SEANCE DU 26 OCTOBRE 2000
M. le président.
« Art. 1er. - Il est inséré, au titre XII de la Constitution, un article 72-1
ainsi rédigé :
«
Art. 72-1.
- La libre administration des collectivités territoriales
est garantie par la perception de recettes fiscales dont elles votent les taux
dans les conditions prévues par la loi.
« Les ressources hors emprunt de chacune des catégories de collectivités
territoriales sont constituées pour la moitié au moins de recettes fiscales et
autres ressources propres.
« Les collectivités territoriales peuvent recevoir le produit des impositions
de toute nature.
« Toute suppression d'une recette fiscale perçue par les collectivités
territoriales donne lieu à l'attribution de recettes fiscales d'un produit
équivalent. »
Sur l'article, la parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les réunions
de commissions ce matin, notamment sur le budget des affaires étrangères, ne
m'ont pas permis, comme je l'aurais souhaité, de participer à la discussion
générale. Je me bornerai donc à quelques observations sur chacun des trois
articles soumis au vote du Sénat.
Mes chers collègues, dans un domaine comme celui que nous abordons à
l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, je crois que nous avons
intérêt, dans ce domaine-là plus que dans d'autres, à rédiger, si nous le
souhaitons, des textes constitutionnels qui soient précis et clairs - c'est ce
dont parlaient tout à l'heure M. Marini et un peu M. Fréville - et à ne pas
prendre de risques en écrivant mal ce qu'on souhaite ou ce qu'on veut dire.
M. Jacques Oudin.
Pas facile !
M. Michel Charasse.
Dans un domaine qui est compliqué - je crois que le débat l'a bien montré, y
compris d'ailleurs la réponse de M. le ministre - les auteurs de la proposition
de loi comme notre commission des lois ont fait pour le mieux, et je veux leur
rendre hommage tout en partageant, sur le fond, les observations qui ont été
faites par mes amis du groupe socialiste. Cependant, je m'inquiète un peu des
interprétations auxquelles pourraient donner lieu les dispositions qui nous
sont soumises, tant leur rédaction est imprécise.
J'ajouterai, en passant, que plus la fiscalité locale dérive vers
l'intercommunalité, et moins on parle de l'intercommunalité ! En effet, il
n'est question que des collectivités territoriales dans ce texte, les
groupements n'étant pas des collectivités. Mais passons ! Mes chers collègues,
le premier alinéa du texte proposé par l'article 1er pour l'article 72-1 de la
Constitution précise que « la libre administration des collectivités
territoriales est garantie par la perception... ». Cela veut dire qu'elle n'est
garantie par rien d'autre. Cela veut donc dire que l'on peut rétablir les
tutelles, les contraintes, etc. Je pense que l'on aurait pu au moins écrire que
la libre administration des collectivités territoriales est « notamment
garantie ». En effet, d'autres dispositions, et nous le savons depuis la
décentralisation, garantissent la libre administration des collectivités
locales.
S'agissant de la fixation des taux, je regrette que l'on n'ait pas employé la
formulation : « dont elles votent librement les taux ». Cela nous conduit à
tous ces systèmes compliqués de plafonnement, de liens, la taxe
professionnelle, etc. Est-ce que nous le voulons ou pas ? En tout cas, comme ce
n'est pas écrit dans le texte, si celui-ci devait devenir définitif, ce serait
la possibilité de dire : vous votez les taux mais d'une façon très encadrée. Et
dans ce cas, on sait que la liberté peut être menacée.
S'agissant du deuxième alinéa du texte proposé pour l'article 72-1 de la
Constitution, j'ai noté, comme vous tous, j'en suis sûr, les observations très
pertinentes et judicieuses de notre collègue M. Fréville.
M. le président Christian Poncelet et ses collègues suggéraient que les
ressources fiscales représentent, comme l'a dit M. Fréville, la « part
prépondérante » des ressources des collectivités territoriales. La commission
des lois dit : « la moitié au moins ». Mes chers collègues, même si on juge par
catégorie, on est actuellement au-dessus de la moitié.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Non !
M. Michel Charasse.
Globalement !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Non !
M. Michel Charasse.
C'est ce que dit le Conseil constitutionnel !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Non !
M. Michel Charasse.
Ne prend-on pas le risque, avec une telle affirmation, alors que les calculs
ne sont pas clairs et que les expertises ne sont pas unanimes, d'inciter le
Gouvernement à baisser encore un peu plus ? N'est-ce pas imprudent ?
N'aurait-il pas mieux valu, monsieur le rapporteur - mais ne prenez pas cela
pour une critique personnelle ; ce sont des observations qui me viennent à
l'esprit - être plus prudent en écrivant : on ne peut pas aller en-dessous de
la situation actuelle. Cela aurait été, à mon avis, beaucoup plus clair.
J'en viens au troisième alinéa. Mes chers collègues, comment faut-il le lire,
puisqu'il précise que l'on peut percevoir les produits des impositions de toute
nature ? Faut-il le lire au regard du premier alinéa ou au regard du troisième
? Si on le lit au regard du premier, ce sont forcément les impositions dont les
collectivités locales fixent les taux. Si on le lit au regard du troisième, ce
sont toutes les impositions, forcément celles dont nous fixons les taux et
celles dont nous ne fixons pas les taux. Dans ce cas-là, que veut dire le
deuxième alinéa, puisqu'il parle de la part prépondérante, ou de la moitié,
comme on voudra, venant de la fiscalité locale ? S'agit-il des ressources dont
on fixe les taux ou de celles dont on ne fixe pas les taux ?
Cela signifie qu'il y a plusieurs manières d'interpréter ces dispositions, et
au regard de la liberté - M. le doyen Patrice Gélard voit bien ce que je veux
dire - ce n'est pas tout à fait la même chose, parce que selon la manière dont
on interprète on peut supprimer le vote d'un taux, et donc une partie de la
liberté locale, en remplaçant par un impôt affecté dont le taux n'est pas
libre.
Enfin, le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72-1 de la
Constitution précise qu'un impôt supprimé doit être remplacé par un autre
impôt. Mais, là aussi - j'ai bientôt terminé, mes chers collègues - je pose la
question : peut-on supprimer un impôt dont nous fixons le taux et le remplacer
par un impôt dont nous ne fixons pas le taux ? Aux termes du quatrième alinéa,
on peut. Est-ce vraiment ce que veut le constituant ? Je ne le crois pas.
Monsieur le président, je ne vais pas aller plus loin dans cette explication.
L'intention de tout cela est peut-être bonne, mais la rédaction est trop
imprécise et trop imprudente pour nous apporter la vraie garantie que les
auteurs de la proposition de loi souhaitent apporter aux collectivités locales.
Vous comprendrez, que, dans ces conditions, que je préfère ne pas voter
l'article 1er.
(M. Serge Lagauche applaudit.)
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
J'ai beaucoup apprécié l'analyse de M. Charasse, qui me
rappelle étrangement l'une des épreuves du baccalauréat : le commentaire de
texte.
M. Michel Charasse.
Voilà !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Je le regrette, monsieur Charasse, mais je serais obligé de
vous donner une mauvaise note de commentaire de texte. En effet, le texte est
clair et vous avez voulu lui donner un inclinaison qui n'est pas celle que le
rapport a donnée et que le texte de la proposition de loi prévoit.
Lorsque nous écrivons que les collectivités territoriales votent les taux des
ressources fiscales dans les conditions prévues par la loi, cela signifie en
effet que le Parlement peut parfaitement établir des règles,...
M. Michel Charasse.
Oui !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
... peut encadrer les taux.
M. Michel Charasse.
Oui !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Nous ne sommes donc pas opposés à cette interprétation.
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
De même, si le troisième alinéa est placé à cet endroit de
l'article, cela veut bien dire ce que cela veut dire : cette disposition
n'affecte ni le deuxième alinéa, ni le premier. Cela signifie que, comme dans
des pays voisins, les collectivités territoriales ont vocation à recevoir des
parts de n'importe quel type d'impôts, y compris des impôts d'Etat, dont un
pourcentage serait attribué, éventuellement, aux collectivités
territoriales.
Donc, le texte est clair.
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas mon avis !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Vous avez voulu le tirer dans un sens qui n'est pas celui que
donnent et le rapport de la commission des lois et la rédaction définitive.
Cela étant dit, vous avez bien défendu votre interprétation. Je ne la partage
pas, et la commission des lois non plus.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Cet article prévoit l'inscription dans la
Constitution de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales définie par
référence à la part majoritaire que devraient représenter les recettes fiscales
dans les ressources hors emprunt de ces mêmes collectivités.
Je rappelle que je suis défavorable à l'inscription dans la Constitution de
ces dispositions qui figent les règles de manière excessive et restreignent le
pouvoir fondamental du Parlement en matière d'impôts et de contributions de la
population aux politiques publiques. La Constitution n'a pas, je crois, à être
précisée sur ce point et le Conseil constitutionnel veille aujourd'hui au
respect de ces règles.
Par ailleurs, la libre administration des collectivités locales doit être
considérée dans son ensemble, et non sous le seul aspect, même si celui-ci est
partie intégrante, de l'autonomie fiscale.
Je note en outre quelques contradictions ou insuffisances dans la rédaction
qui nous est présentée et, de ce point de vue, l'exposé de M. Charasse a été
assez convaincant et édifiant.
Tout d'abord, alors que l'intention des auteurs de ce texte est de confirmer
l'importance de la fiscalité locale, et donc de l'autonomie fiscale, des
collectivités territoriales, le ratio de 50 % de recettes fiscales est calculé
sans préciser que ces recettes fiscales sont obligatoirement locales. J'en
déduis donc que ces recettes fiscales pourraient être nationales ou partagées
selon un processus à définir. N'y a-t-il pas une contradiction entre cette
possibilité ouverte et l'autonomie fiscale elle-même ?
Ensuite, le calcul de ce ratio de 50 % de recettes fiscales par catégorie de
collectivités, même s'il laisse la place à la péréquation, est, en fait, un
calcul statistique inapproprié à un problème de principe.
Les collectivités qui n'atteignent pas individuellement ce ratio sont les
collectivités les plus pauvres, chacun le sait. Pour les régions, par exemple,
aujourd'hui, c'est déjà le cas du Limousin, où ce ratio est le plus faible.
Les ressources propres ne sont pas bien définies non plus. Sur le plan
comptable, elles pourraient comprendre les dotations de l'Etat, voire, pour
certains économistes, les emprunts, ce qui, en fait, rend inapplicable le
calcul du ratio de 50 % et lui fait perdre son sens.
Enfin, il n'existe pas d'impôt exactement substituable à un autre impôt. Son
dynamisme et ses caractéristiques géographiques seront différents. Faudrait-il
donc décider nationalement des impôts substitués puis les tronçonner
collectivité par collectivité, commune par commune ?
Non, décidément, je pense que cet article ne peut être adopté. L'inscription
dans la Constitution n'est pas souhaitable, et ce sujet doit être
l'aboutissement d'une réflexion visiblement inachevée aujourd'hui, qui doit
être menée avec l'appui de tous durant l'année 2001. En tout cas, c'est le
souhait du Gouvernement. Ce dernier n'est donc pas favorable à l'article
1er.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Monsieur le ministre, je vais être obligé de vous faire une
remarque identique à celle que j'ai adressée à M. Charasse !
M. Michel Charasse.
Vous n'avez que des mauvais élèves, cet après-midi !
(Rires.)
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Vous nous parlez des emprunts. Mais il est bien précisé, à
l'article 1er, qu'il s'agit des ressources « hors emprunt ».
Vous évoquez également telle ou telle collectivité. Mais le texte fait
référence aux « catégories de collectivités territoriales ».
Quant au mot « propres », il s'applique tout à la fois aux recettes fiscales
et aux autres ressources. Par conséquent, le texte est clair et net. Il ne faut
pas chercher plus loin que ce que nous avons voulu dire. Il n'y a pas
d'arrière-pensées, et les principes sont simples : les ressources fiscales
propres doivent être la ressource principale et majoritaire des ressources des
collectivités locales hors emprunt. C'est clair et net, et il n'y a pas
d'interprétation à apporter !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'article 1er.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Je souhaiterais que l'on sorte des arguties et que l'on traite du fond.
Lorsque le Gouvernement a pris la décision inopinée de supprimer la part
régionale de la taxe d'habitation pour les conseils régionaux, un certain
nombre de parlementaires ont déposé un recours devant le Conseil
constitutionnel. Ce dernier a validé la mesure au vu d'un mémoire déposé par le
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, mémoire dans lequel il
était fait référence à une consultation juridique concluant que l'application
stricte de la Constitution sur la libre administration des collectivités
locales permettait de réduire la part des recettes propres des collectivités
locales à epsilon et qu'il suffisait qu'il reste 1 % de recettes dont les taux
pouvaient être librement débattus par les collectivités pour que les principes
soient saufs.
M. Michel Charasse.
Voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Ce genre d'arguties et de mémoire exigent une réponse. C'est la raison pour
laquelle la rédaction proposée pour l'article 1er par la commission des lois me
paraît beaucoup plus claire.
De même qu'il faut « sanctuariser », et non pas l'inverse, monsieur le
ministre, le principe des recettes fiscales propres dont les collectivités
votent le taux, il faut également affirmer que la suppression d'une recette
fiscale - je pense à la vignette - donne lieu à l'attribution de recettes
fiscales d'un produit équivalent.
Je donnerai un second exemple, pour bien montrer quelle est la valeur de ce
texte et ne pas m'en tenir, comme l'a fait notre collègue Michel Charasse, avec
toute la sagacité dont il est capable, à une explication de texte.
Lorsque le Gouvernement a décidé la suppression de la part salariale de la
taxe professionnelle, il a, en se référant au passé, aux principes, à ce qui
pouvait exister, décidé qu'au terme de la suppression de cette part salariale -
d'ailleurs, en 2003, lorsque sera supprimée complètement la part salariale
après un certain nombre d'étapes qui n'arrivent pas à 100 %, on constatera un
trou de financement pour l'ensemble des collectivités territoriales de notre
pays, dû à une mauvaise rédaction du texte, et il n'y aura pas de concordance
entre les compensations accordées et la réalité ; mais je passe sur ce détail
peu signalé par les experts - le Gouvernement, disais-je, a décidé que, en 2003
et en 2004, la totalité des compensations serait intégrée dans la dotation
globale de fonctionnement. Cela répond d'ailleurs à une certaine logique
puisque, s'agissant d'un impôt perçu par les collectivités locales, on
l'intégrerait dans la dotation globale de fonctionnement dont le calcul est
fait par préciput sur l'ensemble des recettes fiscales de l'Etat et qui
s'impose par conséquent au Gouvernement. Mais lorsque la part régionale de la
taxe d'habitation ou la vignette automobile a été supprimée, il a été décidé
que ce calcul ne passait pas par la théorie du préciput et qu'il s'agissait
simplement d'une dotation budgétaire.
Je vois dans la différence de traitement entre la première réforme, celle de
la taxe professionnelle, et la seconde, celle de la vignette et de la part
régionale de la taxe d'habitation, un changement d'attitude qui montre bien la
nécessité de protéger un certain nombre de recettes fiscales.
Certes, allant au fond des choses, je dirai peut-être, comme mon ami M.
Fréville, qu'il est sans doute un peu fort de prévoir que chacune des
catégories de collectivités territoriales doit avoir au moins 50 % de recettes
fiscales et autres ressources propres. Je préférerai, quant à moi, qu'il
s'agisse du total de l'ensemble des fiscalités des quatre niveaux. En effet,
dans les dix ans à venir, l'échelon communal perdra des ressources alors que
l'échelon intercommunal en gagnera. Par conséquent, une globalisation me
paraîtrait préférable.
Mis à part ce problème qui me sépare de M. le rapporteur et qui sera
facilement corrigé à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, quand vous
inscrirez à l'ordre du jour prioritaire la discussion de cette proposition de
loi constitutionnelle
(Sourires),
je considère que le texte est clair,
nécessaire à la fois pour le Gouvernement, pour le Conseil constitutionnel et
pour tous les experts, professeurs et consultants qui estiment que la libre
administration des collectivités territoriales doit se borner à l'utilisation
de la dépense. Or nous ne sommes pas dans une société d'assistance.
M. Christian Bonnet.
Si !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Nous sommes dans une société démocratique dans laquelle ce sont les élus qui
décident à la fois des dépenses et des recettes.
(Applaudissements sur les
travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2