SEANCE DU 14 NOVEMBRE 2000
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi de financement de la sécurité
sociale, adopté par l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le retour à
l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, dont Mme Martine Aubry s'est
félicitée avant son départ du Gouvernement, trouve son fondement dans la
croissance qui touche l'ensemble des pays européens. La réduction du chômage
génère des cotisations par la reprise de l'embauche. Les excédents du régime
général sont cependant modestes. La Cour des comptes dans son rapport qualifie
cet équilibre de fragile car justement lié à un paramètre qui échappe au
contrôle.
Il conviendrait donc aujourd'hui de multiplier les efforts afin d'asseoir les
bases d'un système de soins et de protection de qualité et d'entreprendre,
enfin, la réforme des retraites dont les premières réflexions remontent à dix
ans.
Or le texte que nous examinons aujourd'hui ne contient aucune disposition
allant en ce sens.
Il s'agit, et les excellents rapporteurs de la commission des affaires
sociales l'ont parfaitement démontré, de transferts, de compensations, de
réaffectations diverses et variées de taxes et de produits donnant aux uns et
soustrayant aux autres.
On a demandé un effort considérable aux Français afin d'assainir une situation
qui se dégradait. En contrepartie, ils étaient en droit d'attendre une qualité
de soins améliorée et un avenir plus serein. Or que découvrent-ils ? Que les
divers prélèvements, pour certains prolongés au-delà des délais, auxquels ils
sont soumis vont servir, d'une part, à financer la réduction du temps de
travail et, d'autre part, à appliquer une politique fiscale « la plus innovante
depuis cinquante ans », selon les propres termes du ministre des finances.
Le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité
sociale, le FOREC, assis sur six taxes, qui ont déjà été énumérées, va bel et
bien être mobilisé pour mettre en place les 35 heures. Non seulement la taxe
générale sur les activités polluantes et la contribution sociale sur les
bénéfices des sociétés vont peser plus lourd sur les entreprises mais le
différentiel va être prélevé directement ou indirectement sur la branche
famille ou sur le fonds de solidarité vieillesse.
Les associations familiales s'interrogent avec inquiétude sur les conséquences
de la réduction de la CSG sur les revenus les plus modestes, voire sur ses
effets pervers. Il est ainsi dérogé au principe de base de contribution au
système de protection sociale. Par ailleurs, ces structures n'acceptent pas
l'amputation d'une partie des recettes propres de la branche famille. Même si
le projet de loi prévoit une compensation de l'Etat, il s'agit néanmoins d'une
atteinte à l'autonomie du financement de la branche.
Quelques mesures annoncées lors de la conférence sur la famille se retrouvent
dans ce projet de loi, mais on aurait pu aller plus loin, précisément en
fonction de ces excédents. C'était aussi le moment de revoir à la hausse la
base mensuelle des allocations familiales ; la revalorisation prévue au 1er
janvier 2001 laisse apparaître une évolution inférieure à celle des retraites
et des salaires. On peut dire que, depuis deux ans, le pouvoir d'achat des
prestations familiales a reculé.
Les familles s'estiment exclues de la répartition des fruits de la croissance
alors que les fonds existent au sein même de la branche et qu'elles ont été
touchées par la diminution du plafond du quotient familial. Il est d'autant
moins admissible qu'il y ait dérive dans l'utilisation des excédents.
Une vraie politique familiale s'adresse à tous, car le renouvellement des
générations est l'affaire de tous, même si une attention particulière doit être
accordée aux plus modestes.
L'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, qui a occupé le
Parlement il y a peu, ou bien la parité au sein des listes électorales, dont
nous avons débattu plus récemment, passent par des mesures qui permettent aux
familles d'assumer correctement leurs responsabilités et leurs engagements. La
réalité des faits met à l'épreuve les grandes avancées, qui se révèlent être un
leurre à défaut d'accompagnement.
Pourquoi faire supporter par la branche famille le financement des majorations
de pensions pour enfants ? Il n'y a là aucune logique, si ce n'est celle de
profiter des excédents de la Caisse nationale d'allocations familiales pour
alléger d'autant le fonds de solidarité vieillesse. Il n'est pas inutile de
rappeler que ce fonds sera amené à contribuer au fonds de réserve des retraites
mis en place par ce texte.
Par ailleurs, les avantages familiaux en matière de retraite s'inscrivant au
coeur des débats sur l'avenir des retraites, il est surprenant qu'une telle
mesure ait été prise avant qu'une réflexion globale soit engagée.
Enfin, cette nouvelle mission de la CNAF, qui consiste à financer ces
majorations de pensions de retraite, détourne celle-ci de son rôle premier, qui
est de verser des prestations familiales.
Revenons, madame la ministre, sur ce fonds de réserve des retraites. Il laisse
mal augurer de l'avenir. Les recettes qui l'alimentent sont exceptionnelles, sa
gestion et son contrôle inconnus. L'horizon 2020, si on en reste là, est bien
sombre. Ce fonds est une pièce d'un puzzle qui n'a pas encore été conçu.
Pourquoi attendre un nouveau rapport qui devrait être remis dans deux ans ?
Plusieurs pays européens nous ont précédés avec des scenarii de réponse
différents, mais qui partent d'un même constat que celui que nous faisons : les
régimes de retraites par répartition auront à faire face à des déséquilibres
financiers majeurs dans le futur. Aucune de ces réformes n'a rejeté la
capitalisation, mais toutes ont recherché l'égalité. Il n'y a donc pas
antinomie !
Autre sujet d'insatisfaction : l'objectif national des dépenses d'assurance
maladie. Déjà, sur le principe, pour son chiffrage, le Gouvernement passe outre
à la décision du Parlement. Mais en plus, il évacue tout contenu de projet de
santé publique pour n'en faire qu'un exercice comptable.
Il est proposé une maîtrise purement arithmétique et comptable des dépenses de
santé en fixant des objectifs de croissance sans aucun rapport avec les besoins
de la population. Il est également créé le concept des tarifs flottants,
puisque, pour que l'objectif soit respecté en fin d'année, la CNAM doit arrêter
des mesures correctives tous les quatre mois et modifier les tarifs en
conséquence. Les décotes de la nomenclature prises dans une logique comptable
ne correspondent en rien à l'objet même de cette grille, qui ne doit pas être
un outil de régulation.
Il ne s'agit pas de gommer l'aspect économique en matière de dépenses
publiques, mais en faire le terme premier est totalement réducteur. De plus,
cette approche constitue une offense pour les professionnels de la santé et un
recul pour les patients.
Comment imaginer que les premiers ne soient pas des gens responsables ?
Comment penser qu'aujourd'hui il n'y a pas interférence entre les différents
niveaux ? Si on ne peut exceller dans la polyvalence, il y a, néanmoins,
nécessité d'intégrer à sa propre problématique des données incontournables.
On a vu le corps médical répondre aux exigences de régulation des dépenses et
participer au redressement des comptes sociaux tout en faisant face aux
nécessités induites par les nouvelles technologies. Et l'on voudrait maintenant
leur faire supporter les conséquences de phénomènes annexes qu'ils ne
maîtrisent pas !
La couverture médicale universelle, qui, dans son principe, relève d'une
solidarité nationale incontestable, a brutalement solvabilisé la demande de
soins de 5 millions de patients qui se soignaient peu ou pas. Les meilleures
intentions appellent un traitement responsable des conséquences et, dans ce
cas, le Gouvernement a joué à l'apprenti sorcier. Il faut bien être conscient
du fait qu'il y a encore environ 2 millions de personnes en état de précarité,
dont les ressources sont légèrement supérieures à 3 600 francs. C'est le cas de
celles qui perçoivent les minima sociaux ou l'allocation d'adulte handicapé,
qui sont exclues de la CMU pour 52 francs. Un aménagement s'impose en
proposant, par exemple, la déduction de certaines aides des revenus
considérés.
Ensuite, la CNAM incite les professionnels de santé à corriger des déficits de
prise en charge dans de nombreuses pathologies telles que le diabète ou
l'hypertension, à quoi il faut ajouter les effets des campagnes de dépistage
lancées par les pouvoirs publics et relatives à l'hépatite ou à la trisomie
21.
Enfin, et c'est tant mieux, la croissance induit une demande de soins
amplifiée.
On ne peut admettre l'alternative : rationnement des soins ou pression sur les
seules professions de santé. Or c'est l'unique choix offert par ce texte, selon
lequel plus il y aura d'actes plus on baissera leur rémunération.
Je souhaiterais enfin aborder la situation dans le milieu hospitalier.
On enregistre actuellement dans de nombreuses unités un véritable manque de
praticiens hospitaliers, particulièrement aigu dans certaines spécialités. Les
salaires peu attractifs, l'alourdissement des contraintes et de fréquentes
mises en cause expliquent la désaffection pour la pratique hospitalière.
On arrive à combler partiellement les vides avec des praticiens adjoints
contractuels, d'origine étrangère, donc non compris dans le
numerus clausus,
qui sont sous-payés et dont les compétences sont parfois discutables. Cette
limitation du nombre de spécialistes nécessaires au fonctionnement des services
hospitaliers et du système libéral est par ailleurs aggravée par la carence en
personnels qualifiés.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
Les conséquences de l'absence de prévision des besoins dans de nombreuses
spécialités - gynécologues accoucheurs, anesthésistes, ophtalmologistes,
pédiatres, notamment - sont amplifiées par les départs en retraite. Il faudra
quinze ans au moins avant de voir arriver les générations remplaçantes.
Les directeurs d'hôpitaux se voient soit contraints de geler des lits, donc de
réduire la capacité d'accueil, soit de les maintenir au détriment de la
sécurité des malades. Leurs besoins sont tels, notamment en personnel
infirmier, que certains responsables font de l'embauche à la sortie même des
promotions.
Cette situation, déjà inquiétante, va s'aggraver avec l'application de la
réduction du temps de travail. Les aides prévues ne permettent pas de maintenir
la qualité des soins et des services.
Ce constat vaut tant pour le secteur public que pour le secteur privé. Une
telle compensation peut être financée soit par le relèvement des dotations
globales et des prix soit par l'allégement des charges actuellement supportées
par les établissements sanitaires sociaux et médico-sociaux, qu'ils soient
publics, privés sans but lucratif ou privés commerciaux.
Comme soeur Anne, madame la ministre, on ne voit rien venir de tel.
Pour toutes ces raisons, il convient de suivre les propositions de la
commission des affaires sociales et les observations de la commission des
finances. Le texte tel qu'il nous est soumis n'apporte pas de réponse autre que
financière aux enjeux sanitaires. C'est pourquoi les partenaires sociaux et les
professionnels de santé sont hostiles, dans leur majorité, aux dispositions de
ce projet de loi.
Madame la ministre, je crains qu'une politique d'économie de la santé ne soit
pas une politique de la santé publique.
(Applaudissements sur les travées du
RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, après l'adoption du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001 par l'Assemblée nationale le 31 octobre dernier, il
nous appartient d'en examiner la teneur.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais souligner, une fois de plus,
l'importance que mérite de revêtir ce débat. En effet, nous souhaiterions nous
prononcer véritablement sur des besoins, des objectifs en matière de protection
sociale, de santé publique.
La protection sociale et la santé publique doivent faire l'objet d'un débat
fondamental, car il s'agit d'enjeux qui concernent tout le monde : les jeunes,
les familles, les actifs, les retraités, les handicapés. Pour tous, ce qui est
en question, ce sont leurs moyens de vivre mieux et d'accéder sans
discrimination à des soins et prestations de qualité.
C'est la raison pour laquelle notre groupe souhaite vivement que soit trouvé
le moyen d'améliorer significativement la qualité de nos débats en la matière
afin d'associer réellement le Parlement à l'élaboration d'un projet de loi
d'une telle importance pour la vie de nos concitoyens.
Un débat annuel tel que celui que vous avez annoncé, madame la ministre, sera
le bienvenu.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Très bien !
M. Guy Fischer.
Je voudrais à présent évoquer les éléments positifs de ce projet de loi par
rapport à celui de l'an dernier, puis pointer les dysfonctionnements et les
lacunes qu'il semble comporter en son état actuel, malgré les avancées obtenues
à l'Assemblée nationale, au regard des besoins de la population.
S'agissant de la branche famille, nous nous félicitons, bien entendu, de la
création d'un congé et d'une allocation pour les parents d'un enfant malade
devant être hospitalisé pour une longue période, ainsi que de la revalorisation
de l'allocation veuvage.
Pour ce qui est des fonds supplémentaires alloués au crèches, nous regrettons
qu'ils concernent seulement les investissements, ce qui laisse une part non
négligeable du fonctionnement à la charge des collectivités locales et des
familles.
Cela mis à part, aucun geste significatif n'a été fait en direction des
familles. Or il serait indispensable de revaloriser les allocations familiales
et d'en accorder l'attribution dès le premier enfant. Je constate
malheureusement que nos amendements dans ce sens ont été rejetés à l'Assemblée
nationale.
S'agissant de la branche vieillesse, mon collègue Roland Muzeau devant y
revenir dans un moment, je ne ferai que souligner quelques points
essentiels.
L'élément positif est l'augmentation du minimum vieillesse, portée à 2,2 % sur
l'insistance du groupe communiste et apparenté de l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, je salue la revalorisation des retraites de 2,2 % et la
suppression de la CRDS pour les retraités non imposables, ce qui équivaut à une
revalorisation de 2,7 %.
Mais de nombreux efforts demeurent nécessaires pour que les retraités,
notamment les plus modestes, recouvrent un pouvoir d'achat décent. La
revalorisation des retraites ne se trouve-t-elle pas freinée si l'on ne modifie
pas dans le même temps certaines tranches d'imposition ?
Par ailleurs, une revendication essentielle des retraités est le retour à
l'indexation des pensions sur les salaires et non sur les prix.
Le Gouvernement peut-il, d'autre part, prendre un engagement précis sur la
date à laquelle sera réglé le problème urgent de la révision de la trop
inégalitaire prestation spécifique dépendance et sur celle à laquelle sera
réformée la tarification des établissements accueillant les personnes âgées
dépendantes ?
En ce qui concerne la branche accidents du travail et maladies
professionnelles, le Gouvernement répond induscutablement à une attente
profonde en nous proposant la création d'un fonds de 2 milliards de francs pour
l'indemnisation des victimes de l'amiante. Il conviendra toutefois d'améliorer
ce dispositif et de préciser certains de ses aspects. Cela fera l'objet
d'amendements, inspirés d'ailleurs par les propositions de la Fédération
nationale des accidentés du travail et des handicapés et par l'Association
nationale de défense des victimes de l'amiante.
Au-delà de ces dispositions particulières, il nous faut réfléchir à la
nécessité de réformer en profondeur le dispositif de prévention des risques
professionnels.
En ce qui concerne la branche maladie, force m'est de souligner que des
besoins immenses demeurent et que l'ONDAM, même s'il est en progression de 3,5
%, contre 2,5 % l'an dernier, ne peut les satisfaire entièrement, permettant
tout juste de maintenir la situation en l'état.
Certes, il convient de reconnaître que des mesures positives, bien que trop
timides, ont été adoptées.
L'hôpital public bénéficie d'une augmentation budgétaire de 3,3 %, contre 2,5
% l'an dernier. N'oublions pas, toutefois, que celui-ci est littéralement
étranglé par des années de rigueur budgétaire. Ainsi, on peut estimer que les
10 milliards de francs de crédits permettant de financer 12 000 postes
supplémentaires - débloqués au printemps à la suite de la lutte des personnels
- devraient tout juste permettre de remplacer les personnels en congé. Sans
parler de la mise en place des 35 heures, pour laquelle les financements
devront être prévus lors des prochains exercices.
La Fédération française hospitalière estime que 3,4 % d'augmentation des
dépenses hospitalières permettrait à peine de maintenir en l'état une situation
qui est loin d'être satisfaisante.
Par ailleurs, les disparités entre régions perdurent puisque l'on a diminué
les crédits des régions prétendument « surdotées ». Les professionnels et les
usagers s'accordent à affirmer que cela ne suffit pas et que des moyens
existent pour améliorer la situation, rééquilibrer les dotations entre régions,
sans tomber dans la fâcheuse pratique actuelle des agences régionales de
l'hospitalisation, qui consiste à tirer vers le bas la répartition des
moyens.
La mise en oeuvre des schémas régionaux d'organisation sanitaire suscite des
mécontentements et une colère qui, à notre sens, sont légitimes. Soyons-y très
attentifs, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat.
Au chapitre des mesures positives mais insuffisantes, la CMU voit son plafond
de ressources passer de 3 500 à 3 600 francs, de sorte qu'elle va bénéficier à
200 000 ou 300 000 personnes supplémentaires ; toutefois, cela ne permettra
encore pas de répondre aux problèmes des personnes titulaires de l'allocation
aux adultes handicapés et du minimum vieillesse ; bien que nous mesurions
l'effort déjà consenti, nous défendrons un amendement tendant à l'intégration
de ces populations.
En outre, la prise en compte de l'allocation logement dans les ressources -
environ 300 francs par mois - contribue toujours à exclure de nombreux ménages
en leur faisant dépasser le plafond de ressources de la CMU.
Je précise au passage que notre groupe réitère sa demande tendant à ce que le
Gouvernement porte ce plafond de ressources à 3 800 francs.
S'agissant des centres de santé, nous nous félicitons d'avoir incité le
Gouvernement à conforter leur activité concernant les prélèvements, ce qui
était une nécessité mise en avant par les directeurs de ces établissements.
Le dispositif du remboursement des frais d'optique est étendu aux
seize-dix-huit ans ; l'appareillage des personnes sourdes ou mal-entendantes
est enfin pris en charge.
Le régime des sanctions contre les médecins qui dépassent leur quota de
prescriptions est abandonné, ce qui, espérons-le, constitue véritablement
l'amorce d'une nouvelle conception du dialogue qu'ils appellent de leurs
voeux.
Toutefois, on est encore loin de résorber le retard important accumulé en
matière d'accès aux soins et à la prévention, héritage du plan Juppé.
Et si nous écoutions sérieusement les professionnels de santé ?...
A plusieurs reprises, à Paris comme dans mon département, j'ai rencontré
différents professionnels de santé, des hospitaliers, des libéraux. Je les ai
écoutés attentivement. Ils m'ont fourni des exemples précis, chiffrés. J'ai
également fait personnellement des expériences édifiantes : cinq heures
d'attente aux urgences, dans un hôpital lyonnais renommé, pour une personne
âgée déshydratée ; trois heures pour une personne souffrant de pneumonie et
d'un point de pleurésie.
J'ai entendu leur colère, leur amertume ; j'ai senti leur unanimité à
constater une certaine inadéquation entre les besoins en matière de santé et
les moyens budgétaires qui y sont consacrés.
Je les ai entendus dire, avec les personnels des hôpitaux, que nous étions
déjà entrés dans un système de rationnement des soins à l'anglo-saxonne.
Certainement, ils exagéraient. Mais n'exprimaient-ils pas, à travers un tel
constat, une détresse ? Etaient-ils si loin de la réalité de situations données
?
Ils s'inscrivaient en faux contre la volonté de les traiter en boucs
émissaires, en professionnels irresponsables qui seraient à l'origine du
dérapage des dépenses de santé.
Les praticiens concluent fort justement que le système conventionnel ne
fonctionne plus et que les commissions médicales régionales exercent à leur
encontre une véritable inquisition, au moindre soupçon de dépassement d'actes
ou sur dénonciation.
Peut-on vraiment envisager d'améliorer la qualité des soins en traitant ainsi
des médecins, des infirmiers, des praticiens exaspérés, découragés ?
M. Philippe Nogrix.
Vive les professions libérales !
M. Guy Fischer.
J'évoquerai quelques autres points où des améliorations sont
indispensables.
Il faut, de façon urgente, accroître le remboursement des dépenses de maladie
pour tous, en particulier en ce qui concerne les frais dentaires, optiques et
d'appareillage pour personnes âgées ou handicapées.
Il est indispensable de renouer un véritable dialogue. Le système de lettres
clés flottantes soulève de nombreuses interrogations. Est-il acceptable, par
exemple, qu'une infirmière à domicile, de plus en plus sollicitée, voie ses
honoraires bloqués à 24,65 francs l'acte et à 9 francs le déplacement, devant,
pour gagner sa vie, effectuer six actes par heure ? Une juste revalorisation de
ce métier me semble s'imposer,...
(M. Dominique Leclerc applaudit.)
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Guy Fischer.
... mais vous y avez fait allusion.
Il faut, de toute urgence également, promouvoir réellement le maintien à
domicile des personnes âgées.
MM. Philippe Nogrix et Marcel Lesbros.
Très bien !
M. Guy Fischer.
Comment y parvenir alors que les associations d'aide à domicile sont
étranglées par la TVA et les charges sociales, que les infirmières libérales se
voient sanctionnées pour délit de « trop d'actes » ?
Comme le disait fort justement, à l'Assemblée nationale, notre collègue
députée Mme Paulette Guinchard-Kunstler, qu'il s'agisse de maladie, de handicap
ou de dépendance, l'urgente nécessité est de mieux coordonner la prise en
charge, de mieux faire le lien entre les personnels médicaux qui assurent les
soins et l'accompagnement.
On demeure donc dans une logique comptable de plus en plus encadrée, et je
crois que nous devons en débattre. Vous savez, madame la ministre, madame la
secrétaire d'Etat, que notre groupe, sans faire de démagogie, rejette cette
logique, même s'il convient d'avoir une vision claire des dépenses en matière
de santé.
Il y a là une incohérence, car nous connaissons un certain nombre de besoins à
satisfaire. Cela est d'autant plus regrettable que les possibilités existent
avec la reprise économique, la décrue du chômage, l'excédent des comptes de la
sécurité sociale. Pourtant, paradoxalement, comme le prouve le rapport de
l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, les
inégalités en matière de santé s'accentuent.
Par ailleurs, il semble que l'on feigne d'ignorer que les progrès sociaux,
indéniables ces dernières années, ont un coût.
Qu'il s'agisse de la CMU, de l'informatisation des cabinets des praticiens, de
la généralisation du tiers payant, des démarches de recherche de qualité et de
prévention, a-t-on mis en regard les dépenses prévisionnelles ? Je réponds non.
Je citerai un seul exemple à l'appui de mes dires : dans le cadre de la CMU, le
barème de prise en charge des prothèses hors nomenclature en dentisterie est
inférieur aux tarifs, pourtant fixés au plus juste, des centres de santé. Cette
situation engendre un grave déficit pour ceux-ci, qui doivent l'assumer à
moyens constants, sauf à solliciter les collectivités locales.
Je ne saurais conclure sur ce chapitre sans évoquer ce qui apparaît pour le
plus grand nombre comme le gâchis dans la gestion de la sécurité sociale au
travers du carnet de soins et de la carte Vitale.
J'en viens, enfin, au point le plus crucial, dans le sens où il découle de
tous les constats que je viens de faire, de toutes les auditions que j'ai
effectuées : pour changer vraiment la qualité de notre protection sociale, il
est indispensable de réformer en profondeur le mode de financement de la
sécurité sociale.
Vous connaissez nos positions : notre conception de la gestion de la sécurité
sociale est directement liée au retour au plein emploi ; c'est une question de
recettes et non de croissance excessive des dépenses. Mais il faut se garder
d'ignorer que les dépenses de santé vont inéluctablement s'alourdir avec
l'augmentation de l'espérance de vie.
Comment faire face aux besoins de santé alors que plus de 20 % des Français
renoncent à certains soins, faute de moyens financiers suffisants, sans revoir
l'assiette du financement de la sécurité sociale et mettre à contribution les
revenus financiers ?
Je voudrais à présent souligner mon inquiétude, fustiger l'attitude de la
majorité sénatoriale qui s'apprête à remanier de fond en comble le texte, à
supprimer de façon systématique les améliorations que ce projet de loi
apportait à notre système de protection sociale. Je prendrai l'exemple du
rapport de notre collègue Charles Descours sur l'assurance maladie. Il n'en est
pas à une contradiction près.
M. Charles Descours,
rapporteur.
Vous non plus, cher collègue ! Les contradictions du groupe
communiste dans cette affaire sont au moins aussi importantes que celles de la
majorité sénatoriale !
M. Guy Fischer.
Nous avons toujours eu sur ce problème une position claire, que nous avons
exprimée au travers de nos votes.
M. Charles Descours,
rapporteur.
C'était moins clair !
M. Guy Fischer.
Non !
(M. Philippe Nogrix s'exclame.)
Après avoir fustigé le Gouvernement qui voulait revaloriser l'ONDAM, le
rapporteur n'hésite pas à en préconiser la suppression. Il accuse également le
Gouvernement d'être incohérent et illisible.
M. Philippe Nogrix.
C'est vrai !
M. Guy Fischer.
La droite est frappée d'amnésie,...
M. Philippe Nogrix.
Pas du tout !
M. Guy Fischer.
... oubliant les politiques menées par MM. Balladur et Juppé. Je crois qu'un
certain nombre d'arguments ont été apportés tout à l'heure.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est vrai !
M. Guy Fischer.
J'en terminerai avec les propositions que le groupe communiste républicain et
citoyen fera lors de ce débat.
Au moment où les profits explosent, où l'on parle beaucoup de la
redistribution des fruits de la croissance, au moment où le retour à
l'équilibre des comptes de la sécurité sociale se confirme, il nous semble, en
effet, qu'il y a moyen de commencer au moins à améliorer, de manière
substantielle, le financement de la protection sociale.
M. Philippe Nogrix.
Il faut financer les 35 heures !
M. Guy Fischer.
En tout premier lieu, nous pensons qu'il est possible de taxer les revenus
financiers des entreprises au même taux que les salaires, ce qui pourrait
rapporter 130 milliards de francs.
En la matière, notre exigence est de substituer de façon significative un
meilleur financement de la protection sociale à une spéculation financière
destructrice d'emplois.
Au chapitre des réformes de fond, nous proposons également de réformer les
cotisations patronales, de manière à favoriser les entreprises qui créent des
emplois et à sanctionner les autres.
De la même façon, l'augmentation du SMIC et des minima sociaux ne pourrait que
contribuer à accroître les recettes de la sécurité sociale.
Enfin, la mesure qui nous paraît possible dès la loi de finances pour 2001 -
nous la proposerons lors de l'examen de ce texte par le Sénat - c'est que
l'Etat cesse de prélever 25 milliards de francs dans les caisses des hôpitaux,
que ce soit par le biais de la TVA, de la taxe sur les salaires ou de la
surcompensation de la caisse de retraite des hospitaliers. Le débat est ouvert
- les avis sont partagés - mais une telle mesure pourrait représenter,
immédiatement, un « bol d'air » pour les hôpitaux.
Telle est, monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, la contribution du groupe communiste républicain
et citoyen. Les améliorations que nous demandons reposent sur un socle d'autant
plus solide qu'un certain nombre de nos propositions ont été retenues dans la
déclaration commune du sommet de la gauche, mardi dernier.
Nous prenons acte des avancées que le Gouvernement a proposées, tout en lui
démontrant l'exigence d'aller plus loin. Nous sommes d'accord avec lui sur
nombre de points, mais nous aurions souhaité une plus grande ambition. C'est
pour cela que nous l'engageons à discuter plus avant du problème de fond du
financement de la protection sociale au regard des besoins qui s'expriment avec
de plus en plus de force. Nous souhaitons avec lui rechercher des solutions.
Nous nous posons en tant que sentinelles, mais je crois que cela apparaît comme
le souhait du plus grand nombre.
Il est donc inutile de préciser que nous serons très attentifs, tout au long
de ce débat, aux réponses qui seront faites à nos interrogations et à nos
propositions et que nous nous opposerons avec détermination au contre-projet
inacceptable de la majorité sénatoriale.
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante, est reprise à vingt-deux
heures quarante-cinq.)