SEANCE DU 10 MAI 2001


M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Ma question s'adressait à M. le Premier ministre.
Alors qu'un drame se joue en Kabylie, la France se préoccupe d'abord des révélations du général Aussaresses, révélations qui, après d'autres, ont dopé les ventes de livres mais ne nous ont rien appris de plus.
Que cet ancien officier ait agi de son fait ou que l'on ait armé sa plume ne change rien au débat : il s'est exclu lui-même de son corps social qu'est l'armée.
Peut-on d'ailleurs parler de débat, tant la question de la torture en Algérie tourne au procès à charge, à charge contre l'armée française bien sûr, mais aussi contre les appelés du contingent ?
C'est en songeant à eux que je m'élève contre la tentation de réécrire l'histoire, non pour nier des faits établis, mais pour dénoncer la mémoire sélective qui cède à la mode du repentir.
Mémoire sélective des intellectuels, qui réclament, au nom de la torture en Algérie, l'inverse de ce qu'ils défendaient en 1991 pour Boudarel, et qui oublient le traitement réservé par ce dernier et le Viêt-minh aux officiers français du camp 113. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mémoire sélective des communistes, qui oublient qu'ils ont voté l'envoi du contingent et approuvé l'octroi des pouvoirs spéciaux à l'armée.
M. Alain Gournac. Eh oui !
Mme Hélène Luc. C'est scandaleux !
M. Jean-Claude Carle. Mémoire sélective des socialistes, qui passent sous silence le rôle de Guy Mollet et de François Mitterrand, alors ministre de la justice, dont un décret avait transféré l'essentiel des pouvoirs judiciaires à l'armée.
M. Patrick Lassourd. Effectivement !
M. Jean-Claude Carle. Comme M. Jospin, « on aurait rêvé d'une trajectoire plus claire », particulièrement en ce 10 mai, date symbolique d'une France qui, d'après M. Jack Lang, devait franchir « le chemin qui sépare les ténèbres de la lumière ».
Mais le droit d'inventaire ne doit pas devenir le droit d'inventeur.
M. Jacques Mahéas. C'est assez minable !
M. Jean-Claude Carle. A entreprendre un travail de mémoire, nous devons nous souvenir de tout, à commencer par tous les soldats tombés au front et les 150 000 harkis massacrés par le FLN pour avoir choisi la France. (M. Chérioux applaudit.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La question ?
M. Jean-Claude Carle. La torture en Algérie appelle de la part du Premier ministre « une totale condamnation morale ». Pourquoi n'avoir pas réagi de même aux propos du président Bouteflika qualifiant les harkis de « collabos ».
Monsieur le ministre, on ne peut pas laisser accréditer l'idée que le général Aussaresses, la torture et l'armée, c'était pareil.
Faire cet amalgame serait faire injure aux anciens d'Afrique du Nord et à l'armée. Ce serait inciter les Français à se contenter d'un bouc émissaire - en l'occurrence, un général en retraite qui cherche à faire parler de lui - pour éviter de regarder les responsabilités de chacun.
M. Alain Gournac. Le goulag !
M. Jean-Claude Carle. Rien ne justifiera jamais la torture, qui est la négation de la dignité de la personne humaine.
M. Pierre Lefebvre. Ah ! Tout de même !
M. Jean-Claude Carle. Finissons-en avec ce double langage !
Tout ce que la gauche compte d'intellectuels et de dirigeants politiques nous appelle à condamner la torture durant la guerre,...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Pour ce qui nous concerne, nous n'avons pas attendu aujourd'hui !
M. Jean-Claude Carle. ... quand la culpabilité française à l'égard du passé conduit notre pays à fermer les yeux sur ce qui se passe aujourd'hui en Algérie et sur les milliers de victimes d'un terrorisme aveugle.
Tant qu'il en sera ainsi, la page de la guerre d'Algérie ne sera pas tournée.
M. Paul Raoult. C'est scandaleux !
M. Alain Gournac. Et le goulag ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La question ?
M. Jean-Claude Carle. Plutôt que de chercher dans le passé des artifices de la division, quelle initiative entendez-vous prendre pour que le travail de mémoire éclaire les jeunes générations et serve la cause de la réconciliation franco-algérienne ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Paul Raoult. Inadmissible !
Mme Hélène Luc. C'est honteux ! Henri Alleg est communiste !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, losqu'un tel débat, sur l'initiative d'une seule personne, s'ouvre, chacun doit s'interroger sur son devoir eu égard à la responsabilité qui est la sienne. C'est en tout cas mon attitude, comme celle de tous les membres du Gouvernement et, j'en suis sûr, de tous les membres du Parlement.
Les termes dans lesquels s'est exprimé publiquement le général de brigade du cadre de réserve Aussaresses appellent, sur le plan éthique et sur le plan politique, une réprobation absolue. (Très bien ! sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour l'avoir dit ou pour l'avoir fait ?
M. Jean Chérioux. Personne ne le conteste !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Ces actes peuvent avoir des suites judiciaires ; ce n'est pas au Gouvernement de se prononcer sur cette question. Le Chef de l'Etat, chef des armées, a souhaité qu'il y ait une suite statutaire dans la situation d'officier général du cadre de réserve Aussaresses. J'ai fait parvenir au Président de la République, avec l'assentiment du Premier ministre, les propositions permettant de donner suite à cette demande.
Quant à l'attitude éthique et politique que nous devons adopter s'agissant de ces faits, qui sont une face tragique et sombre de notre histoire pendant le conflit algérien, le Gouvernement a fait en sorte, et ce depuis plusieurs années, que le travail des historiens, détachés des passions, permette de progresser dans la compréhension et la connaissance de ces faits. Chaque jour, des historiens travaillent sur les archives du ministère de la défense et des autres ministères concernés. Cette partie de notre devoir est accomplie.
Il y a une autre partie de notre devoir qui, hélas ! était absente dans votre question, monsieur le sénateur, c'est le fait de savoir ce que sont aujourd'hui l'action et l'attitude éthique de nos soldats lorsqu'ils sont, et c'est encore le cas actuellement, en opération placés dans des situations de confrontation extrême avec des adversaires prêts à tout.
Ce que je me plais à dire - et je vous remercie de m'en avoir fourni involontairement l'occasion - c'est que, aujourd'hui, les soldats et les officiers de la République font face à des situations de tension extrême dans un complet respect des principes de la République et des droits de l'homme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE - MM. Seillier et Neuwirth applaudissent également.)

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