SEANCE DU 7 JUIN 2001
M. le président.
La parole est à M. Hethener.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Hethener.
Madame la garde des sceaux, selon vos propres déclarations, vous avez fait de
la lutte contre le grand banditisme en Corse l'une de vos priorités.
Ma question concerne donc la libération pour le moins rocambolesque de détenus
en Corse.
La commission d'enquête sénatoriale n'avait pas manqué, l'année passée, de
relever les nombreux errements, ratages et divers dysfonctionnements de la
justice dans l'île, sans pour autant que le Gouvernement prenne les mesures qui
s'imposaient.
Rappelons brièvement les faits. Jeudi dernier, trois détenus, reconnus par le
SRPJ comme les caïds de la bande de la « Brise de mer », la principale
organisation criminelle en Corse, ont pu sortir de leur cellule de la maison
d'arrêt de Borgo par la grande porte, grâce à la présentation d'un simple faux
fax ordonnant leur libération.
(Sourires.)
Il a fallu attendre mardi dernier, soit cinq jours, pour que la justice se
rende compte de leur disparition.
(Nouveaux rires.)
Il est vrai que
c'était le week-end de la Pentecôte, mais ce n'est pas une raison suffisante
!
Selon la presse, les premiers éléments de l'enquête révèlent d'ores et déjà un
nombre de dysfonctionnements pour le moins inquiétant.
Tout d'abord, cette télécopie émanait en apparence du cabinet du juge
d'instruction, alors que l'ordre était signé par l'un des vice-présidents du
tribunal d'Ajaccio, également juge de la détention, sans éveiller l'attention
de personne.
M. Jean Arthuis.
C'est l'expérimentation !
M. Alain Hethener.
Par ailleurs, le nom du juge est mal orthographié sur le document, et son
titre même est erroné.
De surcroît, il est aisément décelable que le tampon figurant sur le document
est faux, puisqu'il n'est qu'un mauvais mélange entre celui du juge
d'instruction et celui du juge de la détention.
M. Serge Vinçon.
Quel scénario !
M. Alain Hethener.
La signature de ce dernier, qui avait d'ailleurs systématiquement refusé
toutes les demandes de remise en liberté, a été également grossièrement
contrefaite.
M. Henri de Raincourt.
Vous faites un film !
M. Alain Gournac.
C'est du cinéma !
M. Alain Hethener.
Contrairement à l'usage en vigueur, l'ordre de libération n'a pas été annexé à
l'ordonnance du juge motivant la décision.
M. René-Pierre Signé.
La question !
M. Alain Hethener.
Enfin, il faut ajouter à cela qu'un acte de libération est toujours un acte
individuel, et tous les intervenants, dans la maison d'arrêt, auraient dû
s'interroger sur la nature d'un document visant simultanément trois personnes,
ce qui ne s'est jamais vu.
Comme je viens de le montrer, madame la garde des sceaux, les
dysfonctionnements ont été nombreux.
Face à une telle situation, ma question est double : que compte faire le
Gouvernement, au-delà de l'affichage politique, pour assurer à la justice les
moyens d'un fonctionnement cohérent en Corse, et quels éclaircissements
pouvez-vous nous apporter sur cette affaire ?
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Vous avez raison, monsieur le
sénateur : la libération de trois détenus de la maison d'arrêt de Borgo au vu
d'un ordre de mise en liberté contrefait est un événement extrêmement grave
que, tout comme vous, je n'admets pas.
M. Jacques Mahéas.
Très bien !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Il est effectivement inexplicable qu'un acte si
important qu'un ordre de remise en liberté n'ait pas fait l'objet de
vérifications plus sérieuses, ne serait-ce que par la voie téléphonique. C'est
d'autant plus inexplicable qu'il concernait, comme vous le soulignez, non pas
une, mais trois personnes impliquées dans une même affaire de grand banditisme
et parfaitement connues de ceux qui les gardaient. Je me l'explique d'autant
moins que, comme vous l'avez rappelé, certains détails figurant sur les ordres
contrefaits auraient dû alerter un lecteur attentif.
Ces faits révèlent à l'évidence une défaillance de notre procédure, mais
aussi, très vraisemblablement, de graves dysfonctionnements sur lesquels j'ai
immédiatement ordonné une enquête administrative, confiée à l'inspection
générale des services judiciaires, qui devra établir les responsabilités et
proposer des mesures propres à empêcher la répétition de tels faits. Ce rapport
me sera remis, et je vous ferai part de ses conclusions.
Toutes les conséquences des fautes commises et des défaillances seront tirées,
tant en ce qui concerne les procédures que nous devrons mettre en place que les
sanctions éventuelles à prendre. Car il ne s'agit pas là de moyens, monsieur le
sénateur ; il s'agit de procédures et d'attention.
Je n'ai pas le droit d'en dire plus, puisqu'une enquête judiciaire est
ouverte, mais les faits sont suffisamment graves pour que nous prenions les
mesures qui s'imposent.
C'est d'autrant plus vrai qu'aujourd'hui est un jour de mobilisation pour les
personnels de l'administration pénitentiaire et qu'il ne faut pas que cette
affaire, qui évoque des dysfonctionnements, et peut-être pire, masque le fait
que des surveillants, des responsables, des directeurs, accomplissent un
travail extraordinaire auprès des détenus, rejoignant en cela les policiers,
les enseignants dans les zones difficiles. Tous ceux qui, aujourd'hui, prennent
en charge ces problèmes sociaux, alors même que tout le monde va mieux grâce à
l'amélioration de la situation économique, tous ceux qui sont les gardiens de
notre démocratie ont l'impression qu'aujourd'hui on les oublie. Ils ont tous
besoin d'encouragement et de considération.
Des faits comme ceux que vous dénoncez, monsieur le sénateur, doivent être
sanctionnés : il en va de la crédibilité, de la reconnaissance, et même de la
gratitude que nous devons aux surveillants de l'administration pénitentiaire,
qui nous permettent d'être ici en toute tranquillité.
(Applaudissements.)
RÉFORME DU DROIT DE LA FAMILLE