SEANCE DU 21 NOVEMBRE 2001
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 5, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 371-2 du code civil est ainsi rédigé :
«
Art. 371-2.
- Chacun des parents contribue à l'entretien et à
l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre
parent, ainsi que des besoins de l'enfant.
« Cette obligation ne cesse pas lorsque l'enfant est majeur s'il poursuit
effectivement ses études. »
Le sous-amendement n° 114 rectifié, présenté par Mme Olin et M. Gournac, est
ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 5
pour l'article 371-2 du code civil :
« ... - Chacun des parents est tenu de contribuer à l'entretien et l'éducation
de chacun de leurs enfants. Le budget d'entretien et d'éducation de chaque
enfant est établi en fonction de ses besoins et comporte notamment, le cas
échéant, les charges liées au déplacement entre les domiciles des deux parents.
La contribution de chacun des parents à ce budget est fixée à proportion de
leurs ressources respectives, les charges étant déduites. »
Le sous-amendement n° 82, présenté par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du
groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
« Compléter
in fine
le second alinéa du texte proposé par l'amendement
n° 5 par les mots : "ou sur justificatif de ses besoins". »
L'amendement n° 87 rectifié, présenté par MM. Darniche et Seillier, Mme
Desmarescaux et M. Natali, est ainsi libellé :
« Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 371-2 du code civil est ainsi rédigé :
«
Art. 371-2.
- Chacun des parents contribue à l'entretien et à
l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre
parent, ainsi que des besoins de l'enfant.
« Sauf meilleur accord des parties, la contribution est versée, les années
paires et impaires, en alternance avec les parts fiscales relevant du quotient
familial.
« Cette obligation ne cesse pas lorsque l'enfant est majeur s'il poursuit
effectivement ses études. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 5.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
L'amendement n° 5 a deux objets.
Il vise tout d'abord à changer la place de l'article relatif à la contribution
à l'entretien et à l'éducation des enfants. Cette contribution est liée non pas
à l'exercice de l'autorité parentale, mais au fait même d'être parent : celui
des parents qui n'exercerait pas son autorité parentale pour quelque raison que
ce soit ne serait pas pour autant dispensé de contribuer à l'entretien et à
l'éducation de ses enfants. Il nous a donc semblé nécessaire de faire figurer
cet article dans cette partie du texte et non dans celle qui concerne
l'exercice de l'autorité parentale.
L'amendement n° 5 tend par ailleurs à prévoir que l'obligation de contribution
à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ne cesse pas « lorsque l'enfant est
majeur s'il poursuit effectivement des études ». Cette formule est proche de
celle de la jurisprudence. Elle réaffirme clairement la distinction entre,
d'une part, l'obligation alimentaire, qui est réciproque entre les parents et
les enfants et qui ne cesse jamais quel que soit l'âge des uns et des autres,
et, d'autre part, la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants,
d'une nature différente, qui suppose que l'éducation se poursuive et qui
justifie donc que l'on demande la poursuite effective d'études.
M. le président.
La parole est à Mme Olin, pour présenter le sous-amendement n° 114
rectifié.
Mme Nelly Olin.
Je le retire.
M. le président.
Le sous-amendement n° 114 rectifié est retiré.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour présenter le sous-amendement n°
82.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Si nous sommes parfaitement d'accord avec la rédaction proposée par la
commission pour le premier alinéa de l'article 371-2 du code civil, il n'en va
pas de même s'agissant du second alinéa. Tout à l'heure, dans la discussion
générale, nous avons d'ailleurs expliqué le problème posé par le second alinéa
proposé par la commission : « Cette obligation ne cesse pas lorsque l'enfant
est majeur s'il poursuit effectivement ses études. »
Comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises, il ne s'agit pas ici d'un problème
politique ; il s'agit de savoir ce qu'est le droit actuel et ce qu'il serait si
ce texte était adopté.
Actuellement, selon l'interprétation jurisprudentielle de l'article 295 du
code civil, la pension continue à être due lorsque l'enfant devient majeur, de
telle manière que, en l'état actuel des choses, c'est à celui qui paie la
pension de saisir le juge s'il demande la suppression de la pension
alimentaire.
Comme le texte actuel, l'amendement n° 5 prévoit que la pension continue à
courir, mais dans le seul cas où l'enfant fait effectivement des études.
Que se passera-t-il si le jeune majeur a terminé ses études, mais reste à la
charge d'un de ses parents parce qu'il ne trouve pas de travail ? Si la
rédaction proposée par la commission est adoptée, le versement de la pension
cessera. L'enfant ne pourra alors qu'aller devant le tribunal d'instance pour
demander des aliments à son père ou à sa mère. Or, le Sénat n'a tout de même
pas l'intention de pousser les enfants à attaquer leur père et leur mère en
justice !
C'est pourquoi nous proposons d'ajouter à la formule de la commission - «
Cette obligation ne cesse pas lorsque l'enfant est majeur s'il poursuit ses
études » - les mots : « ou sur justificatif de ses besoins ». Jusqu'à quand, me
direz-vous ? Jusqu'à ce que cette obligation soit supprimée, que l'enfant ne
puisse plus justifier qu'il ne trouve pas de travail ou qu'il soit considéré
comme un fainéant qui ne veut pas travailler ; cela ne l'empêchera pas, à ce
moment-là, de pouvoir demander des aliments, mais la pension alimentaire sera
supprimée.
Il nous paraît très important, alors que notre pays compte deux millions de
chômeurs et que nombre de jeunes ne trouvent pas d'emploi même s'ils veulent
travailler, de ne pas décider que la pension cesse le jour où les enfants ont
dix-huit ans, ce qui les entraînerait à attaquer leurs parents. Or, ce n'est
pas ce que vous souhaitez ! Nous insistons donc, mes chers collègues, pour que
vous acceptiez le sous-amendement n° 82.
M. le président.
L'amendement n° 87 rectifié n'est pas soutenu.
Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 82 ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Ce sous-amendement est en contradiction avec les explications
que je viens de fournir sur l'amendement n° 5. La commission estime qu'il ne
supprime pas l'intervention judiciaire, car la poursuite du versement d'une
pension, quelle qu'en soit la nature, au-delà de la durée des études
entraînera, lorsque les parties seront en désaccord, une intervention du
juge.
Je suis obligé de rappeler que la pension alimentaire n'est pas liée à l'âge
de l'enfant. Notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt ne fixe pas, lui non plus,
de limite d'âge. Il s'agit donc non pas d'une pension alimentaire, mais d'une
contribution à l'entretien et à l'éducation. Or, pour qu'il puisse y avoir
contribution à l'éducation, encore faut-il qu'il y ait éducation ! La meilleure
façon de caractériser cette dernière est encore de faire allusion aux
études.
La commission émet donc un avis défavorable sur le sous-amendement n° 82.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 5 et sur le
sous-amendement n° 82 ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 5
modifié par le sous-amendement n° 82.
Je voudrais rappeler brièvement que nous partons d'un texte adopté par
l'Assemblée nationale selon lequel l'obligation « perdure, en tant que de
besoin, lorsque l'enfant est majeur ».
Ce principe inscrit dans le droit par l'Assemblée nationale résulte d'une
jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle un parent
débiteur d'une pension alimentaire n'a pas à interrompre de façon unilatérale
le versement de celle-ci sous le seul prétexte que l'enfant devient majeur. Il
appartient aux parents de prouver soit que l'enfant travaille, soit qu'il est
majeur et...
M. Hilaire Flandre.
Qu'il a un poil dans la main !
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée
... qu'il n'a plus à bénéficier de la pension
alimentaire.
La commission des lois propose de restreindre ce principe uniquement au cas où
l'enfant poursuit ses études. Ce système présente l'inconvénient de créer des
jeunes à plusieurs vitesses. Ainsi, les jeunes qui poursuivent leurs études
bénéficieraient de plein droit de la continuité du versement de la pension ;
les autres, soit parce qu'ils sont en stage d'insertion et ne perçoivent que de
petits revenus, soit parce qu'ils sont au chômage, soit parce qu'ils sont
handicapés à la suite d'un accident et qu'ils ne poursuivent pas effectivement
leurs études, n'en bénéficieraient plus.
Le dispositif proposé par la commission, même modifié par M. Dreyfus-Schmidt,
introduit une restriction par rapport au texte adopté par l'Assemblée
nationale. Par conséquent, le Gouvernement émet un avis favorable sur
l'amendement n° 5 de la commission des lois, à condition qu'il soit modifié par
le sous-amendement n° 82, pour permettre à certains jeunes qui résident encore
au domicile familial de ne pas voir interrompre brutalement le versement de la
pension et de ne pas se retrouver à la charge du parent qui bénéficiait, par
l'intermédiaire de son enfant majeur, de cette pension alimentaire.
M. le président.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 82.
Mme Dinah Derycke.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Personnellement, j'ai été très choquée lorsque M. le rapporteur a présenté son
amendement en commission. Nous risquons, en effet, de créer deux catégories de
jeunes.
La première regrouperait ceux qui poursuivront des études, sans précision
d'âge. Or certaines études sont très longues. Quelquefois aussi des étudiants
redoublent ou triplent : dans certaines facultés, on trouve ceux qu'on appelle
« les petits doyens » parce qu'ils sont là depuis déjà un certain temps ! Vous
avez tous connu de tels personnages.
M. Henri de Raincourt.
Absolument !
Mme Dinah Derycke.
La seconde catégorie comprendrait les jeunes des quartiers en difficulté.
Ceux-ci quittent souvent l'école à seize ou à dix-sept ans et se trouvent,
comme on dit aujourd'hui, « dans les galères ». Parfois, ils se voient offrir
des stages d'insertion ; tel est l'objet du programme TRACE, Trajet d'accès à
l'emploi. Mais ils doivent souvent attendre plusieurs mois. Et l'on voudrait
qu'à dix-huit ans ils n'aient plus droit à une pension alimentaire !
Ils peuvent, bien sûr, saisir les tribunaux pour obtenir une aide alimentaire.
Mais ces jeunes en difficulté, qui ont quitté l'école à seize ans, vont-ils
ainsi, tout naturellement, se rendre devant un juge d'instance pour réclamer
des aliments à leurs parents ? Comme M. Dreyfus-Schmidt l'a souligné, ce n'est
pas la meilleure façon de concevoir les relations familiales ! Par ailleurs,
vous en conviendrez, mes chers collègues, de telles pratiques ne sont pas
particulièrement en vigueur dans ces milieux !
La disposition qui nous est proposée constitue donc un véritable recul par
rapport à la jurisprudence de la Cour de cassation. Or, mes chers collègues,
j'en appelle à vous, il n'est pas concevable que le Sénat recule sur un
problème aussi fondamental pour les jeunes en difficulté.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Je ne puis laisser dire que notre proposition constitue un
recul par rapport à la situation actuelle. La rédaction de la commission ne
supprime nullement l'obligation alimentaire, qui doit être spontanée. Par
conséquent, si les juridictions venaient à être saisies, elles seraient fondées
à stigmatiser celui des parents qui aurait cessé tout paiement et toute aide à
un enfant alors que la situation de celui-ci justifie qu'il reçoive des
aliments. Je ne pense pas que cela change en quoi que ce soit la situation des
enfants en difficulté.
En revanche, le jeune qui aura poursuivi des études d'ingénieur, lesquelles,
comme on le sait, sont des études chères, qui peuvent coûter jusqu'à 2 500
francs par mois, sera encore à la charge de ses parents à la fin de sa
formation. Ceux-ci continueront à l'aider dans son entretien, mais sûrement
plus dans son éducation. Dès lors, l'obligation d'entretien et d'éducation
cesse au profit des aliments. Il n'y a aucun risque de distorsion.
De toute façon, cet amendement n'est pas d'ordre politique comme le prétendait
tout à l'heure M. Dreyfus-Schmidt ; il est simplement juridique.
M. le président.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 82, repoussé par la commission et
accepté par le Gouvernement.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 5 ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Inciter un enfant à attaquer en justice l'un de ses auteurs me paraît une
manière singulière de défendre la famille. C'est invraisemblable !
Heureusement, ce texte est en navette. Le dernier mot n'est donc pas dit.
Je constate tout de même que la majorité sénatoriale unanime pense qu'un
enfant dans le besoin âgé de dix-huit ans n'a plus à recevoir de pension
alimentaire. Il doit la réclamer lui-même en justice ! Bravo !
Nous voterons évidemment contre l'amendement.
M. Hilaire Flandre.
C'est une interprétation scandaleuse !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Je considère qu'un jeune de dix-huit ans qui poursuit ses études a droit à la
contribution de ses parents.
Mais, si mon enfant est dans la détresse, je n'ai pas besoin de loi pour lui
donner quelque chose. Et si dans la famille française, la relation mère-enfant
relève désormais de procédures, si l'on en est arrivé au stade où il faut
légiférer pour qu'un père ou une mère aide spontanément son enfant en
difficulté,...
M. Henri de Raincourt.
C'est grave !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
... alors je ne peux que me féliciter de vivre outre-mer ! De telles
situations sont impensables chez moi !
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Les propos de certains de nos collègues me gênent dans la mesure où ils
mélangent la pension alimentaire, la participation à l'entretien et
l'obligation alimentaire. A un moment, on parle de l'obligation alimentaire et,
à un autre, de la participation à l'entretien.
A partir du moment où l'enfant est majeur, on pourrait considérer que tout
cela cesse. On pourrait même parfaitement admettre que les parents n'ont pas à
apporter leur contribution à l'enfant majeur qui poursuit des études.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, je comprends votre position. Mais le parent peut
estimer qu'il n'a plus de raison de continuer à contribuer à l'entretien de son
enfant parce qu'il pourrait travailler, voire parce qu'il travaille.
Evidemment, je ne parle pas de l'obligation alimentaire. Au demeurant, comme
l'a dit Mme Michaux-Chevry, dans les deux cas, il peut y avoir procès.
En tout cas, mélanger les deux notions, l'obligation d'entretien et
d'éducation, d'une part, l'obligation alimentaire, d'autre part, ne me semble
pas de nature à éclaircir les situations familiales.
C'est pourquoi je voterai l'amendement de la commission, tout en
reconnaissant le bien-fondé de votre position, monsieur Dreyfus-Schmidt. Mais
votre proposition ne réglera en rien le problème posé.
Mme Dinah Derycke.
Comment le réglez-vous alors ?
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 2.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux. Nous les
reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une
heures cinquante, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)