SEANCE DU 19 DECEMBRE 2000
ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE
Adoption d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi
(n° 129, 2000-2001), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en
nouvelle lecture, relatif à l'archéologie préventive. [Rapport n° 136
(2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la commission mixte
paritaire qui s'est réunie le 10 octobre dernier pour tenter de parvenir à un
accord sur la rédaction du projet de loi relatif à l'archéologie préventive
s'est conclue par un échec.
Depuis lors, l'Assemblée nationale, saisie du projet que vous aviez adopté en
deuxième lecture, s'est attachée, à quelques améliorations près, à revenir sur
la rédaction qu'elle avait elle-même adoptée en deuxième lecture, rédaction qui
avait recueilli l'accord du Gouvernement.
En commission mixte paritaire, j'observe, en allant à l'essentiel, que le
débat s'est cristallisé sur la question du « monopole ». Ce terme me paraissant
impropre pour qualifier ce que nous avons l'ambition d'organiser, je parlerai -
et ce n'est pas par commodité de langage - des droits exclusifs dont sera doté
l'établissement public chargé d'assurer, pour le compte de l'Etat et sous le
contrôle de celui-ci, la réalisation des opérations préventives rendues
nécessaires par des projets de travaux susceptibles de porter atteinte au
patrimoine archéologique.
Fallait-il donc aller jusqu'aux droits exclusifs ? Sur cette question, qui se
pose de manière récurrente depuis plusieurs années, je me rappelle que
l'ancienne majorité, lorsqu'elle était aux affaires, s'était bien gardée de
trancher. Mais je note qu'elle a laissé se développer le monopole de fait de
l'Association pour les fouilles archéologiques nationales, l'AFAN - ce qui est
maintenant reproché à cette dernière - sans proposer de solution de rechange.
Disons franchement qu'en comparant les époques nous devrions être unanimes à
saluer l'entreprise de clarification menée depuis un an.
Il a en effet fallu attendre l'arrivée de cette majorité pour qu'une réponse,
technique et politique, soit apportée à la question. C'est sur l'initiative de
l'actuel gouvernement que l'avis du Conseil de la concurrence a été sollicité.
Cet avis a fait l'objet d'une large diffusion, puisqu'il a été publié dans le
bulletin de ce conseil.
Ce dernier avait, il est vrai, considéré que si, en amont, la prescription et
le contrôle des opérations de terrain et, en aval, l'exploitation des données
relevaient de missions de service public, l'opération de terrain elle-même
devait être considérée comme une activité économique justifiant des procédures
de mise en concurrence.
Le Gouvernement a considéré que la séparation opérée entre activité «
intellectuelle », qui relèverait de la compétence de l'Etat, et activité de
terrain, assimilable à une opération de bâtiment et travaux publics justifiant
d'un recours au marché - on pourrait d'ailleurs s'interroger sur sa réalité -
n'était pas recevable parce que artificielle. Tous les archéologues, quelles
que soient leurs convictions quant à l'organisation de la filière, en
conviennent. Les diverses séquences d'une opération archéologique, préventive
ou programmée, ne sont pas détachables.
Le choix, par l'autorité administrative, en amont de l'opération de terrain,
du scientifique responsable de l'opération en même temps que sont établies les
prescriptions scientifiques et méthodologiques illustre bien le caractère
singulier de cette séquence. De la même façon, en aval, la tâche du responsable
d'opération ne doit pas se limiter à la seule opération de terrain. Il s'agit
d'assurer l'exploitation des données. Et cela va bien au-delà de la simple
remise du rapport de fouilles puisque c'est à ce stade, en fonction de
l'intérêt scientifique du site, que doit être décidée l'opportunité d'une
publication.
Cette nécessaire continuité de la démarche scientifique ne me paraît pas
pouvoir s'inscrire dans une logique « économique » souhaitée par certains.
La voie proposée par le Gouvernement apparaît dès lors comme la seule
envisageable si l'on veut donner un sens à la réforme entreprise.
J'observe que le Sénat est lui-même hésitant sur l'organisation de la
discipline. Le projet de loi adopté par le Sénat pose, en effet, le principe de
la réalisation des opérations préventives par un établissement public, certes
qualifié d'industriel et commercial, mais dont le financement est
principalement assuré non par des ressources qui auraient été la contrepartie
d'un service rendu, mais par des redevances présentant le caractère
d'impositions de toute nature au sens de l'article 34 de la Constitution et,
accessoirement, par des subventions. Le caractère industriel et commercial de
cette nouvelle structure me paraît dès lors bien atténué dans le projet voté
par votre assemblée, au regard des déclarations de principe que j'ai pu
entendre lors du débat que nous avons eu sur le sujet.
J'ajoute que la possibilité de faire appel à la concurrence n'est d'ailleurs
pas explicitement posée dans le texte adopté par votre assemblée. Elle
n'apparaît en effet qu'au détour de l'alinéa consacré, dans l'article 4, aux
exonérations de la redevance. L'on peut en effet y lire que les personnes
publiques faisant réaliser les prescriptions archéologiques arrêtées par les
services de l'Etat par d'autres que l'établissement ne sont pas soumises au
paiement de la redevance.
La timidité du Sénat...
M. Jacques Legendre,
rapporteur.
La timidité ?...
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
... n'est d'ailleurs pas sans conséquences sur le
dispositif que la Haute Assemblée souhaite voir mis en place.
Avec le maintien du principe d'un établissement public financé par des
redevances dont le montant n'est pas directement lié au coût réel des
opérations archéologiques, il est permis de s'interroger sur la place
susceptible d'être laissée à des opérateurs privés. Dans quelles conditions
économiques pourront-ils intervenir sur des opérations bénéficiant d'une
exonération ou d'un plafonnement en cas d'intervention de l'établissement
public ?
A l'inverse, les aménageurs ne seront-ils pas tentés de faire appel à des
opérateurs privés pour éviter le paiement de la redevance au super-taux que
vous souhaitez voir mettre en place, justement pour dissuader les aménageurs de
réaliser des travaux sur des terrains considérés comme archéologiquement
sensibles ?
Je doute très sincèrement que les opérateurs privés, qu'une partie d'entre
vous appelle de leurs voeux, aient le moindre avenir dans le dispositif adopté
par le Sénat lui-même.
Vous observerez en revanche que l'établissement public administratif pourra,
dans le respect, bien sûr, des règles touchant à la commande publique, faire
appel à des personnes morales de droit privé pour la réalisation d'opérations
d'archéologie préventive. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je préfère
parler de droits exclusifs plutôt que de monopole, ce qui pourrait laisser
entendre que seuls les personnels de l'établissement public sont autorisés à
réaliser des fouilles préventives.
Dans ce même ordre d'idées, il ne me paraît pas nécessaire d'évoquer une
nouvelle fois la question de l'association des collectivités locales à la
gestion de leur patrimoine archéologique. C'est un sujet fédérateur puisque
tous, le Gouvernement comme l'ensemble des composantes du Parlement,
considèrent qu'il ne saurait être question de les en exclure.
Il est évident que les services archéologiques agréés devront pouvoir
participer aux opérations préventives dont la maîtrise d'ouvrage est assurée
par les collectivités. Ces mêmes services devront naturellement être associés
aux travaux menés par les services de l'Etat en matière de cartographie.
Enfin, et selon des modalités qui restent à définir, les scientifiques de ces
services territoriaux devront pouvoir participer aux travaux initiés au sein
des pôles de recherche que nous avons l'ambition de créer.
Dans cet exposé introductif, je souhaite aborder à nouveau la question des
redevances. Comme je l'avais très précisément indiqué à votre rapporteur
lorsque celui-ci m'avait interrogé, les formules de calcul figurant à l'article
4 ont été mises au point par les services du ministère de la culture après
dépouillement d'une enquête portant sur près de deux mille opérations
effectuées en 1998, non seulement par l'AFAN, mais également par des
collectivités locales, des bénévoles, voire par des structures associatives ou
à but lucratif.
Les simulations effectuées permettent d'obtenir, toutes choses égales par
ailleurs, un niveau de recettes nécessaire à l'équilibre financier de
l'établissement public.
Globalement, le niveau des contributions sollicitées auprès des aménageurs, si
l'on y inclut les coûts masqués qu'ils prennent directement en charge dans le
système actuel, ne devrait pas s'en trouver sensiblement affecté. Il est
cependant certain, pour des raisons tenant à la nature même du dispositif
adopté, que l'application de ces formules générera une nouvelle répartition de
la charge supportée par les aménageurs.
Le cas des carriers a été à diverses reprises évoqué pour dénoncer le
caractère excessif du montant des redevances. Anticipant peut-être une
intervention ultérieure, je ferai observer que les carrières, souvent
exploitées dans des milieux archéologiquement sensibles, seraient les premières
à se voir imposer le « taux dissuasif » que vous aviez proposé lors des
lectures précédentes. Par ailleurs, les chiffres les plus couramment avancés ne
correspondent à aucune des simulations que nos services ont pu faire.
Aussi, au-delà du doute que les uns et les autres, en cette période où la loi
se construit, pourraient être tentés d'introduire dans les esprits, je
m'interroge sur la portée de chiffres qui ne s'appuient sur aucun exemple
précis. A travers l'évocation, certes trop rapide, de cet exemple, je pense
qu'il faut raison garder et éviter les propos déstabilisateurs. Le sujet que
nous traitons aujourd'hui mérite en effet toute notre attention.
Tels sont les quelques points dont je souhaitais vous entretenir avant que ne
commence notre discussion sur le projet de loi.
Serait-il imaginable de voir les points de vue se rapprocher entre le Sénat et
l'Assemblée nationale ? Le désaccord constaté en commission mixte paritaire me
conduit, hélas ! à en douter.
Croyez bien que je le regrette car une telle convergence constituerait
certainement un signe fort de la confiance exprimée par la représentation
nationale vers ceux et celles qui auront, demain, à relever le défi de
l'archéologie préventive.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Legendre,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi
relatif à l'archéologie préventive nous revient aujourd'hui en nouvelle lecture
après avoir été examiné par l'Assemblée nationale le 6 décembre dernier.
A l'occasion de cette nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli, pour
l'essentiel des dispositions du projet de loi, le texte qu'elle avait adopté en
deuxième lecture. A l'issue de cet examen, seuls trois des seize articles du
projet de loi ont été adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées.
Cependant, ce constat, disons-le, décevant, ne reflète pas les positions
respectives de l'Assemblée nationale et du Sénat, également conscients de la
nécessité de remédier à l'inadaptation de la loi de 1941 aux opérations
d'archéologie préventive et de clarifier les conditions de réalisation et de
financement des fouilles.
C'est donc moins sur les principes du projet de loi que sur leurs modalités de
mise en oeuvre que porte le désaccord entre nos deux assemblées.
Ainsi, monsieur le secrétaire d'Etat, en dépit de la perplexité que lui ont
inspirée les versions successives de la redevance, le Sénat n'a pas remis en
cause le principe de financement par l'impôt des opérations d'archéologie
préventive. Je ne sais pas si cette absence de mise en cause justifie que le
Sénat soit qualifié de « timide »...
Certes, l'absence de simulations fiables laisse planer une grande incertitude
sur le produit des redevances. Si ce produit s'avère insuffisant, c'est l'Etat
qui devra assumer ses responsabilités en subventionnant le nouvel établissement
public, ce qui représentera une charge nouvelle pour le budget déjà contraint
du ministère de la culture.
En revanche, un tel système de financement nous a paru incompatible avec le
monopole conféré à cet établissement. Je dis « monopole » même si vous
souhaitez maintenant, monsieur le secrétaire d'Etat, parler de « droits
exclusifs ». C'est là la critique essentielle que nous avons à adresser à ce
projet de loi.
La logique des droits exclusifs favorise une confusion des genres entre l'Etat
dans son rôle de gardien du patrimoine archéologique et l'établissement public,
chargé de réaliser les opérations de terrain.
Il y a fort à craindre que, dans ce contexte, les prescriptions archéologiques
soient parfois dictées, moins par les impératifs de la protection du patrimoine
archéologique que par des considérations liées à la nécessité pour
l'établissement public d'assurer son équilibre financier.
Afin de prévenir une telle dérive, qui est loin d'être théorique, la
commission des affaires culturelles proposera de revenir une nouvelle fois sur
le monopole tout en établissant une distinction très claire entre l'autorité
qui prescrit les fouilles, désigne leur responsable scientifique, détermine la
durée de l'opération et celui qui les réalise. Il s'agit là moins d'une
position de principe que du résultat d'un constat. La consanguinité, dont nous
redoutons les effets, sera en réalité inévitable compte tenu du déséquilibre
qui prévaut d'ores et déjà entre les services du ministère de la culture,
faiblement dotés au regard de l'ampleur croissante de leurs tâches, et l'AFAN,
qui dispose d'effectifs importants et dont la légitimité scientifique se trouve
renforcée par l'incapacité de l'Etat à assumer ses responsabilités. Ce ne sont
pas les quelques créations de postes inscrits pour le budget de 2001 qui
permettront en ce domaine de changer la donne.
La divergence sur la nature de l'établissement public - EPA ou EPIC - ne doit
pas être hissée au rang de querelle théologique. En retenant le statut d'EPIC,
le Sénat n'a pas voulu livrer l'archéologie à la concurrence. Il a simplement
cherché à adapter au mieux le fonctionnement de l'établissement public à la
nature de ses missions en privilégiant la souplesse de gestion et en évitant
dans la mesure du possible les surcoûts.
Il convient surtout de renouveler notre opposition au monopole afin de
reconnaître aux services archéologiques des collectivités territoriales la
place qui doit être la leur.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale ne leur accorde qu'une compétence
subsidiaire dont l'étendue sera définie par l'établissement public et par lui
seul. Cette situation n'est pas compatible avec l'objectif de décentralisation
culturelle que vous prônez, monsieur le secrétaire d'Etat, ni avec le rôle que
peuvent prendre les collectivités territoriales dans l'exploitation
scientifique et culturelle des découvertes archéologiques.
Sur ce point également, la commission vous proposera d'en revenir au texte
adopté par le Sénat, qui donnait aux services locaux pleine compétence, sous la
surveillance des services de l'Etat, pour intervenir sur les chantiers de
fouilles qui se déroulent sur leur territoire dès lors que les collectivités en
font la demande.
Contrairement aux craintes exprimées par la commission des affaires
culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, un tel dispositif
ne revient pas à marginaliser l'établissement public. Il établit au contraire
une égalité de traitement et de dignité entre les opérateurs locaux, dont il
importe d'encourager le développement, et l'opérateur national, auquel, dans la
plupart des cas, ces derniers devront recourir.
Lors de l'examen du projet de loi, s'il a pris en compte les contraintes
pesant sur les aménageurs, le Sénat a eu comme principale préoccupation de
veiller au respect de l'intégrité du patrimoine archéologique. Ainsi, c'est
dans cette perspective que nous avions souhaité instaurer un taux majoré de la
redevance pour les sites exceptionnellement riches en vestiges, afin d'éviter
que les mécanismes de la redevance ne produisent un effet pervers fort peu
compatible avec cet impératif.
En effet, pour ces sites, les taux de la redevance proposés par le
Gouvernement ne sont guère dissuasifs aux yeux d'aménageurs dotés de fortes
capacités contributives. Dans ces cas, l'Etat devra choisir entre deux
solutions peu satisfaisantes : soit faire supporter à l'établissement des
fouilles dont le coût ne sera pas couvert par la redevance, soit classer le
site, ce qui gèlera le projet et imposera à l'Etat d'indemniser l'aménageur au
titre de la loi de 1913. Ce taux majoré que n'a pas retenu l'Assemblée
nationale visait, précisément, à éviter ce dilemme. Je vous proposerai sur ce
point d'en revenir à notre texte. Là encore, si le Sénat n'est pas suivi,
l'Etat devra faire face à ses responsabilités.
Par ailleurs, avec la même volonté d'assurer un contrôle vigilant sur la
politique de protection du patrimoine archéologique, le Sénat avait souhaité
disposer d'éléments d'information sur l'application de la loi grâce au dépôt
par le Gouvernement d'un rapport bisannuel. Ce rapport était l'occasion pour
les assemblées d'exercer à intervalles réguliers ce contrôle.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'espère ne pas avoir à regretter que vous
n'ayez pas soutenu cette proposition à l'Assemblée nationale, à laquelle vous
vous étiez pourtant déclaré favorable. Il est encore temps d'en revenir sur ce
point au texte du Sénat.
Compte tenu de ces observations, la commission vous proposera de revenir en
nouvelle lecture au texte adopté par le Sénat lors de la précédente lecture,
sous réserve de quelques modifications rédactionnelles.
J'exprimerai toutefois le regret que nous n'ayons pu parvenir à un accord sur
ce texte, d'autant que l'Assemblée nationale s'est montrée sensible sur bien
des points à notre appréciation sur les risques du système proposé par le
projet de loi, dont l'efficacité au regard de la qualité scientifique des
fouilles comme du bon déroulement des opérations d'aménagement est loin d'être
prouvée.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous voici parvenus au terme de l'exercice.
Nous l'avions abordé avec l'espoir de parvenir à un accord avec l'Assemblée
nationale. Je souhaite que l'on comprenne bien qu'au cours de ce débat le Sénat
s'est efforcé de concilier la pratique du projet avec le respect du sol, de ses
richesses, de ce qu'il révèle, et le respect de la communauté, de toute la
communauté des archéologues.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous voici parvenus quasiment en fin de navette parlementaire et seuls trois
des treize articles du présent projet de loi ont été adoptés conformes. Il est
regrettable que le consensus de départ sur la nécessaire clarification des
règles juridiques applicables à l'archéologie préventive n'ait pas autorisé un
plus large accord entre les deux assemblées. Cela aurait permis un gain de
temps non négligeable, d'autant que les acteurs de l'archéologie préventive
attendent depuis longtemps cette réforme. Néanmoins, comme l'a reconnu le
rapporteur de ce texte à l'Assemblée nationale, M. Rogemont, sur de nombreux
points, le travail du Sénat a permis, en complétant ou en précisant les mesures
proposées d'apporter des améliorations importantes.
Ces améliorations concernent la référence aux organismes consultatifs, à
l'article 1er
bis
; la nécessité d'encadrer les délais de réalisation
des diagnostics et des fouilles, à l'article 2
bis
; la définition des
mobiliers archéologiques, aux articles 2
ter
et 5
bis
; enfin, le
remboursement de la redevance acquittée pour fouilles lorsque celles-ci n'ont
pas été engagées et que l'aménageur renonce à son projet, à l'article 4.
Malheureusement, des divergences de fond demeurent entre les deux assemblées,
au premier rang desquelles figurent le statut de l'établissement public et la
question de l'exclusivité de ses droits. Les contraintes du service public de
l'archéologie préventive commandent pourtant que cette mission soit dévolue à
un établissement public à catactère administratif. Celui-ci est seul à même de
garantir, en tout temps et en tout lieu, les sondages, les diagnostics et les
fouilles, selon les prescriptions scientifiques de l'Etat, tout en associant à
ses travaux d'autres organismes ou archéologues compétents.
Reste ensuite la question de la propriété des vestiges archéologiques
immobiliers et de leur exploitation commerciale, lorsqu'ils ont été découverts
de façopn fortuite par un tiers. Si les deux assemblées se rejoignent dans le
souci d'équité envers l'inventeur du vestige, donc dans la reconnaissance d'un
droit à rémunértation, là encore les avis divergent sur les modalités
d'application.
L'Assemblée nationale préconise une exception à l'article 552 du code civil et
un régime juridique proche de celui qui est en vigueur en droit minier. En
revenant sur le principe que « le propriétaire du sol l'est aussi du sous-sol
», ce dispositif ne lui retire en rien la possibilité de prouver qu'il est
propriétaire du vestige. Ce n'est que dans le cas où il ne serait pas en mesure
d'en apporter la preuve que le vestige sera considéré vacant.
Vous, mes chers collègues, considérez que cette mesure constitue un transfert
de propriété sans indemnités, dont la constitutionnalité peut être mise en
doute.
Au final, cette nouvelle lecture sera un coup d'épée dans l'eau, chacun
campant sur ses positions. Aussi, le groupe socialiste ne soutiendra pas le
texte tel que la majorité sénatoriale s'apprête à le modifier de nouveau.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
Au moment où ce texte de loi sur l'archéologie préventive revient une nouvelle
fois devant le Sénat, je souhaite faire deux observations.
Tout d'abord, je constate, comme les orateurs précédents, que la majorité
sénatoriale et le Gouvernement sont largement d'accord pour ce qui est des
objectifs de la loi : assurer une meilleure connaissance et une protection du
véritable trésor national que représente le patrimoine visé par les fouilles
préventives ; élaborer et se doter de procédures et de moyens fiables et
pérennes pour effectuer des travaux de fouilles archéologiques préventives ;
clarifier la situation inadmissible de l'Association pour les fouilles
archéologiques nationales, l'AFAN, et se mettre en conformité avec les
recommandations européennes ; enfin, établir une péréquation qui rende les
fouilles supportables pour les aménageurs.
Malheureusement, le Sénat et le Gouvernement s'opposent quant aux moyens à
mettre en oeuvre pour aboutir à ce résultat. Le Sénat refuse la vision étatique
et centralisée proposée par le Gouvernement : du quasi-monopole de l'AFAN, le
secrétaire d'Etat propose de passer à un monopole absolu d'un établissement
public, quelle que soit la terminologie utilisée ; non seulement celui-ci
devient l'opérateur « exclusif » - c'est le terme employé - même s'il peut
concéder une partie des fouilles à d'autres partenaires, mais il sera, en
réalité, le bras droit de l'Etat et détenteur de l'autorité publique. Le Sénat
souhaite, quant à lui, une séparation claire des rôles et le maintien des
prérogatives de l'Etat en tant que gardien du patrimoine.
M. Jacques Legendre,
rapporteur.
Très bien !
M. Philippe Richert.
L'Etat s'adresse, pour les fouilles préventives, à un opérateur agréé ;
l'établissement public qui remplace l'AFAN, certes, mais tout aussi
légitimement aux universités ou aux collectivités locales, lorsque celles-ci
ont les compétences requises et reconnues. Monsieur le secrétaire d'Etat, il
serait désastreux de ne pas s'appuyer sur ces réseaux de connaissance,
d'expertise et de potentiels d'intervention sous prétexte de devoir régler la
situation de l'AFAN.
Pour conclure, je tiens une nouvelle fois à exprimer ma stupéfaction quant au
mode de détermination des redevances. Le seul critère objectif retenu a été le
montant des ressources nécessaires pour financer la titularisation ou la
pérennité du personnel de l'AFAN. Nous serons ainsi inévitablement et
rapidement amenés à devoir modifier les savants calculs élaborés dans les
cabinets.
Dans ces conditions, vous comprendrez qu'il ne me soit pas possible de voter
le texte adopté par l'Assemblée nationale et que je soutiendrai en conséquence
les amendements présentés par M. le rapporteur et la philosophie qui les
sous-tend. J'espère que l'ouverture dont M. le rapporteur a fait état tout à
l'heure nous permettra, malgré les divergences d'approche quant aux moyens à
mettre en oeuvre, d'aboutir à un accord pour permettre à l'archéologie
préventive, qui est un élément essentiel de notre politique culturelle, d'être
acceptée et soutenue par tous.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.).
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
pour la troisième fois, nous examinons le projet de loi relatif à l'archéologie
préventive et je serais tenté de dire que plus les lectures passent et plus se
cristallisent les désaccords des uns et des autres sur un texte que nous avions
espéré, pour notre part, consensuel.
En effet, la mise en place d'un outil adapté, national et public, de nature
administrative, tel que le prévoit l'article 2, nous paraît conforme aux
intérêts de l'archéologie et des archéologues.
Nous regrettons, bien évidemment, que les deux assemblées ne soient pas
parvenues à un accord pour ce qui relève du rôle de l'archéologie territoriale.
Aussi, la suppression de l'article 1er
quater
est pour beaucoup dans la
cristallisation des désaccords que j'évoquais à l'instant.
Tout en partageant certaines des positions défendues par M. le rapporteur, on
ne peut ignorer qu'un certain nombre d'entre elles, au vu de la rédaction des
amendements proposés par la majorité sénatoriale, ne sont pas exemptes
d'arrière-pensées peu profitables, nous semble-t-il, à la chose
archéologique.
Il en va ainsi des délais de réalisation des sondages et diagnostics : un
mois, n'est-ce pas trop bref ?
De la même manière, le statut de l'établissement public de nature industrielle
et commerciale ne livrerait-il pas un peu à la hâte l'archéologie au secteur
concurrentiel ?
Enfin, s'il est juste que les archéologues territoriaux soient pleinement
associés aux travaux du futur établissement public, cela ne saurait en aucun
cas servir de prétexte à un amoindrissement des missions de l'Etat en matière
d'archéologie, comme nous le propose la majorité sénatoriale.
Ce texte, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, ne manque pas, à
nos yeux, de zones d'ombre. Ainsi, le statut des personnels de l'établissement
public ne mériterait-il pas une attention plus soutenue du Gouvernement ? Dès
lors que l'on considère que l'archéologie préventive figure au rang des
missions de service public, le statut de contractuel ne déroge-t-il pas aux
règles de l'emploi public ?
Pour ce qui est de la redevance, la notion de structures simples et de
structures complexes ne risque-t-elle pas de faire l'objet d'un assez lourd
contentieux ?
Nous regrettons, pour notre part, qu'aucun accord n'intervienne sur un texte
où des clivages traditionnels ne devraient pas avoir à opérer, puisqu'il y va,
mes chers collègues, de la recherche et de la conservation de notre patrimoine,
de notre histoire.
En conclusion, si nous partageons, comme je vous l'indiquais au début de mon
intervention, une certaine perplexité quant au texte qui nous est proposé, nous
ne pensons pas que les modifications proposées par la majorité du Sénat
nourrissent le texte à la hauteur des enjeux archéologiques d'aujourd'hui. Nous
voterons donc contre le projet de loi s'il est modifié.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
et sur les travées socialistes.).
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Je note que M. Richert a dit que le projet de loi
avait pour objet de clarifier la situation actuelle, qui ne lui semblait pas
satisfaisante. Telle est bien, en effet, la démarche du Gouvernement.
Nous avons maintes fois dialogué avec M. le rapporteur sur les droits
exclusifs confiés à l'établissement. Je remarque qu'il n'est pas proposé de
solution alternative à la redevance telle que nous la définissons : celle-ci a
le mérite d'être claire, équitable et prévisible et elle constitue un élément
de solidarité essentiel eu égard au développement de l'archéologie préventive à
l'échelle nationale.
Vous accusez le Gouvernement de ne pas s'appuyer sur toutes les compétences
existantes, en particulier celles des services archéologiques territoriaux. Je
veux redire ici qu'il nous semble, au contraire, que le projet de loi permet la
montée en puissance d'une archéologie partenariale avec les collectivités
locales, dans des conditions de qualité scientifique validées par l'Etat. De la
sorte, nous maintenons un objectif de service public de l'archéologie
préventive stabilisé à l'échelon national, tout en organisant une ouverture
significative vers les collectivités territoriales. Les services territoriaux
ont très largement leur place dans ce texte.
Je tiens à remercier MM. Lagauche et Renar de leur soutien. Je crois qu'ils
ont démontré quelle était la philosophie du projet de loi qui nous est présenté
: il s'agit pour l'Etat de mieux prescrire, donc de recentrer ses efforts sur
les domaines où cela est absolument indispensable.
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets et propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er