SEANCE DU 23 OCTOBRE 2001
M. le président.
« Art. 8. - I. - Les collections des musées de France sont
imprescriptibles.
« II. - Les collections des musées de France appartenant à une personne
publique sont inaliénables. Les oeuvres des artistes vivants ne deviennent
inaliénables qu'à l'issue d'un délai de trente ans à compter de
l'acquisition.
« Toutefois, une personne publique peut transférer, à titre gratuit, la
propriété de tout ou partie de ses collections à une autre personne publique si
cette dernière s'engage à en maintenir l'affectation à un musée de France. Le
transfert de propriété est approuvé par le ministre chargé de la culture et, le
cas échéant, par le ministre intéressé, après avis du Conseil des musées de
France. Les dispositions du présent alinéa ne sont pas applicables aux biens
remis à l'Etat en application des articles 1131 et 1716
bis
du code
général des impôts.
« III. - Les collections des musées de France appartenant aux personnes
morales de droit privé à but non lucratif ne peuvent être cédées, en tout ou
partie, à titre gratuit ou onéreux, qu'aux personnes publiques ou aux personnes
morales de droit privé à but non lucratif qui se sont engagées, au préalable, à
maintenir l'affectation de ces collections à un musée de France. La cession ne
peut intervenir qu'après approbation du ministre chargé de la culture et, le
cas échéant, du ministre intéressé, donnée sur avis du Conseil des musées de
France.
« Les collections mentionnées à l'alinéa précédent sont insaisissables à
compter de l'accomplissement des mesures de publicité prévues à l'article 3.
« IV. - Toute cession portant sur tout ou partie d'une collection d'un musée
de France effectuée en violation des dispositions du présent article est nulle.
Les actions en nullité ou en revendication peuvent être exercées à toute époque
tant par l'Etat que par la personne morale propriétaire des collections. »
Sur l'article, la parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, j'ai fait mon service militaire dans l'artillerie et je
pense qu'elle est la reine des batailles. J'enfoncerai donc à nouveau le clou
sur l'inaliénabilité des collections des musées, qui est révélatrice de
problèmes très profonds, et je le ferai encore en défendant l'amendement.
M. le président.
Nous voilà prévenus !
M. Ivan Renar.
Je le ferai sans abuser du temps de nos collègues !
M. Hilaire Flandre.
Et sans illusion !
M. Ivan Renar.
L'article 8 du texte initial renforçait l'inaliénabilité des collections des
musées de France. Mais l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui crée
une exception sans précédent dans le droit français pour les oeuvres d'artistes
vivants : ces oeuvres ne deviendraient inaliénables que trente ans après leur
acquisition, et ce pour les motifs peu convaincantes - problèmes de stockage et
de restauration, caractère figé des collections - et s'apparentant plutôt à des
prétextes.
Selon moi, cet amendement de l'Assemblée nationale est très dangereux, au
moins pour trois raisons.
Il est dangereux, en premier lieu, pour les collections et le public des
musées. Les risques de dispersion d'un patrimoine difficilement remplaçable
seraient considérables.
Et je n'ose pas imaginer les effets qu'aurait pu avoir une telle mesure dans
le passé. Les oeuvres achetées par un certain nombre de musées, qui pouvaient
être très controversées à une certaine époque - je pense à celles d'artistes
comme Picasso ou Dubuffet, des surréalistes ou des cubistes - auraient été
revendues rapidement, ce qui aurait entraîné des pertes considérables sur le
plan artistique et financier et impossibles à réparer compte tenu de l'envolée
des prix qui a suivi.
Même s'il est difficile de prévoir l'évolution du jugement de la postérité,
les achats d'oeuvres contemporaines resteront des témoignages de l'histoire du
goût qu'il est important de préserver. L'histoire tranchera, c'est son rôle. En
revanche, aliéner des oeuvres, c'est s'interdire leur transmission.
Pourquoi un délai de trente ans ? Pourquoi pas deux cents ans ? Cela
permettrait de brader Delacroix dans les mêmes conditions !
Un tel délai présente un risque réel très grave - c'est la deuxième raison -
en matière de sécurité et de déontologie des achats. Les musées, les artistes,
les galeries d'art seraient entraînés dans une spirale spéculative contraire à
l'esprit des interventions des musées de France sur le marché de l'art.
Les musées ou, par exemple, les fonds régionaux d'art contemporain, les FRAC,
participent à l'activité du marché de l'art uniquement par leurs capacités
financières et leurs choix d'achats, et non par leurs ventes ou leurs reventes.
Mais tout le monde reconnaît qu'il n'y a aucun aspect mercantile.
Enfin - c'est la dernière raison - alors que la reconnaissance à sa juste
valeur de l'art contemporain français au niveau international est souvent
difficile, comme je l'ai dit dans mon intervention liminaire, l'amendement de
l'Assemblée nationale porte, dans les faits, un mauvais coup aux artistes
français en faisant peser un doute sur leur talent, sur la compétence et la
professionnalisation des personnes qui composent les comités d'acquisition
ainsi que sur le bien-fondé des avis rendus par l'Etat en application de la
loi.
Si l'on peut regretter trop souvent, et je ne suis pas le dernier à le faire,
sa pingrerie, l'Etat, surtout dans ce domaine, est servi par des hommes et des
femmes dont la compétence et le dévouement, je peux en témoigner, sont
remarquables.
Voilà ce que je voulais vous dire, madame la ministre, sur cette partie de
l'article 8, mais je crois que nous sommes d'accord.
M. le président.
La parole est à Mme Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin.
D'autres que moi se sont faits les avocats des conservateurs, des artistes et
des donateurs pour dire la confiance sans faille que leur donnait
l'inaliénabilité des oeuvres. L'orateur précédent vous a parlé des goûts, des
choix artistiques du moment et des risques liés au phénomène de mode.
Le Sénat représentant les collectivités, je veux vous dire, moi, que les legs
nordistes des grandes fortunes du textile et de leurs mécènes éclairés - ces
tableaux de Léger, de Matisse, de Modigliani ou de Goya - ne seraient plus dans
les musées des communes du Nord s'ils avaient été vendables ou négociables !
Voilà vingt ans, dix ans, au coeur de la crise, ces communes ne bouclaient plus
leur budget et réduisaient leurs aides aux musées. Croyez-vous que la tentation
n'aurait pas été grande de mettre en vente un tableau ? Seule l'inaliénabilité
a protégé ces collections.
Je veux aussi vous dire l'émotion des ethnologues, qui savent que chaque objet
mérite d'être sans cesse réétudié par les chercheurs en quête de nouvelles
théories. Nous n'avons pas le droit de les en priver et de geler la
connaissance au motif que l'un d'eux, autrefois, aurait déjà donné son
interprétation d'une mâchoire ou d'un outil.
Et que signifierait l'actualisation des collections techniques ? Irait-on
vendre l'imprimerie de Gutenberg au motif qu'on a maintenant des logiciels ?
Faire rentrer dans l'espace marchand les collections, c'est renoncer à la
mission de service public des musées, c'est prendre le risque qu'un Monet ne
finance un périphérique. Monsieur Richert, vous avez tenté, par un amendement,
de renvoyer cette inaliénabilité vers des lois domaniales qui s'appliquent à
une autre forme de patrimoine. Dans mon département, les écoles, les communes
les vendent aussi ! Ce n'est donc pas suffisant.
M. le président.
Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 24, présenté par M. Richert, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Rédiger ainsi le premier alinéa du paragraphe II de cet article :
« Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une
personne publique font partie de leur domaine public. Toute décision de
déclassement d'un de ces biens ne peut être prise qu'après avis conforme
d'instances scientifiques dont la composition et les modalités de
fonctionnement sont fixées par décret. »
Les quatre amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 47 est présenté par MM. Lagauche, Vidal et Weber, Mme Blandin
et les membres du groupe socialiste.
L'amendement n° 53 est présenté par le Gouvernement.
L'amendement n° 67 est présenté par M. Joly.
L'amendement n° 72 est présenté par MM. Renard et Ralite, Mme David, M. Autain
et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous quatre tendent à supprimer la seconde phrase du premier alinéa du II de
l'article 8.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 24.
M. Philippe Richert,
rapporteur.
Nous l'avons tous compris, nous abordons, avec cet article,
un point particulièrement sensible.
Je reviendrai tout à l'heure sur les raisons pour lesquelles la commission a
décidé à l'unanimité de rejeter les dispositions prévues par l'Assemblée
nationale. Je veux d'abord clarifier un point.
Quand nous affirmons que nous voulons porter atteinte au principe
d'inaliénabilité, nous proposons en fait le maintien des règles existantes en
les assortissant d'un certain nombre de précautions.
Comme Mme la ministre l'a souligné cet après-midi dans son propos liminaire,
ces règles, qui sont celles de la domanialité publique, ont permis, en un
siècle, d'éviter des cessions dont nous aurions aujourd'hui à rougir.
En outre, nous demandons que toute décision de soustraire un objet de la
collection de cette domanialité soit soumise à une instance scientifique,
c'est-à-dire à des experts.
Les garanties supplémentaires que nous édictons ont pour objet d'éviter toute
dérive, afin que les craintes des uns et des autres ne soient que des
cauchemars.
Faut-il pour autant prévoir une clause d'inaliénabilité totale ? Je le pense
d'autant moins que ces précautions sont suffisantes pour garantir l'absence de
dérive. En outre, elles offrent une possibilité de respiration aux collections
en permettant non pas de revendre des oeuvres contemporaines acquises au cours
des trente dernières années, mais de donner suite, en cas de nécessité, en
rendant possible un enrichissement ou un renforcement de la cohérence des
collections, après avis d'un comité scientifique, à une demande de déclassement
de telle pièce de collection.
Je propose donc un dispositif qui est plus restrictif tout en laissant un
dialogue s'instaurer. Celui qui a été adopté par l'Assemblée nationale a le
mérite d'avoir permis d'engager le débat. Alors, poursuivons-le en adoptant
l'amendement n° 24 de la commission des affaires culturelles.
M. le président.
La parole est à M. Lagauche, pour présenter l'amendement n° 47.
M. Serge Lagauche.
La comparaison avec la proposition de la commission n'est pas facile puisque
nous proposons, nous, de supprimer la seconde phrase du premier alinéa du II de
l'article 8.
Cet article constitue l'un des apports majeurs du projet de loi. Il tend en
effet à unifier le régime juridique de l'ensemble des collections des musées de
France en appliquant à leurs oeuvres, autant que le permet le respect de la
propriété privée, les principes de l'inaliénabilité et de
l'imprescriptibilité.
Jusqu'à présent, seules les oeuvres des musées appartenant à l'Etat ou aux
collectivités territoriales étaient soumises à une telle protection. Le projet
de loi dispose que le principe d'imprescriptibilité s'appliquera désormais à
l'ensemble des collections des musées de France, point que personne,
d'ailleurs, ne semble contester.
C'est le principe d'inaliénabilité qui est mis en cause. Le projet de loi
prévoit de l'appliquer aux collections appartenant notamment à des personnes
publiques, mais aussi à des personnes privées, la seule exception à ce droit
étant une cession à une personne publique ou une cession ayant pour objet le
maintien de la collection dans un musée de France.
Ce renforcement de l'inaliénabilité des oeuvres est extrêmement positif au
regard de la sauvegarde du patrimoine français ancien et de la promotion de
l'art contemporain. C'est même le point essentiel.
Le groupe socialiste est donc opposé à l'aménagement de cette disposition,
prévue par l'Assemblée nationale, pour les oeuvres d'artistes vivants. Les
termes de l'amendement voté par les députés disposent en effet que ces oeuvres
ne deviennent inaliénables qu'à l'issue d'un délai de trente ans.
En instituant cette période probatoire, sous prétexte de régler le problème du
stockage des trop nombreuses oeuvres détenues par les musées, l'Assemblée
nationale fait peser le doute sur l'ensemble de la création contemporaine.
Les artistes vivants connaissent fréquemment une période de purgatoire, après
quelques années d'engouement pour leur travail, avant de connaître un retour en
grâce plus ou moins rapide, souvent lié à l'aléa des diktats de la mode.
Imaginons ce que serait l'état des musées si, au fil des siècles, des
collections très controversées, lors de leurs acquisitions ou les années
suivantes, avaient pu être dispersées.
Il en va ainsi de nombreuses oeuvres d'impressionnistes, ou, plus récemment,
de Dubuffet ou de Picasso, dont la cote s'est envolée quelques années après
leurs acquisitions par les musées. Les pertes financières auraient été non
négligeables et les pertes artistiques considérables et irrémédiables !
La disposition est donc totalement contraire à l'esprit même d'une collection
publique. Elle va également à l'encontre de la promotion de nouveaux talents.
Elle risque de porter un fort préjudice à la carrière, souvent déjà fragile, de
jeunes artistes. Nombreux sont, d'ailleurs, ceux qui ont fait connaître leur
opposition totale à l'amendement adopté par l'Assemblée nationale.
Cette disposition constitue également une mesure extrêmement vicieuse et
dangereuse pour les musées, en les faisant entrer dans la logique commerciale
des marchands d'art qu'ils ne sont pas.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de cette
disposition.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre, pour présenter l'amendement n° 53.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Cet amendement se justifie
par son texte même.
M. le président.
La parole est à M. Joly, pour présenter l'amendement n° 67.
M. Bernard Joly.
Comme je l'ai dit lors de la discussion générale, ce délai me paraît dangereux
parce qu'il risque de provoquer la dispersion d'un patrimoine difficilement
remplaçable.
De plus, l'introduction de ce doute légal est un danger pour l'art
contemporain français, car il jette la suspicion à la fois sur le talent des
artistes et sur la compétence des membres des comités d'acquisition des musées
français.
M. le président.
La parole est à M. Renar, pour présenter l'amendement n° 62.
M. Ivan Renar.
Les amendements qui nous occupent à présent portent sur un des éléments les
plus controversés du texte que nous examinons, à savoir cette disposition qui
prévoit notamment l'aliénabilité des oeuvres d'un artiste vivant acquises dans
un délai inférieur à trente ans. Une telle disposition est controversée non
seulement par les conservateurs, mais aussi par la population de ce pays qui,
on le voit chaque année, est attachée à son patrimoine.
Si une telle conception avait prévalu au cours des siècles - je pense plus
particulièrement au tournant de la Révolution française - il y a fort à parier
que le Louvre, pour citer un établissement prestigieux, n'offrirait pas à la
curiosité de nos contemporains les collections amassées au cours des siècles.
La Bastille aurait été prise, mais le Louvre aurait été vidé pour quelques
poignées d'assignats ! Mes propos sont un peu caricaturaux, mais ils
correspondent à la réalité.
L'aliénabilité des oeuvres, de toutes les oeuvres, va dans un sens
diamétralement opposé à l'esprit de ceux qui animent, de ceux qui ont en charge
la conservation des oeuvres.
Dans le fait de l'art, il y a ce qui reste et ce qui ne reste pas. La force de
la structure publique, comme à d'autres époques, reconnaissons-le, des
structures religieuses, réside dans la volonté farouche de conserver, au-delà
des modes et des engouements des publics, les oeuvres acquises.
Il s'agit non pas d'ignorer les modes ou les engouements, mais au contraire de
les inscrire comme autant de témoignages des hasards et des balbutiements de
notre histoire, comme autant de croisements entre les artistes et leur
époque.
Comme notre époque n'est pas avare de son présent, qu'elle dilapide, c'est le
patrimoine contemporain qui est directement visé par une telle mesure.
Une conservatrice de ma région, pour ne parler que de bon sens, ne
m'indiquait-elle pas que, si une telle mesure avait existé il y a seulement
quelques années, nombre de toiles de la dernière période du peintre, qui est à
la fois le sujet et l'objet de son musée, seraient aujourd'hui chez des
collectionneurs privés.
J'évoquais, dans mon intervention générale, puis sur l'article, les dangers
que pouvait revêtir une telle mesure sur le statut à la fois de l'oeuvre et de
son auteur, mais également les risques d'une intervention directe de la
puissance publique dans le marché de l'art.
oeJe ne veux pas jouer les prophètes de malheur, mais un certain nombre
d'entre vous se souviennent de ce qui est arrivé dans une grande ville belge,
Liège, voilà quelques années. Cette ville a voulu vendre une toile de Picasso
pour l'aider à résoudre ses problèmes financiers municipaux. Il a fallu une
réprobation de la population de la ville de Liège, des campagnes, des
manifestations dans la rue, pour que la ville prenne conscience du scandale que
cela pouvait représenter sur le fond et retire ce projet « articide. »
M. Philippe Richert,
rapporteur.
C'est un néologisme !
M. Patrick Lassourd.
Tout à fait !
M. Ivan Renar.
Par conséquent, le danger est réel.
Si la commission revient sur ce dispositif, au travers de son amendement, il
faut effectivement lui en donner acte. Mais le parcours n'est, semble-t-il,
qu'à moitié réalisé et il ne va pas assez dans le sens de la dénonciation d'un
tel dispositif.
Aussi, pour marquer la réprobation de la Haute Assemblée à l'égard d'une
mesure aussi peu conforme à l'intérêt des oeuvres, à l'intérêt de notre
histoire et de ceux qui la nourrissent, je vous propose d'adopter l'un des
amendements qui vous sont proposés.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 24 ?
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Pour les raisons
d'ensemble qui ont été longuement rappelées en introduction à notre débat, il
est indispensable de consolider le principe de non-aliénation des biens
culturels composant les collections des musées de France, et ce sans aucune
restriction.
Il faut savoir que l'inaliénabilité des collections est la règle dans tous les
musées publics européens et qu'il en est de même dans la plupart des pays. On
cite souvent l'exemple de certains musées étrangers dans lesquels des
collections prestigieuses ont été constituées malgré la possibilité d'aliéner ;
le cas des Etats-Unis est le plus fréquemment cité. Il faut souligner que, si
quelques musées ont pu vendre certaines de leurs collections pour acheter des
pièces plus prestigieuses, ces pratiques sont de plus en plus souvent remises
en cause. Ainsi, voilà vingt ans que le
Metropolitan Museum of Art
de
New York, qui est de statut privé, a renoncé à ces pratiques après diverses
expériences malheureuses.
En outre, ce renversement de principe risquerait, en France, de décourager les
donateurs dont la générosité repose sur la conviction que leurs dons, qui eux
sont certes protégés, resteront agrégés au reste des collections
perpétuellement affectées au musée bénéficiaire.
A l'heure actuelle, en ce qui concerne les collections publiques, c'est la
règle classique de la domanialité publique qui protège le caractère inaliénable
des collections et la doctrine refuse la possibilité de déclassement d'un bien
culturel affecté à un musée pendant toute la durée d'existence de celui-ci.
Mais cette règle, dont le fondement est non pas patrimonial mais domanial, est
à la fois renforcée et améliorée par le projet du Gouvernement. Je rappelle que
ce texte est à la fois plus clair et plus souple : le principe est que les
biens culturels constitutifs des collections des musées de France ne peuvent
être cédés à des acquéreurs autres que les musées de France eux-mêmes. Il
permet une mobilité des collections entre les musées de France, qui n'existe
pas aujourd'hui. Je ne défends donc pas là une idée archaïque. Je cherche, au
contraire, à indiquer à la Haute Assemblée qu'il est dangereux de tenter
d'appliquer aux collections des musées un procédé qui pourrait être assimilé à
une gestion active des stocks.
En revanche, vous me trouverez fermement attachée à une gestion des
collections des musées de France qui les mette au maximum à la disposition du
public et qui favorise les prêts et dépôts entre les musées de France avec une
claire préoccupation de décentralisation et de couverture équitable du
territoire.
Par conséquent, j'émets un avis défavorable sur l'amendement n° 24.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements identiques n°s 47, 53, 67
et 72 ?
M. Philippe Richert,
rapporteur.
En donnant l'avis de la commission sur ces amendements, je
serai amené à reparler de l'amendement n° 24 de la commission.
Je suis tout de même surpris ! Vous vous êtes employés, les uns et les autres,
y compris Mme la ministre, à donner deux explications.
Tout d'abord, pendant des décennies, voire des siècles - et je prends ici à
témoin M. Renar - la France, notamment le Louvre, ne s'est pas séparée de ses
biens les plus précieux et a conservé l'intégralité des collections grâce au
principe de la domanialité publique. Le Sénat propose, non seulement le
maintien de ce principe, mais leur renforcement. En effet, si une demande de
déclassement d'un bien devait être formulée par tel conservateur qui aurait des
idées « articides »
(Sourires),
cette demande serait soumise à un
conseil scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement
seraient fixées par décret.
Par conséquent, je le répète, non seulement nous gardons toutes les mesures de
protection existantes, mais nous les renforçons.
Ensuite, vous avez dit, les uns et les autres, qu'il fallait faire attention,
car le risque était grand. Mais vous vous référez aux dispositions que
l'Assemblée nationale a votées ! Je n'ai entendu personne, ni en commission ni
dans cet hémicycle, s'exprimer dans le sens des mesures retenues par
l'Assemblée nationale. Cessons de débattre de ce que l'Assemblée nationale a
voté et cherchons des solutions pour éviter ces dérives.
Il me semble utile qu'il puisse y avoir cette respiration, avec l'encadrement
très strict que j'ai évoqué - plus strict qu'aujourd'hui - sachant que, jusqu'à
présent, nous avons évité tous les périls que vous avez, les uns et les autres,
brossés devant nos yeux.
La commission partage à l'unanimité cette volonté de protéger notre
patrimoine. Nous rejetons les dispositions qui ont été adoptées par l'Assemblée
nationale. Tout à l'heure, j'ai précisé que, à nos yeux, le seul mérite de ce
dispositif était d'avoir permis d'engager le débat à la suite de la proposition
que vous aviez faite, madame la ministre, d'introduire dans la loi le principe
d'une inaliénabilité absolue.
C'est la raison pour laquelle je suis amené à émettre un avis défavorable sur
ces quatre amendements identiques. La commission propose, je le rappelle, le
maintien de la protection actuelle, renforcée par la nécessité d'obtenir l'aval
d'un conseil scientifique, qui devra se prononcer au cas où un conservateur
demanderait, pour tel ou tel objet, une exception à la règle de la domanialité
publique.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Pour dissiper tout
malentendu, je voudrais dire à M. le rapporteur qu'il est bien clair, pour le
Gouvernement, que la position ici défendue prend le contre-pied de la
proposition du délai de trente ans, et que la commission manifeste un vrai
souci de protection des collections, ce dont je la remercie. Je pense néanmoins
que l'affirmation sans aucune concession du principe d'inaliénabilité est
aujourd'hui une nécessité. Il est en effet un élément que nous n'avons pas mis
en lumière, les uns et les autres, à savoir le poids actuel du marché de l'art,
qui n'est pas comparable à ce qu'il était voilà seulement quelques
décennies.
Certes, nous évoquons tous la sagesse qui a guidé les politiques des
différents musées dans le cadre du dispositif antérieur. Il est vrai que la
plupart d'entre eux, comme vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, n'ont
pas pris le risque de se séparer d'un certain nombre d'oeuvres contemporaines.
Cependant, je pense que ce risque est plus grand aujourd'hui, en raison tout
simplement du dynamisme du marché de l'art, et qu'il est important de tenir nos
collections à l'abri de cette menace.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 24.
M. Serge Lagauche.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
A la suite des précisions apportées par Mme la ministre, je ne comprends pas
pourquoi M. le rapporteur insiste tant sur cette question. A l'entendre, le cas
de figure évoqué ne peut se présenter qu'exceptionnellement. Pour les oeuvres
contemporaines, les fameuses trente années de délai constituent un risque
direct, puisque l'Assemblée nationale, a introduit cette disposition. Vous
mélangez les deux !
Vous nous dites qu'un comité scientifique devra donner son aval. A quoi cela
servira-t-il et pourquoi tant insister sur cette affaire.
Ou vous êtes pour l'inaliénabilité totale ou vous êtes contre. Pour ma part,
je suis pour l'inaliénabilité totale, rejoignant en cela Mme la ministre.
Exusez-moi de vous le dire : votre position est quand même très ambiguë.
M. Yann Gaillard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Je ne vois pas de contradiction - mais je me trompe peut-être - entre
l'amendement de la commission, que j'approuve, et la disposition tendant à
supprimer la mesure introduite par l'Assemblée nationale : on peut très bien
conserver le système proposé par la commission et supprimer la phrase selon
laquelle les oeuvres des artistes vivants ne deviennent inaliénables qu'à
l'issue d'un délai de trente ans à compter de l'acquisition.
M. Ivan Renar.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le rapporteur, je vous ai donné acte, tout à l'heure, du pas que
représentait la proposition de la commission par rapport au texte de
l'Assemblée nationale. Mais la faiblesse de votre proposition est justement de
ne pas prendre en compte le principe même de l'inaliénabilité. Pour ma part, je
ne crains pas l'attitude de tel ou tel conservateur fou qui déciderait de
brader brusquement son musée, et en cachette en plus.
(Sourires.)
Ce que
je crains, c'est un marché sans conscience ni miséricorde. Si les pouvoirs
publics reculent - en l'occurrence, c'est le principe même de l'inaliénabilité
qui recule - c'est le marché qui s'avancera. Je crois même que les Etats-Unis
commencent à se rendre compte d'un certain nombre de choses au travers des
épreuves qu'ils traversent.
Ce texte va faire l'objet d'une commission mixte paritaire. La mesure proposée
par l'Assemblée nationale devra alors être supprimée.
(M. le rapporteur fait
un signe d'approbation.)
Le siècle qui commence a montré qu'il serait difficile. Je considère donc que
si, par grandeur d'âme, notre rapporteur acceptait, non pas de se faire
hara-kiri...
M. Jacques Valade,
président de la commission des affaires culturelles.
Ce serait dommage
!
M. Ivan Renar.
... mais de reconnaître la validité du principe dont nous discutons, peu de
choses sépareraient sur ce point les membres de la Haute Assemblée.
M. Philippe Richert,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Richert,
rapporteur.
Au risque de lasser l'auditoire, je le répète, nous sommes
tous d'accord sur le principe de la défense de nos oeuvres et de la richesse du
patrimoine de notre pays et nous n'avons pas l'intention de brader cette
richesse.
Je le disais dans mon propos liminaire, l'enquête réalisée par une institution
dont personne ne saurait mettre en cause la capacité d'évaluation montre que,
sur les cinq mille oeuvres prêtées dans les musées, on ne sait plus où sont
passées un cinquième d'entre elles.
Des risques existent, nous devons les prévenir, y compris par rapport à ces
oeuvres dont parfois la localisation actuelle pose problème. Nous vous
proposerons d'introduire des garanties quant à leur contrôle, leur
localisation, leur suivi et leur conservation.
De deux choses l'une : ou l'on décide de ne plus jamais toucher à une oeuvre
parce qu'elle a été achetée à un moment donné, ou nous acceptons de reconnaître
que, dans certaines circonstances, un conservateur peut légitimement, dans le
cadre de la gestion d'une collection, s'interroger sur la pertinence d'une
éventuelle vente d'oeuvres ou, le cas échéant, d'un éventuel échange, pour
enrichir une collection, la moderniser, la diversifier ou la rendre plus
homogène. Une telle demande serait, une nouvelle fois, adressée à une instance
de contrôle et de garantie.
Nous avons mis en place tout ce dispositif pour permettre, comme l'a rappelé
tout à l'heure notre collègue Ivan Renar, que le débat, qui a été faussé à
l'Assemblée nationale, se poursuive sur des bases saines et sereines. Nous
avons tous en tête les risques majeurs que ces amendements auraient pu faire
courir à la fois à nos collections, à la création contemporaine et au marché de
l'art en général.
C'est la raison pour laquelle je pense qu'il est aujourd'hui nécessaire que
nous puissions avoir ce débat également avec les responsables scientifiques des
collections. Notre amendement le permet, tout en prévoyant toutes les
précautions nécessaires, soit plus de précautions que jamais.
Je ne m'exprime pas en mon nom mais au nom de la commission, après avoir
entendu, il est vrai, beaucoup d'experts qui, les uns, concluaient à la
nécessité d'une respiration plus grande, y compris d'éminents experts de
grandes institutions culturelles de notre pays, les autres estimaient que seule
valait une garantie absolue et intangible, une garantie qui interdirait tout
débat puisque, à partir du moment où l'on a décidé l'achat, on ne peut plus le
remettre en cause.
Entre les deux, j'ai essayé de trouver la solution qui permette de répondre à
ce besoin de protection sans interdire de continuer le débat. Car ce débat doit
continuer, notamment en commission mixte paritaire, et nous devons prendre le
temps nécessaire pour parer à tous les risques qui ont été évoqués.
Mes chers collègues, la commission a pesé, soupesé et travaillé cet amendement
pour essayer de prendre en compte l'ensemble de ces enjeux, parfois
contradictoires, sans avoir, sans doute, réussi à trouver la solution idéale,
mais, et je le regrette, ce n'était pas dans nos moyens !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 24, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, les amendements n°s 47, 53, 67 et 72 n'ont plus d'objet.
L'amendement n° 25, présenté par M. Richert, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« A la fin de la deuxième phrase du deuxième alinéa du paragraphe II de
l'article 8, remplacer les mots : "Conseil des musées de France" par les mots :
"Haut Conseil des musées de France". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Richert,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de coordination terminologique.
S'agissant du sujet précédent, je tenais simplement à ajouter que nous
reprendrons le débat en commission mixte paritaire.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 25, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 26, présenté par M. Richert, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Rédiger ainsi le premier alinéa du paragraphe III de l'article 8 :
« Les biens des collections des musées de France appartenant aux personnes
morales de droit privé à but non lucratif acquis avec le concours de l'Etat ou
d'une collectivité territoriale ne peuvent être cédés, à titre gratuit ou
onéreux, qu'aux personnes publiques ou aux personnes morales de droit privé à
but non lucratif qui se sont engagées, au préalable, à maintenir l'affectation
de ces biens à un musée de France. La cession ne peut intervenir qu'après
approbation du ministre chargé de la culture et, le cas échéant, du ministre
intéressé, donnée après avis du Haut Conseil des musées de France. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Richert,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement dont j'ai déjà exposé, à l'occasion
de l'examen de l'article 3, les motivations.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Je ne peux que rappeler la
position du Gouvernement, qui tient fermement au principe de non-aliénabilité
générale des collections des musées de France. Je me suis déjà longuement
exprimée sur ce sujet.
De nombreux musées associatifs existants, de nombreux musées de sociétés
notamment, ne sont pas absolument assurés de leur survie économique à long
terme, alors qu'ils ont réussi à réunir, souvent sans l'aide de l'Etat, par des
acquisitions avisées et grâce à la générosité des donateurs, des collections
importantes.
Il est donc positif de garantir une protection d'ensemble aux collections et
de prévoir qu'elles peuvent devenir la propriété d'autres musées de France
plutôt que d'être dispersées, puis détruites, lors de la dissolution de
l'association, et cela quelle que soit l'origine du financement des
acquisitions.
Je rappelle qu'il n'y a pas là atteinte à un droit de propriété, dès lors que
l'entrée d'un musée appartenant à une personne morale de droit privé dans le
dispositif « musées de France » résulte d'une démarche volontaire.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 26, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 8, modifié.
(L'article 8 est adopté.)
Article additionnel après l'article 8