SEANCE DU 17 OCTOBRE 2001


M. le président. L'article 1er U a été supprimé par l'Assemblée nationale.
L'amendement n° 32, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, et ainsi libellé :
« Rétablir l'article 1er U dans la rédaction suivante :
« I. - Le deuxième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi rédigé :
« Ils pourront cependant, lorsque les circonstances et la personnalité du délinquant paraissent l'exiger, prononcer à l'égard du mineur âgé de plus de dix ans une condamnation pénale conformément aux dispositions des article 20-2 à 20-5. Aucune peine d'emprisonnement, avec ou sans sursis, ne pourra être prononcée contre un mineur de treize ans. »
« II. - Dans l'article 18 de la même ordonnance, le mot : "treize" est remplacé par le mot : "dix".
« III. - Dans l'article 20-3 de la même ordonnance, le mot : "treize" est remplacé par le mot : "dix".
« IV. - Dans le premier alinéa de l'article 20-7 de la même ordonnance, le mot : "treize" est remplacé par le mot : "dix".
« V. - Après l'article 20-7 de la même ordonnance, il est inséré un article 20-8 ainsi rédigé :
« Art. 20-8. - Le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs peuvent prononcer les peines suivantes à l'encontre des mineurs de dix à treize ans :
« 1° Une activité dans l'intérêt de la collectivité ;
« 2° L'amende, dans les conditions prévues à l'article 20-3 ;
« 3° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit ;
« 4° L'interdiction, pour une période déterminée, de se rendre dans certains lieux ;
« 5° L'interdiction, pour une période déterminée, de rencontrer certaines personnes. »
« VI. - Dans le deuxième alinéa de l'article 21 de la même ordonnance, le mot : "treize" est remplacé par le mot : "dix".
« VII. - Dans le second alinéa de l'article 22 de la même ordonnance, le mot : "treize" est remplacé par le mot : "dix". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Cet amendement prévoit la possibilité de prononcer une peine non privative de liberté à l'encontre d'un mineur âgé de dix à treize ans. Il a pour objet de responsabiliser davantage les enfants délinquants en permettant de prononcer contre eux une sanction pénale à partir de l'âge de dix ans, contre treize ans actuellement.
En effet, nous constatons trop souvent que les mineurs s'enfoncent dans la délinquance parce que leur premier rendez-vous judiciaire n'apporte ni une réponse adaptée ni une réponse ferme.
Je répète qu'il s'agit non pas de mettre les enfants en prison, mais de les placer devant leurs responsabilités, de solenniser en quelque sorte leur premier contact avec la justice.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 32.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Il s'agit d'un amendement d'une portée considérable. J'ai déjà eu l'occasion de le dire lors de la première lecture à la Haute Assemblée, je le réaffirme très fermement aujourd'hui.
Cet amendement tend à instaurer la responsabilité pénale des enfants - car c'est bien d'enfants dont il s'agit - à partir non plus de l'âge de treize ans, mais de l'âge de dix ans. Cela signifie en clair que l'on nous demande d'inscrire dans le droit français la possibilité de déférer devant un tribunal - ici un tribunal pénal - ou devant une cour d'assises un enfant de dix ans.
C'est non seulement aller à l'encontre de la réalité de l'enfance, mais c'est aussi s'engager dans la voie d'une régression prodigieuse de notre droit. Il faut remonter très loin dans l'histoire de celui-ci pour retrouver cette conception selon laquelle un enfant de dix ans peut être déféré devant une juridiction criminelle ! Je demande à chacun de s'interroger sur ce que cela signifie.
Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas de mesures qui puissent être prises par la justice des enfants ou des mineurs. Je rappelle qu'aujourd'hui lorsqu'un enfant de onze ou douze ans se trouve présumé responsable d'une infraction, la règle est celle du traitement direct. C'est immédiatement que l'enfant est déféré devant le représentant du parquet ou le procuteur, et un premier rendez-vous avec la justice à cet âge, cela compte !
Le procureur prend alors soit des mesures immédiates, par exemple une rencontre avec la victime, soit des mesures éducatives, et si, au vu des premiers renseignements, il le juge utile, il saisit le juge des enfants. C'est la deuxième rencontre avec la justice.
Le juge des enfants, à cet instant-là, ordonne les mesures d'information sans lesquelles on ne peut rien faire et qui doivent être aussitôt effectuées, à savoir une enquête sur la famille et sur la scolarité, et, éventuellement, et des mesures d'assistance éducative, voire des mesures d'ordre psychiatrique.
Ces mesures, qui peuvent aller jusqu'au placement dans un centre surveillé, étant prises, c'est seulement alors que sont arrêtées les décisions concernant ce que l'on doit appeler le traitement socio-éducatif.
Telle est la ligne qui doit être conservée. L'idée de déférer un enfant de dix ou onze ans devant une juridiction avec tout l'apparat que cela implique est une aberration.
En ce qui concerne les peines, il va de soi que la prison n'est pas envisageable. On ne peut pas davantage recourir au travail d'intérêt général, les conventions internationales sur le travail forcé des enfants l'interdisent. Je signale au passage que, la mention du travail d'intérêt général ayant disparu pour des raisons juridiques, l'amendement fait maintenant référence à « une activité dans l'intérêt de la collectivité ». Une activité forcée, cela tombe, s'agissant d'enfants, sous le coup des conventions internationales !
Prévoir d'infliger une amende relevant de la plaisanterie, que reste-il ? Il reste l'interdiction, pour une période déterminée, de se rendre dans certains lieux ou de rencontrer certaines personnes - car je laisse bien sûr de côté la confiscation de la « mobylette » qui n'a pas de portée ici - interdictions qui peuvent être décidées par le juge des enfants.
L'objet de l'amendement n° 32 est donc la solennisation de la rencontre de l'enfant de moins de treize ans avec l'appareil judiciaire. Ce n'est plus une rencontre avec le juge mais une confrontation à la solennité de l'audience, qui, on ne pourra rien y changer, aura des effets pervers certains.
Quiconque a fréquenté les juridictions, y compris criminelles, sait en effet que l'enfant à l'encontre duquel n'auront pu être prononcées que les deux mesures d'interdiction que j'évoquais sortira mithridatisé du tribunal ! Il sera devenu celui qui a comparu en correctionnelle, pour ne pas dire en cour d'assises. Et, aux yeux de ceux qui lui sont proches parmi ces petites bandes ou groupes, il deviendra une sorte de vedette. Vedette de quoi ? Précisément de ce que nous ne voulons pas. Il ne faut donc pas aller dans cette direction.
Pour l'honneur de notre justice, ne soyez pas ceux qui auront décidé, au début du xxie siècle, d'envoyer devant les tribunaux correctionnels et les cours d'assises des enfants de dix ans pour y être condamnés ! (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Bernard Murat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous déposez un sous-amendement pour les enfants de moins de dix ans ?
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur Badinter, c'est toujours avec beaucoup de plaisir que je vous écoute, tant vos interventions à la fois sur le fond et sur la forme, sont de qualité. En un sens, les propos que vous venez de tenir sont à la hauteur de ceux que vous avez exprimés au sujet de la peine de mort.
Je suis d'accord avec vous sur le fond mais j'aimerais que vous veniez chez moi en Corrèze, à Brive-la-Gaillarde, ville de 50 000 habitants, pour y tenir les mêmes propos devant les élus, la police nationale, la gendarmerie et devant les magistrats que je rencontre dans le cadre du contrat local de sécurité. Tous nous disent : que voulez-vous que l'on fasse ?
On arrête des jeunes de onze, douze, treize ans. La maturité on le sait, ne dépend pas de l'âge. A treize ans, certains sont encore des bébés, alors que d'autres sont déjà de vrais délinquants.
Mais le problème pour nous, c'est quand même d'apporter une réponse concrète aux élus, aux maires, aux populations. Or, le discours tenu dans cet hémicycle reflète une France idéale où les enfants seraient raccompagnés, tenus par la main, par des policiers suffisamment nombreux, où les gendarmes, les juges, en particulier les juges des enfants, seraient assez nombreux et disponibles pour prendre les sanctions idéales et où des mesures d'accompagnement pour les parents seraient prévues afin que ceux-ci soient prêts à revoir leur position face à la délinquance d'aujourd'hui.
Monsieur le ministre, je suis désolé, mais ce n'est pas la France d'aujourd'hui ! Certes, je ne dis pas que le Gouvernement actuel en est seul responsable, je ne dis pas que la société en est responsable. Je dis simplement que notre devoir - et bien souvent, j'ai le sentiment qu'on l'oublie dans cet hémicycle - c'est d'apporter des réponses concrètes à ceux qui ont le devoir non seulement de faire respecter la loi, mais aussi d'administer leur commune.
Je souscris donc à votre démonstration, monsieur Badinter. Malheureusement, quand je vais rentrer chez moi à Brive-la-Gaillarde, on va m'expliquer, dans le cadre du contrat local de sécurité, qu'une demi-heure après avoir été déférés devant le juge des enfants, les jeunes se retrouvent dans leur quartier. Or je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous quand vous dites qu'il ne faut pas les sortir de leur milieu. Car ils deviennent des caïds, ce qui les entraîne à la grande délinquance.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 32, repoussé par le Gouvernement.

(Après une épreuve à main levée, déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er U est rétabli dans cette rédaction.

Article 1er V