SEANCE DU 8 NOVEMBRE 2000
ÉPARGNE SALARIALE
Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'épargne salariale.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Les liens partenariaux peuvent aussi
prendre la forme du plan d'épargne entreprise, qui ajoute aux précédents des
versements libres d'épargne et des abondements de l'entreprise. C'est également
le compte épargne-temps, qui transforme l'effort du salarié en liberté horaire.
Ce sont, par ailleurs, les options de souscription qui anticipent sur l'avenir.
C'est, enfin, le rachat d'entreprise par les salariés qui est une forme ultime
de l'association.
Ces mécanismes ont plus ou moins bien fait leurs preuves. Ils représentent un
coût pour la collectivité nationale à la hauteur de l'enjeu de société qu'est
l'idée de participation, soit plus de 30 milliards de francs de pertes de
recettes fiscales et sociales par an.
Cependant, chacun s'accordera à reconnaître qu'une relance est nécessaire.
Elle doit s'organiser autour de trois grands axes.
Il s'agit, d'abord, de la méthode de promotion de l'épargne salariale. Il
convient de favoriser toutes les formes possibles de dialogue social, de ne
brider aucune initiative, car la liberté est la condition essentielle de la
réussite des dispositifs pour les salariés, les chefs d'entreprise, les
gestionnaires.
Le second axe, c'est la nécessaire promotion dans les secteurs où la
participation est la moins développée, à commencer par les petites et moyennes
entreprises. Il y a là un véritable enjeu pour l'ensemble des responsables
publics. Une réforme qui ne se donnerait pas les moyens d'y parvenir risquerait
de passer à côté de ce devoir envers les salariés des PME.
Enfin, il faudra de toute évidence de nouveaux outils. Chacun sent bien que,
quoique déjà diversifiée, l'épargne salariale a besoin de répondre aux attentes
qui se font jour chez chacun des partenaires pour des instruments dédiés à
l'épargne longue et très longue. Si le consensus existe autour du principe d'un
produit à long terme, ce qui n'exclut pas des différences d'approche sur ses
modalités, le débat reste vif sur l'épargne-retraite. Je reviendrai sur ce
point.
Le projet de loi améliore partiellement certains dispositifs en proposant, par
exemple, de les adapter à la mobilité croissante des salariés, en cherchant à
donner une définition homogène de la notion de groupe ou en donnant aux
entreprises la faculté de mettre en place un intéressement infra-annuel. En
revanche, il risque de complexifier l'existant, par exemple par la création
d'un livret d'épargne salariale là où un simple relevé suffirait, ou bien en
créant des SICAV d'entreprise.
Parallèlement, l'Assemblée nationale a voulu étendre le bénéfice de l'épargne
salariale, notamment par la création d'un plan d'épargne interentreprise, dont
l'idée avait été émise par notre collègue, M. Jean Chérioux, et par l'ouverture
du plan d'épargne entreprise aux mandataires sociaux des petites entreprises.
Mais, là aussi, le texte s'arrête à mi-chemin, en limitant cette possibillité
aux entreprises de moins de 100 salariés ou en restreignant les modes de
conclusion d'un plan d'épargne interentreprises.
La grande nouveauté réside dans la création du plan partenarial d'épargne
salariale volontaire. La volonté de promouvoir une épargne plus longue est
louable et certains avantages associés sont les bienvenus. Mais les modalités
retenues reflètent tant de compromis que l'instrument risque de perdre de son
intérêt. Pourquoi en limiter les modes de conclusion ? Pourquoi faire cohabiter
une durée fixe et une durée glissante ? Pourquoi prévoir un prélèvement
croupion sur les sommes investies au-delà d'un seuil d'ailleurs presque jamais
atteint ?
Le quatrième volet du texte, qui est l'innovation conceptuelle majeure aux
yeux d'une partie de la majorité plurielle, c'est la consécration législative
pour un département ministériel encore bien jeune ; je veux parler du
secrétariat d'Etat à l'épargne solidaire.
L'examen des articles nous donnera l'occasion de débattre sur les champs, pour
le moins fluctuants, que le Gouvernement, dans ses publications, dans le corps
du projet de loi, dans ses déclarations, donne à cette notion d'épargne
populaire dont les contours sont loin d'être précis. Nous pourrons également
débattre pour savoir si un grand groupe bancaire ou d'assurance mutualiste a
besoin de bénéficier du même avantage fiscal que la petite entreprise
d'insertion.
Enfin, le projet de loi entend renforcer les droits des salariés dans
l'entreprise, singulièrement des salariés actionnaires. De nombreuses
dispositions vont dans la bonne direction. Mais, d'une part, certaines risquent
d'alourdir considérablement les procédures et de créer des inégalités entre
actionnaires et, d'autre part, notre collègue M. Jean Chérioux aura à coeur de
compléter le dispositif sur certains points.
Au total, sans querelle en paternité ni esprit polémique, la commission vous
proposera une lecture pragmatique du projet de loi afin ici de le simplifier et
de le compléter et, toujours, de l'améliorer.
Dans le même temps, elle entend prendre une position de principe forte sur la
question des retraites en proposant au Sénat de renouveler les votes exprimés
l'année dernière sur les propositions de loi de nos collègues MM. Charles
Descours et Jean Arthuis et d'introduire un important dispositif sur les plans
de retraite.
Tout d'abord, nous ne voulons pas entrer dans le débat sur l'assimilation ou
non du plan d'épargne salariale à un outil de retraite qui a pu déchirer la
majorité plurielle. A nos yeux, le plan d'épargne salariale n'est pas
l'instrument que les quatorze millions de salariés français attendent afin de
calmer leur inquiétude sur la retraite.
La question des retraites est à la fois trop grave et trop urgente pour être
traitée par le biais d'un instrument imparfait, fruit d'un compromis, qui, à
trop hésiter entre les objectifs inconciliables, n'en atteindrait aucun. Il
peut, certes, contribuer à préparer la retraite, amorcer un autre dispositif de
plus long terme, lancer le débat. Il ne sera pas le troisième pilier de
capitalisation attendu depuis trop longtemps. Il faut aller plus loin.
Je ne vous ferai pas l'offense de vous démontrer à nouveau l'urgence absolue
que représentent des actes en matière de politique des retraites.
Le Gouvernement a mis au point une méthode infaillible sur ce sujet : il
consulte, demande un rapport, un contre-rapport, puis il met en place une
instance de concertation chargée de faire des études et, dans la loi de
financement pour 2001, propose même de se doter de nouveaux moyens
statistiques, probablement pour lancer de nouvelles études... Nous allons avoir
la plus belle collection d'études sur le sujet des retraites au monde si nous
continuons sur cette voie !
Parallèlement, le Gouvernement propose un fonds de réserve dont, deux ans
après la création, il ne précise ni l'objectif, ni les modes pérennes
d'alimentation, ni les méthodes de gestion, ni les organismes de surveillance,
ni le terme, ni la structure juridique.
Quant à la promotion d'une épargne-retraite individuelle, le Gouvernement
laisse les fonctionnaires bénéficier de la PREFON, les professions libérales
des dispositifs Madelin, les agriculteurs de mécanismes propres et les salariés
du secteur privé pleurer sur leur sort !
Cela ne peut pas durer ! Nous avons aujourd'hui une occasion unique de traiter
la question, de montrer aux Français qu'alors que le Gouvernement propose des
rapports le Sénat adopte des projets adaptés à leurs attentes. Nous ne voulons
pas remettre en cause les régimes par répartition qui sont - et doivent rester
- au coeur de notre contrat social. Il s'agit seulement de leur adjoindre, sans
les affecter, la possibilité d'une épargne volontaire, libre et souple en vue
de la retraite.
Le dispositif que je vous présenterai est facultatif, il repose sur le libre
choix. Il préserve l'équilibre des régimes de retraite en soumettant à
cotisations sociales les versements, en intégrant éventuellement une modulation
au bénéfice des plus bas salaires. Dans une logique de justice sociale, il
prévoit une sortie essentiellement en rente et le libre choix du
gestionnaire.
Vous me répondrez tout à l'heure, monsieur le ministre, qu'il ne s'agit pas du
même débat, vous l'avez d'ailleurs dit à l'instant, mais vous vous trompez. Il
me semble en effet vain et erroné de vouloir vider le débat sur l'épargne
salariale de sa dimension d'épargne retraite.
La seule manière de mettre en place des dispositifs d'épargne-retraite
complémentaire sans remettre en cause les bases de notre contrat social réside
justement dans la chance que représente l'épargne salariale et dans la
dimension collective, participative, facultative qu'elle revêt. Si
l'épargne-retraite ne se raccroche pas à l'épargne salariale, alors, elle se
fera en dehors, sur des bases plus dangereuses pour notre contrat social, sur
une logique individualiste que nous rejetons tous et qui, pourtant, se met
progressivement en place.
De la participation à la retraite en passant par l'épargne salariale et
l'intéressement, le Sénat pourra ainsi embrasser l'ensemble du champ des
relations nouées entre le capital et le travail, au-delà du seul rapport
salarial, et tenter d'extraire ce texte des contingences plurielles
contradictoires qui l'ont affecté.
La commission vous invite à adopter ce projet de loi, amendé comme je viens de
le dire. C'est notre devoir de législateur de perfectionner, là où il est
perfectible, le texte de l'Assemblée nationale. C'est notre devoir de
représentants du peuple d'y ajouter une proposition de réponse aux attentes de
nos concitoyens. C'est notre devoir de Français de consolider l'oeuvre
importante accomplie dans notre pays sur l'association du capital et du
travail.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, nous voici donc appelés à nous prononcer sur le projet de loi
relatif à l'épargne salariale.
Il s'agit d'un texte pour le moins attendu : attendu par les salariés, attendu
par les entreprises, mais attendu aussi, et peut-être surtout, par notre
assemblée, le Sénat ayant attaché une attention toute particulière à la
question de la participation ces derniers mois.
Je ne résisterai pas à la tentation de faire ici un bref retour en arrière.
Voilà maintenant un an et demi, en effet, la commission des affaires sociales
m'avait confié la mission de me pencher sur le développement de l'actionnariat
salarié et ses implications.
J'avais, en septembre 1999, présenté devant la commission mes conclusions sur
ce thème. J'avais alors insisté sur la nécessité de favoriser un développement
organisé de l'actionnariat salarié, celui-ci pouvant en effet constituer le
fondement d'un nouveau partenariat dans l'entreprise.
A la suite de ce rapport, j'avais présenté une proposition de loi reprenant
ces conclusions, que de nombreux commissaires avaient bien voulu cosigner.
Parallèlement, M. Jean Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste
déposaient sur le même sujet une proposition dont les dispositions étaient pour
la plupart très proches, voire identiques.
Ces propositions furent inscrites à l'ordre du jour réservé du 16 décembre
1999 et le Sénat adopta, ce jour-là, une proposition de loi tendant à favoriser
le partenariat social par le développement de l'actionnariat salarié,
comprenant trente-deux articles.
La démarche de notre assemblée était donc claire : diagnostic, concertation et
décision en furent les trois étapes.
Hélas ! cette démarche devait s'arrêter là, le Gouvernement n'ayant pas
souhaité inscrire ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et
n'ayant donc pas permis que cette démarche constructive se poursuive.
Il n'est pas dans mon propos d'instruire ici je ne sais quel procès en
paternité. Bien au contraire, je ne peux que me féliciter que le Gouvernement
se soit - enfin ! du moins semble-t-il - converti à la participation.
Certes, cette conversion est tardive. Nous avons en effet perdu presque un an
pour légiférer, alors qu'il aurait suffi au Gouvernement d'inscrire à l'ordre
du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi votée au Sénat. La
situation est d'autant plus paradoxale que le Gouvernement, après avoir perdu
un an à tergiverser, à hésiter entre plusieurs avant-projets et à se lancer
dans des tractations de dernière minute, choisit de déclarer l'urgence sur le
présent projet de loi.
Certes, cette conversion se fait également du bout des lèvres. Le Gouvernement
préfère en effet retenir la notion d'épargne salariale plutôt que l'appellation
classique de participation. Il semble qu'il y ait toujours des mots qui fassent
peur ou qui déplaisent.
Mais l'important n'est pas là. Ce qui importait, c'était que le Gouvernement
renonce à une conception quelque peu archaïque des rapports sociaux et
s'inscrive dans une vision plus associative du monde du travail, telle qu'a
cherché à la mettre en place le général de Gaulle.
Ainsi, le 27 septembre 1999, alors que la commission des affaires sociales du
Sénat s'apprêtait à publier son rapport d'information, M. le Premier ministre
annonçait à Strasbourg, aux journées parlementaires d'information du parti
socialiste, que « le Gouvernement pense nécessaire, s'agissant des salariés
actionnaires, de renforcer leur rôle, leurs moyens d'action et leur
représentation ».
Peu après, le 13 octobre 1999, il confiait à MM. Balligand et de Foucauld une
mission destinée à étudier « les modalités d'une participation plus active des
salariés au développement de leurs entreprises et au partage des fruits de la
croissance, notamment grâce à l'épargne salariale et à l'actionnariat salarié
». Au même moment, M. Dominique Strauss-Kahn, alors ministre des finances,
déclarait le 22 octobre : « L'épargne salariale est au coeur de notre projet.
»
Ces déclarations laissaient alors présager non seulement un ralliement de la
majorité plurielle à notre volonté d'assurer un nouveau partenariat dans
l'entreprise, mais aussi un texte d'envergure.
Et il est vrai que, à lire l'exposé des motifs du projet de loi, les objectifs
en sont ambitieux. Il s'agit, en effet, d'ouvrir l'épargne salariale au plus
grand nombre ; de créer un dispositif d'épargne salariale à long terme ; de
moderniser l'actionnariat salarié ; de renforcer les droits des salariés.
Ces objectifs paraissent d'autant plus faciles à partager que ce sont, en
effet, les mêmes que ceux qui ont été poursuivis par le Sénat dans sa
proposition de loi le 16 décembre dernier.
Il est vrai que le principal mérite de ce projet de loi est sans doute
d'avoir, à la suite du rapport de MM. Balligand et de Foucauld, bien identifié
les principaux enjeux d'une réforme des dispositifs de la participation.
La commission des affaires sociales considère en effet que, même si ces
dispositifs fonctionnent actuellement bien, ils souffrent toutefois de
certaines imperfections.
D'une part, les mécanismes de participation ne couvrent qu'une faible part des
salariés - vous avez insisté sur ce point tout à l'heure, monsieur le ministre
- et restent insuffisamment négociés. Ainsi, en 1997, 48 % des entreprises de
cinquante salariés et plus n'avaient pas d'accord de participation ou
d'intéressement. Ce taux atteint 95 % pour les entreprises de dix à
quarante-neuf salariés. Il en va de même pour l'actionnariat salarié. En 1998,
seuls 3 % des ménages - je dis bien 3 % ! - possédaient des titres de leur
entreprise.
D'autre part, l'orientation de l'épargne salariale est encore loin d'être
optimale. La durée des placements, même si elle tend à augmenter, reste trop
courte pour garantir un financement stable de notre économie. Surtout,
l'épargne salariale n'est encore que faiblement investie en titres de
l'entreprise. Au 31 décembre 1999, 45 % de l'encours des fonds communs de
placement d'entreprise étaient certes composés d'actions de l'entreprise, pour
un montant total de 148 milliards de francs, mais ce montant reste, à
l'évidence, largement insuffisant pour assurer la stabilité des fonds propres
des entreprises françaises quand on le rapporte à leur capitalisation
boursière, qui dépasse 10 000 milliards de francs à la même date.
En outre, si la montée en puissance de l'épargne a certes permis une meilleure
association des salariés à la croissance de leur entreprise, la représentation
collective des salariés actionnaires reste, en revanche, insuffisamment
organisée.
Enfin, les dispositifs d'épargne salariale n'ont pris en compte
qu'imparfaitement les évolutions du monde du travail comme la mobilité
croissante des salariés ou l'internationalisation des entreprises.
Face à ce constat, le projet de loi prévoit plusieurs mesures qui, pour
beaucoup, se révèlent très proches de celles qui avaient été avancées par le
Sénat dans ses travaux antérieurs.
Dans certains cas, le projet de loi reprend purement et simplement des
propositions du Sénat.
Deux d'entre elles figurent d'ailleurs parmi les plus importantes du projet de
loi. Il s'agit, d'une part, de l'institution de plans d'épargne
interentreprises - c'est l'article 5 - pour favoriser le développement encore
très lent de l'épargne salariale dans les PME et, d'autre part, de la
possibilité, pour un salarié changeant d'entreprise, de transférer
parallèlement les sommes placées sur son plan d'épargne d'entreprise - c'est
l'article 2 - afin d'adapter les systèmes de participations à la mobilité
croissante des salariés et d'éviter la déshérence regrettable de fonds
d'épargne salariale.
Le projet de loi reprend également d'autres propositions de notre assemblée, à
savoir la possibilité pour les holdings de calculer leur intéressement en
fonction des résultats et des performances du groupe - c'est l'article 4 - et,
pour les salariés membres des conseils de surveillance des fonds communs de
placement d'entreprise, d'accéder à une formation adéquate afin de pouvoir
veiller efficacement à leurs intérêts - c'est l'article 3
quinquies.
Dans d'autres cas, les dispositions du projet de loi divergent des
propositions du Sénat, mais répondent en apparence à un souci. Il s'agit
principalement de certaines dispositions du titre V relatives au renforcement
des droits des salariés dans l'entreprise et du titre VI concernant
l'actionnariat salarié.
Je pense, en particulier, au souci de développer une épargne salariale à long
terme - c'est l'article 7 -, au renforcement du rôle du dialogue social pour la
mise en place des dispositifs d'épargne salariale - c'est l'article 11 -, à la
mise en oeuvre du « rendez-vous obligatoire » institué en 1994 pour la
représentation des salariés actionnaires dans les organes délibérants de
l'entreprise - c'est l'article 13 -, au renforcement des pouvoirs des conseils
de surveillance des fonds communs de placement d'entreprise dans lesquels sont
représentés les salariés - c'est l'article 12 - ou à la volonté d'associer
prioritairement les salariés à toute augmentation de capital - c'est l'article
14.
Dans tous ces cas, le texte du Gouvernement reste néanmoins en retrait par
rapport aux propositions du Sénat.
Pour autant, cette proximité apparente des deux textes ne peut faire longtemps
illusion !
A y regarder de plus près, en effet, le texte qui nous est soumis aujourd'hui
se révèle décevant car, derrière un affichage ambitieux, se cache en définitive
un texte de circonstance.
A côté de mesures techniques parfois utiles se trouvent de véritables « usines
à gaz » ; je pense, en particulier, aux plans d'épargne interentreprises tels
qu'il sont ici présentés ou au plan partenarial d'épargne salariale volontaire
qui, loin de simplifier les dispositifs existants, brouillent la lisibilité
d'ensemble du système.
Mais, surtout, le Gouvernement ignore une dimension majeure : celle de
l'actionnariat salarié, auquel ne sont consacrés que deux « malheureux »
articles sur les vingt-sept articles du texte issu de l'Assemblée nationale.
L'actionnariat salarié est donc incontestablement le parent pauvre du texte qui
nous est soumis aujourd'hui, au moment où celui-ci tend pourtant à devenir un
thème fédérateur.
En réalité, ces similitudes entre le projet de loi et le texte adopté au Sénat
restent insuffisantes pour ne pas mettre en lumière une différence d'approche
fondamentale.
Pour le Sénat, il s'agissait finalement d'adapter l'ensemble des dispositifs
de participation pour favoriser le développement de l'actionnariat salarié dans
le sens du progrès social.
L'épargne salariale et
a fortiori
l'actionnariat salarié ne peuvent se
résumer à une simple « coquille vide » servant simplement à fournir un
complément de rémunération. Ils doivent, au contraire, se traduire par une
participation croissante du salarié actionnaire à la marche de l'entreprise et
surtout aux décisions qui engagent le destin de l'entreprise. C'est pour cela
qu'ils doivent être fidélisés et organisés, afin de permettre l'émergence d'un
pôle d'actionnariat stable et collectif, seul capable de fournir un contrepoids
suffisant à la puissance des autres pôles d'actionnariat de l'entreprise.
C'est à ces conditions - et à ces conditions seulement - que l'épargne
salariale et l'actionnariat salarié pourront réellement constituer une «
révolution sociale », pour reprendre l'expression chère au président
Poncelet.
A l'inverse, le texte du Gouvernement s'inscrit, lui, dans une perspective
qui, en dépit de certains faux-semblants, tend plutôt à privilégier l'approche
financière.
Il est en effet à craindre que le Gouvernement ne cherche ici à apporter une
réponse à deux questions très éloignées de la problématique sociale que nous
avions cherché à développer : le financement des retraites et la stagnation du
pouvoir d'achat.
Les plans partenariaux d'épargne salariale volontaire, du moins dans leur
version originale, apparaissent en effet comme des ersatz à la mise en place de
réels fonds de pension et de plans d'épargne retraite. Il semble bien que,
reportant continuellement la nécessaire réforme des retraites, le Gouvernement
ait voulu permettre aux salariés de se constituer une épargne longue pouvant
leur servir de complément de retraite. L'épargne salariale deviendrait alors un
pis-aller à l'épargne retraite.
Le débat à l'Assemblée nationale a cependant permis d'éclaircir en partie
cette question.
Par la suppression de la sortie en rente et par la possibilité d'une sortie «
glissante », le plan partenarial d'épargne salariale volontaire se rapproche
d'un plan d'épargne à long terme, même s'il constitue toujours un « produit
hybride ». A ce propos, votre rapporteur pour avis ne peut que regretter que ni
le Gouvernement ni l'Assemblée nationale n'aient choisi la solution la plus
simple qu'il avait d'ailleurs proposée dans son rapport d'information, à savoir
moduler les aides financières de l'entreprise - abondement et décote pour les
actions - en fonction de la durée d'immobilisation des sommes dans le plan
d'épargne d'entreprise, cette durée d'immobilisation pouvant alors dépasser
cinq ans lorsqu'un accord collectif le prévoit.
La seconde ambiguïté concerne la nature même de l'épargne salariale. Il n'est
pas exclu que, conscient de l'impact défavorable de la mise en place des 35
heures pour l'évolution des salaires, le Gouvernement ait souhaité favoriser
l'extension des compléments de rémunération afin de compenser la stagnation du
pouvoir d'achat individuel.
La commission des affaires sociales s'inquiéterait d'une telle dérive, si elle
devait se confirmer. Les dispositifs d'épargne salariale n'ont en effet
vocation ni à se substituer aux rémunérations ni à compenser la stagnation des
salaires. Ce serait contraire à l'idée de participation du général de
Gaulle.
M. André Jourdain.
Très bien !
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
Leur logique est tout autre : ils visent à une
meilleure association du salarié et de l'entreprise.
On ne peut donc que regretter ce « mélange des genres ». Ces ambiguïtés
entretenues par le Gouvernement invitent donc à orienter ce texte dans le sens
qui aurait dû être le sien dès l'origine.
La commission des affaires sociales, qui n'est saisie que pour avis, a choisi
d'orienter ses propositions dans le sens du travail qui est le sien depuis un
an et demi. Aussi, les amendements que je vous présenterai tout à l'heure
viseront principalement à renforcer le volet trop succinct de ce texte consacré
à l'actionnariat salarié.
Je n'insisterai pas, une nouvelle fois, sur les raisons qui militent en faveur
d'un accompagnement actif du mouvement actuel de progression de l'actionnariat
salarié ; mais je tiens à en souligner les deux implications majeures.
Dans l'entreprise, l'actionnariat salarié tend à transformer les rapports
sociaux en permettant aux salariés d'être associés, je dis bien associés, au
destin de leur entreprise et donc de leur emploi. En jouant leur rôle
d'actionnaires, les salariés peuvent peser sur les décisions.
Plus généralement, l'actionnariat salarié peut permettre également
d'accompagner les mutations de l'économie française.
Il peut contribuer à renforcer les fonds propres des entreprises en favorisant
le placement de l'épargne en actions.
Il répond également au souci de garantir le caractère national de nos
entreprises en renforçant la place des actionnaires français dans leur
capital.
Il peut soutenir les entreprises de croissance en leur assurant un accès à de
nouveaux capitaux et en compensant les contraintes de leur politique
salariale.
C'est pourquoi la commission des affaires sociales propose prioritairement de
rétablir, par voie d'amendements, la plupart des dispositions relatives à
l'actionnariat salarié qui avaient été adoptées par le Sénat en décembre
dernier.
Je rappellerai ici, pour mémoire, les grandes lignes de ce texte.
La démarche du Sénat était, et reste, résolument pragmatique. Le texte adopté
tendait simplement à renforcer l'existant pour lever certains obstacles au
développement de l'actionnariat salarié et pour l'adapter à l'évolution du
monde du travail et de la vie économique.
Il reposait sur cinq grands principes.
Le développement de l'actionnariat salarié passe avant tout par une démarche
incitative. Ce n'est pas en instaurant par la loi de nouvelles obligations et
de nouvelles contraintes que l'actionnariat salarié se développera. Bien au
contraire, il est nécessaire que l'actionnariat résulte d'une action volontaire
et soit de surcroît défini et organisé par voie contractuelle.
M. René-Pierre Signé.
Et organisé !
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
Cela doit vous faire plaisir, mes chers collègues
!
La réglementation doit donc être avant tout incitative et favoriser la
négociation dans l'entreprise. Cela aussi doit vous faire plaisir, mes chers
collègues !
L'actionnariat salarié doit être adapté aux spécificités des entreprises. Il
s'agit donc non pas d'imposer un modèle unique, mais d'ouvrir des voies
différentes et souples. Aussi, ne faut-il pas succomber au mythe d'une règle
uniforme, applicable à tous, ce qui est, hélas ! bien souvent le travers de
notre législation sociale.
L'actionnariat salarié doit être stable et aussi durable que possible. Sa
vocation n'est pas d'offrir un placement spéculatif. Il doit donc être fidélisé
!
L'actionnariat salarié ne peut être une coquille vide. Il doit se traduire par
une participation croissante du salarié à la marche de l'entreprise et,
surtout, aux décisions qui engagent le destin de l'entreprise.
L'actionnariat salarié ne sera efficace que s'il est organisé ! Un
actionnariat exercé individuellement pèse trop peu et ne permet pas aux
salariés actionnaires d'être directement associés aux décisions les plus
importantes de l'entreprise. Aussi, cette organisation doit s'inscrire dans une
démarche collective, seule capable de fournir un contrepoids suffisant à la
puissance des autres pôles d'actionnariat de l'entreprise. Cela aussi doit vous
faire plaisir, mes chers collègues !
Pour autant, la commission des affaires sociales ne vous proposera pas de
rétablir
in extenso
les articles adoptés par le Sénat en décembre
dernier s'ils sont pour partie satisfaits par le projet de loi, ce dont je vous
donne acte, monsieur le ministre. Je pense notamment aux dispositions
concernant le plan d'épargne interentreprises ou le transfert des sommes
placées sur les PEE lorsque les salariés changent d'entreprise.
Elle n'a pas souhaité non plus vous proposer de rétablir deux articles de la
proposition de loi adoptée au Sénat.
Le premier concernait l'actionnariat salarié issu de l'attribution d'options
sur actions. Compte tenu de la spécificité de ces plans, il ne faut pas prendre
le risque d'ajouter à la confusion et au mélange des genres qui pourraient être
entretenus par ce texte.
Le second concernait l'actualisation des plans d'actionnariat salarié issus de
la loi du 27 décembre 1973. Ces plans sont très peu utilisés actuellement.
Seule une centaine d'entreprises les a mis en place, avant tout pour permettre
la mise en oeuvre de plans d'actionnariat à l'échelon international. Or le
projet de loi - une fois de plus, je vous en donne acte, monsieur le ministre -
en clarifiant la notion de groupe, répond largement aux préoccupations qui
justifiaient le recours à ces plans. Notre souci est donc, sur ce point,
largement satisfait.
Dans ces conditions, la commission a examiné plus particulièrement les titres
V - Renforcement des droits des salariés dans l'entreprise - et VI -
Actionnariat salarié -, mais aussi le titre Ier - Amélioration des dispositifs
existants - dans la mesure où il aborde la modernisation des mécanismes
d'épargne salariale, qui sont les vecteurs principaux de l'actionnariat
salarié.
Il appartient naturellement à la commission des finances, saisie au fond,
d'examiner l'ensemble du texte. La teneur très financière de celui-ci rapproche
en effet ce texte des compétences traditionnelles de ladite commission.
Certains pourraient juger que notre démarche relève de l'entêtement. Tel n'est
pas notre propos.
Nous craignons en fait que ce projet de loi ne constitue une occasion manquée,
dont les conséquences seraient graves.
Nous sommes aujourd'hui dans un monde nouveau, bouleversé par l'emprise sans
cesse croissante de la mondialisation. Dans ce nouveau contexte, la vieille
idée de l'association, chère au général de Gaulle, retrouve, une fois encore,
une actualité renouvelée. En effet, l'actionnariat salarié, qui constitue le
stade ultime de l'association, peut offrir un instrument efficace pour
accompagner la mutation de notre économie tout en protégeant nos entreprises et
leurs salariés d'une conception trop peu humaine de la compétition
économique.
A propos de l'association justement, le général de Gaulle écrivait, dans ses
Mémoires d'espoir :
« Mais, par delà les épreuves, les délais, les
tombeaux, ce qui est légitime peut, un jour, être légalisé ; ce qui est
raisonnable peut finir par avoir raison. »
C'est la voie dans laquelle, mes chers collègues, nous vous proposons de vous
engager en cherchant à développer et à encourager l'actionnariat salarié. Tel
est le sens des propositions que la commission des affaires sociales vous
soumet aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé.
Vous êtes le dernier gaulliste !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes.
Groupe socialiste, 38 minutes.
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes.
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes.
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme
des relations entre l'homme, les fruits de l'entreprise et son capital est, à
mon sens, un enjeu essentiel pour l'ensemble des acteurs économiques.
Comment ne pas entendre en effet l'appel des salariés, soucieux d'être
associés à la fois au partage des bénéfices et au processus de prise de
décisions dans un contexte de mondialisation et de concurrence accrue ?
En témoigne le taux de participation très élevé que l'on a connu lors des
ouvertures de capital des entreprises publiques engagées à partir de 1986, les
demandes de souscription dépassant très largement les offres proposées.
Quant aux entreprises, elles manifestent également un intérêt grandissant pour
l'actionnariat salarié : selon une enquête récente, 42 % d'entre elles
déclarent détenir un tel système. Nombre de PME souhaiteraient sans doute
l'adopter, mais aussi elles ne le peuvent pas pour des raisons strictement
financières.
Les chefs d'entreprise prennent de plus en plus conscience non seulement de la
nécessité de renforcer leur fonds propres, mais également de ce que
l'amélioration du dialogue social peut apporter à l'entreprise, dans la
démarche gagnant-gagnant que vous évoquiez dans votre propos liminaire,
monsieur le ministre.
De son côté, le Sénat n'a pas attendu cet automne 2000 pour aborder de façon
approfondie l'un des sujets qui dominera l'actualité économique et sociale des
prochaines années : l'affirmation en France d'un nouveau type de capitalisme,
que j'appelerai « capitalisme participatif », avec des salariés directement
liés à la vie et aux résultats de l'entreprise.
Je pense, évidemment, à l'excellent rapport sur l'actionnariat salarié de
notre collègue Jean Chérioux et de la commission des affaires sociales, travail
particulièrement complet qui fera date sur ce sujet, au rapport établi en 1994
par nos collègues Jean Arthuis, Philippe Marini et Paul Loridant, portant sur
la clarification indispensable des stock-options, ainsi qu'à la proposition de
loi créant des fonds d'épargne-retraite, qui a été adoptée par le Sénat le 14
octobre 1999, sur l'initiative, notamment, de mon groupe parlementaire, l'Union
centrise.
La réconciliation entre l'homme et l'entreprise, son épanouissement pour et
dans l'entrerise passe, en particulier, par le développement de l'actionnariat
salarié. L'évolution des rapports sociaux en France n'a jamais été aussi
nécessaire : ce sera le premier point de mon propos.
Il faut, par ailleurs, définir quelques priorités. C'était l'objectif de la
proposition de loi, déposée par mon groupe, relative au développement du
partenariat social, qui fut examinée en décembre dernier au Sénat.
Certaines des propositions sénatoriales ont été reprises dans le texte qui
nous est soumis, et nous nous en réjouissons. Des divergences demeurent
néanmoins : ce sera l'objet de la deuxième partie de mon intervention.
Le projet d'association entre le capital et le travail formulé par le général
de Gaulle en 1958 est une idée ancienne.
Après quarante ans d'application des systèmes de participation et
d'intéressement, le bilan est intéressant, mais il témoigne que beaucoup reste
à faire. Il est vrai que près de 5 millions de salariés bénéficient des fruits
de la participation et 3 millions de l'intéressement. Ces dispositifs
constituent, avant tout, un moyen de compléter des salaires qui augmentent très
faiblement depuis 1990.
L'actionnariat des salariés dans leur propre entreprise reste relativement
limité : selon l'INSEE, 700 000 salariés seraient actionnaires de leur
entreprise, soit seulement 3 % des ménages ; et l'actionnariat salarié ne
représenterait que 2 % de la capitalisation boursière en France.
Or, comme je le disais tout à l'heure, il existe une réelle attente de la part
des salariés de notre pays, au-delà des entreprises cotées ou des anciennes
entreprises publiques. Sans doute la faiblesse relative de l'actionnariat
salarié provient-il donc de l'inadaptation et de l'insuffisance des outils
proposés.
Toutefois, le problème central du système d'actionnariat à la française n'est
pas uniquement la portée limitée des incitations ou avantages financiers
proposés aux salariés et aux entreprises : sa grande faiblesse provient sans
doute, ce qui n'étonnera personne, de sa grande complexité, de sa lourdeur et,
bien sûr, de la multiplicité des dispositifs. A l'instar d'une grande partie de
notre législation, ce système d'actionnariat salarié ressemble en quelque sorte
à un mille-feuille constitué de dispositions souvent contradictoires et
économiquement contre-productives.
Or, plus que jamais, l'émergence d'un capitalisme participatif est nécessaire
dans notre pays pour accompagner de manière positive l'évolution actuelle de
l'économie de marché, dans un contexte de mondialisation et de concurrence
accrue. Face à l'influence grandissante des investisseurs étrangers, qui
contrôlent plus de 40 % du capital des sociétés françaises cotées, la création
de fonds d'épargne retraite, mais aussi un développement de l'épargne salariale
peuvent constituer des moyens efficaces de renforcement des fonds propres des
entreprises et de stabilisation dans la durée de leur capital.
Dans cette perspective, nous devons réformer en profondeur l'ensemble de la
législation définissant les modes de participation financière des salariés et
définir des priorités.
L'amélioration des dispositifs existants, la clarification fiscale et la
simplification de l'ensemble sont les objectifs majeurs de la proposition de
loi qu'a déposée l'année dernière le groupe de l'Union centriste en faveur du
partenariat social.
A cet égard, le projet de loi gouvernemental ne répond que très partiellement
à nos attentes. Il cherche à concilier plusieurs objectifs : ouvrir l'épargne
salariale au plus grand nombre, moderniser l'actionnariat salarié, renforcer
les droits des salariés en développant la négociation et en renforçant le rôle
et les pouvoirs des conseils de surveillance des fonds communs de placement.
Sur ces différents points, le projet du Gouvernement reprend un certain nombre
d'idées déjà émises par le groupe de l'Union centriste et par l'ensemble de la
majorité sénatoriale, à l'occasion de l'adoption d'une proposition de loi le 16
décembre dernier. Il s'en distingue cependant en créant un dispositif d'épargne
salariale à long terme, d'une durée de dix ans.
En voulant donner une réponse unique à l'insuffisance des fonds propres des
entreprises et à la stagnation du pouvoir d'achat des salariés, d'une part, au
problème du financement des retraites, d'autre part, le Gouvernement a pris le
risque de présenter un projet hybride et contradictoire, qui plus est fortement
dénaturé par certains amendements de la gauche plurielle adoptés par
l'Assemblée nationale. Il aurait fallu, au contraire, dissocier le problème de
l'épargne salariale de celui de l'indispensable complément de retraite par
capitalisation, comme l'a fait le Sénat en adoptant deux propositions de loi
distinctes à la fin de l'année 1999.
Revenons néanmoins sur les points positifs. L'idée d'un plan d'épargne
interentreprises, ou PEI, fait, je le crois, l'unanimité. Il s'agit en effet de
mettre fin à l'inégalité entre la situation des salariés des PME et celle des
salariés des grandes entreprises. Ces nouveaux produits permettraient de
mutualiser les frais de gestion des fonds communs de placement, qui constituent
le support institutionnel et financier des PEE. Les PEI ont, en outre, un
caractère souple et contractuel : ils sont donc particulièrement adaptés aux
spécificités et à la diversité des PME.
Le Gouvernement aurait peut-être intérêt à faire preuve d'un semblable
pragmatisme dans un autre dossier qui préoccupe tout particulièrement le
secteur des petites entreprises : les 35 heures !
Une autre avancée positive est réalisée avec le titre Ier, qui prend en compte
la mobilité des salariés dans les règles régissant les PEE.
Les progrès apportés par ce projet, inspirés des propositions du Sénat, sont
toutefois contrebalancés par des demi-mesures ou par des concessions à l'aile
gauche de la majorité plurielle.
Ainsi, on peut s'interroger sur l'intérêt même du « super-PEE » que devient le
plan d'épargne à long terme en l'absence d'incitations financières fortes et
compte tenu du prélèvement social qui serait opéré sur les abondements de
l'employeur, en application d'un amendement voté par l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, il conviendrait d'aller plus loin dans l'amélioration de
certains des dispositifs existants, par exemple en donnant plus de poids aux
actionnaires salariés dans la gestion des fonds tirés de l'actionnariat
salarié. De concert avec la commission des affaires sociales, mon groupe
parlementaire proposera, au cours de la discussion, que les représentants des
salariés dans les conseils de surveillance des fonds communs de placement
investis en titres de l'entreprise soient désormais élus et non plus désignés.
C'est une revendication tout à fait légitime des associations d'actionnaires
salariés, qui sont actuellement une dizaine en France.
Un autre sujet a été abordé lors de l'examen du projet de loi relatif aux
nouvelles régulations économiques - j'y reviens, car il s'inscrit tout à fait
dans le cadre de l'actionnariat salarié, et il est vraiment dommage qu'il en
ait été ainsi dissocié. Je veux parler de la simplification et de l'allégement
de la taxation des stock-options, ou plutôt des BSPCE, les bons de souscription
de parts de créateur d'entreprise, qui constituent une forme d'épargne de plus
en plus répandue.
Les stock-options, qui se sont considérablement développés en France ces
dernières années, sont désormais indispensables, notamment dans les secteurs en
fort développement ou en contact direct avec la concurrence internationale. Il
s'agit de motiver et de fidéliser certains salariés, mais aussi de les
récompenser de la confiance qu'ils ont placée dans l'entreprise à son démarrage
en y investissant certaines sommes.
C'est la reconnaissance du risque. Ce système est, dans les faits,
actuellement réservé à des cadres supérieurs et dirigeants, mais rien dans la
loi n'interdit à l'entreprise de distribuer des stock-options à l'ensemble des
salariés ou à certains non-cadres. C'est déjà le cas dans des PME du secteur de
l'informatique ou des nouvelles technologies.
Comment amplifier ce phénomène ? Il s'agit surtout de simplifier le mode de
taxation. Notre système est, en effet, particulièrement complexe, avec une
double taxation : au moment de la levée de l'option et à l'occasion de la
cession des titres.
La proposition émise par notre groupe a le grand mérite de la simplicité, sans
sacrifier l'efficacité : les stock-options ne seraient taxées que lors de leur
cession, la plus-value étant calculée par rapport au prix de souscription. La
taxation se ferait au taux de droit commun de 16 % en cas de respect d'un délai
de portage de cinq années. Dans le cas contraire, elle serait taxée comme un
salaire.
Mes chers collègues, nous devons absolument innover dans ce domaine si nous
voulons éviter, par exemple, qu'un certain nombre de nos ingénieurs ou
chercheurs ne soient finalement attirés dans d'autres pays européens ou, ce qui
est plus grave, outre-Atlantique par des incitations financières plus
attrayantes.
En conclusion, je dirai qu'il est maintenant nécessaire d'imaginer de
nouvelles relations entre l'homme, l'argent, l'entreprise et son travail. Pour
cela, il faut abandonner notre culture de conflit pour favoriser une nouvelle
expression collective des salariés par l'accès au capital.
Si nous voulons garder la compétitivité nécessaire pour rester dans le peloton
de tête d'un monde où le pouvoir économique est synonyme d'indépendance, de
choix et de liberté, il nous faut réconcilier un maximum d'hommes avec
l'entreprise et les mobiliser pour celle-ci.
Je remercie les deux commissions du Sénat de l'ensemble de leur travail. Je
suis persuadé que les propositions du Sénat contribueront à mieux faire
comprendre à nos concitoyens que notre avenir passe d'abord par l'entreprise.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
MM. Philippe Marini et Charles Revet.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
annoncé à grand renfort de trompes médiatiques, voici présenté devant le Sénat
un projet de loi dont le but affiché est de concilier deux facteurs - j'allais
dire : deux valeurs - que certains membres de la majorité plurielle ne manquent
jamais de considérer comme totalement antagonistes : le travail et le
capital.
Enfin, oserai-je dire, un peu de bon sens commence à illuminer les réflexions
du Gouvernement ! Car c'est un problème qui est depuis longtemps mis sur la
table dans notre pays. Je me rappelle un chef d'Etat un peu visionnaire qui
parlait de la participation comme d'un moyen d'essayer de concilier travail et
capital. Peut-être avons-nous perdu beaucoup de temps...
M. André Jourdain
Hélas !
M. Paul Girod.
... avant de commencer à considérer que cet antagonisme est probablement plus
artificiel qu'on ne le croit.
A lire l'exposé des motifs du projet de loi, on constate que les objectifs
affichés sont extrêmement larges puisqu'ils consistent aussi bien à inciter les
entreprises à encourager l'épargne salariale qu'à revoir les mécanismes
d'implication des salariés actionnaires déjà existants ou bien à favoriser
l'épargne longue par le biais des plans d'épargne salariale volontaire.
Ce sont, certes, des objectifs nobles. Mais, par rapport à l'idée fondamentale
de ceux qu'ont mené pendant longtemps ce pays avant vous, admettez, monsieur le
secrétaire d'Etat, que le projet manque un peu d'ambition : par son caractère
purement technique - car il se garde bien d'aborder les problèmes de fond - il
risque de troubler la perception de ces nouveaux concepts que sont l'épargne
salariale et l'épargne retraite.
S'agissant de l'épargne salariale, deux difficultés doivent être mises en
exergue.
La première a trait à la mauvaise orientation générale de l'épargne en France.
Au fond, une grande partie de l'épargne rentable est captée par des mécanismes
institutionnels, contrairement à ce qui se passe chez nos voisins allemands et
anglo-saxons.
A titre de comparaison, la rentabilité de l'épargne est bien moindre en France
qu'elle ne l'est ailleurs : l'écart est de un à cinq.
De plus, les Français, trop souvent victimes d'une fiscalité confiscatoire,
participent moins à l'épargne salariale que certains de leurs voisins et ont,
par conséquent, tendance à la dévier en direction de placements qui ne sont pas
aussi productifs qu'il serait souhaitable pour le bien de notre économie.
L'autre difficulté tient au fait que nombre d'entreprises manquent de capitaux
et que 40 % des parts des entreprises françaises sont détenues par des
non-résidents, en particulier, ô paradoxe, par des fonds de pension étrangers,
ce qui fait que ce sont nos salariés qui travaillent pour financer les
retraites des autres.
C'est pourquoi l'épargne salariale - si elle réussit, ce qui n'est pas encore
acquis - devrait permettre à nos entreprises de renforcer leur productivité,
d'améliorer l'innovation, bref de revitaliser notre tissu économique.
Elargir l'accès à l'épargne salariale est le meilleur moyen de drainer des
capitaux plus importants en donnant aux entreprises qui en ont besoin la
possibilité d'en profiter. L'épargne salariale devrait alors constituer une
synthèse entre la réussite de l'entreprise et la participation des salariés. Ce
serait ouvrir la voie à l'épanouissement et à l'enrichissement de tous au sein
des entreprises et peut-être aussi - c'est là mon souhait, mais je ne suis pas
sûr que les dispositifs, encore une fois exagérément techniques, qui figurent
dans votre texte, monsieur le secrétaire d'Etat, aboutissent à cela - à un
changement dans les mentalités des Français par rapport à la notion de risque,
qui est malheureusement trop souvent absente.
Soit dit entre nous, l'un des problèmes que nous rencontrons régulièrement sur
le terrain n'est pas tant de voir se créer trop peu d'entreprises, que d'en
voir trop capoter lors de leur phase de développement, parce que c'est alors
qu'elles ont du mal à trouver des capitaux. C'est peut-être l'un des apports
importants de l'Assemblée nationale, qui a prévu, d'une certaine manière, des
mutualisations par bassin d'emploi permettant d'établir des rapports directs
entre ceux qui placent leur épargne salariale et les entreprises du secteur,
dont ils peuvent surveiller l'épanouissement éventuel et s'intéresser ainsi de
manière plus impliquée à la vie économique.
Cela ne figure pas dans les buts affichés de votre projet de loi, mais
j'espère que c'en sera une résultante, quand bien même elle n'aurait pas été
recherchée.
En ce qui concerne l'épargne retraite, je me réjouis que la commission des
finances du Sénat propose l'insertion d'une division additionnelle. L'épargne
salariale n'a pas la même fonction que l'épargne-retraite, et le seul lien
entre les deux ne peut se faire que sur la base du volontariat, lorsque le
salarié veut transformer son capital d'épargne salariale en instrument de
rendement pour la retraite.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le problème de la retraite est un problème
majeur, et on le dit depuis longtemps. Je regrette que M. le ministre de
l'économie et des finances soit parti, car, si j'en crois la presse du matin,
au dernier conseil ECOFIN qu'il vient de présider, on n'a pas parlé d'autre
chose...
J'en déduis qu'il y a une prise de conscience à l'échelon européen de
l'importance de cette question.
Cette prise de conscience nous était encore plus nécessaire qu'à nos
partenaires dans la mesure où notre système par répartition va, si j'ose dire,
dans le mur, et en klaxonnant ! S'il existe quelques régimes par capitalisation
en France, ils ne touchent qu'un nombre extrêmement réduit de bénéficiaires, et
notre système reste complètement axé sur la répartition, lequel a été analysé
dès 1993 par le Sénat, qui a pris un certain nombre d'initiatives.
J'ajoute que, en 1991 et en 1995, un panorama des systèmes par répartition
avait été réalisé à deux reprises, à l'occasion de la publication du livre
blanc sur les retraites et lorsque furent dessinées les perspectives à long
terme des retraites. Or les enseignements de ces rapports me semblent avoir été
parfaitement explicites mais totalement négligés.
A partir de 1955-1956, les systèmes de répartition se sont trouvés handicapés
et n'ont pu être sauvés que par l'arrivée massive des femmes, dans le monde du
travail.
M. Paul Loridant.
Heureusement !
M. Paul Girod.
Je n'ai pas dit que c'était malheureux, monsieur Loridant.
Il reste que les difficultés n'auraient pas manqué d'apparaître de plus en
plus nettement dès cette époque si l'on était resté à nombre de salariés
constant. Cependant, l'élargissement de l'assiette cotisante par l'entrée des
femmes dans le monde du travail a été, pardonnez-moi l'expression, un « fusil à
un coup » : cela ne se renouvellera plus.
La réalité à laquelle nous sommes maintenant confrontés est l'arrivée des
générations du
baby boom
à l'âge de la retraite ; nous allons nous
retrouver un beau matin avec dix retraités pour six salariés, ce qui est
parfaitement intenable !
A partir de 2010, si nous ne faisons rien, nos régimes de retraite par
répartition ne pourront en aucun cas faire face. Il faut donc se dépêcher de
mettre en place un système qui soit plus adapté aux perspectives dont je viens
de parler.
Toute l'Europe réforme ses systèmes de retraite. Nous sommes probablement les
derniers à commencer à nous en occuper et les plus frileux dans les solutions
que nous y apportons.
L'entêtement de l'Assemblée nationale sur ce point est absolument condamnable
et ce que je considère, de la part du Gouvernement, comme de l'inertie
critiquable.
J'espère qu'à l'issue des délibérations du Sénat le texte comportera les
dispositions complémentaires que nos commissions ont prévues, ce dont je les
remercie. Elles sont en effet susceptibles d'aider à une prise de conscience de
l'Assemblée nationale et de l'ensemble du pays quant aux problèmes devant
lesquels nous sommes et auxquels ne sont apportées, pour le moment, que des
solutions insuffisantes.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement, lui aussi,
fasse un peu son chemin de Damas en cette matière, de façon que, ensemble, nous
proposions à nos concitoyens des solutions un peu plus solides, un peu plus
consistantes et un peu plus prospectives que celles qui sont contenues dans le
texte qui nous arrive de l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les
travées du RDSE, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi relatif à l'épargne salariale traite, à nos yeux, à la fois de la situation
des salariés et de celle des entreprises de notre pays, alors même que les
modes de production sont en pleine mutation.
Du point de vue des salariés, ce projet de loi prévoit un produit d'épargne
supplémentaire : il vient en complément de l'intéressement volontaire, de la
participation obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés et du
plan d'épargne d'entreprise, qui est établi sur la base d'un accord
d'entreprise et qui permet aux entreprises d'abonder l'épargne salariale
souscrite par les salariés.
A cela s'ajoute un quatrième dispositif, dont on parle beaucoup, connu sous le
nom de stock-options. Il est, certes, réservé à une élite, et il aboutit
parfois, disons-le, à quelques exagérations, voire à quelques scandales.
A ce titre, monsieur le secrétaire d'Etat, on peut s'interroger sur
l'opportunité de créer un nouveau produit d'épargne salariale, le plan
partenarial d'épargne salariale volontaire. N'est-il pas, en dépit des
dénégations du Gouvernement, un précurseur des fonds de pension qui, à terme,
mettraient en cause la philosophie même de la retraite par répartition ?
M. Philippe Marini.
Mais non !
M. Paul Loridant.
Le présent projet de loi vise un certain nombre de finalités parmi lesquelles
on peut distinguer, de manière un peu rapide, le souci de donner aux
entreprises, et singulièrement aux petites et moyennes entreprises, les moyens
financiers de leur développement, celui de donner aux salariés la possibilité
de disposer de revenus fondés sur une épargne individuelle, volontaire,
intelligemment et utilement constituée, celui de résoudre pour partie le
décalage croissant entre la croissance et le partage des fruits de cette
croissance, celui de répondre aux besoins de comprendre et d'agir que les
salariés expriment de plus en plus dans la vie quotidienne de leur entreprise.
Ce texte tend à répondre pour partie à un certain nombre de ces questions.
Le groupe communiste républicain et citoyen se demande si, sous des dehors
tout à fait estimables et qui correspondraient, d'une certaine manière, à l'air
du temps et au sentiment général des salariés, le dispositif qui est mis en
place n'est pas susceptible de produire des effets pervers peu souhaitables :
par exemple, favoriser l'abondement des entreprises sur le compte des salariés
épargnants au détriment des salaires directs et de la revalorisation de ces
salaires, ou bien risquer de remettre en cause des ressources des caisses de
retraite ou des caisses de sécurité sociale par le biais de l'exonération de
cotisations patronales.
Reconnaissons, de manière liminaire, que la position défendue par le
rapporteur de la commission des finances présente l'avantage de la clarté et
qu'elle est incontestablement cohérente avec des débats qui sont intervenus
précédemment dans notre assemblée.
Nous ne serons donc pas en peine de trouver ici la justification d'un vote
final qui se fondera essentiellement sur une divergence profonde de
finalités.
Nous avons déjà eu l'occasion de rappeler que la participation des salariés
aux fruits de l'expansion, telle qu'elle est codifiée par le titre IV du livre
IV du code du travail, est une donnée relativement ancienne du paysage social
et économique de notre pays, puisqu'elle remonte aux ordonnances de 1967 et que
ce sont, aujourd'hui, plus de quatre millions de salariés de notre pays qui
sont directement concernés par ces dispositifs.
L'une des finalités du projet de loi, en étendant largement les possibilités
de mise en oeuvre du dispositif de participation, est d'accroître très
sensiblement le nombre des bénéficiaires de ce dispositif qui, il est vrai, n'a
pas connu, ces dernières années, une évolution importante, si ce n'est les
progressions tout à fait ponctuelles et non durables causées par la mise en
oeuvre des lois de privation.
La plupart des salariés de notre pays travaillant dans des petites
entreprises, singulièrement dans des entreprises de moins de cinquante
salariés, c'est donc à un important changement d'échelle que risque de procéder
le projet de loi, quand bien même est directement posée une question
essentielle, celle de savoir si les nouveaux produits d'épargne créés par le
projet de loi, notamment le PPESV, seront suffisamment attractifs.
La seconde question qui découle de ce choix de fond concerne l'utilisation de
la ressource collectée au moyen des produits d'épargne salariale. En effet, en
visant la « cible » du salariat dans les petites et moyennes entreprises, le
projet de loi pose naturellement la question du noyau de collecte et, surtout,
de l'utilisation de la ressource ainsi collectée.
Qui dit collecte auprès des salariés des PME, dit aussi collecte au plus près
des bassins de vie et d'emploi, nombre de zones d'activité de notre pays étant
essentiellement conçues autour d'un ensemble de petites et moyennes
entreprises.
Le recours aux dispositifs d'épargne salariale dans ces bassins de vie et
d'emploi pose donc la question essentielle et déterminante de l'affectation de
la ressource ainsi collectée.
Nous ne pourrions admettre, par exemple, que la montée en charge de l'épargne
salariale conduise, une fois développée la collecte sur l'ensemble du
territoire, à ce que cette épargne soit finalement distraite du terrain de
production pour être affectée ailleurs, notamment sur les marchés
financiers.
Des garanties essentielles doivent donc être apportées au principe même de la
mise en place de ces fonds, garanties allant plus loin, à notre sens, que
celles qui sont proposées par l'article 9 du présent projet de loi sur ce que
l'on appelle l'économie solidaire et qui n'est pas sans poser quelques
problèmes de définition.
Le projet de loi relatif à l'épargne salariale pose de surcroît une autre
question importante ; celle du financement de l'économie et de l'activité des
entreprises.
Les ordonnances de 1967 ont mis en place des dispositifs de participation dans
les plus grandes entreprises, qui sont également celles qui accèdent le plus
facilement au crédit bancaire ou au crédit obligataire et,
a fortiori
,
compte tenu de leur statut, à l'épargne publique.
Elles n'ont pas fait autre chose qu'aggraver encore les inégalités qui
existent entre les entreprises quant à leurs possibilités d'accéder au crédit
et à la diversité des sources de financement. Des inégalités profondes
demeurent de ce point de vue entre les grands groupes et les PME, inégalités
que l'on a déjà pu constater et qui recouvrent, par exemple, les différences de
taux d'intérêt des emprunts, l'inégal accès à la ressource CODEVI, les limites
des possibilités d'intervention de la banque de développement des PME ; je ne
m'étendrai pas davantage.
Il est donc tout à fait évident pour nous que ce débat sur l'épargne salariale
doit viser clairement à favoriser toute formule d'allégement du coût de la
ressource mobilisable au titre de l'investissement productif et non pas
financier, et être pleinement associé aux futurs débats que nous nous devons de
mener sur la question du crédit bancaire et de la place de notre système
financier aux côtés de notre dispositif économique de production.
Ce serait en effet commettre une profonde erreur que de placer ce débat sur
l'épargne salariale en dehors de la réflexion plus globale sur les conditions
financières du développement de l'activité économique, réflexion où la part de
la réduction du loyer de l'argent nous semble fondamentale pour parvenir à une
amélioration des conditions de financement de l'investissement productif.
De deux choses l'une en ces matières : ou bien l'épargne salariale permet de
dégager un moyen « interne » de financer les investissements au-delà de la
simple application des règles comptables des entreprises, ou bien l'on assiste
à un reprofilage de l'endettement des entreprises et cette épargne est
distraite de son lieu d'utilisation que constitue le lieu de production où elle
est collectée.
Ces tensions conduiront naturellement, comme on a déjà pu l'observer dans le
passé, à pousser les travers de la gestion d'entreprise vers toujours plus de
rentabilité immédiate, toujours plus de flexibilité, toujours plus de profit,
toujours moins de recherche et de développement, sans traduction concrète en
termes de profitabilité, ce qui conduira souvent à remettre en question les
choix d'investissement en direction des salariés, des outils et des conditions
générales de production. Bref, tout cela se ferait au détriment des salariés et
au profit des actionnaires.
Cela conduira aussi à tendre les conditions du crédit bancaire, qui, par
définition, vient amputer la valeur ajoutée de l'entreprise.
Si l'épargne salariale est amenée par la loi à se rapprocher du terrain, du
bassin de vie et d'emploi, elle doit contribuer à le fertiliser, à le vivifier
et non pas, comme on peut le craindre, à dériver vers la pure et simple
intégration du financement et du développement des petites et moyennes
entreprises sous la seule logique des marchés financiers.
Les questions posées par le texte ont donc, sous certains aspects, une portée
autrement plus grande que celle que pourraient modestement recouvrer l'exposé
des motifs et, plus encore, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale,
dont il est assez évident qu'il est d'une opérabilité limitée.
Le lien fort et naturel entre développement économique, création et partage de
la valeur ajoutée entre salaires et capital est au coeur de notre débat. Nous y
reviendrons tant dans la discussion générale que lors de l'examen des articles.
La meilleure preuve en est fournie par la controverse sur les structures de
gestion de l'épargne salariale - qui a le dernier mot au sein des organes de
gestion ? - ou sur la prise en compte de cette épargne au titre du financement
des cotisations sociales.
Ce débat nous donne à réfléchir quant à la manière dont la loi peut permettre
de fixer les conditions d'un financement moins coûteux de l'investissement et
du développement économique, susceptible de favoriser la croissance durable.
Ce texte doit absolument préserver les intérêts des salariés, leur épargne, en
évitant les risques de spéculation financière. Nous participerons donc à ce
débat avec le souci d'améliorer le dispositif qui est issu des travaux de
l'Assemblée nationale et nous ne manquerons pas d'intervenir par voie
d'amendements.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
texte qui nous est soumis aujourd'hui va permettre, je n'en doute pas, par sa
construction pragmatique et ses objectifs équilibrés, de procéder à une grande
réforme de l'épargne salariale.
A ceux qui considèrent que ce projet de loi est, en revanche, trop timide, je
dirai qu'aujourd'hui les flux d'épargne salariale s'élèvent à seulement 45
milliards de francs, contre 400 milliards de francs pour la seule
assurance-vie, ce qui n'est pas un résultat très performant pour l'épargne
salariale, dont on sait, par ailleurs, que les dispositifs les plus importants
ont été mis en place dans des périodes où nous n'étions pas au pouvoir. Il n'y
a donc pas de leçon à nous donner.
Je ferai également remarquer que le texte prévoit de nouveaux dispositifs,
intéressants fiscalement parlant, et qu'en période d'allégement d'impôt, comme
c'est le cas avec le prochain projet de loi de finances pour 2001, on ne peut
pas, en plus, accroître démesurément les dépenses fiscales, sauf à opter pour
une démarche libérale dont vous comprendrez qu'elle soit bien éloignée de nos
préoccupations.
Je ne pense pas non plus qu'un certain courant de l'opposition nationale ait
le monopole de l'épargne salariale, pas plus que la droite en général n'a le
monopole du monde de l'entreprise.
Nos approches politiques sont, certes, différentes dans ce domaine, mais il
n'y a pas de sujet tabou pour nous touchant à l'économie, surtout quand
existent des perspectives réelles de créations d'emploi et de renforcement du
dialogue social dans l'entreprise, comme du droit des salariés.
Nous vivons dans une économie de marché ; les salariés en sont des acteurs
essentiels. Il est donc important de leur permettre d'accroître la rémunération
qu'ils tirent de leur travail, sans que cette démarche empiète sur l'évolution
de leur salaire.
Le travail et le capital sont liés dans le processus de production. Il n'y a
donc pas de raison que les salariés n'aient pas, comme les actionnaires ou les
chefs d'entreprise, des retombées positives du rôle qu'ils jouent au sein de
l'entreprise.
La situation en matière d'épargne salariale étant très imparfaite, il était
nécessaire de s'emparer de ce sujet de manière globale et, pour cela, de
reprendre bon nombre de dispositifs existants.
C'est ce que le Gouvernement a fait, et nous l'approuvons, même si ce texte ne
va certainement pas simplifier les règles en usage. Mais, comme l'écrivaient
MM. Balligand et de Foucauld dans leur rapport : « La complexité est aussi la
rançon de la multiplicité des choix ! »
Sur le fond, ce texte est empreint de pragmatisme. Je pense que cette qualité
est due à une large réflexion préalable, conduite par le Gouvernement, mais
aussi par la mission Balligand - de Foucauld que je viens de citer : voilà un
bon exemple de travail associant exécutif et législatif ; le travail doit se
faire, bien sûr, dans l'hémicycle, mais également en amont.
Ce pragmatisme n'aurait pu voir le jour sans la large concertation qui a eu
lieu avec les acteurs sociaux à l'occasion de cette réforme et cela nous
semble, bien sûr, fondamental.
Quelle analyse pouvons-nous faire de ce texte ?
Ce projet de loi fixe des axes de réforme qui nous apparaissent à la fois
orientés sur des préoccupations différentes, mais complémentaires et, donc,
équilibrées.
Il doit permettre à l'épargne salariale de réduire les inégalités entre les
salariés, de relancer la négociation collective, de réguler l'économie.
Oui, une réforme de l'épargne salariale, celle du Gouvernement en tout cas,
concourt à la réduction des inégalités.
Aujourd'hui, en effet, les dispositifs d'épargne salariale sont source
d'inégalités, et ce à plusieurs niveaux.
Tout d'abord, il existe des inégalités entre les salariés, selon qu'ils
travaillent ou non dans des entreprises qui développent des dispositifs
d'épargne salariale. Chacun sait qu'au total seule une faible minorité des
salariés du privé peut profiter de ces dispositifs.
Le fait est d'autant plus fâcheux que ceux qui n'en profitent pas sont les
salariés des PME, dont les rémunérations, le plus souvent, évoluent déjà moins
vite que celles des salariés des grandes entreprises.
Les dispositifs en place, en quelque sorte, potentialisent les inégalités de
revenus.
Pourquoi les salariés qui, actuellement, ne sont pas concernés ne
pourraient-ils pas, alors que leurs entreprises aujourd'hui prospèrent comme
les autres, profiter des fruits de la croissance ?
Il n'est donc pas étonnant que 77 % des Français souhaitent voir développée
l'épargne salariale à l'avenir.
Le projet de loi s'attaque également aux inégalités qui existent entre les
salariés d'une même entreprise selon leur contrat de travail, ou s'ils quittent
l'entreprise, ce qui n'est pas normal. Il n'y a aucune raison que des
discriminations de ce type s'opèrent.
Le texte comporte des avancées, en ce qu'il règle pour l'ensemble des
dispositifs existants la question de l'ancienneté et du changement
d'employeur.
Mais le projet de loi doit permettre aussi, et c'est son deuxième objectif, de
relancer la négociation collective, bien souvent exsangue, dans bon nombre
d'entreprises françaises.
Les nouveaux dispositifs seront mis en place par accord collectif, alors que,
aujourd'hui, la décision unilatérale de l'employeur peut être encore de mise
dans certains cas - je pense ici aux PEE.
Désormais, les partenaires sociaux devront négocier chaque année la
possibilité de mettre en place un ou plusieurs mécanismes d'épargne lorsqu'il
n'en existe pas.
Par ailleurs, de réels pouvoirs de gestion seront également accordés aux
salariés, dans les conseils de surveillance des fonds communs de placement
d'entreprise diversifiés, dont les devoirs seront renforcés à leur égard.
L'extension du bénéfice d'une formation économique aux salariés membres du
conseil de surveillance est également une bonne chose, comme le fait que, dans
tous les cas, le président du conseil de surveillance soit un représentant des
porteurs de parts.
L'amélioration de la diffusion de l'information en direction des salariés
mérite d'être saluée. Je pense notamment au livret d'épargne salariale, qui en
est un bon exemple : il permettra au salarié de suivre l'évolution des sommes
qu'il a épargnées et, surtout, d'être plus à même de les récupérer à la fin.
Sur ce point, encore faut-il que les décrets permettent que ce livret soit
facilement gérable dans la réalité et, notamment, qu'il soit fait appel aux
nouvelles techniques d'information et de communication. Je suis pour ma part
toujours stupéfait de savoir que, depuis la loi de 1967, plus de 350 millions
de francs de fonds non récupérés sont bloqués à la Caisse des dépôts et
consignations et soumis à déchéance trentenaire.
Le troisième objectif de ce projet de loi est, enfin, de permettre à l'épargne
salariale de réguler l'économie.
Il ne s'agit pas d'augmenter l'épargne dans notre pays. Celle-ci est
suffisamment élevée, et une augmentation pourrait, en contrepartie, freiner la
relance de la consommation des ménages qui, comme chacun sait, a permis depuis
1997 une relance de notre économie et le développement des créations
d'emplois.
Il s'agit plutôt de susciter des transferts d'épargne au profit des PME, et
sur un plus long terme, parce que, pour ces dernières notamment, le retour sur
investissement dépasse la période de cinq ans. En bref, il s'agit d'inciter les
investisseurs à s'orienter vers des placements plus productifs que les
placements obligataires, par exemple.
La question ne se pose pas uniquement pour les PME. Il n'est pas non plus
normal que nos grandes entreprises soient « prises d'assaut » par des
actionnaires non résidents. Ces derniers détiennent 36 % des actions des
entreprises cotées en France : c'est évidemment trop.
La mise en place d'un plan partenarial d'épargne salariale volontaire, ou
PPESV, ouvert à tous les salariés et qui ne peut être décidée qu'avec l'accord
des partenaires sociaux, contribue à répondre à cette problématique.
Voilà les quelques remarques générales que nous souhaitions faire sur le
projet de loi.
Pour le reste, la majorité de l'Assemblée nationale a réalisé un travail
important en faveur du renforcement des droits des salariés, mais aussi en vue
de régler la vraie fausse querelle à propos des prétendus fonds de pension que
nous aurions créés avec le PPESV. Nous partageons, bien entendu, les points de
vue de nos collègues députés de la majorité, points de vue que la majorité
sénatoriale nous aiderait, s'il en était besoin, à défendre !
En effet, chacun aura pu constater que le rapporteur au fond a déposé toute
une série d'amendements concernant la mise en place de fonds de pension, et de
manière disjointe par rapport au corps même du texte. L'amendement sur
l'intitulé du projet de loi est déjà tout un symbole !
Et si nous manquions d'arguments pour démontrer que les dispositifs proposés
en matière d'épargne salariale n'ont rien à voir avec l'épargne-retraite, nous
aurions l'embarras du choix avec les amendements qui ont déjà été examinés en
commission des finances.
S'agissant des fonds de pension, je ne peux pas m'empêcher de rappeler que,
voilà maintenant plus de trois ans, je m'étais opposé, au nom du groupe
socialiste, à la majorité sénatoriale, sur la loi Thomas.
Pour des raisons de fond certainement, mais aussi par absence de volonté de
dresser tout simplement un état des lieux, la majorité nationale d'alors avait
cherché à calquer des modèles qui, certes, existent à l'étranger, mais qui ne
peuvent s'appliquer dans notre pays, sauf à remettre en cause les fondements
mêmes de nos systèmes de retraite.
Vous auriez pu améliorer la législation sur l'épargne, comme nous le faisons
aujourd'hui. Au lieu de cela, vous avez mélangé les genres en faisant croire
aux Français que cette épargne de très long terme sur laquelle les salariés
n'avaient aucun droit de contrôle, allait servir à compléter leur retraite. Or
les mécanismes que vous aviez votés n'auraient été utilisés que par les ménages
aux revenus les plus élevés,...
M. Philippe Marini.
C'est complètement faux !
M. Marc Massion.
... puisque la démarche proposée était facultative et individuelle, sans
oublier les avantages excessifs accordés alors aux entreprises.
Mes chers collègues, aujourd'hui, les vieilles lunes ressurgissent...
A ceux qui pourraient penser néanmoins qu'il peut y avoir confusion entre un
PPESV et un fonds de pension, je rappellerai d'abord les paramètres que je
qualifierai de techniques et qui ont déjà été maintes fois énumérés : d'une
part, des versements réguliers et sur très longue période, avec une sortie en
rente pour l'épargne-retraite ; d'autre part, un dispositif de plus court
terme, avec des versements aléatoires dépendant des résultats de l'entreprise,
avec une sortie en capital pour l'épargne salariale.
Je rappelle, ensuite, l'exonération des charges sociales qui s'appliquait dans
la loi Thomas, par exemple, alors que le nouveau produit introduit par le
texte, le PPESV, est assujetti à la CSG et au CRDS et affecté au profit du
fonds de solidarité vieillesse pour la fraction de l'abondement de l'employeur
dépassant 15 000 francs. Certes, ce montant est supérieur à ce qui se constate
en moyenne, mais il faut aussi permettre que la loi se projette dans l'avenir
et parte du principe que la réforme que nous engageons va réussir pour redonner
un nouvel élan à l'épargne salariale, et aux abondements des employeurs en
particulier.
Pour nous, s'agissant des retraites, les choses sont claires. Le gouvernement
de M. Lionel Jospin, dès sa mise en place, a réaffirmé notre choix en faveur
des régimes par répartition, qu'il souhaite consolider.
Le Gouvernement a ainsi demandé un diagnostic associant les partenaires
sociaux, travail qui a abouti au fameux rapport Charpin ; il a mis en place un
fonds de réserve qui fait « des petits », comme on dit : 50 milliards de francs
aujourd'hui, sans compter les licences de la nouvelle génération qui vont être
versées. C'est beaucoup plus que lors de l'instauration du fonds.
Ce fonds doit d'ailleurs être structuré prochainement.
M. Philippe Marini.
Il serait temps !
M. Marc Massion.
Il doit atteindre le montant de 1 000 milliards de francs pour la période
2020-2040.
M. Philippe Marini.
Avec quoi ?
M. Marc Massion.
Par ailleurs, des discussions s'engagent sur les régimes spéciaux et la
fonction publique, comme pour le secteur privé, où les partenaires sociaux
devront prendre leurs responsabilités.
Enfin, un conseil d'orientation des retraites, constitué de représentants des
partenaires sociaux, de parlementaires et de personnalités qualifiées a été
créé. Il dresse des bilans réguliers de la situation et veille à l'équité et à
la nécessaire solidarité entre les régimes.
Pour notre part, nous sommes toujours convaincus du fait que les solutions
fondées sur la seule épargne individuelle déstabiliseraient le pacte entre
générations.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard et M. Claude Estier.
Très bien !
M. Marc Massion.
Si l'on devait faire oeuvre de réforme, il suffirait tout simplement
d'améliorer les régimes existants de suppléments de retraite, du type «
articles 82, 83, 39 », comme on dit dans le jargon des spécialistes des
retraites ; ces régimes existent dans nombre de grandes entreprises, mais ne
sont pas toujours parfaits et, de toute manière, ne se retrouvent pas dans les
PME.
Personnellement, je pense que la voie peut rester ouverte vers ces régimes de
retraite, sous réserve qu'ils soient paritaires, collectifs et obligatoires.
Mais je reviens au présent texte. Nous présenterons quelques amendements qui
auront pour objet de renforcer le droit des salariés et de faciliter
l'application de la loi. Cette volonté d'améliorer le texte qui nous est soumis
prouve, s'il en était besoin, notre plein accord sur ce projet de loi,
important pour les salariés et pour les entreprises, notamment les PME.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
cela fait longtemps que nous attendons ce texte, annoncé à de multiples
reprises et par plusieurs ministres des finances successifs, avant d'être
défendu par l'actuel titulaire du poste, représenté ce jour par le secrétaire
d'Etat à la consommation.
Voici donc le projet de loi sur l'épargne salariale. La majorité de cette
assemblée ne peut que l'accueillir avec un certain sentiment de déception.
Certes, comme l'ont excellement souligné nos rapporteurs, M. Joseph Ostermann,
pour la commission des finances, et M. Jean Chérioux, pour la commission des
affaires sociales, nous avons là d'intéressants développements en matière
d'épargne salariale, mais, monsieur le secrétaire d'Etat, reconnaissons-le
ensemble, rien de révolutionnaire, rien qui soit d'ailleurs très éloigné des
propositions que, sur l'initiative de notre collègue Jean Chérioux, le Sénat a
votées, il y a un an à peine.
Fallait-il donc faire perdre un an au Parlement et à la nation quand il
suffisait de reprendre cet excellent texte, qui nous proposait déjà des plans
d'épargne interentreprises, ou PEI, qui nous proposait aussi la possibilité
pour un salarié de transférer ses avoirs d'un plan d'épargne d'entreprise à un
autre, ainsi que l'adaptation de l'intéressement dans les sociétés holding et
bien d'autres dispositions que nous retrouvons presque inchangées dans ce
projet de loi ?
De plus, ce texte pose certains problèmes techniques qui ne sont pas vraiment
résolus. Je citerai, à titre d'exemple, la notion de « groupe » qui, selon ce
texte, figurerait dans le code du travail, mais sans tenir compte des
dispositions qui existent déjà à ce sujet dans le code de commerce.
Le rapporteur de la commission des finances, M. Joseph Ostermann, s'est
efforcé, par les amendements qu'il va nous proposer et qui ont été votés par la
commission, d'opérer des coordinations pour éviter que certaines entreprises ne
soient pénalisées, cela notamment en élargissant le périmètre du groupe,
conformément à l'article L. 225-180 du code du commerce.
Tous les problèmes n'auront pas été résolus pour autant, certaines entités
demeurant exclues du dispositif, comme en témoignent d'ailleurs les nombreux
amendements présentés par différents groupes sur ce sujet. Ainsi, en ce qui
concerne la définition du groupe, nous sommes confrontés à un dilemme.
Soit nous élargissons le dispositif proposé, mais la multiplication des
définitions du groupe fait perdre sa cohérence à cette notion, et on peut alors
se demander légitimement s'il ne fallait pas en rester à la solution actuelle,
qui permet aux parties de déterminer librement le périmètre du groupe.
Soit nous essayons de préserver une certaine homogénéité de la notion, mais
elle risque d'être, alors, trop restrictive.
Dans tous les cas, on peut regretter que le Gouvernement n'ait pas fait un
effort de réflexion plus poussé pour proposer une définition qui, contrairement
à celle que nous allons examiner, ne soulèverait pas toutes ces difficultés.
Par ailleurs, il est encore regrettable que, sous prétexte d'examiner un
projet de loi sur l'épargne salariale, on introduise des dispositions dans le
code du travail qui relèvent d'autres législations comme la loi du 23 décembre
1988 sur les organismes de placement collectif en valeurs immobilières ou le
code de commerce récemment promulgué. Cette tendance prête à confusion et
risque de créer des divergences d'interprétation sur des textes qui ont
pourtant tous la même portée législative.
Je tiens également à souligner que, tout en partageant la volonté exprimée
dans ce texte de développer l'épargne salariale et l'actionnariat des salariés,
il est indispensable de trouver un compromis entre le renforcement des droits
des salariés et un alourdissement excessif des procédures.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la vision que porte le Gouvernement et la
majorité dite plurielle sur les entreprises est parfois caricaturale.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Elle n'est pas caricaturale !
M. Philippe Marini.
Je vais m'en expliquer, ma chère collègue. Elle donne l'impression d'un refus
systématique des chefs d'entreprise à développer l'actionnariat salarié ou
encore à dialoguer avec les syndicats. C'est une image plaquée sur les
entreprises.
En conséquence, le projet de loi tel qu'il nous parvient de l'Assemblée
nationale impose des procédures lourdes. Je citerai quelques exemples.
Le premier, c'est la création d'un livret d'épargne salariale qui doit
contenir l'état récapitulatif des sommes et valeurs mobilières épargnées dans
le cadre des dispositifs d'épargne salariale. Cette formalité nous paraît
excessivement lourde et inutile.
Le deuxième exemple, c'est la convocation tous les trois ans d'une assemblée
générale extraordinaire pour se prononcer sur la nomination d'administrateurs
par les salariés.
Le troisième exemple, c'est la multiplication des sujets de négociations
annuelles, là aussi dans un esprit de dirigisme et de pointillisme constant.
Le quatrième exemple, c'est la nécessité de consulter le comité d'entreprise
lors de la création d'un plan d'épargne d'entreprise sur l'initiative de
l'employeur puis de déposer le règlement auprès de la direction départementale
du travail. Toutes ces dispositions nous semblent être le reflet d'une méfiance
excessive à l'égard des dirigeants du monde économique.
En réalité, les relations au sein des entreprises sont bien différentes de
l'image véhiculée par le Gouvernement et, surtout, les situations sont très
diverses. J'ai déjà eu l'occasion de dire, lors de l'examen du projet de loi
sur les nouvelles régulations économiques, qu'il fallait cesser d'interférer
systématiquement dans la vie de l'entreprise. Cette préconisation vaut
également pour le présent projet de loi.
Puisque je viens d'évoquer le projet de loi sur les nouvelles régulations
économiques, que nous avons examiné récemment en première lecture, je rappelle,
au passage, que bien qu'il ait fait l'objet d'une déclaration d'urgence la
commission mixte paritaire n'est toujours pas convoquée. C'est intéressant ! Si
M. Laurent Fabius avait été présent dans l'hémicycle en cet instant, sans doute
aurait-il pu m'apporter des précisions sur ce point. Ce projet de loi, qui
résultait d'une conjonction de circonstances en septembre-octobre 1999, a été
déposé en janvier 2000, examiné en première lecture à l'Assemblée nationale en
avril 2000, puis au Sénat en octobre 2000. Or, je le répète, la commission
mixte paritaire n'est toujours pas convoquée. De qui se moque-t-on, monsieur le
secrétaire d'Etat ? Pourquoi avoir déclaré l'urgence sur ce texte sinon pour
passer à la va-vite dans les assemblées parlementaires, alors que ce texte
aurait mérité un travail plus approfondi ?
Je reviens à mon propos. Faut-il rappeler que les chefs d'entreprise n'ont pas
attendu le Gouvernement pour innover dans le domaine de l'épargne salariale, en
allongeant la durée des plans d'épargne entreprise, en introduisant des
opérations avec un effet de levier par l'intermédiaire de prêts complémentaires
sans intérêt et en accompagnant un tel financement de garanties de capital ou
de performance.
En fait, le développement de l'épargne salariale, qu'il faut encourager,
concerne surtout les petites et moyennes entreprises. En l'occurence, le
Gouvernement s'inspire très largement, sans citer l'auteur, des dispositions
proposées, à bon escient, par notre excellent collègue Jean Chérioux.
Toutefois, je crains que certaines mesures, telles que vous les avez
interprétées dans votre texte, n'aillent à l'encontre du but poursuivi.
Le projet du Gouvernement incite ainsi les entreprises à abonder les
placements de leurs salariés dans des « fonds solidaires ». Je me demande, pour
ma part, si ce dispositif, issu d'une concession à l'un des éléments de la
majorité plurielle, ne risque pas, dans bien des cas, de tromper les salariés
en les alléchant avec un produit dont on ne leur exposerait pas les dangers ou
dont ils ne mesureraient pas les risques.
Il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'épargne pour faire face à des besoins de
ces salariés, sinon pour préparer leurs vieux jours, du moins pour leur
permettre d'affronter des événements pouvant marquer leur vie familiale.
Par ailleurs, le texte proposé par le Gouvernement est frappé pour nous d'une
très grave carence, qui a déjà été évoquée par plusieurs des orateurs qui se
sont succédé : il ne comporte aucun volet sur les retraites.
Lors de la discussion des propositions de loi sur l'épargne retraite de M.
Charles Descours et de M. Jean Arthuis, en octobre 1999, voilà un an, le
ministre des finances de l'époque, qui l'était encore pour peu de temps, M.
Dominique Strauss-Kahn, nous avait renvoyés sur ce point à un projet de loi en
préparation. C'est ce qu'il nous avait dit et ses propos figurent donc au
Journal officiel
. Nous ne pouvons croire qu'il s'agisse du présent
projet de loi. Le PPESV ne constitue pas, à nos yeux, un outil adéquat pour
préparer la retraite. D'ailleurs, M. Marc Massion a pris tout à l'heure toutes
sortes de précautions pour que ses collègues de l'Assemblée nationale ne
puissent faire aucune confusion en la matière. Il a beaucoup insisté sur cet
aspect. Le PPESV, c'est clair, et j'en conviens avec lui, n'est ni assez long
ni assez sécurisé pour remplir cette office. Il ne faudrait pas tromper les
salariés en leur laissant croire que c'est un outil de préparation de la
retraite.
C'est pourquoi la commission des finances, constante dans ses positions et sur
l'initiative de son rapporteur, M. Joseph Ostermann, a proposé de renforcer le
volet « retraite » de ce projet de loi en instituant, à côté de ce que vous
proposez, un outil vraiment spécifique : le « plan de retraite ». Pour ma part,
bien entendu, constant moi aussi dans mes positions, je défendrai cette
initiative qui est particulièrement essentielle, en votant avec conviction les
amendements de notre commission.
Je rappellerai brièvement, à ce stade et en conclusion, pourquoi il convient,
à mes yeux, de mettre en place un système d'épargne retraite.
Nous le savons tous, le monde de la retraite est un monde d'inégalités ;
inégalités notamment entre ceux qui peuvent bénéficier d'un complément de
retraite par capitalisation et les autres. Ceux qui peuvent en bénéficier, ce
sont ceux qui disposent des plus hauts revenus et qui ont accès à toutes sortes
de méthodes, de véhicules ou de produits.
Mais ce sont également les travailleurs indépendants grâce à la loi dite «
Madelin » et les fonctionnaires ou les anciens fonctionnaires grâce au régime
PREFON. Tous ceux-là peuvent capitaliser leur épargne, s'ils le souhaitent,
pour la retraite. Les fonctionnaires ou les anciens fonctionnaires peuvent même
le faire en bénéficiant d'un levier fiscal significatif. Je précise à M.
Massion,
via
le
Journal officiel
puisqu'il a quitté l'hémicycle
que le régime facultatif de capitalisation existe avec un fort levier fiscal
pour les fonctionnaires et les anciens fonctionnaires, même ceux qui, un jour,
ont eu un lien ténu avec la fonction publique et, le cas échéant, par
l'intermédiaire de leur conjoint.
Est-il juste d'accepter de telles incitations pour les salariés qui sont issus
de la fonction publique et de les refuser pour les salariés du secteur privé ?
Il faut faire cesser ces inégalités et instaurer un mécanisme de retraite par
capitalisation accessible à tous les salariés du privé, en complément, bien
sûr, des régimes par répartition existants.
Monsieur le secrétaire d'Etat, en matière de retraite, il ne faut pas se le
cacher, l'urgence commande. C'est dès 2006, selon toutes les projections, que
les difficultés des régimes obligatoires commenceront à apparaître. Or 2006
c'est assurément demain.
Face à une telle urgence, que fait le Gouvernement ? Il prend des engagements
et ne les tient pas.
En octobre 1998, il annonçait noir sur blanc qu'un texte sur la réforme des
retraites et l'instauration de plans partenariaux de retraite serait présenté
en 1999 au Parlement. Depuis lors, que de temps perdu ! Le PPESV est-il, dans
votre esprit, un plan partenarial de retraite ? Je souhaiterais qu'il soit
répondu à cette question.
Le Gouvernement a ensuite commandé un rapport - l'excellent rapport Charpin -
mais celui-ci ne fait que confirmer la gravité de la situation et l'urgence des
réformes. Qu'a-t-on fait depuis ce rapport ? Nous le savons : le Gouvernement a
engagé une concertation avec un assez grand nombre de partenaires. Mais pour
quel résultat, monsieur le secrétaire d'Etat ?
Enfin, le Gouvernement affiche comme seule politique pour les retraites la
constitution d'un fonds de réserve, au sujet duquel de nombreuses questions
fondamentales subsistent. Ce fonds a-t-il une réalité dans un pays aussi
déficitaire et endetté que le nôtre ? Pouvez-vous nous garantir que les 55
milliards de francs qu'il détiendra à la fin de l'année prochaine permettront
de bénéficier de plus de produits financiers que l'on aurait économisé de
charges financières en réduisant à due concurrence l'endettement de l'Etat ? Si
vous ne pouvez pas nous le garantir, cela signifiera que la collectivité aura
perdu de l'argent avec ce montage. Pouvez-vous nous dire quel est l'horizon de
ce fonds de réserve ? Pouvez-vous nous dire quelle politique sera conduite ?
S'agit-il d'un fonds de simple lissage ? Est-ce un fonds de garantie ?
Pouvez-vous nous dire quelle sera la règle du jeu pour sa gestion ? Pouvez-vous
nous dire qui assurera sa gestion, dans le cadre de quelle mise en concurrence
des professionnels ? Lorsque nous aurons des réponses à ces questions, nous
serons certainement un peu plus avancés, au-delà du « cosmétique », sur ce que
le Gouvernement veut bien proposer à la représentation nationale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pourquoi le Gouvernement s'obstine-t-il à
refuser à 14 millions de salariés l'accès à une retraite capitalisée, alors que
les travailleurs indépendants, les fonctionnaires et autres, ainsi que je l'ai
évoqué tout à l'heure, y ont déjà accès ? Le Gouvernement n'entretient-il pas
là volontairement l'inégalité entre différentes catégories de travailleurs ?
J'aimerais entendre au moins un avis sur ce point. En d'autres temps, M.
Laurent Fabius, alors qu'il assurait d'autres fonctions, m'avait paru être plus
ouvert sur ce sujet, plus réceptif à nos arguments. Mais il semble bien que,
lorsqu'on passe de l'hôtel de Lassay à la citadelle de Bercy les horizons
changent quelque peu, et les contraintes également au sein de la majorité
plurielle. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez
transmettre la question à celui à qui elle s'adresse.
Je ne saurais terminer ce propos, mes chers collègues, sans féliciter
chaleureusement nos rapporteurs pour le travail excellent et approfondi qu'ils
ont accompli sur ce texte technique et difficile mais extrêmement important
pour l'ensemble des salariés.
Je voudrais ajouter que j'ai écouté avec beaucoup d'émotion les propos de M.
Jean Chérioux en particulier, car il a veillé à replacer l'épargne salariale,
l'intéressement, la participation, dans toute une lignée historique que nous ne
devons pas oublier. Alors que les distances s'accroissent sans cesse dans la
société, que des marchés se développent en s'interconnectant les uns aux autres
et s'amplifient sans cesse, nous avons naturellement besoin que règne une plus
grande solidarité au sein de nos entreprises et que ces dernières constituent
des communautés vivantes ; telle est bien la finalité fondamentale des idées
que défend inlassablement notre collègue depuis déjà un certain temps.
Mes chers collègues, entamons l'examen de ce texte, qui ne mérite certainement
ni un excès d'honneur, ni un excès d'indignité. Il constitue, sur un certain
nombre de sujets techniques, un petit ajout qu'il ne faut certainement pas
refuser. Mais ce projet de loi manque et d'ampleur et de souffle, car il ne
s'attaque pas à l'essentiel du problème.
(Applaudissements sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce
projet de loi sur l'épargne salariale dont nous entamons la discussion, est,
selon nous, un texte important qui pose la question de l'évolution de la nature
du salariat dans notre société.
A notre sens, une réforme de l'épargne salariale devrait prendre en
considération quatre objectifs : la non-substitution de l'épargne salariale au
salaire, l'affectation des fonds collectés au développement de l'emploi, le
renforcement des pouvoirs des salariés pour la gestion de l'épargne salariale
et l'absence de confusion entre épargne salariale et épargne-retraite.
Ma remarque se justifie d'autant plus que la commission des finances propose
la création de plans de retraite ressemblant étrangement à une rampe de
lancement des fonds de pension. Nous sommes au coeur d'un débat.
Ce texte nous amène, en fait, à nous poser notamment deux questions majeures.
A cet égard, je me placerai sur le plan social, celui que nous avons abordé en
commission des affaires sociales où notre collègue Jean Chérioux, notamment,
défend depuis nombre d'années son point de vue sur l'actionnariat salarié et où
nous avons eu l'occasion de montrer toutes les différences qui nous
opposent.
Première question, l'épargne salariale est-elle du salaire ou bien, comme des
études très fouillées le prétendent, joue-t-elle contre les salaires ? Seconde
question, la mise en place de l'épargne salariale dégage-t-elle les entreprises
de leurs obligations en termes de politique sociale et de relance du dialogue
social ?
Monsieur Marini, vous qui voulez donner de l'entreprise une autre vision que
celle que nous en avons et qui voulez parfois caricaturer notre position, il y
a là matière à débattre !
L'ambition essentielle de l'épargne salariale est certainement - et nous
sommes là à un tournant - de définir un nouveau paysage social dans
l'entreprise en permettant, d'une part, d'augmenter les capacités de
financement des PME et, d'autre part, de poser la question de l'équilibre des
pouvoirs au sein de l'entreprise.
Cependant, afin de mieux cerner la portée de ce texte, il convient d'en
apprécier la teneur sur un plan quantitatif.
Actuellement, les dispositifs d'épargne salariale existants représentent 45
milliards de francs par an. L'objectif poursuivi est de doubler ce chiffre en
cinq ans en visant explicitement les salariés des PME, qui sont les plus
nombreux dans les faits.
En apparence, si l'on prend en compte certaines enquêtes d'opinion, ce projet
de loi répondrait à une attente des salariés. Nous ne partageons pas tout à
fait ce point de vue. On se retrouve en effet face à l'introduction d'une
évolution du mode de rémunération des salariés, lesquels verraient se
développer, à côté de leur salaire classique, l'épargne salariale.
Pour nous, la généralisation de l'épargne salariale à l'ensemble des salariés,
notamment à ceux des PME, aura naturellement des conséquences sur le mode de
rémunération : une partie de la valeur ajoutée sera transformée en épargne
salariale et sera donc directement liée à la situation économique des
entreprises, ce qui pourra, si l'on n'y prend garde, peser à terme - et nous
pensons que tel sera le cas - sur les salaires eux-mêmes.
Toujours d'après les études approfondies et sérieuses déjà mentionnées,
l'épargne salariale aurait tendance à amputer le bon vieux salaire, auquel nous
tenons, et même à amplifier les écarts de revenus entre salariés. Est-il besoin
de préciser - et nous sommes là au coeur du problème - que seul le salaire
classique tel que nous l'entendons, tel que, communément, nous le vivons, ouvre
des droits à la retraite ou à un salaire de remplacement en cas de maladie ou
de chômage ?
On peut donc rapprocher l'évolution de la rémunération de l'évolution récente
en matière de gestion de personnel : la flexibilité opérée dans les conditions
de travail ne risque-t-elle pas d'être ainsi étendue à la rémunération des
salariés ?
Cependant, le désir légitime des salariés de participer aux fruits de la
croissance et donc d'accroître leur rémunération, y compris parfois par le
biais de l'épargne salariale, n'est-il pas lié à la politique de modération,
voire de stagnation salariale opérée depuis quelques années ?
Aujourd'hui, nous posons solennellement le problème des salaires. En effet, de
toute évidence, une revendication quant à une évolution des rémunérations
gronde dans les entreprises et les services.
On pourrait donc comprendre que les salariés disposant de revenus très
modestes soient sensibles à un concept qui leur permettrait en apparence de les
augmenter. Mais la préoccupation des personnes occupant des emplois précaires,
par exemple, n'est-elle pas ailleurs ? Ne réside-t-elle pas plutôt dans
l'évolution de leur travail et de leur rémunération ?
Comment, en effet, ne pas entendre l'exigence des salariés de profiter
davantage de l'embellie économique quand les entreprises affichent des profits
records ?
Rappelons tout de même que la part des salaires dans la valeur ajoutée est
retombée à son niveau de 1970 et que la moitié des salariés à temps plein
gagnent moins de 9 000 francs par mois.
Le patronat ne saurait être dégagé de ses responsabilités en matière de
politique salariale.
Or l'épargne salariale ne va-t-elle pas conduire les salariés à supporter
directement, avec une rémunération variable, les aléas de l'économie ?
Par ailleurs, la généralisation de l'épargne salariale, de par les
exonérations de cotisations sociales et fiscales qu'elle induit, ne
risque-t-elle pas d'engendrer un manque à gagner pour le financement de la
protection sociale ?
Notre système de retraite par répartition pourrait se retrouver privé de
certaines de ses ressources.
L'épargne salariale est assurément - c'est un constat - l'une des formes
d'épargne les plus subventionnées. Des exemples chiffrés parus dans la presse
montrent qu'un flux annuel de 35 milliards de francs, et donc un encours de 330
milliards de francs, coûte, par le biais des exonérations de cotisations
sociales et d'impôts, 20 milliards de francs de déficit de cotisations sociales
et 5 milliards de francs de non-rentrées fiscales.
On peut se demander s'il est utile, au travers des plans d'épargne,
d'encourager des comportements individualistes qui distendent le lien social
assurant la cohésion de notre société, et notamment la nécessaire solidarité
entre les générations, fondement de la retraite par répartition.
Il nous apparaît important d'essayer de rompre avec une logique qui consiste à
accompagner le libéralisme et ses excès par des mesures à caractère social.
C'est pourquoi nous souhaitons une mise à plat des systèmes existants en
matière d'épargne salariale.
Nous sommes également favorables à des mesures qui assujettiraient ces
systèmes d'épargne salariale aux cotisations sociales, au même titre que les
salaires, et opposés à la ligne suivie par la commission des finances, qui
préconise la plus large exonération et la création de fonds de pension. Le
problème de fond est ici, aujourd'hui.
Les exonérations sociales et fiscales consenties dans ce cadre représentent
une moins-value de plusieurs milliards de francs en termes de recettes sociales
et fiscales et représentent sur la durée un terrible manque à gagner pour les
retraités eux-mêmes.
En ce qui concerne la relance du dialogue au sein de l'entreprise qui
découlerait de la mise en place de l'épargne salariale, il est clair que nous
l'appelons de nos voeux.
Nous l'avons dit, la mise en place de l'épargne salariale relèvera de la
négociation dans l'entreprise et de l'adhésion aux plans, rendue volontaire.
Quand on connaît la faible propension des employeurs à faire participer les
salariés aux décisions concernant la gestion des entreprises, on peut
s'interroger au sujet du contrôle des salariés sur leur épargne, surtout à
l'heure où le paritarisme est quelque peu malmené.
Nous pensons, sur ce point, que les salariés doivent être les seuls
dépositaires de la gestion des sommes qu'ils épargnent, et nous défendons des
propositions dans ce sens.
Il nous apparaît en effet essentiel que les salariés aient le contrôle de la
destination de leur épargne et que leur pouvoir au sein de l'entreprise soit
réévalué.
Ce sont là quelques observations que je souhaitais faire dans le cadre de
cette discussion.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'épargne salariale, de même que l'actionnariat salarié, est un sujet sur
lequel le regard de nos concitoyens s'est largement modifié depuis plusieurs
décennies.
Cet « OVNI » de l'économie s'est fait progressivement une place, sans fracas,
et il semble aux plus jeunes des salariés avoir toujours existé. Le très vif
succès remporté par des opérations d'introduction en bourse - je pense par
exemple à France Télécom - auprès des salariés des entreprises concernées
démontre très largement l'existence d'une véritable demande à cet égard.
C'est ainsi que les salariés des petites entreprises regardent avec envie les
bénéfices réalisés par ceux des groupes importants, auxquels il n'ont pas
accès. Pas encore accès, devrait-on dire, puisque ce projet de loi vise à
réparer l'inégalité qui les touche.
On constate même une évolution des discours et des pratiques des syndicats,
qui voient bien l'intérêt qu'il y a à être présents dans les conseils de
surveillance des FCPE des entreprises.
Devant ce succès, le législateur doit, nous semble-t-il, garder la tête
froide.
Qu'il s'agisse d'épargne salariale placée en FCPE ou d'actionnariat salarié,
nous devons faire la part des choses et distinguer, d'une part, les effets de
la croissance retrouvée et, d'autre part, ceux de la hausse des valeurs
mobilières qui donne à beaucoup le sentiment que des gains sont faciles à
réaliser. Sur ce point, nous devons bien mesurer que nous ne maîtrisons pas
l'avenir, surtout dans un environnement international ouvert et concurrentiel.
Nous n'avons aucune certitude quant à la longueur du cycle de croissance et
nous ignorons si un mouvement à court terme ne viendra pas enrayer la machine.
Il importe donc - et vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, que les
sénateurs socialistes y soient particulièrement attentifs - que nous
n'engagions pas les salariés, le plus souvent dépourvus de fortune personnelle,
dans la voie de l'aventure.
Il importe également que les sommes qui seront affectées à cette forme
d'épargne ne viennent pas affecter l'évolution de la masse salariale de
l'entreprise.
En d'autres termes, il ne faudrait pas que les salariés - et les syndicats ont
ici un rôle primordial à jouer - soient conduits à accepter des formes
préjudiciables de flexibilité salariale.
Nous attirons l'attention sur le point suivant : de nombreux experts
attribuent aujourd'hui pour partie l'absence d'inflation aux Etats-Unis à un
phénomène de ce type, lié dans ce pays à l'épargne-retraite. Est-il certain que
tous les salariés y trouveront, à terme, leur véritable intérêt ? Je l'ignore,
et il faut attendre de voir quelle sera la situation lorsque les grands fonds
de pension anglo-saxons vont devoir procéder à des liquidations importantes. En
toute hypothèse, il convient d'avoir cette question à l'esprit quand nous
examinons la situation française.
Nous sommes également très sceptiques devant ce que l'on nous pésente comme
une modification majeure du contrat social, dont on verrait les prémices dans
les start-up : je veux parler de la rémunération du salarié, partagée entre un
salaire net et des bénéfices sur les parts détenues par lui dans l'entreprise.
Outre que cela est très localisé dans notre économie, il est bien évident que
ces entreprises risquent de connaître, au fil du temps, la même cristallisation
dans la propriété du capital que les autres.
En revanche, entretenir une telle illusion à l'échelle de l'ensemble de
l'économie serait particulièrement dangereux. Et, bien sûr, nous légiférons
pour toute l'économie.
C'est dangereux, bien entendu, pour les revenus des salariés, la constitution
du revenu primaire risquant d'être affectée par l'espérance d'un revenu
secondaire aléatoire. Mais - et c'est ici que les membres socialistes de la
commission des affaires sociales seront attentifs - c'est aussi le statut du
salarié qui évolue insensiblement, sans qu'il ait pour autant le pouvoir d'agir
sur l'avenir de l'entreprise.
Les salariés n'ont pas la possibilité - ni la vocation, d'ailleurs - de
détenir une part significative du capital, même par la voie d'un FCPE. Il y
aurait danger à entretenir l'ambiguïté sur ce point.
Vous le voyez, monsieur le secrétaire d'Etat, ce projet de loi se rattache à
notre réflexion sur l'évolution de la société du travail, après les secousses
qu'il a subies lors de la crise économique et les mutations politiques et
économiques que le monde a connues.
Ces précautions étant indiquées, nous sommes, bien évidemment, favorables à ce
texte, qui correspond à l'aspiration de nombreux salariés.
En effet, la diffusion de l'épargne salariale aux petites entreprises par la
voie des plans partenariaux d'épargne salariale volontaire permettra à leurs
salariés de bénéficier des fruits du développement de celles-ci.
C'est une raison tout à fait majeure puisque l'actionnariat reste concentré
aujourd'hui sur les salariés des grands groupes, dans lesquels les salaires
sont en moyenne plus élevés que dans les PME.
Dans le même temps, l'incitation à épargner en direction de catégories
moyennes et modestes est une bonne chose. C'est d'autant plus vrai qu'il s'agit
d'une épargne longue, donc plus intéressante à terme qu'une épargne courte ou à
vue.
Il est, à cet égard, très intéressant que les salariés précaires puissent en
bénéficier. C'est un pas intéressant vers l'égalité de droits entre eux et les
salariés en contrat à durée indéterminée.
Ce projet de loi a aussi vocation à réorienter l'épargne de nos concitoyens
vers nos entreprises, plutôt que la voir partir massivement vers l'assurance
vie. C'est le début de la réappropriation, au moins partielle, de notre
économie par nos concitoyens.
C'est également l'occasion d'une simplification et d'une clarification des
textes actuels sur la participation, qui s'empilent dans la plus grande
complexité.
C'est, enfin, l'opportunité de développer la démocratie sociale dans
l'entreprise.
Les dispositions du texte vont dans le sens d'un renforcement des droits des
salariés et d'une diffusion du dialogue social très large au sein des
entreprises sur tous les aspects relatifs à l'épargne salariale.
Vous me permettrez de noter avec intérêt et satisfaction que cet aspect du
texte n'a pas échappé à notre collègue M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis
de la commission des affaires sociales, qui propose même d'aller plus loin dans
plusieurs de ses amendements.
Il semble qu'il y ait là un débat qui traverse la majorité sénatoriale et qui
reflète deux visions différentes du fonctionnement de notre économie, le
libéralisme absolu n'étant pas, semble-t-il, partagé par tous.
Quoi qu'il en soit, il importera que les représentants syndicaux sachent bien
se saisir de ce nouvel enjeu et veiller aux intérêts de tous les salariés,
porteurs de parts ou non.
Telles sont, en quelques mots, les remarques que ce projet de loi nous a
suggérées.
Certes, nous n'allons pas résoudre ici le conflit entre le capital et le
travail, il importe de le souligner. Toutefois, ce texte s'inscrit dans une
évolution positive parce qu'il peut permettre aux salariés de bénéficier plus
complètement des fruits de leur travail et qu'il ouvre de nouvelles
perspectives à la démocratie dans l'entreprise.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous soutiendrons donc votre démarche par un
vote positif.
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à
l'artisanat et à la consommation.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, au moment où je succède à cette
tribune au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, je tiens à
dire que c'est pour moi un honneur de participer à ce premier débat sur un
texte qui est important, bien que certains aient voulu en minimiser la portée.
Pour ma part, je mesure tout l'intérêt qu'il présente pour plusieurs millions
de Français et je me félicite d'avoir à défendre un tel texte devant le Sénat
pour tenter de l'améliorer avec vous, dans ce climat que je connaissais par
ailleurs pour être venu déjà à plusieurs reprises dans cette enceinte, soit en
tant que parlementaire, soit lors des séances de questions au Gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai écouté avec intérêt toutes vos
interventions. Après M. Laurent Fabius, qui a bien démontré à la fois
l'intérêt, l'importance et l'impact de ce texte en en démontant les mécanismes,
je pense qu'il faut éviter de tomber dans les faux débats et qu'il faut prendre
ce projet pour ce qu'il est : c'est un texte novateur, équilibré, ambitieux,
qui est présenté dans un contexte bien particulier, celui d'une croissance
consolidée. Ce texte a pour objet l'intéressement, l'épargne salariale, la
participation, et il ne vise pas d'autres sujets qui ont déjà été évoqués ou
qui le seront prochainement.
J'ai noté, dans la plupart de vos interventions, une vraie modération et, pour
une part, une vraie adhésion. Pour le reste, j'ai relevé soit des critiques qui
m'apparaissent mineures, soit au contraire des propositions visant des points
que ce texte n'a pas vocation à traiter.
Monsieur Ostermann, vous avez rappelé votre attachement à la participation. Je
vous en donne acte. Mais notre projet ne remet pas en cause la participation,
bien au contraire, puisqu'il vise à en faciliter l'accès.
L'épargne salariale va aujourd'hui au-delà. Ainsi, vous avez souligné les
apports du projet de loi au développement de l'épargne dans les petites et
moyennes entreprises, et j'en suis heureux.
Vous estimez que, si le plan partenarial d'épargne salariale volontaire répond
à une nécessité, il est trop complexe pour être facilement mis en oeuvre.
Faites cependant confiance, comme le Gouvernement, aux partenaires sociaux pour
choisir les modalités qui leur conviendront le mieux, ne les privez pas du
choix qui doit leur revenir !
Vous mettez en cause le prélèvement de 8,2 % sur les abondements supérieurs à
15 000 francs au motif que ce montant ne serait jamais atteint. Il est vrai,
monsieur le rapporteur, que l'abondement moyen est de 7 000 francs. Mais c'est
une moyenne ! Parce que nous croyons au succès du PPESV, nous pensons que les
abondements seront importants. La disposition adoptée par l'Assemblée nationale
permettra donc de renforcer la non-substitution de l'épargne au salaire sans en
menacer le développement.
Vous souhaitez également, monsieur le rapporteur, faire de ce projet de loi un
projet d'épargne-retraite. Le ministre de l'économie et des finances l'a
souligné avant moi, nous refusons de créer une confusion entre l'épargne
salariale et l'épargne-retraite. Aussi, nous ne pourrons qu'exprimer notre
opposition aux dispositions que vous proposerez à cet égard.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez regretté à la fois que le
Gouvernement ait tardé à présenter ce projet de loi et que, afin d'en permettre
une mise en oeuvre rapide, il ait eu recours à la procédure d'urgence. C'est un
peu contradictoire !
Vous avez tous rappelé l'importance de la réflexion, après le rapport de M.
Balligand et de M. de Foucauld et après la discussion qui a eu lieu à la fois
dans le monde socio-économique et au Parlement.
Nous avons voulu prendre le temps de la négociation et, aujourd'hui, nous
souhaitons aboutir à un texte équilibré, applicable, aux effets immédiats. D'où
l'intérêt de la procédure qui a été retenue.
Je prends acte de vos remarques, mais convenez, monsieur le rapporteur, que la
concertation menée avant la rédaction de ce projet de loi, alimentée notamment
par les travaux de votre assemblée, permettra de répondre à l'inadéquation dans
le temps que vous avez évoquée et nous donnera sans doute raison.
Monsieur Chérioux, la commission des affaires sociales ne se prononçait sur ce
texte que pour avis, mais quel avis !
Je vous ai écouté vous aussi avec beaucoup d'attention. Vous avez donné un
avis éclairé par une pensée, hélas ! souvent oubliée par ceux qui auraient dû
en être les principaux défenseurs. Quel dommage que le gaullisme de gauche
n'ait pu prévaloir !
Votre avis est, à bien des égards, un hommage au Gouvernement.
En effet, nous avons les mêmes objectifs, à savoir ouvrir l'épargne salariale
à tous, donner des fonds stables aux entreprises, créer ou améliorer le
dialogue social. Nous avons la même démarche, qui se résume en trois mots :
diagnostic, concertation, décision. Nous proposons parfois les mêmes mesures,
comme c'est le cas aux articles 5 et 2, vous l'avez rappelé, et nous avons les
mêmes sources, à savoir le rapport Balligand - de Foucauld, que vous avez
évoqué.
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
Nous n'avons pas « évoqué » ce rapport ! Nous avons
travaillé avant eux !
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat.
Nous avons aussi les mêmes chiffres : 97 % des
salariés des PME sont exclus du système de l'intéressement.
Il ne s'agit donc pas du texte anodin évoqué à l'instant par M. Marini.
Quant aux problèmes que vous avez soulevés, monsieur le rapporteur pour avis,
seraient-ils liés à une paternité partagée ? Ce point me paraît biologiquement
inextricable ! Et, si notre texte n'est pas celui de la majorité du Sénat, je
vous l'accorde, il est celui de la majorité plurielle. Vous avez su nous le
rappeler et le Gouvernement s'en honore.
Sur les critiques relatives au temps - avons-nous été trop lents ou trop
rapides ? - je vous ai répondu à l'instant.
Quant à vos critiques concernant le vocabulaire - le mot « participation »
vous ferait peur - je ne les crois pas fondées et il me semble préférable de
négliger le substantif et de pratiquer la réalité. La participation, pour nous,
n'est pas un slogan. C'est du concret, et nous le prouvons avec ce texte.
Vous avez aussi émis des critiques au sujet des finalités. Nous n'instaurons
pas des fonds de pension pour la retraite, je vous le concède bien
volontiers.
Ce projet de loi prévoit un plafond de 30 000 francs, sur une durée de dix
ans. Il s'agit, à vingt ans, à trente ans, à quarante ans, de financer un
projet de logement, un rêve ou les études des enfants. Cela ne représente-t-il
rien pour vous ?
Quant à d'autres utilisations ultérieures ou au placement du capital obtenu,
chacun en sera libre ! Nous ne vous proposons pas un texte d'opportunité, mais
un texte de volonté, de participation et de liberté.
Le Gouvernement, dans ce domaine, a pris ses responsabilités : il s'agit de
financer pour les pérenniser les régimes de retraite par répartition. Je vous
renvoie d'ailleurs à la déclaration de Laurent Fabius, qui répondait par avance
tout à l'heure à certaines des interrogations et des critiques qui ont été
formulées par M. Marini.
L'épargne salariale n'est pas de l'actionnariat salarié. En effet, le système
est plus souple et il est possible d'en sortir en cas d'imprévu. Il est plus
rémunérateur, puisque l'entreprise verse trois fois plus que le salarié. Il est
moins risqué que le système de mutualisation du plan d'épargne d'entreprise et
il évite les dangers, les écarts de rendement et les conflits d'intérêts selon
les sociétés et les salariés. Face à des dispositifs anciens, juxtaposés,
compliqués, nous proposons un accord « gagnant-gagnant », M. Fabius l'a
rappelé, qui réconcilie chacun dans l'entreprise, qui favorise la codécision -
même si, révolutionnaires au Sénat, vous proposez la cogestion - qui donne un «
plus » de rémunération sans être un « moins » de salaire puisque vous
reconnaîtrez que, à ce titre, depuis trois ans, les salaires ont augmenté.
Monsieur Grignon, vous avez bien voulu admettre que le projet de loi présenté
par le Gouvernement comportait des améliorations qui lui permettront de donner
un nouveau dynamisme à l'épargne salariale.
Vous avez notamment évoqué le plan d'épargne interentreprises, qui permettra
de faire bénéficier les salariés des PME des dispositifs d'épargne
salariale.
Vous avez également relevé l'attention qui est portée à la situation des
salariés qui passent d'une entreprise à une autre, et chacun a développé ici
l'intérêt des fonds interentreprises à cet égard. J'ai apprécié votre ouverture
d'esprit sur ces dispositions et je pense que cela augure d'un débat
constructif.
Certes, il est des points sur lesquels il sera plus difficile au Gouvernement
de vous suivre. C'est le cas, notamment, de votre appréciation sur le PPESV.
Contrairement à vous, j'estime que nous avons trouvé là un bon compromis entre
l'encouragement à l'épargne longue des salariés et la protection de nos régimes
de retraite par répartition.
Il ne s'agit, dans ce texte, ni de stock-options ni, par ailleurs, de retraite
capitalistique au sens où vous l'entendez. Il s'agit d'abord et avant tout - je
réponds ce faisant à d'autres intervenants - de donner tout son sens à
l'épargne salariale, de la préserver, de la conserver telle qu'elle est voulue
et âprement défendue, aujourd'hui, par l'ensemble du monde du travail.
Permettez-moi, enfin, de vous dire, comme je l'ai déjà indiqué à MM. Ostermann
et Chérioux, qu'il n'est pas juste d'attendre de ce projet de loi une révision
de fond en comble de l'actionnariat salarié, qui n'est qu'une des modalités, et
pas la plus répandue, de l'épargne salariale.
Monsieur Girod, notre projet ne vise pas à dissiper les antagonismes entre le
travail et le capital, qui sont réels. Nous souhaitons permettre aux salariés,
en sus de leur salaire, de bénéficier de leur juste part de l'amélioration des
résultats de leur entreprise. Nous souhaitons même leur faciliter l'accès à la
propriété de leur entreprise, en liant le développement de l'actionnariat
salarié au renforcement de leurs droits.
S'agissant des retraites, je ne reviendrai pas sur ce que je viens d'indiquer
à l'instant pour affirmer la réalité de notre volonté.
A M. Loridant, je dirai que l'épargne salariale, ce n'est ni les stock-options
des pauvres ni, par son montant, ses délais, son mode de gestion et ses
destinations, le cheval de Troie des fonds de pension.
On a beaucoup débattu de ce sujet à l'Assemblée nationale. J'étais, à
l'époque, parlementaire et je me souviens de ce faux débat, que la réalité des
textes, aujourd'hui, vient bien confirmer comme tel.
Je crois que la fiscalité adaptée, le dialogue employeur-employé accru, la
vigilance des salariés et la réalité de la hausse des revenus individuels
constatée depuis trois ans ne plaident vraiment pas en ce sens.
M. Loridant s'interroge sur la sortie du dispositif. Le texte répond en deux
points : sortie en capital selon trois modalités diversifiées qu'il connaît et
qu'il a évoquées, et libre appréciation du salarié sur la destination finale -
chacun fera ce qu'il voudra, réalisera un projet ou fera un placement à partir
d'une épargne longue, jusque sur dix ans.
M. Loridant s'interroge également sur l'utilité de ces fonds. Je lui réponds :
stabilité et solidité des capitaux, développement des PME, innovation et
création, maintien des centres de responsabilité dans notre pays, donc
croissance et confiance, donc embauche et activités. C'est bien là un élément
de la politique économique de l'emploi voulue par le Gouvernement.
M. Massion a fort justement souligné la faiblesse actuelle des flux de
l'épargne salariale par rapport à ceux de l'assurance-vie.
Notre projet, en effet, ne vise pas à augmenter l'épargne, aujourd'hui tout à
fait suffisante, pour financer la croissance, qui n'est pourtant pas molle. Il
tend à améliorer les dispositifs existants d'épargne salariale pour atteindre
trois objectifs que M. Massion, que je veux remercier de son analyse du texte
et de sa volonté marquée de l'améliorer, a bien définis : d'abord, la réduction
des inégalités entre les salariés, notamment au bénéfice des salariés des PME,
puisque, je le répète, aujourd'hui, seuls 4 % d'entre eux peuvent accéder à ces
fonds, ce qui est une véritable injustice que nous entendons réparer ; ensuite,
la relance du dialogue social, qui est, il est vrai, un peu faible dans le
domaine de l'épargne salariale, dialogue social dans lequel j'ai confiance,
étant entendu qu'il s'agit non pas d'entrer dans les entreprises, d'être là où
nous n'avons pas à être, mais, au contraire, de généraliser le dialogue à
l'intérieur des entreprises elles-mêmes, et cela vaut pour l'épargne comme pour
la réduction du temps de travail ; enfin, une meilleure orientation de
l'épargne vers les PME, afin de leur permettre de consolider leurs fonds
propres au même titre que les grandes entreprises.
En effet, à côté de l'épargne, à côté de la participation, à côté de
l'intéressement, il y a aussi ce besoin tout à fait réel, évoqué par Mme
Dieulangard, pour les entreprises françaises de disposer aujourd'hui d'une
épargne longue de proximité pour la création, l'innovation et la consolidation
de leurs fonds propres.
Je me suis demandé qui M. Marini voulait convaincre. Je l'ai écouté. Je me
suis demandé s'il voulait se convaincre lui-même. Sa colère était-elle factice,
était-elle fondée ? Je le connais de longue date, et je connais aussi sa façon
d'analyser les dossiers.
Il a fait une caricature du texte en disant que c'était une « lègère avancée
». Cette avancée a tout de même donné lieu à quantité de débats et,
aujourd'hui, à quantité d'attentes. Il a néanmoins reconnu que c'était une
avancée en disant que l'on aurait pu le faire il y a un an. Mais il est des
projets dont votre assemblée a voulu débattre longuement, et le Gouvernement
met à l'ordre du jour des assemblées les textes qui lui paraissent importants,
qui sont acceptés par la majorité des Français et qui sont aujourd'hui salués
comme des textes d'avancée sociale. Celui-là en est un.
Sur la question de la définition du groupe, je ne peux pas suivre M. Marini
dans son souhait de laisser aux parties le pouvoir de décider qu'elles
constituent un groupe. Les avantages fiscaux liés au dispositif justifient une
définition qui, à défaut de satisfaire toutes les entreprises, permet de faire
réellement correspondre cette notion avec l'existence de liens en capital
suffisamment forts.
Par ailleurs, notre volonté de renforcer la place de la négociation collective
prouve, s'il en était besoin, notre confiance dans la capacité des partenaires
sociaux. Les fonds solidaires comprendront entre 5 % et 10 % des titres
d'entreprises solidaires. Le risque est donc limité. Ces fonds permettront
ainsi à la fois de financer l'économie solidaire et de garantir l'épargne
salariée.
Quant au projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, le
Gouvernement aurait souhaité que votre assemblée puisse l'examiner avant l'été.
Le Gouvernement a demandé la constitution de la commission mixte paritaire. Il
appartient maintenant aux présidents des deux commissions des finances de fixer
la date de sa réunion. Le Gouvernement souhaite qu'elle ait lieu le plus tôt
possible. Quant à l'examen en nouvelle lecture, il devrait intervenir en
janvier 2001.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur.
Bonne nouvelle !
M. François Patriat,
secrétaire d'Etat
Pour ce qui est de vos questions sur les retraites,
monsieur Marini, ce n'est pas dans ce débat, je l'ai déjà dit, que vous aurez
les réponses. L'épargne salariale n'est pas l'épargne retraite, je le répète.
Patientez donc un peu puisque vous serez bientôt soumis au projet de loi de
financement de la sécurité sociale, qui vous donnera l'occasion de vous
exprimer sur ces questions.
Vous nous avez interrogés sur le fonds de retraite. Sans rouvrir le débat, je
dirai que le Gouvernement, en la matière, répond parfaitement à vos
demandes.
D'abord, il est prévoyant, dans la mesure où ce fonds a été créé et où il est
alimenté par des sommes qui ne sont pas négligeables. Les dernières décisions
du Gouvernement, prises notamment par le ministre de l'économie et des
finances, tendent à démontrer cette volonté d'abonder ce fonds et d'en faire
assurer la gestion dans de bonnes conditions, au-delà des questions ponctuelles
que vous avez imaginées.
Ensuite, le Gouvernement participe au désengagement de l'Etat. Les dernières
mesures prises en la matière prouvent que, sur ces deux leviers importants que
sont la réduction de la dette et la sauvegarde des retraites à l'avenir, le
Gouvernement s'engage, prend des mesures porteuses d'avenir et allant dans le
sens de ce que souhaitent aujourd'hui nos concitoyens.
Monsieur Fischer, vous avez, au nom du groupe communiste républicain et
citoyen, témoigné de la différence très forte qui existe entre le projet du
Gouvernement et ceux de la majorité sénatoriale, ce dont je vous remercie. Ce
n'est pas la même analyse. Il n'y avait pas lieu de confondre ni de parler de
ce qui n'avait pas lieu d'être.
Vous demandez plus de dialogue social. Ce projet vise à obliger chaque
entreprise à s'y soumettre davantage, à dépasser les questions d'organisation
et de durée du temps de travail.
Pour ce qui est de la rivalité avec les salaires, la place centrale donnée à
la représentation syndicale, la non-substitution intéressement-rémunération
renforcée par le code du travail, une fiscalité particulière sont autant de
garde-fous face aux dangers que vous avez évoqués.
Vous vous êtes interrogé aussi - je le comprends - sur l'individualisme
ambiant. Celui-ci est contrecarré par la dimension solidaire, que l'on retrouve
dans l'article 9, et dans la consolidation des systèmes de répartition voulue
par ailleurs par le Gouvernement.
L'augmentation des revenus est constante depuis trois ans. Les chiffres sont
là pour le prouver, même si le ratio que vous avez évoqué ne m'a pas échappé.
Les revenus ont participé de la croissance. Depuis 1997, ils ont fait un bond
en avant que l'on peut certes relativiser, mais qui est réel. D'ailleurs, les
salariés le sentent bien.
Je comprends que, dans le climat ambiant, développé parfois à tort, d'une
croissance réelle, soutenue, alimentée par le Gouvernement et que ce dernier
souhaite maintenir par une politique à la fois de l'offre et de la demande -
nous agissons sur les deux leviers - vous auriez, comme tout un chacun,
souhaité plus. L'heure, avouez-le, était au travail pour tous la priorité était
à l'emploi. Mais demain, le problème que vous avez évoqué ; n'échappera à
personne et alimentera les débats que nous aurons.
Vos préoccupations, je les partage, et le Gouvernement, dans les différentes
réponses qu'il a faites, dans la loi de finances, dans le PLFSS, dans ce texte,
en particulier, répond à votre souci d'entendre les salariés, de les voir
participer au dialogue et de les voir bénéficier, aujourd'hui, des fruits de la
croissance.
Mme Dieulangard a bien marqué les limites hors desquelles le projet de loi
cesserait d'être raisonnable. Il ne faut pas exposer les salariés à des aléas
financiers qui n'ont aucune raison de faire disparaître les aléas réels que
sont l'évolution de la conjoncture, la marche des entreprises et la pérennité
des emplois.
Il ne faut pas affaiblir le salariat, tant dans son poids économique - la part
des salaires dans la valeur ajoutée - que dans sa représentation symbolique -
l'épargne salariale ne doit pas tenir lieu de substitut au salaire. Je souscris
donc à l'analyse de Mme Dieulangard.
Enfin, comme je l'ai déjà dit aux deux rapporteurs - je n'y insisterai donc
pas - il faut éviter toute confusion entre épargne salariale et retraite, ce
qu'elle a fait.
Je souhaite, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, que
nous puissions dès maintenant commencer l'examen des articles de ce texte, en
respectant bien sa lettre et son esprit ; il vise, je le rappelle, à favoriser
l'épargne, la participation, l'intéressement, le financement des entreprises
et, par là même, le plus grand développement du dialogue social et
l'épanouissement de ces PME auxquelles le secrétaire d'Etat que je suis est
très attaché.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la décision générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
AMÉLIORATION DES DISPOSITIFS EXISTANTS
Article 1er A