SEANCE DU 3 MAI 2001
RÈGLEMENT DÉFINITIF DU BUDGET DE 1999
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 22, 2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale, portant règlement définitif du budget de
1999.
[Rapport n° 176, 2000-2001.]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser à nouveau
l'absence de Mme la secrétaire d'Etat au budget. J'ai donc le plaisir de vous
présenter maintenant le projet de loi portant règlement définitif du budget de
1999.
Je me plais à souligner que, grâce aux progrès accomplis dans la gestion
budgétaire par le Gouvernement, ce projet de loi a été déposé sur le bureau de
l'Assemblée nationale au début du mois de juillet. Nous avons ainsi gagné trois
mois par rapport au calendrier tenu l'an passé et six mois par rapport à la
situation antérieure.
Je crois que le Gouvernement répond ainsi à votre préoccupation d'être saisis
le plus vite possible des lois de règlement. Cette accélération du calendrier
permet, en effet - en théorie au moins, car l'ordre du jour très chargé des
travaux parlementaires ne l'a malheureusement pas permis cette année -
d'enrichir le débat budgétaire sur les prévisions pour l'année à venir.
Je soulignerai en quelques mots les lignes de force de l'exécution du budget
de 1999, qui confirme les grandes orientations fixées en loi de finances
initiale.
Tout d'abord, l'objectif de stabilisation de la dépense qui est, à mes yeux,
essentiel, est respecté. En effet, avec un taux d'inflation de 0,5 %, la
progression des dépenses en volume a été abaissée à 1,1 %, selon la norme
mesurée hors dépenses exceptionnelles et hors modification du périmètre de la
loi de finances pour 1999.
Premier point fort, l'objectif d'excellente gestion des finances publiques, et
de stabilisation de la dépense est donc atteint.
Deuxième point fort, grâce à la croissance économique, les recettes fiscales
nettes s'élèvent à 1 565,6 milliards de francs, soit un surplus de 30,7
milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale. Ce surplus est
explicable, en particulier, par l'évolution de l'impôt sur les sociétés - plus
30 milliards de francs - du fait des bons résultats des entreprises
bénéficiant, en 1998, de la première année de croissance forte qui force
l'admiration en Europe.
Troisième point fort, le déficit budgétaire connaît en 1999 une diminution
sans précédent. A 206 milliards de francs, il diminue de 41,5 milliards de
francs par rapport à 1998, année qui a enregistré un déficit de 247,5 milliards
de francs.
Quatrième point fort lié au précédent, la baisse du déficit permet d'inverser
la spirale de la dette dès 1999. Pour la première fois depuis vingt ans,
mesdames, messieurs les sénateurs, la dette est ainsi ramenée en dessous du
seuil de 60 % du produit intérieur brut, seuil qui est pris en considération
dans les différents critères dits « de Maastricht » de la bonne gestion
financière.
Je veux également souligner que, parallèlement au dépôt du projet de loi de
règlement et conformément à la circulaire du 21 février 2000 de M. le Premier
ministre, des comptes rendus de gestion financière préparés par les ministères
ont été diffusés pour la première fois.
Cette initiative vise à enrichir les données strictement comptables de la loi
de règlement. Ces documents permettront en effet d'améliorer sensiblement votre
information en portant à votre connaissance de nouveaux éléments pour
appréhender les résultats des politiques publiques.
Le résultat de la politique publique est au coeur même du contrôle
parlementaire. Aussi les parlementaires doivent-ils bénéficier d'un véritable
tableau de bord décrivant ce que la dépense publique a réussi à construire et à
réaliser dans la réalité.
Sur la base de la présentation de la loi de finances initiale en agrégats, les
comptes rendus de gestion budgétaire doivent dégager une analyse fine des
objectifs et des coûts. Ainsi - je viens de le souligner, mais je crois
nécessaire de le redire - l'élément de mesure des résultats obtenus en termes
d'efficacité socio-économique, d'efficience des administrations, de qualité de
services rendus et donc, en fin de compte, de justification de la dépense
publique sera-t-il porté à votre connaissance.
Le projet de loi de règlement pour 1999 contient également des mesures
traditionnelles de gestion des autorisations budgétaires, ainsi que des mesures
de remise de dette aux pays les moins développés : 2,3 milliards de francs au
titre des échéances de 1999, conformément d'ailleurs à une résolution de la
CNUCED, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, et
aux engagements internationaux pris par la France lors des différents sommets
auxquels notre pays a participé.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames,
messieurs les sénateurs, les éléments sur lesquels je tenais à mettre l'accent
et que j'ai l'honneur de soumettre maintenant à votre approbation.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la loi de règlement, comme vous le
savez, est la dernière étape du parcours budgétaire, celle de la reddition des
comptes par l'exécutif au législatif. Il s'agit donc d'un exercice important
qui suscite traditionnellement l'intérêt d'un grand nombre d'entre nous, ce que
je me réjouis de constater.
Cela dit, mes chers collègues, il faut avoir conscience que si voter un budget
est une chose, si contrôler son exécution en cours d'année en est une autre, le
fait de prendre connaissance de la réalité comptable à la clôture de cet
exercice représente la clé de voûte du raisonnement.
Faute de loi de règlement présentée dans les formes, après toutes les études
et analyses nécessaires, le processus d'élaboration des lois de finances et
leur suivi n'est qu'un processus fictif ne reposant sur aucune réalité, se
déroulant dans un théâtre d'ombres où l'on se berce de discours sans prêter
attention aux choses concrètes.
Mes chers collègues, cette entrée en matière, pour être rituelle de la part du
rapporteur général de la commission des finances, n'en est pas moins le
témoignage des convictions très fortes que nous partageons au sein de cette
commission.
Le quitus comptable auquel je vais vous inviter au terme de cet exposé ne vaut
évidemment pas acceptation de la politique conduite et des pratiques
budgétaires du pouvoir exécutif. Le quitus comptable consiste à constater la
régularité des opérations et la prise en compte des analyses et observations de
la Cour des comptes qui, traditionnellement et juridiquement, jouent un rôle
essentiel en amont des travaux parlementaires consacrés aux lois de
règlement.
Du point de vue de la commission des finances du Sénat, il est tout à fait
clair que l'année 1999 a été gérée de manière extrêmement contestable.
Souvenez-vous du rapport de notre commission d'enquête dont le titre -
significatif - était : « En finir avec le mensonge budgétaire » et le
sous-titre - peut-être encore plus significatif, monsieur le secrétaire d'Etat
- « Enquête sur la transparence toute relative des comptes de l'Etat »...
La loi de règlement telle qu'elle nous est présentée fait apparaître la
réalité de cet exercice budgétaire 1999.
Il convient d'espérer, mes chers collègues, que la réforme actuellement
entreprise de l'ordonnance organique de 1959 sur les lois de finances que nous
allons examiner prochainement en commission, puis en séance publique, permettra
réellement de faire face aux besoins de transparence fondamentaux dans le monde
d'aujourd'hui.
Au-delà de la procédure, au-delà des détails techniques qui n'intéressent que
les administrations, des actions importantes sont à lancer dans le respect des
règles fondatrices de la Ve République pour rendre les documents budgétaires
plus compréhensibles, pour donner une base plus crédible au débat démocratique
et pour permettre que le contrôle parlementaire ne soit pas - ou ne soit plus -
que de pure forme.
Mais je reviens à l'année 1999. La loi de règlement constate la réalisation du
budget dans un certain contexte macro-économique, en l'occurrence celui d'une
croissance soutenue. Cependant, cette croissance n'a pas reposé sur les
enchaînements qui avaient été imaginés
ex ante
par le Gouvernement : le
poids respectif des ressorts de la croissance s'est révélé différent de ce que
l'on avait présumé.
Ainsi, en particulier, les investissements des entreprises ont été très
dynamiques, plus que le Gouvernement ne l'avait anticipé au début de l'année
1999, c'est-à-dire dans cette période caractérisée par ce que Dominique
Strauss-Kahn avait appelé le « trou d'air », où il semblait que des
perturbations dans le rythme de croissance pouvaient être constatées. En
définitive, l'impact de ces perturbations sur le fonctionnement des entreprises
et sur le rythme de leurs investissements s'est révélé réduit.
A l'inverse, la consommation des ménages a augmenté plus lentement que prévu :
sa progression n'a été que de 2,1 % en volume en 1999, contre 3,3 % en 1998.
Cela s'explique par un ralentissement des gains de pouvoir d'achat au cours de
l'année 1999, phénomène essentiel, monsieur le secrétaire d'Etat, que, sans
doute pour des raisons de débats internes à votre majorité plurielle, vous avez
souhaité minimiser dans vos présentations.
En résumé, pendant cette année 1999, l'investissement des entreprises a
progressé plus et la consommation des ménages moins que ce qui avait été prévu.
Il reste que, globalement, la croissance en 1999 a été à peu près « en ligne »
avec ce qui était imaginé avant l'épisode du « trou d'air » ; ce sont les
composantes de la croissance qui ont subi des variations par rapport aux
pronostics initiaux.
Voilà pour le contexte.
Très rapidement, monsieur le secrétaire d'Etat, je formulerai quelques
considérations sur les recettes, puis sur les dépenses et enfin sur le
solde.
Les recettes, chacun s'en souvient, ont progressé de manière très dynamique
puisque leur augmentation d'une année sur l'autre en volume a été de 6,4 %,
taux à comparer à celui de la croissance du PIB en volume : 2,9 %. C'est ce qui
permettait à Dominique Strauss-Kahn d'expliquer que les impôts baissaient mais
que les prélèvements obligatoires augmentaient ; c'était le théorème, ou le
paradoxe, alors invoqué...
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Oui, grâce à la croissance !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Oui mais, je l'ai rappelé, la croissance a été de 2,9
% quand les recettes du budget général ont progressé de 6,4 % ! Il y a donc
certainement des étapes du raisonnement permettant d'expliquer cet effet
multiplicateur qui conduit à payer toujours plus pour faire fonctionner la
lourde machine publique...
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
C'est une question d'élasticité, tout simplement !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Au demeurant, les recettes du budget général se
répartissent, nous le savons, en deux grandes rubriques : les recettes fiscales
nettes, qui ont augmenté de 7,8 % en 1999, et les recettes non fiscales, qui
ont augmenté, elles, de 6,8 %. La conciliation des chiffres s'opère notamment
par la prise en considération des prélèvements sur ressources.
Qu'on me permette de souligner la très vive progression des recettes fiscales
en 1999. La Cour des comptes évoque en particulier une « augmentation
exceptionnellement rapide de l'impôt sur le revenu » : de 9,8 %.
Elle aurait pu qualifier de la même façon la progression de l'impôt sur les
sociétés puisque celle-ci a été de 24,4 % ! S'agissant de ce dernier impôt, on
constate une majoration de plus de 15 points par rapport aux prévisions de la
loi de finances !
En ce qui concerne la TVA nette, la progression a été plus proche du rythme de
croissance puisqu'elle a été de 4,5 %. La Cour des comptes estime cependant que
le montant des recettes de TVA inscrit dans le budget de l'Etat pour 1999 est
inférieur au montant réellement encaissé au cours de cet exercice.
A la lecture des observations de la Cour des comptes, je suis fondé à relever
- et c'est ce que la commission d'enquête du Sénat avait fait en son temps -
que les opérations ont été comptabilisées d'une manière rien moins que
transparente, et que les imputations comptables relèvent d'une politique
extrêmement arbitraire, ne faisant pas la place indispensable à la permanence
des méthodes, qui seule crédibiliserait la reddition des comptes de l'Etat.
En ce qui concerne les recettes non fiscales, cette observation est, bien
entendu, à reprendre et même à amplifier. En effet, mes chers collègues, ces
recettes non fiscales représentent en exécution 168,4 milliards de francs, soit
un recul de près de 15 milliards de francs par rapport à ce qui était prévu en
loi de finances initiale.
A l'évidence, monsieur le secrétaire d'Etat, cela reflète une manipulation, un
pilotage politique : la définition des recettes non fiscales obéit
manifestement, comme l'a indiqué la direction du budget à la commission
d'enquête, à des « spécificités fortes » ... On ne pourrait mieux dire que les
recettes non fiscales sont une variable d'ajustement dont le Gouvernement se
réserve le pilotage : on en met un peu plus, on en met un peu moins, on verse
une louche supplémentaire ou on la garde pour l'exercice suivant, en fonction
des chiffres que l'on souhaite présenter.
Cela, monsieur le secrétaire d'Etat, pardonnez-moi de le redire, n'est pas
très sérieux, et il faudra bien, d'une manière ou d'une autre, mettre fin à ce
genre de fantaisies, car elles ne trompent personne, du moins chez nous ou chez
les analystes qui, à Bruxelles et ailleurs, passent au crible nos comptes
publics. Ce sont des façons de faire qui relèvent plus des astuces
procédurières et subalternes que d'une présentation et d'une gestion
responsables des comptes publics. La représentation nationale, lorsqu'elle
examine la loi de règlement, pour laquelle elle manifeste un grand intérêt, se
doit de relever cet aspect des choses avec beaucoup de force. On ne peut pas
crédibiliser la gestion de l'Etat avec des systèmes à géométrie variable en
fonction de l'opportunité du moment.
Au total, le niveau des prélèvements obligatoires s'est élevé à 45,7 % du
produit intérieur brut en 1999, en progression de 0,8 point par rapport à 1998.
La pression fiscale a donc augmenté. Cependant, bien entendu, cette triste
exception fiscale française a donné lieu à des engagements verbaux de la part
du Gouvernement, qui annonce toujours des baisses pour le lendemain. Mais nous
aurons l'occasion de vivre un épisode supplémentaire de cette histoire lors du
débat d'orientation budgétaire.
Quant à la dépense budgétaire, elle n'a pas été véritablement maîtrisée en
1999. Et nous ne sommes pas les seuls à le dire ! Nous, nous sommes des «
ringards », nous sommes une « anomalie de la démocratie » ! Bref, même si, à
vous croire, monsieur le secrétaire d'Etat, le Sénat est la seule assemblée
vraiment écologique, nous ne sommes pas crédibles !
(Sourires.)
La Cour
des comptes, elle, est nécessairement crédible. Or elle valide nos analyses.
Elle rappelle que l'objectif de progression des dépenses fixé initialement par
le Gouvernement était, pour l'année 1999, de 1 % en volume mais que la
progression finalement enregistrée a été de 2,7 % en volume. La différence
représente quand même beaucoup d'argent !
Et le verdict est implacable. Car il apparaît, à partir des travaux de la Cour
des comptes, que le Gouvernement a pris des libertés avec le principe de la
permanence des méthodes budgétaires afin, tout simplement, d'afficher le
respect des engagements initiaux. Il est évident que, si l'on bloque le
thermomètre sur la température à afficher, le malade se porte toujours bien
!
En vérité, nous devons considérer les libertés qui ont été prises avec le
principe de permanence des méthodes budgétaires comme foncièrement
coupables.
En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a exclu de son calcul
près de 50 milliards de francs de dépenses, dont 13 milliards de francs de
dépenses prétendument exceptionnelles, notamment les 10 milliards de francs
versés à l'UNEDIC.
L'exercice ne peut qu'aboutir à un CQFD imparable ! Vous êtes toujours en
mesure de dire : « les dépenses ne progressent pas ; nous avons tenu nos
objectifs » puisque vous maîtrisez la notion de dépenses exceptionnelles. C'est
tout simple ! Ce qui, à vos yeux, est exceptionnel, vous l'extrayez de votre
calcul. Cela vous permet de montrer toujours que vos résultats sont conformes à
ce que vous aviez annoncé ! Cela relève plus d'une astuce de garçon de bain que
de pratiques sérieuses. Cela ne trompe aucun analyste. Il s'agit plus d'une
gesticulation politique que de la reddition de comptes au sens propre du
terme.
Enfin, il convient d'observer que la dépense budgétaire est de plus en plus
rigide. Elle s'est rigidifiée au cours de l'année 1999, au détriment des
dépenses d'investissement, dont la part relative se contracte sans cesse.
Procéder, dans une période de croissance, à une évaporation ou à une dilution
sans cesse plus grande des dépenses d'investissement au sein d'une masse
budgétaire qui représente des contraintes de plus en plus rigides pour demain
et après-demain, c'est proprement inadmissible, monsieur le secrétaire
d'Etat.
Il faut ajouter que l'augmentation des dépenses, qui s'est donc établie à 2,7
% en volume, a été réalisée malgré un allégement significatif de la charge
brute de la dette. Monsieur le secrétaire d'Etat, lorsque, tout à l'heure, vous
avez évoqué la dette publique, vous avez omis de préciser que vous entendiez
par là la dette de l'ensemble du secteur public,...
M. Yves Fréville.
C'est exact !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... c'est-à-dire l'Etat, les organismes de sécurité
sociale et les collectivités territoriales. Sans doute la direction du Trésor
et la direction du budget sont-elles réticentes pour vous donner des éléments
et ont-elles bien des difficultés pour les calculer. Cependant, si vous nous
aviez donné des éléments sur l'endettement en capital de l'Etat, vous auriez dû
nous dire que, au cours de l'année 1999, il a progressé, et non pas diminué. En
effet, vous savez fort bien que nous vivons dans un théâtre d'ombres étonnant,
où les parlementaires, en matière de dette, ne votent en vérité, dans le
budget, que les intérêts de la dette.
Personne ne fait cela, ni un ménage qui doit s'adresser à la banque pour
financer je ne sais quel équipement ou investissement, ni la commune, le
département ou la région. Tout agent économique normal prend ses décisions en
matière d'emprunt non seulement en prenant en compte le niveau des intérêts,
mais aussi, et surtout, en évaluant le niveau de dette en capital qui lui
semble cohérent avec le flux à venir de ses ressources, afin que cette dette
soit soutenable sur la durée.
A la vérité, l'Etat ne fait pas cela. Il faut le répéter, mes chers collègues,
car c'est une particularité qui remonte aux origines de notre comptabilité
publique, voilà deux cents ans, et qui est venue jusqu'à nous avec beaucoup de
continuité. L'Etat fait voter dans la loi de finances uniquement la charge
d'intérêts, c'est-à-dire la rubrique des frais de fonctionnement issus de la
dette, sans tenir compte des conditions de remboursement du capital de ses
emprunts.
Il est vrai qu'en 1999, je vous en donne acte, monsieur le secrétaire d'Etat,
la charge de la dette, c'est-à-dire les intérêts, a diminué de 2,7 %, ce qui,
la Cour des comptes l'a relevé, est sans précédent depuis plus de quinze ans.
Cependant, vous le savez, cette baisse, c'est une économie de constatation, car
elle reflète plus l'évolution des marchés financiers qu'une volonté politique
quelconque. Le Gouvernement a bénéficié de cette économie de constatation et
nous disons, nous, qu'il n'en a même pas fait bon usage, puisque, on l'a vu, la
dépense publique n'a pas été globalement suivie et contrôlée comme elle aurait
dû et pu l'être.
En vérité, lorsqu'on regarde la dépense publique, il faut s'attacher à ce qui
est le plus important en volume et pour l'avenir, c'est-à-dire aux dépenses de
personnels. Celles-ci représentent 84 % des crédits du titre III, c'est-à-dire
de l'ensemble des moyens de fonctionnement de l'Etat.
Qu'observe-t-on au cours de l'année 1999 ?
Les rémunérations d'activité supportées par le budget de l'Etat se sont
élevées à quelque 391 milliards de francs, soit une augmentation de 2,1 %. Les
pensions ont représenté quelque 184 milliards de francs, soit un accroissement
de 3,4 %. Les charges sociales se sont établies à quelque 82 milliards de
francs, soit une augmentation de 3,7 %.
Comme l'année précédente - 1998 -, le coût des pensions et des charges
sociales a donc évolué plus rapidement que celui des rémunérations d'activité.
Cela suscite, à bon droit, de vives inquiétudes pour l'avenir.
Ces inquiétudes sont d'autant plus vives que les dernières mesures de
revalorisation des traitements dans la fonction publique décidées par le
Premier ministre, à savoir 1,2 % en 2001 et 1,1 % en 2002, bien qu'elles soient
considérées comme totalement insuffisantes par tous les lobbies professionnels
que l'on appelle « syndicats de fonctionnaires », vont alourdir la barque de
près de 20 milliards de francs supplémentaires, alors que le Gouvernement n'a
provisionné, d'après ce que nous croyons comprendre, que 3 milliards de francs
pour 2001. Il devra donc trouver, au titre de la loi de finances pour 2001,
environ 17 milliards de francs. J'attends avec grand intérêt les explications
de M. Fabius qui, même si ses craintes n'ont probablement pas toujours été
examinées et partagées comme, de son point de vue, il l'aurait fallu au niveau
interministériel, va devoir, par redéploiements, dégager les ressources
nécessaires afin de faire face aux promesses qui ont été faites et qui, de
surcroît, ne satisfont pas les intéressés.
M. le président.
Monsieur le rapporteur général, veuillez vous rapprocher de votre conclusion,
je vous prie.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur le président, je me rapproche de ma
conclusion en évoquant les dépenses en capital, qui demeurent le parent pauvre
de l'exercice. En effet, l'augmentation des dépenses en capital, c'est-à-dire
des investissements qui réellement préparent l'avenir, n'a été que de 1,3 %.
Leur part au sein de la dépense de l'Etat continue à diminuer : elles
représentaient plus de 9 % en 1997 et s'établissent à 8,2 % en 1999.
Au total et en conclusion, le déficit budgétaire à l'issue de l'année 1999
s'est établi à 200 milliards de francs. Il a représenté 2,3 % du produit
intérieur brut. En 1999, l'Etat est demeuré, au sein de la sphère publique, la
seule collectivité qui soit encore déficitaire.
Ainsi que le souligne fort justement la Cour des comptes s'agissant du déficit
des administrations publiques, « une comparaison avec les autres Etats de
l'Union européenne conduit à relativiser ces résultats. Au sein de l'Union
européenne, la position de la France n'est pas parmi les meilleures : avec 1,8
%, le déficit public français, tout en ayant diminué sensiblement, reste, en
1999, l'un des plus élevés des Etats membres de l'Union européenne dont le
déficit moyen s'établit à 1,2 % du produit intérieur brut pour la zone euro et
à 0,7 % du produit intérieur brut pour les Quinze. »
L'effort de réduction des déficits publics, et en premier lieu celui de
l'Etat, doit incontestablement être amplifié.
La réduction des déficits est une question élémentaire de bonne gestion
budgétaire, de compétitivité par rapport à nos principaux partenaires, mais
aussi et surtout, mes chers collègues, de solidarité intragénérationnelle avec
ceux qui nous suivront, nos enfants et nos petits-enfants.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais insister sur ce point en terminant.
Si le Sénat éprouve beaucoup d'intérêt pour la réforme de l'ordonnance de 1959
et pour tout ce qui concerne les conditions de prise de la décision politique
sur l'endettement en capital, c'est parce qu'il y a là, nous semble-t-il, un
aspect essentiel du débat public : que voulons-nous et que pouvons-nous faire
supporter à celles et ceux qui nous suivront ?
Notre problème, ce n'est pas de gérer sans vague la période qui nous sépare de
telle ou telle élection générale, c'est de faire en sorte que, grâce à des
décisions fondamentales que l'on est en mesure de prendre sur le fonctionnement
des institutions et la méthodologie des comptes publics, le pays bénéficie
d'une meilleure préparation de ses décisions financières ainsi que de documents
transparents, clairs et lisibles, permettant de traiter les questions qui se
posent réellement.
Face à l'état de fait qui nous est présenté par ce texte, traduction comptable
d'une gestion que nous avons largement et énergiquement dénoncée, il vous est
proposé, mes chers collègues, de vous borner à prendre acte du document que
nous transmet le Gouvernement, à en prendre acte sur la forme, puisque telle
est la procédure à suivre, mais bien entendu en ne partageant en aucune manière
la responsabilité de la gestion telle qu'elle a été conçue et menée au cours de
l'exercice 1999.
Ainsi, mes chers collègues, sous réserve de l'adoption d'un amendement portant
sur quarante centimes et qui vise à corriger une erreur matérielle, la
commission des finances vous propose d'adopter le présent projet de loi en tant
que quitus comptable donné au Gouvernement pour sa gestion. Nous remercions
tout particulièrement les magistrats de la Cour des comptes et la première
chambre de celle-ci pour leur travail tout à fait remarquable, qui nous a
permis de bien éclairer nos délibérations et de vous présenter ce rapport.
(Applaudissements sur les travées du RPR, et de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Tout rapporteur dispose d'un temps de parole de vingt minutes, mais, si on
vous laissait faire, monsieur Marini, vous parleriez indéfiniment. Vos propos
sont très intéressants, mais, vous le savez, nous avons des contraintes
horaires.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il s'agit de beaucoup d'argent, monsieur le président
!
M. le président.
La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
comme j'ai souvent regretté le délai excessif qui s'écoule entre l'exécution
d'un budget et l'examen du projet de loi portant règlement définitif dudit
budget, vous comprendrez aisément que je commence mon intervention en
félicitant le Gouvernement de l'effort qu'il a produit en matière de remise des
documents nécessaires à la discussion du présent projet de loi, portant
règlement définitif du budget 1999.
Le calendrier parlementaire étant ce qu'il est, le Sénat a, cette année
encore, examiné le projet de loi de finances pour 2001 avant le projet de loi
de règlement pour 1999, mais je ne doute pas, monsieur le secrétaire d'Etat,
que vous poursuivrez les efforts entrepris pour permettre aux parlementaires de
disposer rapidement de toutes les données permettant d'éclairer le débat
budgétaire.
Je souhaiterais également exprimer ma satisfaction devant l'effort de
présentation effectué par le Gouvernement pour ce qui est des comptes rendus de
la gestion budgétaire des ministères.
Ces nouvelles informations constituent une amélioration notable, qui devrait
permettre au Parlement de dépasser une approche par trop comptable de la
dépense, pour s'attacher aux réalisations et aux résultats des politiques
publiques. Cependant, ces informations étant encore, hélas ! incomplètes et
d'une qualité inégale, il apparaît, à la lecture de ces comptes rendus, que les
ministères vont devoir affiner les outils dont ils disposent pour mesurer les
résultats obtenus et pour évaluer l'effet des dépenses effectuées.
Par ailleurs, je remarque que des innovations ont été introduites dans le
rapport de présentation du compte général de l'administration des finances,
puisqu'il présente désormais la dette « en droits constatés ». Les principales
créances fiscales sont ainsi provisionnées ; il est indéniable que cela apporte
des éclaircissements sur le patrimoine de l'Etat, ainsi que des informations
sur les engagements hors bilan.
Au-delà de ces aspects formels dont l'importance n'aura cependant échappé à
aucun de mes collègues, puisqu'ils touchent à la sincérité et à la transparence
de l'information budgétaire, je souhaiterais maintenant m'attarder sur la
signification réelle de ce projet de loi de règlement, dans la mesure où il
prend acte des résultats de la politique économique menée par le Gouvernement.
L'exécution de la loi de finances pour 1999 doit être appréciée par comparaison
avec celle des années précédentes. Si plusieurs indicateurs peuvent être
choisis, je ne retiendrai que les plus pertinents et ceux qui illustrent le
mieux la situation.
Afin de ne pas citer à nouveau l'ensemble des chiffres que vous avez évoqués,
monsieur le secrétaire d'Etat, et même s'il serait peut-être utile de les
rappeler à certains de mes collègues de la majorité sénatoriale, je m'en
tiendrai à une analyse en trois temps.
J'évoquerai tout d'abord la progression des dépenses et recettes
définitives.
Le Gouvernement s'était engagé, dans la loi de programmation pluriannuelle,
sur une progression maîtrisée de 1 % des dépenses du budget général. Le
résultat final peut être apprécié autour de 1,1 %, compte tenu de la garantie
accordée à l'UNEDIC en 1993 qui, couverte pour un montant de 10 millards de
francs, a augmenté d'autant le montant des dépenses liées à la garantie de
l'Etat. Même si nous avons rappelé ce fait à plusieurs reprises, M. le
rapporteur général ne veut pas entendre raison. Par ailleurs, nous gardons tous
à l'esprit les dégâts causés par les intempéries de décembre 1999, auxquels il
a naturellement fallu faire face. Ces dépenses exceptionnelles mises à part,
vous conviendrez, mes chers collègues, que le très faible écart résiduel
constaté entre les prévisions et l'exécution est dû à des changements de
périmètre.
On peut donc dire que l'objectif de maîtrise des dépenses a été globalement
respecté, conformément à la volonté du Gouvernement de stabiliser les dépenses
de notre pays.
Ensuite, il convient d'examiner la couverture des dépenses par les recettes,
qui permet de juger de l'équilibre d'un budget national.
En la matière, des efforts notables ont été accomplis dans la mesure où cette
couverture s'est établie à 88 %, contre 82,2 % en 1996. Mais je ne m'attarderai
pas sur ce chiffre, qui est suffisamment explicite quant à l'évolution tout à
fait positive dont il est le reflet statistique.
Enfin, qu'en a-t-il été de l'évolution du déficit budgétaire et du besoin de
financement des administrations publiques ?
Le déficit budgétaire était, en 1997, de 267,7 milliards de francs. Il s'est
élevé à 206 milliards de francs en 1999, ce qui représente 2,3 % du PIB. Le
besoin de financement des administrations publiques a été ramené de 2,7 % du
PIB en 1998 à 1,8 % en 1999. Ces chiffres justifient, eux aussi, les choix de
politique économique du Gouvernement et doivent encourager celui-ci à
poursuivre ses efforts pour assainir encore plus nos finances publiques.
Mais, vous le savez bien, l'exécution d'un budget peut être aussi analysée au
regard des recettes. D'ailleurs, vous avez été nombreux à vous saisir de ce
désormais célèbre - et pourtant ô combien infondé ! - concept de « cagnotte
».
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je n'a pas cité ce terme !
M. Bernard Angels.
Pas aujourd'hui, monsieur le rapporteur général, mais vous l'avez tellement
utilisé que je me permets de le reprendre !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vos amis journalistes l'ont employé plus souvent que
moi !
M. Bernard Angels.
Le rapport de la commission d'enquête du Sénat chargée de recueillir des
éléments d'information sur l'élaboration et l'exécution des lois de finances, à
laquelle j'ai pris part - et une large part - s'est borné à confirmer
l'existence, en 1999, de plus-values de recettes fiscales et d'un écart entre
les prévisions et les résultats effectifs. Ce ne sont guère que des
interprétations partisanes et polémiques, des déclarations tonitruantes à la
presse qui ont permis de parler de « dissimulation volontaire ».
Depuis plus de dix ans, en effet, les exécutions des recettes fiscales nettes
successives ont présenté des écarts substantiels par rapport aux lois de
finances auxquelles elles se rattachaient, et ce quelle que soit la couleur
politique du gouvernement aux affaires.
C'est pourquoi je vous citerai rapidement, ainsi que je l'ai fait dans le
cadre du rapport de la commission d'enquête paru en octobre dernier, les écarts
constatés entre 1987 et 1989 : 32,41 milliards de francs et 25 milliards de
francs. Ces écarts sont orientés à la hausse en période de croissance, mais
aussi à la baisse en période de récession, comme ce fut le cas en 1996, où un
écart de moins 41 milliards de francs avait été constaté.
M. Yves Fréville.
Et en 1992 et 1993 ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur Angels, me permettez-vous de vous
interrompre, sans esprit de polémique, bien sûr ?
M. Bernard Angels.
Je vous en prie, monsieur le rapporteur général.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'est pas l'existence des écarts qui est grave !
Comme vous le relevez à juste titre, des écarts, il y en a souvent, dans un
sens et dans l'autre. Ce qui est grave, c'est le fait de les avoir niés en
cours d'année, alors que les preuves de leur matérialité existaient. C'est le
fait, par exemple, d'avoir dit dans cet hémicycle au rapporteur général - vous
vous souvenez de l'expression très élogieuse de M. Sautter - qu'il était le «
prince de l'extrapolation ». Or M. Sautter disposait des éléments lui
permettant de constater qu'il s'agissait non pas d'extrapolation, mais bien
d'une réalité.
Ce que nous critiquons, je le répète, c'est non pas l'existence des écarts,
mais le fait de les avoir niés si longtemps.
M. Yves Fréville.
Très bien !
M. le président.
Monsieur Angels, veuillez poursuivre, je vous prie.
M. Bernard Angels.
Vous prenez donc acte, monsieur le rapporteur général, que sous les
gouvernements que vous soutenez, les écarts étaient aussi importants sinon plus
importants.
Moi aussi, j'ai cherché à comprendre les raisons de tels écarts. Comme vous,
je suis un élu de la nation, et je veux pouvoir suivre l'activité
gouvernementale.
Il est indéniable que la prévision du taux de croissance pour 1999 avait été
particulièrement délicate, cette année-là ayant été très spécifique sur le plan
économique. En effet, les crises asiatique et russe avaient participé à créer
ce fameux « trou d'air », qui avait conduit à réviser à la baisse les
hypothèses de croissance. D'ailleurs, dans cet hémicycle, j'étais l'un de ceux
qui reprochaient à Dominique Strauss-Kahn de formuler des hypothèses trop
fortes.
En outre, en 1999, l'amplitude entre le dynamisme des recettes et l'activité
économique sous-jacente a été très marquée. Habituellement, on constate une
corrélation entre l'augmentation des recettes et le taux de croissance du PIB,
mais il se trouve qu'en 1999 les recettes ont progressé à un rythme deux fois
plus important.
Il convient également de noter que, tout au long de l'année, les recouvrements
de recettes ont été perturbés par des effets calendaires : dynamisme, pendant
la première moitié de l'année, du recouvrement de l'impôt sur le revenu, dû aux
importants retards de la campagne de 1998 ; abaissement de seuil pour le
versement obligatoire de la TVA et de l'impôt sur les sociétés par virement ;
médiocrité des recouvrements de la TVA jusqu'à l'automne. Ces phénomènes,
relativement exceptionnels, ont donc rendu particulièrement difficile l'analyse
du dynamisme des recouvrements.
Je rappellerai aussi que, si on la compare aux résultats budgétaires des
autres pays européens, la situation française de 1999 n'est pas du tout
atypique. En effet, la plupart des pays voisins ont connu, en 1999, une
situation similaire et ont enregistré des plus-values fiscales allant de 1,5 à
4 %, contre 2 % pour la France.
J'espère, monsieur le rapporteur général, vous avoir convaincu par ces
arguments.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'était un bel exercice !
M. Bernard Angels.
Je regrette donc le manque d'impartialité qui a présidé aux conclusions de
cette commission, ainsi qu'aux analyses de la majorité sénatoriale.
En matière budgétaire, plus que dans toute autre, il est nécessaire de faire
preuve de mesure. Si l'on souhaite - et c'est le voeu de chacun ici, me
semble-t-il - que le Parlement exerce pleinement son rôle aux côtés de
l'exécutif, il me paraît en effet nécessaire d'oeuvrer, loin des querelles
partisanes, à l'établissement de règles claires et transparentes, dont la
réforme de l'ordonnance de 1959 portant loi organique relative aux lois de
finances pourrait constituer la première pierre angulaire, ainsi que l'occasion
de parvenir à un véritable consensus républicain.
Aussi, au vu des évolutions positives de présentation qu'expose ce projet de
loi portant règlement définitif du budget, mais surtout des résultats tout à
fait satisfaisants qu'il traduit - je ne citerai que la maîtrise des dépenses,
la réduction du déficit et de la dette, et l'amélioration sensible des comptes
nationaux - le groupe socialiste soutient bien entendu l'action du
Gouvernement, et lui donne acte de sa gestion pour l'année 1999.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
discussions relatives au règlement définitif des budgets sont souvent
considérées comme de simples formalités.
Cela est en grande partie vrai, puisque la discussion budgétaire elle-même
relève de plus en plus d'un contenu décidé par le pouvoir exécutif, sous le
contrôle étroit des autorités européennes.
La discussion de la réforme de l'ordonnance de 1959 relative à la procédure
budgétaire nous donnera prochainement l'occasion de revenir sur cet
affaiblissement progressif des pouvoirs du Parlement dans ce domaine.
Comment ce dernier est-il réellement associé à la préparation du futur budget
? La discussion des orientations budgétaires, qui aura lieu dans quelques
semaines, est un mieux ; nous souhaitons qu'elle ne soit pas formelle.
Nous ne pourrons aller au fond des choses sur ces questions si nous ne levons
pas le tabou lié à la pression constante des critères européens d'organisation
des finances politiques.
Comment sérieusement parler de la revalorisation du rôle du Parlement alors
que toute initiative pourra être sanctionnée au nom de Bruxelles ?
La discussion des projets de loi portant règlement définitif du budget a
toutefois le mérite de tirer les leçons d'un exercice budgétaire.
Rappelons-nous l'exercice 1999 : il a été marqué par l'affaire dite de la «
cagnotte ». Au-delà des procès politiciens engagés par une droite dont la
gestion particulièrement austère n'a jamais pu dégager de telles sommes, il est
clair que, si le terme de « cagnotte » pouvait être diversement apprécié, la
prudence budgétaire du Gouvernement a été incomprise par ceux qui attendaient
une redistribution des fruits de la croissance vers les revenus les plus
faibles.
Cet épisode a clairement démontré la nécessité pour le Gouvernement de
permettre au Parlement, en particulier à sa majorité, de mieux définir les
grandes lignes budgétaires.
L'exercice 1999 s'est déroulé dans un contexte de croissance forte : 2,9 %.
Nous nous en félicitons. A qui a profité cette croissance ?
La politique monétaire qui prévaut à l'échelon européen comme dans notre pays
a favorisé sans nul doute l'acquisition de titres financiers et les opérations
de fusion-acquisition.
Le paradoxe est le suivant : dopés par la croissance, des grands groupes
licencient. Certes, 445 000 emplois ont été créés au cours de cette période ;
c'est une réalité incontestable. Mais combien d'emplois précaires parmi ceux-ci
?
La gauche plurielle doit s'attaquer résolument à cette grave question de la
précarité, qui pèse lourdement sur l'appréciation de la politique économique et
sociale du Gouvernement.
C'est cette précarité massive qui fait stagner, voire reculer, le pouvoir
d'achat et qui pèse aussi sur le rythme de la croissance, sans pour autant
favoriser les plus modestes.
Il est clair que deux philosophies budgétaires s'affrontent : soit nous
décidons de nous appuyer sur la revalorisation du pouvoir d'achat et le choix
d'un plein emploi stable, soit la priorité est donnée aux investissements
financiers.
Le Gouvernement est au milieu du gué. Des mesures budgétaires courageuses
doivent être prises dans un avenir proche pour orienter les excédents
importants vers la consommation.
C'est sans nul doute le moyen le plus sûr de poursuivre efficacement l'effort
de réduction de la dette de l'Etat et de rétablir l'équilibre des comptes
sociaux.
Nous avons d'ailleurs regretté certains choix effectués pour l'exercice 2001
qui, de toute évidence, n'ont pas permis d'assurer la redistribution attendue
par tant de nos concitoyens.
Mais l'exercice 1999 présentait des aspects positifs. Nous voterons donc,
monsieur le secrétaire d'Etat, le texte que vous nous proposez.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Répondant maintenant aux divers intervenants, je
souhaite d'abord remercier M. Bernard Angels de la qualité de son intervention.
Chacun connaît sa maîtrise des problèmes budgétaires.
J'ai beaucoup apprécié ses remarques - remarques dont le Gouvernement tirera
le plus grand profit - concernant la poursuite de l'évolution vers plus de
transparence, de clarté - j'y reviendrai dans un instant - notamment à
l'occasion de la réforme de l'ordonnance de 1958 sur les lois de finances. Je
le remercie de sa contribution et, à travers lui, de celle du groupe
socialiste.
Mme Bidard-Reydet vient également d'apporter son soutien au projet de loi que
présente le Gouvernement. Ses observations, notamment dans le domaine social,
donnent un éclairage très utile pour l'action gouvernementale.
Monsieur le rapporteur général, vous avez, comme le veut votre fonction, émis
un certain nombre de critiques, que je ramènerai de manière cursive à trois.
La première a trait à l'évolution des prélèvements obligatoires. C'est un
vieux débat que nous avons déjà eu ensemble ici même, lorsque j'ai présenté des
éléments de lois de finances il y a quelques mois.
Vous savez très bien pourquoi l'évolution des prélèvements obligatoires a été
celle que nous avons connue en 1999, à savoir 0,7 point d'augmentation par
rapport à 1998.
D'abord, il y a eu désinflation, et, soulignant cette évolution des
prélèvements obligatoires, vous avez naturellement souligné les résultats
positifs de l'action gouvernementale en matière de désinflation : les prix à la
consommation n'ont augmenté que de 0,5 % en moyenne, en 1999, alors qu'en effet
la prévision associée au projet de loi de finances était de 1,3 %. La
progression du PIB en a naturellement été réduite d'autant. La moindre
croissance en valeur du PIB a été de presque 100 milliards de francs cette
année-là !
Ensuite, les prélèvements obligatoires ont évolué comme vous l'avez souligné
parce que l'augmentation des revenus a été forte, en 1998 : 14 % pour les
entreprises et près de 4 % pour les ménages. Cela a engendré mécaniquement - on
ne peut pas, mesdames, messieurs les sénateurs, passer outre ces faits ! - une
augmentation plus forte, plus dynamique que prévu des rentrées fiscales,
augmentation que les allégements d'impôts déjà adoptés en 1999 - ceux qui
soutiennent le Gouvernement se souviennent certainement de la suppression de la
part salariale de la taxe professionnelle, de la baisse de la TVA sur les
abonnements d'électricité, de la réduction des droits d'enregistrement - n'ont
pas suffi à réduire.
Cette double évolution - désinflation et augmentation des revenus - explique
donc l'augmentation de 0,7 point des prélèvements obligatoires en 1999.
Mais ce qui est important, c'est que, faisant suite à l'exécution de la loi de
finances de 1999 que nous jugeons aujourd'hui, il y a eu, comme M. Laurent
Fabius l'a annoncé à l'Assemblée nationale et ici même au Sénat, une réduction
de 0,5 point des prélèvements obligatoires en 2000 et qu'il y aura une
réduction de 0,5 point des prélèvements obligatoires en 2000.
Ce qui importe, c'est l'évolution, c'est la permanence d'une politique
économique et budgétaire qui permet la réduction patiente, organisée, des
prélèvements obligatoires et qui tranche ainsi - vous le savez, monsieur le
rapporteur général - avec ce qui se passait avant l'arrivée au Gouvernement de
l'équipe de M. Jospin, puisque lorsque vos amis étaient au Gouvernement, entre
1993 et 1996,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La situation n'était pas la même ! Pas vous et pas
ça, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
C'est vrai, monsieur le rapporteur général ! Il
n'empêche que vous ne pouvez effacer le fait que les prélèvements obligatoires
ont augmenté de deux points entre 1993 et 1996.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Si vous aviez eu à gérer la récession, on aurait vu
le résultat !
M. Christian Pierret
secrétaire d'Etat.
Nous avons en effet vu le résultat, monsieur le
rapporteur général, de la non-baisse des impôts, alors que cette baisse avait
été annoncée par M. Juppé,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous avez la prospérité, c'est facile !
M. Christian Pierret
secrétaire d'Etat.
... et même de l'augmentation des prélèvements
obligatoires de 120 milliards de francs constatée sous le gouvernement dudit M.
Juppé !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Qu'auriez-vous fait si ces recettes n'avaient pas
existé !
M. Christian Pierret
secrétaire d'Etat.
Ma deuxième remarque portera sur les succès de la
politique économique et sociale du Gouvernement, que bien involontairement,
monsieur le rapporteur général, vous avez largement soulignés.
Le premier succès, c'est l'évolution de la demande des ménages, qui a été le
principal moteur, madame Bidard-Reydet, de la bonne activité économique en
1999. Un chiffre le montre : les ventes d'automobiles en France ont augmenté,
cette année-là, de 10,7 %. La demande des ménages a donc été l'un des éléments
essentiels de la croissance économique,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Plus faible que prévu !
M. Christian Pierret
secrétaire d'Etat.
... donnant ainsi satisfaction aux groupes politiques
qui soutiennent l'action du Gouvernement.
Le second succès, essentiel lui aussi, en lui-même et parce qu'il est lié au
premier, c'est l'évolution de l'investissement des entreprises. En 1999, les
dépenses d'avenir, l'investissement des entreprises, ont augmenté de 7,6 % par
rapport à 1998.
Au fond, le succès principal de la politique économique et sociale du
Gouvernement a été de concilier ces deux évolutions : une demande interne
fortement soutenue par la demande des ménages et la projection en avant, vers
l'avenir, des dépenses qui comptent pour armer la France dans la compétition
mondiale, des dépenses d'investissement.
La conciliation de ces deux évolutions, monsieur le rapporteur général,
résonne comme un satisfecit qu'il faut adresser - que le Sénat va certainement
adresser ! - à la politique économique du Gouvernement. En effet, les
économistes estiment généralement que consacrer d'importants crédits à
l'investissement pour armer l'économie est antinomique avec une évolution forte
de la demande des ménages. C'est un peu la quadrature du cercle. Eh bien, nous
avons réussi les deux, nous avons réussi à asseoir, pour de longues années, la
croissance économique dans notre pays...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous avez eu de la chance !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
... sur ces deux piliers stables, sur ces deux
composantes de la croissance qui paraissent essentiels !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je le répète, vous avez eu de la chance. Maintenant,
vous en avez un peu moins !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Vous avez évoqué aussi, monsieur le rapporteur
général, la transparence. M. Bernard Angels a d'ailleurs fait justice de vos
critiques quant à la volonté et à la pratique de transparence, et donc de
contrôle parlementaire, du Gouvernement.
Transparence sur ce que l'on veut faire, d'abord. Je rappelle au Sénat que les
lettres de cadrage signées du Premier ministre sont transmises aux commissions
des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat. Je rappelle entre autres -
je ne prends que deux ou trois illustrations - que la fourniture d'un résumé
lisible des objectifs, des coûts et des résultats quantifiés à l'aide
d'indicateurs est désormais une réalité pour chaque ministère. S'il n'y a pas
là un progrès de la clarté et de la transparence, de la faculté de contrôle
parlementaire, qu'appelle-t-on, alors, transparence ?
Transparence sur ce que l'on a fait, ensuite. A cet égard, je relève
l'accélération des comptes rendus et des contrôles parlementaires, le dépôt de
la loi de règlement en juin, avant la discussion du projet de loi de finances
de l'année suivante, la communication aux présidents et aux rapporteurs
généraux des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat de
la situation budgétaire de l'Etat, désormais transmise tous les quinze
jours.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On l'a suffisamment demandée ! Il a fallu des années
pour l'avoir !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Autant d'exemples qui montrent que ce gouvernement
s'est attaché à oeuvrer dans le sens de la clarté, à améliorer les conditions
du contrôle parlementaire, qui montrent que vraiment, pour lui, monsieur le
rapporteur général, le travail du Sénat comme celui de l'Assemblée nationale
sont considérés comme des aides pour une plus grande connaissance des finances
publiques. C'est une ouverture, au fond, des livres des finances publiques à
tous les parlementaires qui souhaitent accroître leur contrôle, et le
Gouvernement est naturellement disposé à faciliter encore et toujours plus les
travaux des parlementaires dans cette direction.
Enfin, monsieur le rapporteur général, vous avez émis - et j'en terminerai par
là - une critique sur les recettes non fiscales. Je serai un peu plus technique
pour répondre à cette objection, à laquelle j'avais d'ailleurs déjà répondu à
la tribune du Sénat.
En exécution, les recettes non fiscales sont en effet, en 1999, en retrait de
15,8 milliards de francs par rapport aux prévisions de la loi de finances
rectificative : 183,23 milliards de francs. A cela, il y a trois raisons.
Première raison : un prélèvement moindre que prévu sur les fonds d'épargne. Le
prélèvement effectué sur la Caisse des dépôts et consignations au titre des
fonds d'épargne a en effet été limité, en 1999, à 10 milliards de francs, en
raison de l'importance de la collecte enregistrée sur le livret d'épargne
populaire en 1999 et, essentiellement aussi, de la remontée des taux longs
cette même année.
Deuxième raison : l'annulation d'un versement prévu de la COFACE, la Compagnie
française d'assurance pour le commerce extérieur de 7 milliards de francs, le
Gouvernement ayant la volonté de consolider l'équilibre de moyen terme du
compte de l'Etat à la COFACE. Cela l'a conduit, en 1999, à ne pas opérer de
prélèvements sur ce compte. Le compte de l'Etat à la COFACE est en effet géré
dans une logique pluriannuelle, prudentielle, de moyen et long terme, conforme
à son objectif de couverture de risques.
Troisième raison, technique elle aussi : le report d'un versement que devait
effectuer la CADES, la caisse d'amortissement de la dette sociale.
La CADES doit verser annuellement un total de 12,5 milliards de francs à
l'Etat au titre de la reprise des engagements du fonds de solidarité
vieillesse. Ce versement est échelonné sur l'année. En 1999, la CADES a ainsi
versé 2,5 milliards de francs le 31 mars, le 30 juin et le 30 septembre. Le
solde - 5 milliards de francs -, a été reporté au début de l'année 2000. Il est
intervenu le 9 février 2000.
Ce report, décidé d'un commun accord, monsieur le rapporteur général, entre la
CADES et l'Etat, était justifié par les tensions constatées sur les marchés
monétaires à l'époque, tensions qui étaient liées aux craintes de nombreux
opérateurs du bogue de l'an 2000.
La CADES, pour des raisons tenant à la prudence de sa gestion de trésorerie,
devait en effet emprunter les fonds sur les marchés pour les verser à
l'Etat.
Vous voyez donc qu'il n'y a là aucun artifice, aucune raison de critiquer la
gestion des recettes non fiscales.
Et même si tel avait été le cas, monsieur le rapporteur général, vous savez
mieux que quiconque de combien et de combien de manques de transparence et de
clarté dans la gestion des recettes non fiscales s'étaient rendus « coupables »
les gouvernements que vous aviez soutenus auparavant ! Nous y avons mis fin.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Tous les gouvernements sont coupables, dans ce
domaine !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Je viens de vous donner des raisons techniques
pertinentes qui expliquent l'évolution que vous avez voulu fustiger tout à
l'heure.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il y a donc là, une fois de plus, au
travers de la lecture de la loi de règlement, l'affirmation de la pertinence de
la politique économique et sociale du Gouvernement, pertinence qui d'ailleurs a
été soulignée
volens nolens
par M. le rapporteur général...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
... et, en tout cas, explicitement par le groupe
socialiste et son orateur, M. Angels, ainsi que le signe de notre volonté
d'affirmer la réalité et l'acuité du contrôle parlementaire. Cela, je le crois
très sincèrement, honore le gouvernement de M. Lionel Jospin, auquel
j'appartiens.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er