SEANCE DU 30 NOVEMBRE 2000
FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
POUR 2001
Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi
de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 108, 2000-2001), adopté
avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. [Rapport n°
109 (200-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué à la famille et à l'enfance.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous abordons ce
jour la nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale
pour 2001.
Le Gouvernement a déjà eu l'occasion d'exposer les avancées contenues dans son
texte, qui permet de faire bénéficier nos concitoyens du rétablissement des
comptes de la sécurité sociale. En effet, après les déficits sans précédent qui
ont marqué l'époque des gouvernementsBalladur et Juppé, nous avons su redresser
la situation : on nous avait légué un « trou » de 51 milliards de francs en
1996, et, pour 2001, c'est un excédent de plus de 4 milliards de francs qui est
prévu !
Ce redressement est lié, bien sûr, à la croissance de l'économie, dont ce
gouvernement a su créer les conditions et qu'il a accompagnée par une politique
économique et sociale cohérente ; mais nous le devons également à la réforme du
financement de la sécurité sociale, qui repose moins sur les revenus du travail
et davantage sur les politiques structurelles mises en oeuvre pour maîtriser
les dépenses.
C'est grâce à cette bonne santé retrouvée de la sécurité sociale que nous
pouvons envisager des progrès très importants pour notre protection sociale,
qui profiteront à tous les habitants de ce pays.
Ainsi, les retraités pourront bénéficier du retour à l'excédent de la branche
vieillesse et des fruits de la croissance, avec une revalorisation importante
de leurs pensions. Au-delà de cette mesure de justice sociale, nous préparons
l'avenir en augmentant considérablement les ressources du fonds de réserve pour
les retraites, qui disposera, fin 2001, de 50 milliards de francs.
Pour les familles, le Gouvernement met en place, sur ma proposition, le
renforcement des aides à la petite enfance, par le biais du fonds
d'investissement, l'augmentation de l'aide à la famille pour l'emploi d'une
assistante maternelle agréée, l'AFEAMA, l'accroissement de plus de 10 % des
moyens du fonds d'action sociale de la CNAF, la Caisse nationale d'allocations
familiales, l'amélioration et la simplification des aides aux logements, grâce
à une enveloppe de 6,5 milliards de francs sur deux ans, enfin une nouvelle
prestation familiale reconnaissant un droit au congé avec allocation pour les
parents d'enfants gravement malades.
En matière d'assurance maladie, d'accidents du travail et de maladies
professionnelles, nous continuons à améliorer la couverture de nos concitoyens,
tout en maîtrisant l'évolution des dépenses. Je ne citerai à cet égard que la
création de la couverture maladie universelle, dont nous allons encore
augmenter le nombre de bénéficiaires en 2001.
Enfin, je rappellerai l'avancée sociale que constituent les réductions de
contribution sociale généralisée et de contribution pour le remboursement de la
dette sociale accordées aux personnes dont les revenus sont les plus faibles,
qu'elles soient salariées, au chômage ou retraitées.
Lors de l'examen du texte en première lecture, le Sénat a décidé de remettre
en cause des avancées sociales très importantes pour les Français, qui avaient
été proposées par le Gouvernement et par la majorité de l'Assemblée nationale.
Ainsi, il a modifié profondément ce projet de loi, non seulement en limitant
considérablement sa portée, mais aussi en supprimant des mesures importantes
que les Français attendent, s'agissant en particulier des familles.
Au final, c'est la cohérence d'ensemble de notre texte qui a été altérée,
mais, heureusement, l'Assemblée nationale a d'abord rétabli l'article 2. Le
Sénat l'avait en effet supprimé, privant ainsi les personnes aux revenus les
plus modestes des diminutions de CSG et de CRDS prévues à leur profit,...
M. Charles Descours,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Non !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
On a proposé autre
chose !
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
... qui se traduiront par une augmentation des
salaires nets concernés dès janvier 2001.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Madame la ministre, m'autorisez-vous à vous interrompre ?
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
Non.
J'avais suivi ce débat très attentivement, je m'en souviens très bien !
L'Assemblée nationale a tout aussi heureusement rétabli les articles 9 à 12,
relatifs au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de
sécurité sociale, le FOREC, car la majorité sénatoriale s'y était
opposée,...
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Avec raison !
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
... comme elle s'oppose à tout ce qui a trait au
passage aux 35 heures, qui ont pourtant permis de créer 250 000 emplois à ce
jour.
Enfin, elle a montré toutes ses contradictions en supprimant à la fois
l'article fixant l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM,
au motif que celui-ci ne serait pas respecté,...
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Il n'a jamais été respecté !
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
... et tous les mécanismes de régulation et de maîtrise
médicalisée des dépenses. Comprenne qui pourra !
Je regrette donc que la majorité sénatoriale n'ait pu résister à la tentation
du maximalisme, qui l'a conduite à supprimer les trois dispositions
essentielles que je viens d'évoquer.
En premier lieu, elle ne pouvait ignorer l'irréalisme de sa contre-proposition
d'une forme d'« impôt négatif » se substituant à l'allégement de CSG et de CRDS
proposé par le Gouvernement et approuvé par l'Assemblée nationale, ce qui
revenait à alourdir encore les transferts sociaux, dont, parallèlement, la
droite sénatoriale ne cesse de déplorer le poids.
En second lieu, la bataille que la majorité sénatoriale a menée sur les
articles 10 et 11 du texte voté par l'Assemblée nationale, et qui s'est conclue
par la suppression desdits articles, n'a pas été d'une grande utilité. En
effet, je pense que ce n'est pas servir la qualité de notre débat public et de
notre démocratie que de prolonger à l'excès le combat que la droite sénatoriale
a engagé avec constance contre les 35 heures, mais sous l'angle très réducteur
de leur financement.
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
On n'a pas fini ! On en reparlera !
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
En conséquence, sur les matières financières qui
composent la première partie du projet de loi comme sur les autres volets de
celui-ci, je souhaite que nous nous en tenions à la rédaction rétablie en
seconde lecture par l'Assemblée nationale, tout simplement parce que c'est
cette version qui porte les intérêts des Français, en particulier des plus
défavorisés d'entre eux, et des familles, sujet que je connais bien.
Cela étant, la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 20 novembre
dernier n'a pas permis de rapprocher votre point de vue de celui des députés
sur des mesures pourtant essentielles pour les Français. Je me félicite donc de
ce que l'Assemblée nationale ait redonné en seconde lecture toute sa substance
et toute sa cohérence à ce projet de loi de financement de la sécurité sociale,
qu'elle a encore contribué à améliorer, s'agissant par exemple du fonds
d'indemnisation des victimes de l'amiante que nous voulons créer.
C'est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je forme le voeu que cette
nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale soit
l'occasion d'une discussion constructive, car, au-delà des aspects financiers,
qui sont bien sûr importants dans un tel texte, c'est bien une autre vision et
une autre conception de la sécurité sociale que le Gouvernement propose, celles
d'une sécurité sociale confortée dans sa place au coeur des solidarités entre
les personnes, entre les familles, mais aussi entre les générations.
J'espère, monsieur le rapporteur, que j'aurai été entendue.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Vous entendrez vous-même autre chose !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Descours,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Madame la ministre,
comme vous avez été un peu polémique au cours de votre intervention, je vais
l'être aussi et vous inviter à lire le compte rendu d'un entretien avec M.
Claude Evin, paru dans
La Croix
du 16 novembre 2000.
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
Bonne lecture !
M. Charles Descours,
rapporteur.
C'est une excellente lecture, en effet ! Mais peut-être
n'appartenez-vous pas au même courant que M. Evin...
Quoi qu'il en soit, au journaliste qui lui demandait son opinion sur
l'exonération de CSG que vous avez évoquée, M. Evin a fait la réponse suivante
: « Bien sûr, je comprends les raisons qui ont conduit à l'exonération de la
CSG d'une partie des Français qui ne paient pas d'impôt, afin qu'ils
bénéficient aussi des fruits de la croissance. J'aurais toutefois préféré qu'on
trouve d'autres mécanismes, comme le crédit d'impôt ou l'allocation
compensatrice sur le revenu. »
Madame la ministre, je vous invite donc à mettre un peu d'ordre dans votre
majorité, d'autant que vous êtes, d'une certaine façon, particulièrement bien
placée pour le faire...
(Sourires.)
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
C'est un expert qui parle !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Pardonnez-moi, mais je n'ai peut-être pas la même influence
sur ma majorité !
M. Guy Fischer.
Vous êtes trop modeste !
M. Charles Descours,
rapporteur.
En tout cas, ce que nous avons proposé, c'est d'instaurer un
crédit d'impôt, lequel existe dans d'autres pays. Je vous signale que M. Evin,
ancien ministre de la santé, suggère également cette solution, et je déplore
que l'on ne vous ait pas montré cet article avant que vous n'interveniez : cela
vous aurait évité de critiquer la majorité sénatoriale sur ce point.
Cela étant, je me réjouis, madame la ministre, de votre présence au banc du
Gouvernement pour cette nouvelle lecture du projet de loi de financement de la
sécurité sociale.
Toutefois, je ne peux que m'étonner de l'absence de Mme la secrétaire d'Etat à
la santé, qui exerce sa tutelle sur un budget de 700 milliards de francs, et
a fortiori
de celle de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité,
qui est responsable d'un budget de 2 000 milliards de francs !
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le
rapporteur ?
M. Charles Descours,
rapporteur.
Je vous en prie, madame la ministre. Pour ma part, j'accepte
d'être interrompu.
(Sourires.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre, avec l'autorisation de M. le rapporteur.
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais excuser Mmes Guigou et Gillot.
Je pensais que vous aviez été informés de leur absence ce jour, puisqu'elles
participent actuellement, à l'Assemblée nationale, à la discussion du projet de
loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
Elles défendent donc en ce moment même les droits des femmes.
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
C'est le Gouvernement qui fixe l'ordre du
jour !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Madame la ministre, je remercie votre cabinet d'avoir pris
contact avec moi pour m'annoncer que c'était vous qui viendriez aujourd'hui au
Sénat. Je m'en suis réjoui, et ce que je vais dire n'est donc pas dirigé contre
vous. Je déplore que, pour Mme Guigou, l'IVG ait plus d'importance qu'un budget
de 2 000 milliards de francs !
(Mme la ministre délégué s'exclame.)
De plus, elle a dit à l'Assemblée nationale que nous avions pris des positions
politiciennes. A cet égard, je ferai observer que, premièrement, l'habitude
républicaine est de ne pas critiquer une assemblée devant l'autre et que,
deuxièmement, nos positions ne sont absolument pas politiciennes ; nous sommes
l'opposition, nous avons des opinions différentes de celles de la majorité, et
c'est tout à fait normal !
Je tenais à dire cela du haut de cette tribune, d'autant que, comme vous le
savez, mes chers collègues, Mmes Guigou et Gillot n'ont pu être entendues que
pendant une heure et quart par la commission lors de la présentation de ce
projet de loi, ce qui a amené M. Delaneau à s'étonner par écrit de cette hâte.
Je vous prie d'excuser mon agacement, madame la ministre, mais je trouve qu'il
a quelques motifs.
J'en viens maintenant au fond du débat.
Je rappelle que, en première lecture, nous avions été saisis d'un projet de
loi qui comportait soixante articles et que le Sénat avait adopté une position
conforme à celle de l'Assemblée nationale pour dix-neuf d'entre eux. Par
ailleurs, il avait modifié seize articles sans en remettre en cause l'économie
générale : je pense notamment à l'article 42, relatif aux travailleurs de
l'amiante.
En revanche, huit articles avaient été amendés d'une manière plus profonde, et
nous avions introduit dix articles nouveaux, en contrepartie, en quelque sorte,
de la suppression de dix-sept articles. Ces suppressions avaient porté
essentiellement sur les dispositifs conduisant à « ponctionner » la sécurité
sociale au profit du financement des 35 heures et sur les dispositions fiscales
introduites à tort, à notre sens, dans ce projet de loi.
Des « cavaliers sociaux », comme l'abrogation de la loi Thomas, figuraient
également parmi ces dix-sept articles supprimés : nous avions souhaité éviter
au Conseil constitutionnel une surcharge de travail, puisqu'il aura à se
prononcer d'ici à Noël prochain.
La commission mixte paritaire, réunie le lundi 20 novembre dernier, n'a pas
réussi à se mettre d'accord sur un texte commun. Elle a échoué sur l'article 2,
visant à instaurer un mécanisme de réduction dégressive de CSG et de CRDS sur
les revenus d'activité, comme vous nous l'avez rappelé à l'instant, madame la
ministre. En revanche, nous n'avons pas échoué sur l'article 1er, dépourvu de
toute valeur normative. Les présidents de la commission des affaires
culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale et de la
commission des affaires sociales du Sénat avaient jugé bon de le réserver,
comme nous le faisons d'habitude.
En nouvelle lecture, alors que cinquante et un articles restaient en navette,
l'Assemblée nationale n'en a adopté que quatre conformes : l'article 4
bis
, enrichi par un amendement de précision de notre collègue Louis
Boyer, l'article 26, relatif au régime de sécurité sociale des marins, amélioré
par un amendement de notre collègue Marie-Madeleine Dieulangard, et les
articles 27 et 40, qui avaient fait l'objet d'amendements rédactionnels des
rapporteurs du Sénat.
L'Assemblée nationale a supprimé les dix articles additionnels introduits par
le Sénat, parmi lesquels je citerai plus particulièrement les articles 3
bis
A, qui prévoyait une compensation à la CADES des exonérations de
CRDS, l'article 14
ter
, résultant d'un excellent amendement de notre
collègue Annick Bocandé, visant à maintenir les allocations familiales pour le
dernier enfant à charge des familles ayant élevé trois enfants ou plus, ou
encore les articles 45
bis
et 45
ter
, qui assuraient un
fonctionnement plus transparent de la commission des comptes de la sécurité
sociale.
L'Assemblée nationale est revenue mot pour mot à son texte adopté en première
lecture sur les vingt-sept articles modifiés ou supprimés par le Sénat, ne
prenant pas en compte, par exemple, un excellent amendement de notre collègue
Guy Fischer à l'article 17, et elle a apporté des modifications - le plus
souvent mineures - à dix articles.
La navette a réellement porté sur trois articles.
Il s'agit d'abord de l'article 20, relatif au répertoire national des
pensions.
Nous avions vivement attiré l'attention du Gouvernement sur l'absence de prise
en compte des recommandations de la CNIL, alors même que l'exposé des motifs de
cet article faisait référence à un avis favorable de cette commission ;
l'Assemblée nationale a rétabli un article plus conforme à cet avis
prétendument favorable.
Il s'agit ensuite de l'article 42, pour lequel le dispositif de « provisions »
versées par le fonds Amiante a été retenu, mais seulement cette modification.
En effet, l'Assemblée nationale s'est refusée à suivre le Sénat dans ses
propositions pour améliorer le sort des victimes de l'amiante. Elle a maintenu
- vous avez eu l'air de vous en réjouir dans votre intervention initiale,
madame la ministre - un système sans précédent de transaction juridique
forcée.
Nous ne pouvons que déplorer cette attitude, qui était dénoncée par l'ensemble
des associations qui s'occupent des victimes de l'amiante. Nous avons tous été,
les uns et les autres, destinataires d'un nombre de télécopies innombrables qui
marquaient leur opposition à cette façon de faire. Nous considérons donc que
l'Assemblée nationale n'a pas voulu que les victimes de l'amiante bénéficient
des mêmes droits juridiques que les victimes du sang contaminé.
Il s'agit enfin de l'article 45, relatif au plan comptable des organismes de
sécurité sociale, pour lequel l'Assemblée nationale a accepté un amendement de
précision du Sénat.
Les autres modifications ne relèvent pas du jeu de la navette mais constituent
des ajustements que, suite à des remords, l'Assemblée nationale a apportés à
son propre texte de première lecture.
Je voudrais, à ce propos, citer l'exemple de la loiThomas, à l'article 19
A.
En première lecture, l'Assemblée nationale, portée par un élan vieux de trois
ans, a supprimé totalement cette loi. Puis, s'étant aperçue
a posteriori
que ladite loi comportait également un certain nombre de dispositions
nécessaires à la poursuite de l'activité, en nouvelle lecture, avec l'accord du
Gouvernement, moins idéologue et plus réaliste, l'Assemblée nationale n'a fait
qu'abroger partiellement la loi Thomas. Nous ne sommes d'ailleurs pas certains
que le Conseil constitutionnel aquiesce. L'Assemblée nationale, en nouvelle
lecture, n'a donc fait que bégayer par rapport à sa première lecture.
Je dénoncerai maintenant et à nouveau deux nouvelles « tuyauteries » ajoutées
par l'Assemblée nationale.
La première vise à compenser à la CADES la seule exonération de CRDS des
chômeurs non imposables par une diminution du versement de la CADES à
l'Etat.
L'Etat ne s'arrête pas là : il s'autofinance en dimuant à due concurrence de
350 millions de francs la subvention d'équilibre au BAPSA. Le BAPSA, en
compensation, reçoit lui-même une affectation supplémentaire de contribution
sociale de solidarité sur les sociétés - la fameuse C3S. Le perdant - parce
qu'il faut bien un perdant dans cette politique digne du sapeur Camember -
c'est le fond de solidarité vieillesse, qui bénéficie aujourd'hui des excédents
de C3S.
Le perdant de second rang est le fonds de réserve des retraites, dont le
Gouvernement, par la voix du Premier ministre, explique qu'il faut le renforcer
pour aider à passer la période extrêmement difficile que nous allons connaître
pour les retraites d'ici à 2020.
La seconde tuyauterie est plus simple à comprendre.
Le FOREC, le fameux fonds destiné à financer les 35 heures, bénéficie d'une
augmentation de la fraction des droits sur les tabacs, qui avait déjà été, en
première lecture, abondamment octroyée au FOREC au lieu de la CNAM. On passe de
96,8 % à 97 %, soit 100 millions de francs de moins pour la Caisse nationale
d'assurance maladie et 100 millions de francs de plus pour le financement des
35 heures.
Je considère que les recettes prévues au bénéfice de l'assurance maladie pour
financer la CMU ont été retirées à la CNAM pour la plus grande part, un an et
demi après le vote de cette loi.
Madame la ministre, au-delà des prises de position politique qui peuvent
légitimement nous opposer, le financement de la sécurité sociale est déjà
complexe, mais la volonté politique du Gouvernement de ne pas vouloir financer
le FOREC, le fonds de financement des exonérations sociales liées en partie aux
35 heures, le complexifie au-delà du raisonnable. Nous l'avons dénoncé l'année
dernière et cette année encore en première lecture. Cela se fait au mépris de
la loi de 1994 qui pose comme principe que toute exonération de cotisations
sociales décidée par l'Etat est compensée par l'Etat. Cette complexité est
encore accrue dans cette nouvelle lecture.
Je voudrais attirer solennellement l'attention du Sénat, du Gouvernement et,
si possible, de l'opinion. A ce niveau d'obscurité des montages financiers,
c'est vraiment - je le pense profondément, et M. Le Garrec ne semble pas loin
de le penser aussi - de pratiques anti-démocratiques qu'il s'agit. On ne peut
plus expliquer au Parlement et, au-delà, aux Français un financement qui est
pour eux capital.
J'insiste, madame la ministre, pour que vous usiez de votre influence auprès
du Gouvernement, et au-delà si vous le pouvez, pour que cessent ces pratiques.
C'est la démocratie qui est en jeu !
Je rappelle que le Sénat s'était opposé en première lecture à la ristourne
dégressive de la CSG, à l'absence de compensation des exonérations de CRDS, au
financement de la réduction du temps de travail par les organismes de sécurité
sociale et, vous l'avez rappelé à l'instant, à l'ONDAM, soit quatre mesures qui
restent évidemment présentes dans le texte qui nous est transmis en nouvelle
lecture.
Nous pensions d'ailleurs que trois de ces quatre dispositions n'auraient pas
dû se trouver dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La première de ces dispositions est la ristourne dégressive de CSG, que vous
avez fustigée, madame le ministre, dans votre intervention. Il s'agit d'une
mesure fiscale qui a été imposée au ministère des affaires sociales par le
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, chacun le sait. La
remise en cause de l'universalité du financement de la protection sociale est
une grave erreur politique.
Je voudrais poursuivre la lecture de cet intéressant article de Claude Evin,
ancien ministre du gouvernement Rocard, qui termine ainsi son article : ...
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
C'est une bonne référence !
M. Charles Descours,
rapporteur.
Le courant Rocard fait tout de même partie de la majorité
jospinienne ?
(Mme le ministre acquiesce.)
C'est bien ce qui me semblait !
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
C'est pour cela que je vous dis que c'est une bonne
référence !
M. Charles Descours,
rapporteur.
« ... Ce qui me gêne dit Claude Evin, c'est qu'on n'ait pas
vraiment eu de débat sur cette question pourtant fondamentale. » Il est
formidable ce Claude Evin ! Vraiment, il confirme tout ce que nous avons dit !
Pourquoi ne l'avez-vous pas écouté ?
Nous pensons donc qu'un prélèvement social ne peut être l'instrument d'une
politique fiscale.
Le dispositif gouvernemental pose en outre un certain nombre de problèmes de
constitutionnalité. Mais, là encore, nous saisirons le Conseil constitutionnel,
et nous verrons bien.
Nous avions proposé un mécanisme alternatif de crédit d'impôt. Je viens de
m'expliquer longuement, compte tenu des propos que vous avez tenus tout à
l'heure.
Le Gouvernement, en première lecture, nous avait expliqué que ce n'était pas
une mesure immédiate, mais qu'elle serait lisible dès le mois de janvier 2001.
Comme j'ai mauvais esprit, j'ai compris que, si ce n'était pas lisible en
janvier 2001, c'est-à-dire deux mois avant les élections cantonales et
municipales, ce n'était pas une bonne mesure... Mais les réponses ne m'ont pas
semblé de fond.
Le financement de la réduction du temps de travail par les organismes de
sécurité sociale constitue le second point de désaccord. C'est ce que nous
avons appelé les « tuyauteries » du projet de loi.
Je voudrais être tout à fait clair à ce sujet, notamment vis-à-vis de vous,
madame la ministre : il serait faux de dire que le Sénat refuse la loi relative
à la réduction du temps de travail. La loi du 19 janvier 2000, dite loi des 35
heures, est désormais une loi de la République, et elle s'impose à nous comme à
tous.
Nous nous opposons simplement au financement de cette loi par les excédents de
la branche famille - et vous qui êtes chargée de ce domaine au Gouvernement
devriez y être sensible - et du fonds de solidarité vieillesse. Nous pensons
que le financement des 35 heures, qui relève de la politique de l'emploi, doit
être inscrit non pas en loi de financement de la sécurité sociale mais en loi
de finances, sous forme d'une dotation budgétaire compensant intégralement aux
organismes de sécurité sociale les pertes de recettes liées aux exonérations de
charges sociales.
En première lecture, nous avions du reste réintégré dans les cotisations
effectives des recettes du projet de loi le coût de l'extension des
exonérations prises en charge par le FOREC.
Le troisième point de désaccord concerne le financement de la dette
sociale.
Nous estimons que l'Etat doit compenser à la CADES les exonérations de dette
sociale. Si la CADES a vraiment « deux ans d'avance », comme on nous le dit,
dans ses remboursements, nous souhaiterions qu'elle termine ses opérations...
avec deux ans d'avance. Décider d'exonérations sans compensation revient à
reporter sur les générations futures - vous êtes mère de famille nombreuse,
madame la ministre ! -, une nouvelle fois, la charge de financer demain nos
générosités d'aujourd'hui.
Le quatrième point de désaccord concerne, cette fois, un élément central de la
loi de financement : l'ONDAM.
Nous avions refusé en première lecture de le voter. Nous l'avons fait en
pleine connaissance de cause, en raison de deux éléments.
D'abord, l'ONDAM, depuis quatre ans, est toujours dépourvu de tout contenu en
matière de santé publique. Je pense d'ailleurs que ce point recueille le
consensus.
Ensuite, cet ONDAM n'est même pas comptable : une fois voté, il « vit sa vie
», ce qui lui fait perdre une grande part de sa crédibilité. Je rappelle que le
Gouvernement a modifié de lui-même l'ONDAM par le plan « hôpital » du mois de
mars - j'y reviendrai dans un instant. Or ce n'est pas une prévision que vote
le Parlement, mais un objectif !
Ainsi, la volonté du Parlement est bafouée, et le Sénat ne peut pas accepter
une telle dérive. Là aussi, il s'agit de la démocratie.
S'agissant de l'hôpital - qui n'est pas ce dont vous êtes chargée directement,
madame la ministre - j'attire votre attention sur un point qui me semble
extrêmement important, ce que montre bien l'agitation qui commence à poindre
dans les hôpitaux : le protocole hospitalier signé le 14 mars dernier, dit «
plan Aubry », prévoyait, au titre des années 2000, 2001 et 2002, des crédits
d'un montant de 2 milliards de francs chaque année pour financer les
remplacements de personnels dans les établissements de santé.
La somme de 2 milliards de francs a bien été intégrée dans le collectif de
printemps, à travers une dotation ouverte dans un nouveau chapitre intitulé «
Aide exceptionnelle au service public hospitalier ». Si j'en crois les
réactions sur le terrain - vous les avez lues dans la presse comme moi, mes
chers collègues -, on peut toutefois se demander si ces crédits sont bien
arrivés dans les hôpitaux.
En revanche - c'est encore plus grave -, je constate que rien de tel n'a été
prévu dans le projet de loi de finances pour 2001, le chapitre « Aide
exceptionnelle au service public hospitalier » n'étant même pas mentionné dans
les documents budgétaires.
Lors de son audition par notre commission, Mme Guigou nous a indiqué que les 2
milliards de francs au titre de l'année 2001 seraient « ouverts en gestion 2001
», c'est-à-dire probablement dans le collectif de l'année prochaine. Nous
craignons que cette affaire ne soit repoussée aux calendes grecques. Les
personnels hospitaliers concernés, à entendre leurs réactions, sont encore plus
inquiets que nous.
Les hôpitaux ont aujourd'hui besoin de ces crédits et j'aurais préféré qu'ils
figurent d'ores et déjà dans le projet de loi de finances pour 2001. Si je le
dis, c'est pour que les personnels hospitaliers sachent que nous sommes
extrêmement attentifs aux actions qu'engagera le Gouvernement pour respecter la
parole donnée en mars 2000 par le ministre des affaires sociales de
l'époque.
Au total, si la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 était une
véritable loi de financement, débarrassée de la tuyauterie des trente-cinq
heures et de son dispositif fiscal, ainsi que de ses « cavaliers sociaux », on
s'apercevrait que reste un débat, mais un débat central, celui de la maîtrise
des dépenses de santé et de la façon dont le Parlement doit intervenir dans ce
domaine. C'est là une véritable question, qui transcende largement les clivages
politiciens. Aussi, nous regrettons vivement de n'avoir pu débattre sereinement
de notre protection sociale.
J'ajoute que l'Assemblée nationale a tenu à supprimer le dispositif introduit
par le Sénat rétablissant un diplôme de gynécologie médicale, au motif qu'il
n'aurait pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale ;
parallèlement, elle rétablissait, à titre d'exemple, l'article 36
bis,
relatif aux conditions de transmission des prélèvements aux fins d'analyse de
biologie médicale, qui n'a pas davantage sa place dans une loi de financement
de la sécurité sociale. Le purisme procédural affiché d'un côté est donc
immédiatement violé de l'autre, au mépris de l'avis des professionnels et de
leurs patients ! Je crois que certains d'entre nous y reviendront dans la
discussion générale.
Depuis la première lecture de ce texte, j'ai rencontré de nouveau les
gynécologues médicales et les femmes qui les soutiennent. Elles sont furieuses
de la position adoptée par la majorité et par le Gouvernement.
Enfin, je crois que nous devons entamer, au-delà des clivages partisans, une
véritable réflexion sur les lois de financement de la sécurité sociale qui
débouche sur une réforme de la loi organique de 1996. L'expérience de cinq lois
de financement permet désormais de préciser les contours de la réforme
essentielle souhaitée par la précédente majorité et dont la poursuite et
l'approfondissement demeurent indispensables. La simplification est un
impératif démocratique.
En attendant, parce qu'il porte atteinte à l'un des fondements de notre
protection sociale, parce qu'il organise de manière détournée le financement de
la réduction du temps de travail par les organismes de sécurité sociale, parce
qu'il laisse dériver notre système de santé, parce qu'il ne prépare pas la
France au « choc » démographique des retraites, je vous proposerai, dans un
moment, mes chers collègues, d'adopter une motion tendant à opposer la question
préalable au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 tel
qu'il nous est transmis en nouvelle lecture.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 que nous
examinons aujourd'hui en nouvelle lecture nous arrive dans une version très
proche du texte initial voté à l'Assemblée nationale.
Les députés ont en effet rétabli pratiquement dans son intégralité ce projet
de loi que vous aviez, mes chers collègues de la majorité sénatoriale,
littéralement démantelé, « taillé en pièces ».
Devant cet acharnement à démembrer le texte, il était évident que la
commission mixte paritaire était vouée à l'échec.
En ce qui concerne le financement de la protection sociale, la philosophie qui
vous inspire est résolument ancrée à droite, dans le droit-fil de l'idéologie
libérale.
Vous n'avez pas pu vous empêcher de rétablir la loi Thomas sur l'épargne
retraite, introduisant les fonds de pension et laminant au passage le système
de retraite par répartition.
Obéissant aux mêmes réflexes idéologiques, vous avez privatisé la gestion du
fonds de réserve pour les retraites, afin d'alimenter un peu plus les marchés
financiers.
Les retraites ne vous suffisant pas, vous vous êtes aussi attaqués aux
salaires.
En supprimant l'article 2, vous avez délibérément refusé une diminution de la
CSG et de la CRDS pour les salariés les plus modestes et préféré instituer un
mécanisme de crédit d'impôt inégalitaire et inapplicable.
Vous êtes systématiquement empêtrés dans vos
a priori
idéologiques, qui
vous empêchent d'envisager la moindre progression des salaires, alors que la
richesse nationale n'a jamais autant augmenté.
Tout ce qui peut constituer un progrès, si peut soit-il, vous semble
insupportable. Vous n'avez cessé de pourfendre, indirectement ou directement,
les 35 heures tout au long de nos débats. Pourtant, que vous le vouliez ou non,
les Français aspirent à plus de protection sociale, à de meilleures
rémunérations et à davantage de temps libre.
De plus, les 35 heures ont déjà un effet positif sur l'emploi et la
conjoncture, même si des problèmes demeurent.
Cette évolution de la société s'impose comme une réalité.
Vous avez été animés par la volonté de défendre d'autres intérêts. C'est
pourquoi nous avons eu le débat sur les cliniques et les laboratoires
pharmaceutiques. Et même si le rapporteur vient de parler du secteur
hospitalier, du service public, on peut se poser un certain nombre de
questions.
Cela étant, votre conception d'une libéralisation du financement de la
protection sociale a au moins le mérite de nous permettre d'exposer de façon
très claire notre vision des choses.
Nous l'avons déjà dit, nous ne sommes pas des farouches partisans de la
fiscalisation du financement de la protection sociale, autant que la reprise
économique permettrait, pour peu que l'on veuille bien examiner des solutions
alternatives - je pense en particulier à la modulation des cotisations
patronales en fonction du rapport entre la masse salariale et la richesse
produite par les entreprises - de faire face à la nécessaire augmentation des
dépenses liées à la protection sociale, dépenses qui ont, de tout temps, été
source de progrès social et de croissance économique.
Sur ce point, nous sommes obligés de réaffirmer que le texte issu des
délibérations de l'Assemblée nationale manque singulièrement d'ambition.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Très bien !
M. Guy Fischer.
Il est clair que, si l'on veut réellement relever les défis qu'impose une
protection sociale de qualité, accessible à tous, il faudra mettre en place une
politique sociale plus ambitieuse qui, à notre sens, n'arrive pas à rompre tout
à fait avec la logique comptable héritée du plan Juppé.
Nous ne pouvons que déplorer, par exemple, la suppression par l'Assemblée
nationale de l'article introduit au Sénat et relatif à la création d'un diplôme
spécifique de gynécologie médicale...
(M. Lesbros applaudit.)
M. Charles Descours,
rapporteur.
Très bien !
M. Guy Fischer.
...et au droit des femmes de consulter le gynécologue de leur choix.
Nous regrettons aussi que l'Assemblée nationale ait, sur le douloureux
problème des victimes de l'amiante, préféré revenir au texte initial, laissant
ainsi persister beaucoup de doutes quant à la qualité et à l'efficacité des
procédures d'indemnisation des personnes victimes de leur exposition à
l'amiante.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Très bien !
M. Guy Fischer.
De toute évidence, la volonté gouvernementale est mise en cause. Mme
Marie-Claude Beaudeau reviendra longuement sur ce sujet, à propos duquel nous
sommes en total désaccord avec la position prise par l'Assemblée nationale en
dernière lecture.
C'est d'autant plus dommageable que les maladies liées à l'amiante sont,
depuis des années, un problème majeur de santé publique.
C'est en étant pleinement conscients de ces enjeux que nous nous sommes
fermement opposés, en première lecture, à la volonté de la majorité sénatoriale
d'imposer sa vision du financement de la protection sociale.
Voilà pourquoi nous voterons contre la question préalable, qui fait table rase
du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
J'exprimerai à mon tour mon regret de voir une question préalable opposée à ce
projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. Guy Fischer a exposé la position du groupe communiste républicain et
citoyen sur l'ensemble du texte. Pour ma part, j'expliquerai pourquoi nous
aurions souhaité que la discussion nous permette de rétablir l'article 42 dans
la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture, qui était, selon nous,
beaucoup plus efficace.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est d'ailleurs ce que nous ont écrit les associations de défense des
victimes depuis le débat en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale.
L'indemnisation des victimes de l'amiante est aujourd'hui une véritable
priorité d'ordre social. D'un point de vue humain, médical, préventif, nous
nous interrogeons sur le sort que nous entendons réserver aux personnes
contaminées par l'amiante, le plus souvent dans un cadre professionnel.
La création par le Gouvernement d'un fonds d'indemnisation des victimes de
l'amiante est une heureuse iniative. Nous nous en sommes réjouis, comme
d'ailleurs les associations de défense des victimes.
Longtemps ignorées, rejetées, ces victimes de l'amiante ont beaucoup attendu
avant que leur légitime droit à réparation soit enfin reconnu.
Cependant, madame la ministre, tout n'est pas réglé quant à la réparation
morale et financière la plus juste, la plus équitable possible, et plusieurs
points méritent tout particulièrement d'être à nouveau relevés.
Le premier concerne le délai de présentation d'une offre d'indemnisation par
le fonds à la victime ayant fait une demande : de neuf mois dans le projet de
loi initial du Gouvernement, ce délai est passé à six mois à l'Assemblée
nationale en première lecture et à trois mois au Sénat, qui, ce faisant,
reprenait le délai initialement prévu par la commission des affaires
culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale.
Nous le répétons, six mois, c'est trop long pour des malades dont les jours
sont comptés. Vous le savez, madame la ministre, mes chers collègues, les
personnes atteintes de mésothéliome peuvent « partir » en quelques mois. Ces
victimes de l'amiante, qui sont aussi des victimes de l'irresponsabilité de
certains employeurs, ont attendu bien longtemps une reconnaissance de leur
préjudice. Et nous craignons que la disposition adoptée à l'Assemblée nationale
n'aggrave leur situation en ouvrant la possibilité d'allonger le délai
d'instruction bien au-delà de six mois.
Pourquoi marginaliser une fois de plus les victimes de l'amiante en les
traitant, sur le plan du délai de présentation des dossiers au fonds, de façon
différente des victimes d'autres maladies professionnelles ?
M. Charles Descours,
rapporteur.
Eh oui !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Le second point sur lequel je souhaite revenir a trait à l'obstacle opposé aux
victimes dans l'accès aux actions, si nécessaires, si essentielles à leurs
yeux, pour faute inexcusable de leurs employeurs.
Ne pas reconnaître explicitement le droit des victimes indemnisées par le
fonds à engager des procédures en responsabilité est inacceptable. Une telle
disposition peut certes être envisagée comme un moyen - je cite ici Mme Gillot,
qui était au banc du Gouvernement lors de la première lecture du présent texte
à l'Assemblée nationale - « d'éviter une insécurité juridique qui serait
préjudiciable aux victimes ». Je crois que c'est aussi une atteinte au droit
fondamental d'ester en justice.
Nous ne pouvons pas admettre que le texte adopté au Sénat en première lecture,
et qui visait à ouvrir clairement toutes les voies de recours juridictionnels
aux victimes, n'ait pas été retenu par l'Assemblée nationale.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
La commission mixte paritaire ayant échoué, le texte qui revient en discussion
aujourd'hui en nouvelle lecture rétablit le troisième alinéa du IV de l'article
42. Nous le déplorons, tout autant d'ailleurs que nous déplorons le manque de
clarté des dispositions concernant le financement du fonds.
Premièrement, si la branche « accidents du travail » est certes excédentaire
aujourd'hui, la création du fonds entraînerait, pour la seule année 2001, une
réduction de cet excédent de 3,4 milliards de francs à 1,8 milliard de francs.
Elle fera par ailleurs supporter à tous la charge de la responsabilité de
quelques-uns.
Deuxièmement, concernant la contribution de l'Etat, la question est la
suivante : comment le fonds sera-t-il abondé ?
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
On posera un tuyau !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je ne doute pas, madame la ministre, que, comme votre collègue l'a dit à M. le
rapporteur en première lecture à l'Assemblée nationale, « l'Etat tiendra ses
engagements ».
Des précisions sur la dotation budgétaire de l'Etat prévue auraient été fort
nécessaires ! Vous n'avez pourtant répondu ni à mes questions ni à celles de M.
le rapporteur de la commission des affaires sociales à propos de l'abondement
du fonds.
Nous sommes un peu étonnés qu'un engagement ait été pris et qu'aucune
précision ne soit apportée quant à la provenance des fonds. Nous ne pouvons pas
nous satisfaire d'un simple engagement. En matière budgétaire, les crédits
doivent être prévus, donc inscrits.
D'autres questions se posent à nous aujourd'hui, sans que, hélas ! nous
puissions en discuter. Je les évoquerai brièvement.
Pensez-vous, madame la ministre, mes chers collègues, que l'impossibilité de
juger et de condamner les employeurs fautifs donne le meilleur exemple possible
en matière de prévention des maladies ou des accidents du travail ?
Pensez-vous qu'il soit pertinent et juste de laisser aux victimes le choix
entre « le chèque ou la justice » ?
Les victimes de l'amiante sont bien souvent issues de milieux démunis. Doit-on
pour autant ne répondre à leur douleur que par une réparation financière ?
Cette question nous a été posée par ceux qui étaient présents dans les tribunes
ou par leur famille.
L'indemnisation est un grand pas, certes, mais elle ne doit pas occulter ce
que chaque victime ou chaque proche de victime réclame légitimement face à une
vie écourtée par l'amiante et par des employeurs inexcusablement fautifs : la
justice et la condamnation des responsables !
Plus généralement, enfin, il faut évoquer la question des autres maladies
professionnelles et du mode de traitement politique et financier que l'on
entend leur réserver.
Nous applaudissons à la création du fonds d'indemnisation des victimes de
l'amiante, mais nous nous interrogeons aussi sur le sort des victimes des
éthers de glycol, du benzène, du bruit, etc.
Faudra-t-il, à chaque catastrophe, créer un fonds ?
Le texte adopté par l'Assemblée nationale n'apporte pas de réponse aux
questions que se posent légitimement les victimes et leurs associations.
Le dépôt d'une question préalable par la commission nous empêche de revenir
sur ces questions tellement importantes en raison de la douleur des victimes et
de leurs proches et des préjudices considérables qu'ils ont subis.
Je persiste à croire que le texte issu des travaux du Sénat sur cet article 42
était meilleur que le texte défendu par le Gouvernement. Il apportait une
réponse plus franche, plus complète, plus efficace, puisqu'il préservait les
droits des victimes sans les réduire et qu'il confirmait les responsabilités de
l'employeur. Cela dit, nous n'opposons pas l'indemnisation et la réparation à
la faute de l'employeur.
Madame la ministre, l'article 42 adopté par le Sénat ne répondait pas
complètement, il est vrai, aux attentes des victimes ; mais l'Assemblée
nationale, en le rejetant, a tout compliqué.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, jeudi 23
novembre dernier, à l'occasion de la discussion en nouvelle lecture du projet
de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, l'Assemblée nationale,
comme mes collègues précédents l'ont indiqué, a supprimé un certain nombre
d'articles sur proposition de sa commission des affaires culturelles,
familiales et sociales, dispositions que le Sénat avait introduites après
d'intenses débats et qui répondaient à nos préoccupations en matière de
protection sociale.
Ces modifications tendaient à améliorer le sort des professionnels de santé,
mis à mal par la sortie du système conventionnel et la baisse autoritaire de
certains tarifs d'honoraires ; à tenir compte de la situation particulièrement
dramatique de certaines catégories de Français, laissés pour compte de maladies
professionnelles graves, et, enfin, à rassurer les patients sur le maintien de
leurs conditions d'accès à toutes les consultations indispensables, dans le
cadre d'une meilleure prévention, voire de dépistages, mais aussi d'une
meilleure qualité de traitements, c'est-à-dire d'une meilleure maîtrise de la
santé publique.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 a mis en place un
dispositif de sanctions collectives à l'encontre des professionnels de santé.
Alors que les dispositions précédentes avaient été adoptées, profession par
profession, en fonction de la spécificité des conditions d'exercice, cette loi
a prévu, pour toutes les professions, un contenu identique de l'annexe annuelle
conclue chaque année à la suite du vote de l'ONDAM par le Parlement. On
s'aligne !
Au lieu de promouvoir une maîtrise médicalisée des dépenses de santé, cette
annexe annuelle ne joue que sur les prix et met en place un mécanisme de clés
flottantes. Des sanctions collectives peuvent donc être prises tous les quatre
mois, à la suite d'un rapport de la CNAM à l'encontre des professionnels de
santé.
Ces mesures n'atteignent en aucune façon le but recherché. Elles n'encouragent
pas l'adaptation permanente des dépenses de santé en fonction de l'évolution
des pratiques, des techniques médicales et des besoins, notamment de ceux qui
sont liés au vieillissement de la population, qui augmentent de manière
importante. Elles consistent uniquement à baisser de façon comptable les tarifs
au fur et à mesure de l'augmentation des dépenses. Cela, c'est facile !
Elles sanctionnent de manière collective, sans tenir compte des comportements
individuels, tous les professionnels de santé, punissant ainsi la plus grande
majorité qui n'a pas failli et qui ressent d'autant plus amèrement l'injustice
dont elle est l'objet.
Le Sénat avait souhaité la suppression de ce dispositif et avait décidé
d'adopter un mécanisme alternatif de maîtrise de l'évolution des dépenses
médicales, proposé par la commission des affaires sociales, faisant appel à la
responsabilité individuelle des médecins et contribuant à l'amélioration des
pratiques médicales dans l'intérêt des patients.
Assurant le maintien de la vie conventionnelle, ce dispositif était simple,
médicalisé, et présentait l'avantage de contribuer à améliorer la qualité des
soins tout en maîtrisant les dépenses.
Il était surtout régionalisé, car c'est au niveau régional que sont le mieux
appréciés les dépassements, leurs causes et les modalités de leur
résorption.
Enfin, il était efficace, puisqu'il garantissait le respect de l'objectif de
dépenses et permettait aux médecins d'amender individuellement leurs propres
pratiques professionnelles.
L'Assemblée nationale a rejeté cette disposition, empêchant ainsi une nouvelle
fois le rétablissement d'un langage de confiance avec les professionnels de
santé.
En consacrant ainsi en droit la fin des relations conventionnelles globales
avec les professionnels de santé, le Gouvernement nous fait entrer dans le
système de l'administration par l'Etat de la médecine française, que
personnellement je refuse de toutes mes forces. L'enjeu
in fine
est la
santé de nos concitoyens, trop précieuse pour être remise entre les seules
mains des administrations de l'Etat.
Seule la maîtrise médicalisée et concertée des dépenses de santé peut nous
permettre de conserver et d'améliorer la qualité des soins et la couverture
sociale des assurés.
Ainsi, madame la ministre, vous faites le choix pratiquement de l'étatisation,
choix qui sera lourd de conséquences pour notre système de protection sociale
tel qu'il existe et auquel les Français étaient profondément attachés.
Sur un autre plan, les effets néfastes de l'utilisation industrielle et
généralisée de l'amiante, qui vient d'être évoquée longuement, constitue un des
problèmes majeurs de santé publique auxquels notre pays doit faire face.
De 1980 à 1996, le nombre de victimes d'affections provoquées par une
exposition à l'amiante a été multiplié par sept. C'est seulement en 1995 que le
gouvernement de l'époque a décidé d'interdire totalement l'usage de
l'amiante.
Les travaux de désamiantage ont été engagés depuis, mais de façon encore trop
ponctuelle pour que l'on puisse affirmer que plus personne n'est exposé
actuellement à l'amiante.
C'est dans ce contexte que les attentes légitimes et la détresse des victimes
méritent des solutions équitables et répondant à un souci de justice
sociale.
Pour autant, la création du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante,
tel que nous le propose le Gouvernement à l'article 42, est-elle « la »
solution unique ? Ne faudrait-il pas aussi s'attaquer à améliorer les
conditions d'indemnisation de ces victimes par la branche accident du travail
et maladie professionnelle ?
En effet, la législation sur laquelle repose l'indemnisation des victimes du
travail, victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle,
n'assure qu'une réparation fort modeste, forfaitaire et largement inférieure
aux indemnisations que sont susceptibles d'obtenir les autres catégories de
victimes, notamment de catastrophes aériennes, de la circulation ou
d'attentats. Ce n'est pas normal et cela nous oblige aujourd'hui à créer un
fonds.
Si la réponse que le Gouvernement nous propose d'apporter est d'inspiration
généreuse, je le concède, elle présente toutefois plusieurs difficultés.
En premier lieu, le nombre des victimes ne cessant d'augmenter, le financement
du fonds doit être assuré de manière pérenne non seulement pour la part due par
les industriels du secteur et les employeurs, mais également - j'attire votre
attention sur ce point - pour la part à la charge de l'Etat employeur, ce qui
n'est pas garanti dans ce texte.
En deuxième lieu, créer un fonds spécifique pour les victimes de l'amiante,
c'est ouvrir la boîte de Pandore et cautionner la création de multiples fonds
d'indemnisation, tous plus légitimes les uns que les autres. Il est impératif
que cela n'empêche pas la nécessaire réforme du dispositif d'indemnisation des
accidents du travail et des maladies professionnelles, qui devrait assurer,
enfin, une indemnisation équitable et intégrale au préjudice effectivement
supporté par les victimes.
J'y suis d'autant plus sensible que j'approuve les démarches et les
propositions de la Fédération nationale des accidentés du travail et des
handicapés. Je connais bien la lutte menée par la Fédération des mutilés du
travail depuis près d'un siècle pour améliorer le sort et l'indemnisation des
victimes des accidents du travail et des maladies professionnelles.
En troisième lieu, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale prévoit que,
si le demandeur peut demander une réparation intégrale de son préjudice dans
des délais rapides auprès du fonds et qu'il accepte l'offre qui lui est faite,
il doit se désister de toutes actions judiciaires en indemnisation. Qu'est-ce
que cela veut dire ?
Madame la ministre, comment empêcher une personne atteinte d'une maladie
professionnelle aussi grave, qui peut dégénérer en cancer, de faire valoir ses
droits en justice comme n'importe quel citoyen ? Le travail relèverait-il d'une
catégorie mineure de citoyens ?
Cela est parfaitement illégitime. Sur un dossier aussi sensible et douloureux
que celui-ci, il est inimaginable de ne pas répondre au besoin de justice de
ceux qui souffriront dans leur chair, le reste de leur vie, des conséquences
d'une exposition à l'amiante sur leurs lieux de travail.
Ainsi, l'institution du fonds tel que nous le propose le Gouvernement n'est
pas satisfaisante et ne doit pas nous faire oublier l'absolue nécessité - j'y
insiste - d'améliorer notre politique de prévention de la santé et de la
sécurité au travail.
En revanche, - et vous n'êtes pas en cause dans ce qui va suivre, madame la
ministre - en ce qui concerne la gynécologie médicale il ne peut plus y avoir
de dialogue entre nous et Mme le secrétaire d'Etat à la santé.
Elle nous a accusés, Mme Borvo et moi-même - je suis en bonne compagnie - de «
désinformation ». Je n'accepte pas ce terme de « désinformation ». Cette
conception de la gestion de la démocratie parlementaire est en opposition
totale avec la mienne.
Je considère en effet qu'un adversaire politique a le droit de développer ses
arguments même s'ils sont contraires aux miens. Je les conteste, c'est naturel,
mais je ne mets pas en accusation publique de mensonge cet adversaire ; ce
qu'introduit perfidement le terme de « désinformation ».
En revanche, les inquiétudes légitimes des femmes sur le devenir de la
gynécologie médicale restent intactes.
J'espère qu'avec Mme le secrétaire d'Etat ou sans elle les engagements pris
par le professeur Lauret, du ministère de l'éducation nationale, et confirmés
par le professeur Nicolas seront tenus et que les femmes pourront librement
consulter leurs gynécologues médicaux, sans attente interminable.
Mes chers collègues, pardonnez-moi d'avoir fait cette mise au point, mais il
est des moments où l'on doit s'efforcer d'arrêter ces dérives qui n'ont pas
leur place dans le Parlement de la République.
Dans ces conditions, et partageant totalement la position de la commission et
de son rapporteur, le groupe du RPR votera la motion qui sera présentée dans
quelques minutes et qui tend à opposer la question préalable.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable