SEANCE DU 22 NOVEMBRE 2000


CARRIÈRE DES MAGISTRATS

Discussion d'un projet de loi organique

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique (n° 483, 1999-2000) modifiant les règles applicables à la carrière des magistrats (Rapport n° 75 [2000-2001]).
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, j'ai conscience que le temps du Sénat est compté. Je vais donc essayer d'être plus brève que prévu.
Le projet de loi organique modifiant les règles applicables à la carrière des magistrats, qui est aujourd'hui soumis à l'examen de votre Haute Assemblée, est à la fois limité dans son objet et important par sa portée.
La revalorisation et la simplification du déroulement de la carrière des magistrats de l'ordre judiciaire sont en effet devenues indispensables pour mettre fin à une situation injuste de blocage de l'avancement, tout en favorisant la mobilité.
Un rapide état des lieux de la magistrature judiciaire permet de s'en convaincre.
Il y a, aujourd'hui, 6 882 magistrats. Je tiens à souligner à cette occasion que la parité est une réalité dans la magistrature, qui compte 3 413 femmes et 3 469 hommes. Ces magistrats exercent à la Cour de cassation, dans 35 cours d'appel, 181 tribunaux de grande instance, 5 tribunaux de permière instance et 473 tribunaux d'instance. Par ailleurs, sont placés en position de détachement 257 autres magistrats.
Or la structure du corps judiciaire est à la fois complexe et source de blocage des carrières : à la base, le « second grade » compte 3 892 emplois, soit près de 58 % du corps ; au grade d'avancement, dit « premier grade », on compte 2 480 emplois, soit environ 37 % du corps ; enfin, au sommet, les emplois « hors hiérarchie » sont en nombre très limité, 349, soit à peine plus de 5 % du corps.
Cette structure d'emplois crée un véritable « goulot d'étranglement » dans le déroulement de la carrière des magistrats. Une majorité d'entre eux ne peut en effet, dans ces conditions, accéder à un rang auquel la commission d'avancement, qui apprécie les mérites professionnels des magistrats, les a cependant reconnus aptes.
Les chiffres sont éloquents : de 654 en 1995, le nombre de magistrats inscrits au tableau d'avancement et donc en attente de promotion est passé à 1 132 en 2000. Dans le cadre de l'actuel statut et en tenant compte des projets en cours de réalisation, ce sont plus de 800 magistrats inscrits au tableau d'avancement qui ne pourront réaliser cette année leur promotion, soit les trois quarts des inscrits.
Compte tenu de la structure démographique du corps, ce nombre ne ferait qu'augmenter dans les années à venir si aucune mesure n'était prise pour mettre fin à cette situation d'injustice.
Le présent projet de loi organique a deux objectifs complémentaires : tout d'abord, revaloriser et simplifier le déroulement de la carrière des magistrats, mais aussi favoriser la nécessaire mobilité des magistrats.
La revalorisation des carrières, c'est d'abord un effort budgétaire historique pour une réforme d'envergure et sans précédent depuis plus de quarante ans. Le Gouvernement a en effet décidé d'y consacrer une somme totale de 177 millions de francs par an. Je rappelle que le précédent plan de revalorisation des carrières, initié en 1991, a porté sur une somme totale de 58 millions de francs. C'est donc un effort financier de la nation trois fois supérieur qui va être réalisé.
Cette réforme était attendue depuis très longtemps. Il est en effet naturel que la reconnaissance du travail effectué par les magistrats trouve son expression dans le déroulement des carrières individuelles.
Il s'agit de réparer une injustice constatée par rapport à d'autres grands corps de l'Etat. A cet effet, le présent projet de loi organique aligne le déroulement de la carrière des magistrats judiciaires sur celle des magistrats administratifs et financiers.
Il convient, en outre, de rendre plus attractive la carrière des magistrats judiciaires, dans la mesure où l'institution judiciaire doit être à même de concurrencer, dans son recrutement, le secteur privé et d'attirer à elle les meilleurs éléments pour exercer des fonctions qui sont au coeur de l'impartialité de l'Etat.
Je voudrais aussi rappeler que la justice a fait face, en vingt ans, à une augmentation considérable des contentieux - chacun ici la connaît - alors que les moyens humains n'ont pas été accrus dans des proportions identiques.
C'est pourquoi le Gouvernement a fait de la création des postes de magistrat une des priorités essentielles de la rénovation de l'institution judiciaire qu'il a entreprise. Ainsi est-il prévu, dans le projet de loi de finances pour 2001, la création de 307 postes de magistrat.
En quatre ans, 729 emplois de magistrat judiciaire ont été créés, c'est-à-dire plus que dans la période 1981-1997.
Le premier objectif de la réforme consiste dans la simplification du déroulement de la carrière des magistrats. Il s'articule autour de trois axes principaux.
L'inversion de la répartition des emplois entre le premier et le second grade est le premier axe.
Après la réforme, le grade de base ne comprendra plus que 28 % de l'ensemble des magistrats, contre 58 % aujourd'hui. En revanche, 62 % des magistrats, contre 37 % actuellement, relèveront du premier grade, c'est-à-dire, globalement, près de deux magistrats sur trois.
Cette modification radicale de la structure du corps judiciaire permettra non seulement d'assurer sans délai un déblocage des carrières mais aussi de garantir pour l'avenir un avancement fluide à chaque magistrat jugé digne de l'obtenir.
Le doublement du nombre des postes hors hiérarchie est le deuxième axe.
Il s'agit des plus hauts postes de la magistrature. Leur nombre passera de 349 à 663, pour représenter environ 10 % de l'ensemble des emplois.
Cette « aspiration » vers le haut des carrières aura des retentissements sur la situation de l'ensemble des magistrats. Elle permettra, en effet, de « fluidifier » également les avancements en évitant de recréer, à un niveau supérieur, les obstacles qui sont actuellement ceux du passage au premier grade.
C'est l'objet de l'article 2 de ce projet de loi, qui élève à la « hors hiérarchie » tous les emplois de président de chambre et d'avocat général dans les cours d'appel, offrant ainsi en province des débouchés jusqu'alors presque exclusivement réservés à la région parisienne.
Par ailleurs, la liste des emplois hors hiérarchie dans les tribunaux de grande instance, désormais fixée par décret en Conseil d'Etat en fonction de critères prévus par la loi organique, sera également élargie.
Enfin, la suppression des groupes de fonctions dans le premier grade est le troisième axe de ce premier objectif.
L'article 1er du projet de loi organique supprime cet obstacle que constitue, au sein du grade d'avancement, l'existence de deux groupes, la promotion au groupe supérieur s'effectuant actuellement au choix. Une simplification de même nature était d'ailleurs intervenue dès 1992 pour le grade de base, au sein duquel les groupes avaient été fusionnés.
Concrètement, cela signifie que tous les magistrats du premier grade ont vocation à voir leur classement indiciaire terminal relevé à l'échelle B. D'autre part, l'ancienneté nécessaire pour prétendre à une inscription au tableau d'avancement sera réduite, passant de dix ans à sept ans.
Ainsi, non seulement les magistrats pourront enfin accéder à un statut indiciaire revalorisé, mais encore ils y accéderont plus rapidement et sans les blocages actuels.
A titre indicatif, l'accès à l'échelon terminal B au lieu de l'échelon terminal A représente un gain net mensuel d'environ 3 500 francs par mois, primes comprises, et la fin de carrière au nouveau premier grade représente un gain mensuel de 8 500 francs par mois par rapport à la fin de carrière actuelle du second grade.
Mais cette revalorisation reste subordonnée à la nomination du magistrat dans un nouveau poste, au premier grade ou en hors hiérarchie, et sera, à chacune de ces étapes, assortie d'une exigence de mobilité.
En effet, et c'est le second objectif de la réforme, la mobilité des magistrats est encouragée par de nouvelles exigences statutaires.
La mobilité du corps judiciaire est essentielle. Nécessaire à l'enrichissement du parcours professionnel du magistrat, la mobilité géographique et fonctionnelle est aussi une condition fondamentale de son impartialité. Elle est enfin indispensable à une gestion dynamique de l'institution judiciaire, propre à favoriser les pratiques nouvelles.
Cette nécessaire mobilité est favorisée par deux dispositions de ce projet de loi organique.
L'article 1er prévoit ainsi qu'un magistrat ne pourra être promu au premier grade dans une juridiction où il est affecté depuis plus de cinq ans.
Cette disposition, rapprochée de l'ancienneté minimale de sept ans pour l'inscription au tableau d'avancement, signifie concrètement que, pour accéder à un poste du premier grade, tout magistrat devra avoir changé de juridiction au moins une fois avant la réalisation de son avancement ou effectuer ce changement lors de la réalisation de son avancement.
L'article 3 pose une autre condition de mobilité, cette fois pour l'accès aux emplois hors hiérarchie, puisque nul ne pourra y être nommé sans avoir au préalable occupé deux postes du premier grade dans deux juridictions différentes.
Des mesures transitoires d'application sont naturellement nécessaires ; c'est notamment l'objet de l'article 6 du projet de loi organique, en ce qui concerne l'accès à la Cour de cassation des présidents de chambre et avocats généraux de cour d'appel.
Votre commission des lois a elle-même proposé, par voie d'amendements, d'autres dispositions transitoires ou de clarification des dispositions du texte, à l'esprit desquelles le Gouvernement est tout à fait favorable.
En revanche, d'autres amendements de votre commission des lois sont, à mon sens, étrangers à l'objet du texte aujourd'hui débattu. Je pense, en particulier, aux dispositions qui tendent à modifier la procédure et les sanctions disciplinaires ou encore à limiter la durée de l'exercice de certaines fonctions.
Je tiens, en effet, à rappeler que le texte examiné par votre Haute Assemblée est limité aux dispositions strictement nécessaires à la mise en oeuvre du déroulement de la carrière des magistrats judiciaires. Le Gouvernement a lui-même renoncé à y inclure certaines dispositions, par ailleurs utiles, mais sans lien direct avec l'unique objet de ce projet de loi organique.
Le texte aujourd'hui en discussion ne constitue donc pas un démembrement de l'avant-projet de réforme statutaire élaboré dans la perspective de l'adoption, par le Congrès, du projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature.
Cet avant-projet avait une cohérence, le renforcement de l'indépendance des magistrats et son corollaire en termes de responsabilités, mais aussi la modernisation de la gestion de l'institution judiciaire et l'ouverture, par la diversification de son recrutement, du corps des magistrats.
Je ne pourrai donc, dans ce souci de cohérence, que m'opposer aux amendements de votre commission des lois, mais aussi à ceux qui ont été déposés par MM. Haenel, Gélard, André et par Mme Borvo. J'y reviendrai, rapidement, au cours de la discussion des articles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je mesure aujourd'hui votre « frustration » au regard de la teneur limitée du texte qui vous est proposé. Ce n'est pas une grande réforme du statut de la magistrature. Mais le Gouvernement ne porte pas la responsabilité politique de l'absence de saisine du Congrès.
Cependant, faisons le pari de l'avenir ; dès l'adoption par le Congrès du projet de loi constitutionnelle, nous pourrons travailler ensemble, je le souhaite, à une réforme en profondeur, cette fois du statut de la magistrature.
Je sais aussi que le texte que je vous propose aujourd'hui n'a pas la prétention d'apporter une réponse à l'ensemble des défis auxquels la justice, ou même la seule magistrature, est aujourd'hui confrontée. Mais il doit permettre d'apporter sans retard une solution juste et équilibrée à la situation de blocage que connaît aujourd'hui la magistrature judiciaire. Je ne doute pas que vous partagez cet objectif. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La présentation de ce projet de loi organique, madame le ministre, inaugure, pour notre assemblée, l'aspect le plus éminent des responsabilités législatives dans lesquelles vous succédez à une garde des sceaux dont il me paraît convenable et équitable de saluer le passage à la Chancellerie comme marqué d'une activité intense, inlassable et féconde. (Mme la garde des sceaux opine.)
M. René-Pierre Signé. Très bien !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. A votre tour, vous accédez à ces responsabilités qui sont, dans la République, parmi les plus hautes, les plus délicates et, en ce moment même, les plus difficiles du fait de leur méconnaissance ou de leur insuffisante prise en compte par la plupart des gouvernements depuis des décennies.
Souhaitons que votre expérience des problèmes concrets, votre souci d'un service public digne de ce nom, c'est-à-dire au service des justiciables, permettent aux Français de retrouver, à l'égard de leur justice, une confiance aujourd'hui, et à juste raison, plus qu'affaiblie.
Il est peut-être symbolique que ce texte, dont je tiens à souligner qu'il a été déposé en premier lieu au Sénat, ce dont nous vous remercions, concerne les moyens de la justice, question à laquelle cette assemblée, spécialement sa commission des lois, porte un intérêt contenu, convaincus que nous sommes de ce que les problèmes de la justice sont de l'ordre de la quantité des moyens dont elle dispose et de la qualité de leur mise en oeuvre, infiniment plus que de l'ordre des principes et du perfectionnisme juridiques quelquefois ressentis comme un harcèlement textuel tout à la fois irritant et vain.
Cette loi organique, pour l'essentiel, tend à permettre, par l'extension des catégories supérieures, une progression plus rapide et plus simple des rémunérations des magistrats, spécialement de ceux qui appartiennent aux catégories moyennes et supérieures. Il procède, à cet égard, du souci de mettre en harmonie les rémunérations des magistrats de l'ordre judiciaire avec celles des magistrats des ordres administratif et financier. Le résultat de cette opération, curieusement dénommée « repyramidage » renverse en réalité la pyramide, puisque le second grade, qui correspond au début de carrière, passera de 58 % à 28,3 % de l'effectif, tandis que le premier grade, correspondant au niveau supérieur, passera de 36,9 % à 61,8 %, la catégorie hors hiérarchie passant elle-même de 5,1 % à 9,9 %. Si l'on tient absolument aux comparaisons géométriques, je crois que le corps judiciaire va plutôt ressembler à un losange dont on aurait aplati les deux extrémités ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. Au moins, il ressemblera à quelque chose !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Une autre préoccupation, celle de la nécessaire mobilité des membres de la magistrature, vous a inspirée et vous a conduite à lier l'accès à des fonctions supérieures au changement de juridiction : une fois pour accéder au premier grade, après plus de cinq années dans la même juridiction, deux fois pour accéder au grade « hors hiérarchie ». Par ailleurs, nul ne pourra être promu sur place procureur ou président.
Particulièrement sensible au problème de la mobilité des magistrats, la commission vous proposera, non seulement d'approuver les dispositions du projet de loi organique, mais, en outre, de les compléter afin de parvenir, dans ce domaine, à une réelle efficacité.
Enfin, elle vous proposera de saisir l'opportunité offerte par ce texte pour apporter au régime disciplinaire des magistrats des améliorations de procédure qui paraissent particulièrement souhaitables.
Madame le ministre, nous vous avons entendue nous dire que le texte était d'un objet strictement limité. Permettez-moi de vous faire observer que le pouvoir législatif est le pouvoir législatif, et qu'il ne faut pas lui dire qu'il est strictement limité, sauf à lui donner alors envie de franchir les limites, naturellement ! (Nouveaux sourires.)
Et permettez-moi de vous dire que nous avons déjà vu des cas dans lesquels nous avons franchi ces strictes limites pour introduire des dispositions qui ont été considérées comme tellement bonnes - l'appel des décisions de cours d'assises, par exemple - que votre prédécesseur, quand elle en parlait, les présentait comme les résultats de sa propre action ! C'est dire si elle les avait intégrées. Mais c'était tout de même aller un peu loin.
Sur le premier point, qui est l'essentiel du texte, la commission ne peut que se réjouir de voir le Gouvernement apporter une amélioration assez substantielle, puisqu'elle varie entre 1 500 francs et 4 000 francs par mois - n'ayons pas peur des chiffres, il n'y a aucune honte à cela ! - à la rémunération des magistrats concernés, dont elle connaît et salue les très réels mérites, confrontés qu'ils sont à l'obligation de faire face à la double et irrépressible inflation des litiges et de la législation.
Elle ne peut pas pour autant ne pas s'interroger sur un certain nombre de choix à l'égard desquels elle aimerait connaître les raisons du Gouvernement.
Le premier choix qui pose problème, c'est celui de la priorité donnée à cet aspect particulier des problèmes de fonctionnement de la justice par rapport à d'autres, non moins pressants, qu'il s'agisse, par exemple, du nombre insuffisant des personnels dans tous les domaines, ce qui se traduit par la suppression d'audiences, donc par l'aggravation de retards qui sont d'ores et déjà - j'allais dire depuis des lustres, mais ce sont peut-être des décennies - insupportables et dont on sait maintenant qu'ils équivalent à des dénis de justice, ou qu'il s'agisse, autre exemple, de l'inacceptable sous-rémunération de l'aide judiciaire et juridique.
La grève actuelle des barreaux est un avertissement très grave et nous ne saurions la désavouer. Elle crée une situation qui est une plaie supplémentaire par la suppression du débat oral - puisqu'il paraît que l'on dépose les dossiers sans plaider : où est, alors, le débat oral ? - ou par le renvoi des affaires.
Elle témoigne de la démoralisation d'une profession dont la mission est tout de même indissociable de l'idée de justice et qui, actuellement, se trouve devoir osciller entre la catégorie des avocats dits d'affaires - d'un type relativement anglo-saxon, contre lequel on ne saurait s'insurger, mais qui ne représente tout de même qu'une minorité - et les autres, qui sont en voie de prolétarisation, dans une situation qui n'est pas conforme à la dignité inhérente à la notion même de défense, si essentielle à un Etat de droit.
Que penser, dès lors, de la priorité choisie par vous et du signal ainsi donné par le Gouvernement en direction des uns, alors que les autres sont aimablement priés d'attendre ?
Dans le cadre d'une telle priorité, que penser, par ailleurs, de l'emploi fait des sommes dégagées ? Vous avez rappelé qu'il s'agissait de 177 millions de francs en année pleine.
Le Gouvernement propose de consacrer entièrement ces sommes aux catégories moyennes et supérieures. La rémunération des magistrats débutants, qui oscille entre 15 000 francs pour la première année et 20 000 francs au bout de cinq ans, n'est pas modifiée, alors qu'il s'agit des magistrats qui supportent, comme le dit La Fontaine, le poids du jour, c'est-à-dire souvent de lourdes charges à l'instruction, au parquet, dans les tribunaux d'instance. N'y a-t-il pas là quelque chose de singulier et même, oserai-je dire, avec une pointe de malice et eu égard aux orientations officielles du Gouvernement, de paradoxal, puisque les basses rémunérations ne sont pas améliorées alors que les hautes rémunérations bénéficient d'une augmentation.
La manne ainsi annoncée n'aurait-elle pas dû, comme cela s'est d'ailleurs passé dans la Bible, se répartir de manière égale sur l'ensemble du corps, en proportion, bien entendu, de la situation de chacun ?
Une autre conception nous aurait semblé encore plus appropriée : elle aurait consisté à porter les augmentations sur les primes qui correspondent à un surcroît de responsabilité ou à des sujétions exceptionnelles, quelquefois tout à fait exorbitantes. Je pense, par exemple, à l'obligation au parquet ou à l'instruction d'assumer des permanences qui ne font l'objet d'aucune compensation. Je pense également aux primes pour encourager les déménagements et les changements de juridiction.
C'est une erreur affectée par certains, mais qui n'est pas pour rien dans l'abaissement de la qualité du service public, que de supposer égaux les mérites de tous les agents d'une catégorie déterminée, alors que nul ne peut ignorer sérieusement qu'il y a des postes plus difficiles, comme il y a des agents plus actifs, plus dévoués. Faire semblant de l'ignorer n'est pas agir en faveur d'une amélioration du service public. Mais, de cela, qui se soucie ? Vous, je l'espère, madame la ministre.
Ces considérations auraient pu conduire la commission des lois du Sénat à modifier de fond en comble - c'est le cas de le dire ! - l'économie du projet de loi. Si elle ne l'a pas fait, ce n'est pas seulement par suite de la difficulté technique d'y procéder. C'est essentiellement parce que nous avons considéré que ces questions, en l'occurrence la rémunération des différentes catégories de fonctionnaires, étaient de l'ordre des responsabilités du Gouvernement et donc de nature réglementaire, même si formellement et parce qu'il s'agit de la justice la consécration législative organique est tout de même nécessaire.
Dès lors, nous proposons à nos collègues d'approuver le dispositif présenté par le Gouvernement sans pour autant souscrire aux options qu'il présuppose et dans l'attente des explications qui pourront être apportées par la poursuite du débat.
La question de la mobilité des magistrats, qui constitue le second point, nous paraît non moins importante en un temps où se manifeste une certaine régionalisation - j'aurais tendance à dire une certaine « provincialisation » - de la magistrature.
Cette régionalisation dont les causes sont connues et, au demeurant, humainement compréhensibles, bien entendu, est en elle-même fondamentalement contraire à l'unité de la République. Elle est aussi contraire à l'indépendance, dans la mesure où, comme le Conseil supérieur de la magistrature l'a souligné dans son dernier rapport, « un magistrat doit éviter de se fixer de longues années dans une même juridiction, et ainsi de s'exposer au risque de la routine, ou de compromettre son indépendance et son impartialité par une insertion devenue trop confortable dans l'environnement ». On ne peut pas mieux dire !
Les mesures inscrites dans le projet de loi sont certes intéressantes et opportunes. Leur effet sera cependant limité dans la mesure où, d'une part, le Conseil supérieur de la magistrature a d'ores et déjà intégré dans ses choix l'exigence d'une certaine mobilité et où, d'autre part, ces dispositions qui concernent l'avancement n'empêcheront pas un trop grand nombre de magistrats de demeurer toute leur carrière dans la même région, voire dans la même agglomération.
Il est dès lors nécessaire de s'interroger sur la possibilité, à tout le moins, de limiter dans le temps la durée pendant laquelle un magistrat pourra occuper le même poste, du moins lorsque celui-ci correspond à une fonction particulière, telle que chef de juridiction ou responsable de fonctions spéciales comme la formation de juge d'instruction.
Il y a longtemps que le Sénat, comme le Gouvernement d'ailleurs, cherche une solution à ce problème.
Déjà, en 1996, le rapport de la mission sur les moyens de la justice, présidée par notre excellent collègue M. Jolibois, qui a le grand chagrin de ne pas être des nôtres ce soir mais qui pense certainement à nous, indiquait, sous ma plume d'ailleurs (sourires) : « Est-il souhaitable, est-il possible d'envisager l'instauration d'une mobilité obligatoire au terme de quelques années passées dans un poste ? » On parlait à l'époque de tous les cinq ans, chiffre que l'on a retrouvé dans un projet du Gouvernement. « Une telle obligation permettrait notamment de donner plus rapidement un caractère effectif à la suppression d'un poste et de pourvoir plus rapidement le poste redéployé. Une telle mobilité pourrait ne pas être contraire au principe de l'inamovibilité, dans la mesure où celui-ci a pour objet de protéger l'indépendance morale des magistrats en les mettant à l'abri contre des mesures arbitraires individuelles. Il ne devrait pas conduire à les rendre en quelque sorte propriétaires de leur poste. Aussi bien, l'institution du Conseil supérieur de la magistrature et sa récente réforme ont-elles fait cesser tout risque sérieux de cette nature. L'inamovibilité ne saurait aboutir à faire renaître une forme nouvelle de patrimonialité des charges. »
De son côté, le Gouvernement avait inscrit une disposition tendant à limiter dans le temps l'exercice de certaines fonctions au sein d'une même juridiction dans son avant-projet de loi organique de décembre 1999.
Cela nous conduit donc à proposer une telle limitation, que nous avons arrêtée au chiffre de sept années, qui a paru raisonnable à la commission, une durée de cinq années nous semblant un peu brève. Mais le débat ne porte pas essentiellement sur cette question.
Enfin, la commission a considéré qu'il convenait, à l'occasion de l'examen d'un texte relatif à la condition des magistrats - et qui aura tout de même pour effet d'améliorer sensiblement celle-ci - de s'intéresser à la déontologie, et ce dans une double démarche : d'une part, améliorer la procédure des poursuites disciplinaires ; d'autre part, et du même coup, clarifier la notion de responsabilité des juges, qui prête actuellement, spécialement dans la presse et dans l'opinion publique, à de graves erreurs d'interprétation qu'il convient de tirer au clair et de rectifier.
Les améliorations de la procédure disciplinaire proposées par voie d'amendement procèdent directement des suggestions du Conseil supérieur de la magistrature, reprises d'ailleurs par l'avant-projet de loi organique de décembre 1999 ; nous n'avons donc rien imaginé.
Il s'agit de confier la saisine du Conseil supérieur de la magistrature, instance disciplinaire des magistrats du siège, non seulement au ministre mais aussi et directement aux premiers présidents de cour d'appel, qui verraient ainsi leurs responsabilités affirmées en même temps que seraient dissipés des doutes inévitables sur l'efficacité et l'impartialité du système actuel de la saisine par le garde des sceaux, à laquelle il n'est d'ailleurs pas porté atteinte.
Il s'agit également d'introduire une nouvelle sanction intermédiaire dans la gamme actuelle des sanctions, qui manque de souplesse.
Il s'agit, enfin, de consacrer le caractère public des audiences disciplinaires, qui correspond d'ores et déjà à la pratique du Conseil supérieur de la magistrature et qui répond aux exigences de la Cour européenne des droits de l'homme.
A cette occasion et formulant de telles propositions, la commission souhaite dissiper les ambiguïtés qui accompagnent la notion de responsabilité des juges, puisqu'on entend dire ou on lit qu'ils doivent enfin être responsables et qu'ils doivent répondre de leurs décisions.
Il nous paraît nécessaire de rappeler que les décisions régulièrement prononcées par les autorités de justice ne sauraient en tant que telles et en principe engager la responsabilité de leurs auteurs quant aux dommages qu'elles peuvent causer. Ce principe, inhérent à la notion même d'autorité judiciaire, exclut la possibilité pour les « victimes » d'une décision judiciaire - c'est-à-dire tous ceux qui perdent en totalité ou en partie leur procès : et, par hypothèse, il y en a toujours à peu près un sur deux - de mettre en cause la personne même auteur de cette décision. Leur recours ne peut porter que sur la décision elle-même et emprunter normalement le chemin des voies de recours, au demeurant très complètes, qui leur sont offertes et que le développement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme vient encore de renforcer. Exceptionnellement, la responsabilité de l'Etat, non la responsabilité personnelle du magistrat, peut être mise en cause.
Dans son rapport pour l'année 1999, le Conseil supérieur de la magistrature a fort bien rappelé ces principes en annonçant quelques pistes de réflexion dans lesquelles il conviendra sans doute un jour de s'engager, sans se faire cependant trop d'illusions sur la possibilité d'organiser une sorte de prise à partie personnelle des juges, qui serait désastreuse.
Telles sont, mes chers collègues, les conditions dans lesquelles votre commission vous invite à approuver et à compléter le présent projet de loi. ( Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR - M. Michel Charasse applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, à cette heure et compte tenu de la nature du sujet, je préfère aux charmes de l'éloquence attique la concision spartiate.
Madame le garde des sceaux, soyez félicitée d'avoir soumis aussi vite à notre examen ce projet de loi que nous devons au premier chef à votre « prédécesseur ». Je ne sais pas comment on écrit ce mot au féminin. Peut-être avec un « e » ? (Sourires.)
En tout cas, ce projet de loi comporte, s'agissant de la carrière des magistrats, et non des moyens matériels, d'indiscutables avancées. J'en dénombre trois.
La première, c'est la simplification, et s'agissant du statut de la magistrature on peut dire que ce n'est jamais vain. La gymnastique intellectuelle du II-1 au I-2 a toujours laissé perplexes ceux qui n'en ont pas été les praticiens quotidiens. (M. le rapporteur sourit.) Je me souviens, lorsque j'avais le privilège de diriger un institut d'études judiciaires, qu'à la simple question : « Pouvez-vous me situer dans l'échelle hiérarchique la position d'un conseiller de cour d'appel de province ? », un long silence et des yeux égarés étaient généralement la seule réponse que j'obtenais.
Donc, c'est fort bien. Nous vivrons désormais dans le régime des grades, sans les groupes. Chacun s'en trouvera mieux.
Je ne me suis pas interrogé sur les formes géométriques qui appellent chez notre ami et excellent rapporteur M. Fauchon des comparaisons du style Picasso. Je me suis demandé s'il ne serait pas bon - je livre cette question à votre réflexion - de trouver une autre qualification pour le sommet de cette pyramide. Le « hors hiérarchie » dans un corps qui déteste la hiérarchie ne me paraît pas la meilleure dénomination possible ! Ouvrons le concours. Je suis assuré qu'il y aura, à cet égard, un effort d'imagination. Notre ami M. Michel Charasse n'en manquera pas, j'en suis convaincu.
Les choses étant ce qu'elles sont, c'est fort bien, nous simplifions. On ne peut que s'en féliciter.
La deuxième avancée, ce n'est pas indifférent, est l'amélioration des traitements. C'est bien. L'élargissement de la catégorie « hors hiérarchie » et du grade I ne manquera pas d'améliorer la situation.
Il est bon, dans cette partie du corps, de faire en sorte qu'il n'y ait pas de distinction désagréable, et notamment au regard des magistrats de l'ordre administratif. Cependant, je considère que le traitement des magistrats qui commencent leur carrière est insuffisant.
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
M. Robert Badinter. Leur salaire est de quelque 15 000 francs par mois en début de carrière. Or les magistrats instructeurs ou les juges de l'application des peines sont appelés à exercer de très lourdes responsabilités. Ils assurent une fonction difficile et souvent angoissante. Il faut donc reconsidérer cette question, quelles que soient les modalités que nous retiendrons. Notre excellent rapporteur en a mentionné quelques-unes. Il faut trouver le moyen d'améliorer la condition de ces magistrats. Il n'est pas bon qu'après tant d'années d'études, qu'à leur sortie de l'Ecole nationale de la magistrature ils perçoivent une rémunération de cet ordre.
Enfin, la troisième avancée, c'est la mobilité. Certes, l'inamovibilité est, depuis Napoléon Ier, la première garantie d'indépendance des magistrats du siège. Cependant, inamovibilité n'a jamais voulu dire immobilité. On le sait, on l'écrit, les commentateurs et les maîtres de la doctrine se plaisent à le répéter ; je n'y reviens donc pas.
Il est certain que la liaison entre avancement et mobilité ne heurte pas la Constitution. Je me souviens d'une décision, en date du 21 février 1992, me semble-t-il, relative à cette question. Dans ces conditions et au regard du texte que vous nous proposez, il n'y a pas lieu d'avoir d'inquiétude quant au respect du principe de l'inamovibilité des magistrats du siège.
Nous aurons cependant l'occasion, tout à l'heure, de nous interroger sur cette question quand viendra en discussion l'avancée que M. le rapporteur proposera. J'y reviendrai : je ne suis pas aussi assuré que je viens de le dire de la constitutionnalité de ce qui nous sera soumis.
Simplification, amélioration de la condition, même si elle n'est pas suffisante, plus grande mobilité : voilà autant de progrès qu'il faut souligner.
Je me plais à vous indiquer, madame le garde des sceaux, que nous voterons ce projet de loi ; mais, indépendamment des adjonctions qui sont évoquées, nous le ferons avec une sorte de nostalgie : où est le texte de la révision constitutionnelle, navire échoué dans des eaux mortes, sans que nous en comprenions bien la raison ?
Je souhaiterais que, avant la fin de la législature et le terme de la présente cohabitation, et puisque les deux assemblées ont voté dans les mêmes termes le même texte et que la magistrature, à juste titre, l'appelle de ses voeux, comme le feraient les justiciables s'ils étaient réellement au fait de ces questions, nous en finissions et que nous ayons le plaisir, madame le garde des sceaux, de vous retrouver ce jour-là à nos côtés au Congrès. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. Michel Charasse. J'applaudis Robert Badinter, mais pas le Congrès !
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique qui est soumis à notre délibération tend à simplifier et à revaloriser le déroulement des carrières ainsi qu'à encourager la mobilité des magistrats.
Ce texte apparemment technique répond à une légitime attente du corps judiciaire qui se retrouvait, du point de vue des carrières, dans une situation proche de celle des années soixante. A cette époque, les perspectives de carrière des magistrats étaient bouchées, résultat de la combinaison de la pyramide des âges et de la structure hiérarchique engorgée du corps judiciaire.
Il était urgent et juste - nous devons le dire solennellement aujourd'hui - de donner aux magistrats un statut et une carrière à la hauteur des missions assignées à la justice et correspondant aux charges de travail et aux responsabilités de plus en plus lourdes des magistrats. L'arbitrage obtenu peut même étonner par son ampleur.
Mais ce texte aurait mérité, aurait dû, pour avoir tout son sens et sa visibilité, s'insérer dans une réforme plus vaste du statut des magistrats tant du siège que du parquet. Le Parlement, l'opinion publique, les magistrats auraient eu une plus grande visibilité de ce que doit être le devenir du magistrat dans la société moderne. C'est ce travail d'ensemble qui était nécessaire : il aurait fallu un beau et un grand texte refondateur de la légitimité et du pouvoir du magistrat, qu'il soit juge ou parquetier.
Nous aurions dû travailler ensemble sur le thème : quelles missions assigner à la justice ? Qu'est-ce qu'un magistrat ? Quels sont ses droits mais aussi ses devoirs et ses reponsabilités ? Qu'est-il en droit d'attendre de la société, et la société, qu'est-elle en droit d'attendre de lui ? Il aurait fallu retravailler sur la source de la légitimité des magistrats, sur leur imperium et donner tout son sens à la formule symbolique que l'on oublie si souvent : « au nom du peuple français », qui précède chaque décision et la non moins fameuse formule, dite exécutoire : « la République française ordonne ». Il est donc dommage que nous n'ayons pas entamé cette réflexion à cette occasion.
Que le rapporteur, mon excellent collègue Pierre Fauchon, me permette de lui dire que ses observations m'ont paru particulièrement pertinentes. Je partage ses interrogations et ses suggestions, et je voterai les amendements de la commission.
Après ces considérations, vous comprendrez, madame la ministre, que, dans ces conditions, je m'en tienne au texte et que je me contente donc, dans cette intervention, d'aborder quelques questions concrètes et précises.
Revenons-en donc à la véritable dimension de ce texte pour dire qu'on ne peut que souscrire à l'objectif poursuivi. En effet, on peut constater depuis plusieurs années un blocage structurel de l'avancement des magistrats, tant du siège que du parquet, et à tous les niveaux de la hiérarchie. Le signe le plus manifeste résulte de l'accroissement constant du nombre de magistrats inscrits au tableau d'avancement. Selon l'étude d'impact réalisée par la Chancellerie, ce nombre est ainsi passé de 477 en 1992 à 589 en 1994, à 674 en 1996, à 799 en 1998 et à 1 132 en 2000, soit environ un sixième du corps.
Autant on peut souscrire à la nécessité de revaloriser le déroulement des carrières des magistrats, autant, je le répète, on peut regretter que nous n'ayons pas profité de l'occasion, madame la ministre, pour remettre cette réforme en perspective. Celle-ci n'a pas l'ampleur qu'on aurait pu souhaiter. Les propositions d'amendements de la commission des lois vont bien sûr l'étoffer - encore que vous ayez dit qu'il n'était pas question d'amendement, madame la ministre -, notamment en ce qui concerne un renforcement des exigences de mobilité déjà contenues dans le texte et une amélioration du régime disciplinaire.
Je souscris totalement à la proposition de M. le rapporteur d'étendre aux présidents des cours d'appel le pouvoir de saisine du Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, actuellement réservé au garde des sceaux, comme je souscris également à un amendement tendant à compléter l'échelle des sanctions disciplinaires applicables aux magistrats ainsi qu'à l'amendement qui pose le problème de la publicité des audiences disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature.
Il est aussi tout à fait souhaitable d'accroître les possibilités de recrutement des conseillers à la Cour de cassation en service extraordinaire. De l'avis même du Premier président de la Cour de cassation, ce recrutement est particulièrement satisfaisant et utile.
Il faudra encore, madame la ministre, examiner de toute urgence le problème du statut et de la carrière des collaborateurs de magistrat, et donc de l'ensemble du personnel des greffes. On peut considérer que ce gouvernement, ou un autre, doit nécessairement envisager d'une manière plus générale - cela ne dépend pas que de vous - de reconsidérer fondamentalement les rémunérations et les carrières de tous les agents de l'Etat qui sont au coeur des fonctions régaliennes et qui, chaque jour, font face à tous les problèmes de sécurité se posant au coeur de nos cités et, de plus en plus, jusque dans les zones rurales les plus profondes. Je pense à cet égard notamment aux policiers et aux gendarmes, aux personnels de l'administration pénitentiaire, à tous ces agents de l'Etat dont les difficultés de travail ne peuvent se comparer avec celles des agents au rôle purement administratif.
Je ferai une autre parenthèse. Lors des tournées que j'ai effectuées dans les juridictions au cours des derniers mois en ma qualité de rapporteur spécial des crédits du budget de la justice, j'ai pu demander aux magistrats que je rencontrais leur avis sur cette réforme.
A mon grand étonnement, j'ai constaté qu'ils en avaient plus ou moins entendu parler, même si une lettre personnelle leur a, paraît-il, été adressée. Je me demande si cette dernière ne leur a pas été envoyée en même temps que leur bulletin de paie, et s'ils n'ont pas cru qu'il s'agissait d'un prospectus ! (Sourires.) En tout cas, je tiens à vous dire, madame la ministre, que j'ai été très étonné par leur manque d'information sur cette réforme.
Ceux qui connaissent un peu le projet se demandent ce qu'il adviendra des dispositions à la suite du face à face entre le Conseil supérieur de la magistrature et la direction des services judiciaires, s'agissant de la mise en oeuvre.
En effet, il est un problème qui n'a pas été abordé dans le texte législatif lui-même - mais ce n'était pas le lieu pour le faire - et auquel vous devrez nécessairement répondre, madame la ministre : celui de la méthode que vous envisagez de mettre au point pour appliquer le mieux possible et le plus vite possible l'ensemble des dispositions qui seront nécessairement votées par le Parlement. Comment allez-vous porter à la connaissance des magistrats les modalités d'application de cette réforme ? Y aura-t-il des avancements sur place pour ceux qui auront plus de deux ans de fonction et moins de cinq ans, etc ? Il y a en effet des « on dit » - on dit : « le Conseil supérieur de la magistrature exige que... » - mais ce n'est jamais écrit nulle part.
La gestion des ressources humaines en magistrats par la direction des services judiciaires et le Conseil supérieur de la magistrature est de plus en plus complexe et de plus en plus lente - madame la ministre, il faudrait que vous examiniez ce point de près -, ce qui explique notamment que certaines juridicitons, comme j'ai pu le constater, attendent de nombreux mois avant de voir pourvus des postes devenus vacants. La direction des services judiciaires - que M. le directeur des services judiciaires me pardonne de dire cela - est incapable, en instantané, d'indiquer quels magistrats occupent les postes dans telle ou telle juridiction, de connaître le profil de ces magistrats, leurs desiderata et si un mouvement les concernant est prévu ou non. Je pense que les techniques informatiques actuelles devraient permettre d'y parvenir.
Et Mme la ministre - en tout cas au moins M. le directeur des services judiciaires - devrait avoir sur son bureau un ordinateur lui permettant de savoir en instantané quel magistrat occupe quel poste.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. J'en ai un !
M. Hubert Haenel. En tout cas, j'ai pu constater, lors des contrôles que j'ai effectués, en tant que rapporteur spécial du budget de la justice, dans les ressorts des cours d'appel de Reims, de Paris, et particulièrement dans les tribunaux de grande instance de Bobigny et d'Evry-Corbeil, que les magistrats ne le savent pas et se plaignent de cette situation.
Comment expliquer, madame la ministre, que deux postes de haut magistrat - pour ne prendre que cet exemple, mais je pourrais en citer des dizaines et des dizaines d'autres - celui de procureur général à Reims, libre depuis le 1er juillet, date normale de départ à la retraite de son titulaire - c'était donc prévisible depuis des mois - et celui de Colmar, libre depuis le départ à la retraite de son titulaire au 1er septembre, départ annoncé au Journal officiel depuis le début de cette année, ne soient toujours pas pourvus ? Et qu'on ne vienne pas imputer ces errements à la cohabitation !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Ah non !
M. Hubert Haenel. Je ne pense pas, en effet, qu'il s'agisse de postes particulièrement sensibles !
Ce sont des postes importants qui relèvent, bien sûr, de la formalité du décret en conseil des ministres et qui échappent donc à l'avis du Conseil supérieur de la magistrature et à la procédure de la transparence. On ne peut donc pas se retrancher derrière les prétextes de la transparence et des réclamations !
Est-il concevable madame la ministre, que des postes de préfet ou tout autre poste relevant de la désignation en conseil des ministres restent vacants aussi longtemps ?
Je souhaiterais, madame la ministre, que vous examiniez cette question et que vous puissiez me répondre sur le fond à l'occasion de l'examen des crédits de votre ministère. Je ne manquerai pas de reformuler, le lundi 11 décembre au matin, la même question à l'occasion du vote du budget.
Puisque nous examinons le statut, il y a une autre question qui mériterait réflexion et débat : celle de ces magistrats qui entrent dans les « affaires », comme l'a stigmatisé récemment un article paru dans un grand hebdomadaire, Le Nouvel Observateur , pour ne pas le nommer. Je vous renvoie donc à cet article, en date des 6 et 12 juillet dernier, qui dénonçait cet état de fait et se posait la question de savoir si ces sociétés qui embauchent à tour de bras des magistrats avaient pour seule motivation que ces hommes et femmes de loi leur permettent de rester vertueuses. Je me pose en tous cas la question.
Dans le même ordre d'idées, j'ai toujours été étonné que l'on laisse des magistrats devenus parlementaires faire un usage parfois abusif des anciennes fonctions qu'ils occupaient dans des affaires pointues, délicates et médiatisées.
M. Michel Charasse. M. Jean-Pierre !
M. Hubert Haenel. Il y a un mélange des genres préjudiciable à la fois pour le corps de la magistrature et pour le Parlement, une confusion des genres qui peut troubler l'opinion publique. Madame la ministre, lorsqu'au journal télévisé de vingt heures ces magistrats-là, devenus parlementaires, que ce soit parlementaires européens ou députés - il n'y en a pas parmi les sénateurs, jusqu'à présent -, s'expriment, on ne sait si c'est au nom de leur corps d'origine ou en tant que députés de la majorité ou de l'opposition - je ne fais pas de différence !
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Hubert Haenel. J'en termine là-dessus, mais il faudra un jour aborder la question au fond. On ne peut pas laisser les choses en l'état.
Autant la mobilité et les détachements sont nécessaires et salutaires, autant je me demande s'il n'y a pas cependant une réflexion à mener pour resserrer le dispositif statutaire qui impose aux magistrats, qu'ils soient dans les cadres ou hors cadre, une stricte obligation de réserve. Je crois savoir - vous pourrez le vérifier - que, dans le statut de la magistrature, il est prévu que le fait de devenir parlementaire n'empêche pas que l'on reste tenu vis-à-vis de l'Etat à une certaine obligation de réserve.
M. Michel Charasse. Absolument !
M. Hubert Haenel. Il faudrait de temps en temps le rappeler !
M. Michel Charasse. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Haenel ?
M. Hubert Haenel. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Charasse, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Michel Charasse. Je souhaite rappeler que, dans des circonstances analogues, le statut des militaires, et donc le devoir de réserve des militaires, a été en son temps appliqué au général Stehlin, qui était pourtant député.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Haenel.
M. Hubert Haenel. Madame la ministre, il faudra donc, un jour ou l'autre, vous pencher sur ce sujet.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Oui !
M. Hubert Haenel. Envisagez-vous de prendre des initiatives pour remédier à cet état de fait ?
Un autre point sur lequel j'aurais souhaité une complète information concerne les modifications apportées au code de l'organisation judiciaire. Je n'ai pas déposé d'amendement sur ce point, mais les contrôles que j'ai effectués m'ont permis de constater que certaines dispositions de ce code sont de nature législatives, et d'autres de nature réglementaires, décrets simples, décrets en Conseil d'Etat, voire circulaires.
La réforme du code de l'organisation judiciaire modifie la répartition et l'étendue des pouvoirs des chefs de cour sur les juridictions de leur ressort. Elle distingue pour la première fois la gestion administrative de l'administration judiciaire des juridictions. Alors que, jusqu'ici, le code de l'organisation judiciaire avait limité ces pouvoirs à une fonction d'inspection des chefs de cour, le projet rend ces derniers responsables de la gestion et de l'administration judiciaire, pour ne citer que cet exemple.
De nombreux magistrats, que j'ai entendus sur ce point, regrettent que le projet de réforme du code de l'organisation judiciaire, dont nous ne sommes pas saisis tout simplement parce qu'il ne relève pas, pour la plupart de ses dispositions, de la compétence du législateur, s'inscrive dans une logique hiérarchique peu opérationnelle.
Il paraît donc indispensable de compléter l'architecture de la déconcentration par la définition dans le même texte des pouvoirs et responsabilités des chefs de juridiction du premier degré.
Il me semble, madame la ministre - et vous me direz, là encore, que je suis hors sujet -, qu'un débat pourrait être un jour organisé devant le Parlement, car celui-ci est en droit de connaître vos réponses sur toutes les questions relatives à l'organisation judiciaire. Et je ne parle pas de la carte judiciaire !
Une autre question mériterait à elle seule un débat, ou tout au moins une audition.
D'après les informations parues dans la presse, votre prédécesseur a fait passer au crible près de 200 juridictions pour vérifier si les procureurs de la République et les procureurs généraux appliquaient bien les consignes ministérielles, non pas individuelles...
M. Michel Charasse. Les instructions générales !
M. Hubert Haenel. Oui !
Or il semble que ce ne soit pas toujours le cas et que certains magistrats auraient fait valoir, lors de cet audit, que, débordés, ils regrettaient même de devoir rendre des comptes trop souvent et en temps réel à leur hiérarchie, donc au ministère.
L'étude dont il s'agit a été présentée comme un véritable audit de la politique pénale, destiné à mesurer l'efficacité des directives ministérielles, ce qui est très important. Pourquoi le Parlement n'a-t-il pas été destinataire des résultats de cette étude et pourquoi un débat, au moins en commission des lois, ne pourrait-il pas être organisé sur ce sujet qui nous concerne au premier chef puisqu'il s'agit d'appliquer la loi pénale ?
A l'occasion de mes contrôles, j'ai pu constater que les magistrats du parquet sont de plus en plus souvent sollicités - politique de la ville, traitement en temps réel et, à compter du 1er janvier prochain, loi sur la présomption d'innocence - et soumis à un rythme de travail « ahurissant », selon les propres mots du président de l'Union syndicale de la magistrature. Leur charge de travail a augmenté d'un tiers en cinq ans !
On peut d'ailleurs, à cette occasion, se demander si les fonctions de magistrats du parquet et du siège, du fait de la différence de nature des charges, ne vont pas de plus en plus se séparer.
Il m'a été dit et soutenu - est-ce vrai ? Vous pourrez peut-être nous répondre, madame la ministre - que, de plus en plus, les magistrats, quand ils le peuvent, s'éloignent des fonctions du parquet.
Il y aurait aussi lieu de traiter et il me semble qu'il y a là urgence, l'ensemble des questions relatives à l'accès à la Cour de cassation et au fonctionnement de cette juridiction.
La commission des lois aborde ces questions sous l'angle d'une augmentation du nombre des conseillers en service extraordinaire, mais il me semble qu'il faudrait aussi prévoir que la Cour de cassation puisse bénéficier de postes d'assistants de justice. Le texte actuel ne prévoit pas la présence de tels assistants de justice au sein de cette haute juridiction. Vous avez certes imaginé un dispositif, madame la ministre, mais il ne me paraît quand même pas très clair.
Il y a aussi le problème du tarissement possible - lié au texte - du vivier provincial de recrutement de la Cour en conseillers, du fait de l'alignement des carrières de président de chambre à Paris et de président de chambre de cour d'appel de province.
Pensez-vous que des magistrats de chambre de province, qui seront tous classés hors échelle lettre C, donc hors hiérarchie, vont se porter candidat aux fonctions de conseiller à la Cour de cassation ? J'en doute ! Nous reviendrons donc aux errements du passé, où seuls les présidents de chambre de Paris constituaient le vivier permettant de pourvoir ces postes relevant de l'initiative du Conseil supérieur de la magistrature.
Les mêmes questions valent pour les conseillers référendaires, qui constituent l'ossature des chambres, au dire des présidents de chambre de la Cour de cassation et de son Premier président.
A partir du moment où l'on bouleverse l'ensemble du corps judiciaire, il me paraît nécessaire de rebâtir une hiérarchie d'emplois à la Cour de cassation. Il ne faut pas que cette dernière soit en décalage ou en déphasage par rapport à la réforme !
Il serait donc peut-être nécessaire, finalement, d'avoir trois catégories de conseillers référendaires - deuxième grade, premier grade, comme c'est le cas aujourd'hui, et des postes hors hiérarchie à créer, même si le mot « hiérarchie » est peut-être à supprimer - et prévoir, bien sûr, la nécessaire mobilité pour accéder aux fonctions de conseiller.
Toujours à propos de la Cour de cassation, il est nécessaire de prendre des mesures drastiques pour liquider les stocks, afin de revenir à un fonctionnement normal. Mais je reviendrai sur ce point à l'occasion de l'examen des crédits du ministère de la justice.
Il y aurait encore bien d'autres questions à poser à propos du fonctionnement de la Cour de cassation, mais elles relèvent, il est vrai, du code de procédure civile plus que d'une loi organique relative au statut.
Il me paraît urgent, madame la ministre, qu'en liaison avec le Premier président de la Cour de cassation et le procureur général près ladite cour vous meniez rapidement une réflexion d'ensemble sur cette juridiction et formuliez d'ici à l'été des propositions de réforme. Il ne faut pas attendre, et cela ne dépend pas de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature !
Si la chancellerie devait à nouveau « botter en touche », alors, comme l'a dit M. le rapporteur, le Sénat devrait se substituer à elle et prendre le relais. Il en a les moyens...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Et le devoir !
M. Hubert Haenel. ... et il l'a déjà démontré.
Permettez-moi encore une question, madame la ministre - ce sera la dernière -, que je formulerai en ma qualité de président de la commission d'harmonisation du droit local en vigueur dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, c'est-à-dire au nom de nombreuses catégories de parlementaires, de tous horizons politiques.
Pouvez-vous indiquer au Sénat si vous envisagez de prendre en considération, à l'occasion de cette réforme, la situation des juges du Livre foncier en fonction dans les ressorts des cours d'appel de Colmar et de Metz ?
Avec votre réforme, une partie des emplois de juge sera élevée au premier grade et la fonction pourra être exercée aussi bien au premier qu'au second grade. Il me semble donc que certains emplois de juge du Livre foncier localisés dans les villes les plus importantes pourraient être élevés au premier grade. Peut-être me direz-vous ce que vous en pensez, madame la ministre ?
Voilà, madame la ministre, quelques simples questions liées directement ou indirectement à la carrière des magistrats et à leur statut. Mais il y a en aurait, certes, bien d'autres !
Une fois encore, on peut regretter que ces questions tout à fait légitimes d'amélioration de carrière n'aient pas été traitées en même temps que celles qui sont relatives au statut.
J'ajoute que le fait que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature n'ait pas été votée en début d'année n'est pas la seule explication possible. Au demeurant, je faisais partie de ceux qui souhaitaient qu'elle soit adoptée. Quoi qu'il en soit, je pourrais vous indiquer des pans entiers de réforme qui pouvaient être engagés sans qu'il soit nécessaire de modifier les dispositions de l'article 64 de la Constitution !
A la limite, madame la ministre, en vous entendant tout à l'heure, je me demande si j'aurais dû intervenir à la tribune du Sénat : à quoi bon un débat parlementaire si vous nous proposez un contrat d'adhésion ? Selon vous, nous devrions voter ce texte conforme, un point c'est tout.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je n'ai jamais dit cela !
M. Hubert Haenel. En matière de justice, cette attitude me paraît singulière. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas avoir utilisé une autre procédure législative, celle des ordonnances ?
Je le constate, quel que soit le gouvernement, et depuis bientôt quinze ans que je suis parlementaire, dans le domaine judiciaire comme dans bien d'autres domaines, ce n'est jamais le bon moment pour faire des réformes. Celles-ci se font toujours à la va-vite, sous la pression de la rue ou à l'occasion d'élections. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet qui nous est proposé a un double objet. Il vise d'abord à améliorer le déroulement de la carrière des magistrats et, par ricochet, leur niveau de rémunération, l'avancement de nombre d'entre eux se trouvant bloqué faute de postes disponibles ; il favorise ensuite la mobilité, en l'érigeant en condition indispensable pour l'avancement.
Ce texte a donc une vocation essentiellement pragmatique et technique : il s'agit d'apporter une réponse concrète à une situation objective qui aboutit, on le sait, à démotiver et scléroser le corps.
Cette réforme, qui permet d'aligner la carrière des magistrats de l'ordre judiciaire sur celle des juges administratifs et financiers, est, me semble-t-il équitable et indispensable si l'on veut bien se rappeler que le corps judiciaire devrait se trouver confronté dans les prochaines années à des départs nombreux, sinon massifs, à la retraite : il ne faudrait pas qu'une carrière moins attractive décourage les éventuels postulants, sachant qu'il en manque déjà beaucoup !
Cette réforme utile reçoit le large agrément des organisations professionnelles représentatives, comme je l'ai constaté. Elle a également la faveur des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen.
La réforme était-elle prioritaire ? C'est une des questions qui nous est posée par M. Fauchon dans son rapport.
J'avoue ne pas bien comprendre le sens de la critique, tant il est vrai qu'elle pourrait s'appliquer à beaucoup de textes que nous adoptons. Sans vouloir faire de mauvais procès, dans un autre registre, la réforme du quinquennat présidentiel a pu sembler incongrue face à d'autres priorités !
On a évoqué aussi l'aspect catégoriel de la réforme en évoquant les difficultés de fonctionnement de la justice au quotidien. Pourtant, il me semble que ces deux éléments sont inextricablement liés et que les opposer l'un à l'autre n'a pas de sens : il ne s'agit pas de faire l'un contre l'autre, mais l'un avec l'autre, tant il est vrai que toute amélioration statutaire des magistrats ne peut que servir la justice au quoditien et que, inversement, toute revalorisation des moyens servira logiquement le corps judiciaire. Nous aurons évidemment l'occasion d'en parler lors de la discussion budgétaire !
M. le rapporteur a néanmoins posé une vraie question, que j'avais moi-même soulevée en commission : les magistrats en début de carrière ne bénéficieront pas de cette revalorisation statutaire.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen partagent l'idée d'une revalorisation générale de la situation de l'ensemble des magistrats, et il importe, notamment, de veiller à ce que la réduction des délais pour accéder à l'échelon supérieur soit effective.
Dans ce sens, les dispositions permettant la reconstitution de carrière des magistrats recrutés sur concours exceptionnel doivent être approuvées, mais, d'une façon générale, les débuts de carrière des cadres de la fonction publique sont à reconsidérer.
La situation des magistrats débutants me conduit à évoquer la situation des quelque 1 500 assistants de justice actuellement en poste dans les juridictions.
J'attire à nouveau votre attention, madame la ministre, comme l'a fait mon collègue Robert Bret en commission, sur le fait que ces étudiants qualifiés font bien souvent le double des heures qui leur sont demandées et exercent des responsabilités qui vont bien au-delà d'une simple aide à la décision.
Les organisations syndicales nous ont confirmé cette situation, et les mêmes problèmes semblent d'ailleurs être posés par les agents de justice, qui exercent souvent des fonctions de greffiers.
Faute d'avoir de plus amples garanties sur le travail qu'ils effectuent réellement, nous ne pouvons encourager le développement de ce système et nous sommes dubitatifs sur l'amendement qui a été déposé par certains de nos collègues afin de l'étendre au sein de la Cour de cassation, même s'il est évident que, du point de vue de la formation des étudiants, cela peut sembler intéressant, ces étudiants pouvant, par la suite, postuler à des postes de titulaire.
J'en viens maintenant à la seconde critique émise à l'encontre de ce projet de loi organique : son manque d'ambition.
Il est vrai, que si l'on se réfère à l'avant-projet de loi organique relatif au statut de la magistrature élaboré par votre prédécesseur, madame la ministre, on peut être surpris par l'aspect limité du texte qui nous est présenté.
N'oublions pas, cependant, que le contexte a beaucoup changé depuis. La remise à plat du statut des magistrats envisagée par Mme Guigou s'insérait, en effet, dans une réflexion d'ensemble sur la place de la justice dans l'Etat.
La refonte du statut des magistrats, qui abordait la question de la mobilité, de l'avancement, mais aussi de la responsabilité des magistrats, était conçue comme le corollaire d'une autonomie renforcée par rapport au pouvoir politique autonome qui devait être consacrée par la réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature. On connaît le sort de cette réforme !
Le rappel de ce changement de contexte me semble d'autant plus nécessaire que cette réforme conduit, à mon sens, à une relecture de l'obligation de mobilité retenue par la commission des lois.
La plupart des magistrats sont favorables à une mobilité plus grande, mais, dans le système actuel, qui ne rompt pas le lien entre politique et justice, on peut craindre qu'elle ne mette en péril leur autonomie par rapport au pouvoir politique. N'oublions pas, notamment, que, pour ce qui concerne les parquetiers, le garde des sceaux conserve le pouvoir de proposition ... sans même parler de la situation des procureurs généraux, qui est laissée à la discrétion du Gouvernement.
Il nous semble, dès lors, que le système retenu par le projet de loi organique, qui consacre et renforce les règles mises en oeuvre par le Conseil supérieur de la magistrature, est équilibré.
Que nous est-il proposé ?
Il s'agit, d'une part, de conditionner l'accès au grade supérieur à la mobilité : il ne serait plus possible d'accéder au premier grade dans une juridiction où le magistrat est affecté depuis plus de cinq ans ; pour accéder aux emplois hors hiérarchie ou hors grade - j'ignore l'appellation qui sera retenue - il serait désormais nécessaire d'avoir exercé deux fonctions au premier grade dans deux juridictions différentes.
Il s'agit, d'autre part, de rendre impossible l'accès aux fonctions de président ou de procureur général d'un tribunal de grande instance sans changement de juridiction.
Qu'il faille prévoir des dérogations ou des mesures transitoires, cela paraît évident, et tant les dispositions relatives aux conseillers référendaires que celles qui concernent les conseillers de cassation ou les magistrats ayant une grande ancienneté dans les fonctions importantes hors hiérarchie permettent une réforme en douceur.
La majorité de la commission des lois, suivant en cela son rapporteur, a estimé qu'il convenait de renforcer cette mobilité, de façon, notamment, à faire échec à la volonté de certains magistrats de rester en poste quitte à sacrifier leur avancement. Elle nous propose de limiter strictement dans le temps l'exercice de certaines fonctions de chef de juridiction et de certaines fonctions spécialisées.
A ce stade de la réforme d'ensemble de la justice, l'institution d'un délai « couperet » mérite d'être discutée, tant il est vrai que la question se pose différemment selon les fonctions. Si ce délai peut sembler opportun pour des chefs de juridiction, certaines fonctions paraissent nécessiter une spécialisation qui ne peut être acquise qu'avec le temps.
Prenons l'exemple des juges d'instruction. L'obligation de mobilité ne posera pas de problème pour les « petits » dossiers. Mais qu'en sera-t-il, par exemple, des affaires financières ? Ne faudrait-il pas prévoir des dérogations ? Autant d'interrogations auxquelles je n'ai pas de réponse aujourd'hui, mais qui mériteraient d'être approfondies avant que d'instaurer un couperet.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyens sont, en revanche, beaucoup plus favorables aux dispositions qui tendent à améliorer le régime disciplinaire des magistrats, notamment celles qui consacrent le caractère public des audiences, en déplorant que les magistrats du parquet, qui continuent de relever du ministère de la justice, ne puissent en bénéficier.
De même, la faculté de saisine par les chefs de cour peut contribuer à renforcer la transparence des procédures disciplinaires.
C'est également pour aller dans le sens d'une plus grande transparence que nous proposerons une série d'amendements qui nous semblent de nature à favoriser la démocratisation et le pluralisme au sein du Conseil supérieur de la magistrature, grâce à une meilleure représentation sociologique du corps.
C'est l'occasion d'entamer le débat sur une question qui ne semble pas poser de problème au sein de la profession. Nous serions heureux, madame la ministre, d'avoir la position du Gouvernement sur cette question.
Au vu de ces remarques, et sous réserve de leur prise en compte, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront le projet de loi organique sur la carrière des magistrats.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je vais essayer de répondre rapidement à chacun des intervenants.
Pour ce qui est du « repyramidage », évoqué par plusieurs orateurs, voilà une quinzaine de jours, le directeur des services judiciaires - je l'ai vu réagir, tout à l'heure, lorsqu'on a mis en cause, à tort, sa direction - a vu, avec le Conseil supérieur de la magistrature, comment on pouvait mettre en place rapidement cette organisation pour les 411 emplois concernés. Pour favoriser la mobilité, on reprendra la pratique actuelle. Ne seront pas « repyramidés » - le mot est épouvantable, veuillez m'en excuser ! - sur place les présidents ou procureurs de la République qui ont été nommés depuis moins de deux ans ou qui sont en place depuis plus de cinq ans, pour éviter de commencer par ne pas appliquer les règles qui, éventuellement, seront adoptés tout à l'heure.
Monsieur Haenel pour connaître en temps réel les mouvements des magistrats dans les juridictions, vous pouvez consulter le site Internet. Il est vrai que le logiciel, qui date de 1984, n'est pas particulièrement performant. Mais le nouveau logiciel, dont le mise en place a été décidée l'an dernier, sera opérationnel à partir du mois de janvier. Je vous donnerai l'adresse du site, monsieur Haenel, afin que vous puissiez suivre avec moi au jour le jour la situation dans toutes nos juridictions ! C'est un outil extrêmement intéressant.
Le passage dans le privé des magistrats est un sujet que je ne pensais pas aborder.
Il n'y a pas eu plus de départs de magistrats dans le privé ces derniers temps, mais il est vrai qu'on en a parlé beaucoup plus dans les médias. Ces départs sont surtout le fait de magistrats spécialisés dans les affaires économiques et financières et ce pour des raisons que je n'ai pas à analyser, ni en ce qui concerne l'employeur, ni en ce qui concerne celui qui accepte l'emploi. Les postes offerts sont des postes de haut niveau.
Les magistrats exerçant dans le privé sont tenus, en vertu du statut, aux mêmes devoirs que les magistrats en juridiction et sont passibles des mêmes poursuites disciplinaires. Sur ce point, vous êtes donc rassuré, monsieur le sénateur.
Vous pouvez l'être aussi s'agissant des trente-cinq juges fonciers d'Alsace-Lorraine. Leur recrutement est en effet dérogatoire, vous l'avez souligné. Ils sont exclusivement recrutés parmi les greffiers en chef. Ils bénéficieront donc des mêmes avantages que les magistrats pour leur carrière après trois ans d'exercice. Vous pouvez les appeler tout de suite pour leur annoncer la bonne nouvelle, mais je pense qu'ils le savent déjà.
De fait, ces juges fonciers bénéficient d'un avantage en matière de recrutement par rapport aux autres magistrats. Mais telle est, dans cette région, la règle pour bien d'autres fonctionnaires appartenant à d'autres administration que la nôtre. Ce n'est donc pas quelque chose d'inattendu.
Monsieur le rapporteur, il n'est pas exact de dire qu'il s'agit simplement, sous prétexte de repyramidage, d'augmenter les magistrats. Nous constations tous qu'il n'était pas possible aux magistrats d'obtenir de l'avancement. La possibilité d'avancer plus vite leur est donc donnée, et quand on avance plus vite, on a également une rémunération supérieure plus vite.
Mais nombre de magistrats - j'ai donné les chiffres tout à l'heure - étaient bloqués dans leur carrière. Ce n'était pas juste. Il s'agit donc bien aussi de leur rendre justice et de faire mieux fonctionner nos juridictions. Cela, ajouté aux dispositions sur la mutualisation, se traduit par une amélioration de la situation.
Tous les intervenants ont souligné le fait que les magistrats en début de carrière étaient mal rémunérés. D'abord, on peut dire cela de tous les fonctionnaires. Mais, si l'on considère des postes équivalents nécessitant un même niveau d'études dans d'autres administrations, on se rend compte qu'ils sont mieux payés.
Ce qui est intéressant, maintenant, c'est que, pour atteindre le sommet, on ira beaucoup plus vite. Donc, même si l'on peut toujours souhaiter que les débuts de carrière soient meilleurs, on ne peut pas dire que la situation soit catastrophique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous dit que j'étais, en fait, sortie de mon rôle en disant que je n'accepterai pas d'amendement. Je sais qu'il n'y a pas très longtemps, ordre absolu avait été donné qu'il n'y ait pas d'amendement sur un texte. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. J'ai simplement voulu, pour gagner du temps - sans doute ai-je été maladroite - vous indiquer quels amendements je soutiendrai et quels sont ceux que je repousserai.
Je vous ai donc d'ores et déjà indiqué la position de l'exécutif. Mais le législatif votera comme il l'entend.
En conclusion, je veux féliciter l'ensemble des intervenants de la qualité de leurs propos sur la carrière des magistrats, mais je veux regrette que nous ne soyons pas allés jusqu'au bout de la réforme. Je n'y suis pour rien, Elisabeth Guigou non plus. Je prends acte de l'impossibilité. Mais, comme M. Badinter, j'ai de l'espoir !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Division additionnelle avant l'article 1er (réserve)