SEANCE DU 7 FEVRIER 2001
ÉPARGNE SALARIALE
Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n°
193, 2000-2001), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en
nouvelle lecture, sur l'épargne salariale. [Rapport n° 198 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, le projet de loi sur l'épargne salariale que j'ai l'honneur de
présenter au nom du Gouvernement en nouvelle lecture poursuit un triple
objectif : généraliser l'accès à l'épargne salariale, faciliter le financement
des entreprises et développer la négociation collective et le dialogue
social.
Deux chiffres illustrent la nécessité de réformer l'épargne salariale dans
notre pays : 97 % des salariés des petites et moyennes entreprises ne
bénéficient ni de la participation ni de l'intéressement, et un tiers seulement
des salariés du secteur privé peuvent y prétendre. Au sein même des entreprises
qui ont développé des dispositifs d'épargne salariale, les inégalités sont par
ailleurs fortes. Une étude de l'INSEE publiée au début de cette année l'a
confirmé : moins de trois millions de salariés du secteur privé et des
entreprises publiques, c'est-à-dire environ 22 % d'entre eux, détenaient, à la
fin de 1997, de l'épargne en entreprise.
Pour mettre un terme à cette situation inégalitaire, le projet de loi prévoit
la création d'outils et de procédures qui garantiront une réelle
démocratisation de l'accès à l'épargne salariale. Sur une base volontaire, des
centaines de milliers de salariés auront bientôt la possibilité d'accroître
leur rémunération globale et de concrétiser des projets que le salaire
n'autorise pas toujours.
L'entreprise, elle aussi, maîtrisera mieux son destin. Grâce au développement
de l'épargne salariale, elle disposera d'une source de financement et de
renforcement de ses fonds propres, condition nécessaire pour le développement
et la modernisation de notre économie.
C'est bien dans ce double avantage au profit à la fois du salarié et de
l'entreprise que réside la logique de ce projet. Les grandes sociétés
françaises, dont 36 % des capitaux sont étrangers, y trouveront les outils qui
leur permettront de défendre leur indépendance. Les PME, qui connaissent
souvent des difficultés pour financer leurs investissements, se verront offrir,
grâce à l'épargne investie dans les fonds communs de placement à risques, les
FCPR, et les fonds communs de placement dans l'innovation, les FCPI, une
ressource plus facile d'accès qui facilitera aussi leur développement. Les
outils dont nous proposons la création seront également un atout pour nos
grandes entreprises dans la compétition internationale.
Le renforcement du rôle de la négociation collective dans le champ de
l'épargne salariale ne peut qu'être bénéfique au développement du dialogue
social dans l'entreprise. Si elle n'est pas quantitativement mesurable, la
qualité des relations entre les salariés et les employeurs est un élément
déterminant non seulement de la productivité et de la vitalité des entreprises,
mais aussi de la satisfaction des salariés au travail.
Désormais, à l'obligation annuelle de négocier sur la durée et l'organisation
du travail, nous proposons d'ajouter celle qui concerne la mise en place de
l'épargne salariale. Le rôle renforcé des partenaires sociaux aidera à faire
reculer les inégalités entre les salariés face à l'épargne salariale que
j'évoquais tout à l'heure. Ils sauront agir pour que tous, salariés récents,
salariés anciens, jeunes et plus âgés, cadres et non cadres, puissent
bénéficier d'un égal accès au bénéfice des plans d'épargne. La volonté exprimée
des organisations syndicales de salariés d'entamer sans délai des négociations
sur l'épargne salariale dans les entreprises et dans les branches
professionnelles prouve, s'il en était besoin, la nécessité de la réforme que
nous menons.
Je tiens à souligner ici la qualité du travail des deux assemblées lors de
l'examen de ce texte. De nombreuses dispositions en ont été indéniablement
améliorées grâce aux apports des parlementaires, et notamment grâce aux vôtres,
mesdames, messieurs les sénateurs. Je peux citer le mode de conclusion des
plans d'épargne interentreprises, l'affectation des sommes en déshérence ou
encore la notion de groupe.
Reconnaître les apports du Sénat à ce texte justifie que je rappelle,
mesdames, messieurs les sénateurs, l'opposition du Gouvernement au choix qui
était le vôtre d'adjoindre à ce projet de loi sur l'épargne salariale un texte
sur les fonds de pension.
Le Gouvernement, la majorité qui le soutient, comme, je le crois, une grande
majorité de nos compatriotes, sont attachés à notre système de retraite par
répartition, Nous avons commencé à prendre les mesures qui en garantiront la
pérennité, notamment à travers la création et l'alimentation du fonds de
réserve. Vous aurez d'ailleurs l'occasion, dans quelques semaines, d'examiner
les modalités de la transformation de son statut et de l'organisation de sa
gestion. Mais nous ne pouvons accepter, et vous le savez fort bien, que
l'évolution des régimes de retraite s'accompagne d'un accroissement des
inégalités entre les salariés. Or, c'est bien ce à quoi mèneraient les fonds de
pension dont vous souhaitez la constitution.
De plus, au-delà de nos divergences fondamentales sur la question des fonds de
pension, il me paraît nécessaire de rappeler que le développement de l'épargne
salariale, de la nécessité duquel nous sommes tous convaincus, ne peut pas
s'accommoder d'une confusion entretenue entre cette épargne et l'épargne
retraite. Autant de raisons, me semble-t-il, pour conserver à ce projet de loi
le cadre et les finalités qui sont les siens.
Après son examen dans quelques heures, en lecture définitive par l'Assemblée
nationale, ce projet de loi deviendra loi de la République et permettra, dans
les entreprises, notamment les plus petites, de créer les conditions de
nouvelles relations sociales, qui associeront davantage les salariés à la
gestion de leur entreprise et leur permettront une meilleure rétribution de
leur travail. C'est donc là une réforme importante ; c'est une réforme
nécessaire.
Je souhaite, mesdames, messieurs les sénateurs, dans l'intérêt des salariés,
dans l'intérêt des entreprises, tout particulièrement des plus petites d'entre
elles, et donc dans l'intérêt de notre pays, que vous puissiez l'approuver.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Auguste Cazalet,
en remplacement de M. Joseph Ostermann, rapporteur de la commission des
finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
tiens à dire tout d'abord que je n'ai aucun mérite dans cette intervention
puisque c'est en remplacement de mon collègue et ami Joseph Ostermann que je
vais m'exprimer devant vous.
Le projet de loi sur l'épargne salariale, qui vient aujourd'hui devant nous en
nouvelle lecture, laisse une impression mitigée. Il me semble illustrer assez
bien, à la fois, les bienfaits de la navette parlementaire et les limites d'une
discussion devenue dialogue de sourds. On oscille ainsi entre l'énumération
joyeuse d'accords nombreux et le constat désabusé de passer à côté des vrais
enjeux.
La discussion de ce projet de loi en première lecture avait permis à notre
assemblée de mener de front deux objectifs complémentaires.
Il s'agissait d'abord d'améliorer techniquement un texte imparfait et,
ensuite, d'aborder ouvertement, de manière pragmatique et non partisane, les
questions essentielles qui préoccupent les salariés français, à commencer par
le thème de la retraite, mais aussi celui de l'actionnariat salarié.
Sur ce dernier point, notre collègue Jean Chérioux nous avait fait profiter de
sa profonde connaissance du sujet, puisée aux sources du gaullisme et affinée
par les leçons de l'expérience.
Si, au cours d'un dialogue républicain de qualité, l'Assemblée nationale et le
Gouvernement ont écouté attentivement les améliorations techniques apportées
par le Sénat, leurs oreilles se sont bouchées et leurs yeux fermés au moment de
traiter des sujets de fond.
Votre rapporteur ne peut que le regretter amèrement.
Avant de retracer les points d'accord et les abîmes de divergence, je
souhaiterais revenir une fois de plus sur la méthode suivie par le
Gouvernement.
Le thème de l'épargne salariale est revenu sur le devant de la scène grâce aux
travaux du Sénat, qui, en octobre 1999, a adopté une proposition de loi sur
l'épargne retraite et, en décembre 1999, a adopté une proposition de loi sur
l'actionnariat salarié. Le Gouvernement s'est alors emparé du sujet, ce dont
chacun se réjouissait, pour mener un long travail préparatoire hors du
Parlement.
Cette concertation a débouché sur le rapport de MM. Balligand et de Foucauld,
sur un premier projet de loi, sur de nouvelles discussions, puis sur un second
texte, celui que nous examinons.
Un an d'attente pour voir venir un projet, cela signifiait-il que le Parlement
pourrait en débattre calmement, en faisant jouer le dialogue entre les
assemblées pour, au-delà des contingences politiques, rechercher la « meilleure
législation » ?
Absolument pas : le Gouvernement a décrété l'urgence dès la première lecture,
limitant à un seul échange les conditions d'un dialogue fructueux.
Cette possibilité a été largement utilisée puisque les deux assemblées ont
travaillé de concert sur des points techniques. Mais, à l'issue de la nouvelle
lecture à l'Assemblée nationale, plusieurs points nous auraient semblé mériter
encore un approfondissement ; je citerai notamment la question de la définition
du groupe ou celle du régime juridique des fonds communs de placement
d'entreprise.
Votre rapporteur ne peut que se réjouir que l'élaboration d'un projet de loi
donne lieu à discussion avec les professionnels. Mais il regrette à nouveau
que, arguant de la durée de cette concertation pour ne pas différer une réforme
qu'il a lui-même tardé à engager, le Gouvernement limite au strict minimum les
conditions du débat parlementaire. Quelle curieuse conception de la démocratie
! Résultat : des problèmes resteront pendants. Une deuxième lecture avant
convocation de la commission mixte paritaire aurait peut-être permis de les
résoudre.
J'en viens aux points d'accord.
L'examen du projet de loi fut l'occasion d'un enrichissement marqué et d'une
amélioration des différents dispositifs, révélant que le dialogue républicain
peut trouver sa place sur nombre de points en apparence techniques mais en
réalité de grande portée pour les praticiens de l'épargne salariale et ses
bénéficiaires que sont les salariés.
Ainsi, plus de la moitié des amendements adoptés par le Sénat en première
lecture ont été repris par l'Assemblée nationale. La plupart ont d'ailleurs
rencontré l'accord du Gouvernement.
Sur certains sujets, le Sénat a permis des avancées significatives.
C'est le cas de la notion de groupe. En première lecture, le Sénat avait
estimé que la définition proposée par le Gouvernement et adoptée par
l'Assemblée nationale restreignait excessivement les possibilités légales dont
bénéficient aujourd'hui les entreprises à travers la circulaires du 9 mai 1995.
Il avait donc élargi la notion de groupe aux seules entreprises liées au sens
de l'article L. 225-180 du code de commerce.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale est allée au-delà des
préoccupations du Sénat et a adopté une définition du groupe extrêmement large
en supprimant toute référence au périmètre de consolidation ou aux liens
capitalistiques, sauf dans deux cas explicitement décrits.
La commission des finances approuve l'élargissement de la notion de groupe ;
toutefois, elle estime que celle-ci aurait pu être améliorée, afin notamment de
la rendre plus lisible pour les entreprises. Mais l'urgence proclamée sur ce
texte rend impossible un dialogue prolongé entre les deux assemblées.
Le Sénat a également permis des avancées significatives en matière de modes de
conclusion des plans d'épargne interentreprises, mais aussi sur les thèmes
suivants : le mode de calcul de l'intéressement dans les holdings,
l'affectation des sommes en déshérence, la validation des accords de réduction
du temps de travail, ayant prévu une exception à la règle de non-substitution
entre le salaire et l'épargne salariale, l'extension du délai d'utilisation de
la provision pour investissement, la condition de rémunération des dirigeants
d'entreprises faisant partie du secteur de l'économie solidaire, la
représentation des salariés actionnaires dans les organes dirigeants des
sociétés, l'extension du champ du rapport du Conseil supérieur de la
participation, enfin sur les procédures applicables aux entreprises du secteur
public.
Vous voyez que notre travail n'aura pas été inutile !
Mais si l'accord de nos violons a pu être réalisé sur certaines mesures, ce
n'est pas vrai de toute la partition. Trois temps majeurs hésitent entre la
cacophonie de l'Assemblée nationale et du Gouvernement et la belle harmonie
proposée par notre assemblée : je veux parler des plans partenariaux d'épargne
salariale volontaire, les PPESV, l'actionnariat salarié et la question de la
retraite.
S'agissant des plans partenariaux, les mal-nommés PPESV, deux conceptions
s'affrontent : la confusion et la simplicité.
Le dispositif tel que proposé par le Gouvernement et adopté par l'Assemblée
nationale me semble difficile à mettre en oeuvre. Les professionnels eux-mêmes
ne s'y trompent pas. Les délais fournissent un bon exemple de cette
complexité.
Un salarié ouvre son PPESV et effectue le premier versement. Il a alors cinq
ans pour effectuer d'autres versements et transferts. Il doit néanmoins
conserver cet argent pendant au moins dix ans. S'il souscrit à une augmentation
de capital réservée et verse ses titres au plan, ceux-ci resteront bloqués sept
ans. Si, en revanche, les titres ont été acquis dans les trois ans suivant le
premier versement, ils doivent être détenus jusqu'à l'expiration des dix
ans.
Trois ans, cinq ans, sept ans, dix ans, rien que dans cet exemple on voit que
le pauvre salarié aura du mal à s'y retrouver et les professionnels à
l'aider.
Ajoutez à ces délais ceux qui existent pour les autres dispositifs d'épargne
salariale, mais aussi ceux des autres produits d'épargne, insérez la question
du mode d'élaboration des plans, augmentez le tout des contraintes imposées au
gestionnaire et à l'entreprise, comme la contribution au fonds de réserve pour
les retraites, et vous en viendrez à vous interroger sur l'intelligibilité de
la loi et du nouveau dispositif ! Il engendrera à coup sûr des séances de
formation pour vendeurs, gestionnaires et représentants du personnel. Quant à
savoir s'il « dopera » le flux d'épargne salariale, votre rapporteur reste
sceptique à cet égard, mes chers collègues.
A cette complexité, le Sénat avait opposé un mécanisme simple d'épargne
salariale de long terme, uniquement dédié à cela, et certainement plus proche
des besoins des salariés. L'on peut se demander pourquoi le Gouvernement et
l'Assemblée nationale ont persisté dans l'erreur malgré les avertissements. La
raison est idéologique et provient de l'incapacité de la majorité plurielle à
aborder sereinement et franchement la question des retraites.
En effet, qu'est-ce que le PPESV du Gouvernement, sinon une sorte de
proto-fonds de pension qui cache son nom ? Pourquoi se bercer de mots, refuser
la réalité, s'entourer de précautions oratoires, alors que la franchise aurait
apporté simplicité et satisfactions ?
Si les partenaires se mettent d'accord, rien n'empêchera les PPESV de se
transformer en fonds de pension ; rien sauf, peut-être, la complexité de ce
projet de loi.
En effet, par crainte de se faire remarquer, d'être percés à jour, le
Gouvernement et l'Assemblée nationale ont préféré compliquer à outrance le
produit. Le résultat est à l'avenant : trop complexe pour être un vrai moteur
d'épargne salariale, trop timoré pour être un vrai fonds de pension. M.
François Patriat, qui défendait ce texte devant nous en novembre, aurait dû le
savoir, à courir deux lièvres à la fois, on n'en attrape souvent aucun...
(Sourires.)
Le Sénat avait choisi une tout autre démarche. Il avait pris ses
responsabilités et abordé de front la question des retraites.
Je voudrais tout d'abord éclaircir une question fondamentale pour nous
parlementaires et ceux qui suivent nos débats, celle des liens entre épargne
retraite et épargne salariale.
Pourquoi, à mes yeux, les deux aspects sont-ils connexes ? Pourquoi sont-ils
devenus absolument indissociables et devaient-ils donc être traités comme tels
dans ce projet de loi ?
L'épargne salariale est constituée d'un ensemble de dispositifs qui, tous,
relèvent des relations que nouent salariés et entreprise, à côté du simple
salaire. L'intéressement, la participation, l'épargne salariale proprement
dite, les PPESV relèvent de cette logique qui conduit une entreprise et ses
salariés, dans un cadre collectif, à constituer une épargne soit en vue d'une
consommation différée, soit pour prendre part à la bonne marche de
l'entreprise. Un tel cadre est idéal pour la constitution d'une épargne de long
terme, collective, et aussi pour compléter les retraites obtenues par ailleurs.
Je préférerai toujours la promotion d'un plan collectif respectueux des
cotisations sociales à la liberté - liberté cruelle - d'une épargne
individuelle où les plus bas salaires seraient laissés de côté.
Pour vous montrer que je ne suis pas le seul à penser ainsi, je me permettrai
de faire une citation. Traitant de l'« économie partenaire », l'auteur explique
qu'elle est constituée par les mécanismes d'épargne salariale et organisée en
trois temps. C'est d'abord celui de la participation et de l'intéressement.
C'est ensuite celui de l'actionnariat salarial. Le troisième âge de l'économie
partenaire est celui qui verra « la mise en place des fonds partenariaux de
retraite, dont [il a] proposé la création ».
Le même auteur poursuit : « La reprise de la croissance, qui est excellente,
ne fait pas disparaître le problème à terme de l'équilibre des retraites, qui
devront rester fondées sur la répartition, mais permettre aussi des compléments
en s'inspirant de quelques exemples étrangers. Aujourd'hui, on parle beaucoup
du principe de précaution. Il doit s'appliquer aussi au domaine des retraites,
mais sans tomber dans un catastrophisme absurde. Agir autrement, ce serait
manquer à la solidarité, au détriment de nos enfants et petits-enfants, qui
auraient alors, le moment venu, à subir doublement, comme actifs puis comme
retraités, les conséquences de notre myopie ou de notre égoïsme. Je suis
convaincu que le Gouvernement aura ces éléments présents à l'esprit. »
Chacun aura reconnu le style inimitable de notre actuel ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie. Certes, il s'exprimait ainsi alors
qu'il était président de l'Assemblée nationale. C'était deux mois avant sa
nomination au Gouvernement, ce qui laisse le temps à tous les revirements. Mais
je partage le constat avisé de M. Fabius : il faut un complément de retraite,
et ce dernier peut être constitué dans le cadre de l'épargne salariale.
Faute d'avoir été écouté au Gouvernement et dans sa majorité, le ministre
aurait dû être heureux de voir le Sénat, en première lecture, reprendre l'idée
de tels fonds partenariaux. De quoi s'agissait-il ? De dangereux fonds de
pension à l'anglo-saxonne, exonérés de charges sociales, livrés aux sociétés
d'assurance dans une multitude de contrats individuels, sans protection des
souscripteurs, sans garantie sur les placements ? Non, bien entendu !
Le Sénat avait voulu faire oeuvre utile et responsable. Nous sommes tous
d'accord pour défendre la répartition, qui constitue la base de notre contrat
social. Mais, parallèlement, n'est-il pas temps d'aider ceux qui le souhaitent
- et non ceux qui le peuvent - à se constituer une épargne retraite ?
Les fonds d'épargne retraite que nous proposions en première lecture
permettaient de se constituer cette épargne d'appoint de long terme sur une
base volontaire, incluant la possibilité d'abondements de l'entreprise, dans un
cadre négocié et collectif, associant des partenaires sociaux, avec des
garanties sur les instruments de surveillance et sur les placements.
Surtout, notre dispositif ne prévoyait d'exonération de cotisations de
retraite que pour les plus bas salaires, afin d'inciter les entreprises à
abonder les plans de ces derniers. Pour tous les autres salariés, les régimes
de retraite par répartition étaient préservés.
Cette démarche a été rejetée en bloc à l'Assemblée nationale.
M. Emmanuel Hamel.
C'est regrettable !
M. Auguste Cazalet,
rapporteur.
Le Gouvernement et les députés ont même refusé d'examiner
notre dispositif, ce qui les a d'ailleurs conduits à plaquer des discours sans
lien avec le système que nous proposions : on a parlé de tout, sauf de ce que
nous avions voté, ce qui illustre bien l'
a priori
idéologique qui a
habité la majorité plurielle sur ce sujet.
Ce que nos contradicteurs aveugles n'ont pas cherché à comprendre, c'est qu'à
refuser nos fonds collectifs ils encourageaient les démarches individuelles
d'épargne comme l'assurance-vie, réservées aux salariés les plus riches ; qu'à
refuser aux salariés du privé ce qui existe déjà pour les professions libérales
et les fonctionnaires, ils aggravaient une forme de fracture sociale ; qu'à
vider la discussion sur l'épargne salariale de la dimension retraite, ils
laissaient les salariés seuls face aux acteurs du marché ; qu'à préférer les
rapports à la française aux réformes à l'allemande, ils porteraient une lourde
responsabilité.
Une fois de plus, le Sénat aura adopté un texte plus proche des préoccupations
des Français, plus protecteur des droits des salariés, plus juste. Une fois de
plus, le Gouvernement - malgré les déclarations de M. Fabius - et l'Assemblée
nationale auront préféré une approche idéologique, ou plutôt, pour reprendre
les mots du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, auront fait
preuve de « myopie » et d'« égoïsme ».
Face à cette myopie et à cet égoïsme, fallait-il poursuivre le dialogue ? La
commission a estimé que celui-ci avait assez duré. Le Sénat a déjà adopté à
deux reprises ce dispositif sur les fonds de retraite. Point n'est besoin d'une
troisième fois !
En outre, le Gouvernement impose l'urgence, nous empêchant ainsi d'apporter
les améliorations techniques qui restent nécessaires.
L'Assemblée nationale et le Gouvernement refusent ouvertement d'engager le
débat sur les compléments de retraite que pourraient se constituer les
salariés.
Face à cette attitude, la commission des finances du Sénat vous proposera, mes
chers collègues, de mettre fin à une discussion stérile en adoptant une motion
visant à opposer la question préalable.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et des Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
En abordant cette nouvelle lecture du projet de loi sur l'épargne salariale,
je ne vous le cacherai pas, mes chers collègues, nous regrettons que la
majorité sénatoriale n'ait pas trouvé de terrain d'entente avec nos collègues
de l'Assemblée nationale sur un texte qui aurait mérité un consensus des élus
de la nation.
En effet, contrairement à ce que vient d'exposer M. le rapporteur, le projet
de loi sur l'épargne salariale proposé par le Gouvernement et approuvé par
l'Assemblée nationale traduit une démarche pragmatique et équilibrée.
Démarche pragmatique parce que le projet de loi tient compte de la faiblesse,
dans notre pays, de l'épargne salariale, qui n'avait pas été particulièrement
choyée par les gouvernements précédents.
Démarche pragmatique aussi parce que la réflexion préalable a été menée en
concertation avec le Parlement, au travers de la mission Balligand-de Foucauld,
ainsi qu'avec de nombreux acteurs sociaux concernés par la réforme.
Démarche équilibrée parce que ce même projet de loi propose des dispositifs
intéressants fiscalement, en harmonie avec la politique du Gouvernement, qui a
mis en oeuvre des baisses d'impôts au service de la justice sociale et de la
création d'emplois. Celle-ci ne peut, selon nous, que se doubler du progrès
social et, par conséquent, du renforcement du dialogue social dans les
entreprises ainsi que du renforcement des droits des salariés.
Parmi ces droits, il en est un qui est attaché au fait que les salariés sont
les acteurs de base de l'économie de marché, ce que l'on ne dira jamais assez :
outre le droit de recevoir une juste rémunération pour le travail qu'ils
fournissent au service de leur entreprise, les salariés ont le droit de
partager, avec les propriétaires du capital et avec les dirigeants de ladite
entreprise, les fruits de la réussite de celle-ci, sans pour autant, bien sûr,
que cette participation puisse empêcher une progression normale de la
rémunération salariale.
Je me dois donc de rappeler qu'il s'agit, par la réforme en question, de
concourir à la réduction des inégalités entre les salariés puisque, pour le
moment, certains d'entre eux travaillent dans des entreprises qui connaissent
des dispositifs d'épargne salariale et d'autres dans des entreprises qui n'en
connaissent pas, ces dernières représentant les deux tiers des salariés du
secteur privé, essentiellement des salariés de PME.
La réforme prévue s'attaque également aux inégalités qui existent entre les
salariés d'une même entreprise, selon leur contrat de travail ou leur
ancienneté, ou encore selon qu'ils restent ou quittent leur entreprise. Ce sont
des discriminations regrettables qu'il convient de corriger.
Le projet de loi vise également à relancer la négociation collective pour
mettre en place des mécanismes d'épargne, chaque année, lorsqu'il n'en existe
pas. Il accroît les pouvoirs de gestion des salariés, leur formation, notamment
grâce au livret d'épargne salariale.
Le projet de loi vise enfin à permettre à l'épargne salariale de réguler
l'économie. Il ne s'agit pas, en effet, d'augmenter l'épargne dans notre pays
aux dépens, par exemple, de la consommation : il s'agit de susciter des
transferts d'épargne au profit des PME, mais aussi des autres entreprises, et
sur un long terme, en incitant à des investissements productifs.
C'est pourquoi nous nous félicitons de la mise en place du plan partenarial
d'épargne salariale, ouvert à tous les salariés, qui ne peut être mis en place
qu'avec l'accord des partenaires sociaux, qui prévoit soit des versements
réguliers s'étalant sur une très longue période, avec une sortie en rente, soit
des versements aléatoires dépendant des résultats de l'entreprise, dans une
optique à plus court terme.
Nous nous félicitons enfin que le système prévu par le projet de loi ne puisse
pas être confondu avec un système de retraite, car les solutions fondées sur la
seule épargne individuelle déstabiliserait le pacte entre les générations.
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, le groupe socialiste continue de soutenir le projet de loi
du Gouvernement relatif au nouveau mécanisme d'épargne salariale.
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voici
donc revenu en discussion au Sénat, consécutivement à l'échec de la commission
mixte paritaire et à la nouvelle lecture de l'Assemblée nationale, le projet de
loi portant sur le développement de l'épargne salariale.
Force est de constater que l'économie du texte tel qu'il ressortait des
travaux de notre Haute Assemblée a été quelque peu modifiée par la nouvelle
lecture menée au Palais Bourbon, attestant, comme on pouvait s'y attendre,
d'une certaine divergence d'appréciation.
Notre propos ici n'est pas de revenir longuement sur ce qui fonde cette
divergence d'appréciation.
Le débat porte essentiellement, et nous le savons pertinemment, sur la
question des retraites et du partage de la valeur ajoutée entre les salaires et
les profits des entreprises.
Un point semble toutefois mettre d'accord, au moins en apparence, tant les
initiateurs du projet de loi que ceux qui, dans cette enceinte, ont tenté d'en
modifier la portée.
Il s'agit de la disposition tendant à préconiser une forme de modération
salariale en termes de salaires directs et de favoriser concurremment une
expansion de la rémunération liée à la performance, au travers notamment de la
capitalisation.
Nous avons indiqué au cours de la discussion que nous étions quelque peu
réservés sur cette conception qui pose ouvertement le problème du partage de la
croissance, parce que le lieu même où elle se construit, c'est-à-dire
l'entreprise, devient le lieu où l'on développe la capitalisation.
Structurant quelque peu l'actuelle politique économique et budgétaire,
conjointement avec la loi de finances, la mise en oeuvre de la « prime pour
l'emploi » et le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques, le
projet de loi sur l'épargne salariale est porteur d'un projet de développement
social et économique et en même temps que de risques et de contradictions.
Nous ne pouvons en effet décemment l'appréhender sans poser le problème
récurrent et de plus en plus déterminant du partage de la valeur ajoutée,
notamment dans un contexte où la financiarisation accentuée de l'économie, qui
pose comme condition l'accroissement sensible du taux de profit, et où le
déclin de la part des salaires, évident depuis plusieurs années, nous ramènent
au début des années soixante-dix.
La question cruciale du financement de la protection sociale de caractère
universel et égalitaire tel que défini par le régime de répartition, se pose
également.
Il est légitime de craindre en effet que le développement de toute forme, même
contractuelle et négociée, d'épargne et de capitalisation, ne finisse par peser
sur le financement du régime par répartition.
On se souviendra que nous avions défendu en ce sens un amendement générique,
correspondant d'ailleurs à la préoccupation croissante des salariés concernés,
tendant à assujettir l'ensemble des produits d'épargne salariale aux
cotisations du régime par répartition.
Cette question, posée par le développement des nouveaux produits proposés par
le présent projet de loi, mais aussi par la vie, ne saurait, de notre point de
vue, être uniquement résolue par le biais d'un rejet pur et simple de cet
amendement.
Bien entendu, le débat n'est pas épuisé, notamment en ce qui concerne
l'utilisation effective de la collecte réalisée au travers des produits
d'épargne.
Nous devons, de notre point de vue et à ce stade de la discussion, nous
demander si la voie choisie est nécessairement la meilleure pour assurer le
financement du développement de nos entreprises, et si l'émergence des nouveaux
produits d'épargne sera suffisante pour pallier l'absence d'engagement plus
concret et peut-être plus « éthique » de notre système bancaire et financier en
direction de nos secteurs productifs.
Nous aurons évidemment l'occasion de reparler de cette question qui demeure à
l'arrière-plan de la discussion que nous venons d'avoir.
Enfin, nous ne pouvons manquer de souligner que, dans le paysage pour le moins
troublé de la négociation contractuelle, l'adoption et la promulgation du
présent projet de loi ne peuvent nous permettre de faire l'économie d'une
nouvelle discussion plus approfondie sur les relations sociales. A cet égard,
nous pouvons espérer que l'inscription prochaine à l'ordre du jour de nos
travaux du projet de loi de modernisation sociale constituera un moment
essentiel.
Rendre aux salariés, à leurs organisations syndicales et à leurs représentants
plus de pouvoirs d'intervention est plus que jamais nécessaire, plus de sept
ans après la remise en question de notre code du travail par la loi
quinquennale sur l'emploi, dite loi Giraud.
Quant à la motion déposée par nos collègues de la majorité sénatoriale, la
position du groupe communiste républicain et citoyen est simple : il votera
contre.
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale... ?
La discussion générale est close.
Question préalable