SEANCE DU 7 FEVRIER 2001
M. le président.
Je suis saisi par M. Ostermann, au nom de la commission, d'une motion n° 1,
tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« Considérant que le Sénat a abordé le projet de loi sur l'épargne salariale
en première lecture dans un esprit constructif d'amélioration technique et
d'enrichissement politique en insistant sur la question délicate et urgente des
retraites ;
« Considérant que la déclaration d'urgence, en limitant à l'extrême la navette
parlementaire, alors que le texte a mis plusieurs mois à voir le jour, prive
les deux assemblées de la possibilité de poursuivre au-delà de la première
lecture la correction des imperfections techniques du projet de loi ;
« Considérant que le nombre élevé de points d'accord, qui montre l'esprit
républicain dans lequel fut engagé la navette, ne doit pas cacher les
différences profondes qui séparent l'Assemblée nationale et le Gouvernement du
Sénat ;
« Considérant que, sur le livret d'épargne salariale et sur l'économie
solidaire, les positions mesurées et réalistes du Sénat n'ont pas été entendues
;
« Considérant que, sur les plans partenariaux d'épargne salariale volontaire,
le Sénat avait voulu rendre le texte plus opérationnel, plus protecteur des
salariés, et plus attractif en supprimant la contribution au fonds de réserve
pour les retraites ;
« Considérant que l'Assemblée nationale et le Gouvernement ont persisté à
vouloir adopter un dispositif difficilement applicable en l'état, succédané de
fonds de pension et fruit d'un compromis pluriel et imparfait ;
« Considérant que, sur l'actionnariat salarié, le Sénat a voulu inscrire
fortement dans ce projet de loi le rôle de l'actionnaire salarié, symbole d'une
association facteur d'enrichissement des relations sociales et de dynamisme
économique, et que l'Assemblée nationale et le Gouvernement ont repoussé cette
approche ouverte et moderne au bénéfice d'une conception idéologique et
poussiéreuse des relations entre le salarié actionnaire et la direction de
l'entreprise ;
« Considérant que, sur les retraites, conscient des responsabilités des élus
de la nation, le Sénat a renouvelé son voeu de voir mis en place des fonds
d'épargne retraite, produits de placement de long terme, facultatifs et
collectifs, sécurisés, respectueux du financement des régimes de retraite par
répartition qui demeurent la base du pacte social français ; que, ce faisant,
le Sénat a considéré qu'il y avait urgence à mettre en place une épargne
retraite d'entreprise faute de quoi des solutions individuelles s'imposeraient,
destructrices du lien social et porteuses d'inégalités ; que l'épargne retraite
collective, épargne constituée au cours de la relation de travail, trouve
naturellement sa place aux côtés de l'épargne salariale et de l'actionnariat
salarié ; que, par cette solution, le Sénat souhaite offrir une solution
efficace au problème des retraites, première préoccupation des Français ;
« Considérant que l'Assemblée nationale et le Gouvernement, en proie à des
conflits internes, faisant preuve d'une pusillanimité éloignée des attentes des
Français, montrant, par une description caricaturale de la proposition du
Sénat, qu'ils se refusaient même à l'étudier, ont repoussé sans entrer dans le
débat les articles relatifs aux fonds d'épargne retraite ;
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide
qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté
avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, sur l'épargne
salariale (n° 193, 2000-2001). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement
du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative
ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour
quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie
au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée
n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Auguste Cazalat,
rapporteur.
Je considère que cette motion est défendue.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question
préalable.
M. Charles Descours.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'examen en nouvelle lecture du projet de loi sur l'épargne salariale nous
permet de mesurer une fois encore à quel point la déclaration d'urgence
constitue une limitation du débat parlementaire. La fructueuse confrontation
des idées qui s'était déroulée en première lecture ne pourra pas se reproduire,
et nous le regrettons.
Nous avons noté, comme notre excellent rapporteur, que la moitié des
amendements adoptés en première lecture par le Sénat ont été retenus en
nouvelle lecture par l'Assemblée nationale. C'est le cas, notamment, de la
définition du groupe, des modalités de calcul de l'intéressement dans une
holding, des modalités de mise en oeuvre du plan d'épargne interentreprises et
du renforcement de l'efficacité des dispositions relatives à la représentation
des salariés actionnaires dans les organes dirigeants des sociétés.
Pourtant, comme l'a noté notre rapporteur, des points de désaccord majeurs
subsistent avec nos collègues députés, ce qui avait justifié, en son temps,
l'échec de la commission mixte paritaire.
Il s'agit en premier lieu du déjà fameux plan partenarial d'épargne salariale
volontaire, le PPESV, sigle absolument barbare. En première lecture, nous
avions notamment souhaité assouplir les modalités de sa mise en oeuvre et
supprimer la contribution alimentant le fonds de réserve. l'Assemblée nationale
est revenue au texte qu'elle avait adopté en première lecture, lequel
n'atteindra à notre avis aucun de ses objectifs.
Autre sujet de divergence : l'actionnariat salarié. L'Assemblée nationale a
supprimé les propositions constructives adoptées par le Sénat à l'instigation
de notre commission des affaires sociales et de son rapporteur, Jean Chérioux.
Mon groupe, qui défend ces propositions depuis des décennies, le regrette.
Enfin, le Sénat avait souhaité en première lecture que l'examen du présent
projet de loi soit l'occasion d'envisager des solutions concrètes au lancinant
problème des retraites. De nouveau, le Gouvernement et sa majorité ont refusé
le débat, et nos propositions relatives à l'épargne retraite. Pourtant,
celles-ci permettraient la constitution d'instruments à très long terme
présentant toutes les garanties nécessaires de sécurité et ne remettant pas en
cause l'équilibre des régimes de retraite par répartition.
Chacun sait que ces instruments d'épargne à long terme - que je ne qualifierai
pas de fonds de pension puisqu'il paraît que c'est politiquement incorrect -
seront nécessaires en tant que troisième niveau des retraites. Tous les pays en
ont constitué. Nous le ferons. Le ministre des finances le sait, la secrétaire
d'Etat au budget le sait, le Gouvernement dans son ensemble le sait. Et
pourtant tout le monde fait comme si nous n'allions pas le faire !
Nous craignons que cette nouvelle occasion ratée par le Gouvernement ne soit
une preuve supplémentaire de sa volonté de reporter toute décision après les
échéances électorales de l'an prochain. Pourtant, chacun sait qu'en la matière
l'attentisme est le pire des maux et que seuls l'action et le courage nous
permettront de passer ce difficile obstacle qui grandit chaque jour.
Notre groupe considère que le Gouvernement ne parviendra pas à définir un
éventuel plan de réforme des retraites, tout occupé qu'il est à régler les
conflits internes à sa majorité plurielle, sur ce sujet.
Ainsi, j'ai pu lire ce matin dans la presse que la future aide personnalisée à
l'autonomie serait financée par une partie de la CSG. Or, il était déjà prévu
qu'une partie de la CSG alimenterait le fonds de solidarité vieillesse, le FSV,
les excédents de celui-ci devant financer le fonds de réserve des retraites
!
En tant que rapporteur de la loi de financement de la sécurité sociale, j'ai
souvent dénoncé les « tuyauteries ». Là, c'est une tuyauterie qui fonctionne à
plein ! Vous-même, madame la secrétaire d'Etat, vous aviez dit que le fonds de
réserve des retraites pouvait « sauver » les retraites ; or ce fonds va être «
asséché » par le dispositif que le Premier ministre semble vouloir metre en
place pour financer l'aide personnalisée à l'autonomie. Le fonds de réserve des
retraites était pourtant, paraît-il, le seul instrument de financement pérenne
qui aurait permis de disposer de 1 000 milliards de francs en 2020.
Sans aucune polémique excessive, reconnaissons que la politique sur les
retraites du Gouvernement est illisible. Je ne crois pas au fonds de réserve
des retraites - j'y vois plutôt un fonds de lissage. Mais admettons que ce soit
la solution : personne n'arrivera à l'abonder de 1 000 milliards de francs,
surtout après l'affaire des licences UMTS, puisque le fonds de réserve des
retraites devait être abondé par les excédents du FSV. Or, si on finance l'aide
personnalisée à l'autonomie par la CSG, on réduit d'autant les éventuels
excédents du FSV.
Je vous assure que j'ai étudié la question : je ne vois pas comment on
parviendra à financer le fonds de réserve des retraites à hauteur de 1 000
milliards de francs, et j'aurai l'occasion d'en reparler quand le texte
traitant de l'aide personnalisée à l'autonomie viendra en discussion au
Sénat.
S'agissant de l'épargne retraite, l'Assemblée nationale a caricaturé les
positions du Sénat. Personne n'est contre les retraites par répartition ; en
tout cas pas nous, gaullistes ! Je rappelle que c'est le général de Gaulle qui
a créé les retraites par répartition en 1946. Nous les défendons, et nous les
défendrons au premier niveau et au deuxième niveau. Mais nous sommes persuadés
- et tout le monde l'est - qu'un troisième niveau sera nécessaire, c'est-à-dire
un fonds par capitalisation.
Je rappelle que nous sommes le seul pays qui, désormais, n'a pas de fonds de
capitalisation en troisième niveau. Aussi, attendons les échéances de l'année
prochaine !
Dans ces conditions, et compte tenu des divergences qui nous ont opposés à
l'Assemblée nationale, le groupe RPR suivra la commission des finances et
votera la motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi.
M. Claude Estier.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Le groupe socialiste étant favorable au projet de loi tel qui a été adopté par
l'Assemblée nationale, il va de soi qu'il votera contre la motion.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable,
repoussée par le Gouvernement et dont l'adoption aurait pour effet d'entraîner
le rejet du projet de loi.
(La motion est adoptée.)
M. le président.
En conséquence, le projet de loi est rejeté.
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