SEANCE DU 7 NOVEMBRE 2000
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 860, adressée à Mme le
secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Madame la secrétaire d'Etat, vous savez comme moi quel atout national
représente l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, l'AP-HP. Cet ensemble
hospitalier est le plus important établissement de soins d'Europe, avec ses 45
hôpitaux, ses 27 000 lits et ses 86 000 salariés ; c'est aussi le premier
centre de formation et la première université de mé decine du continent.
Reconnue comme un pôle d'excellence, l'AP-HP dispose d'une réputation nationale
et internationale. Ses missions de service public dépassent largement les
limites de l'Ile-de-France. Ses établissements reçoivent des patients de tout
le pays et même de l'étranger. Ils prennent notamment en charge des pathologies
lourdes ou rares. A titre d'exemple, ils ont effectué 1 581 greffes en 1998.
Aujourd'hui, nous considérons que cet atout national est menacé. C'est en tout
cas la crainte qu'expriment de plus en plus nettement les personnels
hospitaliers. La campagne médiatique de dénigrement n'est pas faite pour les
rassurer.
Une autre campagne, souvent entretenue d'ailleurs par les gouvernements, vise
à opposer l'AP-HP aux autres hôpitaux en présentant Paris et la région
parisienne comme des secteurs « surdotés », sans tenir compte de la spécificité
de l'AP-HP que j'évoquais à l'instant.
En fait, ce qui menace réellement le devenir de l'AP-HP, c'est cette logique
d'austérité imposée depuis des années au nom de la prétendue « maîtrise
comptable des dépenses de santé » qui frappe aussi bien les établissements de
Paris, de banlieue ou de province.
Depuis l'abandon de la dotation globale aux hôpitaux de France en 1991, le
taux annuel de progression de la dotation à l'AP-HP, à peine supérieur à 1 %
avec un minimum de 1,08 % l'an dernier, s'est révélé incompatible avec la seule
reconduction des activités et du personnel. Pour 2000, la fédération
hospitalière de l'Ile-de-France estimait qu'une augmentation de 2,4 % était
nécessaire pour cela. Et je ne parle pas de la croissance des besoins en
matière de soins et d'investissements en matériels de nouvelle technologie.
Sur plusieurs années, cette logique d'austérité remet en cause toutes les
missions de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.
Le très fort mouvement revendicatif dans les hôpitaux publics qui s'est
traduit, l'année dernière, par des grèves étalées sur quatre mois a révélé
l'ampleur de la détérioration des conditions de travail, qui sont à la limite
du supportable pour les personnels et dangereuses pour la sécurité des
patients.
A l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, les personnels hospitaliers
dénoncent les orientations du schéma régional d'organisation sanitaire et
sociale 2001-2004 et la dégradation de l'offre et de la qualité des soins qu'il
prévoit.
En Ile-de-France, 11 000 lits de court séjour risquent d'être ainsi fermés
d'ici à 2004 - après la fermeture de 17 000 de 1994 à 1999 -, dont 1 000 par an
à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, et 2 000 emplois supprimés alors
que les syndicats estiment à 10 000 les personnels manquants.
Les critères comptables qui président aux choix stratégiques mis en oeuvre par
la direction de l'Assistance publique vont à l'encontre de l'évolution des
besoins de santé à Paris et en Ile-de-France.
Permettez-moi, madame la secrétaire d'Etat, de vous citer deux exemples à cet
égard.
Alors que la direction de l'Assistance publique reconnaît une augmentation
constante des urgences - elles ont progressé de 16 % de 1994 à 1997 - le plan
de restructuration prévoit de fermer les deux tiers des sites.
De même, 1 600 lits de gériatrie doivent être fermés alors que la demande dans
ce secteur ne cesse de croître.
Il résulte de cette évolution que le secteur privé se « taille des croupières
» au détriment de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et s'empare des
activités les plus rentables. Aujourd'hui, par exemple, 60 % des actes de
chirurgie ambulatoire sont effectués par le secteur privé et 50 % par les
maternités.
L'ensemble de la structure AP-HP continue à s'affaiblir. La logique de
restriction financière imposée par les politiques gouvernementales successives
conduit à faire des arbitrages entre ses missions de service public et même à
déstructurer certaines de ses filières d'excellence. L'hôpital européen
Georges-Pompidou, qui vient d'ouvrir ses portes avec sept ans de retard et des
centaines de millions de francs de surcoût, en est la parfaite illustration.
L'Etat s'est complètement désengagé du financement de la construction de cet
hôpital « vitrine », à vocation européenne, doté d'un grand plateau technique.
Cela conduit l'AP-HP à sacrifier une partie de son patrimoine et à fermer les
hôpitaux Boucicaut, Laennec et Saint-Lazare ainsi qu'une grande partie de
l'hôpital Broussais, dont les activités ne se retrouvent que très partiellement
dans le nouvel hôpital.
Dans le but - je n'en doute pas - de rechercher des recettes diverses et
complémentaires à son budget, l'AP-HP, qui semble inscrire à son activité un
nouveau volet, celui de la spéculation foncière, ne vient-elle pas de décider
de vendre les quatre hectares du site de Laennec à la COGEDIM pour réaliser des
logements haut de gamme ? D'autres projets existeraient. En avez-vous
connaissance ? Quelle est votre position ?
Entre le Bon Marché, les jardins de Matignon et ceux de Saint-Vincent-de-Paul,
en pleine rive gauche, allez-vous laisser la spéculation s'organiser pour
prendre la place d'un hôpital ? Ce serait, à mon avis, une perversion de
fonctions. Un coup d'arrêt doit être donné, ne serait-ce que pour éviter
d'autres initiatives de ce type n'ayant plus rien à voir avec une
réorganisation des services de soins à Paris et en Ile-de-France.
Je vous rappelle d'ailleurs...
M. le président.
Madame Beaudeau, veuillez conclure ! Vous avez largement dépassé votre temps
de parole !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
... que les Parisiens s'inquiètent de voir s'éloigner des services de soins et
de proximité. L'an passé, le conseil d'administration...
M. le président.
Cette fois-ci, je vous prie de conclure, madame !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je conclurai donc en vous posant deux questions, madame la secrétaire d'Etat :
pouvez-vous réaffirmer aujourd'hui les missions de l'Assistance publique -
hôpitaux de Paris ? Quels moyens budgétaires allez-vous attribuer pour que,
contrairement à l'an passé, le budget puisse être adopté par le conseil
d'administration et non pas imposé par arrêté ministériel ?
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
Madame la sénatrice, les
propos que vous venez de tenir trouveront toute leur place dans le débat sur le
projet de loi de financement de la sécurité sociale qui aura lieu prochainement
; nous aurons alors l'occasion de reparler de la politique hospitalière, de la
restructuration et des objectifs nationaux de dépenses d'assurance maladie.
En ce qui concerne spécifiquement les deux dernières questions que vous m'avez
posées, je veux confirmer devant vous que l'AP-HP est un ensemble hospitalier
au rôle éminent, reconnu de tous, y compris, bien évidemment, du Gouvernement.
Il emploie 68 000 agents et plus de 8 000 médecins. Il assure - je le souligne
comme vous - non seulement des activités de pointe et de recherche médicale qui
honorent notre pays, mais aussi des activités de prise en charge de proximité
qui sont indispensables aux usagers parisiens.
Si nous demandons effectivement des efforts à l'AP-HP, nous tenons également
compte - je tiens à le rappeler - de ses contraintes. Alors qu'en 1997, le
budget avait régressé de 0,34 %, il a augmenté de 0,91 % en 1998 et de 1,48 %
en 1999. Le gouvernement actuel a donc pris en compte les besoins de l'AP-HP.
Pour l'an 2000, c'est une progression significative du budget qui sera
enregistrée, une fois que les comptes seront arrêtés, compte tenu des crédits
nationaux auxquels l'AP-HP a pu prétendre par le biais de différentes
enveloppes qui lui ont été accordées pour faire face à ses obligations.
En effet, l'AP-HP a bénéficié d'un soutien financier conséquent dans la mise
en oeuvre des protocoles de mars 2000, notamment avec des crédits pour les
remplacements des personnels hospitaliers sur des postes existants mais non
pourvus, et des mesures relatives aux personnels médicaux.
Par ailleurs, une attention particulière a été portée au volet « recherche et
soins coûteux » et, dans le cadre du récent appel d'offres lancé sur le plan
national, l'AP-HP s'est vu attribuer une enveloppe supplémentaire tenant compte
de ses spécificités médicales et des projets déposés qui méritent un
financement particulier.
S'agissant enfin de la question de l'emploi précaire, un accord a été conclu
entre la direction générale de l'AP-HP et l'ensemble des organisations
syndicales.
Cependant, les efforts que nous demandons à l'AP-HP sont justifiés par la
volonté de réduire les inégalités entre régions. Quels que soient les critères
retenus - budget hospitalier par habitant, dépenses par pathologie traitée,
indice de mortalité -, Paris et donc l'AP-HP apparaissent mieux dotés que les
autres régions, et ce même si l'on tient compte des spécificités de cet
établissement en termes de recherche ou de rayonnement international. Je pense
que nous serons tous d'accord pour considérer que les inégalités en matière de
santé sont les plus insupportables et que le mouvement de réductions des
inégalités doit être poursuivi, ce mouvement n'ayant rien à voir avec une
politique d'austérité, mais résultant d'une politique de transparence et
d'affectation des justes moyens aux besoins ressentis.
Je n'ignore pas pour autant les difficultés de l'exercice. Ce dernier n'est
possible que sur la base d'un dialogue social intense au sein même de
l'institution. Il suppose une vraie réflexion sur l'organisation interne de
l'AP-HP. Le plan stratégique en cours d'élaboration pour la période 2001-2004
doit en être l'occasion.
Je sais que son élaboration a donné et donne encore lieu à des concertations
internes auxquelles les établissements ont participé et qui ont associé
l'agence régionale d'hospitalisation d'Ile-de-France. Mais nous sommes
régulièrement sollicités par des groupes d'usagers ou des élus qui considèrent
que la concertation n'est pas encore arrivée à son terme.
Je tiens à vous dire, madame la sénatrice, que tout est mis en oeuvre pour
préserver le dynamisme de l'AP-HP dans son rôle d'hôpital de proximité, de
centre de référence nationale, voire internationale, en tenant compte de la
nécessité de moderniser ses différents établissements.
Le transfert de trois établissements dans l'hôpital Georges-Pompidou en est la
concrétisation. Mais tout cela doit se faire dans le respect de la politique
sanitaire définie pour l'ensemble du pays et dans le souci de laisser toute sa
place au dialogue social.
J'en viens à votre crainte d'une éventuelle spéculation foncière à l'occasion
de la mise en vente des terrains de l'hôpital Laennec. S'agissant d'une
propriété privée, le Gouvernement aurait pu laisser les choses aller leur cours
; tel n'est cependant pas le cas, le Gouvernement n'entendant pas rester inerte
dans cette affaire. Il a donc décidé d'étudier ce dossier complexe et difficile
et d'intervenir au regard non seulement des règles de l'urbanisme, mais aussi
des montages juridiques et financiers des promoteurs. En effet, l'avenir des
terrains de l'hôpital Laennec concerne non pas seulement l'AP-HP qui en est
propriétaire, mais aussi l'ensemble des Parisiens et de leurs représentants :
il faut en effet veiller à ce que la commercialisation de ces terrains permette
de répondre à certains besoins non satisfaits des Parisiens.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau, à qui je demande d'intervenir brièvement dans la
mesure où elle a déjà utilisé le double de son temps de parole.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d'Etat.
Je reconnais que, jusqu'à ces dernières années, l'Assistance publique -
hôpitaux de Paris a bénéficié de meilleures dotations budgétaires que les
hôpitaux ruraux, de province, de banlieue et notamment de grande couronne.
Qu'il me soit toutefois permis de rappeler que, l'an dernier et au début de
cette année, les personnels hospitaliers de l'Assistance publique ont exprimé
avec force et détermination le refus de la poursuite de cette politique en
manifestant à de nombreuses reprises. Mme Aubry avait même dû reconnaître la
légitimité de leurs revendications en accordant des crédits d'urgence aux
hôpitaux, crédits intégrés, comme vous l'avez dit, au dernier collectif
budgétaire. Mais ces crédits se sont élevés pour l'Assistance publique -
hôpitaux de Paris à 174 millions de francs, soit à peine plus que les 156
millions de francs d'économie que le Gouvernement lui avait imposés, et n'ont
principalement servi qu'à rebudgétiser des postes déjà existants.
Je voudrais également évoquer un chiffre qui est pris dans notre département
commun, madame la secrétaire d'Etat : trois habitants du Val-d'Oise sur quatre
atteints d'un cancer sont soignés dans des hôpitaux parisiens. Pourquoi ? Je
sais d'ailleurs votre souci de prévoir des dotations supplémentaires en faveur
de nos hôpitaux de grande couronne. Et à ce propos, j'attends avec impatience
vos décisions quant à l'affectation de nouveaux appareils d'imagerie à
résonance magnétique, dont trois au moins sont nécessaires pour mon
département.
En conclusion, monsieur le président, je précise que je tenais simplement à
souligner, en posant cette question, que, si l'Assistance publique bénéficiait
jusqu'à présent d'un traitement privilégié, ce n'est plus le cas aujourd'hui,
tant il est vrai que cette dernière partage désormais le sort de l'ensemble du
système de soins hospitaliers.
Dans le cadre d'une nouvelle politique...
M. le président.
Madame Beaudeau, il vous faut conclure !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je conclus, monsieur le président !
Dans le cadre d'une nouvelle politique de soins hospitaliers, ne faudra-t-il
pas, madame la secrétaire d'Etat, quitter rapidement le terrain des
comparaisons et des affrontements entre hôpitaux de Paris et de banlieue, entre
hôpitaux franciliens et de province, entre hôpitaux ruraux et urbains ?
Quoi qu'il en soit, je vous suivrai sur un point au moins, madame la
secrétaire d'Etat : nous reprendrons ce débat lors de l'examen du projet de loi
de financement de la sécurité sociale.
M. le président.
Madame Beaudeau, je vous rappelle que les temps de parole sont de trois
minutes pour poser une question et de deux minutes pour répondre au
Gouvernement, et non pas de six minutes et demie d'un côté et de deux minutes
vingt de l'autre !
RECONNAISSANCE
DE LA MÉDECINE ANTHROPOSOPHIQUE