SEANCE DU 10 OCTOBRE 2000
M. le président.
Je suis saisi par M. Loridant, Mme Terrade et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen d'une motion, n° 606, tendant à opposer la question
préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
« Considérant l'émoi suscité par l'annonce simultanée par le groupe Michelin
d'une hausse de près de 20 % de son bénéfice semestriel suivi d'un bond de 12 %
du cours de l'action, et d'un plan de licenciement de 7 500 salariés,
« Considérant que les citoyens ont vu dans cette trilogie le symbole d'une
logique libérale purement financière qu'ils jugent sévèrement,
« Considérant la nécessité de réglementer strictement les opérations de
restructuration ayant une incidence sur l'emploi surtout lorsqu'elles sont
réalisées par des entreprises dégageant de confortables bénéfices,
« Considérant l'exigence d'une moralisation de la circulation des capitaux, de
lutter contre la spéculation financière et ses conséquences néfastes sur
l'emploi et les équilibres économiques et sociaux de notre pays,
« Considérant que ce projet de loi ne répond pas à la question originelle
posée par l'affaire Michelin,
« Considérant que le présent projet de loi cantonne la puissance publique à un
rôle d'observateur du marché sans lui donner réellement les outils permettant
de maîtriser les conséquences d'une mondialisation financière que les citoyens
rejettent massivement,
« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur ce projet de
loi, adopté après déclaration d'urgence par l'Assemblée nationale, relatif aux
nouvelles régulations économiques (n° 321, 1999-2000). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement
du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion, l'auteur de
l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion
contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la
commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une
durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Loridant, auteur de la motion.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà
un an, en septembre 1999, les dirigeants du groupe Michelin annonçaient une
hausse de 20 % du bénéfice semestriel du groupe, le licenciement de plus de 7
500 salariés et, dans la foulée, l'action du producteur de pneumatique
enregistrait une hausse de 12 %. Incontestablement, « l'affaire Michelin »
avait marqué la rentrée politique et sociale.
Le lendemain, dans une intervention télévisée, le Premier minisre laissait
entendre l'impuissance des pouvoirs publics devant les règles du marché. Or
l'opinion avait vu dans cette trilogie le symbole d'une logique financière qui
tend peu à peu à s'imposer sur l'ensemble de la planète. Cette froide logique a
choqué et choque encore les citoyens.
Quelques jours plus tard encore, le Premier ministre, devant les
parlementaires socialistes, par un revirement, avait promis de réagir par le
dépôt d'un projet de loi.
L'actualité économique et sociale est désormais rythmée par la succession des
plans de fusion, d'acquisition ou de « restructuration » des grands groupes.
Pour justifier la course effrénée au gigantisme, qu'il s'agisse notamment du
feuilleton bancaire de l'été 1999 ou de la guerre à laquelle se sont livrés Elf
et Total-Fina dans l'industrie pétrolière pour savoir lequel mangera l'autre,
les PDG invoquent en choeur la nécessité de « créer la valeur ».
Certes, ce n'est pas la valeur « travail » chère au coeur des tenants de
l'analyse économique marxiste. Cette expression signifie dans la réalité la
confiscation par les seuls actionnaires de la valeur ajoutée créée par d'autres
: dans les entreprises elles-mêmes par les différentes catégories de salariés
et hors de l'entreprise par l'ensemble de l'environnement socio-économique et
par les services publics, notamment le système éducatif ou la politique de la
recherche par exemple.
L'élimination systématique de la main-d'oeuvre est le corollaire de ces
nouveaux jeux de Monopoly à l'échelle planétaire.
Les grandes entreprises, notamment les grandes entreprises industrielles,
n'ont pas simplement cessé de créer des emplois, elles les détruisent
massivement en vue de satisfaire l'appétit des actionnaires.
Vu leur manière de créer « de la valeur » chez Michelin, chez Volber ou chez
Alsthom à Belfort, les salariés sont en droit de considérer que cette stratégie
est une véritable déclaration de guerre.
La méthode de ces nouveaux dirigeants est simple et efficace et
malheureusement facile à mettre en oeuvre au vu du recul en matière de
réglementation économique et sociale dans notre pays et en Europe.
Alors que ces grandes entreprises dégagent souvent des bénéfices confortables,
les dirigeants, sous la pression des actionnaires en attente de dividendes en
constante augmentation, décident de lancer une opération de restructuration ou
de fusion. Pour rendre la mariée attirante, on propose aux actionnaires ou aux
futurs actionnaires des charrettes de licenciements. Immédiatement le cours de
l'action monte et les dirigeants se voient attribuer de confortables
augmentations de salaires sous forme de stock-options.
Ainsi, aux Etats-Unis, les dirigeants des neuf plus grosses entreprises, qui,
entre 1990 et 1996, avaient licencié 305 000 salariés, percevaient chacun un
salaire annuel d'environ 2 millions de dollars. Tout cela, vous pouvez le lire
dans la presse financière.
Avec les stock-options et autres avantages, le revenu annuel de chacun d'eux
dépassait, après ces vagues de licenciement, cinq millions de dollars.
En France, M. Philippe Jaffré, P-DG d'Elf, réunissant ses actionnaires
étrangers en petit comité, déclarait : « Depuis que je suis en poste, j'ai
réduit de 15 % le nombre de salariés français du groupe [...] et je continuerai
».
Quelques semaines après le raid victorieux de TotalFina sur le groupe Elf, la
France médusée découvrait que M. Jaffré avait négocié quelque 40 millions de
francs d'indemnités de départ, auxquels il fallait ajouter les 200 000
stock-options accumulés, soit un pactole d'environ 200 millions de francs.
La
corporate governance
ou, en français, le gouvernement d'entreprise,
semble désormais constituer la nouvelle forme que prend l'accumulation,
disons-le, capitaliste.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Mais oui !
M. Paul Loridant.
A la différence du système capitaliste classique que nous avons tous étudié
dans nos livres et dans lequel les inégalités résultaient du système de
production et d'échange, les nouveaux mécanismes d'accumulation tirent leur
dynamique même de ces inégalités.
La reprise économique américaine tire l'essentiel de sa vigueur du
développement du marché des actions et du gonflement de la bulle spéculative,
en particulier autour des valeurs de la prétendue nouvelle économie.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Cela, c'était vrai il y un an, il y a six mois !
M. Paul Loridant.
Les ménages solvables investissent leurs économies ou empruntent afin de
bénéficier de la corne d'abondance, renforçant ainsi encore le phénomène de
financiarisation de l'économie. Quant aux salariés à faible pouvoir d'achat,
les exclus du festin, ils constitueront les futures victimes de ce système qui
exige toujours plus de sacrifices, et donc toujours plus de sacrifiés pour
continuer à « dégager de la valeur ».
Le philosophe Zygmunt Bauman, dans son ouvrage
Le Coût humain de la
mondialisation
, décrit avec beaucoup de talent cette nouvelle dynamique du
capital financier. Dans un monde de plus en plus déréglementé, le capital
financier tend à se déplacer de plus en plus rapidement, aidé en cela par les
nouvelles technologies de l'information, à la recherche du rendement
maximum.
A travers des instruments tels les fonds de pension, les actionnaires
exercent, selon le mécanisme que j'ai décrit auparavant, une pression constante
sur les critères de gestion des entreprises et sur leurs effectifs.
En cas d'échec des dirigeants, la sanction est immédiate et se traduit par le
départ de ces capitaux, comme ce fut le cas avec l'entreprise Alacatel, qui
avait affiché des bénéfices, certes importants, mais en deçà des prévisions et
des engagements pris avec les représentants de ces fonds de pension.
Les salariés, les citoyens ne disposant pas des mêmes facilités de mouvement
que le capital financier sont, eux, cantonnés dans le local et condamnés à
subir les conséquences des fermetures d'entreprises.
A la suite de l'émotion suscitée par l'affaire Michelin, qui avait mis au
grand jour cette nouvelle dynamique de l'accumulation capitaliste, le
Gouvernement, par la voix du Premier ministre, avait pris l'engagement de
répondre par des actes forts à ces pratiques cyniques des dirigeants
économiques.
Le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques est-il à la
hauteur de l'enjeu ?
Donne-t-il des armes suffisantes à la puissance publique pour résister à la
logique implacable de la mondialisation financière qui menace notre cohésion
sociale et les fondements de l'exception française, marquée par un souci
permanent de réaliser un équilibre entre la compétitivité économique et
l'impératif de justice sociale au travers d'un Etat acteur de la vie économique
et sociale ?
Avant de répondre sur le fond à ces questions, j'aimerais, si vous le
permettez, m'arrêter quelques instants sur le titre même de ce projet de
loi.
Qu'entend-t-on par « régulation » ?
Selon le dictionnaire, il s'agit d'assurer le fonctionnement d'un système
complexe. La notion est pour le moins ambiguë !
Il peut s'agir, au travers d'une législation rigoureuse et pénalisante, de
mettre un terme à la domination du capital financier sur la sphère de
l'économie réelle. En effet il est, selon nous, légitime de mettre les
entreprises, notamment les fonds de pension, face à leurs responsabilités et de
les contraindre ou plus simplement de les amener à réparer les préjudices
qu'ils ont pu éventuellement causer. Comment, en effet, exiger des Français
qu'ils respectent les devoirs inhérents à leur citoyenneté et, dans le même
temps, dédouaner les entreprises de toute responsabilité quand, par leurs
décisions, elles mettent à mal l'économie et l'équilibre social de régions
entières ?
Si tel était le sens de la démarche du Gouvernement pourquoi alors ne pas
avoir préféré le terme de réglementation ? Le choix des termes est rarement
neutre.
Pour les membres du groupe communiste républicain et citoyen, on ne saurait
répondre à la question posée par l'affaire Michelin par une gestion au
quotidien des dégâts causés par le capitalisme financier, comme le projet de
loi nous y invite.
La régulation ne saurait servir d'alibi, de bonne conscience, à ceux qui, par
résignation ou par goût de la « modernité », ce qui revient finalement au même,
ont abdiqué face au pouvoir de l'argent et refusent de mettre en cause la
logique même de cette nouvelle forme d'accumulation.
Ainsi, nous aurions aimé que ce texte fourre-tout apporte aux salariés des
outils leur permettant de renforcer leurs capacités d'intervention dans la
définition des critères de gestion de leur entreprise.
La question de la régulation dans l'entreprise n'est abordée que sous l'angle
des modalités de réunion des assemblées générales des actionnaires et du
fonctionnement des organes dirigeants alors que, au vu de la réalité que j'ai
décrite au début de mon intervention, se pose la question des droits des
salariés, et ce indépendamment de la question, importante ou non, de la
détention d'actions par ces salariés ou même par le comité d'entreprise.
Le texte qui nous est soumis manque à nos yeux cruellement d'ambition, de
volontarisme et de lisibilité politiques. La puissance publique ne se donne pas
réellement les moyens de mettre fin à l'arrogance des marchés financiers.
Le projet de loi cantonne l'Etat à un rôle d'observateur du marché ou au mieux
d'ambulance du capitalisme financier.
Il renvoie à l'examen d'autres textes, relatifs à l'épargne salariale ou à la
loi de modernisation sociale, la résolution d'un certain nombre de questions
posées à l'origine.
Dans la conception française de la République, l'Etat ne se cantonne pas à une
fonction d'arbitre ou d'autorité indépendante chargée d'assurer un bon
fonctionnement du système économique. Il a pour charge de favoriser l'intérêt
général au travers notamment d'une politique de redistribution, d'un
volontarisme économique et de services publics performants.
Dans cette conception, l'espace économique et l'entreprise ne sont pas des
sanctuaires dans lesquels la puissance publique n'aurait pas droit de cité.
Aussi, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, parlant au
nom du parti communiste et du Mouvement des citoyens, considérant que le texte
ne répond pas à la question originelle posée notamment par l'affaire Michelin,
estiment qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la discussion de ce texte.
J'ajoute que la procédure d'urgence déclarée sur ce projet de loi nous paraît
choquante et inappropriée.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Très bien !
M. Paul Loridant.
Vous allez donc voter la motion, monsieur le rapporteur !
M. Paul Blanc.
Chiche !
M. Paul Loridant.
Nous entendons, par le dépôt et, je l'espère, par l'adoption de cette question
préalable, conduire le Gouvernement à remettre l'ouvrage sur le métier et à
répondre à l'attente des salariés, des citoyens de ce pays et des divers partis
de sa majorité.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées du RPR.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, la présentation qui vient d'être faite me laisse assez perplexe.
Tout l'après-midi, nous avons, les uns et les autres, évoqué cette notion de
régulation. Chacun est arrivé avec sa définition, et nous voyons bien que le
concept sur lequel repose le texte est un peu comme une auberge espagnole,
c'est-à-dire que chacun va concevoir le concept en fonction de ce qu'il
souhaite trouver dans l'édifice, ou dans ce texte en l'occurrence.
Ainsi, nous avons entendu, émanant de notre collègue Paul Loridant, un exposé
reposant sur des prémisses d'analyses économiques marxistes.
(Exclamations
sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les
travées socialistes. - Rires sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. Paul Loridant.
Pourquoi pas ?
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ce n'est pas une insulte !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il n'y a aucun jugement de valeur négatif dans mes propos. Je
respecte cette analyse, même si ses résultats concrets dans la gestion des
économies ont abouti à ce que nous savons tous. Sur le plan intellectuel, ces
raisonnements méritent en effet le respect, bien évidemment si on ne les
considère que comme des thèses universitaires.
(Manifestations d'approbation
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
Hélas, ils eurent des applications dramatiques dans certains
pays, ce dont, heureusement, notre pays a été prémuni, même s'il s'en est fallu
de peu à certains moments !
Bref, cette analyse nous a été présentée avec rigueur et avec une grande
honnêteté intellectuelle.
M. Gérard Larcher.
C'est toujours le cas !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Parallèlement, nous avons entendu tout à l'heure M. Laurent
Fabius, ministre de l'économie et des finances, se référer au fonctionnement de
l'économie de marché, nous parler d'ouverture des frontières, de liberté des
mouvements de capitaux, de compétitivité des entreprises. Il nous a expliqué
par exemple que la régulation financière, la réforme des institutions
boursières - qu'on la réalise tout de suite ou un peu plus tard - étaient
indispensables, dans le cadre européen, dans le cadre de l'économie mondiale,
dans le cadre des marchés tels qu'ils fonctionnent actuellement.
Aussi, quand j'entends, d'une part, M. Laurent Fabius, dont je respecte tout à
fait la manière de présenter les choses - sur certains des propos qu'il a
tenus, je n'ai d'ailleurs aucune opposition fondamentale à émettre - et quand
j'entends, d'autre part, M. Paul Loridant, je me pose des questions. Je me
demande comment ils peuvent être ensemble.
(Rires et exclamations sur
diverses travées.)
M. Paul Loridant.
Nous sommes de bonne compagnie !
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est pourquoi la présentation de cette motion est un fait
intéressant.
C'est d'ailleurs, monsieur le président de la commission des finances, un fait
qui mérite réflexion.
(Sourires sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
En effet, la commission s'est réunie pour examiner un grand nombre
d'amendements - la semaine dernière, nous en avons adopté 175 ; nous allons
sans doute, demain, en examiner encore beaucoup d'autres -...
M. Paul Blanc.
Sauf si nous votons pour la motion !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
... elle n'a jamais examiné la motion déposée par M. Paul
Loridant. Je ne suis donc pas en mesure, monsieur le président, de donner en
cet instant l'avis de la commission.
(Exclamations sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Je crois donc important, monsieur le président de la commission des finances,
que vous puissiez nous faire part de votre sentiment sur ce sujet, de telle
sorte que le Sénat soit mieux éclairé.
(Applaudissements sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Merci, monsieur le rapporteur, de n'avoir pas répondu à l'interrogation que
vous formuliez vous-même et d'avoir donné la possibilité à M. le président de
la commission des finances de s'exprimer.
(Sourires.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Monsieur le président, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je salue l'honnêteté intellectuelle de
M. le rapporteur.
Il a en effet raison de dire que nous sommes face à un problème politique
important. Il n'y a, dit-on, pire péril pour les peuples que de ne pas être
gouvernés. En vérité, il en est peut-être un pire, c'est d'être mal gouverné.
Or, sous la Ve République, pour gouverner, le Gouvernement doit être soutenu
par une majorité.
M. Paul Loridant, dont je ne partage pas toutes les idées, s'est exprimé tout
à l'heure d'une manière très claire, et il l'a fait au nom du groupe communiste
républicain et citoyen, dans ses deux composantes, le parti communiste... ai-je
bien entendu, monsieur Loridant ?...
M. Paul Loridant.
Absolument !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
... et le Mouvement des
Citoyens... ai-je bien entendu, monsieur Loridant ?...
M. Paul Loridant.
Absolument !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
J'avais cru comprendre, madame
la secrétaire d'Etat, que leur soutien était indispensable pour que ce
gouvernement gouverne, ce gouvernement qui a employé envers la majorité du
Sénat des mots qui pourraient parfois la blesser si elle n'avait vu si souvent
des gouvernements passer très vite.
Ce soir, madame la secrétaire d'Etat, la majorité sénatoriale permettra
peut-être à votre gouvernement de présenter au Sénat un texte dont vous nous
avez expliqué combien il était nécessaire.
Après M. le rapporteur, je pose la question : est-il sérieux de travailler
dans les conditions dans lesquelles nous le faisons, mes chers collègues,
c'est-à-dire avec un gouvernement qui n'est plus soutenu par une partie de sa
majorité ? Comment cela pourrait-il nous apparaître comme anecdotique ? Ou
alors, votre gouvernement, madame la secrétaire d'Etat, est en train de vivre
d'anecdotes !
Je le dis avec gravité, car je ne m'en réjouis pas. Je ne soutiens pas du tout
ce gouvernement mais je le respecte parce que c'est celui des Français.
L'interrogation qui est aujourd'hui la mienne est de savoir si les Français
ont encore un gouvernement soutenu par une majorité. Je ne le pense pas ! M.
Loridant ne nous a-t-il pas, à l'instant, de cette tribune, fait comprendre
qu'il n'existait plus de majorité pour soutenir le Gouvernement ?
Monsieur le rapporteur, vous m'avez posé une question. Vous y répondrez
vous-même tout à l'heure parce que c'est votre rôle de le faire, au nom de la
commission des finances. Cela étant, connaissant mes collègues de ladite
commission, je sais qu'ils ont le sens de l'intérêt supérieur de la nation, et
je ne pense pas qu'il soit, dès lors, utile de les réunir. Bien que ce
gouvernement n'ait plus de majorité ce soir
(Rires et exclamations sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen)
, il faut continuer à
légiférer pour le bien des Français.
Par conséquent, monsieur le rapporteur, je ne vous recommande pas de demander
une suspension de séance et, pour ma part, si vous le suggérez au Sénat,
j'approuverai le rejet de la proposition de M. Loridant.
(Applaudissements
sur les travées du RPR.)
M. Gérard Larcher.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Monsieur le président de la commission, pour répondre à votre
sollicitation et surtout pour que le bicamérisme joue tout son rôle,
c'est-à-dire pour que le Sénat apporte son empreinte à ce texte, qui en a bien
besoin, je crois qu'il faut rejeter la motion tendant à opposer la question
préalable.
M. Paul Loridant.
Hélas !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Si nous ne la rejetons pas, le texte actuel, qui, sur bien
des points, est loin d'être excellent - je crois que nous l'avons prouvé -,
sera probablement adopté une nouvelle fois par l'Assemblée nationale. Or, pour
notre pays, ce ne serait sans doute pas une bonne chose.
En conséquence, mes chers collègues, je crois que, au nom de nos
responsabilités de législateur, il nous faut rejeter la motion présentée par M.
Paul Loridant, tout en nous réjouissant qu'elle ait pu être défendue et donner
lieu à ce débat.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Tout a été dit. Reste la question posée par M. le rapporteur et à laquelle,
naturellement, Mme le secrétaire d'Etat va répondre : comment peuvent-ils être
encore ensemble ?
(Rires sur les travées du RPR et sur le banc des
commissions.)
M. Gérard Delfau.
Je crois que vous outrepassez quelque peu votre rôle, monsieur le président
!
M. le président.
Quel est donc l'avis du Gouvernement sur la motion n° 606 ?
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Un président qui prend part au débat, c'est certain,
ne peut que contribuer à l'animer...
M. le président.
Je me permettais simplement de rappeler les termes de la question qui a été
posée par le rapporteur.
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
En vérité monsieur le président, je l'avais totalement
oubliée.
Quoi qu'il en soit, je remercie M. le président de la commission des finances
et M. le rapporteur de nous soutenir dans la recherche d'une majorité.
(Sourires.)
Je pourrais, moi aussi, ironiser de la même manière sur la versatilité
d'autres majorités. Je pourrais revenir sur les déclarations de M. Charié et
sur celles de M. Larcher.
Pour ma part, je ne connais pas d'exemple, sous la Ve République, d'une
majorité qui n'ait jamais nourri en son sein la moindre différence.
Au demeurant, s'il n'y avait pas de différences entre nous, nous serions tous
dans le même parti politique. Le souci du Premier ministre a été précisément de
faire de cette majorité une majorité plurielle, avec des cultures, des façons
de voir différentes. C'est même souvent cette pluralité des cultures qui nous
est reprochée !
En tout cas, il y a assurément, dans la majorité plurielle, au-delà des
différences de culture, une base commune de valeurs.
Mais j'en viens maintenant aux remarques de M. Loridant, auquel je me dois de
répondre. Comme vous, monsieur Loridant, et comme beaucoup de membres de cette
assemblée, nous avons été choqués par un certain nombre de faits tels que ceux
qui se sont produits chez Michelin. Vous avez rappelé les montants que peuvent
parfois atteindre des indemnités de licenciement ou des stocks-options
distribuées dans notre pays. En fait, beaucoup de nos concitoyens ont été
choqués par tout cela.
Vous jugez que la réponse que nos proposons d'apporter n'est pas
satisfaisante, et vous avez évidemment le droit le plus absolu d'exprimer cette
différence d'appréciation. Il est important pour la démocratie, pour la qualité
des débats, pour la progression des idées, d'écouter la différence de l'autre.
Si l'on ne sait pas entendre ce qui est différent chez l'autre, on court le
risque du monolithisme, et, à la limite, on est un très mauvais démocrate.
Il est indéniable que se déroulent dans l'ensemble du monde, y compris en
Europe, des phénomènes particulièrement choquants. Vous en avez, ainsi que
certains de vos collègues du groupe socialiste, évoqué fort justement certains.
Il est bon, en effet, de rappeler, par exemple, que certaines entreprises à
capitaux majoritairement français, ici ou là, ne respectent pas les droits
sociaux.
Mais, précisément, nous pensons que, face à de tels phénomènes, ce texte
permet de faire un pas. Sans doute est-il modeste, eu égard à l'ampleur du
scandale que constituent certaines situations, mais c'est tout de même un
pas.
Ainsi, nous abordons la question des stocks-options d'une manière très
différente de celle qui prévalait dans le passé.
Par ailleurs, nous établissons une distinction nette entre réglementation et
régulation.
Comme beaucoup d'acteurs politiques de ce pays, je suis intimement convaincue
que, malheureusement, le pouvoir politique est obligé d'intervenir dans les
relations économiques plus qu'il ne le devrait, et cela faute d'une solidarité
suffisante entre les acteurs économiques.
En trois ans, j'ai appris beaucoup et j'ai constaté bien plus de choses
négatives que de choses positives quant à la solidarité entre les acteurs
économiques. J'ai d'ailleurs souvent expliqué à des patrons de toutes petites
entreprises, commerçants ou artisants, sous-traitants ou cotraitants, que,
derrière l'unanimité qu'ils manifestaient parfois sur certains sujets, il y
avait toutes les bagarres entre les uns et les autres, les difficultés de
survie des petites entreprises, les difficultés des responsables de filiales,
etc. Il y aurait beaucoup à dire sur la solidarité économique !
Pour que cette solidarité économique advienne, il est nécessaire de faire un
peu de régulation. Ce que nous cherchons à faire, c'est imprimer une volonté de
dialogue entre les acteurs, et, à nos yeux, c'est un pas important.
J'ai parlé tout à l'heure des valeurs. Je voudrais évoquer aussi la notion
économique de valeur. M. le rapporteur a considéré que votre analyse, monsieur
Loridant, s'appuyait sur des fondements marxistes. Mais, justement, depuis
Marx, personne n'a échafaudé de nouvelle théorie économique de la valeur, et de
nombreux économistes, de tous bords, le reconnaissent aujourd'hui. Or c'est
peut-être ce qui nous manque le plus.
Ce qui est certain, en tout cas, c'est que, aujourd'hui, dans ce pays, la
répartition de la valeur ne se fait pas de façon solidaire ou de façon juste.
Eh bien, dans ce texte, à travers ce qui concerne la distribution, la «
gouvernance » des entreprises ou le droit des sociétés, par exemple, nous
visons à une répartition plus juste de la valeur. Les progrès que nous vous
proposons d'accomplir s'agissant des relations entre les acteurs économiques,
des relations internes à l'entreprise, des relations entre les détenteurs du
capital et les salariés, des relations entre ceux qui ont à gérer les marchés,
constituent selon nous un pas vers une répartition plus juste de la valeur.
Nous pensons que, pour parvenir à cette plus juste répartition, la régulation
devrait ouvrir plus de voies que la réglementation. Nous espérons que la
médiation jouera beaucoup plus que la réglementation.
Je souhaite donc, monsieur Loridant, que vous preniez toute votre place dans
ce débat : je le souhaite ardemment, au nom de notre fonds commun de valeurs,
qui n'est pas un fonds commun de placement...
(Sourires et applaudissements
sur les travées socialistes. - M. Loridant applaudit également.)
M. le président.
Je rappelle qu'en application de l'article 44 du règlement la parole peut être
accordée pour explication de vote pour une durée n'excédant pas cinq minutes à
un représentant de chaque groupe.
M. Marc Massion.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Massion, pour explication de vote.
M. Marc Massion.
Je voudrais d'abord dire que j'ai été désagréablement surpris tout à l'heure
par le « numéro » - je ne trouve pas d'autre mot ! - auquel se sont livrés M.
le président de la commission des finances et M. le rapporteur.
(Vives
protestations sur le banc des commissions.)
M. Paul Blanc.
Et le numéro de M. Loridant ?
M. Marc Massion.
Il me semble que cette sorte de polémique politicienne n'est pas conforme à
l'image que vous-mêmes, monsieur le président de la commission, monsieur le
rapporteur, vous vous attachez à donner de notre Haute Assemblée.
Mais je reviens à la question préalable qui a été soulevée par notre collègue
Paul Loridant.
Nous aussi, nous avons été très choqués par l'annonce simultanée par le groupe
Michelin de l'augmentation de son bénéfice, de la hausse de sa cotation
boursière et d'un plan de licenciements ! Bien sûr, nous aussi, nous voyons
dans ce triptyque le symbole d'une logique libérale purement financière que
nous condamnons ! Mais c'est justement pour cette raison, parmi d'autres, que
nous souhaitons un véritable Etat social, qui oriente, arbitre, garantit,
protège, bref, qui régule.
Mon intervention dans le cadre de la discussion générale en témoigne, nous ne
voulons absolument pas cantonner la puissance publique à un rôle d'observateur
passif d'un marché, lui, bien actif ! La régulation n'est pas, pour nous, la
consécration du dessaisissement de l'Etat. Pour nous, elle doit se traduire par
la gestion évolutive d'un corpus de règles du jeu, permettant de limiter les
occurrences dans lesquelles l'économie de marché sape elle-même les principes
sur lesquels elle est censée être fondée !
La régulation est un processus permanent. Et le projet de loi qui nous est
présenté rassemble, à un moment donné, les avancées de ce processus.
Nous vivons ici, en France et en Europe, dans une économie de marché, et non
dans une économie administrée. Pour cette raison, nous nous refusons de choisir
entre le tout et le rien, à savoir entre le tout réglementaire et le rien
libéral. Nous nous donnons pour mission d'agir, et ce projet est un moyen
d'agir.
C'est pourquoi le groupe socialiste ne votera pas la question préalable.
(Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Monsieur le président, lorsqu'il
s'agit de l'honneur d'une commission et de la manière dont s'exercent certaines
fonctions, vous me pardonnerez de faire perdre au Sénat une minute
supplémentaire pour dire chaleureusement et sincèrement à Marc Massion que la
majorité sénatoriale a mieux à faire que d'arbitrer les différends de la
majorité plurielle.
M. Gérard Larcher.
Absolument !
Mme Odette Terrade.
Mais c'est vous qui le faites !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Mais nous ne voulons pas priver
les Français du bénéfice d'une loi qui soit la moins imparfaite possible, tant
celle que l'Assemblée nationale a élaborée est mauvaise.
Par conséquent, monsieur Massion, arrangez-vous avec les communistes, avec le
Mouvement des citoyens, et peut-être avec les Verts pour avoir une majorité
cohérente et aller au terme de votre législature : c'est tout ce que nous vous
demandons, pour les Français. Pour le reste, ceux-ci seront juges.
Mais franchement, ce soir, ce n'est pas nous qui avons provoqué cette
cacophonie, c'est vous ! Et il était naturel que nous vous le fassions
remarquer.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Joël Bourdin.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin.
Les Républicains et Indépendants forment un groupe positif et réaliste. Ils
considèrent donc le débat sur le texte qui nous est soumis comme important.
Ce texte nous parvient mal ficelé, il part un peu dans tous les sens ; mais
nous allons vous aider, madame la secrétaire d'Etat, à le rectifier et à le
rendre cohérent dans différents domaines. Nous aurons beaucoup d'amendements à
proposer, et un lourd travail attend demain matin la commission des
finances.
Nous sommes surpris que, alors que ce texte fourre-tout permet sans conteste
le dépôt de nombreux amendements, nos collègues du groupe communiste
républicain et citoyen n'aient pas choisi cette voie pour le modifier et lui
donner des orientations tout à fait nouvelles : n'est-ce pas précisément notre
rôle ?
M. Pierre Hérisson,
rapporteur pour avis.
Ils l'ont fait ! L'un n'empêche pas l'autre !
M. Joël Bourdin.
Je remercie à la fois M. le rapporteur et M. le président de la commission des
finances, qui, d'une manière très claire et très simple, ont exprimé le point
de vue de la majorité sénatoriale en s'étonnant de cette situation. Nous les
suivons pleinement dans les orientations qu'ils ont indiquées et nous ne
voterons pas la motion tendant à opposer la question préalable.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR).
M. Gérard Larcher.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
groupe du Rassemblement pour la République a souhaité que nous entrions dans le
débat et que, grâce aux amendements qui seront proposés tant par les
commissions que par nos collègues, nous tentions d'améliorer ce texte. Car nous
croyons au bicamérisme et à l'enrichissement que permet le travail de cette
assemblée.
De plus, relisant la motion défendue par M. Loridant, j'avoue ne pas pouvoir
m'associer à certaine terminologie, même s'il m'a fait remarquer tout à l'heure
que j'étais à bâbord... pour ne pas dire à gauche. Mais, vous le savez, gauche
ou droite, dans notre hémicycle, c'est un problème de géographie : tout dépend
de la place du président. Alors, suis-je dans la Montagne ou dans le Marais
?...
(Sourires.)
En tout cas, ce qui compte dans ce débat, c'est que nous fassions évoluer le
texte de l'Assemblée nationale, qui a préféré la voie de la réglementation à
celle de la régulation,...
M. Pierre Hérisson,
rapporteur pour avis.
Absolument !
M. Gérard Larcher.
... que nous lui donnions les moyens de progresser et de changer ; c'est le
travail que nous allons faire ensemble.
Le groupe du Rassemblement pour la République, comme M. Joël Bourdin l'a dit
pour les Républicains et Indépendants, ne peut que souscrire à l'analyse que M.
le rapporteur et M. le président de la commission des finances ont développée
devant nous. Le problème politique est réel.
Qu'un gouvernement, confronté au problème majeur de la mondialisation de
l'économie, soit amené à constater que ce projet de loi donne lieu à une
fracture ne peut que me conduire à m'inquiéter pour mon pays, car nous devrons
faire face, demain, aux évolutions inhérentes à la construction européenne et à
la réalité de l'économie mondiale. C'est la raison pour laquelle nous devrons
bien travailler ensemble dans les jours qui viennent.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 606, repoussée par la commission et par le
Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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