SEANCE DU 19 JUIN 2001
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons le débat d'orientation budgétaire consécutif à une
déclaration du Gouvernement.
Dans la suite du débat, la parole est à M. le président de la commission des
affaires sociales.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, « tous les citoyens ont le droit de
constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la
contribution publique ». Lors de nos débats récents sur la réforme de
l'ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances, de nombreux
intervenants se sont référés à cet article XIV de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen.
De fait, la commission des affaires sociales s'emploie dans le domaine social
à « constater la nécessité de la contribution publique ».
C'est la philosophie des lois de financement de la sécurité sociale, c'est la
raison d'être des prérogatives de contrôle sur pièces et sur place qui ont été
conférées aux rapporteurs de la commission.
D'une certaine façon, la commission des affaires sociales prépare, elle aussi,
le débat d'orientation budgétaire, grâce à un travail considérable de ses
rapporteurs conduit depuis la mi-janvier, travail qui s'est achevé la semaine
dernière en commission.
Ainsi Charles Descours a-t-il mis en lumière l'absence de financement des 35
heures.
J'observe d'ailleurs que le Gouvernement avait annoncé, dès décembre 1997, son
intention de faire supporter à la sécurité sociale le coût de sa politique de
l'emploi. Il a fait preuve, depuis lors, d'une remarquable constance à se
montrer sourd à l'opposition unanime des partenaires sociaux.
Aussi la sécurité sociale a-t-elle dû contribuer directement ou indirectement
au financement d'un fonds, le fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales de sécurité sociale, ou FOREC, destiné à lui compenser
le coût des exonérations de charges sociales. J'insiste sur cette situation
paradoxale qui voit la sécurité sociale se compenser à elle-même le coût de ces
exonérations.
Aujourd'hui, elle supporte, en outre, le déficit d'un fonds qui n'est toujours
pas créé et se trouve détenir une créance sur le budget de l'Etat - quelque dix
milliards de francs -, créance dont on peut dire qu'elle est douteuse à tout
point de vue. Pour 2001, le Gouvernement annonce des « règles claires et
stables », ce qui n'est pas bon signe dans la mesure où la règle posée par la
loi Veil de 1994 était parfaitement claire : elle posait le principe d'une
compensation intégrale.
Charles Descours a dit tout cela excellemment, tant dans son rapport sur le
FOREC que dans son commentaire sur les comptes sociaux tels qu'ils ont été
présentés le 7 juin dernier devant la commission des comptes de la sécurité
sociale.
C'est aux perspectives du fonds de réserve pour les retraites qu'Alain
Vasselle a consacré ses travaux. Il a souligné, à cet égard, l'ampleur des
prélèvements qui ont été opérés, pour financer les 35 heures et, désormais,
l'allocation personnalisée d'autonomie, sur les excédents du fonds de
solidarité vieillesse qui, eux-mêmes, doivent alimenter le fonds de réserve des
retraites.
Mais il a insisté également sur la multiplication des transferts largement
occultes qui font désormais reposer sur la branche famille l'essentiel de
l'effort pour lisser le paiement des retraites à compter de 2020.
Aussi, lorsque, à la page 25 de son rapport pour le présent débat
d'orientation budgétaire, le Gouvernement annonce que « la maîtrise des
dépenses consacrées à la famille est nécessaire », je crois que cette maîtrise
est parfaitement assurée. Si les dépenses de la branche famille croissent,
cette évolution est purement nominale. Elle est le résultat du transfert de
dépenses provenant du fonds de solidarité vieillesse - c'est la majoration des
pensions pour enfants - ou du budget de l'Etat - c'est la majoration de
l'allocation de rentrée scolaire.
Jean-Louis Lorrain s'est attaché, quant à lui, à apprécier les conditions dans
lesquelles s'était mis en place le fonds d'investissement pour les crèches. Il
a souligné à juste titre les risques et les dangers d'un fonds ponctuel pour
conduire une politique d'investissement qui aurait dû être menée avec plus de
sérénité dans l'examen des dossiers et avec le souci d'une répartition
harmonieuse des équipements.
Enfin, Charles Descours a réalisé un travail sans équivalent sur les divers
fonds médicaux et hospitaliers qui ont été créés, parfois au rythme de deux par
an, au cours des trois dernières années. Faut-il le préciser, leur financement
pèse essentiellement sur l'assurance maladie.
Ces fonds, dont je vous épargnerai les sigles, conduisent en réalité à une «
parcellisation » du financement de la protection sociale et à l'opacité des
actions menées. Ils sont, d'une certaine façon, le témoignage de l'impuissance
de l'action publique.
Je ne saurais trop prudemment vous conseiller, monsieur le ministre, mes chers
collègues, de prendre connaissance de ce volumineux rapport qui enrichit le «
capital de connaissances et d'expériences », que je remercie M. le rapporteur
général de la commission des finances d'avoir reconnu à notre commission.
Les années précédentes, j'avais appelé de mes voeux un véritable débat sur les
finances publiques. Nous sommes restés dans une épure très budgétaire.
Lors du débat sur la réforme de l'ordonnance portant loi organique relative
aux lois de finances, le Sénat a souhaité que soit organisé à l'automne un
débat en facteur commun avant l'examen des projets de loi de finances et de loi
de financement, souhait exprimé au travers d'un amendement de nos collègues
Philippe Marini et Charles Descours.
Ce débat, s'il a lieu, constituera peut-être une deuxième chance, bien qu'il
ne porte que sur une partie des prélèvements obligatoires et ne permetra pas de
clarifier les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale.
Il reste que, au-delà du souci manifesté par la commission des finances
d'évoquer en loi de finances, d'une façon ou d'une autre, les impôts et taxes
affectés à la sécurité sociale, il s'agit de questions extrêmement importantes,
qui mériteraient effectivement un débat approfondi.
Quelle est aujourd'hui la situation des finances sociales ? Certes, on assiste
à un retour global à l'équilibre, dont se félicite le Gouvernement. En réalité,
la situation est beaucoup plus complexe.
Les comptes de la sécurité sociale ont été redressés essentiellement grâce à
une forte majoration des prélèvements obligatoires, perçus à son profit,
souvent à titre exceptionnel. Mais ces prélèvements ont naturellement été
pérennisés.
Malgré une croissance économique forte mais fragile aujourd'hui, ces
prélèvements se révèlent insuffisants pour faire face à une dérive forte et
constante des dépenses d'assurance maladie, qui conduit la branche du régime
général à accumuler des déficits et, à nouveau, des dettes.
Mais, paralèllement, ces prélèvements financent les ponctions opérées par le
budget général sur les comptes sociaux : financement des 35 heures,
débudgétisation de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire et, ce qui
n'est pas sans poser problème, amortissement de la dette contractée par l'Etat
à l'égard de l'Association générale des institutions de retraites des cadres,
l'AGIRC, et de l'Association des régimes de retraites complémentaires,
l'ARRCO.
Est-il logique que les prélèvements obligatoires opérés sur les Français pour
assurer, leur dit-on, l'avenir de leur protection sociale soient incapables de
financer les dépenses de santé, étant en réalité affectés à la couverture des
dépenses courantes de l'Etat ?
A l'évidence, la première des exigences de l'article XIV de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen est de savoir où va l'argent ; c'est la
définition même de la « nécessité de la contribution publique ». De ce point de
vue, il y a une forme de tromperie à l'égard des Français qui acquittent la CSG
ou le prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine en pensant contribuer à
leur protection sociale.
Par ailleurs, comment faire des « Grenelle de la santé », c'est-à-dire
remettre à plat notre système de soins en demandant un effort à chacun - aux
gestionnaires, aux assurés comme aux professionnels de santé - si
l'
alpha
et l'
omega
de la politique du Gouvernement c'est de
prélever sur la sécurité sociale tant qu'elle n'est pas en déficit ? Car telle
est bien la philosophie du financement des 35 heures qu'a exprimée Elisabeth
Guigou devant la commission des comptes de la sécurité sociale, voilà seulement
quelques jours.
En réalité, le Gouvernement traite la sécurité sociale globalement, alors
qu'elle doit être traitée et redressée branche par branche. C'est, avec la
compensation intégrale des exonérations de charges, le second principe de bonne
gestion posé par la loi Veil de 1994. Mais le Gouvernement considère encore
volontiers les comptes publics comme un tout, comblant les déficits d'un compte
avec les excédents de l'autre, aujourd'hui le déficit persistant de l'Etat par
les excédent fragiles des comptes sociaux.
Tout cela n'est pas satisfaisant et je tenais, en tant que président de la
commission des affaires sociales, à le dire au ministre chargé de l'économie et
des finances.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation et les
perspectives de l'économie française et européenne ne sont plus du tout ce
qu'elles étaient il y a un an ; vous l'avez dit, monsieur le ministre ; le
président et le rapporteur général de la commission des finances l'ont
également souligné.
Le ralentissement de la croissance, le tassement des investissements, les
hésitations de la consommation ne permettent plus d'espérer, comme voilà encore
douze mois, que l'Europe devienne, après les Etats-Unis, le moteur de la
croissance mondiale. Les tensions inflationnistes qui réapparaissent conduisent
même les observateurs les plus pessimistes à évoquer le spectre de la
stagflation.
S'agit-il d'un ralentissement passager ? Sommes-nous en présence d'un
véritable retournement de conjoncture ? Quelles conséquences budgétaires
faut-il tirer de cette brutale inversion ? Le président de la commission des
finances et le rapporteur général du budget ont exposé les positions de leur
commission à cet égard, qui sont celles de la majorité du Sénat. Aussi est-ce
non pas à ces questions, mais aux problèmes de structure dont dépend l'avenir à
moyen terme de notre économie que je souhaite consacrer mon bref propos.
La faiblesse persistante de l'euro me servira de point de départ. De multiples
facteurs l'expliquent : la hausse du cours du pétrole, les errements de la
Banque centrale européenne, l'incapacité des pays membres de la zone euro
d'harmoniser leurs politiques fiscale et budgétaire, les liasses « d'argent
gris », qui, dit-on, sortent des lessiveuses et se convertissent en dollars, en
livres ou en yens, pur échapper au fisc, lorsqu'il faudra les convertir en
euro.
Mais si les décideurs internationaux témoignent à l'égard de l'euro d'une
aussi persistante et sourde méfiance, c'est pour une raison beaucoup plus
fondamentale : ils constatent l'incapacité ou du moins l'extrême réticence avec
lesquelles l'Europe entreprend les réformes de structures dont chacun sait
qu'elles sont la condition d'une croissance rapide et durable. Et la France
fait figure, à cet égard, de lanterne rouge en Europe. Non seulement elle ne
s'engage pas, au travers de réformes, sur la voie de l'adaptation de son
économie aux défis de la mondialisation, mais les décisions qu'elle prend, les
contraintes qu'elle impose aux agents économiques, - ménages et entreprises -
vont presque toutes en sens contraire.
Monsieur le ministre, de quatre sources différentes viennent de nous arriver à
ce sujet des avertissements qu'il serait déraisonnable d'ignorer.
Le premier vient de votre propre ministère ; je fais allusion au rapport que
vous a remis M. Frédéric Lavenir, inspecteur des finances, ancien
directeur-adjoint du cabinet de Christian Sauter et de Dominique Strauss-Kahn,
qu'il paraît difficile de suspecter de parti pris anti-gouvernemental.
Le deuxième a été délivré par Ernst Young, à l'occasion d'un tout récent
colloque organisé à Bercy par les anciens élèves de HEC, de Polytechnique et de
l'ENA.
Le troisième émane du forum de Davos qui, dans son rapport sur la «
compétitivité globale », classe la France en vingt-deuxième position, derrière
l'Allemagne, en quinzième position, et la Grande-Bretagne, en neuvième
position.
Le dernier avertissement est celui du centre de recherche économique du Japon,
qui situe la compétitivité de la France au vingt et unième rang sur trente et
une économies d'Asie et de l'OCDE.
Tous formulent la même mise en garde : l'image et l'attractivité de la France
en tant que site économique sont en chute libre.
Pourtant, ni la productivité de notre main-d'oeuvre, ni le niveau scientifique
du pays, ni la taille de son marché intérieur, ni sa situation géographique ne
sont en cause. C'est l'Etat, ses lois et sa politique, c'est l'administration,
ses procédures, ses lenteurs et son attitude, qui sont montrés du doigt.
La mondialisation, que nos imprécations n'arrêteront pas, engendre - c'est
d'ailleurs sa conséquence la plus évidente - la mobilité des talents et des
capitaux. Or la France incite littéralement les uns et les autres à quitter son
territoire, à voter avec leurs pieds, avez-vous dit, monsieur le ministre.
Frédéric Lavenir le pense. Les trois cent cinquante dirigeants de filiales
françaises de grands groupes internationaux interrogés par Ernst Young
l'affirment ; 65 % d'entre eux déclarent, à cet égard, que la France ne
bénéficiera pas des prochains investissements de leurs sociétés, et 41 %
envisagent même de relocaliser hors de l'Hexagone une partie de leurs activités
françaises.
Ces avertissements, je sais que vous les prenez au sérieux, monsieur le
ministre. Sinon, auriez-vous confié à M. Michel Charzat, député du XXe
arrondissement de Paris, une mission sur l'attractivité de la France ?
Ce qui, selon ces rapports, nous place en position défavorable - et comment
s'en étonnerait-on ? - c'est essentiellement la fiscalité et le droit du
travail. Sont formulées, d'ailleurs, à ce sujet, des propositions concrètes,
qui mériteraient de retenir votre attention, même si, monsieur le ministre, je
le sais, elles ne sont pas du goût de votre majorité.
Sur le plan fiscal, Frédéric Lavenir considère nécessaires l'abaissement du
taux marginal de l'impôt sur le revenu ainsi qu'une refonte de l'impôt de
solidarité sur la fortune, qui, d'un côté, supprimerait l'exonération de
l'outil de travail et, de l'autre, unifierait le taux d'imposition à 0,5 %. En
d'autres termes, on élargirait l'assiette en fixant un taux plus modéré, auquel
devrait s'ajouter l'exonération des sommes réinvesties dans les jeunes
entreprises pour faire naître une catégorie de
business angels
, ces
investisseurs providentiels qui sont à l'origine de la plupart des
start-up
américaines, et une réforme des
stock-options
.
Voilà un an, le rapport du Sénat sur la fuite des cerveaux, monsieur le
ministre, puis-je le rappeler, ne proposait rien d'autre que ces mesures.
Quant au droit du travail, tous ces rapports, sans exception, mettent en cause
les 35 heures, à quoi il faut bien désormais ajouter les dispositions votées
par l'Assemblée nationale en matière de licenciement.
Le chômage a heureusement beaucoup diminué en France, chacun s'en félicite,
mais cette diminution est un solde entre les entrées et les sorties sur le
marché du travail. M. Daniel Cohen, économiste, a indiqué, dans
Le Monde
du 12 juin dernier, qu'au mois de mars de cette année 300 000 nouvelles
personnes étaient au chômage. Si son taux a néanmoins baissé, c'est parce que
les créations d'emplois se sont élevées à 350 000. Ces chiffres éclairent le
débat sur les licenciements. En durcissant la législation, on réduira -
peut-être - les sorties d'emplois, mais on incitera - sûrement - les
entreprises à limiter les nouvelles embauches, et le chômage, au lieu de
diminuer, aura toutes les chances d'augmenter. Gribouille, monsieur le
ministre, n'aurait pas imaginé mieux !
Quant aux 35 heures et à leurs conséquences, tant budgétaires, économiques que
sociales, on en a depuis longtemps presque tout dit. Leur coût - plus de 100
milliards de francs - est astronomique, et leur efficacité en termes de
créations d'emplois, faible. L'Etat lui-même refuse de créer de nouveaux
emplois, prenant en cela une décision sage, à mon avis, mais qui contredit
ouvertement la thèse qu'il défend.
Sur le plan social, l'avancée que constituent, c'est vrai, les 35 heures est
écornée par le gel des salaires qu'elle engendre et par les affrontements
sociaux qu'elle provoque, sans parler des problèmes insolubles auxquels elle
confronte les petites entreprises.
Mais le pire, monsieur le ministre, c'est l'image que les 35 heures donnent de
la France, l'image d'un pays où l'Etat interdit aux gens de travailler.
(Mme
Borvo s'esclaffe.)
C'est, en tout cas, ce que nos concurrents répandent à
travers le monde pour décourager les investisseurs de s'installer en France et
mieux les attirer à eux.
L'embellie que l'économie française a connue depuis trois ans sera de courte
durée, si l'Etat s'obstine, par les mesures qu'il prend et les réformes qu'il
reporte, notamment celle des retraites,...
Mme Hélène Luc.
Dans quel état aviez-vous laissé la France ?
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
... à pousser les
talents, les entreprises et les capitaux à chercher sous d'autres cieux
l'environnement porteur que la France leur refuse.
Si je le dis, c'est moins pour vous convaincre, monsieur le ministre - quelque
chose me dit que, convaincu, vous l'êtes déjà - mais pour vous aider à
convertir ceux qui s'enferment dans des dogmes d'un autre âge et qui, en
refusant de voir la réalité telle qu'elle est, rendent un bien mauvais service
à la France.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 38 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 23 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le ministre, parler des orientations budgétaires pour 2002 est un
exercice difficile, car beaucoup d'éléments défavorables ou incertains pèsent
sur notre débat.
Tout le monde s'est interrogé sur l'évolution de la conjoncture, vous-même
l'avez évoquée, monsieur le ministre, mais il faut également tenir compte des
effets du passage à l'euro et, sortant d'une réunion avec des centaines de
commerçants, je sens que la période du 1er janvier au 17 février 2002 sera
délicate...
Il faut évidemment se préoccuper aussi des conséquences de la généralisation
des 35 heures aux petites entreprises de même qu'il faut se préoccuper des
incidences qu'auront sur les acteurs économiques les deux grandes consultations
électorales du premier semestre 2002.
Quand on ajoute ces différents éléments, on constate que le rapport que vous
nous avez transmis pour introduire ce débat, monsieur le ministre, apparaît
quelque peu intemporel, j'allais dire « irréaliste », comme l'ont très bien
souligné le président et le rapporteur général de la commission des finances
ainsi que le président de la commission des affaires sociales et le président
de la commission des affaires économiques et du Plan, qui m'ont précédé à cette
tribune.
Prenant la parole au nom du groupe du RDSE, tout au moins de sa majorité, je
voudrais axer mon propos sur l'affirmation essentielle que j'ai trouvée dans le
rapport : le Gouvernement maintient le cap. Monsieur le ministre, d'une part,
maintenir le cap ne me paraît pas souhaitable pour l'année prochaine et,
d'autre part, vous risquez de connaître de grandes difficultés pour établir un
budget convenable.
Maintenir le cap, n'est pas souhaitable. En effet, le niveau des prélèvements
obligatoires est insupportable, du fait de l'addition de prélèvements qui vont
dans tous les sens. M. François-Poncet a parfaitement décrit la réaction des
entrepreneurs et des cadres venus d'ailleurs. Je peux en témoigner, puisque je
vois concrètement, dans la commune que j'ai l'honneur d'administrer, beaucoup
d'allers et retours d'entreprises internationales. Il faut savoir que notre
système fiscal, notre droit du travail, sans oublier nos formalités
administratives, que je me permets d'ajouter à la liste, rendent très
difficiles l'implantation d'entreprises nouvelles et le développement de ces
créations.
Notre niveau de prélèvements obligatoires est l'un des plus élevés d'Europe.
Malgré les efforts que vous avez entrepris pour essayer de faire baisser le
taux de 45 %, il y a toujours une discordance entre l'annonce de la baisse et
la réalité de l'évolution des grandeurs économiques. De surcroît, ce taux n'a
rien pour réjouir. Ainsi, la composante sociale a dépassé 21 % de l'ensemble du
PIB, ce qui est considérable, et si la composante « Etat » a évidemment
diminué, du fait de la décentralisation, puisqu'elle est à 17 %, la composante
locale, quant à elle, est passée de 4,5 à 6 % et la composante européenne a
dépassé 1 %.
De toute manière, c'est l'addition qui compte, car lorsqu'ils reçoivent leur
feuille d'impôt nos concitoyens ne prennent pas en compte le détail de
l'affectation des prélèvements à chaque partie prenante, mais considèrent
l'addition, et elle est insupportable.
Maintenir le cap n'est pas souhaitable surtout - et vous comprendrez
qu'appartenant au groupe du RDSE j'insiste sur ce point - parce que nous sommes
vraiment mal placés dans la perspective de la construction européenne. M.
Marini l'a relevé dans son excellent rapport, il y a quelques années, quatre
pays avaient un déficit budgétaire supérieur au nôtre ; ils ne sont plus que
deux aujourd'hui et nous risquons bientôt d'être le dernier de la liste. Ce qui
veut dire que le pacte de stabilité pourrait ne pas être respecté, faute pour
nous d'avoir réglé nos problèmes, qu'il s'agisse du financement de la
protection sociale - M. Delaneau vient de le dire avec beaucoup de force -
qu'il s'agisse de nos retraites, du fonctionnement de l'Etat ou encore de
l'empilement de nos circonscriptions administratives. Je ne vois vraiment pas
comment nous pourrons tenir nos engagements européens aussi longtemps que nous
« maintiendrons le cap ».
Maintenir le cap, cela veut dire ne pas dégonfler la masse de la fonction
publique ; cela veut dire ne pas mener une politique active de gestion de la
dette ; cela veut dire continuer à dépenser beaucoup d'argent pour des dossiers
difficiles et, surtout, cela veut dire continuer à sacrifier un certain nombre
de dépenses qui participent de la présence de la France dans le monde,
notamment les crédits militaires. A cet égard, l'allongement des programmes et
la diminution des crédits sont de nature à nous faire perdre notre crédibilité
internationale, j'en veux pour preuve les problèmes du porte-avions
Charles-de-Gaulle.
De même, les crédits de recherche plafonnent, alors que, dans un certain
nombre d'autres pays, c'est par la recherche et la recherche et développement
des entreprises que l'on cherche à développer le tissu économique nouveau.
Quant aux crédits de l'aide au développement, monsieur le ministre, ils ont
diminué de moitié depuis 1994, puisque l'on approchait, à l'époque, de 0,7 %,
alors que nous atteignons aujourd'hui 0,35 %.
Tout cela ne renforce pas notre position.
La démonstration la plus forte en a été apportée à Nice, et le préjudice qui
en est résulté est important. J'ignore s'il faut mettre sur le compte d'un
dysfonctionnement du couple franco-allemand l'affaiblissement de la France sur
le plan international, mais cette compilation appelée « traité de Nice » ne
marque pas un progrès dans la construction européenne, soyons-en certains.
Par conséquent, votre objectif central, qui est de maintenir le cap, n'est pas
souhaitable pour des raisons aussi bien nationales qu'européennes.
Ma seconde observation portera sur le risque que vous courez de ne pouvoir
établir un budget convenable pour 2002, risque qui s'accentue tous les jours.
Bien sûr, l'évolution de la conjoncture, tant américaine qu'européenne, est de
plus en plus préoccupante ; mais, fait plus grave, nous assistons dans
l'ensemble des pays européens, y compris en France, à un mouvement de bascule
qui voit le taux de croissance du produit intérieur brut en volume diminuer,
tandis que le taux de l'inflation augmente. L'augmentation du PIB en valeur
risque donc d'être stable, alors que la composante « prix » sera beaucoup plus
importante que la composante « volume », ce qui va déclencher toute une série
de revendications catégorielles et de difficultés sociales qui, dans une
période de ralentissement conjoncturel, vous causeront probablement un certain
nombre de difficultés, monsieur le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie.
Quand je vois les conflits sociaux qui touchent les transporteurs privés, les
compagnies d'autobus et de tramways dans les villes de province et les
problèmes que rencontrent la SNCF et la RAPT, mais aussi les difficultés que
nous éprouvons, nous élus locaux, avec notre personnel dans la négociation sur
les 35 heures - le redémarrage de l'inflation, qui est encore modéré mais qui
commence à s'accentuer, est préoccupant.
Le risque de ne pouvoir établir un budget convenable est un peu de votre fait
et c'est sur ce point - pardonnez-moi - que je voudrais insister.
Comme beaucoup de ministres de l'économie et des finances, vous avez hérité de
deux rigidités : la rigidité « fonction publique », soit plus de 700 milliards
de francs, et la rigidité « dette publique », qui représente de 240 milliards à
250 milliards de francs.
Il est déjà difficile de faire un budget lorsqu'on est lesté de ces deux poids
lourds qui, d'entrée de jeu, mobilisent plus de la moitié de la masse
budgétaire et réduisent toutes les marges de manoeuvre.
Mais, à ces deux rigidités, votre Gouvernement en a ajouté deux autres, qui
réduisent encore votre marge de manoeuvre.
La première de ces nouvelles rigidités, c'est évidemment le financement des 35
heures : 100 milliards de francs - excusez du peu ! - qui font encore monter
les enchères.
La seconde rigidité est de votre fait, monsieur le ministre - et vous savez
que nous n'avons jamais été d'accord sur ce point - je veux parler des
compensations accordées aux collectivités locales parce que, pour baisser les
impôts, vous avez choisi de supprimer certains impôts locaux. Ce sont ainsi 75
milliards de francs de compensation fiscale qui sont venus grever le budget
!
Ajoutés aux 700 milliards de francs de la fonction publique et aux 250
milliards de francs de la dette, les 100 milliards de francs de financement des
35 heures et les 75 milliards de francs des compensations de recettes fiscales
diminuent votre marge de manoeuvre, qui se réduit de manière d'autant plus
dangereuse que la conjoncture internationale s'infléchit.
Par conséquent, toute possibilité de jeu devient de plus en plus ténue.
Si, au lieu de supprimer des recettes fiscales des collectivités locales, vous
aviez supprimé des impôts d'Etat, et si vous aviez laissé les collectivités
locales maîtresses de leurs recettes, vous n'auriez pas aujourd'hui ce ballant
qui vous gêne dans vos arbitrages et qui nous inquiète.
Dans votre rapport, que j'ai parcouru avec beaucoup d'intérêt car il est très
bien écrit - je félicite ceux qui écrivent ces rapports -, vous avez expliqué
en haut de page l'évolution des concours de l'Etat aux collectivités locales.
Un chiffre apparaît : celui de 340 milliards de francs. Monsieur le ministre,
c'est plus que le financement de la dette, c'est beaucoup plus que celui des 35
heures, et c'est le deuxième poste de votre budget !
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? En raison du transfert de ces fameux 75
milliards de francs de compensations ! Or, c'est ce que les élus locaux et
nous-mêmes ici craignons vraiment - les concours de l'Etat aux collectivités
locales représentant le deuxième poste de l'Etat, la tentation sera grande,
lorsque la situation s'aggravera, de faire un prélèvement sur ces 340 milliards
de francs, faute de pouvoir faire grand-chose sur la fonction publique de
l'Etat ! Les taux d'intérêt étant ce qu'ils sont, vous serez démunis de moyen
d'action pour réduire la masse de la dette. Voilà ce qui nous inquiète, et
c'est bien votre faute !
Bien entendu, vous me direz qu'il était absurde de conserver la vignette,
impôt obsolète et mal assis. J'en suis d'accord, mais il fallait la remplacer
non pas par une compensation budgétaire, mais par un autre impôt ! Si vous
aviez accordé aux départements, par exemple, une quote-part de la taxe
intérieure sur les produits pétroliers, vous n'auriez pas ce ballant qui va
vous gêner dans l'élaboration de votre budget de l'année prochaine.
Enfin - mais vous me permettrez d'être bref sur ce point - après avoir
engrangé trois années de forte conjoncture - 1998, 1999 et 2000 - avec un taux
tangentiel de croissance en volume de l'ordre de 3 %, il est dangereux de
n'avoir rien fait pour résoudre le problème des retraites, alors qu'il y avait
des excédents budgétaires et que la croissance et la réduction du chômage
étaient fortes. Cela va affaiblir encore un peu plus votre marge de manoeuvre.
On a perdu beaucoup de temps en parlottes, en conférences, en orientations, en
rapports, etc. Il sera difficile de faire quelque chose de précis lorsque la
nécessité l'imposera.
Votre refus d'instaurer le moindre système de capitalisation - système que nos
partenaires allemands ont fait accepter par l'ensemble des forces syndicales de
leur pays - le fait que nous soyons incapables de faire accepter une opération
de cette nature par les forces syndicales françaises, par ceux qui croient
encore aux mythes et qui raisonnent comme si le Mur de Berlin existait
toujours, notre incapacité à engager ces véritables réformes, à freiner
l'augmentation des dépenses de maladie, tout cela fait que vous aurez beaucoup
de difficulté à élaborer un budget.
Telles sont les deux observations que je voulais faire, monsieur le
ministre.
Je sais que vous partagez une grande partie de mes propos, je vous en donne
acte, puisque vous avez été l'un des rares, depuis quelque temps, à faire
entendre une voix que je qualifierai de raisonnable, affirmant qu'avec une
conjoncture incertaine et un peu dangereuse il est difficile de faire de la
démagogie et de donner satisfaction à ceux qui crient le plus fort.
La ligne que suit le Gouvernement, qui tient à ménager les composantes de sa
majorité plurielle, ne permettra pas de corriger le tir et d'éviter des
glissements dangereux. Le projet que vous nous présentez ne me paraît donc pas
acceptable, et c'est la raison pour laquelle la grande majorité du groupe au
nom duquel j'ai l'honneur de m'exprimer ne pourra pas l'approuver.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
MM. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan
et
Philippe Marini,
rapporteur général.
Bravo !
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat
d'orientation budgétaire est utile, même s'il ne remplace pas une véritable
démocratisation de l'élaboration de la loi de finances, si difficile à
entreprendre, comme nous l'avons vu avec l'actuelle réforme de l'ordonnance de
1959.
Pour notre part, nous y voyons l'occasion, non seulement pour le Gouvernement
de présenter ses choix et pour l'opposition de les critiquer, mais pour chaque
groupe politique de donner son point de vue et de faire éventuellement des
propositions en amont. C'est dans cet esprit constructif que notre groupe,
membre de la majorité plurielle, laquelle a été citée de façon négative ici
même, donne son avis, loin des cris de la droite sur les bancs de l'Assemblée
nationale et déjà ici même depuis le début de la soirée, une droite toujours
schizophrène !
En effet, en matière budgétaire, elle n'a que la baisse des dépenses publiques
- des dépenses d'Etat, comme vous venez de le dire - à la bouche, se gardant
bien de dire quelles dépenses elle veut supprimer, alors que, depuis le
précédent budget ou la précédente loi de financement de la sécurité sociale,
nous l'avons entendu ici dire des dizaines de fois qu'il fallait plus de
policiers, plus de magistrats, plus d'enseignants dans tel ou tel département,
plus de postes dans les hôpitaux, plus d'argent pour les collectivités, etc.
!
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Exact !
Mme Nicole Borvo.
Et ce n'est rien à côté de ce qui se dit à l'ombre des clochers ! Je rencontre
même des manifestants de vos groupes parlementaires dans la rue !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On aime beaucoup manifester !
Mme Nicole Borvo.
Je m'en doute !
M. Alain Joyandet.
Pourquoi n'aurions-nous pas le droit de manifester ?
Mme Nicole Borvo.
Pour ma part, je retiendrai deux critères.
En premier lieu, le budget de 2001 est le dernier de la législature, monsieur
le ministre. L'emploi, le pouvoir d'achat et la justice sociale sont les thèmes
majeurs sur lesquels les électeurs jugeront la gauche lors des prochaines
consultations électorales. Or si le Gouvernement et sa majorité peuvent
considérer qu'ils ont contribué, dès 1997, à une reprise de la croissance et de
l'emploi, point de vue partagé d'ailleurs par la majorité des Français, les
résultats des dernières consultations électorales, comme d'ailleurs les
mouvements sociaux, expriment des attentes non satisfaites et des critiques.
Nombre de nos concitoyens constatent que la croissance a particulièrement
profité aux actionnaires et aux revenus les plus élevés, et que, en revanche,
le pouvoir d'achat du plus grand nombre n'augmente guère, les inégalités ne se
sont pas réduites et l'exclusion reste un phénomène, hélas ! massif.
En second lieu, le budget de 2002 se prépare, comme cela a été largement dit,
dans un contexte différent des deux précédents. Tout le monde s'accorde en
effet à constater un ralentissement d'activité au niveau mondial, et les
prévisions de croissance pour notre pays se situent, hélas ! plus autour de 2,5
% que de 3 %.
Les questions majeures pour notre groupe sont donc les suivantes.
Premièrement, avec le budget de 2002, allons-nous montrer que les attentes
populaires sont entendues ?
Deuxièmement, ce budget va-t-il subir ou accompagner le retournement de
conjoncture internationale, ou, au contraire, va-t-il favoriser une relance de
l'activité économique ?
Vous le constatez, monsieur le ministre, notre pays résiste mieux que d'autres
à la dégradation extérieure. Vous avez même parlé d'une « résistance », que
vous attribuez au dynamisme de la demande intérieure. Or, dans le projet de loi
de finances pour 2002, vous mettez l'accent sur la maîtrise des dépenses
publiques, sur la baisse des prélèvements obligatoires et sur la réduction des
déficits. Tout votre objectif, dites-vous, réside dans la solidarité durable,
laquelle passe par le soutien à l'emploi et au pouvoir d'achat, plus que par
des dépenses éphémères.
Quant à votre volonté de maintenir le cap, je voudrais faire un certain nombre
de remarques.
La première concerne la baisse des prélèvements obligatoires. Je signale que
ces derniers ne sont pas très éloignés les uns des autres, au sein de l'Europe,
à l'exception de certains pays que je ne prendrai pas pour modèle !
Un mouvement global de réduction des impôts a été entrepris, notamment par la
réduction des taux d'imposition du barème de l'impôt sur le revenu, par la
baisse d'un point du taux normal de la TVA, par la suppression de la vignette
automobile, par les baisses ciblées de TVA ou encore par les allégements
sensibles constatés en matière de taxe d'habitation.
Nous avons déjà fait des observations à ce propos en d'autres temps. En
particulier, nous avons regretté que la baisse du taux normal de la taxe sur la
valeur ajoutée n'ait pas été poursuivie, alors que cet impôt pèse plus
lourdement sur les ménages les plus modestes.
De même, aujourd'hui, les revenus du capital ne sont pas, à notre sens, encore
suffisamment pris en compte dans l'assiette de l'impôt sur le revenu. Le seul «
alourdissement » fiscal mis en oeuvre dans ce domaine porte sur la contribution
sociale généralisée.
La baisse de l'impôt sur le revenu a surtout profité aux revenus les plus
élevés et créé de nouvelles inégalités, d'ailleurs pointées par un récent
rapport du Conseil d'analyse économique. Nous considérons donc que l'oeuvre de
réforme fiscale n'a été qu'ébauchée et qu'il demeure beaucoup à faire pour
améliorer l'outil fiscal dont la France a besoin, un outil plus encore
favorable à l'emploi et à la croissance.
Ma deuxième remarque porte sur la situation des comptes publics et des
déficits, qui a connu une très sensible amélioration depuis 1997.
En effet, le déficit de l'Etat s'est nettement réduit, passant pour la
première fois depuis longtemps sous la barre des 200 milliards de francs en
2000.
L'exécution du budget de 1999 fut marquée par un sensible accroissement des
recettes, ce qui a permis de constater, en loi de règlement, un déficit de 206
milliards de francs grâce à une plus-value de 30 milliards de francs sur
l'impôt sur les sociétés. L'exécution du budget de 2000 a présenté un déficit
d'environ 190 milliards de francs, inférieur de 18 milliards de francs à celui
qui a été voté en collectif de fin d'année, conséquence entre autres d'une
gestion au plus près des dépenses publiques.
On sait que le déficit prévu pour 2001 sera peut-être plus difficile à
réduire.
A la fin du mois d'avril 2001, la situation budgétaire était marquée par un
déficit légèrement supérieur à 171 milliards de francs, en hausse de 26
milliards de francs sur avril 2000.
Est-ce là un premier effet du ralentissement économique ?
Cette hausse du déficit provient pour partie de l'accroissement des dépenses
et, plus précisément, d'un engagement plus précoce de certains crédits.
Elle provient aussi de réelles moins-values sur la TVA et la taxe intérieure
sur les produits pétroliers, la TIPP.
Cependant, le produit de l'impôt sur le revenu demeure toujours dynamique et
l'impôt sur les sociétés a connu une nouvelle embellie avec un rendement en
hausse de 15 milliards de francs.
Cette croissance du produit de l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF,
montre que la situation de nos entreprises est tout de même assez bonne, ce qui
ne peut manquer de rendre aux yeux des salariés plus intolérable encore la
vague ininterrompue de plans sociaux qui déferle sur le pays.
En 2000, plus de 500 milliards de francs de dividendes ont été ainsi
distribués, tandis que des profits records étaient enregistrés par Total Fina
Elf - près de 50 milliards de francs - ou par la BNP-Paribas - plus de 27
milliards de francs.
Des créations d'emplois insuffisantes, des salaires trop faibles, la poursuite
des politiques d'intensification du travail et de recherche de gains de
productivité, voilà ce qui mine la croissance économique du pays et risque de
la remettre en question de manière plus importante encore.
On ne peut que comprendre la colère des salariés, condamnés à faire des
efforts quand cela va mal et au licenciement quand cela va mieux ou bien.
Les comptes des collectivités locales continuant de présenter une situation
positive, nous devons nous pencher de nouveau sur les comptes sociaux.
Depuis 1997, nous sommes passés d'un déficit chronique, aggravé par les
remèdes utilisés entre 1993 et 1997, à une situation d'excédents, fondée sur le
dynamisme des recettes liées à l'amélioration de la situation de l'emploi.
Ce que nous disions, voilà déjà quelques années, sur le redressement des
comptes sociaux par la création d'emplois s'est donc vérifié dans les faits.
Toutefois, nous aurions pu aller plus loin encore.
La mise en oeuvre du plan emplois-jeunes et la réduction du temps de travail,
malgré certaines limites que nous n'avons cessé de relever, ont contribué à
l'amélioration des comptes sociaux.
Des efforts significatifs doivent être accomplis sur l'emploi et la formation
; telle sera notre approche de la solidarité durable et de la question cruciale
de l'emploi.
Certes, des avancées ont eu lieu ; je pense à la réduction du temps de
travail, dont un vrai bilan doit être fait, car il conditionne, de notre point
de vue, une bonne part de l'efficacité de la dépense publique pour l'emploi.
Depuis plusieurs années déjà, les membres de notre groupe revendiquent une
politique plus audacieuse pour l'emploi et la formation, notamment pour les
jeunes, les chômeurs de longue durée, les femmes désireuses de reprendre - ou
d'avoir - une activité professionnelle, largement victimes aujourd'hui de
l'exclusion du marché du travail ou d'une précarité renforcée et galopante.
Dès lors, la timidité que le Gouvernement persiste à afficher s'agissant, par
exemple, du salaire minimum, qu'il faut, à notre avis, sensiblement relever,
exige un profond changement de braquet.
La croissance française est largement portée par la consommation populaire. Il
faut donc la stimuler véritablement.
Doit-elle relancer la négociation contractuelle par une nouvelle conférence
sur les salaires, notamment ?
Elle doit, en tout cas, trouver d'autres voies que celle de la validation
législative du PARE, à laquelle nous avons eu droit lors de la discussion du
projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et
culturel.
Quelle que soit la forme choisie, des initiatives fortes s'imposent
aujourd'hui, notamment quand le baron Seillière de Laborde se lave les mains du
devenir des 7 200 salariés d'AOM - Air Liberté ou que s'accumulent les plans
sociaux dans les entreprises les plus diverses, y compris et surtout dans
celles qui ont dégagé en 2000 les profits les plus spectaculaires.
Il est temps de donner corps au contrôle effectif des fonds publics pour
l'emploi et de poser de nouveau la question des réductions de cotisations
sociales s'avérant à l'examen plutôt coûteuses et relativement inopérantes.
Venons-en désormais aux choix que l'on peut attendre des orientations de la
loi de finances pour 2002.
La menace que fait peser la conjoncture sur le contenu de cette loi de
finances est connue : la faire entrer dans un cadre étroit où primeraient,
d'abord la réduction des déficits, ensuite celle des impôts, et enfin - enfin
seulement - la progression de la dépense publique.
Nous ne croyions pas, chers collègues de la majorité sénatoriale, que le salut
de la France passât par une nouvelle contraction de la dépense publique, sauf à
considérer celle-ci comme un poids mort dans la vie économique et sociale du
pays.
Les quatre millions et demi de salariés des trois fonctions publiques
apprécieront sans doute, au moment où se déroulent les négociations sur le
contenu de la réduction du temps de travail, d'être ainsi considérés comme un
tel « poids mort », alors qu'il s'agit des agents publics que tout le monde
réclame.
La recherche obstinée d'économies dans la dépense publique induit des manques
et des gâchis que l'on paie cher.
Ralentissons la dépense publique pour l'éducation et la formation et, demain,
nous manquerons sûrement, plus encore qu'hier, des jeunes diplômés qualifiés
dont notre pays a besoin pour continuer de jouer le rôle industriel et
économique qu'il joue et pour être attractif vis-à-vis des entreprises
extérieures.
N'a-t-on pas construit, dans les années soixante, un parc de lycées et
collèges à l'économie, de type Pailleron, qu'il a fallu, vingt ans plus tard,
en sollicitant les deniers des collectivités locales, reconstruire en grande
partie et en tout cas profondément rénover ?
Auriez-vous envie, mes chers collègues, dans quelques années, de recommencer
cette expérience qui vaut aussi pour notre équipement hospitalier et pour une
bonne part du secteur du logement ?
Les économies de bout de chandelle d'aujourd'hui sont souvent à la source de
la flambée des dépenses qu'auront à payer demain nos successeurs.
La dépense publique est un vecteur essentiel de croissance et un facteur
susceptible de permettre à la conjoncture de se retrouver sous des auspices un
peu plus favorables.
Nous ne partageons donc pas l'objectif d'encadrement de la progression en
volume des dépenses fixé dans le programme pluriannuel des finances publiques -
8 milliards de francs pour les années 2002-2004 - qui ne correspond qu'aux
exigences d'un pacte de stabilité européen imposé par la Banque centrale
européenne.
Les contribuables ne finiront-ils pas par s'interroger, devant la lente mais
sûre remise en cause des services publics induite par ce déclin de la dépense
publique, sur le sens même de leur participation à la charge commune ?
Regardez les prises de position des grandes confédérations syndicales de notre
pays sur les orientations budgétaires. Regardez ce qui ressort des mouvements
qui animent les personnels des urgences hospitalières, voire des agents du
ministère des finances !
Non, décidément, notre pays a besoin de la consolidation et du développement
durable de services publics modernisés, efficaces, facteur de réduction des
inégalités, source de cohésion sociale et de progrès pour l'ensemble de la
collectivité.
La redéfinition des missions de nos services publics ne doit pas occulter leur
principale raison d'être : servir l'intérêt général, ce qui ne se mesure pas
seulement en termes de gains de productivité ou de rendement de l'activité de
chaque fonctionnaire ou bien du service déconcentré auquel il est attaché.
Le retournement de conjoncture que nous connaissons provient aussi de la
faiblesse de la progression des dépenses publiques dans certains secteurs,
alors même que l'emploi est étroitement dépendant, dans certains secteurs comme
le BTP ou l'industrie des biens d'équipement, de la consistance de la commande
publique.
Un déficit ou un engagement plus important des dépenses publiques doit cesser
d'être diabolisé puisqu'il s'agit en fait d'un investissement sur l'avenir, de
cet avenir dont nous nous préoccupons tant ! Quand les déficits publics pèsent
moins d'un point et demi de produit intérieur brut, nous avons de la marge et
il faut s'en servir.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faut les doubler !
Mme Nicole Borvo.
Réduire le déficit public passe aussi par une politique visant à faciliter
l'accroissement de la production intérieure, et c'est là le sens d'une dépense
publique efficace et non éphémère, beaucoup moins éphémère que les
start
up
.
En définitive, il ne s'agit pas pour nous d'être archaïquement « dépensolâtres
», comme vous nous avez qualifiés récemment, monsieur le ministre.
Il s'agit plutôt de redonner toute sa portée à la dépense publique, tout son
sens à l'attachement de nos compatriotes au pacte républicain, tout son
dynamisme au potentiel de progrès économique et social de notre pays.
Nous disons cela avec d'autant plus de solennité que l'on peut observer que
les populations ont manifesté ces derniers temps, dans divers pays d'Europe,
leur refus d'une diminution de la dépense publique, incapable de répondre aux
besoins sociaux.
Méditons, par exemple, au-delà de la majorité accordée au
Labour
, sur
la désaffection aiguë manifestée par les Britanniques à l'occasion des deux
récentes consultations électorales nationales.
La loi de finances pour 2002 doit prendre réellement en compte les aspirations
exprimées par notre peuple et affirmer clairement la priorité d'une réponse
solidaire et constructive aux besoins sociaux.
En conséquence, le groupe communiste républicain et citoyen saura, dans le
cadre du débat budgétaire, faire valoir et porter ces exigences de justice
fiscale, de lutte contre les inégalités sociales et d'efficacité de la dépense
publique, dans la durée.
M. le président.
La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir
bien écouté les différentes interventions qui ont précédé, j'ai, comme l'on
dit, une impression de déjà vu ou plutôt, en l'espèce, de déjà entendu.
Tous nos collègues de la droite sénatoriale, le rapporteur général en tête,
nous chantent, à quelques couplets près, la même chanson que celle dont ils
nous avaient gratifié lors de la préparation du budget de 1998 !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est parce que nous avions raison !
M. Bernard Angels.
C'est la panique ! Tous aux abris, la dépression est à nos portes ! Après le
trou d'air de l'est, voici le trou d'air de l'Ouest. Oui, les conditions
internationales se sont dégradées ces derniers mois aux Etats-Unis et, plus
près de nous, en Allemagne, mais doit-on pour autant sombrer dans un pessimisme
dont j'ai peine à croire qu'il ne soit pas plus idéologique que réaliste ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Voyons, voyons !
M. Bernard Angels.
Pour ma part, - je m'adresse à vous, monsieur le rapporteur général, parce que
vous vous êtes montré le plus virulent - j'ai l'impression que la France a,
jusqu'à présent, plutôt bien résisté aux bouleversements, aux crises, aux aléas
- appelez cela comme vous voulez - de l'économie mondiale. Il me semble
qu'aujourd'hui encore elle est plutôt bien armée pour dépasser cet accroc
conjoncturel et poursuivre sur la voie de la croissance, comme elle le fait
depuis 1997.
Dans ce débat d'orientation budgétaire, mes chers collègues, nous devons
certes discuter du budget à venir, mais aussi nous pencher sur le bilan
économique, pour la période 1997-2001, d'un gouvernement dont je puis dire
qu'il n'a pas trop mal réussi en la matière, si j'en crois les chiffres de la
Banque de France, de l'INSEE ou des observateurs étrangers. En effet, c'est sur
ce bilan que s'appuie le budget pour 2002, c'est dans cette dynamique qu'il
s'inscrit, ce sont ces réformes qu'il poursuit.
Oui, mes chers collègues, ce bilan est un bon bilan ! La baisse du chômage, la
baisse de la fiscalité, du déficit et de la dette, la croissance affermie, la
confiance retrouvée, tous ces éléments ont contribué à porter notre pays, notre
économie, de façon équilibrée et sereine, dans le peleton de tête des pays
européens et tout le monde - hormis, bien entendu, les représentants de la
droite hexagonale, et tout particulièrement de la droite sénatoriale -
s'accorde à dire que le Gouvernement a permis à la France de bien résister aux
difficultés, mais, au-delà, de bien préparer l'avenir.
Quels sont donc les facteurs qui ont permis à notre économie de renouer avec
cet équilibre perdu ?
Tout d'abord, la qualité personnelle de notre Premier ministre et des
ministres des finances qui se sont succédé depuis 1997 n'y est pas
étrangère.
Ensuite, le Gouvernement et sa majorité ont appliqué sur la durée une
politique cohérente qui, sur de nombreux points, a prouvé sa pertinence et son
efficacité.
La première qualité de cette politique, mes chers collègues, c'est d'avoir su,
de manière habile et ambitieuse, sans rompre avec les règles économiques
fondamentales, asseoir la croissance sur la consommation, d'avoir redonné
confiance aux Français en assurant la justice sociale dans notre pays.
La prime pour l'emploi, les récentes mesures sur la famille, les baisses
d'impôt sur le revenu, les baisses de TVA, de la taxe d'habitation, la
revalorisation de nombreuses aides directes aux ménages sont autant de mesures
qui concourent à responsabiliser les citoyens, à assurer une meilleure
répartition des richesses, à renforcer le pouvoir d'achat des Français et donc
à asseoir une croissance solide, fondée sur la consommation intérieure.
Autre aspect majeur de cette politique : elle a donné la priorité à l'emploi,
à travers des mesures ambitieuses. A cet égard, il faut citer les
emplois-jeunes, que vous n'avez cessé de critiquer, chers collègues de la
majorité sénatoriale, mais qui ont pourtant montré leur efficacité ; il faut
citer aussi le programme TRACE, qui a permis, d'une façon équilibrée, de
proposer des solutions innovantes en matière de retour à l'emploi, les efforts
consentis dans le domaine de la formation... La liste serait longue, je m'en
tiens donc à ces quelques exemples particulièrement significatifs.
Favoriser l'emploi, c'est également aider les entreprises. Ce sont, en effet,
les entreprises qui créent la richesse, qui créent l'emploi. C'est pourquoi le
rôle de l'Etat est naturellement de les accompagner, de les soutenir. En la
matière, le Gouvernement a montré son ambition et sa volonté en multipliant les
mesures fortes en direction des entreprises, notamment des plus petites, en
baissant significativement l'impôt sur les sociétés, en redonnant confiance aux
chefs d'entreprise.
M. Alain Joyandet.
Pas avec les 35 heures !
M. Bernard Angels.
Une politique équilibrée, raisonnable, inscrite dans la durée, des réformes
volontaires et ambitieuses, qui respectent l'activité et la place de chacun des
acteurs de notre société : voilà ce qui caractérise l'action du Gouvernement
depuis 1997.
Les résultats sont visibles et, mes chers collègues, le fait même que de très
nombreuses entreprises étrangères choisissent la France pour s'implanter, pour
investir leurs capitaux, est hautement révélateur. Monsieur le rapporteur
général, y auraient-elles seulement songé si, ainsi que vous le laissez
entendre, elles étaient taxées au-delà du raisonnable, si la France était aussi
mal gérée que vous le dites ? Croyez-vous un seul instant que ce n'est que pour
la qualité de sa cuisine
(Sourires),
pour ses magnifiques paysages ou le
charme de ses habitants...
M. Philippe Marini
rapporteur général.
De ses habitantes !
(Nouveaux sourires.)
M. Bernard Angels.
Je voulais vous laisser le dire !
... que les investisseurs et les entrepreneurs étrangers choisissent notre
pays ?
Non, mes chers collègues, ce n'est pas seulement pour cela. C'est aussi parce
que, depuis 1997, la France a retrouvé son pouvoir d'attraction économique, la
France a montré qu'elle était un pays innovant et moderne en plus d'être un
pays où il fait bon vivre.
C'est vrai qu'il y fait bon vivre et, depuis 1997, le Gouvernement s'est aussi
attaché à mener des actions tendant à maintenir cet équilibre de vie tant envié
par nos voisins : équilibre entre le rural et l'urbain, que les mesures prises
par le Gouvernement en matière d'aménagement du territoire, de décentralisation
ou d'environnement ont significativement contribué à maintenir ; équilibre
entre générations, dossier dans lequel le Gouvernement, à travers des réformes
fortes concernant la famille ou la prise en charge des plus anciens, s'est
aussi illustré.
Voilà, mes chers collègues, le vrai bilan de ces quatre ans de gouvernement de
gauche ! Et je crois qu'il était nécessaire de le rappeler, d'une part, parce
que certains d'entre vous ont manifestement tendance à l'oublier, d'autre part,
parce que c'est sur ces résultats que s'appuiera le budget de 2002.
Que propose le Gouvernement à travers ce budget ? Avant tout de poursuivre la
politique qui a fait passer le taux de chômage de 12,6 % en juin 1997 à 8,7 %
en mars 2001, grâce à la création de plus d'un million et demi d'emplois, la
politique qui a amené la France dans le peloton de tête des pays européens en
matière de lutte contre le déficit, ramené à 1 % en 2001, la politique qui a
fait progresser conjointement l'investissement et les revenus des ménages.
Certes, les perspectives de croissance ne sont pas exactement celles que nous
attendions. Certes, des incertitudes pèsent sur la reprise aux Etats-Unis et
sur le commerce extérieur allemand. Mais devons-nous rompre pour autant, comme
le préconisait M. Fourcade, avec une politique qui a permis à la France, par la
vigueur de sa consommation intérieure, de traverser la fameuse crise asiatique
? Ce serait, je le crois, la plus mauvaise des décisions.
Des baisses d'impôts ont été programmées. Il faut, monsieur le ministre, les
maintenir. Je ne doute pas que le Gouvernement respectera sa promesse dans ce
domaine et que, la situation internationale s'éclaircissant, il procédera dans
l'avenir à d'autres réductions de prélèvements et à des baisses ciblées de TVA.
J'accepterais même qu'il remette à plus tard une mesure qui me tient à coeur, à
savoir la suppression de la redevance télévisuelle, que j'appelle de mes voeux
lors de chaque discussion budgétaire.
L'heure, en effet, n'est pas à la surenchère, non plus qu'au repli effrayé ou
à l'abandon. L'heure est à l'équilibre, et cet équilibre passe par la
consommation. Nous devons donc poursuivre le programme de réduction d'impôts
pour renforcer encore le pouvoir d'achat des Français.
Et qu'en est-il de la dépense ? Devrait-on fermer toutes les vannes,
abandonner tous les programmes engagés sous prétexte que la situation
internationale est plus préoccupante que nous ne l'envisagions ? Là aussi, je
réponds nettement par la négative. Là encore, les meilleures voies à emprunter
sont celles de l'équilibre et de la continuité.
Rassurez-vous, monsieur le rapporteur général, nous ne dépenserons pas pour le
plaisir de dépenser ! Notre souci est de préserver le tissu social, si
nécessaire à l'unité nationale - et tellement déchiré avant 1997 - en finançant
les mesures prioritaires que nous avons engagées.
Je vous rappelle que nous évoluons dans le cadre d'un programme pluriannuel.
L'augmentation de 0,5 % prévue pour 2002 s'inscrit dans ce cadre. Après 0 % en
2000, et 0,3 % en 2001, la tendance est maintenue puisque la totalité de
l'augmentation sera absorbée par les dépenses de la fonction publique et le
service de la dette, les redéploiements de crédits permettant de financer les
actions prioritaires pour la justice, la sécurité ou l'environnement.
En outre, toujours pour maintenir le tissu social, nous devons répondre aux
besoins exprimés dans l'ensemble des secteurs qui contribuent à la richesse et
à l'équilibre de notre pays : l'éducation, la formation, l'innovation et la
recherche.
Nous devons aussi répondre au défi majeur qui s'offre à nous dans le domaine
de la réforme et de la qualité de nos services publics.
J'entends encore les appels alarmistes de certains d'entre vous devant la
prétendue fuite effrénée de nos concitoyens vers les pays voisins. Mais, quand
nous avons parlé à ces Français « expatriés » en Grande-Bretagne, par exemple,
tous nous ont dit qu'ils regrettaient les écoles, les hôpitaux ou les
transports de notre cher pays ! Alors, oui, je souhaite que l'Etat continue à
être fortement présent dans ces secteurs, et cela nous différencie largement de
vous.
Je vous avouerai, monsieur le rapporteur général, chers collègues de droite,
au risque de vous paraître chauvin, qu'à choisir entre une santé à la française
et des baisses d'impôts à l'anglaise, c'est bien la première option qui a ma
préférence !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faudrait faire les deux !
M. Bernard Angels.
Oui, je préfère limiter la baisse du déficit cette année si cela doit se faire
au profit de la continuité et de l'équilibre de la politique économique et
sociale, si cela peut permettre d'éviter une année ou plus de récession, si
cela peut offrir à nos concitoyens les conditions d'une consommation plus forte
et d'une justice sociale plus grande.
Monsieur le rapporteur général, vous savez que je vous écoute toujours avec
attention, et je sais que la réciproque est vraie. L'histoire ne semble pas
vous porter conseil ! Quand le Gouvrenement de M. Juppé, que vous souteniez, a
fortement augmenté les impôts en 1995 et 1996, vos amis et vous-même avez
justifié cette hausse par la qualification de notre pays à l'euro. Or cette
augmentation des impôts n'a fait, à l'époque, qu'aggraver la situation en «
plombant » la consommation intérieure. Alors, de grâce, ne donnez pas des
leçons dans des domaines où vous avez fait preuve d'une conduite plus
qu'hasardeuse !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Les « prélèvements Juppé » existent toujours et le
Gouvernement est bien heureux de les encaisser !
M. Bernard Angels.
Sinon que, depuis, le taux de TVA a été baissé de un point.
A titre personnel, lors d'un précédent débat budgétaire, j'avais préconisé
d'autres baisses de TVA. Certes, on n'a pas baissé la TVA de deux points mais
on a procédé à des baisses ciblées, par exemple sur les travaux publics, ce qui
a permis de relancer la consommation.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On fait tout et son contraire !
M. Bernard Angels.
Je suis prêt à en débattre avec vous quand vous le voudrez, monsieur le
rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Avec grand plaisir !
M. Bernard Angels.
La politique économique nécessite de la réactivité, de la souplesse. Nous
l'avons sortie du carcan libéral dans lequel vous tentez invariablement de
l'enfermer. Aussi, je ne peux que vous inviter, mon cher collègue, à vous
débarrasser de ces oeillères idéologiques qui, trop souvent, altèrent votre
jugement.
Avant de conclure, je souhaiterais remercier mes collègues de la droite
sénatoriale.
Depuis juin 1997, chers collègues, vous ne cessez d'essayer de trouver des
explications - et elles sont plus alambiquées les unes que les autres - à la
réussite de l'économie française, tout en refusant d'accorder quelque mérite
que ce soit à la politique du Gouvernement.
Ainsi, la première année, vous nous avez expliqué que les résultats obtenus
étaient les fruits de la politique d'assainissement menée par la droite depuis
1995. Je me permets d'en douter. Mais, manifestement, le Président de la
République et les électeurs en doutaient également en 1997 !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Curieuse interpréation !
M. Bernard Angels.
Ensuite, monsieur le rapporteur général, vous avez invoqué la sacro-sainte «
conjoncture internationale favorable ». Malheureusement, la crise asiatique est
passée par là et force est de constater que cette fameuse conjoncture a fait
plus de mal que de bien. Néanmoins, la France est sortie de cette situation,
sinon indemne, du moins plutôt honorablement, et vous avez dû vous rabattre sur
d'autres arguments.
Certain, - pas vous car vous n'êtes pas sportif -...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Pas trop, en effet !
(Sourires.)
M. Bernard Angels.
... ont avancé l'effet « Coupe du monde », puis l'effet « millénaire ». J'en
passe et des meilleures !
Celui qui préside ce soir la séance est un sportif. D'ailleurs, il préside
aussi le groupe « sport » du Sénat.
Mais, après tout, l'effet « Coupe du monde » a peut-être agi favorablement sur
le moral des Français, leur a peut-être redonné confiance. De toute façon, il y
a sûrement plusieurs facteurs qui expliquent que les Français aient pris
confiance dans leurs dirigeants et dans leur pays.
M. Alain Joyandet.
Et vous, monsieur Angels, quel sport pratiquez-vous ?
M. Bernard Angels.
Moi ? Le football, le tennis et le ski. Le tennis, en particulier, et je
serais très heureux de disputer un match avec vous !
Mme Nicole Borvo.
Et vous, monsieur Joyandet, quel sport pratiquez-vous ?
M. Paul Loridant.
Il joue à la pétanque !
(Sourires.)
M. le président.
Nous ne sommes pas à la piscine, mes chers collègues !
(Sourires.)
Veuillez reprendre le fil de votre propos, monsieur Angels.
M. Bernard Angels.
Aujourd'hui, mes collègues de droite sont un peu à cours d'arguments ! Mais il
y a une nouvelle explication...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
En tout cas, nous ne disons pas que le Gouvernement
est responsable du ralentissement ! Nous sommes honnêtes !
M. Bernard Angels.
Non, votre nouvelle explication est celle-ci : Jospin a de la chance !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cela ne durera qu'un temps !
M. Bernard Angels.
Eh bien, je crois que vous avez raison ! Vous nous avez ainsi fait cadeau d'un
précieux thème de campagne pour 2002 : la gauche, c'est la chance, la droite
c'est la poisse !
(Rires sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Si vous n'avez que cet argument, cela ne suffira pas
!
M. Bernard Angels.
Bien sûr, c'est plus que de la chance qu'il a fallu avoir depuis 1997 pour
aboutir au résultat que j'ai décrit précédemment. L'équilibre et la subtilité
de la politique qui a été menée sont la pierre angulaire de la réussite
économique de notre pays. C'est donc avec confiance que le groupe socialiste
soutiendra le Gouvernement dans la traduction de ses orientations budgétaires,
à l'automne et tout au long de son action en 2002.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour le
cardinal de Retz, on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment. La principale
caractéristique des déclarations du Gouvernement faites à l'appui de ce débat
d'orientation budgétaire est qu'elles cultivent quelque peu l'ambiguïté.
J'ignore dans quel état nous en sortirons...
La lecture du rapport déposé par le Gouvernement à l'occasion de ce débat
d'orientation budgétaire laisse un goût d'inachevé, alors qu'il s'agit du
dernier de la législature commencée en 1997.
Que ce soit l'environnement économique, les hypothèses en termes de ressources
ou en termes de dépenses, rien dans les déclarations du Gouvernement ne nous a,
hélas ! convaincus ; pire, rien n'a apaisé nos inquiétudes.
Le ralentissement de la croissance française en 2001 est aujourd'hui avéré.
Nous avions raison de mettre en garde le Gouvernement à la fin de l'année
dernière sur l'optimisme des prévisions associées au projet de loi de finances
pour 2001.
L'hypothèse centrale retenue était de 3,3 %, soit un chiffre déjà supérieur
aux estimations des prévisionnistes. Or, au premier trimestre de cette année,
notre économie a progressé de 0,5 %, alors que le Gouvernement avait annoncé
0,8 %. Rapportée sur l'année, l'impasse est de 1,2 point, ce qui ne peut, en
aucun cas, être neutre sur les choix économiques qui devront être faits.
Ce ralentissement s'explique par un contexte international dégradé : une
récession engagée au Japon et un ralentissement plus brutal que prévu de
l'activité économique aux Etats-Unis.
Au mois de mars dernier, la prévision de croissance a été ramenée, pour 2001,
de 3,3 % à 2,9 %, c'est-à-dire à 0,4 point de PIB. Avec ce chiffre de 2,9 %,
nous sommes en dessous du chiffre ayant servi au cadrage du budget pour 2001,
mais surtout en dessous de la programmation des finances publiques d'ici à
2004, annoncée l'an dernier, qui était de 3 % par an.
L'investissement des entreprises s'est largement dégradé. Après un résultat de
3,2 % au dernier trimestre de l'année dernière, l'INSEE tablait sur un chiffre
de 2,3 % au premier trimestre 2001. Or, le résultat définitif est maintenant
connu : il est de 0,4 %.
On doit s'interroger sur les raisons qui conduisent les entrepreneurs à
déstocker au lieu d'effectuer des investissements d'équipement. Cette attitude
pourrait-elle exprimer une certaine crainte vis-à-vis de l'avenir économique du
pays ?
Le solde de notre commerce extérieur se dégrade. L'inflation progresse de 0,5
% en avril, de 0,7 % en mai, soit 2,3 % sur un an. Il s'agit quand même du plus
mauvais chiffre enregistré depuis cinq ans !
Un taux d'inflation en augmentation, c'est un revenu disponible plus faible
pour les ménages, avec des conséquences prévisibles sur leur consommation.
C'est pourtant sur cette dernière que le Gouvernement fait reposer tous ses
espoirs, tant pour l'année 2001 que pour l'année prochaine. Or, elle n'est pas
à l'abri d'un retournement si les marchés financiers sont orientés à la baisse
ou si l'horizon de l'emploi s'obscurcit.
Actuellement, le taux d'épargne des ménages est à un niveau négatif. Une
augmentation de celui-ci indiquerait une certaine crainte dans l'avenir et
mettrait certainement la croissance en danger.
Tous les prévisionnistes estiment que l'objectif de 2,9 % de croissance en
2001 ne sera pas atteint. L'INSEE table sur une croissance de 2,5 % ; vos
propres services, monsieur le ministre, sur 2,4 %. La différence par rapport au
budget représente 0,9 point de PIB, ce qui est loin d'être négligeable.
En l'absence de rebond de la croissance internationale, notamment aux
Etats-Unis, la baisse du chômage continuerait de ralentir, de même que la
création d'emplois, ce qui ne manquerait pas d'avoir des conséquences sur la
consommation.
Pour 2002, le rapport du Gouvernement maintient une croissance prévisionnelle
de 3 %. Même en cas de rebond au second semestre de cette année, une telle
prévision reste bien incertaine.
Cette estimation paraît optimiste, surtout si elle se fonde sur l'évolution de
la croissance aux Etats-Unis qui, après avoir perdu quatre points de PIB entre
2000 et 2001, redoutent aujourd'hui la récession. La contradiction politique du
Gouvernement réside dans le fait qu'il souhaite bénéficier des avantages de la
croissance mondiale sans, au fond, en accepter les contraintes.
Notre pays affronte-t-il un « trou d'air » conjoncturel ou une crise plus
durable de l'économie ? Il me paraît difficile de parler d'un simple « trou
d'air » lorsque près des deux tiers de l'économie mondiale connaissent de
véritables difficultés. Les chiffres les plus récents marquent même une
accélération du retournement.
Si l'on compare les chiffres du 30 avril et ceux du 3 mai, nous sommes passés
d'un déficit budgétaire de 171,2 milliards de francs - soit 26 milliards de
francs - de plus qu'en avril 2000 - à 190,4 milliards de francs soit 30
milliards de francs de plus qu'en mai 2000.
Le niveau ainsi atteint dépasse celui sur lequel a été construit le budget
pour 2001, qui était de 187 milliards de francs. Cela relativise
considérablement les déclarations de Mme le secrétaire d'Etat au budget, qui
disait ne pas imaginer que le déficit puisse remonter en 2002.
Nous avons envie de dire au Gouvernement qu'avant de penser à 2002 il faut
achever cette année dans les limites fixées par la loi de finances initiale et
dans le respect de nos engagements européens.
Avec toutes les limites inhérentes à un exercice d'extrapolation, il est
intéressant de constater que si le second semestre de 2001 se déroule pour le
déficit budgétaire comme le second semestre de l'année 2000, nous nous situons
actuellement sur une pente de 205 à 210 milliards de francs de déficit. Or
l'année 2000 était caractérisée par une croissance vive, ce qui est loin d'être
le cas en 2001.
Dans son rapport, le Gouvernement déclare que le solde budgétaire serait
amélioré d'une centaine de milliards de francs entre 1997 et 2001, soit 25
milliards de francs en moyenne par an.
Ce chiffre ne signifie rien car, en valeur absolue, la réduction a été de 41,5
milliards de francs en 1999, et seulement de 15 milliards de francs en l'an
2000.
De plus, le chiffre de 187 milliards de francs de déficit budgétaire annoncé
pour 2001 n'était qu'une prévision, qui, on le sait, ne se confirmera pas.
Le Gouvernement, au cours de la législature, n'aura donc pas utilisé les
marges de manoeuvre exceptionnelles développées par la croissance pour réduire
le déficit de l'Etat dans des proportions suffisantes.
L'objectif annuel de réduction, fixé pour les années 2001 à 2004 à 20
milliards de francs, ne permettra pas d'atteindre l'engagement pris dans le
programme pluriannuel d'équilibre budgétaire à cette date.
Les informations disponibles sur l'évolution de la croissance laissent par
ailleurs penser que cet objectif est largement hypothéqué. Il ne faut pas
oublier que la dette publique est passée de 4 855 milliards de francs en 1997 à
5 308 milliards en 2000.
Pour 2001, la progression se poursuivra.
La vérité, c'est qu'en l'absence de réformes structurelles le financement de
dépenses supplémentaires pluriannuelles par des recettes résultant de la seule
conjoncture conduit à une impasse au premier retournement de l'activité
économique. Lors de chaque débat budgétaire, nous avons mis en garde le
Gouvernement sur les conséquences de cette situation.
Monsieur le ministre, vous annoncez d'ores et déjà pour 2001 un manque de
recettes fiscales en fin d'année d'une quinzaine de milliards de francs. La
TIPP - taxe intérieure sur les produits pétroliers - et la TVA s'inscrivaient
nettement à la baisse au début du mois dernier, respectivement à moins 11 % et
à moins 4,5 % par rapport à l'année 2000. Le deuxième acompte de l'impôt sur
les sociétés risque de refléter cette tendance.
Vous annoncez une baisse des impôts de 160 milliards de francs depuis 1997.
Vous oubliez de mentionner que ces baisses d'impôts, réalisées dans un
contexte économique très favorable, ne s'inscrivent pas dans la perspective
d'une réforme fondamentale de notre fiscalité, pourtant attendue par les
Français, qui avait été engagée par le gouvernement d'Alain Juppé et abandonnée
depuis.
Vous oubliez aussi qu'une politique fiscale doit être évaluée en prenant en
compte les baisses d'impôts, mais aussi les hausses. Rappelons que le taux de
prélèvements obligatoires rapportés au PIB est le plus élevé de notre histoire
fiscale puisqu'il a atteint 45,7 % en 1999.
Depuis cette date, les programmes de réduction des prélèvements obligatoires
du Gouvernement ne cessent d'être reportés dans le temps. En 2000, le taux des
prélèvements obligatoires, de 45,2 % du PIB, était supérieur au programme
annoncé en janvier 2000. L'objectif fixé pour la fin de 2001 est de 44,8 %,
soit le niveau initialement prévu pour 1998
Vous affichez un objectif de 44,5 % pour 2002, soit le niveau qui existait en
juin 1997. Si vous y parvenez, cela signifie que rien n'aura bougé pour les
prélèvements obligatoires pendant cette législature, alors même que notre pays
aura connu une période de croissance sans précédent depuis des décennies.
Comment oublier que, depuis juin 1997, dix-neuf taxes et impôts nouveaux ont
été créés, et encore, sans le Conseil constitutionnel, le chiffre eût été porté
à vingt et un !
Nous ne pouvons accepter que, dans le domaine fiscal, le Gouvernement réduise
sans cesse la part revenant aux collectivités locales, rendant leur autonomie
de plus en plus illusoire. Vous vous donnez les apparences de la générosité à
nos dépens, monsieur le ministre, mais le contribuable national ne voit pas sa
charge allégée dans les faits, puisqu'il doit participer au financement des
compensations accordées aux collectivités locales.
Pour que le plan triennal de baisse des impôts soit véritablement crédible, il
eût fallu que l'Etat ne reprenne pas d'une main, en ajoutant aux entreprises
des charges nouvelles, ce qu'il leur a concédé de l'autre. Il eût fallu réduire
le taux du barème pour toutes les tranches et fusionner l'impôt sur le revenu
et la CSG. Il eût fallu mieux prendre en compte la situation des familles et
des classes moyennes, ou encore revoir la fiscalité pesant sur les entreprises
afin de leur permettre d'affronter une compétition nationale et internationale
rude.
Qu'en est-il des dépenses ?
La semaine dernière, Mme le secrétaire d'Etat au budget prenait l'engagement
qu'il n'y aurait pas de dérapage de la dépense publique. Pour 2002,
l'augmentation des dépenses a été fixée à 0,5 %, après l'objectif de 0,3 % pour
cette année.
Comme, au total, l'engagement du Gouvernement pour la période de 2001 à 2003
était de 1 %, il ne restera que 0,2 % pour 2003. Les dépenses engagées par le
Gouvernement ne permettront pas de tenir ce cap : à la fin du mois d'avril
dernier, les dépenses du budget général atteignent 608 milliards de francs,
soit une progression de 5,3 % par rapport à avril 2000, alors que le
Gouvernement s'était engagé à la fin de 2000 pour une progression des dépenses
de 0,3 % en 2001.
En 2002, le Gouvernement, pour rester dans les limites de ses engagements, va
devoir procéder par redéploiement des crédits pour le financement des mesures
nouvelles.
Nous constatons que les charges de la dette et les conséquences de la hausse
des salaires dans la fonction publique mobilisent l'intégralité des moyens
dégagés par l'augmentation de 0,5 % assurée pour l'an prochain.
Nous observons que la prime pour l'emploi sera doublée l'année prochaine pour
environ 24 milliards de francs, sans précision quant à son financement.
Les emplois-jeunes, dont le Gouvernement a annoncé la consolidation, auront un
coût budgétaire très élevé. Le ministre chargé de l'emploi annonçait 10 000
créations d'emplois-jeunes en 2002 pour un coût total, sur la période
2002-2006, de 105 milliards de francs, 40 milliards de francs de plus, donc,
que la reconduction du plan 1997-2001. D'autres évoquaient pourtant un système
de sortie progressive réduisant de 25 milliards à 15 milliards de francs le
coût annuel sur la période.
Enfin, où en est-on des 350 000 emplois-jeunes annoncés dans le secteur privé
en 1997 ? Si ce dispositif est aussi excellent qu'on veut bien le dire,
pourquoi les entreprises privées ne se précipitent-elles pas pour y recourir
?
M. Gérard César.
Bonne question !
M. Josselin de Rohan.
Le financement des 35 heures devient véritablement ubuesque. Le Gouvernement
est obligé de trouver de nouvelles mesures au fur et à mesure de la montée en
charge du dispositif. En d'autre termes, il a monté des usines à gaz sans gaz
!
Pour 2001, le déficit du FOREC se situerait entre 16 milliards et 21 milliards
de francs. Pour les années suivantes, l'incertitude quant au financement est
patente, sachant que les dépenses du Fonds atteindront 120 milliards de francs
en 2003.
La progression de 1,7 % des dépenses relatives aux collectivités locales est,
à l'évidence, sous-estimée au regard des dépenses de gestion d'ores et déjà
votées, des conséquences financières des 35 heures et de l'allocation
personnalisée d'autonomie, non encore évaluées avec précision.
Les dépenses des personnels de l'Etat ne sont guère mieux maîtrisées. En
atteignant 199,6 milliards de francs en avril, elles sont en progression de 2,7
% par rapport à avril 2000. La Cour des comptes, dans un rapport retentissant,
a mis en lumière les dysfonctionnements et dérapages en matière de dépense
publique.
Ce n'est pas être « dépensophobe » que de rechercher une réduction des
effectifs ou le non-remplacement des agents partant à la retraite sans qu'il
soit pour autant porté atteinte à la qualité des services publics.
Ainsi, 50 000 personnels de l'éducation nationale décomptés comme enseignants
ne voient jamais un élève, alors que l'éducation nationale continue de recruter
massivement.
Pourquoi faut-il maintenir 1 600 agents pour prélever une redevance
audiovisuelle dont le coût de perception est équivalent à son rapport ?
Où en est la réforme de votre ministère qui coûta sa place à votre
prédécesseur ?
Une conjoncture économique incertaine, des recettes surestimées ou non
financées, le tableau pour la fin de l'exécution 2001 et le projet de loi de
finances pour 2002 ne laissent pas d'inquiéter.
En termes excellents, vous avez dénoncé la tentation du déficit « à laquelle,
dites-vous, nous appelleraient volontiers certains ». Au fait, qui sont ces
derniers ?
Vous avez très justement souligné qu'un déficit public devait toujours être
remboursé et qu'il était générateur d'impôts supportés par les générations
futures.
Mais comment allez-vous procéder ? Quels excédents ponctionner pour assurer
des recettes nouvelles ? Les dépenses d'investissement serviront-elles de
variables d'ajustement ?
Faut-il rappeler que, pour 2001, les dépenses d'investissement pour les
routes, les hôpitaux, les universités, l'aménagement du territoire, la
protection de l'environnement et le patrimoine historique national ne
représentent même pas les crédits consacrés aux 35 heures ?
Vous vous refusez à céder tout ou partie du capital détenu par l'Etat dans Gaz
de France ou France Télécom et vous ne pourrez bénéficier de la manne illusoire
des licences UMTS. Le risque est grand, en dépit des bonnes intentions
proclamées, qu'une fois encore, pour les besoins de la cause, les recettes
soient surestimées, les dépenses sous-estimées ... or il n'y a plus de
cagnotte.
« Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes que d'essayer
de paraître ce que nous ne sommes pas », disait La Rochefoucauld.
Si vous vous opposez aux dépensolâtres, à ceux qui pensent, comme vous l'avez
écrit, « qu'il suffirait d'un article de loi pour créer des emplois, pour
prendre en charge la vieillesse et la misère », les réalités internationales et
techniques se pliant, bien entendu, obligeamment à la volonté du politique, si
vous pensez qu'il faut sauver notre régime de retraites en revoyant
fondamentalement ses modalités d'application, qu'il faut remettre en cause
certaines dispositions exorbitantes et déraisonnables de la loi dite « de
modernisation sociale », réfléchir au moyen d'assouplir le carcan des 35
heures, n'hésitez pas à vous exprimer, nous vous soutiendrons.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument ! C'est excellent !
M. Josselin de Rohan.
En novembre dernier, j'avais souhaité qu'on vous libérât.
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Josselin de Rohan.
Je forme de nouveau ce voeu, avec plus d'insistance. Mais, si vous êtes
contraint de faire passer la vérité après les exigences excessives et
contradictoires de la gauche plurielle, que les orientations budgétaires
reflètent crûment, vous aurez manqué une grande occasion. En d'autres termes et
pour conclure, nous dirons que si, sur bien des points, nous pouvons partager
les analyses de M. Laurent Fabius quand il se meut dans le virtuel, nous ne
soutenons pas ses orientations quand il agit dans le réel.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Malgré l'heure
tardive, il est plus courtois de ma part, pour celles et ceux qui ont eu la
gentillesse de rester jusqu'à maintenant, ainsi d'ailleurs que pour ceux qui
m'ont fait tenir leurs excuses, de répondre dès maintenant. J'espère que vous
ne m'en tiendrez pas rigueur si je ne peux répondre dans le détail à tous,
d'autant que les arguments, bien évidemment, se sont souvent rejoints.
M. le rapporteur général a dressé, comme il en a l'habitude, d'un ton égal,
mais sans concession, c'est le moins que je puisse en dire sur le fond, un
réquisitoire par rapport à la politique gouvernementale. Je lui concède
volontiers qu'elle a contribué - j'y reviendrai dans un instant - à améliorer
la situation de l'emploi et à redresser nos comptes publics. Quand je dis « je
lui concède volontiers », c'est parce que, dans son tableau extrêmement
complet, il avait oublié de mentionner ces deux points, qui ne sont pas tout à
fait négligeables.
Comme d'autres orateurs, M. Philippe Marini a fait des gammes sur le thème
suivant : la croissance, depuis 1997, est-elle due à ce qui s'est passé à
l'extérieur ? L'affaiblissement que nous constatons maintenant est-il dû à ce
qui se passe à l'extérieur ? Quelle est la part du Gouvernement ?
Je ne peux m'empêcher, mesdames, messieurs les sénateurs, en commençant mon
propos, de demander, même s'il est bien tard, une certaine cohérence. Au fond,
il faut choisir un système ou un autre. Si l'on estime, comme j'ai cru
l'entendre de la part de beaucoup d'entre vous qui se situent dans la majorité
sénatoriale, que, depuis 1997, les bons résultats qui ont été enregistrés en
matière de croissance sont dus pour l'essentiel - j'allais dire pour la
totalité dans votre esprit - à ce qui s'est passé sur le plan extérieur, on ne
peut, par un retournement qui serait une habileté, abondonner, lorsqu'il y a
une croissance moins grande, l'explication de la causalité extérieure et, tout
d'un coup, en revenir à l'attitude du Gouvernement. Choisissez ! Pour ma part,
j'ai choisi depuis le début. Je considère qu'il faut faire la part des choses.
Une partie des résultats provient des circonstances extérieures, tout
simplement parce que nous sommes dans une économie globalisée et que de plus en
plus les situations s'interpénètrent, et une partie vient des choix
gouvernementaux. Je voudrais argumenter quelques instants sur ce point car je
crois que, dans les semaines et les mois qui vont venir, c'est un point que
nous allons peut-être retrouver. Donc, je donne des pistes, et ensuite nous
verrons !
D'abord, en vous priant de m'excuser de ce rappel un peu cruel pour certains,
je crois que s'il avait été inscrit dans le marbre qu'en 1997, compte tenu de
l'excellence proclamée de la politique précédente et de la magnifique
perspective qu'offrait la situation extérieure, les résultats économiques
devaient être brillants, je ne suis pas tout à fait sûr que la plus haute
autorité de l'Etat ait décidé la dissolution à laquelle il a été effectivement
procédé. Donc j'ai l'impression qu'il a dû se produire des choses en cours de
route. Il y avait sans aucun doute une sous-estimation de ce qui allait se
passer sur le plan extérieur. Mais je pense aussi que ces hautes autorités - et
j'emploie un pluriel pour me singulariser, si je puis dire - n'avaient pas
pressenti que nous sommes des hommes et des femmes politiques. Dans les
résultats économiques que nous obtenons, il y a tout de même, et c'est heureux,
une part qui tient aux choix gouvernementaux. C'est ce qui s'est passé.
Objectivement - si on n'est pas objectif, on dessert sa propre thèse - il y a,
dans les résultats obtenus depuis quatre ans, un certain nombre de points
importants qui sont dus aux choix du Gouvernement.
La croissance n'est pas venue miraculeusement. Il y a eu à la fois
stimulation, répartition et préparation. Je m'explique. Le Gouvernement, par un
certain nombre de grands choix, a contribué à stimuler la croissance. Les
chiffres sont d'ailleurs clairs. Si c'était seulement l'explication
internationale qui prévalait, comment, mesdames, messieurs de la majorité
sénatoriale, pouvez-vous expliquer que, alors que la France, auparavant,
faisait constamment une croissance inférieure à celle que connaissait
l'Allemagne, depuis 1997 - et j'en suis désolé pour nos amis allemands - la
croissance française est constamment supérieure à la croissance allemande. Il
faut bien que se soient produits des éléments nouveaux, et parmi ceux-ci il y a
ce que l'on appelle le réglage macroéconomique, qui n'a pas été trop
maladroit.
Je pense également, et je fais écho à ce qu'a dit Mme Borvo dans son
intéressant propos, que la croissance a aussi été plus juste. Je veux rappeler
un chiffre, que je crois d'ailleurs avoir fait figurer dans le rapport joint au
débat d'orientation budgétaire, qui n'a pas été cité à cette tribune, mais qui
mériterait tout de même d'être repris, le cas échéant commenté, et critiqué. Il
provient des services de la direction de la prévision qui ont travaillé sur ce
sujet. Ce chiffre est le suivant : depuis 1997, 80 % des fruits de la
croissance sont allés, madame Borvo, aux revenus du travail et 20 % aux revenus
du capital. On m'objectera peut-être que ce n'est pas assez ; on peut en
discuter. Mais les observations, qui ne sont d'ailleurs pas sérieusement
contestées, vont en ce sens. Nous avons rééquilibré le partage de la valeur
ajoutée par des mesures favorables à l'emploi : les emplois-jeunes, les 35
heures - j'y reviendrai - la réforme de la taxe professionnelle, la prime pour
l'emploi soutenant le pouvoir d'achat, la TIPP stabilisatrice, la suppression
de la vignette, la baisse des principaux impôts. Je soulignerai un point :
depuis 1998, le pouvoir d'achat de la masse salariale du secteur privé a
augmenté, en moyenne annuelle, au rythme de 4 %, ce qui, compte tenu des
augmentations d'emplois, est historiquement un chiffre tout à fait
important.
Je pense que nous avons aussi contribué à préparer le futur. J'ai entendu ce
qui a été dit sur la retraite. Il reste, bien évidemment, des décisions très
importantes à prendre sur la retraite, et elles ne sont pas faciles,
assurément. Mais on ne peut tout de même pas passer sous silence le travail de
rapprochement des analyses qui a été fait par le Gouvernement, par les
partenaires sociaux. Ce travail me paraît, somme toute, préférable - et je
crois que, à cet égard, quelles que soient les travées, il y aurait une assez
grande convergence dans les opinions - à la méthode utilisée par un précédent
Premier ministre qui, rompant un peu avec la formule consacrée, arrivait à la
fois à ce que cela passe dans un premier temps et à ce que cela casse dans un
deuxième temps.
Oui, il y a eu un certain nombre de mesures de préparation de l'avenir : les
emplois-jeunes, l'éducation, la couverture maladie universelle, toute une série
de réformes, et puisque l'un d'entre vous, je l'en remercie, s'enquérait sur ce
qui se passait au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, je
citerai la réforme de l'ordonnance de 1959, la préparation du passage à l'euro
pratique, la loi sur les nouvelles régulations économiques, la mise en oeuvre
de l'épargne salariale, les modifications internes, ce que j'appelle la réforme
« modernisation ». Des choses se font, de sorte que - c'est la première
observation que je voulais faire - nous n'avons pas gâché la croissance, nous
avons contribué à la rétablir, à la stimuler. Une partie de cette croissance
vient de l'extérieur, mais une autre partie de celle-ci vient de décisions qui,
selon que l'on est plus ou moins élogieux, seront jugées soit pas mauvaises,
soit pertinentes, soit même par certains tout à fait justifiées.
Monsieur le rapporteur général, vous avez fait une démonstration très
complexe, mais peut-être pas assez, sur la question du taux des prélèvements
obligatoires et de la baisse des impôts, et cette observation a été reprise par
plusieurs de vos collègues. Puisque nous sommes entre spécialistes - car à
cette heure tardive, il ne peut y avoir que des spécialistes - je voudrais tout
de même que l'on parte de données réelles, pour que celles et ceux, très
nombreux, qui liront nos échanges dans le
Journal officiel
ne soient pas
induits en erreur.
J'ai, comme vous tous, j'imagine, une certaine réticence sur la notion de
prélèvements obligatoires car, comme M. Angels ou Mme Borvo le faisait
remarquer, on ne compare pas toujours la même chose. Aux Etats-Unis, nous
dit-on, les prélèvements obligatoires sont très faibles. Or, vous le savez, les
assurances sociales, l'hôpital, notamment, ne sont pas considérés comme des
prélèvements obligatoires, mais si l'on veut avoir une chance d'être accueilli
dans un hôpital, il faut s'assurer, et le coût qui en résulte vient donc
s'ajouter à ces fameux prélèvements. Il faut aussi être prudent car on n'est
pas tout à fait certain du numérateur et du dénominateur ; la croissance peut
varier - on le voit bien en ce moment - l'inflation aussi. Tout cela est très
complexe.
C'est pourquoi il faut poser la question beaucoup plus simplement : oui ou
non, les impôts, à revenus constants, que ce soient les revenus des personnes
physiques ou les revenus des sociétés, baissent-ils ? Personne ne peut
contester que, depuis quelques années, nous avons pris des décisions de baisse
des impôts. Que certains contestent les décisions qui ont été prises - ils sont
d'ailleurs de moins en moins nombreux - je peux le concevoir. Que cette baisse
ait eu lieu et qu'elle continue, tout le monde s'accorde aujourd'hui à le
reconnaître.
Cependant, et c'est le point que je voulais faire remarquer à M. le rapporteur
général, à partir du moment où cette baisse est constatée, on ne peut, par un
artifice, tirer parti du fait que la masse en valeur absolue des recettes
augmente pour affirmer...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est le théorème DSK !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Absolument pas
!
On ne peut en tirer parti pour affirmer, disais-je, que les impôts ne baissent
pas.
Vous êtes maire, monsieur Marini. Dans votre collectivité locale, si, comme je
vous le souhaite, la masse générale de la richesse créée augmente, vous aurez
beau baisser les impôts - j'espère que vous le faites - le produit sera alors
plus important ; et si votre opposition vous déclare que vous n'avez pas baissé
les impôts puisque le produit a augmenté, vous aurez beau jeu de lui répondre
qu'il ne faut pas confondre la baisse des impôts à structure constante et les
produits qui, lorsque la récession augmente, progressent également.
Par conséquent, l'augmentation de la richesse, les bons résultats enregistrés
par les sociétés, les emplois créés en plus grand nombre, les revenus plus
larges ont permis, malgré les baisses d'impôts, une progression du produit de
la recette. Cela ne mange en rien la baisse des impôts.
M. Marini et quelques autres sénateurs ont fait des développements, en général
critiques, sur la dette publique. Je ne peux laisser dire des choses inexactes
! Je citerai donc trois séries de chiffres qui font justice de tout ce qui a
été dit d'inexact sur ce point.
Le poids de la dette publique dans le produit intérieur brut a augmenté de
vingt points - c'est considérable ! - en treize ans, de 1980 à 1993, période
qui a vu se succéder des gouvernements de couleurs politiques différentes.
De 1993 à 1997, soit en quatre ans - et là, il n'y a eu qu'une seule couleur
politique ! - le poids de la dette publique a encore progressé de vingt
points.
M. Josselin de Rohan.
C'était l'héritage !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ecoutez, monsieur
le sénateur ! Quand vous venez après nous, l'héritage est négatif et, quand
nous venons après vous, tout à coup, vous le transformez ! Non, il ne peut y
avoir de demi-héritage ! On est responsable de ce que l'on fait !
La dette publique, disais-je, a donc connu une augmentation de vingt points en
quatre ans, alors que la majorité précédente était au pouvoir.
Puis, de 1999 à 2001, soit en trois ans, le poids de la dette publique dans le
produit intérieur brut a diminué de trois points.
Je veux bien tout ce que l'on veut, mais si, après deux augmentations
consécutives de vingt points, une diminution de trois points est considérée
comme une détérioration, le dialogue devient alors délicat !
M. le président de la commission des finances, avec la hauteur de vue et
l'égalité de jugement qui le caractérisent, a dit que la croissance ne se
convoque pas. Je partage son sentiment : la croissance peut être stimulée mais
elle ne se convoque effectivement pas.
M. Lambert a tenu un certain nombre de propos qui ont recueilli l'adhésion sur
différentes travées. J'exprimerai néanmoins mon désaccord ou mon interrogation
sur deux points.
Comme d'autres sénateurs, M. Lambert a repris l'antienne selon laquelle les 35
heures coûteraient 100 milliards de francs par an. Ce n'est pas exact ! Ayons à
coeur de ne pas véhiculer des chiffres inexacts.
Les allégements de charges - c'est de cela qu'il s'agit - représentent, en
l'an 2000, près de 70 milliards de francs, dont plus de la moitié est
constituée par la partie des allégements de charges appelée un peu trivialement
« allégements Juppé ». On ne peut donc pas dire que les 35 heures représentent
100 milliards de francs !
Je ne dis pas que les allégements de charges relatifs aux 35 heures ne soient
pas importants. Cela représente en effet pas mal de milliards de francs. Mais
on ne peut pas prétendre que le montant est de 100 millards de francs par an !
(M. le rapporteur général s'exclame.)
Par ailleurs, la question qui se pose à l'égard tant de M. Lambert que
d'autres sénateurs est de savoir quelles dépenses réduire ou supprimer. Je
serais curieux de le savoir, et j'y reviendrai dans un instant.
Pour ma part, et comme vous tous, j'écoute, le samedi et le dimanche, les plus
hautes autorités de l'Etat nous expliquer, au cours de déplacements, tout ce
qu'il faut faire en plus. Or, quand est ministre de l'économie et des finances
- M. Fourcade, qui s'exprimait voilà quelques instants, a dû garder ce souvenir
- on a toujours une petite calculette dans la tête !
Ainsi, j'invite M. de Rohan, dont je buvais tout à l'heure les propos, à user
de son influence, qui est certainement grande, pour faire en sorte que l'on ne
s'apprête pas à augmenter les dépenses militaires de 10 milliards de francs par
an ; en effet, comment allons-nous les financer ?
(M. Vinçon
s'exclame.)
Je continue : sur les dotations aux collectivités locales, sujet qui intéresse
beaucoup le Sénat,...
M. Michel Moreigne.
C'est vrai !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... il y a, dans
le raisonnement tenu par M. Fourcade, ce que l'on appellerait, en grammaire,
une « anacoluthe », une rupture de style, c'est-à-dire un moment où la logique
devient - mais là, on passe à Salvador Dali - une logique floue !
M. Josselin de Rohan.
Molle !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
La
décentralisation, ce sont les transferts de compétences. Mais, à partir de là,
M. Fourcade nous dit que, à la suite des transferts de compétences opérés, nous
imposons une contrainte supplémentaire en accordant des dotations
correspondantes et, du coup, au lieu d'avoir simplement deux ou trois
contraintes, nous en avons une de plus.
Je comprends bien cet argument ; mais si, au lieu de transférer une dotation,
l'Etat transférait un impôt, la contrainte serait exactement du même ordre,
c'est-à-dire au lieu d'avoir une dépense supplémentaire à payer chaque année -
le président Poncelet qui a occupé à peu près les mêmes fonctions que moi le
sait -, cela ferait une recette en moins pour l'Etat, et il y aurait une
contrainte. Le problème de fond demeure donc. Ce sera un débat que nous aurons
à l'automne, un grand débat qui peut-être nous opposera !
Je suis, pour ma part, persuadé qu'il faut effectuer des transferts de
compétences et, en face, des transferts de ressources.
M. Christian Poncelet.
A due concurrence, monsieur le ministre !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Oui, cher
président Poncelet ; mais vous savez comme moi - et ces chiffres ont été
rappelés très honnêtement à la tribune voilà un instant - que le compte global
des collectivités locales est en excédent de 30 milliards de francs, que le
compte de l'Etat est en déficit de 180 ou 200 milliards de francs et que,
compte tenu de ce qu'il va devoir financer dans les prochaines années, l'Etat
ne disposera pas de milliards et de milliards de francs à dépenser.
Par conséquent, si nous voulons faire en sorte que certaines collectivités qui
sont en grave difficulté - je laisse de côté le problème des transferts -
disposent de plus de moyens, la réponse ne peut consister - ce serait en effet
démagogique ! - à dire que l'Etat va se dessaisir de fonds qu'il n'a pas et
qu'il n'aura pas.
Si l'on veut, mesdames, messieurs les sénateurs, que certaines collectivités
locales aient plus de moyens, il faudra que la solidarité joue davantage à leur
niveau, ce qui sera difficile parce que cela impose des choix. Gouverner, c'est
choisir, dit-on. Mais quand on regarde les comptes, quand on fait les
prévisions, comme vous le faites tous, au niveau de l'Etat ou des
collectivités, on constate qu'il n'y aura pas de trésor caché du point de vue
de l'Etat.
Je pense sincèrement que la question qu'il faudra se poser est de savoir
comment on peut mieux organiser la solidarité entre les collectivités locales.
C'est une grande question, c'est une forte question, et c'est celle qui nous
permettra d'aller au fond du problème.
M. Delaneau, dans un exposé très complet, a abordé le financement des 35
heures. Sans aller loin dans le débat - c'est un sujet sur lequel tous les
arguments sont échangés en ce moment -, je voudrais lui répondre qu'il ne me
paraît pas illégitime - et c'est un euphémisme - qu'à partir du moment où la
réduction de la durée du travail, comme c'est maintenant démontré, a déjà
abouti à un certain nombre de créations d'emplois, donc à des ressources
supplémentaires pour la sécurité sociale, une partie de ces fonds - une partie
seulement, d'ailleurs - puisse être abondée par celle-ci sans que cela porte en
rien atteinte à la loi Veil de 1994. Mais le débat est en cours.
Quant à l'équilibre des comptes, M. Delaneau a raison de souligner qu'il faut
faire attention : il est vrai que, d'une certaine manière, les 8 milliards de
francs d'excédents de 2001 ne sont pas suffisants, compte tenu de ce qu'a été
l'évolution de la croissance. Mais on conviendra - et M. Delaneau sera le
premier à le faire - qu'un excédent de 8 milliards de francs est tout de même
plus positif qu'un déficit de 53 milliards de francs !
M. François-Poncet a centré l'essentiel de son argumentation sur la
compétitivité de la France. C'est un sujet qui lui tient à coeur et sur lequel
il a fait de nombreux rapports.
Bien sûr, c'est un problème dont je suis bien conscient. Il y a les problèmes
de fiscalité, et il y a les problèmes du travail proprement dit. J'attends
beaucoup du rapport que va remettre au Premier ministre et à moi-même, le
député Michel Charzat. Ensuite, si cela est possible, nous essaierons de vous
proposer des solutions.
M. Fourcade a développé toute une série d'arguments pour démontrer que les
prélèvements obligatoires étaient élevés. Sur ce point, je me suis déjà
exprimé.
Quant aux comparaisons européennes, soyons prudents : la France n'est tout de
même pas cet ectoplasme que l'on décrit quand on la compare à ses voisins
européens. D'ailleurs, chaque fois que je me rends auprès de collègues
européens, ceux-ci s'étonnent - et ce n'est pas seulement l'effet de leur
politesse - des bons résultats de notre pays. Et il me faut revenir en France
pour être ramené, s'il en était besoin, à beaucoup plus de modestie !
Ne passons cependant pas d'un extrême à l'autre : je dis non pas que nous
sommes rayonnants dans tous les domaines, mais que la comparaison avec la
plupart de nos partenaires nous est favorable.
M. Fourcade n'a pas insisté sur la nécessité de limiter les dépenses. Il
aurait pu le faire mais, évidemment, cela lui aurait été difficile dans le
cadre de l'argumentation qu'il a défendue puisque j'ai noté qu'il souhaitait
une augmentation des crédits militaires, une augmentation des crédits de
recherche, une augmentation des crédits d'éducation et une augmentation des
crédits d'aide au développement...
Voulant la paix des ménages, je n'insisterai pas, souhaitant que la majorité
sénatoriale trouve les bons arbitrages en son sein.
(Sourires.)
Mme Borvo a développé une argumentation intéressante, en particulier au début
de son propos : elle a en effet insisté, comme je le fais à l'instant, sur le
fait que l'on ne peut pas souhaiter à la fois moins de croissance en général
et, de façon dominicale, plus de dépenses en particulier. C'est ce qui se passe
et je ne suis pas sûr que le rythme se ralentira à mesure que l'on approchera
du mois de mai de l'année prochaine.
Elle a souligné la nécessité de répondre aux attentes populaires ; je suis
bien d'accord. Elle a beaucoup insisté sur la formation.
Je voudrais, même si ce n'est pas très facile dans le cadre de cette séance,
poser à propos de son intervention deux questions que nous reprendrons si vous
le voulez bien, madame Borvo, lors du débat budgétaire proprement dit.
D'abord, vous dites qu'il faut encourager la consommation intérieure, ce qui
est tout à fait exact. C'est en grande partie ce qui nous a permis d'avoir une
bonne croissance depuis maintenant quatre ans. Mais alors, d'où vient la
consommation intérieure ? Il y a la partie consommation des ménages - c'est
celle à laquelle vous pensez - qui vient d'une évolution salariale positive,
des créations d'emplois et des baisses d'impôts. Quand je cherche ce qui va
encore alimenter cette année et l'année prochaine la consommation intérieure,
j'enregistre qu'il y a les augmentations salariales, les créations d'emplois et
les baisses d'impôts, qui comptent pour une bonne part dans notre
croissance.
C'est d'ailleurs très intéressant, parce que, au moment où le Gouvernement a
décidé ces baisses d'impôts, notre programme était un peu contesté sur le plan
européen. En effet, on nous disait que nous étions procycliques : c'est
l'injure extrême, cela signifie que l'on va plus loin que l'encouragement au
cycle. Or maintenant, on nous dit que nous sommes dans le vrai et que nous
sommes contracycliques - c'est très bien, paraît-il - parce que l'argent que
nous avons mis dans la machine va à la consommation.
En matière d'investissement aussi, vous êtes très avertie des réalités
économiques. Même s'il peut exister des points de divergence, il y va de
l'intérêt des salariés que les entreprises tournent bien, et il n'est pas
d'entreprise qui tourne bien si les salariés sont mécontents. Il faut donc que
nous soyons capables de prolonger le mouvement d'investissement qui s'est
développé. Cela comporte évidemment une part pratique et une part
psychologique, et c'est la raison pour laquelle le Gouvernement - notamment
moi-même, puisque je suis chargé de ces problèmes - essaie de prendre des
mesures qui soient à la fois justes et favorables au développement de
l'investissement. Nous allons essayer de continuer dans cette voie.
L'autre question dont je voulais débattre avec vous, madame Borvo, a trait au
fait que vous avez dit que l'on critique les dépenses alors que, après tout,
les dépenses sont nécessaires. Bien sûr, on a besoin de dépenser, et quand il
faut assurer le fonctionnement des services publics, il faut engager les
dépenses correspondantes. Mais, et c'est là où nous avons peut-être une petite
divergence, il y a une limite à ces dépenses, parce qu'il y a une limite au
déficit.
Vous dites : pourquoi ne pas augmenter le déficit, qui s'élève aujourd'hui à 1
% ? Mais, madame Borvo, nous sommes au sein de l'Europe, et vous êtes favorable
à l'Europe. Si nous augmentons trop fortement le déficit, la Banque centrale va
accroître ses taux d'intérêt : cela pèsera de façon négative sur l'emploi et le
chômage augmentera au lieu de diminuer. En outre, il faudra bien rembourser ce
déficit. En fin de compte, ce sont les contribuables qui devront payer des
impôts supplémentaires.
Je ne dis pas du tout qu'il ne faut pas faire de dépenses : chaque année, nous
en faisons et, par rapport aux autres pays, nous nous situons plutôt au point
haut. Mais il faut quand même fixer une limite. Ayons une discussion sur le
niveau des dépenses ! Ne dites pas : plus les dépenses seront élevées, plus la
consommation sera soutenue, parce que je crois qu'économiquement ce n'est pas
exact.
Enfin, il faut, davantage peut-être que cela n'a été le cas jusqu'ici, que
nous disposions d'un calendrier de concertation avec les partenaires sociaux
sur les grands choix économiques et sociaux. Pour ma part, j'ai émis l'idée que
nous soyons capables, non seulement pour cette législature, dans les mois à
venir, mais également pour la prochaine législature, d'identifier quels sont
les grandes réformes à engager, les grands choix à opérer, et que nous
invitions les partenaires sociaux à participer à l'élaboration de ces choix.
Cela donnerait plus de vitalité à notre démocratie.
Je répondrai maintenant à M. Angels. Je le prie de nous excuser, car nous
commettons souvent une injustice à son égard : comme il est, de tous les
orateurs, l'un de ceux qui nous soutiennent le plus, par voie de conséquence,
il est l'un de ceux auxquels nous répondons le moins longuement, ce qui est
injuste.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous êtes d'accord !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Effectivement
!
Lorsqu'il dresse un bilan économique positif des années 1997 à 2001, lorsqu'il
souligne la priorité du Gouvernement en matière d'emploi, lorsqu'il parle de
l'équilibre de vie, lorsqu'il défend nos choix de réduction des prélèvements et
de développement du pouvoir d'achat, il dit avec plus d'éloquence que je ne
pourrais le faire ce que je pense. Je tiens donc à l'en remercier. Ce n'est pas
parce qu'il soutient le Gouvernement très fortement avec son groupe que cela ne
doit pas être salué.
M. de Rohan a procédé à une analyse de la conjoncture et a formulé un certain
nombre de mises en garde, notamment en ce qui concerne les déficits budgétaires
de 2001 et 2002.
Monsieur le sénateur, je voudrais, sans vous compromettre, que nous essayons
de rassembler nos énergies pour éviter que ces déficits ne dérapent.
M. Josselin de Rohan.
J'ai dit beaucoup de bien de vous, monsieur le ministre !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Peut-être
pourriez-vous user de votre influence...
M. Josselin de Rohan.
N'exagérez pas !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie...
pour que chaque
déplacement en province ne se traduise pas par des appels, largement relayés, à
dépenser plus dans nombre de secteurs majeurs. D'autant que - et ce point reste
à préciser dans les mois à venir - je n'ai pas encore entendu la majorité
sénatoriale, donc l'opposition, énoncer avec précision les domaines sur
lesquels elle entendait pratiquer des économies massives. En effet, j'ai lu
dans je ne sais quelle gazette - mais je fais peut-être erreur - que même si
vous condamniez les emplois-jeunes, vous proposeriez de les maintenir si vous
êtiez en situation de décider. J'ai également lu que même si vous condamniez
les 35 heures, ce n'est pas une réforme sur laquelle vous envisageriez de
revenir.
M. Josselin de Rohan.
Nous disons exactement la même chose que vous ! Ne nous le reprochez pas !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Dès lors, je suis
sceptique lorsque je vous entends décrire les économies massives que vous
pourriez réaliser.
Comme j'ai apprécié les propos que vous avez tenus et le ton que vous avez
utilisé, et puisque vous avez commencé en faisant allusion au cardinal de Retz
et terminé en vous référant à La Rochefoucauld, je citerai deux phrases de ces
auteurs fort intelligents : le premier déclarait que l'« on est plus souvent
dupe par la défiance que par la confiance », et le second que « les passions
sont les seuls orateurs qui persuadent toujours ».
(Applaudissements sur les
travées socialistes. - Rires sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur le ministre, je ne voudrais surtout pas que
mon intervention puisse sembler polémique et j'aurais souhaité, à un moment
donné de votre propos, que vous acceptiez de bien vouloir être interrompu sur
ce thème de la dépense publique, puisqu'il a été au coeur de nos
interventions.
Lorsque je vous écoutais, avec beaucoup d'attention, vous opposer à ceux qui
prêchent une réduction globale de la dépense, mais ne précisent jamais sur quoi
elle doit porter, je m'imaginais entendre un certain nombre de vos
prédécesseurs qui, quelle que soit leur tendance, quelle que soit la politique
économique qu'ils défendaient, s'exprimaient ès fonctions exactement de la même
façon que vous. J'avais encore en mémoire les accents très convaincants
qu'avait, par exemple dans la période 1993-1995, Nicolas Sarkozy, qui était
très efficace sur ce thème.
Mais je rapprochais ce propos, traditionnel de la part d'un ministre de
l'économie et des finances, de notre travail tout à fait récent sur la réforme
de l'ordonnance portant loi organique. Car nous cherchons bien des indicateurs
d'efficacité, des indicateurs de performance de la dépense publique, et nous
savons qu'un travail très important doit être réalisé pour optimiser cette
dépense publique.
Ne nous dites pas par avance, monsieur le ministre, que cela ne servira à rien
et qu'il faut laisser les choses évoluer sans volontarisme particulier.
Certes, il est des besoins tout à fait cruciaux, réels, issus du terrain, que
tous les politiques, notamment en fin de semaine, ne peuvent que souligner.
Mais il est clair que les impératifs auxquels nous devons faire face, qui
doivent conduire à une réduction de nos déficits et à une diminution de la
charge sur les générations futures résultant de la masse globale des emprunts,
impliquent d'être rigoureux en matière de dépenses.
Monsieur le ministre, ne nous découragez pas par avance ! Le contrôle
parlementaire s'exercera dans le cadre du nouveau texte organique, afin que
l'on s'efforce de dépenser moins et mieux, avec un Etat si possible toujours
plus efficace. Ne nous dites pas que ce n'est pas possible !
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je ne vous dirai
certainement pas que ce n'est pas possible, d'autant plus que cela commence à
être fait, même si c'est à dose homéopathique.
En 1997, la France avait le déficit public le plus élevé de la zone euro : 3,5
% du PIB. Désormais, celui-ci s'élève à 1 % ; c'est la moyenne. Cela représente
quand même un peu plus de 200 milliards de francs chaque année ! C'est
nécessaire, mais, finalement, inutile ! Cependant, cela signifie qu'un certain
nombre de pas en avant ont été faits, même si beaucoup d'efforts restent à
accomplir.
Vous avez pris l'exemple de M. Sarkozy en 1994. Le point commun entre M.
Sarkozy et tel ou tel responsable des finances aujourd'hui, c'est que, dans les
deux cas, on vous demande de faire part de vos propositions et, dans les deux
cas, on est un peu déçu.
J'espère que nous allons arriver à adopter une position commune en ce qui
concerne la réforme de l'ordonnance de 1959. Cela nous donnera des méthodes
pour raisonner désormais en termes d'objectifs, et non pas de moyens, puisque
telle est la finalité principale de cette réforme. Cependant, nous sommes, je
le répète, des hommes et des femmes politiques : ces méthodes sont bien utiles,
mais, ensuite, il nous faudra opérer des choix.
Tout à l'heure, M. Lambert disait que c'était aussi une affaire de vérité et,
d'une certaine manière, de courage, le courage ne consistant pas à proposer ce
qui est négatif pour les catégories les plus populaires des Français ; vous
faites en effet souvent la confusion.
Il faudra choisir : gouverner, c'est choisir ; s'opposer, c'est choisir aussi.
Je le vérifie tous les jours, comme l'ont vérifié sans doute mes prédécesseurs
et comme le vérifieront mes successeurs : on ne peut pas à la fois recommander
la prudence, le recours à des financements équilibrés pour en concentrer
l'essentiel sur l'investissement, et, dans le même temps, suivre tous les
thèmes à la mode, c'est-à-dire le dernier train qui passe.
Vous me direz que j'y ai fait beaucoup référence ce soir, mais, lorsqu'il
n'était que candidat, le Président de la République actuel citait cette jolie
formule de Jean Guitton : il faut être dans le vent et, être dans le vent,
c'est s'exposer à avoir un destin de feuille morte. Il faut donc faire
attention à ne pas s'exposer à avoir un destin de feuille morte. Faire de la
politique, c'est choisir, à l'échelon national comme à l'échelon local ! Les
prochaines échéances électorales nous donneront l'occasion de développer ces
choix.
M. Christian Poncelet.
Il faut prendre le bon vent !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
A notre façon,
nous avons pu commencer à le faire ce soir.
M. le président.
La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.
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