SEANCE DU 22 NOVEMBRE 2000
M. le président.
Je suis saisi de trois amendements présentés par M. Fauchon, au nom de la
commission.
L'amendement n° 4 vise, après l'article 2, à insérer un article additionnel
ainsi rédigé :
« Après l'article 28-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, il est
inséré un article 28-2 ainsi rédigé :
« Art. 28-2.
- Nul ne peut exercer plus de sept années la fonction de
président ou de procureur de la République d'un même tribunal de grande
instance ou de première instance. »
L'amendement n° 5 tend, après l'article 2, à insérer un article additionnel
ainsi rédigé :
« Après l'article 28-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, il est
inséré un article 28-3 ainsi rédigé :
« Art. 28-3.
- Nul ne peut exercer plus de sept années la fonction de
juge d'instruction, de juge des enfants, de juge de l'application des peines ou
de juge chargé du service d'un tribunal d'instance dans un même tribunal de
grande instance ou de première instance. »
L'amendement n° 6 a pour objet, après l'article 2, d'insérer un article
additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 38 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, il est
inséré un article 38-1 ainsi rédigé :
« Art. 38-1.
- Nul ne peut exercer plus de sept années la fonction de
premier président ou de procureur général d'une même cour d'appel. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je me suis déjà expliqué tout à l'heure à la tribune sur
l'opportunité de limiter dans le temps la durée d'exercice des fonctions de
chef de juridiction ou de certaines fonctions spécialisées.
Je rappelle que cette mesure figurait dans un avant-projet de loi qui a été
diffusé à la fin de l'année dernière. Pour notre part, nous l'avions préconisé
voilà déjà fort longtemps. On ne peut pas laisser un magistrat « incruster » à
vie à tel ou tel poste.
On nous objectera peut-être - M. Badinter y a d'ailleurs fait allusion tout à
l'heure - que cette disposition n'est pas constitutionnelle dans la mesure où
elle pourrait porter atteinte au principe de l'inamovibilité des magistrats.
Je crois qu'il faut tout de même interpréter les principes en fonction du
contexte. Au xixe siècle, le principe de l'inamovibilité des magistrats était
essentiel et devait être respecté avec la plus grande rigueur parce qu'à
l'époque la carrière des magistrats était complètement entre les mains de
l'exécutif : un ministre pouvait blackbouler un magistrat qui avait cessé de
lui plaire ou qui n'avait pas fait ce qui était souhaité. Mais c'était du temps
de Lucien Leuwen et de Stendhal.
M. Michel Mercier.
C'était le bon temps !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
C'était le bon temps à certains égards mais c'était un temps
où la notion de droit n'avait pas progressé comme elle l'a fait depuis.
Nous sommes maintenant dans un contexte où, avec le Conseil supérieur de la
magistrature et ses nouvelles prérogatives, et après les réformes récentes, ce
péril n'existe plus. Il convient donc aujourd'hui d'apprécier le principe de
l'inamovibilité, qui reste bien entendu respectable, dans ce nouveau contexte.
Ainsi, on observe que le danger serait que le pouvoir prenne une mesure
individuelle à l'encontre d'un magistrat.
Mais ce n'est pas l'objet de nos amendements. Nous posons la règle générale
selon laquelle un magistrat ne peut pas exercer plus de tant de temps telle
fonction. Etant donné que c'est une règle générale, elle ne porte pas atteinte
au principe de l'inamovibilité des magistrats tel que je l'ai défini tout à
l'heure.
Si le Conseil constitutionnel qui a des vues autrement plus étendues, plus
profondes et perspicaces que les nôtres, considère que, malgré tout, cette
disposition porte atteinte au principe de l'inamovibilité, nous accepterons
éventuellement, avec modestie, sa sanction. De toute façon, il sera saisi de ce
texte puisqu'il s'agit d'une loi organique.
Je n'affirme donc pas que cette disposition n'est pas contraire au principe
d'inamovibilité, mais que, dans son esprit, il ne me semble pas qu'elle le
soit, sinon, bien entendu, nous ne l'aurions pas proposée.
J'ai entendu avec intérêt l'observation formulée par Mme Borvo tout à l'heure
considérant que, sans doute, cette règle était assez souhaitable, sauf à
présenter l'inconvénient qu'en se privant d'un magistrat ayant acquis une
qualification particulière, par exemple dans des matières difficiles -
financières ou relatives à la famille, etc. - la justice se prive en quelque
sorte des compétences acquises par ce magistrat.
Je réponds à Mme Borvo que ce magistrat peut fort bien poursuivre une carrière
dans sa spécialité mais dans une autre juridiction, c'est tout. Il s'intégrera
dans une autre équipe d'affaires financières, d'affaires économiques ou il
restera juge de la famille dans un autre tribunal. Il n'y a donc pas lieu de
s'inquiéter sur ce point.
Mais, surtout en province, quand un magistrat est en poste depuis très
longtemps, on sait d'avance la décision qui sera prise. Cela n'est tout de même
pas très satisfaisant.
C'est pourquoi limiter la durée dans le temps de certaines fonctions à sept
ans me semble nécessaire. Dans l'avant-projet du Gouvernement, il était
question de cinq ans pour les uns et de dix ans pour les autres. En
l'occurrence, cinq ans, était peut-être un peu court ; sept ans nous semble
être plus convenable. C'est ce que nous proposons au Sénat, encore une fois
sans affirmer solennellement que nous sommes totalement à l'abri d'une critique
du Conseil constitutionnel. Mais enfin, après tout, chacun assume son devoir.
Nous, nous croyons qu'il est du nôtre de proposer cette mesure, au Conseil
constitutionnel d'apprécier, ensuite, en prenant ses responsabilités.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, le
Gouvernement est défavorable à ces amendements, parce que les dispositions
proposées n'entrent pas dans les limites du projet de loi organique qui vous
est aujourd'hui soumis, dont le seul objet est la revalorisation et
l'amélioration du déroulement de la carrière des magistrats, accompagnées de
dispositions favorisant la mobilité de l'ensemble des magistrats au cours de
leur carrière.
La limitation dans le temps de l'exercice de certaines fonctions - chef de
juridiction, chef de cour, magistrat spécialisé du siège - relève d'un autre
débat. Elle constitue certainement une piste de réflexion intéressante, que
nous prendrons collectivement en compte, mais elle ne peut se concevoir sans
que soient préalablement renforcées les garanties statutaires de l'indépendance
des magistrats, du siège comme du parquet.
C'est d'ailleurs ce à quoi tendait le projet de loi constitutionnelle relatif
au Conseil supérieur de la magistrature, adopté en termes conformes par le
Parlement, mais, à ce jour, non ratifié par le Congrès. Cette condition
préalable n'étant pas remplie, l'avis du Gouvernement est défavorable.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Madame le garde des sceaux, l'argument selon lequel nous
sortirions de l'objet du projet de loi est faux : il s'agit bien de la
situation des magistrats. Nous l'améliorons. Nous pouvons bien, ce faisant,
l'assortir de certaines conditions. Nous sommes donc tout à fait dans le
sujet.
Permettez-moi de vous dire que cela n'a pas grand rapport avec l'indépendance
des magistrats. Au contraire, c'est de nature à la favoriser.
Par ailleurs, fort de mon expérience, je vous dirai qu'il n'est pas plus mal
de faire des réformes point par point car, quelquefois, ce sont les projets
trop vastes qui n'aboutissent pas.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Sur le principe de la mobilité, je partage volontiers l'avis du CSM. On l'a
évoqué partiellement, je le redis, la mobilité, ici fonctionnelle, est une
source d'enrichissement pour les magistrats. Elle présente aussi une garantie
contre les risques de pratique routinière ou de trop grande implication locale,
notamment dans les villes de petite ou de moyenne importance.
Il est vrai qu'une durée très longue de fonction, notamment de fonction aux
niveaux qui sont visés - je pense à un président de tribunal dans une petite ou
une moyenne ville - finit par créer des liens et par faire naître à l'égard des
magistrats, à tort, bien entendu - mais l'opinion est ce qu'elle est -
certaines suspicions fondées sur des liens avec telle ou telle personnalité.
Les choses étant ce qu'elles sont, s'agissant de la mobilité, chacun sait
d'ailleurs que le CSM demande un engagement à ne point demeurer trop longtemps
dans le poste que l'on occupe.
Mais la question qui est posée est d'un autre ordre. Qu'est-ce que le principe
de l'inamovibilité ? Il permet au magistrat du siège qui ne veut pas quitter
son poste d'y demeurer. Il ne peut pas être muté. Cela signifie en clair qu'il
faut un acte de volonté de sa part : la mobilité peut être liée à l'avancement
ou à la sortie de précarité, liée à la fonction quand il s'agit de délégation
au sein d'une juridiction pour un temps très limité. Là, le principe
d'inamovibilité n'est pas contourné. Le Conseil constitutionnel à cet égard a,
en 1992, fait preuve de souplesse dans son interprétation.
Mais le dispositif proposé est différent et pose problème quant au moyen de le
mettre en oeuvre. Il s'agit d'une sorte de contrat. Le magistrat est nommé pour
sept ans, pas un jour de plus.
Dès lors, le président du tribunal
dies interpellat pro homine
, comme
aurait dit l'un de nos vieux maîtres, demande au magistrat qui ne souhaite pas
quitter ses fonctions de partir, car le terme est échu. Il ne s'agit plus de
savoir s'il le veut ou non. Ne heurte-t-on pas alors de fait le principe
d'inamovibilité ? La question mérite d'être posée. Elle le sera de toute façon
au Conseil constitutionnel puisqu'il s'agit d'une loi organique. Mais, comme je
l'ai dit à notre ami Pierre Fauchon, je ne suis pas sûr, contrairement à ce qui
a été évoqué à propos de la mobilité liée à l'avancement, qu'on ne franchisse
pas la ligne en matière d'inamovibilité des magistrats du siège.
Si tel est le cas, si le Conseil constitutionnel considère qu'il n'est pas
possible d'assigner un terme au moment où l'on nomme un magistrat à des
fonctions du siège, c'est une nouvelle révision constitutionnelle qu'il faudra
engager.
S'agissant de la mobilité, dans la pratique, faire acte de candidature à des
postes est l'occasion d'une sorte d'engagement d'honneur auprès du Conseil
supérieur de la magistrature. Cela n'est pas indifférent du point de vue de la
théorie constitutionnelle.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi organique, après l'article 2.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi organique, après l'article 2.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi organique, après l'article 2.
Articles 3 et 4