SEANCE DU 23 OCTOBRE 2001
MUSÉES DE FRANCE
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 323, 2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif aux
musées de France [Rapport n° 5 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, alors que nous engageons la discussion d'un
texte important pour la culture et très attendu, je souhaite tout d'abord
rendre hommage au travail qui a été accompli par votre commission et plus
particulièrement à celui qu'a effectué son rapporteur, M. Philippe Richert. Dès
fin juin, en effet, vous m'avez permis de m'exprimer devant votre commission et
nous avons ainsi pu commencer à échanger nos points de vue dans un esprit de
rapprochement dont je me réjouis.
L'institution muséale apparaît aujourd'hui comme un instrument privilégié de
compréhension du monde. Elle constitue une référence indispensable à la
réflexion sur la civilisation.
C'est là sans doute la raison de l'immense succès actuel de l'institution : en
2000, 50 millions de visiteurs se sont rendus dans nos musées, dont 15 millions
dans les musées nationaux.
Les musées sont ainsi devenus des acteurs culturels, économiques et
touristiques de premier plan, qui ont contribué à redessiner l'aménagement
culturel du territoire.
L'importante mission historiquement assignée aux musées ne saurait demeurer
plus longtemps régie par un texte provisoire de 1945 antérieur aux profondes
mutations liées à la décentralisation et à l'évolution des pratiques
culturelles des Français. Il faut un nouveau texte à l'appui de la politique
que nous menons avec les musées.
Les priorités qui guident l'action muséale et qui seront confortées par le
projet de loi qui vous est soumis peuvent être résumées dans les termes de «
modernisation » et d'« innovation culturelle ».
Concernant la modernisation, je citerai en particulier le plan de soutien
pluriannuel à l'informatisation et à la numérisation des collections, la mise
en place d'une politique globale et cohérente de conservation préventive, ainsi
qu'un renforcement de la déconcentration. Je citerai notamment le soutien
spécifique de mon ministère aux grandes expositions reconnues d'intérêt
national en régions.
Enfin, le soutien à l'enrichissement des collections et à l'investissement
immobilier vient compléter la modernisation des musées.
Je souhaite rappeler les quatres objectifs principaux qui inspirent ce texte.
Il s'agit, d'abord, d'intégrer et d'approfondir la logique de décentralisation.
Il s'agit, ensuite, d'affirmer le rôle du musée comme instrument de
développement et de démocratisation de la culture. Il s'agit, en outre,
d'améliorer la protection des collections dont l'intérêt public aura été
reconnu. Il s'agit, enfin, de fédérer les musées de France, dans le respect de
leurs spécificités, autour de leurs missions communes au service de la
société.
Le projet de loi qui vous est soumis est tout d'abord un texte
décentralisateur, qui vise à respecter scrupuleusement la liberté
d'organisation et la liberté de choix des personnes morales propriétaires des
collections de musées : il précise pour la première fois la « règle du jeu »
applicable aux relations entre l'Etat et les collectivités locales et limite,
pour l'avenir, le contrôle technique de l'Etat aux seuls musées que leurs
propriétaires auront souhaité soumettre au statut prévu par la loi. C'est dire
que le contrôle de l'Etat trouve ainsi son fondement non seulement dans sa
mission régalienne mais aussi dans un label et un statut librement demandés.
Dans le respect du principe de la libre administration des collectivités
locales, le texte met en avant, plus encore que la notion de contrôle
scientifique et technique, la mission de conseil qui incombera légalement à
l'Etat, et il prévoit, à la seule exception de l'article 8, des procédures, non
pas d'autorisation, mais de simples avis préalables.
Le texte s'inscrit aussi dans la dynamique de la loi sur la coopération
intercommunale et offre des possibilités de cessions de biens entre personnes
publiques.
Enfin, et c'est un point essentiel, la présence de représentants des
collectivités territoriales au sein du « Conseil des musées de France » - ou
d'un « Haut Conseil des musées » - renforcera la capacité des musées à
s'insérer dans le cadre d'une politique culturelle équilibrée sur l'ensemble du
territoire. Le Conseil des musées de France sera l'enceinte, qui fait
aujourd'hui défaut, permettant d'organiser le nécessaire débat entre l'Etat et
ses partenaires sur la définition et l'évaluation des stratégies nationales en
matière de musées.
Le second objectif de ce texte est la démocratisation culturelle.
L'affirmation des missions, non seulement patrimoniales, mais aussi d'éducation
et de diffusion, acquiert ainsi force légale. L'obligation de mener une
politique tarifaire conforme à ces objectifs est notamment prévue ; en
revanche, les modalités en sont laissées, comme il se doit, à la libre
appréciation de l'autorité compétente, l'Etat, pour sa part, s'obligeant par la
loi à instaurer la gratuité pour les moins de dix-huit ans dans ses propres
musées.
Troisième objectif, le projet de loi tend à améliorer la protection du
patrimoine, en précisant notamment que les collections ne pourront être gérées
et restaurées que par des professionnels qualifiés, et que les projets
d'acquisitions et de restauration seront soumis à un avis préalable.
Mais la mesure essentielle pour la protection du patrimoine est la définition
d'un régime d'inaliénabilité spécifique pour les collections des musées publics
et la mise en oeuvre d'une logique, applicable à la fois aux musées publics et
aux musées privés, que l'on pourrait qualifier d'affectation perpétuelle, non à
un musée particulier, mais à l'ensemble formé par les « musées de France ».
Quant aux musées de droit privé qui accepteront de devenir « musée de France
», le projet de loi organise pour la première fois dans notre droit la
protection de leurs collections, dans les mêmes conditions que celles des
musées publics, en leur conférant un caractère imprescriptible et
insaisissable.
Enfin - c'est le quatrième objectif -, ce texte vise à fédérer sans
uniformiser : il s'agit de définir le corpus de règles communes applicables à
tous les musées de France - y compris, bien entendu, les musées nationaux, quel
que soit leur ministère de tutelle - au-delà des différences statutaires ou
thématiques. Ce corpus de règles communes respecte la liberté de choix des
responsables et la spécificité des statuts et des collections, tout en
permettant d'harmoniser ce qui doit l'être, de manière à mettre fin à des
disparités injustifiées.
Le Conseil des musées de France sera l'organe fédérateur et décentralisateur
essentiel dans le nouveau dispositif. Il rassemblera, en effet, à la fois les
différentes familles thématiques de musées et les diverses catégories de
responsables - parlementaires, élus locaux, professionnels de la conservation,
de la restauration et de la diffusion culturelle - mais aussi les usagers et
les associations d'amis.
Enfin, la loi crée un label clairement identifiable par le public : il s'agit
de l'appellation « Musées de France » qui sera réservée aux musées reconnus par
l'Etat à la demande des propriétaires de leurs collections.
Après le rappel des objectifs qui inspirent ce texte, je voudrais maintenant
évoquer les sujets qui font le plus débat.
A cet égard, je traiterai d'abord du statut des oeuvres d'artistes vivants et
du principe d'inaliénabilité des collections des musées de France : c'est, à
mes yeux, un problème grave. L'amendement de l'Assemblée nationale, voté contre
l'avis du Gouvernement, me paraît présenter un double risque sur lequel je
souhaite appeler l'attention de la Haute Assemblée.
C'est tout d'abord un risque pour les collections, mais aussi, en dernière
analyse, pour le public : des aliénations contestables, dictées par la mode ou
par des choix momentanés, conduiraient à peu près sûrement dans l'avenir à un
appauvrissement des collections difficilement réparable.
L'amendement de l'Assemblée nationale me paraît également constituer un risque
pour la création contemporaine comme pour la déontologie qui a jusqu'ici
présidé aux acquisitions : les musées pourraient en effet se trouver entraînés
dans une spirale spéculative radicalement étrangère à leurs missions et être
instrumentalisés dans leur politique d'achats et de cessions par les acteurs du
marché de l'art.
Le caractère inaliénable des collections des musées de France ne doit souffrir
aucune exception. Pour une aliénation qui ne s'avérerait pas dommageable,
combien d'erreurs et de manipulations possibles, quelle soumission à
l'évolution des modes et du goût des décideurs, et quel risque pour la
pérennité de l'ensemble des collections des musées de France !
Le principe de l'inaliénabilité des collections des musées a été, grâce
notamment à l'action persuasive de la France, inscrit parmi les règles
déontologiques édictées par le Conseil international des musées, organisation
intergouvernementale créée auprès de l'UNESCO, qui joue un rôle déterminant
dans la diffusion des principes communs de conservation dans tous les pays du
monde. La France ne saurait introduire, elle-même, une brèche dans un principe
fondateur de la politique des musées.
Pour toutes ces raisons, les musées de France doivent rester dans un système
de propriété inaliénable, tout en se montrant extrêmement sélectifs dans leur
choix d'acquisition, que ce soit à titre onéreux ou gratuit.
J'en viens aux dispositions fiscales de ce texte.
Je sais que la Haute Assemblée, en particulier Yann Gaillard, est très
attentive à cet aspect du marché de l'art. Le Gouvernement considère lui aussi
que la question du financement de l'acquisition des oeuvres est très
importante.
A l'Assemblée nationale, je n'ai pas été en mesure d'accepter la plupart des
amendements déposés sur le volet fiscal et le financement des acquisitions de
trésors nationaux. Ce n'était pas un refus de principe du Gouvernement, mais il
y avait nécessité d'approfondir davantage une question fort complexe.
Le Gouvernement a donc souhaité examiner les dispositifs mis en oeuvre pour
favoriser l'acquisition des trésors nationaux : il a ainsi confié une mission à
l'Inspection générale des finances, laquelle a rendu ses conclusions voilà
seulement quelques jours.
Je rappelle que l'Etat a la possibilité de retenir des biens culturels sur
notre territoire pendant trente mois, en leur refusant le certificat
d'exportation ; pendant ce délai, il doit trouver les moyens de les
acquérir.
Au vu du rapport de l'Inspection générale des finances, le Gouvernement
propose, pour enrichir le patrimoine en procédant à l'achat de trésors
nationaux, une mesure fiscale exceptionnelle à destination des entreprises ;
celles-ci pourront effectuer des dons pour participer, en tout ou partie, à
l'achat de trésors nationaux, en contrepartie d'une réduction de leur impôt sur
les sociétés égale à 90 % de cette contribution, dans la limite de 10 % de
l'impôt dû.
Cette mesure fiscale exceptionnelle sera accompagnée par le ministère de la
culture dans le projet de loi de finances pour 2002 avec une augmentation des
sommes inscrites pour les achats de biens culturels et une dotation de 14,8
millions d'euros du fonds du patrimoine consacré à l'achat des trésors
nationaux.
J'ai également demandé que la Réunion des musées nationaux affecte, avec une
priorité plus marquée que ce n'est aujourd'hui le cas, le produit du droit
d'entrée au profit des acquisitions.
Nos échanges permettront, j'en suis certaine, d'améliorer encore ce texte afin
qu'il puisse aboutir le plus rapidement possible. C'est, je le crois, notre
volonté commune.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Valade,
président de la commission des affaires culturelles.
Madame le ministre,
je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir accepté de reporter cette
discussion à la date d'aujourd'hui. En effet, nous avions à mon avis tous
intérêt à ne pas précipiter l'examen de ce projet de loi dans la mesure où nous
manquions les uns et les autres d'un certain nombre d'éléments. Le rapport de
l'Inspection générale des finances, signé par M. Cerutti et déposé très
récemment, nous était indispensable, d'une part, pour avoir une meilleure vue
des incidences des mesures que nous pouvions imaginer et, d'autre part, pour
permettre au Gouvernement de réagir sur ces dispositions.
Merci donc de votre compréhension, madame le rapporteur, moi-même et
l'ensemble de la commission avons apprécié de disposer de quelques jours
supplémentaires, lesquels n'ont d'ailleurs pas été inutiles au Gouvernement et
au ministère de la culture lui-même.
Ce texte est important, avez-vous dit, madame le ministre. En effet, nous
l'attendions depuis longtemps. Le projet de loi relatif aux musées de France,
qui organise les relations entre l'Etat, les musées nationaux et les musées de
province publics ou privés est un texte indispensable, à condition que les
mesures qu'il propose correspondent, comme vous l'avez rappelé dans votre
propos initial, non à une volonté de recentralisation, mais, au contraire, à
une volonté affirmée de décentralisation. M. le rapporteur reviendra très
largement sur ce point.
Cette volonté de décentralisation n'est imaginable que dans la mesure où nous
disposons de moyens supplémentaires. En effet, comme vous le disiez, le volet à
la fois financier et fiscal du projet de loi nous préoccupe. Si quelques
propositions ont déjà été faites - vous-même, madame le ministre, en avez
présenté très récemment, en déposant des amendements -, nous souhaiterions
cependant aller plus loin : M. le rappporteur vous fera donc part des
réflexions récentes - nous avons en effet encore travaillé ce matin - de la
commission, réflexions qui ont été largement adoptées.
C'est donc dans la sérénité, mais avec une volonté d'organisation et de
progrès, que nous avons travaillé. J'espère que nous trouverons à l'issue de ce
débat les mesures qui sont indispensables pour que ce concept de « musées de
France » puisse entrer très rapidement en vigueur.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Richert,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous
examinons aujourd'hui procède à la réforme maintes fois annoncée de
l'ordonnance du 13 juillet 1945 portant organisation provisoire des musées des
beaux-arts. Je ne pourrai, madame la ministre, que vous féliciter d'avoir fait
enfin aboutir un texte que nous attendions depuis près de dix ans.
Toutefois, il est vraiment paradoxal que, après une genèse si laborieuse, le
Gouvernement contraigne le Parlement à examiner ce projet de loi selon la
procédure d'urgence. Il est tout à fait regrettable que nous ne puissions
bénéficier de la navette pour améliorer un texte à bien des égards encore
décevant.
En effet, ignorant tant l'engagement des collectivités territoriales pour la
mise en valeur de leur patrimoine muséographique que la nécessité d'encourager
le mécénat dans un domaine où il est encore insuffisamment développé, le projet
de loi dans sa version originale, dirai-je, n'ouvre guère la voie à une
modernisation de la gestion de nos musées. A ce titre, il ne répond pas à nos
attentes.
Certes, madame la ministre, vous souhaitez « placer le public au coeur de la
vocation des musées ». Fort bien ! Nous pensons comme vous que la mission d'un
musée ne se limite pas à la conservation des collections.
Cependant, cette ambition n'est pas nouvelle, puisqu'elle figurait déjà dans
l'exposé des motifs de l'ordonnance de 1945. Et à l'aune des progrès accomplis
grâce aux investissements considérables consentis par l'Etat et les
collectivités locales, l'objectif de démocratisation se traduit bien
modestement dans les dispositions du projet de loi !
L'analyse de la commission peut sembler sévère, mais elle a été en partie
partagée par l'Assemblée nationale, qui a souligné les nombreuses lacunes de la
réforme proposée et a commencé le travail d'amélioration que la commission des
affaires culturelles du Sénat nous invite à poursuivre.
Au-delà de l'affirmation de la mission de diffusion culturelle des musées, le
projet de loi poursuit deux objectifs que j'analyserai successivement : d'une
part, la redéfinition des rapports entre l'Etat et les musées, d'autre part, la
création d'un statut des collections muséographiques.
Le projet de loi a pour ambition d'établir de nouvelles relations entre l'Etat
et les musées. Mais nous constatons que, au prétexte de fédérer et de
rééquilibrer ces relations - vous parliez, madame la ministre, d'« acte de
décentralisation » -, il procède en réalité, selon notre analyse, à une forme
de recentralisation.
Le projet de loi substitue à l'ordonnance du 13 juillet 1945 - ce texte avait
certes vieilli, mais il constituait un modèle d'organisation somme toute assez
souple -, un dispositif qui a pour principal conséquence de renforcer les
prérogatives de l'Etat. Cette tentation jacobine, qui n'est pas absente
d'autres domaines de la politique culturelle, ne se justifie au regard ni des
acquis de la décentralisation ni des mutations qu'ont connues les musées depuis
les années 1970.
Abrogeant les dispositions de l'ordonnance de 1945, il substitue aux deux
catégories, musées classés et musées contrôlés, une appellation unique : «
musée de France ». Ce statut aura vocation à s'appliquer à l'ensemble des
institutions muséographiques dont les collections présentent un intérêt public
certain.
L'article 3 prévoit que l'appellation « musée de France » est attribuée, à la
demande du propriétaire des collections, par le ministre de la culture après
avis d'une instance consultative nouvelle, le Conseil des musées de France.
Ce régime différerait donc de la logique de l'ordonnance de 1945, selon
laquelle l'Etat définissait lui-même le champ de son contrôle. Cependant -
c'est là un point important - la procédure prévue à l'article 3 n'aura vocation
à s'appliquer qu'aux institutions qui, aujourd'hui, ne sont ni classées ni
contrôlées ou qui seront créées après l'entrée en vigueur de la loi.
C'est l'article 14 qui réglera le sort des musées existants. En vertu des
dispositions transitoires qu'il prévoit, l'ensemble des musées actuellement
soumis au contrôle de l'Etat deviendront automatiquement « musées de France »,
les possibilités d'opposition - qui n'existent que pour les musées contrôlés -
étant strictement encadrées.
Faut-il pour autant en conclure que le texte ne modifie pas le droit existant
?
Telle n'est pas notre analyse. En effet, l'appellation « musée de France »
soumet les institutions à qui elle est attribuée à un contrôle de l'Etat plus
contraignant que celui qui est prévu par l'ordonnance de 1945 et qui avait été
largement écorné par les lois de décentralisation. Par ailleurs - notons-le -
ce contrôle sera le même pour tous, quels que soient la richesse et le
rayonnement des collections, puisque la différence entre musées classés et
musées contrôlés disparaît.
De technique, le contrôle de l'Etat devient « scientifique et technique ». Le
projet de loi reprend les dispositions de l'ordonnance de 1945 encore en
vigueur : les compétences exigées des responsables scientifiques des musées
seront définies par décret ; les acquisitions seront précédées d'un avis des
services de l'Etat et les musées seront soumis à l'inspection de ces mêmes
services.
Le projet de loi va au-delà : il encadre la gestion des musées par des mesures
réglementaires concernant les règles de dépôt et de prêt, les compétences des
professionnels auxquels seront confiées leurs restaurations, restaurations qui
devront être précédées de l'avis des services de l'Etat, ou encore par des
sujétions administratives telles que l'obligation de transmission
d'informations statistiques relatives à leur fréquentation.
La création d'une nouvelle instance consultative, le Conseil des musées de
France, placé auprès du ministre de la culture, dont l'objet est de fédérer «
l'ensemble des différentes familles de musées », ne constitue pas un moyen de
se prémunir contre les risques d'un renforcement des prérogatives de l'Etat. Le
Conseil ne dispose pas, en effet, des moyens nécessaires pour affirmer son
indépendance et son autorité.
Cette inspiration « recentralisatrice » n'a guère été atténuée par l'Assemblée
nationale, il faut bien l'avouer.
Si elle répond à la préoccupation légitime d'adapter le statut proposé par la
loi à la spécificité de chaque musée, la disposition introduite par l'Assemblée
nationale visant à prévoir que les musées signent, après l'attribution de
l'appellation, une convention avec l'Etat, risque de produire des effets
contraires à ceux qui sont escomptés.
Elle impose aux musées une obligation de contracter alors que le label est en
fait imposé, du moins pour ceux qui sont déjà classés et contrôlés ; elle les
place donc dans une situation peu favorable à l'établissement de relations
conventionnelles équilibrées.
Par ailleurs, ces conventions ne pourront pas écarter l'application des
dispositions de la loi relatives au contrôle exercé par l'Etat, dispositions
que, je le répète, l'Assemblée nationale n'a pas assouplies, au contraire !
Aux modalités de contrôle prévues par le projet de loi initial cette dernière
en a, en effet, ajouté d'autres, certes guidées par le souci louable de donner
aux musées les moyens nécessaires pour assumer leur mission de diffusion
culturelle, mais qui se traduisent en pratique pour les musées par de nouvelles
contraintes administratives. C'est le cas de l'extension du champ d'application
de l'article 5 aux responsables des activités culturelles des musées, qui
devront, comme les conservateurs, présenter des qualifications définies par
décret, ou encore de l'obligation faite à chaque musée de disposer d'un service
des publics, mesures qui, en elles-mêmes, ne sont pas de nature à remédier au
manque de personnels ni, au demeurant, à garantir un élargissement des
publics.
Méconnaissant donc les acquis de la décentralisation, le projet de loi ne
favorise pas non plus une évolution du mode de gestion des collections.
Dans le souci d'en assurer la pérennité, il précise le régime applicable aux
collections des musées de France en renforçant les garanties existantes telles
qu'elles résultent des textes, pour les musées appartenant à des collectivités
publiques, ou de la pratique administrative, pour les musées privées.
Il pose un principe d'inaliénabilité absolue des collections publiques, qui
jusque-là étaient régies par les règles de droit commun de la domanialité
publique.
On rappellera qu'en vertu de ces règles, un bien n'est inaliénable que pour
autant qu'il soit affecté à l'usage du public ou à un service public, ce qui
permet donc des déclassements. Ceux-ci ne seront plus possibles. Les
collections se trouvent donc figées pour l'éternité : rien ne pourra en
sortir.
S'agissant des collections privées, le projet de loi enserre leur gestion dans
un cadre très strict. L'article 8 prévoit que leurs propriétaires ne pourront
les céder qu'aux personnes publiques ou aux personnes morales de droit privé à
but non lucratif qui se seront engagées au préalable à maintenir leur
affectation au public.
Ces dispositions traduisent une conception très « conservatrice » - il n'y a
rien de péjoratif dans ce mot - qui ne tient pas compte de la diversification
des musées et qui, de surcroît, ferme toute possibilité d'évolution du mode de
gestion des collections.
Qu'il s'agisse de la définition des relations entre l'Etat et les musées ou du
statut des collections, nous constatons que le texte semble principalement
guidé par le souci des services de restaurer une autorité mise à mal par les
lois de décentralisation. S'appuyant sur une conception dépassée selon laquelle
l'Etat est le seul gardien du patrimoine national, la réforme n'ouvre guère de
perspectives pour l'avenir de nos musées.
A cet égard, je me félicite que l'Assemblée nationale ait complété le projet
de loi par un ensemble de dispositions financières et fiscales destinées à
favoriser l'enrichissement des collections muséographiques, en relançant le
mécénat et en dégageant de nouvelles recettes fiscales pour l'acquisition des
trésors nationaux, ce qui correspond à une nécessité soulignée à de nombreuses
reprises par le Sénat.
Toutefois, au-delà de ces mesures qui, bien que perfectibles, vont dans le bon
sens, le projet de loi qui nous est transmis conserve encore nombre des défauts
du texte initial.
Les modifications proposées par la commission répondent à plusieurs
préoccupations.
Ainsi, dans le souci de limiter les effets centralisateurs du projet de loi,
nous proposons d'assouplir les modalités du contrôle exercé par l'Etat sur les
musées ayant reçu l'appellation « musée de France ».
Afin d'éviter que les textes d'application ne retiennent une conception
extensive du contrôle scientifique et technique de l'Etat, il convient de
préciser qu'il se limitera aux seules modalités prévues par la loi, modalités
que je vous proposerai d'alléger en supprimant les sujétions qui apparaissent
soit excessives au regard du principe de libre administration des collectivités
territoriales ou de la liberté de gestion dont doivent bénéficier les
collections privées soit sources de contraintes administratives superflues.
De manière à garantir le caractère librement consenti du statut « musée de
France », ce qui correspond d'ailleurs, madame la ministre, à l'une de vos
préoccupations, il est nécessaire d'éviter que le label ne puisse être imposé
par l'administration aux musées ; nous proposerons donc de modifier le
dispositif de l'article 14 afin de prévoir que les musées contrôlés demandent
le label, mais également de préciser à l'article 3 les modalités de retrait de
l'appellation afin de ne pas conférer à celui-ci un caractère irrévocable.
Enfin, pour donner tout leur sens aux procédures consultatives prévues par le
projet de loi, je proposerai non seulement de renforcer l'indépendance et
l'autorité du Conseil des musées de France, que nous pourrions rebaptiser Haut
Conseil des musées de France, mais aussi de confier à des instances
scientifiques plutôt qu'aux services de l'Etat le soin de se prononcer
préalablement aux projet de restauration des musées de France.
Au bénéfice de l'affirmation d'un principe d'inaliénabilité, le projet de loi
a écarté une conception plus moderne et plus dynamique de la gestion des
collections ; il s'agit, vous l'avez souligné, madame la ministre, d'un point
sensible du texte.
A cet égard, en prévoyant que les oeuvres d'artistes vivants ne deviennent
inaliénables qu'à l'issue d'un délai de trente ans à compter de leur
acquisition, disposition en elle-même contestable, l'Assemblée nationale a eu
le mérite d'ouvrir un débat qui avait jusqu'à présent été esquivé. Je m'en
félicite, car il convient de réfléchir à une solution alternative à
l'inaliénabilité des collections.
Plusieurs arguments militent en ce sens. Si les nombreux exemples de
relectures historiques incitent à faire preuve de circonspection, je suis
convaincu qu'il est excessif de considérer qu'un conservateur qui achète a
toujours raison et qu'un conservateur qui vend a toujours tort.
Par ailleurs, la diversification des collections muséographiques impose de ne
pas réfléchir seulement par référence aux musées des beaux-arts.
Enfin, je me demande pourquoi l'Etat aurait le droit de perdre des oeuvres et
non de les vendre. D'après le récolement opéré par la Cour des comptes en 1997,
sur quelque 5 000 oeuvres placées en dépôt à l'extérieur des musées nationaux,
près du cinquième n'était pas localisé. Une plus grande rigueur de gestion
s'impose ; je proposerai d'ailleurs à cet égard d'inscrire dans la loi
l'obligation pour les musées de France de tenir un inventaire et de procéder à
son récolement.
Pour autant - et je rejoins la position de Mme la ministre -, la solution
retenue par l'Assemblée nationale n'est pas satisfaisante, car c'est sans doute
dans le domaine de l'art contemporain que le principe d'inaliénabilité trouve
sa pleine justification.
Si l'on doit remettre en cause le principe d'absolue inaliénabilité des
collections publiques, il importe de le faire de manière plus générale, afin
que tous les types de musées, en particulier ceux qui ont une vocation
scientifique ou technique, puissent échapper à une fossilisation contraire à
l'intérêt du public, mais également de façon plus prudente, afin de garantir la
pérennité des collections en évitant des cessions irrémédiables. Je proposerai
donc, comme alternative à l'inaliénabilité absolue proposée par le projet de
loi, de nous en tenir aux règles de droit commun de la domanialité publique en
vigueur aujourd'hui, ce qui d'ailleurs, loin d'être iconoclaste, présente le
mérite de ne pas clore le débat, laissant aux conservateurs le soin de le
conduire. Retenir cette solution permet de ménager une certaine souplesse dans
l'application du principe d'inaliénabilité en réservant la possibilité de
procéder à des déclassements.
S'agissant des musées privés, on pourrait dire, en forçant à peine le trait,
que le projet de loi condamne à terme leurs collections à être intégrées dans
les collections publiques.
Le régime de quasi-inaliénabilité enserre leur gestion dans un cadre très
strict, incompatible avec la liberté dont doivent bénéficier des structures
privées. Si les musées privés existants et actuellement soumis au contrôle de
l'Etat consentent à cette limitation de leur droit de propriété, je ne suis pas
sûr que de telles perspectives inciteront pour l'avenir à la création de musées
privés ni qu'elles encourageront ces derniers à collaborer avec l'Etat. Cela
est à mon sens regrettable si l'on considère l'intérêt pour notre patrimoine
national de voir se constituer des musées privés de grande envergure, comme
c'est le cas dans d'autres pays.
On se heurte ici à l'une des limites de l'action en faveur de la relance du
mécénat. Dans le domaine des musées, l'Etat ne conçoit la contribution de
l'initiative privée que strictement encadrée. En encourageant ce tropisme, le
projet de loi ne participe guère d'une volonté de rénover la politique des
musées.
Afin d'éviter cet écueil et de ne pas perdre notre dernière chance de voir se
développer en France des musées privés, je vous proposerai de limiter le statut
protecteur prévu par le projet de loi aux seules oeuvres acquises avec le
concours de l'Etat ou d'une collectivité territoriale. Il est légitime, en
effet, que les subventions publiques ne soient pas utilisées par les musées
privés pour réaliser des plus-values.
Toujours dans le souci de dynamiser la gestion des collections, il m'a semblé
pertinent d'étendre aux musées relevant de l'Etat des dispositions du projet de
loi qui ne visaient que les musées privés ou territoriaux, car c'est encore une
lacune du texte que de n'avoir pas tenté de résoudre certaines des difficultés
rencontrées par l'Etat dans la gestion de ses propres musées.
Ainsi, seront étendues à l'ensemble des musées de France la disposition
introduite par l'Assemblée nationale à l'article 4 prévoyant l'établissement de
conventions avec l'Etat et les dispositions de l'article 11 soumettant les
projets de restauration à une procédure consultative et imposant aux musées de
recourir à du personnel compétent.
Au-delà, il semblerait utile de refondre les procédures consultatives
préalables aux acquisitions des musées de l'Etat afin de garantir la qualité
scientifique des achats. La création d'un statut unique de « musée de France »
impose, au demeurant, que soit engagé un effort d'harmonisation.
S'agissant des musées nationaux, le fonctionnement des commissions
consultatives a été critiqué par la Cour des comptes puis, plus récemment, par
l'inspection générale des finances : une réforme s'impose en ce domaine. Comme
elle est de nature réglementaire, nous ne pourrons qu'en souligner la nécessité
et laisser au ministère le soin de la conduire, mais nous l'appuierons dans
toute la mesure de nos moyens.
La troisième et dernière préoccupation de notre commission a été de renforcer
l'efficacité du volet fiscal et financier introduit par l'Assemblée nationale ;
c'est un autre élément essentiel, central, du dispositif.
Ce volet est nécessaire, et je me félicite que le Gouvernement en ait pris
conscience ; il a en effet confié à l'inspection générale des finances une
mission d'analyse et de propositions « sur les moyens d'acquisition d'oeuvres
d'art par l'Etat ». En ce domaine, nos préoccupations se rejoignent : il s'agit
d'améliorer les dispositifs existants.
Dans cette perspective, il importe d'abord de clarifier les dispositions
relatives au mécénat introduites par l'Assemblée nationale.
S'agissant des articles 15
bis
, 15
ter
et 15
sexies
,
destinés à encourager les dons faits aux musées, les modifications adoptées par
l'Assemblée nationale, au mieux, ne modifient pas le droit existant et, au pis,
le compliquent, ce qui pourrait avoir pour effet de décourager les
donateurs.
Au-delà de la suppression de l'article 15
bis
, déjà satisfait par la
rédaction actuelle de l'article 200 du code général des impôts, je vous
suggérerai de simplifier le régime de l'article 238
bis
afin de prévoir
une limite de déductibilité unique pour l'ensemble des dons versés par les
entreprises aux musées, dons qui, pour l'heure, font l'objet de régimes
distincts selon le statut juridique de l'institution qui en bénéficie.
Enfin, je vous proposerai de voter les mesures adoptées par l'Assemblée
nationale visant à toiletter les articles 238
bis
OA et 238
bis
AB du code général des impôts, qui, je le rappelle, incitent les entreprises,
respectivement, à acheter des objets d'art en vue de les donner à l'Etat et à
constituer des collections d'art contemporain, mais je demeure dubitatif quant
à l'efficacité réelle de ces mesures.
Notre commission ayant souligné à maintes reprises la nécessité d'accroître
les crédits d'acquisition des musées, nous ne pouvons qu'approuver le principe
d'un prélèvement nouveau destiné à renforcer les moyens dont dispose le
ministère de la culture en ce domaine.
La solution fiscale a, certes, bien des inconvénients, mais c'est la seule
dont nous disposons pour atteindre notre objectif : le maintien sur le
territoire des trésors nationaux. Il eût été préférable de prévoir, au sein du
budget du ministère, des redéploiements, mais de tels redéploiements ne
relèvent pas de l'initiative parlementaire.
Au-delà, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale trouve sa limite dans
les dispositions de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, qui
réservent au Gouvernement l'initiative de l'affectation de recettes à certaines
dépenses. Certes, l'article 15
octies
prévoit que le Gouvernement
déposera sur le bureau des assemblées un rapport étudiant la possibilité
d'affecter une partie des recettes issues du produit brut des jeux dans les
casinos à l'achat de trésors nationaux. Mais cette disposition, qui a été très
discutée, ne permet que d'afficher dans la loi l'objet de ce prélèvement. Il
faut admettre que, si l'accroissement du prélèvement sur les casinos est
certain, l'augmentation à due concurrence des crédits d'acquisition demeure
hypothétique.
Pour cette raison, je vous proposerai d'adopter deux dispositions fiscales
visant à inciter les entreprises à acquérir ou à aider l'Etat à acquérir des
trésors nationaux. Ces dispositions, simples dans leur rédaction et puissamment
incitatives, devraient constituer un levier efficace, permettant de mobiliser
rapidement les fonds nécessaires à l'achat de ces oeuvres et donc de garantir
un bon fonctionnement du dispositif de protection du patrimoine national prévu
par la loi du 31 décembre 1992.
Mes chers collègues, je tiens à le souligner, la commission des affaires
culturelles a souhaité, à travers les amendements qu'elle vous présentera,
faire prévaloir une approche pragmatique de la politique des musées. Soucieuse
que ce texte attendu depuis longtemps fasse l'objet d'un accord entre les deux
assemblées, elle a également eu la volonté, dès que cela était possible et ne
remettait pas en cause les orientations fondamentales qu'elle avait adoptées,
de privilégier des positions susceptibles de faire l'objet d'un consensus.
Je voudrais également, madame la ministre, me féliciter des échanges souvent
très constructifs que nous avons pu avoir avec votre ministère, ainsi qu'avec
le ministère des finances ; s'est ainsi manifestée la volonté d'aboutir à un
texte équilibré, confortant le statut des musées de France. C'est bien un tel
texte que nous souhaitons porter sur les fonts baptismaux.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 27 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 16 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant
d'aborder les dispositions contenues dans le texte que nous examinons
aujourd'hui, je tiens à dire combien on peut déplorer, comme l'a souligné M. le
rapporteur, le recours à la procédure d'urgence. D'une façon générale, celle-ci
dépossède partiellement le Parlement de ses prérogatives. En l'occurrence, la
réforme étant attendue depuis plusieurs années, quelques jours de plus
n'auraient pas changé grand-chose.
Cela étant, un nouveau cadre législatif s'imposait. Le concept de musée et la
notion d'art ont considérablement évolué au cours des dernières décennies. Le
carcan académique a été brisé, de nouvelles disciplines ont trouvé place dans
des lieux d'expositions innovants. Par ailleurs, l'acte de création, dans sa
manifestation, a été désacralisé en ce sens qu'il a cessé d'être confisqué au
profit de quelques esthètes dits « éclairés ».
En conséquence, ainsi que l'indique notre collègue Philippe Richert dans son
rapport, la fréquentation des musées, plus particulièrement par les jeunes, a
augmenté de façon significative.
Toutefois - et je m'exprime ici en qualité de président national des comités
départementaux de tourisme - il convient de poursuivre la démocratisation de la
pratique en rendant les oeuvres exposées accessibles au plus grand nombre.
Qu'on me permette, au passage, de déplorer la grève des personnels de la
culture, lesquels manifestent ainsi leur opposition à la mise en place de la
réduction du temps de travail.
(MM. Nogrix et Plasait applaudissent.)
Depuis quatorze jours, ce sont plus de 30 000 visiteurs qui se sont heurtés aux
portes fermées du Louvre, du musée d'Orsay, du centre Pompidou, du musée
Guimet, de l'exposition Paris-Barcelone, au Grand Palais. Les pertes se
chiffrent en millions de francs pour les dix premiers mois de l'année si l'on
prend en compte les débrayages de février et de juillet.
M. Philippe Nogrix.
C'est inadmissible !
M. Bernard Joly.
La réalité des faits prouve l'inapplicabilité d'une mesure dogmatique qui, de
surcroît, n'est pas génératrice d'embauches, contrairement à ce qui avait été
proclamé. Il faudra pourtant bien trouver une issue à ce conflit.
Il était donc nécessaire de légiférer pour offrir un cadre aux musées. Cela
dit, si l'ordonnance de 1945 connaît ses limites, elle n'a pas, pour autant,
constitué un obstacle ni freiné les progrès de la décentralisation
culturelle.
L'état des lieux met en lumière l'extrême hétérogénéité de statuts qui
régissent les musées privés, en général constitués sous forme associative, et
ceux qui sont gérés par les collectivités territoriales. Le cadre existant
présentait l'avantage d'être souple face à une grande diversité.
L'article 3 du projet de loi précise les modalités d'attribution de
l'appellation « musée de France », étant entendu que l'article 14 dispose que,
à compter de la publication de ce texte, les musées nationaux, les musées
classés et les musées de l'Etat se verront attribuer de plein droit ladite
appellation.
Ainsi, ce « label » pourra être délivré à la demande de la personne morale
propriétaire des collections. Or le texte adopté par l'Assemblée nationale
prévoit que cette appellation « peut être retirée... lorsque les missions
permanentes et les motifs d'intérêt public ayant motivé la décision
d'attribution de l'appellation ne sont plus réalisés ». Cette même restriction
a été introduite pour le cas où le propriétaire des collections demande le
retrait dans un délai de douze mois après son obtention.
Les conséquences de ce retrait seront graves, car, le contrôle scientifique de
l'Etat n'étant plus la contrepartie de l'appellation obtenue, les musées qui la
perdront cesseront également d'être contrôlés, subventionnés et soumis aux
textes qui les régissent. Les publics et les collections seront les premières
victimes d'un tel dispositif.
On peut également craindre un effet négatif pour les finances publiques ; les
musées ayant reçu l'aide financière de l'Etat auront la possibilité de se
retirer du dispositif pour échapper aux obligations prévues par le texte.
Il me semble préférable d'encourager une relation de confiance et de respect
des engagements mutuels plutôt que d'instaurer un système de sanction.
Dans sa rédaction actuelle, le dernier paragraphe de l'article 4 précise que,
« pour les musées dont les collections n'appartiennent pas à l'Etat ou à un de
ses établissements publics, l'attribution de l'appellation "musée de France"
est suivie de la signature d'une convention entre l'Etat, le musée et la
personne morale propriétaire des collections ». Que se passera-t-il en
l'absence de convention, notamment si la personne morale ne veut pas s'engager
ou si les négociations entre les contractants échouent ?
Par ailleurs, ce contrat est-il assimilable au projet scientifique et culturel
prévu par l'article 1er
bis
? Si l'on retient cette interprétation, on
peut s'interroger également sur le caractère définitif de ce document alors que
les projets se transforment en fonction des progrès de l'action et de
l'évolution des besoins.
Notre excellent rapporteur nous proposera une formulation plus souple : ces
conventions ne seraient plus une obligation mais une éventualité. Si celle-ci
n'est pas utilisée, qu'adviendra-t-il ?
Une autre nouvelle disposition, concernant l'aliénabilité des oeuvres d'art,
me préoccupe. L'Assemblée nationale a prévu que « les oeuvres des artistes
vivants ne deviennent inaliénables qu'à l'issue d'un délai de trente ans à
compter de l'acquisition ». Cette sorte de délai de viduité me paraît
dangereuse pour le patrimoine culturel. Pour les collections et le public des
musées, le risque existe de voir disperser des oeuvres qui ne pourront plus
être ramenées dans ces lieux.
On peut imaginer ce qui serait advenu si une telle disposition avait été en
vigueur à la fin du xixe siècle ou au début du xxe siècle, lorsque certains
musées ont acquis, à des prix alors convenables, des toiles d'impressionnistes
ou de Picasso. Que de richesses perdues pour le patrimoine national si des
reventes avaient eu lieu !
L'introduction de ce « doute légal » est un danger pour l'art contemporain
français et il jette la suspicion à la fois sur le talent des artistes et sur
la compétence des comités d'acquisition des musées français.
Notre commission des affaires culturelles nous proposera une rédaction
différente, qui supprime ce délai et entoure la décision de déclassement «
d'avis conforme d'instances scientifiques ». Certes, une erreur est toujours
possible. Toutefois, en matière de goût, quels critères vraiment objectifs
peut-on opposer à une acquisition ? Il me semble plus opportun de laisser les
générations futures opérer leur relecture de ces témoignages de notre histoire
culturelle. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement visant à conférer
l'inaliénabilité des oeuvres dès leur acquisition.
Grâce au financement qui est prévu pour l'enrichissement des collections, les
musées de France pourront se porter acquéreurs d'oeuvres qui risqueraient,
faute de moyens, de quitter le territoire.
Des mesures d'encouragement au mécénat d'entreprise nous seront proposées en
complément de cette démarche. L'initiative est à soutenir.
Toutefois, aucune disposition financière ne traite de la conservation
préventive et de la restauration des collections publiques. Plusieurs voix
autorisées estiment que leur état est loin d'être satisfaisant et que les
crédits qui y sont consacrés sont infiniment inférieurs aux besoins. Il faut
ajouter que la plupart des objets sont conservés dans des réserves qui, à
l'origine, n'étaient pas destinées à cet usage, ce qui pose des problèmes.
En ce qui concerne la procédure d'acquisition des musées de France qui ne
relèveront pas de l'Etat ou de l'un de ses établissements publics, je rejoins
parfaitement la position de la commission des affaires culturelles. Les
directions régionales des affaires culturelles ne sont pas systématiquement
compétentes pour émettre un avis sur des oeuvres purement locales, alors que
les conservateurs sont qualifiés pour le faire. De plus, il convient de laisser
aux collectivités territoriales la responsabilité de disposer de leur
patrimoine.
Je m'interroge sur la date retenue - avant le 7 octobre 1910 - pour le
transfert des oeuvres des collections nationales mises en dépôt dans des musées
territoriaux. En effet, c'est ignorer les importants dépôts ethnographiques
auxquels il a été procédé après la Seconde Guerre mondiale et les apports
archéologiques résultant des fouilles entreprises par l'Etat. Je souhaiterais,
madame la ministre, être éclairé sur ce choix.
L'un des objectifs essentiels annoncés par les auteurs de ce projet de loi est
de placer la relation avec le public au coeur de la vocation du musée. Mais,
avant de pouvoir entrer en rapport avec les oeuvres exposées dans ces maisons
de l'art, le chemin est long.
Il n'y a pas de créations majeures ou mineures, et c'est pourquoi j'ai lancé
l'idée, en juin dernier, d'une journée nationale des métiers d'art, lesquels
expriment une identité territoriale forte. Ces créateurs sont à la fois
dépositaires d'une longue tradition et à la pointe de l'innovation. J'aimerais,
madame la ministre, pouvoir compter sur l'appui de votre ministère pour que ce
patrimoine vivant rayonne.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste. - M. le
président de la commission et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la
commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si j'interviens
aujourd'hui au nom de mon groupe, je le fais aussi parce que je suis le
rapporteur spécial du budget de la culture au nom de la commission des
finances, qui ne s'est pas saisie pour avis sur le présent texte.
A cet égard, je n'ai pu qu'être sensible, madame la ministre, au coup de
chapeau que vous avez donné à quelques-uns de mes travaux antérieurs, même si
j'eusse préféré que le Gouvernement acceptât mes propositions à l'époque. Et,
s'il existe un dénominateur commun entre les musées et les divers travaux que
j'ai pu présenter alors, c'est bien la notion de patrimoine national, qu'il est
de la responsabilité de l'Etat de mettre en valeur et de protéger.
Je ne m'étendrai pas sur les aspects juridiques du texte : ils ont été traités
parfaitement par notre rapporteur, M. Richert, et, à l'instant même, par notre
collègue Bernard Joly. Permettez-moi simplement de m'interroger sur
l'inaliénabilité des collections et sur la pérennité d'un système qui
fonctionne actuellement à sens unique : les oeuvres entrent dans les
collections publiques sans jamais pouvoir en sortir, ce qui débouche fatalement
sur un gonflement des réserves ou sur des fautes de gestion, voire les deux.
Et, en disant cela, je ne pense pas seulement à l'art contemporain.
Je suis aussi sensible au risque de voir des institutions liquider tout ou
partie de leurs collections, simplement parce qu'elles ont le malheur de
déplaire à ceux qui en ont momentanément la garde. Je ne crois pas, en effet,
que les conservateurs puissent être soupçonnés de céder à l'esprit de lucre,
même s'ils ont peut-être quelquefois l'esprit de système.
Je suis persuadé que la proposition de l'Assemblée nationale visant à ne
permettre l'aliénation que des seules oeuvres acquises depuis moins de trente
ans ne constitue pas la bonne solution. Trop long et trop court à la fois, le
délai de trente ans pourrait conduire à des décisions hâtives sans
véritablement donner le recul qui permettrait de faire le tri.
En revanche, je suis séduit par les propositions de notre commission des
affaires culturelles. L'inaliénabilité absolue que prévoit le texte du
Gouvernement est trop rigide et la procédure de déclassement - dont on ne voit
pas pourquoi elle ne s'appliquerait pas aux oeuvres muséales, d'autant qu'il ne
s'agit pas simplement des oeuvres artistiques - offre en elle-même des
garanties très solides.
J'en viens maintenant à ce qui constitue l'essentiel de mon propos, à savoir
le volet fiscal du projet de loi, introduit pour l'essentiel par l'Assemblée
nationale, en révolte - une fois n'est pas coutume ! - contre le Gouvernement.
Cela ne signifie pas, au demeurant, qu'elle ait raison sur tout...
Les mesures proposées par l'Assemblée nationale, dont le dispositif est
parfois très proche de celui que je proposais dans mes diverses propositions et
que le Sénat avait bien voulu adopter au cours de sa séance du 9 mars 2000,
rejoignent pleinement, comme celles que va nous soumettre notre commission des
affaires culturelles, les préoccupations de tous ceux qui s'inquiètent de
l'impuissance des pouvoirs publics face à l'exode des trésors nationaux.
Notre pays n'a pas, en l'état actuel, les moyens juridiques et financiers de
retenir les trésors nationaux. N'oublions jamais que l'arrêt Walter a rendu le
classement inopérant, puisqu'il est aujourd'hui aussi coûteux pour l'Etat de ne
pas acquérir que d'acquérir.
A cet égard, les propositions de notre commission des affaires culturelles,
qui s'appuient largement sur les réflexions d'un rapport remarquable - comment
ne le serait-il pas, d'ailleurs ?
(Sourires)
- de l'inspection des
finances, rédigé sous la direction de M. Guillaume Cerutti, me paraissent tout
à fait novatrices et rendent effectivement inutiles la plupart des mesures
préconisées par l'Assemblée nationale.
Je reviendrai simplement sur les trois premiers amendements fiscaux adoptés
par l'Assemblée nationale.
Si je suis bien d'accord avec M. le rapporteur sur le caractère superfétatoire
de la disposition prévoyant un crédit d'impôt en cas de souscription destinée à
retenir un trésor national, je ne suis pas sûr, s'agissant de l'application de
l'article 200 du code général des impôts, que l'on puisse s'en remettre au
droit commun.
Sans doute la commission des affaires culturelles estime-t-elle à raison que
le texte actuel de l'article 200 du code général des impôts permet déjà la
déduction du revenu imposable des dons en nature. Mais je me demande si cette
superposition ne risque pas d'être remise en cause dès lors que la fixation à
10 % du revenu imposable des dons susceptibles d'ouvrir droit à un crédit
d'impôt prévue dans le projet de loi de finances pour 2002 modifie les
équilibres.
Cependant, l'innovation majeure qu'introduirait ce texte, c'est un nouveau
régime d'encouragement au mécénat d'entreprise, de nature à lui donner une
impulsion décisive.
Le dispositif législatif des articles 238
bis
OA et 238
bis
AB
est resté pratiquement lettre morte. Il n'était pas assez incitatif et
comportait trop de contraintes pour inciter les entreprises françaises à jouer
un rôle significatif dans la promotion des arts.
Alors que l'Assemblée nationale a adopté, sur ce point, des réformes assez
proches de celles que j'avais moi-même préconisées - sans illusion excessive,
d'ailleurs, sur leur efficacité -, la commission des affaires culturelles
propose une véritable révolution : substituer au mécanisme de réduction des
résultats un système de réduction d'impôt allant de 40 % à 75 % selon que
l'oeuvre est propriété de l'entreprise ou acquise par l'Etat.
Très logiquement, un tel régime de faveur n'est destiné qu'à l'acquisition de
trésors nationaux, c'est-à-dire de biens ayant fait l'objet d'un refus de
certificat d'exportation ; on retrouve ainsi un esprit analogue à celui qui
m'avait conduit, dans certaines propositions anciennes, à réserver certains
avantages fiscaux aux seuls objets classés.
Dans son rapport, M. Guillaume Cerutti, avec l'enthousiasme de la jeunesse,
suggère que la réduction d'impôt soit égale à 100 % de la dépense, au motif
que, si l'on exige une participation des entreprises, celles-ci n'utiliseront
pas la procédure. C'est peut-être aller un peu loin...
La commission des affaires culturelles avait, dans son rapport écrit, limité
la réduction d'impôt à 75 % de la dépense, ce qui était soit insuffisant
s'agissant d'oeuvres exceptionnelles dont le prix est de l'ordre de 10 millions
à 30 millions d'euros, soit sans doute un peu généreux si cette réduction
d'impôt pouvait se cumuler avec la déductibilité de droit commun, ce qui doit
être vérifié.
M. Philippe Richert,
rapporteur.
C'était très généreux, en effet !
M. Yann Gaillard.
Il est d'ailleurs probable que le mécanisme impliquera plusieurs entreprises
agissant de concert et fonctionnera
de facto
comme une forme de
souscription ouverte aux grandes entreprises.
Personnellement, j'avais pensé qu'une participation des entreprises de 10 %,
tout compris, était plus réaliste - au fond, c'est un peu le prix de la gloire
! - et je ne peux donc que me rallier à l'amendement du Gouvernement, dont il
convient de saluer ici l'initiative.
Je mapprêtais, je l'avoue, à déposer un amendement en ce sens, mais je suis
heureux que la négociation entre la commission des affaires culturelles et le
Gouvernement ait abouti à ce résultat remarquable.
Cette approbation n'est assortie que d'une seule réserve : il me semble
excessivement restrictif et, par conséquent, de nature à affecter l'efficacité
du dispositif de plafonner à 10 % la part de l'impôt sur les sociétés payable
sous cette forme. Si l'on ne veut pas que ce nouveau mécanisme reste inutilisé
comme ses devanciers, il faut que ce pourcentage soit porté à 50 %. C'est
d'ailleurs, je crois, l'avis de notre commission des affaires culturelles et
l'une des conditions qu'elle poserait pour accepter le texte du
Gouvernement.
Avec ce nouveau régime, on introduit, en fait, un mécanisme de dation en
paiement de l'impôt sur les sociétés, tirant les leçons du seul mécanisme qui
ait vraiment permis l'enrichissement des collections nationales : la dation en
paiement au titre de droit de mutation et de l'impôt sur la fortune.
Le système de la dépense fiscale paraît en effet plus adapté à des
acquisitions exceptionnelles à décider au coup par coup - et pas forcément tous
les ans - compte tenu de la tendance des procédures d'achats, soulignée dans le
rapport Cerruti, à diluer les crédits. Mme la ministre vient de faire des
promesses sur la part que la Réunion des musées nationaux donnera aux
acquisitions et d'annoncer une augmentation des crédits du fonds du patrimoine.
Nous verrons bien ! Mais, pour le moment, le résultat n'est pas probant.
Le système de la dépense fiscale est donc le plus adapté et, en définitive,
comme le souligne la commission des affaires culturelles, l'adoption d'un tel
mécanisme rendrait inutile la taxe sur les casinos proposée par l'Assemblée
nationale.
Cette taxe pose de multiples problèmes - c'est un peu du bricolage fiscal -,
sans pour autant être véritablement efficace par suite du risque d'émiettement
des acquisitions.
Aussi ne puis-je qu'encourager la commission des affaires culturelles à tirer
les conséquences de ses très sagaces analyses - soulignant notamment
l'irrecevabilité des affectations de ressources - et à accepter l'amendement de
suppression déposé par mon groupe, surtout si, comme je le souhaite, sont
adoptés ses autres amendements et sous-amendements.
Mon adhésion enthousiaste à ce nouveau dispositif doit cependant être replacé
dans son contexte.
Si les moyens que le nouveau mécanisme pourrait dégager nous avaient permis de
retenir des oeuvres aussi essentielles que
le Jardinier Vallier
de
Cézanne ou
la Duchesse de Montejasi et ses filles
de Degas, il ne
faudrait pas que le souci légitime de stopper l'hémorragie de trésors nationaux
nous conduise à pratiquer un mercantilisme à courte vue.
Des oeuvres doivent rester sur le territoire, certaines doivent sortir,
d'autres encore doivent revenir. Il en va de la vitalité de notre marché de
l'art et de l'existence d'un vivier de mécènes et de collectionneurs que des
politiques trop autoritaires pourraient inquiéter, tout comme le psychodrame,
désormais annuel pour ne pas dire rituel, d'inclusion des oeuvres d'art dans
l'assiette de l'impôt sur la fortune.
En premier lieu, le marché de l'art va connaître un renouveau avec l'entrée en
vigueur prochaine du nouveau régime des ventes aux enchères publiques
maintenant que les décrets sont parus et que les membres du conseil des ventes
aux enchères sont nommés.
Il ne faudrait pas que, sous prétexte d'enrayer des sorties d'oeuvre d'art,
sachant que les exportations représentent environ 7,5 milliards de francs pour
seulement 1,6 milliard de francs d'importations, on étouffe un processus de
relance dont on sent, selon des sources anglo-saxonnes tel l'
Index Art
des Anglais, les premiers frémissements, si modestes soient-ils, avec
l'augmentation de 5,5 % à 6 % de la part de la France dans le marché mondial
des ventes aux enchères d'oeuvre d'art.
En second lieu, et ce sera la conclusion de mon propos, je voudtais insister
sur le fait que le texte me paraît encore présenter l'inconvénient -
pardonnez-moi, madame la ministre, si j'emploie une expression qui risque de
vous choquer - de faire reposer excessivement la défense du patrimoine national
sur l'Etat, sur les crédits publics et sur les musées. Cela revient à pratiquer
ce que j'appelle du « muséocentrisme », de même que l'on a parlé d'«
hospitalocentrisme » en matière de santé. Il faut en sortir.
Ce qui compte, avant tout, c'est de fixer les oeuvres importantes sur le
territoire national.
De ce point de vue, je ne peux qu'approuver l'esprit qui anime l'article
additionnel - très proche de l'une de mes propositions - tendant à favoriser
les acquisitions d'oeuvres interdites à l'exportation par les entreprises. Je
considère toutefois, comme certains de mes collègues de la commission des
finances, que la réduction d'impôt de 40 % est assortie de conditions quelque
peu rigoureuses.
Avec ce texte, même si nous sommes réduits à accepter l'amendement du
Gouvernement, un grand pas sera franchi - espérons-le tout au moins - dans la
défense du patrimoine national, et l'Etat sera doté d'une arme qui lui manque
aujourd'hui.
Mais cette arme ne sera réelle à mon sens que si l'on poursuit dans la même
voie en faisant adopter des mesures fiscales - notamment en matière de droit de
mutation comme le Sénat a bien voulu en adopter le principe - incitant les
particuliers personnes physiques à acquérir et à conserver des oeuvres
majeures.
La bataille pour la défense du patrimoine national ne doit pas simplement se
livrer aux frontières, au moment de la sortie des oeuvres. Souvenons-nous de
l'exemple britannique qui, jusqu'ici, s'est révélé beaucoup plus efficace que
le nôtre !
Elle doit être préparée en amont par des mesures invitant les personnes
privées à conserver dans leur patrimoine les trésors nationaux qui, de ce point
de vue, s'analysent, non comme de nouvelles niches fiscales, mais comme un
investissement à long terme pour la collectivité nationale. Tôt ou tard, par le
jeu des dations ou des donations, le patrimoine accessible au public sera
enrichi pour le plus grand rayonnement de notre culture et la délectation de
tous nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat se
tient dans une période particulièrement difficile pour l'humanité, dans un
moment où « l'effondrement de la raison produit des monstres », pour reprendre
la belle expression de Georges Bernanos, où nous vivons des temps de barbarie
ordinaire, où l'on a parfois l'impression de tâter l'avenir avec une canne
blanche.
Il n'y aura jamais trop de pierres à ajouter à la construction du barrage
contre l'obscurantisme. La culture en est un élément essentiel, elle qui donne
du sens.
Un peuple sans racines, sans mémoire, est un peuple sans avenir. Dans le monde
où nous vivons, « il ne va pas bien, mais il n'y en a pas d'autre et c'est le
nôtre », disait Sartre, il y a besoin de repères, de la compréhension, de
l'assurance que peut apporter la connaissance de notre passé collectif.
Les musées nous aident à assumer notre devoir de restitution de l'héritage, la
mémoire artistique et scientifique aux hommes et aux femmes d'aujourd'hui ainsi
qu'aux générations futures.
Ce devoir n'a rien de religieux, c'est l'une des façons de respecter l'être
humain.
Comment ne pas relire avec émotion Van Gogh qui écrivait : « J'aime mieux
peindre les yeux des hommes plutôt que les cathédrales, parce qu'il y a dans
les yeux des hommes quelque chose qui n'est pas dans les cathédrales, si
imposantes et si majestueuses soient-elles. »
Il faut se féliciter que les musées tiennent une place importante dans les
pratiques culturelles des Français. Dans le même temps, si le musée est une
institution culturelle très fréquentée, nous devons savoir que deux Français
sur trois ne s'y rendent jamais, et ce, en dépit des efforts de l'Etat, des
collectivités, et malgré le dévouement et le travail remarquables des
conservatrices et des conservateurs.
Alors que, dans certains domaines, on légifère à tout propos, les musées «
vivent » avec comme support législatif principal une ordonnance qui date du 13
juillet 1945 « portant organisation provisoire des musées des beaux-arts », un
provisoire qui n'a que trop duré et qu'il était temps de dépoussiérer.
Dans ce contexte qui a fortement évolué, une réforme est donc nécessaire pour
s'adapter à la réalité, mais aussi à la diversité de l'espace muséographique
d'aujourd'hui.
En examinant ce projet de loi, nos collègues de l'Assemblée nationale ont
procédé, en hâte, à un certain nombre d'aménagements qui m'inquiètent.
Je regrette que l'urgence dont est assorti le texte ne nous permette pas de
disposer du temps de réflexion nécessaire à l'adoption d'un projet de loi dont
l'ambition est de réformer l'ensemble des musées.
Le champ d'application de la loi sera extrêmement vaste, puisqu'il s'agit, ni
plus ni moins, que d'accorder à l'ensemble des musées de l'Etat, à l'essentiel
des musées des collectivités locales et aux musées privés qui le
souhaiteraient, l'appellation « musée de France ».
La sagesse populaire nous dit « qui trop embrasse mal étreint ». Le projet de
loi aurait mérité un accompagnement budgétaire, quasiment absent du texte,
sinon sous la forme de crédits d'impôts pour les établissements privés ou sous
la forme d'un prélèvement sur les recettes des casinos, conformément à un
amendement gadget introduit par l'Assemblée nationale.
Nous connaissons les difficultés rencontrées par la direction des musées de
France dans l'exercice de ses missions : insuffisance des personnels et des
équipes scientifiques, notamment dans le champ de la restauration, manque
singulier de moyens budgétaires pour la politique d'achat d'oeuvres. Sans
compter que l'état de conservation des collections est loin d'être
satisfaisant, les crédits étant infiniment inférieurs aux besoins. Cela
concerne les beaux-arts, bien entendu, mais également l'archéologie,
l'ethnologie, etc. Or, nous a-t-on dit, et je partage cette idée, un musée qui
n'achète pas est un musée qui meurt.
Il faut donc consolider la politique d'achat des oeuvres, tout en mettant en
place une conservation préventive digne de ce nom pour que les oeuvres
elles-mêmes ne meurent pas.
Ces difficultés seront accrues puisque le champ des compétences sera élargi,
comme le prévoit le texte que nous examinons.
Au regard de ces obstacles, était-il judicieux d'ajouter aux missions de la
direction des musées de France des missions nouvelles qui, du fait de
l'appellation « musée de France », risquent d'introduire auprès des publics,
mais aussi des professionnels, bien des confusions quant au caractère privé ou
public des musées concernés ?
En outre, le régime de la propriété des oeuvres au sein des établissements
privés ayant passé une convention avec l'Etat est extrêmement équivoque.
Comme l'indique le rapport de notre collègue M. Philippe Richert, le terme d'«
institution culturelle et scientifique » ne renvoie à aucune catégorie
juridique précise, alors que la réforme de l'ordonnance de 1945 aurait pu être
l'occasion d'un toilettage des différentes formes juridiques appliquées aux
musées. J'ajoute que le concept d'établissement public culturel pouvait
convenir.
J'évoquais, au début de cette intervention, la nécessité de démocratiser
davantage encore l'accès aux musées, à l'ensemble des musées. A cet égard, je
m'étonne du peu de place donné à la culture scientifique et technique dans
l'économie générale de ce texte, qui semble viser pour l'essentiel - et on peut
le comprendre - les « beaux-arts ».
On ne peut pas toutefois reléguer au second plan des pans entiers de notre
civilisation, de notre histoire, de notre patrimoine. Je pense en particulier
aux musées de société, qui ont pourtant fait la démonstration de leur
pertinence scientifique et sociale, mais aussi aux musées d'histoire naturelle
dont l'éducation nationale - dont ils relèvent - fait trop peu de cas.
L'article 6 du projet de loi que nous examinons prévoit que les droits
d'entrée des musées sont « fixés de manière à favoriser leur accès au public le
plus large ».
A cet égard, plutôt que de procéder à une inscription dans la loi, certes
louable, ne conviendrait-il pas de laisser aux collectivités territoriales le
soin de décider d'une telle politique tarifaire, en fonction de leur politique
culturelle et de leur politique sociale ? S'agissant des musées nationaux, ceux
qui ont mis en place la gratuité dominicale en ont répercuté l'incidence sur le
prix d'entrée, faute d'accompagnement budgétaire.
L'engouement des publics, notamment du jeune public, ne se limite pas aux
seules expositions permanentes. Pourquoi, de ce fait, ne pas élargir le
principe de la gratuité aux expositions temporaires ?
J'en viens à présent à l'article 8, qui a provoqué une légitime émotion et un
juste courroux non seulement au sein de la communauté des conservateurs, mais
aussi, au-delà, chez tous ceux qui ont à coeur la préservation du patrimoine de
notre pays.
Alors que le texte que vous proposiez, madame la ministre, fondait
juridiquement le principe d'inaliénabilité des oeuvres, un amendement de
l'Assemblée nationale prévoit que les oeuvres des artistes vivants ne
deviendraient inaliénables qu'à l'issue d'un délai de trente ans.
Cette mesure pourrait avoir de multiples conséquences qui seraient gravement
préjudiciables à la protection du patrimoine national ainsi qu'aux missions de
service public auxquelles les musées doivent répondre.
Pour tous les professionnels, cette mesure d'exception remet en cause le
fondement même de la notion de collection publique. Les musées sont chargés de
conserver, d'étudier et de transmettre un patrimoine qui témoigne aussi du goût
d'une époque à travers la globalité de ses choix. Une disposition comme celle
qu'a prise l'Assemblée nationale ne peut qu'avoir des conséquences désastreuses
sur les dons et les legs consentis aux musées, ainsi que sur les achats
eux-mêmes.
Il est fréquent en effet que des vendeurs, soucieux de l'intérêt public,
cèdent leurs oeuvres aux musées à un prix inférieur à celui du marché. Quelles
raisons auraient les donateurs et les vendeurs à poursuivre ces pratiques s'ils
n'étaient pas assurés que les oeuvres restent définitivement dans le patrimoine
national ?
Doter l'oeuvre de musée de deux statuts différents et évoluer dans le temps
cette disposition, si elle était adoptée, conduirait les responsables des
collections à une relation malsaine et ambiguë avec le monde de l'art, en
particulier avec le marché de l'art.
Une telle mesure ne peut que favoriser un phénomène de spéculation, avec un
réel risque de dérive commerciale, voire financière, peu compatible avec le
respect des missions de service public.
Alors que la reconnaissance de l'art français sur la scène internationale
apparaît parfois comme problématique, ce serait un très mauvais coup porté aux
artistes puisque la loi instituerait ainsi un « doute légal » sur leur talent,
pour reprendre l'expression d'un conservateur.
N'oublions pas que Van Gogh est mort dans le dénuement et que les
Pommes
de Cézanne n'ont jamais nourri sa personne. N'encourageons pas la
spéculation, qui appauvrit une majorité des artistes vivants, en faisant et
défaisant arbitrairement les cotes ! Ne poussons pas les artistes un peu plus
dans la précarité !
Si une telle mesure avait vu le jour il y a quelques années seulement, bien
des oeuvres comtemporaines que nous admirons aujourd'hui auraient quitté les
musées publics au profit des collections privées.
Dans son état actuel et compte tenu des amendements proposés par la majorité
de notre commission des affaires culturelles, le texte relatif aux musées de
France qui nous est soumis est loin des attentes des professionnels, du public
et des besoins de notre pays.
Nous nous efforcerons d'amender sur des points essentiels le texte qui nous
est soumis, bien des dispositions nous paraissant extrêmement préjudiciables au
fonctionnement et au rayonnement des musées de notre pays.
Notre vote dépendra donc de l'issue de nos travaux.
Madame la ministre, samedi dernier, j'assistais à vos côtés, au milieu d'une
foule de 3 000 personnes, à l'inauguration du nouveau musée de Roubaix, symbole
du renouveau d'une ville. Après l'enthousiasme de ce week-end, ce projet de loi
amendé de façon désastreuse par l'Assemblée nationale nous fait tomber du
grenier à la cave.
Va-t-on devoir un jour dire à nos responsables de musées, reprenant ce que
disait Flaubert aux bourgeois de Rouen : « Vous, les conservateurs qui ne
conservez rien ! » ?
Avec vous, madame la ministre, prenons de vraies mesures qui mettent l'art à
la portée de tous, dans le respect des oeuvres et de leurs auteurs, quels que
soient leur âge ou leur époque ! C'est le plus sûr moyen de faire grandir le
murmure culturel et artistique dans le vacarme marchand.
Sur le fond, on ne répétéra jamais assez ce que déclarait Degas, il y a plus
d'un siècle : « La culture n'est pas un luxe, elle est de première nécessité.
»
Un siècle plus tard, reconnaître le rôle irremplaçable de l'art et de la
création dans la société reste un combat. Ce combat est celui du beau et de
l'émotion partagés par le plus grand nombre. Là est la clé de l'à-venir.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis
heureux de pouvoir m'exprimer, cet après-midi, sur la réforme de l'ordonnance
de 1945 portant organisation, en principe « provisoire », des musées. Cette
réforme, on l'évoquait depuis environ une décennie et l'on finissait par se
demander si le caractère provisoire de l'ordonnance n'était pas devenu
définitif !
Le secteur du patrimoine et des arts plastiques, durant les quatre années de
législature de la gauche plurielle, aura été profondément modifié.
Préalablement au projet de loi sur les musées de France que vous nous
soumettez, madame la ministre, nous avons procédé à une réforme de la
réglementation des ventes publiques aux enchères et, par ce biais, à une remise
à plat des règles régissant le marché de l'art en France, à l'édification d'un
arsenal visant à protéger les trésors nationaux, proposition de loi dont j'ai
eu le privilège d'être l'auteur et le rapporteur devant notre Haute Assemblée.
Par ailleurs, deux textes ayant trait au patrimoine sont actuellement en
navette : la proposition de loi relative à la protection du mobilier des
monuments historiques et celle qui tend à instituer des commissions
départementales du patrimoine.
A ces modifications législatives doivent être ajoutés les très nombreux
rapports remis sur ces sujets, notamment sur la fiscalité du marché de l'art,
dont celui qui a été présenté, l'an dernier, par M. Alfred Recours sur les
bilans et perspectives pour les musées de France.
Les conclusions de ce rapport débouchaient sur de nombreuses propositions
concrètes qui ont très largement inspiré le projet de loi dont nous débattons
cet après-midi.
Ces différents débats nous ont souvent donné l'occasion de souligner la perte
de vitesse et de prestige de la France sur la scène culturelle internationale :
fuite du patrimoine à l'étranger, recul sur la place du marché de l'art de
notre pays. Etaient alors montrés du doigt les prétendus manques de dynamisme
des acteurs et investisseurs du monde culturel hexagonal ou l'absence de
politique fiscale incitative.
Seuls nos musées connaissent toujours un essor formidable et une fréquentation
accrue. La politique de diversification, d'élargissement des publics et la
communication sans cesse renforcée de ces institutions, tout comme l'essor du
tourisme constituent sans doute les principales raisons de ce succès ; il
convenait donc de le préserver et de l'encourager en adaptant les structures
aux réalités culturelles et économiques actuelles. Le projet de loi que vous
nous soumettez, madame la ministre, va dans ce sens.
En autorisant l'ensemble des musées, quel que soit leur statut, à prétendre à
l'appellation « musée de France », le projet de loi permettra à l'ensemble des
établissements concernés de bénéficier d'une meilleure identification auprès du
public, et donc, logiquement, d'enregistrer une hausse de fréquentation.
Je sais, madame la ministre, que vous vous êtes opposée, à l'Assemblée
nationale, à l'insertion de l'article 1er
bis,
qui définit les missions
communes de base de l'ensemble des « musées de France ». Je pense que cette
disposition constitue une contrepartie essentielle à l'octroi de l'appellation.
Cette appellation ouvre un nouveau droit pour les musées ; il me semble logique
que des obligations découlent de ce droit.
Le fait de soumettre à un organe central, le « Conseil des musées de France »,
les demandes d'homologation, celles de transfert et les cas litigieux de
conservation ou d'exposition d'une oeuvre traduit une volonté extrêmement
positive quant à la qualité des collections présentées dans les musées de
France. « Conseil » ou « Haut conseil », comme le souhaite notre rapporteur,
composition élargie ou non aux parlementaires, ces questions ne me semblent pas
de nature à modifier profondément l'esprit du texte dont nous discutons !
Le fait de tenter d'unifier le régime juridique de l'ensemble des collections
des musées de France, en appliquant à leurs oeuvres, aussi loin que le respect
de la propriété privée le permet, le principe de l'inaliénabilité et de
l'imprescriptibilité, constitue une grande avancée.
Jusqu'à présent, seules les oeuvres des musées appartenant à l'Etat ou aux
collectivités territoriales étaient soumises à cette protection. A présent, le
principe d'imprescriptibilité s'appliquera à l'ensemble des collections des
musées de France.
Quant au principe d'inaliénabilité, il s'appliquera aux collections
appartenant non seulement à des personnes publiques, mais aussi à des
personnes privées, la seule exception à ce droit étant constituée par une
cession à une personne publique ou par une cession ayant pour objet le maintien
de la collection dans un musée de France. Je m'oppose donc totalement aux
aménagements à cette disposition. Je note que ceux-ci sont pourtant souhaités,
de façon différente, par les rapporteurs des deux chambres.
Ainsi, notre rapporteur rend le régime d'inaliénabilité en quelque sorte
optionnel, sans qu'il soit d'ailleurs précisé qui sera à l'origine d'une
demande de déclassement. Son souci est de favoriser au maximum une
décentralisation des procédures, afin de laisser une marge d'appréciation
supérieure aux autorités locales.
Cette solution ne me convient pas. Elle procède d'ailleurs du même esprit que
le souhait de créer des « instances scientifiques » appelées à se substituer
aux directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, et revient à
créer un régime à deux vitesses, alors que l'objet du projet de loi est
justement d'unifier au maximum la politique muséographique française.
Monsieur le rapporteur, vous justifiez votre position par rapport aux éléments
constitutifs de collections « scientifiques », dont le caractère est plus
éphémère que celui des oeuvres d'art. Je ne comprends pas, dès lors, pourquoi
vous n'avez pas scindé le dispositif, en distinguant entre les collections «
d'oeuvres d'art » et les collections scientifiques, qui auraient pu, à elles
seules, faire l'objet d'un déclassement.
L'Assemblée nationale a prévu, quant à elle, une dérogation à la règle
d'inaliénabilité pour les oeuvres d'artistes vivants, pendant les trente
premières années d'existence de ces oeuvres. Je reviendrai tout à l'heure sur
ce point en défendant l'amendement qui a été déposé par le groupe socialiste et
qui vise un retour au texte initial du projet de loi. Mais je tiens à exprimer,
dès à présent, mon désaccord avec le dispositif qui a été adopté par
l'Assemblée nationale et qui, en instituant cette sorte de période probatoire,
non seulement fait peser un doute sur l'ensemble de la création contemporaine,
mais ne favorisera guère l'essor de nouveaux talents.
Un autre point me préoccupe : il s'agit des personnels qui seront appelés à
encadrer les activités des musées de France - article 5 - ou à procéder à la
restauration des oeuvres d'art - article 11.
Sur ce dernier point, nous avons déposé un amendement afin que de tels travaux
puissent être confiés aux différents artisans, généralement reconnus - il
s'agit souvent des « meilleurs ouvriers de France » - à qui les musées
territoriaux font fréquemment appel ; ces artisans ne possèdent pas toujours de
diplôme sanctionnant leur savoir-faire. Conformément aux termes de la loi de
modernisation sociale, il suffirait de prévoir la validation des acquis
professionnels. Cette validation aurait un caractère national et ne relèverait
pas du seul bon vouloir des autorités territoriales. Je reviendrai
ultérieurement sur ce point lors de la discussion des amendements.
Je souhaite néanmoins, madame la ministre, que vous me précisiez le contenu
des décrets qui fixeront les qualifications ou les expériences professionnelles
requises pour les différents emplois au sein des musées de France.
A l'heure actuelle, compte tenu de la disparité de situation entre les
différentes catégories de musées, il n'existe pas d'unicité de statut des
personnels. Quel sera le sort réservé à ces personnes par les futurs décrets ?
Pouvez-vous nous donner des assurances sur l'avenir des nombreux contractuels
qui oeuvrent actuellement dans de petits musées contrôlés qui deviendront
bientôt des « musées de France » ?
Avant de conclure mon propos, je m'attarderai quelques instants sur les
nombreuses dispositions fiscales qui sont proposées pour « accompagner » le
projet de loi et dont aucune n'est due, pour le moment, à la volonté
gouvernementale.
L'idée couramment répandue est que le marché de l'art en France et la cote des
artistes français se portent mal, faute de dispositions fiscales incitatives.
Afin de favoriser l'acquisition d'oeuvres d'art par les musées de France,
l'Assemblée nationale a introduit toute une batterie d'amendements fiscaux,
dispositions incitatives tant pour les particuliers que pour les sociétés, pour
les dons ou la participation à l'achat d'oeuvres d'art destinées aux musées de
France.
Je reviens rapidement sur le fameux « amendement casino », qui constitue, en
fait, deux amendements.
Certains ont crié au scandale s'agissant de la possibilité de financer par de
l'argent souvent considéré comme « sale » l'achat de trésors nationaux par les
musées. Pour ma part, je suis très partagé sur cette question. En effet, dès
lors que l'Etat ne peut pas, du fait de l'insuffisance de ses concours
budgétaires, acquérir des trésors nationaux menacés de fuite vers l'étanger, ne
faut-il pas remédier à cette carence coûte que coûte, afin de favoriser
l'enrichissement des collections des musées et d'éviter la dispersion du
patrimoine national ?
J'en étais à ce point de ma réflexion lorsque j'ai pris connaissance de
l'amendement du Gouvernement, dont la portée est supérieure à celle des
amendements proposés par M. le rapporteur. L'amendement du Gouvernement a en
effet pour objet de permettre aux entreprises d'acquitter leur impôt sur les
sociétés en octroyant la quasi-totalité du montant de celui-ci à l'achat d'un
trésor national par l'Etat, ce dernier restant maître de la situation puisqu'il
pourra refuser l'offre.
Cette disposition, qui reprend une solution préconisée par le rapport rendu en
septembre dernier par l'inspection des finances, me semble raisonnable. En
outre, elle constituera une nouvelle voie de mécénat, qui se développe trop
lentement en France. Toutefois, si nous comptons sur les entreprises pour faire
cette offre et jouer ainsi un rôle de mécène, nous comptons aussi sur Bercy
pour en accepter un nombre qui soit incitatif et qui permette un enrichissement
important de notre patrimoine national.
Voilà les principales réflexions que m'inspire le projet de loi que vous nous
soumettez, madame la ministre. Je souhaite qu'il permette à la France de
reconquérir sur la scène internationale le rôle prépondérant en matière
culturelle qu'elle a tenu pendant des siècles et qu'elle doit conserver.
Sachez, madame la ministre, que vous bénéficiez du soutien total du groupe
socialiste, que je représente.
(Applaudissements sur les travées socialistes
et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.
M. Jean-Léonce Dupont.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 1832,
Lamartine écrivait : « Je suis las des musées, cimetières des arts. » Dirait-il
la même chose aujourd'hui ? Probablement pas.
En effet, les Français ne sont pas las des musées : en quinze ans, le nombre
de visiteurs dans les musées nationaux est passé de neuf millions à quinze
millions, et les musées sont aujourd'hui des lieux de vie, d'échange et de
création.
Depuis un demi-siècle, l'institution muséale a beaucoup changé. La loi, quant
à elle, a peu évolué. Celle qui régit les musées remonte à 1945 ; sa réforme
était à l'ordre du jour depuis une dizaine d'années. On comprend que ce projet
de loi ait fait l'objet d'une déclaration d'urgence !
Une loi ancienne, des musées en mutation : la réforme se devait donc d'être
profonde. Or le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui est un texte
a
minima
, manquant malheureusement d'ambition et d'audace, comme l'a
d'ailleurs reconnu elle-même la majorité à l'Assemblée nationale.
Ce projet présente en effet deux défauts principaux : il est étatiste et
lacunaire. D'un côté, il privilégie une approche administrative de la politique
de l'Etat dans le domaine des musées ; de l'autre, il ne dit rien ni sur le
statut des personnels, ni sur les conservateurs, ni sur la mobilité, notamment
entre la fonction publique d'Etat et la fonction publique territoriale, rien
non plus sur la mise en réseau des collections. Enfin et surtout, le projet de
loi initial était muet sur le volet fiscal et financier.
Tout d'abord, ce texte traduit une logique administrative, uniformisante.
Le nouveau label « musée de France » est peu innovant en termes de statut, et
il accroît encore les contrôles.
Il ne modifie pas le mode de gestion des musées. Il aurait été souhaitable,
pourtant, d'accorder plus largement la personnalité juridique.
Seuls deux grands musées, le Louvre et Versailles, ont été érigés en
établissements publics administratifs. Le musée d'Orsay, quant à lui, est
encore géré en régie par la direction des musées de France !
La cogestion des grands musées par cette direction et par la Réunion des
musées nationaux apparaît quelque peu dépassée aujourd'hui. Il faudrait doter
les musées nationaux d'une responsabilité plus large s'agissant de leur
gestion, ainsi que d'une certaine maîtrise de leurs ressources. Mais le projet
de loi s'y refuse.
Je tiens néanmoins à signaler l'avancée que représente le transfert par l'Etat
aux collectivités locales des oeuvres qu'il a mises en dépôt dans des musées
territoriaux avant 1910. Je souhaiterais avoir une précision à ce propos,
madame le ministre.
En effet, la création de certains musées étant récente, des dépôts de l'Etat
ont été effectués, par exemple, auprès de bibliothèques municipales. Les
oeuvres concernées entreront-elles également dans le champ du transfert de
propriété ?
Je constate, par ailleurs, que le texte ignore les sociétés d'économie mixte.
Cet oubli résulte, semble-t-il, d'une confusion entre le mode de gestion du
musée et son propriétaire. La rédaction proposée par notre commission me paraît
clarifier les choses. J'ai néanmoins déposé un amendement pour m'en assurer.
Non seulement le label s'inscrit dans une logique administrative classique,
mais il la systématise aussi en étendant davantage le contrôle de l'Etat. Il va
ainsi faire entrer dans le champ de la loi les musées de l'Etat ne relevant pas
de la direction des musées de France ni du ministère de la culture, comme le
Muséum d'histoire naturelle ou le musée de l'Armée, ainsi que l'ensemble des
musées dépendant pour l'essentiel des collectivités locales.
De plus, la personne morale responsable du musée ne pourra pas s'opposer à
l'appellation « musée de France ». C'est pourquoi, à ce propos, nous
approuvons, là encore, les amendements de notre commission visant à renforcer
le caractère contractuel du label.
Le contrôle de l'Etat s'étend également sur le fond, puisque, de technique, il
devient « scientifique et technique ». Mais cette extension du contrôle de
l'Etat pose un problème de moyens. Le volontarisme législatif ne peut, en
effet, suppléer ni ignorer la réalité des moyens institutionnels et financiers
; une loi ne remplace pas un budget.
L'Etat pourra-t-il vraiment remplir sa mission de conseil, d'expertise et de
soutien, alors même que la direction des musées de France ne dispose pas de
services déconcentrés ?
Quoi qu'il en soit, tous les dossiers seront étudiés à Paris par l'Inspection
générale des musées, au risque de subir de longs délais.
En outre, l'Inspection générale possède-t-elle toutes les compétences pour se
prononcer à la fois sur l'acquisition d'un timbre pour le Musée postal, d'un
léopard pour le zoo de Vincennes et sur la restauration d'une trieuse
mécanographique du Conservatoire national des arts et métiers ?
Par ailleurs, la moitié des directions régionales d'art contemporain n'ont pas
de conseiller musée, et ceux qui sont en poste n'ont pas d'infrastructure pour
travailler. Les musées sont donc sous-représentés à un échelon décisif de la
mise en oeuvre de la politique de l'Etat.
A ces carences en moyens humains et financiers s'ajoute le budget insuffisant
alloué à l'acquisition d'oeuvres d'art.
J'en arrive au volet financier.
Le projet de loi initial ne comportait aucune mesure fiscale ou financière en
ce sens. L'Assemblée nationale en a heureusement ajouté quelques-unes, afin de
favoriser l'enrichissement des collections muséographiques.
La commission nous propose également de renforcer ce volet fiscal par
plusieurs dispositions dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Outre des exonérations fiscales, un prélèvement de 1 % a été institué par
l'Assemblée nationale sur le produit brut des jeux dans les casinos.
Je me permets, à ce propos, d'attirer votre attention, mes chers collègues,
sur la distinction qu'il convient de faire entre les casinos et le pari mutuel
d'une part, et les jeux de loterie d'autre part.
Les premiers représentent un secteur économique à part entière ; les casinos,
par exemple, ont créé de nombreux emplois ces dernières années. Ce secteur
compterait aujourd'hui environ 13 000 emplois directs et 7 000 emplois induits.
Il en va de même du monde du cheval.
En comparaison, La Française des jeux emploie 800 personnes, et son rôle est
avant tout de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat.
Par ailleurs, la rénovation des musées passe aussi par leur budget. Organiser
une exposition, faire circuler les oeuvres d'un musée à l'autre, acquérir un
tableau, une sculpture, tout cela coûte cher.
Pour permettre aux musées de disposer d'un budget plus important, un des
moyens serait de leur accorder un droit à l'image pour les oeuvres qui
appartiennent à une collectivité publique.
La jurisprudence a très clairement reconnu aux propriétaires privés un droit à
l'image des biens qui leur appartiennent. Ce droit leur permet de s'opposer à
toute reproduction de leurs biens, fût-elle à usage privé. Mais elle ne s'est
pas encore prononcée sur le cas particulier de l'exploitation commerciale par
un tiers qui n'y aurait pas été autorisé de l'image d'un bien mobilier
appartenant à une collectivité publique.
Je souhaite, madame la ministre, que nous réfléchissions ensemble sur le droit
à l'image qui pourrait aujourd'hui être accordé aux collectivités publiques.
Cette reconnaissance permettrait de soumettre à autorisation préalable
l'utilisation à des fins commerciales de la représentation des objets figurant
dans les collections des musées appartenant à ces collectivités publiques. Cela
permettrait aussi à ces mêmes collectivités de s'assurer que la reproduction
est conforme à l'intérêt général.
Sur quelle base percevoir une redevance de la part de l'utilisateur ?
Aujourd'hui, les prises de vues ou photographies réalisées à l'intérieur de
musées appartenant à l'Etat donnent lieu à la perception d'une taxe spéciale.
Mais cette redevance n'est pas la contrepartie de l'utilisation commerciale de
l'image du patrimoine de l'Etat : elle est liée à l'occupation privative du
domaine public.
Il conviendrait donc de généraliser la redevance perçue dans les monuments
historiques et les musées appartenant à l'Etat en l'étendant à toutes les
collectivités publiques et en fondant son versement non plus sur l'occupation
privative du domaine public, mais sur l'utilisation à des fins commerciales de
la représentation ou de la reproduction du patrimoine historique ou artistique
des collectivités publiques.
Pour que cette question soit étudiée, je vous soumettrai, mes chers collègues,
un amendement demandant au Gouvernement un rapport sur ce sujet.
Enfin, je tiens, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, à
féliciter la commission et son rapporteur pour l'excellent travail qu'ils ont
accompli et à les assurer de notre soutien pour les amendements qu'ils vont
proposer.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
Fort de cela, le Gouvernement a décidé, par ce projet de loi, de donner une nouvelle assise juridique aux musées nationaux ou territoriaux. Très bien !
Cependant, ce projet de loi inscrit dans l'urgence - pour quelle raison ? - est décevant et incomplet. Il privilégie une approche administrative de la politique conduite par l'Etat dans le domaine des musées. Il substitue, en effet, à l'ordonnance du 13 juillet 1945, texte qui a vieilli mais qui constitue un modèle d'organisation très souple, un dispositif qui ne correspond ni aux mutations qu'ont connues les musées depuis les années soixante-dix ni aux acquis de la décentralisation.
Par ce texte, madame la ministre, vous cherchez à atteindre un triple objectif.
D'abord, vous voulez placer le public au coeur de la vocation du musée. A l'aune des progrès déjà accomplis en ce domaine, les dispositions du projet de loi ne sont guère novatrices : elles se contentent d'étendre à l'ensemble des musées relevant de l'Etat la gratuité pour les moins de dix-huit ans, déjà appliquée dans les musées nationaux.
Ensuite, vous entendez redéfinir les relations entre l'Etat et les musées. En agissant de la sorte, vous favorisez une uniformisation administrative qui ignore les acquis de la décentralisation. Le texte substitue aux deux catégories actuelles, musées classés et musées contrôlés, une appellation unique « musée de France », qui a vocation à s'appliquer à l'ensemble des institutions dont les collections présentent un intérêt public.
Par ce moyen, vous soumettez les « musées de France » à un contrôle de l'Etat plus strict que celui qui est prévu par l'ordonnance de 1945. De technique, le contrôle de l'Etat devient « scientifique et technique ». Mais le projet de loi va bien au-delà en confiant à un décret le soin de fixer les règles de dépôt et de prêt des collections des musées de France, de définir les qualifications exigées des professionnels auxquels seront confiées, après avis des services de l'Etat, leurs restaurations, ou encore en les obligeant à leur transmettre des statistiques relatives à leur fréquentation.
La création d'une nouvelle instance consultative, le Conseil des musées de France, placé auprès du ministre, ne constitue pas un moyen de se prémunir contre les risques d'un renforcement des prérogatives de l'Etat. En effet, ce conseil ne dispose pas des moyens nécessaires pour affirmer son indépendance et son autorité. D'ailleurs, je ne crois pas que le nombre de ses membres soit de nature à lui permettre d'atteindre ce double objectif, pourtant vivement souhaitable. Je constate également qu'aucun représentant des musées privés n'y figure - à moins que le décret en Conseil d'Etat n'y pourvoie - et que le choix des représentants dits qualifiés et de représentants des associations représentatives du public ouvre la porte aux passe-droits et à l'arbitraire.
M. René-Pierre Signé. Oh !
M. Bernard Plasait. Ce Haut Conseil devrait, au contraire, pouvoir affirmer sa légitimité et avoir à sa disposition les services de l'Etat, et non l'inverse.
Plus grave, rien n'est dit de son financement, et j'ai bien peur que pareille structure ne soit trop coûteuse pour des finances publiques bien dégradées.
Enfin, madame la ministre, ce texte tend à consolider le régime de protection des oeuvres puisqu'il renforce les garanties existantes.
L'article 8 affirme un principe d'inaliénabilité absolue des collections publiques, qui interdit tout déclassement.
La gestion des collections privées est également strictement encadrée : leurs propriétaires ne peuvent les céder qu'aux personnes publiques ou aux personnes morales de droit privé à but non lucratif qui se seront engagées au préalable à maintenir l'affectation de ces collections au public.
Nous ne pouvons que regretter, madame la ministre, que ces dispositions ne tiennent pas compte de la diversification des collections muséographiques et interdisent pour l'avenir toute évolution de leurs modes de gestion.
Derrière ces trois objectifs, la ligne du ministère est transparente : d'abord, se désengager du patrimoine muséographique ; ensuite, au moyen du label, se transformer en simple outil de communication ; enfin, assurer son pouvoir en étendant ceux de la direction des musées de France à l'ensemble des « musées de France ».
Madame la ministre, les non-dits et l'interventionnisme étatique que je discerne dans ce projet de loi pourraient conduire au pire dans son application.
Ce texte aboutit non seulement au désengagement de l'Etat quant aux moyens financiers, mais aussi à l'assujettissement des musées territoriaux et privés acceptant l'attribution du label à l'outil séculier : la direction des musées de France. (M. Signé s'exclame.)
Je ne prendrai qu'un exemple : un musée privé acceptant le label et devant entreprendre des travaux, sans intervention financière de l'Etat, se verra imposer un programmateur de la direction des musées de France avec des conséquences imprévisibles sur les coûts et une distorsion obligatoire sur le projet d'origine. En cas de refus, les possibilités sont un retrait des dépôts et le blocage des échanges. La direction des musées de France disposera sur ces deux points d'une grande capacité négative pour asseoir son pouvoir.
Comme à son habitude, le Gouvernement contraint là où il faudrait justement responsabiliser les acteurs. Assujettir un plus grand nombre de musées à une administration, qui fait chaque jour la preuve de ses carences, est-ce vraiment la solution ? Et je dis cela à l'heure où le ministère de la culture n'assure déjà plus la mission essentielle, madame la ministre : l'ouverture au public des musées en raison de la loi sur les 35 heures. (M. Signé s'exclame.) La pagaille du dernier week-end en témoigne !
M. René-Pierre Signé. Il critique tout !
M. Bernard Plasait. J'ajoute que l'échec total dans la gestion de la Réunion des musées nationaux qui vous a sans doute frappé, mon cher collègue, à la suite de diversifications hasardeuses, augure mal de ce que pourra être la gestion des « musées de France ».
Les grandes incertitudes actuelles sur le devenir du musée de l'Homme, du musée des Arts et Traditions populaires, du musée des Arts africains et océaniens et l'exclusion dans le futur musée des Arts premiers de tout objet d'origine européenne devraient mobiliser le ministère autrement.
En résumé, ce texte va à l'encontre du grand projet qui serait nécessaire : décentralisation à l'échelon régional ; autonomie et responsabilisation de chaque musée ; intégration dans un tissu local, associatif et culturel ; renforcement des compétences techniques et financières ; création de réseaux d'échanges européens et internationaux ; élaboration de projets scientifiques et artistiques de type ERASMUS ; enfin, réinvestissement de la cité en sortant le patrimoine des musées.
Voilà quelques orientations, madame la ministre, qui seraient de nature à favoriser l'augmentation du nombre des visiteurs.
Ouvrir les musées à un public nouveau suppose un environnement culturel qui aiguise l'appétit et l'esprit de découverte des plus jeunes. L'ouverture des musées dans la ville, la nécessité d'aller dans les lieux publics autres - les mairies, par exemple - à la rencontre du public doivent s'accompagner d'une ouverture sur l'Europe. Or ce texte ne mentionne pas l'Europe, alors qu'elle devrait être au coeur de nos réflexions. L'outil patrimonial et muséal devrait être l'un des principaux vecteurs de l'idée européenne auprès des nouvelles générations.
Enfin, je conclurai mon intervention en rendant hommage au remarquable travail effectué par le rapporteur de la commission, notre excellent collègue Philippe Richert. Les amendements qu'il nous proposera, et que j'approuve, ouvrent la voie de la responsabilité, notamment en matière fiscale et financière. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Je ne répondrai sans doute pas aux nombreuses questions soulevées par l'ensemble des intervenants, dont certaines ressurgiront d'ailleurs à l'occasion de l'examen des amendements. Quoi qu'il en soit, je voudrais lever tout de suite un double malentendu.
Le premier malentendu tient à ce que plusieurs intervenants ont semblé croire que ce texte ne s'adressait qu'à une catégorie de musées. Je rappelle que, quels que soient leurs ministères de tutelle et quelle que soit leur thématique, l'ensemble des musées entrent dans le champ de ce texte.
Le second malentendu, qui est évidemment plus lourd, porte sur la nature même de ce projet de loi et sur l'ambition qui le sous-tend en matière de décentralisation. Il s'agit d'une inquiétude qui a été exprimée notamment par M. le rapporteur, mais aussi par d'autres intervenants. Je voudrais simplement répéter ici que le choix opéré par le Gouvernement s'agissant de la création d'un label commun vise à l'harmonisation et non pas, comme je l'ai entendu dire, à l'uniformisation. Il est au contraire clairement dit que les musées, dans toute la diversité qui est la leur, doivent pouvoir trouver leur place à l'intérieur de cette nouvelle famille « musée de France ».
Pourquoi un seul label ? C'est de la sorte une stratégie d'ensemble de la politique culturelle que nous pouvons mener au travers des institutions muséales, dans toutes leurs diversités, je le répète. Ce label est à même de créeer un lien et de donner un repère au public.
Vous avez notamment redouté, monsieur le rapporteur, que ce texte ne suscite des tentations trop administratives. Je souhaite vous rassurer ; je ne prendrai que l'exemple des statistiques. Si nous voulons ensemble, au sein du Haut Conseil des musées de France, réfléchir à la politique globale de ces institutions, le fait pour chacune d'entre elles d'établir des statistiques sera vécu non pas comme une surcharge tatillonne et bureaucratique, mais au contraire comme la possibilité de mettre les réflexions en commun.
Je rappelle aussi que, en dehors des musées d'Etat, l'attribution de ce fameux label « musée de France » n'est nullement imposée : elle n'est pas arbitrairement décidée ; elle est proposée et librement consentie par l'ensemble des musées, quel que soit leur statut.
De même, vous avez exprimé la crainte que le principe d'inaliénabilité absolue des collections publiques ne fige ces collections. Nous en rediscuterons, bien sûr, lors de l'examen des amendements. Mais j'appelle votre attention sur un fait : certes, les collections entrent définitivement dans la famille des musées de France, mais, au travers des dépôts ou des échanges au sein de cette grande famille, elles peuvent mener des vies successives au fil des initiatives des conservateurs et des propriétaires des collections.
J'ajoute que l'Etat n'est pas seul gardien du patrimoine national : n'oublions pas la loi. C'est d'ailleurs pour cela que nous attachons tous, me semble-t-il, une importance à ce texte, quelles que soient les insuffisances relevées par tel ou tel.
Monsieur le rapporteur, vous avez fait de l'inaliénabilité l'un des thèmes les plus importants de votre analyse, tout comme d'autres orateurs.
Pour le Gouvernement, ce principe de l'inaliénabilité est vraiment l'expression même de l'intérêt général que présentent ces collections au regard du patrimoine national et, je le répète, nous ne voyons pas la possibilité d'y apporter des entorses.
Vous vous êtes préoccupé, notamment, des collections des musées privés. Vous nous présenterez, si j'ai bien entendu votre propos, une adaptation du dispositif sous la forme d'un régime à double vitesse selon que les oeuvres ont été acquises avec une aide publique ou qu'elles sont pleinement propriétés privées.
Nous y reviendrons, mais j'attire votre attention sur le fait qu'à travers ce texte ce sont aussi la qualité et la cohérence des collections que nous défendons. Si un musée privé regroupe à la fois des oeuvres qui lui appartiennent et des oeuvres acquises avec des aides publiques, c'est néanmoins la totalité de la collection qui présente un intérêt général. Je pense donc qu'il y a un risque à distinguer les régimes applicables à ces deux catégories d'oeuvres.
L'application des règles de la domanialité comme substitut à l'inaliénabilité totale ne me paraît pas être la bonne réponse. Certes, ce régime juridique existe d'ores et déjà et inclut en effet une faculté de déclassement, mais je rappelle, monsieur le sénateur, que, dans la pratique, cette faculté n'a jamais été mise en oeuvre au cours du xxe siècle.
M. Philippe Richert, rapporteur. Donc, cela marche ! Nous ne faisons que renforcer la protection.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. C'est que le déclassement, comme l'aliénation qui peut s'ensuivre, porte atteinte à cet intérêt global et général de la collection, nous y reviendrons.
Mais je me tourne maintenant vers les différents orateurs.
Monsieur Joly, nous oeuvrons pour sortir d'une grève qui affecte lourdement et, depuis quatorze jours, les musées. Sachez que, dans ma position, je ressens très douloureusement la fermeture au public de ces institutions mais, dans tous les ministères, la réduction du temps de travail est une négociation difficile qui demande du temps. J'espère que nous parviendrons rapidement à une solution, dans l'intérêt non seulement, d'ailleurs, des publics aujourd'hui privés de cet accès aux ressources culturelles mais aussi de tous ceux qui travaillent dans les musées.
Vous avez souligné les difficultés de gestion des réserves qui sont parfois, en effet, insuffisamment équipées pour assumer le poids des collections. Cela fait partie de l'ensemble des projets d'investissements qui sont portés, souvent en commun, par l'Etat et par les collectivités territoriales.
M. Gaillard s'est évidemment surtout attardé sur le dispositif fiscal, qu'il connaît bien et auquel il s'est depuis longtemps beaucoup intéressé. J'ai noté avec plaisir qu'il approuvait les propositions contenues dans le rapport Cerruti, ce qui me fait espérer que les dispositions dont nous allons discuter tout à l'heure, au cours de la discussion des articles, recueilleront, au moins pour partie, son soutien.
Vous avez aussi, monsieur le sénateur, souligné la relance du marché de l'art, en particulier grâce à l'adoption de la loi sur les enchères publiques que le Gouvernement a eu l'honneur de défendre et de faire aboutir.
M. Renar a souligné à juste titre, au début de son intervention, l'importance du rôle de transmission des musées, de l'ensemble des musées, ainsi que la nécessité de placer le public, comme je l'ai souvent dit, au coeur du dispositif muséal, et donc au coeur du projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
Ce texte vise toutes les catégories de musées et, dans la démarche de démocratisation qui est la nôtre et qui inspire ce projet de loi, la politique tarifaire occupe une place importante.
Vous avez souligné que l'Etat montrait la voie en ce qui concerne l'accès aux musées pour les jeunes de moins de dix-huit ans. Vous avez, à cette occasion, émis le voeu que la gratuité soit étendue aux expositions temporaires et non plus réservée aux seules collections permanentes. Intellectuellement, je ne peux que souscrire à ce voeu très légitime, monsieur le sénateur, mais sa réalisation implique simplement que l'économie de nos musées nous le permette. Je suis certaine que nous travaillerons en ce sens ensemble de budget en budget.
D'ailleurs, on constate déjà, dès avant le vote de ce texte, des avancées dans la politique muséale, notamment les heureux effets de la gratuité. En effet, là où elle est pratiquée, même lorsqu'elle se borne à cibler tel ou tel jour de la semaine ou du mois, cette gratuité a eu un effet extrêmement positif sur la fréquentation de l'ensemble des musées, qu'elle a permis de faire progresser de plus de 25 % en moyenne depuis son instauration.
Il était donc important de prendre acte de ces avancées et de réinscrire cet objectif dans la loi, tout en respectant l'autonomie de gestion des collectivités propriétaires auxquelles, bien entendu, l'Etat ne pouvait pas imposer ce recours à la gratuité, elles, qui comme l'Etat, connaissent des contraintes de gestion assez souvent difficiles à surmonter.
Je tiens à vous remercier, monsieur Lagauche, d'avoir rappelé l'intense activité de la législature en cours sur l'ensemble des problèmes du marché de l'art, de la protection du patrimoine et du soutien aux professions de l'art.
Vous avez souligné l'intérêt du label comme signal donné au public d'aujourd'hui, ainsi qu'au « non-public » d'ailleurs, de l'existence d'une proposition cohérente sur l'ensemble du territoire.
Je me réjouis aussi de la position que vous avez prise en ce qui concerne l'inaliénabilité et les risques que représente le déclassement.
Vous vous êtes interrogé sur une question dont nous avons peu eu l'occasion de parler mais qui a été évoquée par M. le rapporteur : les qualifications des professionnels des musées. Il n'y a pas, dans notre esprit, de distinction entre les professionnels de la conservation et de l'exposition, d'une part, et les professionnels de ce que l'on peut appeler l'action culturelle au sein des musées, d'autre part.
Bien entendu, des exigences de qualifications sont d'ores et déjà imposées à l'ensemble des professionnels de tous les musées. Les personnels contractuels ne seront pas lésés par la nouvelle loi car nous veillerons, dans l'élaboration des décrets d'application, à ce qu'il soit tenu compte largement de l'expérience professionnelle acquise et des qualifications liées à cette expérience, au-delà même des diplômes.
Je voulais également préciser, en réponse à l'une de vos questions, que j'ai confié une mission d'étude à M. Daniel Malingre afin qu'il considère les possibilités d'une reconnaissance des formations des restaurateurs d'art qui, je le sais, assument souvent, sur tout le territoire, une fonction très importante pour nos musées.
M. Jean-Léonce Dupont a rejoint M. le rapporteur dans la critique fondamentale de ce texte, dans lequel il voit une « centralisation uniformisatrice ». Je veux redire que le label « musée de France » est, au contraire, respectueux des différences, notamment de statuts, d'origines, de collections, et qu'il s'agit plus d'un cercle de travail en commun, de mise en commun des méthodes et des objectifs en direction des publics que, comme vous semblez le redouter ou le déceler dans le texte, d'un contrôle uniformisateur.
En réalité, je ne crois pas que l'on puisse dire que ce projet accroisse les contrôles, puisqu'il définit plus strictement le rôle de l'Etat, qui ne contrôle que pour protéger la pérennité et la qualité des collections.
Nous aurons d'ailleurs à reparler de la composition du Haut Conseil qui, je l'espère, contribuera à atténuer vos inquiétudes sur toute tentation de recentralisation.
Quant au musée d'Orsay, il s'agit non pas d'une régie, mais d'un service à compétence nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sachez qu'il y a aujourd'hui des « conseillers musée » dans presque toutes les directions régionales des affaires culturelles et que ces dernières participent pleinement, aux côtés de l'inspection générale des musées, dont la compétence est, je crois, reconnue par tous, à l'observation et à l'expertise du fonctionnement de nos musées. C'est donc là un échelon réellement déconcentré de l'administration des musées qui, auprès des collectivités locales, dialogue avec elles et est également à l'écoute de l'ensemble des responsables des musées.
L'idée d'un droit à l'image me semble mériter examen. Nous en reparlerons.
Je voudrais dire à M. Plasait - il ne s'en étonnera pas - que je ne partage pas l'analyse qu'il fait de l'esprit de ce texte. En effet, beaucoup plus que M. le rapporteur et d'autres intervenants, il y voit à la fois une tentation de désengagement de l'Etat et une prétention à un plus grand centralisme et à un plus grand interventionnisme. Je me suis efforcée de démontrer qu'il n'en était rien, mais il est parfois difficile de faire évoluer des convictions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tous ceux qui sillonnent la France et qui connaissent la grande palette de nos musées, qu'ils soient publics ou privés, peuvent constater l'extraordinaire vitalité de l'institution muséale. Je ne voudrais donc pas qu'à l'issue de ce débat nous ayons donné le sentiment que rien ne va dans les musées. Nous sommes tous, au contraire, confortés dans nos efforts sur le plan tant local que national par l'extraordinaire richesse de ce réseau. Soyez assurés de la volonté du Gouvernement non seulement de ne pas se désengager mais, surtout, d'accompagner, avec toutes les forces dont il dispose, les initiatives - et elles sont nombreuses - qui peuvent être prises, dans ce domaine, à un échelon décentralisé, voire par des personnes privées.
Le fait d'inscrire dans la loi, au-delà de la fonction patrimoniale, conservatrice et protectrice des musées, la fonction de relation au public, de démocratisation culturelle, n'est pas, à mon sens, un aspect anecdotique du texte que j'ai l'honneur de défendre devant vous. Cette légalisation de la fonction culturelle me semble être d'une portée symbolique forte pour appuyer le travail considérable qui est fait en ce sens par la quasi-totalité des responsables, quelle que soit la nature des musées qu'ils ont en charge. Cette tâche sera, à mon avis, encore mieux accomplie grâce à la création de services du public, appelé pédagogiques ou culturels, à l'intérieur de toutes ces institutions.
Je vous remercie encore de la grande attention que vous avez apportée, monsieur le rapporteur, monsieur le président, et vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce texte. J'ai bien compris que l'urgence déclarée ne vous faisait pas plaisir ; elle ne fait jamais plaisir. Simplement, le réalisme que nous impose un calendrier parlementaire extrêmement difficile et le désir, je crois, partagé de faire aboutir ce texte dans les meilleurs délais est, sinon une excuse, du moins une explication pour le choix de cette procédure. Cela nous a d'ailleurs amenés à travailler ensemble très étroitement dès le début de la discussion. J'espère que nous en recueillerons les fruits.
M. Jacques Valade, président de la commission. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
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