monde entier !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Regardez l'aide au développement
!
M. Jean-Pierre Masseret.
Monsieur le président de la commission, ce libéralisme impose
l'exploitation,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
De l'homme par l'homme !
M. Jean-Pierre Masseret.
... et le sort du monde est bien au coeur du constat aujourd'hui ! Nous avons
besoin d'un Etat, d'une République attentionnée à ces problèmes. Voilà pourquoi
je disais qu'il était plus difficile d'être de gauche que d'être libéral
aujourd'hui.
Cette politique visant à la cohésion sociale participe, selon nous, à la
croissance, au développement et au soutien de la consommation. On peut
l'appliquer dans le pays tout en restant ouvert au monde qui nous environne. En
outre, elle nous permet de conduire nos politiques dans les autres domaines.
Nous devons promouvoir cette approche en l'expliquant à nos concitoyens, qui y
seront sensibles. Madame le secrétaire d'Etat, votre politique est le contraire
du gâchis dont on vous accuse. La CMU, la couverture médicale universelle,
l'allocation personnalisée d'autonomie, la sécurité intérieure, la sécurité
sanitaire, les services publics, les 35 heures, rien de tout cela n'est du
gâchis !
Il est vrai qu'il existe quelques difficultés,...
M. Gérard Larcher.
Et non des moindres !
M. Jean-Pierre Masseret.
... mais nous les assumons.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Quel euphémisme !
M. Jean-Pierre Masseret.
Pas du tout ! Vous verrez d'ailleurs à terme que cela sera reconnu.
M. André Ferrand.
Ce n'est pas un gâchis, c'est du désastre !
M. Jean-Pierre Masseret.
Non plus ! C'est du désastre pour vous, parce qu'il s'agit d'une question de
partage des richesses auquel chacun doit coopérer.
Qui a réhabilité l'entreprise et sa fonction depuis 1981 ? Les gouvernements
socialistes !
M. Gérard Larcher.
C'est vrai, ils ont nationalisé, puis dénationalisé !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Masseret.
Nous avions une thèse selon laquelle l'appropriation collective des moyens de
productions suffisait à régler tous les problèmes. Vous, vous pensez que «
moins d'Etat », c'est la solution unique qui s'impose pour régler tous les
problèmes.
M. Gérard Larcher.
Non, mieux d'Etat !
M. Jean-Pierre Masseret.
Mais c'est faux !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous n'écoutez par les autres !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Vous parlez pour les autres,
mais sans prêter attention à ce qu'ils disent !
M. le président.
Je vous en prie, monsieur Marini, n'interrompez pas l'orateur. Monsieur
Masseret, veuillez poursuivre.
M. Jean-Pierre Masseret.
Monsieur le rapporteur général, j'en venais justement à vos critiques que j'ai
entendues ce matin et qui portaient sur deux aspects : la fonction publique et
la dette.
La dette est la résultante de l'équation recettes - dépenses. Mais, s'agissant
de la fonction publique, l'équation que vous posez va créer un certain nombre
de difficultés auxquelles vous allez vous heurter dans vos départements, car le
devenir de votre politique repose tout à la fois sur « moins d'Etat » et «
moins de fonctionnaires », sans que vous ayez précisé - je le répète comme
d'autres -, quels fonctionnaires étaient visés !
Pourtant, quand il est question de fermer une gendarmerie, une agence postale,
une école en zone rurale, que réclament les élus ? Plus de moyens !
Il faut rester cohérent ! Le Gouvernement fait précisement preuve de cohérence
dans la politique qu'il mène pour faire face aux difficultés qu'il rencontre.
En effet, il prend en compte à la fois la situation, souvent difficile, des
particuliers - nos concitoyens - l'avenir des entreprises en leur apportant des
aides,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur Masseret, me permettez-vous de vous
interrompre ?
M. Jean-Pierre Masseret.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur Masseret, je n'abuserai pas de votre
courtoisie.
Cette question des effectifs de la fonction publique, surtout de la façon dont
vous la posez, est délicate et difficile au regard des situations concrètes.
Nos analyses diffèrent.
En 2002, pour la première fois, 55 000 fonctionnaires partiront à la retraite
; c'est la première grosse annuité. Nous sommes partis de cet élément. Gérard
Larcher l'a rappelé, ce sont 50 % des effectifs actuels de la fonction publique
qui quitteront la vie active en une dizaine d'années.
M. Gérard Larcher.
Tout à fait !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur Masseret, je voudrais comprendre : êtes-vous
en train de nous dire que, dans ce monde qui évolue considérablement, où tout
change, notamment au rythme des technologies et des différents modes
d'organisation,...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Tout change, sauf le nombre de chômeurs !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... il faut figer l'organisation de l'Etat et de tous
les services publics exactement au point où l'on se trouve actuellement ?
Est-ce cela que vous êtes en train de nous dire ? C'est du moins le sentiment
que j'ai eu tout à l'heure à écouter certains de vos collègues.
M. Gérard Larcher.
Ils sont conservateurs !
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Car l'enjeu, et il est considérable, est bien celui
de l'efficacité de l'Etat. Souvent, on caricature nos propos pour nous faire
dire que nous, les modérés, nous les membres de la majorité de cette assemblée,
nous sommes systématiquement partisans du moins d'Etat. D'une façon plus
générale, nous sommes attachés à l'efficacité de l'Etat. Cette efficacité
suppose-t-elle de maintenir pour l'éternité chaque personne à la place où elle
est ? C'est la seule question que je pose.
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Monsieur Masseret, vous avez déjà dépassé votre temps de parole.
Veuillez donc poursuivre et achever votre propos.
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Masseret.
Monsieur Marini, vous vous adressez à un ancien membre de ce gouvernement qui
a précisément fait « disparaître » un département ministériel...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Donc, c'est possible !
M. Jean-Pierre Masseret.
... pour l'insérer dans un département plus grand, de façon à assurer à nos
concitoyens un meilleur service public sur une plus longue durée. Vous voyez
bien que nous ne cherchons pas dogmatiquement à figer les choses, mais que nous
tentons de les faire évoluer.
Bref, madame la secrétaire d'Etat, - ce sera ma dernière phrase, monsieur le
président, avec mes remerciements
(Sourires) -
je n'ignore pas, et mes
collègues non plus, que la majorité du Sénat va réduire en miettes votre
budget. Vous vous y préparez, mais sachez que nous serons à vos côtés pour
résister !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur général,
mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai entendu aujourd'hui maints propos
brillants. C'est que le Sénat compte, et sur toutes ses travées, beaucoup de
virtuoses et de débatteurs affûtés. Pour tout vous dire, puisque nous nous
connaissons bien maintenant, ce n'est pas une surprise pour moi !
(Sourires.)
Pourtant, du côté droit de l'hémicycle, j'ai découvert de nouveaux talents,
jusqu'ici cachés. En effet, monsieur le président de la commission, monsieur le
rapporteur général, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, vous êtes
tous en quelque sorte un peu magiciens. Si j'ose vous résumer, votre discours
est assez limpide : comme d'habitude, la gauche aurait gaspillé les chances de
notre pays en dilapidant les années de croissance.
Au passage, vous escamotez, un tout petit peu, la situation que nous avons
trouvée - rassurez-vous, je ne m'attarderai pas sur ce sujet, douloureux pour
vous - et vous escamotez le chemin parcouru. Envolés les résultats de la
croissance ! Envolés les résultats de l'emploi ! Balayées les comparaisons
internationales flatteuses pour notre pays ! Ne demeure donc qu'une incroyable
impression de pessimisme, une absence de confiance en l'avenir, à l'exception
de M. Gérard Larcher, seul à avoir bien voulu rappeler qu'au fond l'euro était
porteur d'espoir et de bienfaits. Mais, à part chez lui, c'est un formidable
sentiment de pessimisme qui se dégage de vos propos, ainsi qu'une propension à
traiter les risques qui pèsent sur la conjoncture, au demeurant bien réels,
comme une catastrophe déjà survenue.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Notre collègue Gérard Larcher n'en revient pas du compliment !
M. Gérard Larcher.
Ne soyez pas jalouse, chère collègue !
(Sourires.)
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Prenez garde, mesdames, messieurs les sénateurs : il y
a une différence entre magicien et jeteur de sorts !
Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, je me souviens de
l'état d'esprit dans lequel j'étais il y a un an, à la même époque, lorsque je
défendais le projet de loi de finances pour 2001.
L'année dernière, en effet, la majorité sénatoriale nous expliquait déjà qu'il
fallait diminuer davantage les impôts, tous les impôts. Aucun n'avait été
oublié : l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur les
grandes fortunes. Il fallait également dépenser moins tout en renforçant
l'effort de défense. Je ne doute pas que vous nous le direz cette année encore.
Il fallait aussi accroître les prélèvements en faveur des collectivités
locales, débat que nous aurons mardi prochain et, à cette occasion, vous aurez
l'occasion de vérifier que votre demande a été entendue. Il fallait enfin
réduire davantage les déficits.
Déjà l'année dernière, je m'interrogeais : « Mais comment font-ils donc pour y
parvenir de manière réaliste, sans mettre les Français dans la rue ? »
Evidemment, aujourd'hui, le suspens est un peu moins intense, car, monsieur le
rapporteur général, sans préjuger la manière dont vous allez résoudre cette
année encore cette équation impossible, si, comme l'an dernier, vous refusez
toutes les mesures nouvelles de l'ensemble des budgets et si vous entendez
boucler ce budget grâce, peut-être, à une augmentation de la fiscalité sur le
tabac du même ordre de grandeur que celle de l'année dernière - je rappelle le
chiffre : il s'agisait d'une augmentation de 132 milliards de francs -, alors,
je tiens à vous le dire, vous ne faites même plus illusion !
Vous avez, cette année, marqué une fois encore votre appétit - honteux, mais
appétit quand même -, pour la dépense.
Un débat s'est ouvert entre vous-même et plusieurs orateurs sur la question de
la fonction publique. Je ne ferai de procès de chiffres à personne, mais vous
avez raison, monsieur le rapporteur général, de vous montrer de plus en plus
prudent au fur et à mesure que vous êtes interrogé sur vos intentions
éventuelles en ce qui concerne le remplacement des fonctionnaires qui partent à
la retraite.
Pour votre information, et sans préjuger les réponses de fond que vous
pourriez apporter au problème soulevé, je précise que ne pas remplacer un
fonctionnaire sur deux qui partent à la retraite signifie 25 000 emplois de
moins. Et même si vous remplaciez trois fonctionnaires sur quatre qui partent à
la retraite, cela signifierait déjà 12 500 emplois de moins.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Trois sur quatre ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Alors, quel que soit votre chiffre...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'est pas ce que j'ai préconisé.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je n'ai pas dit que vous aviez préconisé quoi que ce
soit.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je me suis simplement livré à des comparaisons !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
J'ai souligné l'extrême prudence qui avait été la
vôtre, extrême et croissante au fil de l'après-midi !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je n'ai pas changé d'opinion depuis ce matin !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Bref, quel que soit votre chiffre, il faut non pas
s'en tenir aux slogans mais au contraire expliquer aux élus, et élus, vous
l'êtes, combien cela représente d'implantations locales de l'Etat en moins ; il
faut expliquer aux parents d'élèves combien cela représente de classes en moins
; il faut expliquer à nos concitoyens de combien de policiers, de combien de
magistrats, de combien de gardiens de prison vous souhaitez priver la nation
(Exclamations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Elle est bien bonne !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Nous avons fait d'autres choix, vous le savez, celui
de la transparence en matière d'effectifs et celui de la concertation en
matière de négociations salariales. Je n'y reviendrai pas.
Vous souhaitez unanimement, ce dont je me réjouis personnellement, que
l'effort public de développement soit accru. Je m'en réjouis parce que, en
effet, nous nous étions beaucoup plaints, à une certaine époque, des sacrifices
dont l'aide publique au développement avait été victime. Mais j'aurais aimé,
monsieur le président, que vous rappeliez quand ces sacrifices ont été faits
car, quand on fait des comparaisons, encore faut-il qu'elles soient complètes.
Or les sacrifices ont eu lieu entre 1994 et 1997, c'est-à-dire au titre des
quatre derniers budgets préparés par la droite. Or, pour ne citer qu'un
chiffre, sur ces quatre anneés, les flux d'aides publiques au développement ont
diminué de 10 milliards de francs. Alors, je suis ravie que vous souhaitiez
leur augmentation ; c'est d'ailleurs le sens de notre action depuis deux
ans.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Pourquoi continuer à diminuer ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Et j'aurais aimé que vous puissiez aussi le dire.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous sommes aujourd'hui à un niveau plus bas qu'en
1997 !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Notre approche de la dépense, vous la connaissez :
nous fixons un objectif de dépenses et nous nous y tenons, quelle que soit la
conjoncture.
C'est ce que nous avons fait depuis quatre ans et la norme a été respectée, en
dépit des chiffres très farfelus qui ont été cités cet après-midi, certains
confondant notamment, dépenses et remboursements de TVA. Cette conception de la
dépense ne reflète pas, je dois le dire, celle de M. le rapporteur général :
nous avons eu longuement l'occasion de nous en expliquer lors du débat sur la
réforme de l'ordonnance organique, et il a raison. Le Conseil constitutionnel
en effet a validé son approche.
La norme de dépenses de l'Etat a donc été respectée et les priorités de ce
gouvernement ont été financées, pour l'essentiel, par des redéploiements.
Nous avons redéployé, au cours de cette période, près de 26 milliards d'euros
de dépenses, ce qui ne me semble pas être une preuve de rigidité. Les budgets
prioritaires, vous le savez, ont augmenté en valeur deux fois plus vite que la
moyenne des dépenses de l'Etat. C'est aussi une preuve de volontarisme.
Cette politique de la dépense est, à mes yeux, pleinement justifiée. Il n'est,
en effet, pas du tout dans notre intention de sabrer dans les dépenses lorsque
la conjoncture n'est pas aussi bonne qu'elle l'a été. La dépense publique ne
doit pas être la variable d'ajustement, car, contrairement à d'autres, nous
estimons que, lorsque les Français ont des difficultés, ils ont besoin d'être
plus soutenus. A l'inverse, nous n'avons jamais relâché la maîtrise des
dépenses. Vous verrez, lors du prochain débat sur le projet de loi de finances
rectificative pour 2001, que, pour cette année comme pour les autres, la norme
de dépenses sera tenue.
C'est cette politique de maîtrise de la dépense qui nous a permis, en effet,
de réduire et les déficits et les impôts. Comment ? Tout simplement en faisant
évoluer la dépense de l'Etat moins vite, nettement moins vite que la richesse
nationale. En 2002, le poids des dépenses publiques rapporté à la richesse
nationale aura atteint son point le plus bas de ces dix dernières années. Quand
j'entends dire sur certaines travées de cette assemblée que le déficit n'a pas
été réduit, j'en conclus que notre dialogue n'est même pas un dialogue de
sourds : de votre part, cela relève de l'imprécation.
Que vous souhaitiez un débat sur l'usage des fruits de la croissance, soit ;
mais je ne comprends pas que vous contestiez que la politique économique menée
par le Gouvernement ait accompagné une croissance renaissante en 1998. Il vous
faut faire le tri entre vos arguments : vous ne pouvez pas dire à la fois que
le Gouvernement a une « chance insolente » quand la conjoncture est bonne et,
quand elle est moins bonne, en rejeter toute la faute sur sa politique
économique. Ce n'est pas tout à fait cohérent !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'est pas ce que nous avons dit.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
La vérité, vous le savez bien, c'est qu'en 1997 la
croissance était, si je puis dire, prête à éclore, mais que d'aucuns ne
l'avaient pas forcément vu.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Parlons plutôt de 2002 !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Pour qu'elle puisse éclore, il fallait qu'on ne
l'étouffe pas, et c'est ce à quoi le Gouvernement s'est efforcé. Nous avons
accompagné la croissance, nous l'avons entretenue de toutes nos forces pendant
ces cinq années. La vérité, c'est aussi que le déficit de l'Etat a diminué de
près de 80 milliards de francs depuis 1997.
J'ai entendu une autre accusation, qui n'est pas nouvelle puisqu'elle revient
budget après budget : le projet que nous vous présentons ne serait pas sincère.
Là encore, j'ai du mal à vous suivre. Chacun ici s'accorde à reconnaître que la
prévision est un art difficile.
M. Yves Fréville.
Tout à fait !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je n'aurai pas la cruauté de rappeler ce que certains
d'entre vous avaient pu prédire - et qui ne s'est pas nécessairement réalisé -
heureusement, d'ailleurs, pour l'économie française.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
En 1992 !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Mais quand on se trouve dans une situation incertaine,
voire particulièrement incertaine, comme en ce moment, on se doit de rester
prudent dans son expression.
Les Français n'attendent pas de la représentation nationale qu'elle joue les
Cassandre : ils attendent des responsables politiques qu'ils tracent le chemin,
surtout lorsque les obstacles surgissent.
En ce domaine, le Gouvernement a une responsabilité particulière, et vous le
savez mieux que personne.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Celle d'être crédible !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Le budget est un acte fondamental qui indique une
direction ; la nôtre, c'est la croissance. J'ai déjà expliqué, lors des
réunions de la commission des finances, pourquoi nous avions fait ce choix d'un
taux de croissance de 2,5 % pour 2002 et pourquoi nous l'avions maintenu après
le 11 septembre.
Laurent Fabius et moi-même avons présenté le 16 octobre dernier, au nom du
Gouvernement, un plan de consolidation de la croissance. Le terme est tout sauf
innocent. Il traduit notre volonté de nous donner les meilleures chances
d'atteindre ce qui est à nos yeux, non pas une simple prévision - car nous ne
réviserons pas nos prévisions mois après mois, comme le font les instituts de
conjoncture - mais un objectif économique, et donc un objectif politique. Comme
je crois avoir l'habitude de pratiquer la transparence avec la représentation
nationale, je vous dirai où nous en sommes aujourd'hui. Peut-être Laurent
Fabius l'a-t-il fait ce matin, aussi serai-je brève.
Pour 2001, il est certain - et cela ne relève ni de prévisions ni de
conjectures - que la croissance française sera au moins de 2 %. Il est donc
acquis que la France réalisera en 2001, comme les années précédentes, une
performance nettement meilleure que celle de ses voisins, et je dis cela non
pas pour me réjouir du sort de nos amis et partenaires, mais pour constater le
fait.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Elle sera cependant moins bonne que prévu !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Pour 2002, nous avions souligné, en effet, qu'il y
avait des risques, et nous les avions énumérés.
Le premier était le prix du pétrole, qui, depuis, a baissé de 30 %.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Tout va bien !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Cela équivaut à une augmentation de 60 milliards de
francs du revenu national en un an. Certes, tout risque n'est pas conjuré, mais
je constate la situation présente, au moment où nous parlons.
Les marchés boursiers, qui constituaient le deuxième risque, ont effectivement
enregistré des pertes sévères, mais aujourd'hui elles ont été plus que
rattrapées, en partie grâce à la réaction des autorités monétaires, tant en
Europe qu'aux Etats-Unis. L'argent est moins cher, et c'est aussi un élément
favorable à l'activité économique en 2002.
Enfin, il y avait le risque psychologique. A l'heure actuelle, on peut dire
que, si la confiance des entrepreneurs et des ménages a, en effet, « accusé le
coup » en septembre et en octobre, ce pessimisme ne se retrouve pas dans les
chiffres, d'après les derniers éléments que nous avons pu collecter en matière
d'opérations économiques rélles - il ne s'agit plus là d'indices de
confiance.
En résumé, oui, les aléas sont à la baisse, et clairement. Dès lors, il n'y a
pas lieu de verser dans la « sinistrose » : la probabilité d'une reprise en
2002 est, je le crois, plus forte aujourd'hui qu'elle ne l'était au lendemain
des attentats.
Je terminerai par les baisses d'impôts. Tout d'abord - j'espère que vous ne
m'en voudrez pas -, je répondrai à ce qui est devenu l'un de vos classiques :
les impôts n'auraient pas diminué, ils auraient même augmenté, puisque leur
produit a augmenté.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est le « théorème de DSK » !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
C'est en effet ce que vous appelez le théorème de DSK.
Manifestement, bien qu'il soit très pédagogue, Dominique Strauss-Kahn ne l'a
pas été suffisamment !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il est passé trop vite !
(Sourires.)
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je vais donc m'essayer une fois de plus à cette
pédagogie, car on ne se lasse pas de ce qui, de mon point de vue, est plutôt un
sophisme qu'un théorème.
Vous le savez comme moi, le produit des impôts dépend de leur taux et de leur
assiette.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Jusque-là, nous suivons.
(
Sourires.)
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Donc, si leur taux n'augmente pas mais que leur
assiette est élargie, le produit augmente. C'est exactement ce qui s'est passé.
Dans un premier temps, nous n'avons pas augmenté les impôts et, dans un
deuxième temps, nous les avons même baissés, j'y reviendrai dans un instant.
Quoi qu'il en soit, l'assiette s'est élargie. Il faut s'en réjouir, car c'est
le signe que l'économie française se porte bien. Et dire, comme vous l'avez
fait - peut-être sous forme de pirouette, monsieur le président de la
commission ! - que les impôts avaient augmenté de 600 milliards de francs
depuis 1997...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est leur produit qui a
augmenté !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Vous ne l'aviez pas précisé !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Aidez-moi, complétez mes propos
!
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je rétablis donc votre propos. Je suis prête à dire
que les impôts ont augmenté de 600 milliards de francs, alors même que nous en
avons réduit le taux et que nous avons même supprimé certains d'entre eux.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On aurait donc pu les réduire davantage !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je voudrais répondre à une autre critique : le
Gouvernement commettrait une grave erreur, car il ferait jouer aux baisses
d'impôts un rôle de variable d'ajustement de la politique économique. Eh bien,
non ! Pourquoi ?
Voilà un an, nous avons présenté un plan triennal de baisse des impôts qui
portait sur 110 milliards de francs. Nous l'avons appliqué en 2001, et nous
l'appliquerons en 2002 tel qu'il a été annoncé.
Je ne peux donc pas penser une minute que vous croyiez à ce que vous dites. Si
le Gouvernement utilisait la politique fiscale comme variable d'ajustement, il
se serait empressé, face à une conjoncture que vos décrivez de manière aussi
pessimiste, d'interrompre ces baisses d'impôts. Il ne l'a pas fait. Pourquoi ?
Parce qu'il pense qu'elles contribueront à restaurer la confiance, donc
qu'elles serviront la croissance.
En 2002, nous doublerons la prime pour l'emploi.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
En creusant le déficit !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Nous allons même commencer dès 2001, puisque, dès la
fin de cette année, les Français pourront percevoir un complément de prime pour
l'emploi égal à ce que les huit millions de personnes qui en ont bénéficié en
septembre ont perçu.
Ce sont au total 10 milliards d'euros de baisse d'impôts qui auront été mis en
oeuvre, et pour 2002 - le chiffre a été cité - ce sera près de 6 milliards
d'euros.
En conclusion, je vous propose de méditer ensemble, monsieur le président de
la commission, monsieur le rapporteur général, cette phrase de Marcel Proust :
« Agir est bien autre chose que parler avec éloquence, voire même penser avec
ingéniosité. »
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est une bien belle citation !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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