SEANCE DU 10 OCTOBRE 2000


NOUVELLES RÉGULATIONS ÉCONOMIQUES

Discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 321, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif aux nouvelles régulations économiques. [Rapport n° 5 (2000-2001), et avis n°s 4 (2000-2001), 10 (2000-2001) et 343 (1999-2000)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques mots d'abord sur la philosophie générale de ce texte, qui renvoie à une certaine conception de l'Etat.
Ce gouvernement, vous le savez, n'est pas le défenseur du tout bureaucratique. C'est l'esprit de réforme, de justice, si cela est possible, et de modernisation qui doit nous mener. En faisant évoluer l'Etat, l'organisation des services financiers ou encore le vote du budget, le Gouvernement veut s'efforcer de rendre notre économie, notre administration et notre société plus efficaces et plus justes, plus transparentes et plus solidaires, donc mieux accordées aux nécessités du monde actuel.
Pas davantage nous n'adhérons à une doctrine systématique selon laquelle moins l'Etat interviendrait dans la vie économique et sociale, mieux l'économie et la société se porteraient. Le pari de cette thèse est bien connu : puisque les marchés, par définition, seraient toujours plus intelligents que les gouvernants, il faudrait exclusivement s'en remettre aux premiers plutôt qu'aux seconds. Or, il est loin d'être évident, nous le savons tous, que le seul jeu des forces du marché débouche toujours sur l'optimum économique, et encore moins sur l'optimum social. Si, comme le dit une vieille chanson, il n'est pas de sauveur suprême, il est, pour parvenir à concilier le bien-être social et l'expansion économique, des arbitres plus ou moins efficaces. On l'a bien vu cet été à propos du prix des carburants, ou lors de grandes intempéries, ou bien encore à chaque crise agricole.
Même s'ils le critiquent volontiers, c'est en efffet vers l'Etat que nos concitoyens se tournent quand des mécanismes économiques trop brutaux pour être viables ou totalement non économiques conduisent à des déséquilibres insupportables. Le marché repose sur des équilibres que la concurrence et la transparence s'efforcent d'assurer, mais qu'ils ne peuvent pas entièrement garantir. Le Parlement et le Gouvernement s'appuient, en démocratie, sur la légitimité d'un suffrage qui leur donne une force certaine et la possibilité d'envisager le temps long, celui des stratégies et des projets, celui de l'horizon non marchand aussi. Si je devais résumer ce point, je dirais : ni impuissance de l'Etat donc, ni omniprésence !
Avec la mondialisation, le besoin d'Etat se maintient, mais les formes de son action doivent incontestablement évoluer. Elles quittent souvent le domaine étroit de la réglementation, trop lente, parfois trop lourde, pour la sphère, plus large et plus libre, de la régulation.
Ce n'est pas une évolution facile. Capétiens, révolutionnaires, impériaux et républicains, l'histoire de notre pays est en effet aussi celle de l'Etat.
Autant que le cadre de notre souveraineté, il constitue notre culture. Aussi faut-il éviter, me semble-t-il, les slogans et les solutions toutes faites, comme si le débat pouvait se réduire au face-à-face entre les tenants du « trop » de gouvernement, et les partisans du « trop peu » de gouvernement, entre les prosélytes du « laisser faire » et les zélateurs du « tout diriger ». C'est une vision caricaturale.
Notre défi est différent.
Il consiste à quitter une habitude, celle de l'Etat « omniprescripteur », pour adopter une pratique, celle de l'Etat-partenaire, arbitre et garant du contrat social, aiguilleur du développement économique, centré sur ses missions régaliennes, soutenant et développant l'initiative, quand il le faut, agissant en réseau, laissant certaines décisions se prendre par des autorités de même niveau plutôt qu'en les obligeant systématiquement à remonter, faisant de la décentralisation, de la proximité et de l'efficacité les règles essentielles de son fonctionnement.
Il consiste à maîtriser la dépense publique, corrélat indispensable de la réforme - allégement de la fiscalité - et à rendre plus transparente la gestion : d'où importance, par exemple, de la réforme - je sais que beaucoup d'entre vous y sont sensibles - de l'ordonnance du 2 janvier 1959 sur les finances publiques, dont je vous confirme que le Gouvernement souhaite que vous puissiez discuter au semestre prochain.
Réguler l'économie entre pleinement dans ce cadre, puisque c'est à la fois assurer son bon régime, éviter les captations qui la pénalisent, rétablir, lorsqu'il le faut, l'équilibre entre ses acteurs. Il y va de l'intérêt de tous, des salariés comme des chefs d'entreprise, des consommateurs comme des entrepreneurs. A défaut, ce sont les plus faibles, les plus démunis, qui sont laissés sur le bord du chemin. Réguler, tel est bien un nouveau rôle que nos concitoyens assignent désormais à la puissance publique.
Démontrer qu'ils ont été entendus est l'ambition du projet de loi qu'au nom du Gouvernement, avec Mme Marylise Lebranchu, je défendrai devant vous. La régulation repose sur une méthode qui, souplement, passe par trois étapes : d'abord, fixer des objectifs ; puis définir de grands équilibres qu'il convient de respecter ; enfin, doter les régulateurs des pouvoirs leur permettant, en toute indépendance, de sanctionner un manquement éventuel à ces règles.
Fidèle à ces modalités, ce texte en détermine les conditions d'application dans trois domaines : le droit de la concurrence et de la consommation, le droit des sociétés, le droit financier.
Beaucoup d'entre nous ont noté la diversité des dispositions présentées. Parfois même ils l'ont jugée excessive. C'est que la régulation est une démarche, une méthode, dont les points d'application, par définition, relèvent de domaines différents. L'unité de ce texte c'est la régulation ; la diversité, son champ d'extension.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est au droit financier qu'est consacré le premier volet du projet. J'en résumerai les principaux traits à grandes guides.
Davantage de transparence dans les offres publiques d'achat ou de vente pour éviter l'opacité d'opérations interminables et souvent indéterminées qui finissent par obérer l'avenir des entreprises, quand elles ne les détruisent pas.
Davantage d'information donnée aux salariés, pour les motiver, les associer, les intégrer, quant à l'évolution du périmètre, du capital et de l'activité des sociétés dans lesquelles ils sont employés, ce qui sera un atout supplémentaire donné, dans l'intérêt de tous, aux fusions, aux acquisitions, aux prises de participation rendues plus fluides par l'information et, si possible, l'adhésion des premiers concernés.
Davantage de vigilance - j'y reviendrai - dans la lutte contre le blanchiment des capitaux.
Dans la mesure où nous examinerons ces dispositions dans le détail lors de la discussion des articles, je souhaite, à ce stade de notre débat, insister uniquement sur deux points.
Le premier me tient particulièrement à coeur. Pour que prévale ce que j'appellerai une mondialisation humanisée, les institutions financières internationales doivent acquérir véritablement une vocation universelle, n'être la propriété exclusive d'aucune puissance, consacrer tous leurs moyens à la lutte contre les déséquilibres, pour le développement durable et la réduction des charges supportées par les pays les plus pauvres. Cela exige que ces institutions soient confortées et modernisées.
Mais la réforme de l'architecture financière internationale n'a de sens que si elle s'accompagne d'une plus grand transparence des mouvements de capitaux. Il faut donc braquer la lumière sur ces véritables « trous noirs » que constituent les centres offshore, qui déstabilisent et décrédibilisent les mécanismes de régulation adoptés par les institutions internationales et qui fragilisent l'assiette fiscale des territoires ou « pays honnêtes ».
Au cours des derniers mois, le Gouvernement a eu l'occasion de marquer sa détermination à voir progresser cet important dossier. La publication de la liste des territoires non coopératifs par le GAFI, le groupe d'action financière internationale des capitaux, a marqué le premier aboutissement d'efforts à l'origine français. Lors du G7 Finances, qui s'est tenu à Prague le 25 septembre dernier, j'ai pu obtenir que l'on passe à l'étape suivante en envisageant des sanctions dissuasives. La France a également mis cette priorité à l'ordre du jour de sa présidence de l'Union européenne. Au cours du dernier Ecofin, le 29 septembre dernier, a été obtenu l'accord politique sur une directive appelée « lutte contre le blanchiment », qui précise la liste des professions soumises à déclaration de soupçons.
Enfin, vient d'être publié - je m'en enquérais auprès du président de la commission des finances et du rapporteur général, auxquels j'ai adressé ce document - le rapport établi à notre demande sur les relations financières entre la France et Monaco, ainsi que sur leurs aspects judiciaires. Il dresse un état des lieux objectif, met en évidence un certain nombre d'insuffisances et formule des propositions pour remédier aux problèmes. Le projet qui vous est présenté aujourd'hui est une invitation à compléter l'ensemble de ce dispositif.
Second point sur lequel je souhaite m'arrêter quelques instants : les autorités de surveillance du marché financier.
En dehors de dispositions ponctuelles, la réforme d'ensemble des autorités de régulation du marché financier ne figure pas dans le texte que vous allez examiner. Le reproche nous avait été fait, à l'Assemblée nationale, de traiter de la régulation sans évoquer les autorités chargées d'en assurer le bon fonctionnement. J'ai tenu compte de ce reproche. Ce manque avait une explication : tout simplement, le temps indispensable à la concertation. Celle-ci a, depuis, été largement menée avec l'ensemble des acteurs de la place, et l'on peut considérer qu'elle vient juste d'aboutir.
Quelles sont les données ? Les bourses étaient autrefois des institutions immuables. Elles sont devenues des entreprises de services et des fournisseurs de prestations, notamment informatiques. Modes de compensations, rapprochements industriels et systèmes de règlement se diversifient ou s'amplifient. Si l'on veut accompagner ce mouvement, il faut une stratégie, il faut des institutions qui sachent unir leurs compétences et leur talent.
Les métiers et la technique des banques et des assurances se rapprochent ; leurs autorités prudentielles doivent le faire aussi. Les bourses européennes s'allient ; il faut que les régulateurs des marchés financiers soient plus réactifs, plus coopératifs avec leurs homologues.
Les clients des banques et des assurances demandent davantage d'écoute et de concertation, comme la commission Belorgey sur l'assurabilité l'a établi ; il convient donc que nos structures de contrôle replacent le consommateur, son service et sa sécurité au centre de leurs préoccupations.
Sécuriser : précisément, c'est sur ce terrain, celui de la sûreté et de la solidité, que la COB a été, vous le savez, à plusieurs reprises, évoquée ces derniers mois. Dès cet été, à titre quasi conservatoire, le Gouvernement a pris un décret pour réformer la procédure et les modes de sanction de la COB. Il était cependant indispensable d'aller au-delà et de modifier, dans leurs structures mêmes, les mécanismes disciplinaires de cette instance. Le législateur, évidemment, doit être consulté pour cela.
Devant quels problèmes nous trouvions-nous ? Actuellement, en matière de délits financiers, les mêmes faits incriminés peuvent faire l'objet de deux procédures parallèles, l'une menée par la Commission des opérations de bourse, l'autre par le juge judiciaire.
Les conclusions de ces procédures ne sont pas toujours identiques. Du tribunal ou de l'autorité administrative indépendante, c'est cette dernière qui a pu s'en trouver affaiblie. Pour remédier à cette confusion, mieux vaut séparer ce qui relève du pénal de ce qui relève du disciplinaire.
De même, la coexistence de deux instances des marchés financiers a fait progressivement émerger deux droits boursiers parallèles. D'où conflit de compétences, jurisprudences contradictoires, perplexité des acteurs - on les comprend - sourire entendu de nos voisins étrangers, assez heureux de nous voir occupés, pour ne pas dire emmêlés, dans ces querelles de Gaulois. La fusion entre conseil des marchés financiers et COB - puisqu'il s'agit d'une fusion - devrait nous préserver de ce danger.
Enfin, quelques déboires récents dans le secteur des assurances, en particulier dans l'assurance vie, nous ont fait envisager collectivement de renforcer nos procédures d'agrément et de rendre toujours plus efficace la commission de contrôle de ce secteur. Je souhaite donc que, le moment venu, soit créé un comité des entreprises d'assurances, sur le modèle du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, le CECEI.
On aurait pu souhaiter - c'était mon idée initiale - que cette réforme des autorités de contrôle financier, que je viens de résumer, soit introduite ici et maintenant. C'était une hypothèse séduisante, mais l'introduction de cette réforme, dans toutes ses composantes, à ce stade de la discussion, nous aurait, d'après ce que m'ont indiqué les juristes, conduits à excéder les limites inhérentes au droit d'amendement. Nous aurions encouru une critique de la part du juge constitutionnel. C'est pourquoi le Gouvernement a préféré, avec un certain regret, placer ces dispositions importantes dans un projet de loi autonome qui sera soumis en conseil des ministres dans les prochaines semaines, ce qui devrait permettre, je l'espère, de le voter définitivement au premier semestre 2001. J'ai tenu néanmoins à vous présenter l'économie de ces dispositions car vous n'auriez pas compris que je ne le fasse pas.
Le deuxième champ de la régulation porte sur la concurrence et le droit des concentrations.
Le projet de loi qui vous est soumis prévoit une réforme en profondeur des textes, qui doivent évoluer rapidement compte tenu d'un contexte qui a changé. Les règles qui président à la notion de concurrence ont souvent mauvaise réputation. On espérerait celle-ci pure et parfaite. Elle l'est rarement. Des formules un peu rapides conduisent souvent à l'opposer à l'intérêt général, à en faire l'ennemi de l'aménagement du territoire, à n'y voir qu'un prétexte à restructuration économique. C'est oublier la protection du consommateur, les nécessités de bonne gestion, la volonté des acteurs.
Le texte qui vous est soumis rappelle combien la recherche d'une économie compétitive et innovante suppose une concurrence loyale. Il veut garantir chacun des équilibres de l'univers commercial et promouvoir un « civisme marchand ». C'est pourquoi, sans diaboliser personne, il organise une meilleure protection de la relation entre distributeurs et fournisseurs en créant une commission des pratiques commerciales destinée notamment à élaborer des codes de bonne conduite, laquelle ne doit en aucun cas devenir un édifice para-juridictionnel supplémentaire. Trop de droit peut tuer le droit. Liberté contractuelle, oui ! Abus individuels, non !
Cette avancée s'accompagnera du renforcement des pouvoirs du Conseil de la concurrence. Celui-ci doit offrir une meilleure efficacité dans le traitement des affaires qui lui sont soumises, une plus grande effectivité aux règles qu'il est chargé d'appliquer et, si possible, une plus grande actualité au droit des concentrations, qu'il faut moderniser. C'est pourquoi une procédure systématique et lisible, avec notification obligatoire, sera instaurée pour les instructions qui concernent des sociétés dont le chiffre d'affaires se situe au-delà d'un certain seuil. De cette façon, un traitement plus rapide sera mis en place pour les opérations simples, tandis que le maximum de garanties accompagnera les opérations posant les questions les plus délicates, comme celles qui supposent une saisine pour avis du Conseil de la concurrence.
Enfin, ce texte, assez technique sur ce point, tend aussi à accroître l'information du marché sur les opérations de concentration en cours, tout en préservant le secret des affaires au bénéfice des entreprises concernées. Ces dispositions seront assorties d'une capacité d'intervention au profit du ministre de l'économie, le cas échéant du ministre chargé du secteur intéressé. Certains regrettent le maintien de ce pouvoir. Je crois qu'il est du rôle des pouvoirs publics de rester le garant de l'utilisation de ce pouvoir de police économique, non pas à l'encontre mais au profit du droit des concentrations, pour éviter dérives ou abus.
Sur le chapitre de la concurrence, le projet de loi a un peu évolué depuis sa conception initiale. Lors du débat à l'Assemblée nationale, les députés ont voulu encore accentuer le caractère « protecteur » du texte en y introduisant diverses dispositions. Une garantie de prix minimum dans le domaine des fruits et légumes comme la labellisation de certains produits ont été votées et vous seront soumises. Le Gouvernement vous propose en outre plusieurs ajouts substantiels.
J'en évoquerai un avec Mme Marylise Lebranchu, qui sera à mes côtés dans quelques instants : nous vous invitons à accorder, comme l'attendent ces professionnels, une garantie supplémentaire aux fournisseurs. Elle consiste en la transposition immédiate pour les transactions privées de la directive sur les retards de paiement adoptée voilà deux mois.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce serait une sorte de record de célérité que nous battrions ainsi, réjouissant les Européens que vous êtes, et qui permettrait au Sénat, s'il n'était pas indifférent aux honneurs superficiels, de figurer au Guiness book des membres de l'Union, puisque, à peine décidés, les éléments se retrouveraient dans nos textes.
Nous ne proposons pas de transposer à ce stade le volet de la directive concernant les retards de paiements publics. En effet, la question étant posée de savoir qui de l'ordonnateur ou du comptable, de la collectivité locale ou de l'Etat, doit assumer la responsabilité du dépassement du délai, il me semble nécessaire qu'une concertation soit menée préalablement avec les représentants des élus locaux sur ce point tout à fait majeur.
La troisième et dernière partie de ce projet fixe les règles relatives au fonctionnement démocratique des entreprises privées comme publiques. La qualité du dialogue social contribue à la performance de l'économie. La démocratie économique, outre ses mérites propres, est un facteur d'efficacité.
Pour favoriser ce climat, quatre orientations principales sont retenues dans le texte du Gouvernement : assurer un meilleur équilibre des pouvoirs au sein des organes dirigeants en encourageant la dissociation entre les fonctions de président du conseil d'administration et celles de directeur général, mais aussi en limitant le cumul des mandats d'administrateur et de dirigeant d'entreprise ; doter les sociétés de davantage de limpidité, notamment par la transparence des rémunérations des mandataires sociaux et l'extension du champ des conventions réglementées ; renforcer les pouvoirs des actionnaires minoritaires en abaissant le seuil d'exercice de certains droits essentiels de 10 % à 5 % ; développer la démocratie et faciliter l'utilisation des nouvelles technologies, préoccupations qui ne sont pas autonomes l'une par rapport à l'autre, en donnant, par exemple, une possibilité de vote électronique, donc une plus grande faculté de participation, aux actionnaires minoritaires. L'Etat actionnaire doit donner l'exemple en matière de démocratisation et de transparence. Ces mesures s'appliqueront donc également au secteur public. Des entreprises où chacun est en mesure d'assumer pleinement ses responsabilités sont plus diverses, plus audacieuses et sans doute plus pertinentes, dont plus prospères.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je conclurai mon propos par deux sujets, l'un qui a fait couler beaucoup - probablement trop - d'encre, l'autre peut-être pas assez.
Le premier concerne la fiscalité des stock-options. Le vote d'un amendement gouvernemental à l'Assemblée nationale a permis de dégager une solution que nous croyons adaptée. Un vieux débat, qui a consommé beaucoup d'énergie et de salive, a ainsi été tranché. Un équilibre a été trouvé. J'espère que vous y adhérerez.
Le second sujet concrétise une oeuvre très discrète, elle, mais importante : la création d'un pôle financier public, puissant, cohérent, CDC-finances. Sans doute est-ce parce qu'il a été approuvé à l'unanimité des députés que ce projet n'a pas été assez souligné... Nous parlons souvent de modernité, non comme une obsession mais comme une certaine forme tranquille de révolution. En voici une bonne illustration.
Ainsi définie, la régulation n'est pas un choix conjoncturel, mais bien une méthode démocratique, fruit d'une volonté politique affirmée. Exigence économique, impératif social, elle devrait conduire la France à mieux épouser la vision moderne d'une économie à l'échelle humaine. Compléter ce texte sans en bouleverser la cohérence, améliorer s'il le faut un projet qui, parce qu'il aborde des matières délicates peut sembler complexe, préserver le choix fondamental opéré de la régulation comme réponse à une mondialisation qu'il faut regarder comme un fait, mais dont il faut savoir corriger les effets : c'est ce que nos débats, je l'espère, pourront permettre.
Une démocratie économique pour une mondialisation humanisée, telle est donc la démarche qui sous-tend le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter. Elle constitue une étape importante dans la volonté du Gouvernement de moderniser les structures de notre économie, de favoriser l'emploi, de garantir une activité et une solidarité durable. Bref, il s'agit - ce n'est pas une ambition facile - de faire en sorte que la confiance et la croissance puissent continuer de se conjuguer. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici aux prises avec un texte fort intéressant, qui a beaucoup fait travailler nos commissions, commission saisie au fond et commissions saisies pour avis, qui ont conjugué très harmonieusement leur approche. Au nom de la commission des finances, je souhaite, bien sûr, en remercier nos collègues Pierre Hérisson pour la commission des affaires économiques et Jean-Jacques Hyest pour la commission des lois.
Nous voici aux prises avec un texte tout à fait inédit, monsieur le ministre. En écoutant votre propos sur sa « réputée » philosophie générale, je m'interrogeais sur cette figure géométrique que vous nous commentez avec tant de talent mais dont nous serions fondés à penser que le centre est partout et la circonférence nulle part. (Sourires.) La régulation telle que vous l'évoquez pourrait en effet s'appliquer à des sujets et à des situations en nombre infiniment supérieur à ceux que vous traitez dans ce texte, qui, au lieu des 122 articles transmis par l'Assemblée nationale, devrait, si l'on voulait épuiser la matière de ce que vous appelez « régulation », comporter des milliers d'articles. C'est à la vérité tout le droit économique, social, financier, comptable, qui est matière à régulation !
A partir de cet immense vivier, vous avez, ou, plutôt, vos prédécesseurs ont sélectionné un certain nombre de sujets soumis à présent à la discussion parlementaire. Avec un peu de mémoire, nous sommes en mesure de nous souvenir que l'origine de ce texte se trouve dans un épisode auquel a, contre son gré, participé la société Michelin et à la suite duquel le Premier ministre s'est exprimé devant les médias pour reconnaître que la politique ne peut pas tout et que la vie économique et la vie des marchés se déroulent certes avec son intervention mais celle-ci étant un élément parmi d'autres. Cela a donné lieu, au sein de la majorité qui vous soutient à l'Assemblée nationale, à des expressions diverses et variées, et le Premier ministre s'est retrouvé taxé, sinon d'impuissance, du moins d'une insuffisance de volontarisme.
A ce moment-là, et avec l'efficacité qui était la sienne, votre prédécesseur Dominique Strauss-Kahn a été en mesure de faire état d'une recette miracle qui s'appelait « régulation » et qui, en l'espèce, conduisait à examiner une série de sujets eux-mêmes issus de réflexions souvent opportunes et utiles, parfois anciennes de vos propres services de Bercy, ainsi d'ailleurs que de ceux de la Chancellerie.
Nous nous trouvons à présent saisis de ce texte, que je me permettrai de qualifier de DDOEJCF - diverses dispositions d'ordre économique, juridique, comptable et financier. Nous allons traiter, mes chers collègues, aussi bien de droit boursier que de la vente à perte des fruits et légumes, en passant par le blanchiment d'argent et... la composition du chocolat ! Cela va naturellement alimenter utilement nos débats et nous aurons certainement, monsieur le ministre, au cours des journées et des nuits qui vont s'écouler, beaucoup de débats dans le débat.
Il faut également relever que ce texte est très étrangement frappé d'une déclaration d'urgence. C'est le président du Sénat Christian Poncelet qui évoquait, à l'ouverture de la session, ce qu'il appelait la déclaration d'urgence « à l'aveugle », c'est-à-dire une méthode qui traduit non pas l'urgence d'un texte, mais le souci du Gouvernement de contrôler la discussion parlementaire et de réduire le droit d'amendement, puisque, à l'issue d'une première lecture à l'Assemblée nationale et d'une première lecture au Sénat, nous arriverons tout de suite à la phrase finale de l'examen de ce texte, avec réussite ou échec de la commission mixte paritaire, puis lecture définitive dans chaque assemblée.
Nous sommes dans des domaines juridique, de droit financier, de droit boursier, de droit des sociétés ou de droit de la concurrence qui nécessitent que les textes soient bien faits, bien préparés, bien établis. Or, dans le passé, la règle générale, pour tous les textes de cette nature, a été de laisser le bicamérisme jouer son rôle jusqu'au terme de l'examen du projet de loi.
Celui qui nous occupe aujourd'hui a été déposé le 15 mars et adopté par l'Assemblée nationale le 2 mai. Il s'est donc écoulé cinq mois - curieuse et surprenante urgence ! - entre l'adoption du texte par l'Assemblée nationale et le début de son examen par le Sénat.
Il est d'autres éléments d'étrangeté dans cette approche législative, monsieur le ministre : c'est dans le Journal officiel du 21 septembre que nous avons constaté avec intérêt la présence du nouveau code de commerce - cent cinquante pages de Journal officiel ! - et ce dans le cadre d'une ordonnance qui habilite le Gouvernement à codifier à droit constant - mais encore faut-il qu'il le fasse réellement à droit constant - ce qui le conduit à supprimer des textes aussi fondamentaux que l'ordonnance de 1986, qui crée les règles de notre droit de la concurrence, et la loi de 1966 sur les sociétés commerciales, qui fonde le droit des sociétés de la France d'aujourd'hui.
Nous avons donc dû réaliser toute une gymnastique pour substituer aux dispositions modifiées par l'Assemblée nationale et qui n'existent plus, celles qui sont édictées par la nouvelle codification et qui n'existent pas encore, puisque ces dispositions n'ont pas été ratifiées à l'heure qu'il est.
Ce sont là certes des considérations de procédure, mais tout à fait inédites et qui viennent ajouter au caractère un peu surprenant de notre exercice. Cela me conduit d'ailleurs, monsieur le ministre, à formuler quelques réserves sur la validité juridique, voire constitutionnelle, de ce dispositif.
Enfin, nous avons pu observer, sur certains sujets, que la prise en compte de l'urgence, telle que vous avez pu l'exprimer en public, par exemple au mois de juillet, n'était plus tout à fait la même au moment d'aborder le débat parlementaire en première lecture au Sénat, puisque, sur ce sujet très utile de la simplification de l'architecture de la régulation financière de la place de Paris, vous aviez laissé entendre que l'on pourrait déboucher à l'occasion de la présente loi. Or vous nous dites aujourd'hui que, après avoir vérifié des aspects de procédure, cela ne vous semble plus possible.
J'avoue, monsieur le ministre, avoir de la peine à penser que, au mois de juillet, lorsque vous avez annoncé que vous franchiriez ce cap, la vérification nécessaire n'avait pas été faite par vos services et ceux du secrétariat général du Gouvernement en ce qui concerne les limites du droit d'amendement.
Sur ce point, vous me verrez exprimer mon scepticisme, car dans ce « DDOEJCF », il n'y a pas véritablemnt de sujet nouveau, surtout lorsque l'on tire les conséquences d'une démarche relative à la régulation pour s'intéresser au statut et au rôle des régulateurs. Y a-t-il régulation sans régulateur ? Pouvons-nous, nous, législateur, accepter de voir proliférer un peu partout des collèges indépendants, nés chacun d'une opportunité particulière mais qui ne répondraient pas à une logique d'ensemble et qui ne se présenteraient pas au public avec un statut harmonisé ? Pouvons-nous considérer comme adjonctions au texte, hors de son esprit et de sa nature, des dispositions simplifiant l'architecture de la régulation financière de la place de Paris ?
Je ne peux vraiment pas croire, monsieur le ministre, que la cause juridique, formelle et procédurale que vous avez présentée tout à l'heure soit réellement à prendre au sérieux.
Comment nos commissions ont-elles travaillé, monsieur le ministre ? La commission des finances, pour ma part, s'est efforcée d'avoir une démarche de législateur.
Dans ce pays, il faut, nous semble-t-il, restaurer et revaloriser le respect de la loi. Cela suppose que la loi soit bien faite, qu'elle soit lisible, qu'elle soit compréhensible autant que possible pour tous et qu'elle véhicule des concepts clairs.
A ce titre, nous avons dû réécrire très largement beaucoup d'aspects de ce texte. En effet, si les rédactions issues des travaux de l'Assemblée nationale reflétaient, sur bien des points, des conjonctions parlementaires ponctuelles, elles ne nous semblaient pas susceptibles d'être gravées dans la loi ou dans un code.
En outre, nous avons estimé qu'il fallait entrer...
M. René-Pierre Signé. Zorro est arrivé !
M. Philippe Marini, rapporteur. Mes chers collègues, c'est notre rôle d'essayer d'écrire correctement. On pourrait faire grief aux commissions de ne pas appliquer cette méthode de travail.
Notre deuxième préoccupation a été de rendre de la cohérence au texte - donc, finalement, de vous aider, monsieur le ministre - pour restituer une certaine unité à ce texte, en particulier en faisant avancer les statuts des régulateurs, en faisant en sorte que les collèges, par exemple en matière de concurrence et de marchés financiers, soient réellement indépendants, que leurs pouvoirs ne soient pas redondants avec ceux d'autres instances. Ainsi, chacun pourra y voir clair.
Enfin, nous avons tenu à situer tous ces efforts dans un cadre international, plus particulièrement européen, car nous avons, les uns et les autres, conscience que si les entreprises doivent être compétitives, le droit, lui aussi, le droit économique en premier lieu, doit être compétitif.
Il est donc de notre devoir de doter notre pays d'un droit boursier qui maximalise les chances de succès de la place de Paris. Il est de notre devoir de faire évoluer le droit de la concurrence de manière à respecter le droit communautaire et à apporter des atouts à nos entreprises. Il est aussi de notre devoir de faire en sorte que les sociétés commerciales soient organisées conformément à leurs objectifs, avec toute la souplesse, mais aussi toute la clarté et la sécurité nécessaires.
Monsieur le ministre, c'est au vu de ces principes que nous avons abordé l'examen des différentes parties du texte.
Je ne vais pas revenir maintenant en détail sur leurs éléments, car nous aurons tout loisir pour le faire - rassurez-vous, mes chers collègues - lors de l'examen des articles.
Mais, par exemple, nous ne pouvons pas approuver l'article 4 dans l'état où il nous vient de l'Assemblée nationale. Il s'agit là d'un point sur lequel une réécriture est nécessaire.
Il n'est en effet pas possible de placer les chefs d'entreprise, que ce soient ceux qui lancent une offre publique ou ceux qui dirigent l'entreprise cible de cette offre publique, quelque part entre le délit d'entrave aux pouvoirs du comité d'entreprise et le délit d'initié, au sens de la législation boursière. Les risques que présentent votre texte sur ce point sont tels qu'il nous est nécessaire de le modifier très substantiellement.
Par ailleurs, en matière de droit boursier, nous avons considéré qu'il était important de donner dès maintenant un signal aux investisseurs et à l'industrie financière de la place de Paris.
Puisque vous dites qu'il faut clarifier les textes - ce que nous acceptons - il est tout à fait concevable qu'en vertu de notre droit d'amendement nous déposions deux ou trois articles brefs pour relever les enjeux d'aujourd'hui. Nous considérons en effet qu'il est de notre devoir de donner dès maintenant naissance à une autorité unique de régulation des marchés financiers. Je ne saurais mieux plaider que vous en sa faveur, monsieur le ministre, d'autant que je souscris à vos arguments.
Par ailleurs, s'agissant des services bancaires, dans la phase d'ouverture de la compétition où nous nous trouvons, il faut naturellement veiller à ce que celle-ci se déroule correctement et équitablement.
Mais il faut également veiller autant que possible à ce que personne ne reste sur le bord du chemin, d'où les préoccupations exprimées par un certain nombre de membres de notre assemblée - dont nous aurons l'occasion de discuter - qui concernent l'éventualité d'un service bancaire de base.
Monsieur le ministre, sous la conduite de la commission des lois, nous avons également examiné avec un grand intérêt le dispositif sur le blanchiment des capitaux. Nous avons considéré à cet égard que des modifications dans la rédaction du texte et dans la mise en place des concepts étaient nécessaires. Nous nous sommes surtout réjouis dans ce domaine que vous-même et vos services ayez repris bon nombre des conclusions qui se trouvaient dans le rapport, remis en février dernier du groupe de travail de la commission des finances sur la régulation financière internationale.
Nous sommes sans amour-propre d'auteur. Nous ne demandons pas à être cités. Mais, lorsque les mesures proposées par le Gouvernement rejoignent certaines de nos propositions, nous ne pouvons que nous réjouir.
En deuxième lieu, mes chers collègues, ce texte traite des questions de droit de la concurrence.
Il convient, à l'évidence, de combattre les nouvelles formes d'abus de dépendance qui sont apparues depuis l'ordonnance du 1er décembre 1986. Il est indispensable, en ce domaine, de faire des progrès, de ne pas céder à la tentation d'une « reréglementation excessive », tout en faisant en sorte que les règles du jeu soient bien claires et soient appliquées par un conseil de la concurrence dont le statut soit revalorisé.
Ledit conseil est aujourd'hui trop imbriqué dans votre administration, monsieur le ministre. Il faut l'en sortir et lui conférer l'indépendance nécessaire pour qu'il joue à plein son rôle de régulateur et pour qu'il puisse être considéré à cet égard, dans le cadre européen, comme une autorité sur laquelle on puisse s'appuyer.
Nous n'avons pas d'opposition de principe à des innovations comme la commission des pratiques commerciales ; mais nous souhaitons que son rôle soit bien défini et qu'il n'existe pas de confusion entre sa fonction d'observatoire et sa mission lorsqu'elle sera amenée à examiner des dossiers particuliers et à prendre des décisions susceptibles de faire grief à l'une ou l'autre des parties.
A cela s'ajoute l'opportunité pour nous de mieux situer les responsabilités dans le domaine du contrôle des concentrations entre le conseil de la concurrence et le ministre. Sur ce point, la commission des finances a estimé qu'il était préférable de protéger le ministre des risques que l'on prend inévitablement lorsque l'on devient soi-même acteur d'un jeu en tranchant directement un litige entre des parties privées.
Enfin, le troisième volet du projet de loi concerne ce que vous appelez « la régulation de l'entreprise », et que je préfère, pour ma part, appeler tout simplement le « droit des sociétés commerciales ».
J'aurais voulu trouver dans ce texte encore beaucoup d'autres choses, surtout une conception plus globale de l'évolution de ce droit pour le rendre plus compétitif au service de nos entreprises et de nos emplois. Mais nous devons nous contenter d'un certain nombre de retouches ponctuelles.
Parmi ces retouches, il est un dispositif sans doute utile, mais auquel il ne faut pas donner une place trop centrale : c'est la souplesse que l'on peut opportunément apporter aux sociétés à conseil d'administration pour décider soit de séparer la fonction de président de celle de directeur général, soit de les unifier. Nous estimons qu'il est indispensable de réécrire le texte sur ce point, notamment pour éviter la confusion, qui pourrait être grave en termes d'exercice de responsabilités, entre, d'une part, la société à conseil d'administration et, d'autre part, la société à conseil de surveillance et directoire, née de la loi de 1966 et qui demeure un modèle juridique à part entière.
Monsieur le ministre, au cours du débat, nous reviendrons sur tous ces sujets : les conventions réglementées que vous avez citées, pour lesquelles le texte issu de l'Assemblée nationale créerait un déluge paperassier absolument ingérable ; le cumul des mandats d'administrateur - la commission a été en particulier sensible à la liberté d'organisation au sein d'un groupe de sociétés - ou encore la définition du contrôle conjoint d'une société, selon le droit des sociétés ou selon le droit boursier.
Enfin, nous avons pris connaissance avec grand intérêt du chapitre VIII, intitulé « Dispositions diverses et transitoires », qui conduit à traiter un très grand nombre de sujets, puisqu'il faut attendre les articles 70 bis et 70 ter, issus de laborieux compromis au Palais-Bourbon, pour retrouver la question des options de souscription ou d'achat d'actions, version française mais trop longue, naturellement, des stock-options, et, en ce domaine, la commission des finances ne peut que réaffirmer les positions qu'elle a déjà prises et inviter le Sénat à confirmer ses votes antérieurs.
Nous formulerons, nous aussi, sur ces dispositions diverses et transitoires, un certain nombre de remarques et proposerons des ajouts, en restant dans des limites raisonnables.
Pour terminer, je souhaite simplement qu'au seuil d'un débat qui sera certainement intéressant et fourni nous nous efforcions, les uns et les autres, d'examiner ce texte avec le maximum de conscience, dans le souci d'élaborer une bonne législation et d'apporter à nos entreprises et à nos professions les armes dont elles ont besoin pour investir et pour créer des emplois. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson, rapporteur pour avis.
M. Pierre Hérisson, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques du Sénat a souhaité se saisir pour avis du titre Ier de la deuxième partie du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, qui traite de la moralisation des pratiques commerciales.
Comme l'a souligné tout à l'heure M. le rapporteur, nous avons essayé de travailler en harmonie avec les différentes commissions du Sénat, afin, c'est notre rôle, d'ouvrir un débat constructif, d'affiner ce texte qui nous vient de l'Assemblée nationale et de parvenir à la meilleure lisibilité possible.
Les dispositions contenues dans le titre Ier répondent à une attente forte. En dépit de l'intervention régulière du législateur ces dernières années, les relations entre les fournisseurs et la grande distribution se caractérisent par un déséquilibre au détriment des premiers, affirmant ainsi une tendance que notre regretté collègue Jean-Jacques Robert dénonçait déjà dans son rapport sur la loi du 1er juillet 1996.
Le législateur a tenté d'encadrer non seulement l'essor de la grande distribution, mais également l'affirmation de sa puissance à l'égard des fournisseurs.
Modernisant la loi Royer du 27 décembre 1973, qui a soumis l'implantation des grandes surfaces à l'autorisation de commissions départementales, la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, dont j'avais été le rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, tendait ainsi à limiter l'expansion quantitative des grandes surfaces.
La loi du 1er juillet 1996, relative à la loyauté et à l'équilibre des relations commerciales, a interdit la revente à perte, dans le but de limiter la croissance des « marges avant » des distributeurs. Mais elle a également tendu à favoriser la transparence de la négociation commerciale, en permettant de sanctionner un certain nombre de pratiques abusives. L'examen par le Parlement du projet de loi d'orientation agricole avait aussi été l'occasion d'évoquer la dépendance particulière des producteurs agricoles à l'égard de leurs clients distributeurs.
Malgré ces dispositions législatives, l'inégalité du rapport de force existant entre la grande distribution et ses fournisseurs n'a malheureusement cessé de s'accentuer, notamment à la faveur de la concentration des distributeurs. Votre rapporteur pour avis fait observer à cet égard que ne subsistent actuellement en France que cinq grandes centrales d'achat. Un nombre limité de magasins sont ainsi devenus le point de passage obligé pour les fournisseurs, qui consentent des avantages commerciaux de plus en plus exorbitants, notamment sous la forme de remises et ristournes, et parfois sous la menace d'un déréférencement, afin d'avoir accès au marché. Cette situation de dépendance est encore plus durement ressentie par les petites et moyennes entreprises de notre pays qui ne disposent pas de puissance de vente, en raison de la forte « substituabilité » des produits qu'elles fabriquent.
J'en viens maintenant à la présentation de la partie du projet de loi qui nous intéresse ici.
Le titre premier de la deuxième partie de ce projet comportait initialement cinq grands articles.
L'article 27 instaure un dispositif d'encadrement des promotions dans le secteur des fruits et légumes frais.
L'article 28 crée une commission d'examen des pratiques commerciales chargée d'exercer un rôle d'observatoire et de formuler des observations sur les relations entre fournisseurs et distributeurs.
L'article 29 enrichit la rédaction de l'ancien article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui tend à définir un certain nombre de pratiques abusives. Parmi les pratiques ajoutées à la liste existante, il convient de citer notamment la coopération commerciale fictive et l'abus de dépendance économique. L'article 29 précise également les conditions de rupture des relations commerciales et renforce les moyens d'action de l'Etat auprès des tribunaux, en vue de mieux faire sanctionner ces pratiques abusives.
L'article 30 concerne la définition du mode de production raisonné en agriculture. Vaste programme et vaste débat.
L'article 31, relatif à l'étiquetage des denrées alimentaires, vise à déterminer les conditions d'utilisation simultanée d'une marque commerciale et d'un signe d'identification.
L'Assemblée nationale a complété ces dispositions, notamment par l'adjonction de douze articles, qui tendent en particulier à remplacer, pour les ventes au déballage de moins de soixante-quinze mètres carrés organisées par des associations caritatives, le régime d'autorisation par un système de déclaration préalable - il s'agit de l'article 27 B - et à permettre à l'Etat de rendre obligatoire un accord de crise conjoncturelle entre producteurs et distributeurs, tendant à fixer un prix minimum pour une catégorie de fruits ou légumes frais - il s'agit de l'article 27 bis. L'Assemblée nationale a également complété les dispositions des articles 28 et 29, et introduit des articles portant sur les produits vendus sous marque de distributeur, les dénominations du chocolat, les modes d'élevage des volailles et le statut des coopératives de commerçants détaillants. Vaste programme !
M. Jean-Jacques Hyest. Ça, c'est un progrès !
M. Pierre Hérisson, rapporteur pour avis. Les amendements que je présenterai au nom de la commission des affaires économiques s'articulent autour de trois grandes préoccupations.
Il s'agit, tout d'abord, monsieur le ministre, de limiter les abus observés à l'occasion de la négociation commerciale, en précisant les conditions d'établissement et de rupture des relations commerciales, et en renforçant la transparence de la coopération commerciale, mais également en proscrivant les accords dits de gamme.
Il convient ensuite d'accorder une attention à la situation particulière des petits producteurs, fournisseurs et commerçants, dont la spécificité n'est pas toujours prise en compte dans la législation actuelle.
Le rapporteur du Sénat vous proposera, au nom de la commission des affaires économiques, des dispositions visant à conforter le rôle de la commission d'examen des pratiques commerciales, auprès de laquelle les petits fournisseurs pourront faire valoir les abus dont ils sont victimes et qu'ils n'osent généralement pas porter devant le juge.
Il convient également de prévoir une dérogation à l'interdiction de verser un droit préalable au référencement, au profit des petites coopératives de commerçants et d'artisans.
Dans le même esprit, il vous proposera d'introduire dans ce projet de loi une disposition visant à protéger les petits commerçants contre certaines opérations de démarchage, au même titre que les particuliers.
Ces propositions démontrent qu'une législation commerciale uniforme et indifférenciée est d'application délicate. A cet égard, il serait opportun de réfléchir à la mise en place d'une législation spécifique pour les petites et moyennes entreprises, comme le recommandait le rapport de notre collègue Francis Grignon sur le small business aux Etats-Unis.
Enfin, la commission des affaires économiques souhaite anticiper l'application en droit français de la législation communautaire. A cet égard, je vous proposerai en son nom un amendement visant à transposer une directive européenne du 29 juin 2000, qui pose le principe d'un délai de paiement maximal de trente jours.
Pour conclure, je souhaite faire une observation qui m'a été inspirée par les travaux menés à l'occasion de l'élaboration de ce rapport pour avis. Il semble que les abus et injustices constatés ici et là dans les relations commerciales résultent, pour partie, de l'insuffisante implication des banques dans le tissu industriel et commercial de nos entreprises. Dès lors, la conduite d'une réflextion sur le rôle des banques dans ce domaine paraît nécessaire à l'amélioration durable des relations entre fournisseurs et distributeurs : le banquier doit cesser d'être un simple caissier pour devenir un véritable partenaire. (Applaudissements sur les travées du l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis. M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, arrêtons de nous faire peur en parlant du capitalisme, ou du libéralisme, sauvage ! Il n'a jamais existé que dans quelques livres et n'est jamais appliqué nulle part : tous les Etats font de la régulation économique, même ceux qui se prétendent les plus libéraux.
Cependant, monsieur le ministre, contrairement à votre présentation intelligente et séduisante de la régulation économique, et malgré le titre accrocheur de « nouvelles régulations économiques » - c'est nouveau, donc c'est bien, c'est comme la modernité ; et « régulations », cela fait plaisir et permettra peut-être à certains de comprendre enfin quelque chose à l'économie - le texte qui nous est soumis traduit en fait combien il est difficile à certains de sortir de leur cadre de pensée : ils rêvent toujours d'une économie administrée... On le verra, de nombreuses traces d'économie administrée subsistent, dans les amendements votés à l'Assemblée nationale notamment, et ce n'est pas du tout ce que vous avez présenté en matière de régulation, monsieur le ministre.
Bel exemple, M. le rapporteur général l'a déjà dit, d'une législation de circonstance, touffue, pointilliste sur certains sujets, parfois contradictoire, ce texte pourrait être qualifié de projet portant diverses dispositions d'ordre économique - DDOE - auquel il faut ajouter les mots juridique, comptable et financier, JCF, en un mot un DDOEJCF qui n'ose pas dire son nom !
Il faudrait ajouter, monsieur le ministre, que le volet sur l'épargne salariale, qui devait être l'élément majeur du projet de loi, a été différé pour des motifs qui sont dans toutes les mémoires, et dont la gestation douloureuse vient de connaître une étape non dénuée de difficultés à l'Assemblé nationale.
Paradoxalement - on l'a déjà noté - l'urgence déclarée sur ce texte - qui, plus que d'autres, nécessitait une navette afin de permettre un dialogue entre les deux assemblées - se justifiait d'autant moins que nous avons attendu cinq mois pour l'examiner. C'est une sorte d'urgence « à reculons » ! On est donc passé de la plus totale précipitation à un processus « à élipses », ce qui prive de toute justification la procédure d'urgence.
En outre, le non-respect du calendrier initialement prévu conduit à pratiquer une véritable acrobatie juridique du fait du télescopage de l'examen de ce projet de loi avec le processus de codification.
En effet, M. le rapporteur général l'indiquait, le nouveau code du commerce, qui a été publié au Journal officiel le 21 septembre dernier, intègre désormais les dispositions de plusieurs lois et ordonnances qui avaient auparavant une existence autonome. C'est vrai, en particulier, de l'ordonnance relative à la concurrence, et de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, laquelle a donc été abrogée par son intégration dans le code de commerce.
On pourrait donc considérer à juste titre que des pans entiers du projet de loi qui nous est soumis sont devenus caducs. Il n'y a plus de projet de loi !
A la limite, le vote d'une question préalable serait juridiquement très justifié cette fois-ci.
M. Paul Loridant. Ce serait une bonne idée ! (Sourires.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Ce n'est pas mal parti !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Je rappelle d'ailleurs, monsieur le ministre - je pense que vous le confirmerez - que le vote de dispositions modificatives du code de commerce n'implique ni la ratification de l'ensemble du code de commerce, hors ces dispositions législatives, ni même l'intégralité de la codification de la loi de 1966 sur les sociétés commerciales, dans la mesure où ne sont visés que 10 % environ des articles de la loi de 1966.
Nous avons donc fait l'effort - parce que nous sommes de bonne composition, quoi qu'on en dise...
M. Philippe Marini, rapporteur. Nous sommes trop bons !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. ... de proposer, pour ce qui relève de la partie du texte examinée par la commission des lois - je suis sûr que cela a été fait pour les autres aspects, notamment pour ce qui concerne la concurrence - d'assurer la cohérence entre les texte de codification et les textes sources. J'espère que le Gouvernement se livrera aussi à ce travail délicat.
La brièveté des délais initialement impartis ont contraint la commission des lois à restreindre son champ d'investigation à deux volets relevant normalement de sa compétence de fond : le titre IV de la première partie, consacré au renforcement de la lutte contre le blanchiment d'argent provenant d'activités criminelles organisées, et le titre Ier de la troisième partie, relative à la régulation de l'entreprise, traitant du droit des sociétés commerciales.
Nous aurions bien voulu nous intéresser aussi au droit de la concurrence, comme nous l'avions fait en d'autres circonstances, mais nous ne disposions au départ que de quinze jours pour examiner l'ensemble des textes, même si nous avons obtenu ensuite quelques délais estivaux pour approfondir notre réflexion.
Composé originellement de 74 articles - toute grande loi est forcément composée de nombreux articles - le projet de loi a atteint 120 articles à l'issue de son examen par l'Assemblée nationale. Curieuse façon de légiférer ! Plusieurs articles portant sur des sujets de fond ont été introduits par amendements du Gouvernement, ce qui démontre une fois de plus la précipitation et l'improvisation qui ont présidé à l'élaboration de ce texte. Pour notre part, nous proposerons 112 amendements portant sur 41 articles, ne serait-ce, comme je le disais tout à l'heure, que pour assurer la cohérence avec le code de commerce.
En ce qui concerne la lutte contre le blanchiment, il est incontestable que, si la législation adoptée en juillet 1990 a porté ses fruits, il y a lieu de conforter ce dispositif. Toutefois, un télescopage risque de s'opérer entre le projet de loi et la proposition de loi de modification de la directive européenne de 1991 sur la lutte contre le blanchiment. Si la commission des lois ne peut qu'approuver les orientations du projet de loi dans ce domaine, elle s'est interrogée, compte tenu de ce que je viens de dire, sur l'opportunité de légiférer dès à présent sur ce sujet, particulièrement en ce qui concerne la liste des personnes assujetties à l'obligation de déclaration à TRACFIN - la cellule de traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins. J'espère qu'il n'y aura pas d'autres initiatives intempestives dans ce domaine.
Par ailleurs, s'agissant des dispositions pénales, le renforcement du dispositif de lutte contre le blanchiment ne saurait supporter le flou et l'imprécision des termes. C'est pourquoi nous proposerons un certain nombre d'amendements à ce sujet. C'est pourquoi aussi, compte tenu d'une interprétation contestable faite, semble-t-il, par certains magistrats de textes de nature pénale, la commission des lois du Sénat a souhaité mentionner explicitement dans la définition du blanchiment le caractère intentionnel de ce délit. Nous aurons à expliciter notre point de vue lors de l'examen des articles.
Le projet de loi aborde ensuite, dans ses articles 55 A à 70 bis , le droit des sociétés.
Au lieu de la réforme d'ensemble attendue, et malgré de nombreux avant-projets qui ont été soumis à concertation à plusieurs reprises depuis dix ou quinze ans, le droit des sociétés commerciales est une fois de plus vendu « par appartement ».
C'est ainsi qu'il y a moins d'un an la réforme des sociétés par actions simplifiées fut glissée subrepticement dans le projet de loi relatif à l'innovation et la recherche par un amendement du Gouvernement, sans que la commission des lois ait pu se prononcer, ne serait-ce que par un avis. Détestable méthode de travail législatif !
Un nouveau pan de réforme a été introduit dans le présent projet de loi, visant, en fait, à « moraliser » le fonctionnement des sociétés. Passons sur la curiosité juridique, pour ne pas dire plus, que constitue l'article 55 A, qui prévoit l'attribution de droit d'une action au comité d'entreprise... Cela ne vous fait pas réagir, mes chers collègues ?
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous sommes béats d'admiration. (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Je n'aurais jamais pensé que l'on pût inventer une chose pareille ! Et pourtant, cette disposition a été votée par l'Assemblée nationale. J'espère que ce ne fut pas à l'unanimité.
Passons donc sur cette curiosité et tentons de synthétiser les divers aspects de ce volet du projet de loi.
Il va de l'abaissement des effectifs des conseils d'administration et des conseils de surveillance à la limitation du nombre de mandats sociaux - application dans le domaine économique d'une véritable passion pour le non-cumul des mandats - à la prévention des conflits d'intérêts - M. le rapporteur général en a parlé - à la meilleure information des actionnaires - nous la souhaitons - et à l'obligation réaffirmée de transparence.
Compte tenu de la précipitation qui a présidé à la rédaction de ce projet de loi, nous aurons à présenter nombre d'amendements pour assurer la cohérence du dispositif. Toutefois, il me paraît utile de formuler brièvement, dès à présent, cinq observations significatives à propos du droit des sociétés.
Première observation : la dépénalisation attendue de certaines dispositions actuelles fait l'objet d'une timide avancée dans les articles 67 et 68 du projet de loi...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Très timide !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. ... au profit de sanctions civiles, ce que nous ne cessons de réclamer. C'est une mesure positive ; il faudra bien un jour nettoyer la loi de 1966 sur tout ce qui concerne ce domaine.
Deuxième observation : une tendance générale, et perverse à mon sens, continue à se perpétuer en ce qui concerne le capital des sociétés - notamment les SARL. Toutes les études tendent à démontrer que, faute de fonds propres, les entreprises ne survivent pas, et c'est un des éléments qui caractérise notre pays. Dans ce domaine, néanmoins, sous prétexte de favoriser la création d'entreprise, tout est fait pour reporter la libération du capital social. Ce n'est sans doute pas rendre service aux créateurs d'entreprise et il est bien d'autres voies et moyens pour assurer le financement des créations d'entreprise ! Troisième observation : si l'on ne peut que souscrire aux dispositions concernant la transparence et l'information des actionnaires, par exemple en ce qui concerne la rémunération et les avantages attribués à chaque mandataire par la société et les sociétés qu'elle contrôle, quel curieux processus celui qui a conduit à étendre ce dispositif aux salariés - pourquoi dix ? - les mieux rémunérés ou les mieux dotés en stock-options - mot magique ! Cela ne peut que créer des tensions inutiles et nuisibles au sein des sociétés et n'a d'autre justification qu'une idéologie simpliste... et l'air du temps médiatique.
Quatrième observation : le Gouvernement avait envisagé pour les sociétés dotées d'un conseil d'administration, dites sociétés monistes par référence à la société dualiste à directoire et conseil de surveillance, de dissocier obligatoirement les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général.
Nonobstant le fait que les fonctions respectives de ces deux organes n'ont pas été redéfinies, ce qui me paraît assez grave, il est évident que, si cette forme de partage des pouvoirs au sein des sociétés commerciales peut et doit être rendue possible, il faut laisser le choix aux administrateurs de l'appliquer ou non.
Nous suivrons bien volontiers sur ce point la position de l'Assemblée nationale. Heureusement en effet que, malgré tout, quelques parlementaires connaissent encore la vie des entreprises et le droit des sociétés ; que le moule administratif laisse quelques survivants parmi les trop nombreux élus qui en sont issus - c'est gentiment dit, n'est-ce pas ! (Sourires.) Cela se justifie d'autant plus que le Gouvernement voudrait appliquer aux sociétés commerciales ce qu'il a renoncé, à juste titre, à imposer à certaines grandes entreprises publiques.
Je pense à la RATP, où les pouvoirs ont été concentrés entre les mains d'un président - il n'y a plus de directeur général - à Air France, mais aussi à EDF où la dyarchie président et directeur général a été abolie - après avoir fait beaucoup de ravages.
Cinquième observation : comme la commission des lois sait être magnanime, elle propose d'étendre aux professions libérales l'exercice de leur profession sous forme de société anonyme simplifiée. C'est une occasion unique, profitons-en ! Cela est très attendu par les professionnels libéraux et très justifié.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, telles sont les brèves observations qu'il m'a paru utile de présenter au nom de la commission des lois, qui, bien entendu se félicite de la coopération que nous avons pu mener - elle est habituelle - avec la commission des finances.
Sous réserve des modifications qu'elle vous présentera et dont je vous ai annoncé les grandes lignes, la commission émettra bien entendu un avis favorable sur les dispositions du projet de loi relatives à l'amélioration de la lutte contre le blanchiment d'activités criminelles organisées et sur celles qui intéressent le droit des sociétés commerciales.
Cela étant, dans un souci d'équilibre, nous sommes autant attachés à la liberté d'organisation des entreprises que certains le sont à leur administration ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Chérioux, rapporteur pour avis. M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon rapport présente cette caractéristique assez peu commune d'exprimer la décision de la commission des affaires sociales de renoncer aux mesures qu'elle entendait proposer au Sénat,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est la sagesse !
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. ... et cela en raison de l'inconstance gouvernementale.
Ce faisant, la commission répond au souci de M. le rapporteur de la commission des finances de ne pas accroître la complexité de ce texte par l'adjonction de dispositions d'ordre social. Cela ajouterait encore une lettre au sigle que vous avez développé tout à l'heure, monsieur le rapporteur pour avis ! (Sourires.)
La commission des affaires sociales avait en effet décidé de se saisir pour avis du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques.
Cette saisine intervenait dans un contexte un peu particulier. Elle visait à introduire, par voie d'amendement, les dispositions de la proposition de loi, adoptée par le Sénat le 16 décembre dernier, tendant à favoriser le partenariat social par le développement de l'actionnariat salarié.
Notre démarche visait en réalité à répondre à une carence du Gouvernement.
Un bref retour en arrière s'impose.
De rapports en reports, de consultations officieuses en concertations inachevées, la réforme de l'épargne salariale annoncée depuis plusieurs mois faisait alors figure d'Arlésienne.
Lors de la discussion de la proposition de loi sénatoriale en décembre dernier, le Gouvernement, par la voix de Mme Marylise Lebranchu, nous avait affirmé qu'il était trop tôt pour légiférer, qu'il était préférable d'attendre les conclusions du rapport Balligand-Foucauld, dont les propositions devaient trouver une traduction législative dans la loi sur les nouvelles régulations économiques.
Je ferai observer, à ce propos, que les propositions de ce rapport rendues publiques en janvier se révèlent très proches du texte voté par le Sénat.
Ce rapport en est très proche dans son constat et dans sa philosophie, puisque ses auteurs estiment nécessaire d'actualiser - et non de bouleverser - les dispositifs d'épargne salariale, d'encourager le développement de l'actionnariat salarié dans un cadre incitatif et contractuel et d'en favoriser l'organisation.
Mais il en est aussi très proche dans ses propositions. Celles-ci sont en effet pour beaucoup identiques ou issues d'inspiration commune à celles du Sénat. Vous voyez comme le Sénat inspire même les instances gouvernementales en cette période de cohabitation !
A titre d'exemple, on peut citer la création des plans d'épargne interentreprises, la mise en place de plans d'épargne à long terme, l'amélioration des conditions d'application du « rendez-vous obligatoire », la possibilité de mobilité de l'épargne salariale parallèlement à la mobilité des salariés, le renforcement des conseils de surveillance des fonds communs de placement d'entreprise, l'extension du champ de négociation sur l'épargne salariale.
Cette grande similitude n'a pourtant pas poussé le Gouvernement à agir, bien au contraire. Ainsi, il n'a pas jugé souhaitable d'inscrire le texte voté par le Sénat à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et n'a donc pas permis au débat parlementaire de se poursuivre.
En outre, dès le mois de février, le Gouvernement renonçait à introduire les dispositions relatives à la participation et à l'actionnariat dans le texte sur les nouvelles régulations, les reportant à un texte spécifique.
Nous avions alors jugé ces tergiversations d'autant plus regrettables qu'une réponse urgente en la matière nous paraissait indispensable. C'est pourquoi nous nous proposions d'intégrer les propositions sénatoriales sur la participation et l'actionnariat salarié dans le présent projet de loi.
Mais notre souci d'aborder à bras-le-corps ces questions allait une nouvelle fois se heurter aux atermoiements du Gouvernement. En effet, il décidait, le 18 mai dernier, de retirer le projet de loi sur les nouvelles régulations de l'ordre du jour prioritaire du Sénat. Ce texte étant enfin inscrit au programme des travaux du Sénat, la question se posait, pour la commission des affaires sociales, de savoir s'il était encore opportun de maintenir ses amendements. Dans moins d'un mois, en effet, notre assemblée aura à débattre du projet de loi sur l'épargne salariale, texte qui constitue à l'évidence un bien meilleur support pour aborder les questions liées à l'actionnariat salarié.
Dans ces conditions, notre commission a décidé de retirer ses amendements sur le projet de loi relatif aux nouvelles régulations et de reporter l'indispensable débat sur la modernisation de nos dispositifs de participation et d'actionnariat salarié à l'examen du projet de loi sur l'épargne salariale. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 45 minutes ;
Groupe socialiste : 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Massion.
M. Marc Massion. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte très dense dont nous entamons la discussion aujourd'hui nous semble particulièrement bienvenu, autant que son urgence nous paraît évidente, étant donné certains désordres dont se font l'écho, ici ou là, de nombreux observateurs de notre vie économique.
Bien sûr, certains de ces désordres ne sont pas nouveaux, mais ils ont tendance à s'aggraver, et ce ne sont parfois que les formes de ces désordres qui sont nouvelles. Quoi qu'il en soit, cela justifie pleinement que le Gouvernement, conscient des risques encourus par la société dans ses diverses composantes, juge indispensable de s'atteler à la tâche éminemment délicate, mais ô combien nécessaire, consistant à mettre à jour, à rénover et à moderniser les textes qui régissent des aspects importants, voire essentiels, de notre vie économique et sociale.
Cependant, dans notre esprit, comme dans celui du Gouvernement, il s'agit de moderniser non pour se faire plaisir ou pour répondre à un simple souci d'affichage, mais pour que notre économie et notre société soient à la fois plus efficaces, plus justes et, pourquoi pas, plus efficaces pour être plus justes.
Puisque nous sommes dans une économie de marché et que nous refusons la société de marché, notre démarche régulatrice ne vise à rien de moins qu'à faire respecter les fondements de cette économie de marché, à savoir, notamment, la pluralité des producteurs, quelle que soit leur taille. Alors que le capitalisme contemporain - car il faut bien l'appeler par son nom, même si cela contrarie M. Hyest - est dominé par des phénomènes de concentration jusqu'alors inconnus, et par les risques que les monopoles font courir à la liberté des citoyens-consommateurs, nous prenons des dispositions pour tenter de faire en sorte qu'au moins ce capitalisme reste pluriel.
En effet, nous, socialistes, nous pensons que l'Etat, loin d'être « le plus froid des monstres froids », dont il faut toujours se méfier, doit être un Etat social et, pour ce faire, un Etat régulateur, un Etat garant de l'équilibre de la société, garant de la cohérence du fonctionnement de cette société et garant de la solidarité qui doit régir les relations entre les citoyens.
Une méthode que nous considérons comme une vraie politique, la régulation, et en particulier la régulation intelligente des mécanismes de l'économie par l'Etat, doit permettre à la société de n'être pas seulement façonnée par la fameuse « main invisible du marché », que personne, évidemment, n'a encore pu voir.
Nous savons tous, en effet, que les forces du marché livrées à elles-mêmes sont source de désordre et d'inégalités. La concurrence dans l'initiative, dans la création, dans la production, est stimulante et génératrice de richesses. La compétition est normale entre les entrepreneurs comme entre les commerçants. Mais cette compétition doit être régie selon des règles simples, claires, justes et reconnues : il y va de l'intérêt de tous les citoyens, qu'ils se trouvent dans la situation de salarié, de consommateur, d'investisseur ou d'entrepreneur.
L'Etat que dessine le texte que nous allons étudier est un Etat régulateur, c'est-à-dire un Etat volontaire, un Etat organisé pour pouvoir arbitrer dans le sens de l'intérêt général ; un Etat qui, en conséquence, établit des règles du jeu permettant aux acteurs économiques, qu'ils soient des grands groupes industriels, commerciaux ou financiers, ou encore de simples PME, qu'ils soient des producteurs ou des consommateurs, qu'ils soient des salariés ou des actionnaires, de jouer leur rôle, tout leur rôle, en parfaite connaissance de cause et dans la transparence la plus grande possible ; un Etat qui est le seul à disposer de la légitimité nécessaire pour incarner et défendre l'intérêt général.
Sans l'intervention de l'Etat, les libertés sont souvent formelles : la liberté d'entreprendre n'est-elle pas souvent bridée par les difficultés des entrepreneurs à accéder aux financements ou par l'insuffisance de leur couverture sociale ?
C'est pourquoi nous saluons l'initiative du Gouvernement, qui, par le biais de ce projet de loi, cherche à corriger certains dysfonctionnements de la vie économique et à réduire certains de ses déséquilibres, certaines inégalités. Ainsi, ce projet de loi vise à moderniser l'économie de marché en la rendant plus transparente.
Dans le domaine financier, il s'agit d'abord d'impliquer les salariés des entreprises dans les opérations de cession et de fusion, afin que celles-ci se passent dans la transparence, la clarté et le respect de l'égalité entre les diverses parties prenantes de ces opérations.
Et il bien normal que les salariés soient associés à des opérations qui ont souvent de si grandes conséquences pour leur situation et pour leur avenir ! Quand je dis que cela est bien normal, ça l'est du moins à nos yeux à nous, socialistes, dont la vision de la société et la conception de l'entreprise mettent l'homme, le citoyen, la réalisation de ses légitimes aspirations à une vie meilleure au centre de l'activité économique et, par conséquent, au centre de la vie de l'entreprise.
De plus, les fusions sont des opérations de haute stratégie qui réunissent d'autant mieux qu'elles ont su emporter l'adhésion des personnels concernés, grâce à l'implication de ceux-ci et à leur association aux grandes décisions.
Pour cette raison, nous pouvons nous féliciter que le projet de loi prévoie une information officielle des salariés de l'existence d'une OPA - offre public d'achat - ou d'une OPE - offre publique d'échange - et nous approuvons le fait que le comité d'entreprise puisse inviter l'auteur de l'offre à s'expliquer sur ses objectifs et sur les moyens qu'il compte mettre en oeuvre pour les atteindre.
Le même souci d'amélioration de la transparence des opérations financières délicates que sont les OPA et les OPE amène, afin d'assurer la stabilité et la fiabilité du système financier français, à prévoir la limitation de la durée de ces opérations et un renforcement des pouvoirs de la Commission des opérations de bourse en matière de contrôle de la véracité et de la sincérité de l'information du public et, de façon générale, en matière de publicité desdites offres.
De la même façon, afin d'assurer une plus grande transparence dans le fonctionnement des autorités de régulation financière, celles-ci seront dotées d'instruments juridiques renforcés pour assurer l'égalité de traitement des divers intervenants. Ainsi le rôle du comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement se trouvera-t-il affermi.
Dans le domaine des relations financières internationales, c'est avec beaucoup de satisfaction que nous voyons se concrétiser le renforcement du dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux. Il convient en effet d'accroître les moyens de la lutte contre le recyclage de l'argent du crime, du trafic de stupéfiants et du proxénétisme, qui sape les bases de nos règles de vie en commun, car la mise à mal de nos règles fiscales, sociales et morales constitue une menace majeure non seulement pour nos économies mais aussi pour nos démocraties.
Le texte du projet de loi prévoit ainsi le renforcement des moyens des autorités françaises chargées de détecter les flux financiers en provenance ou à destination des pays ou territoires dans lesquels les conditions de sécurité fiancière ne sont pas réunies en particulier ce qu'il est convenu d'appeler les « centres offshore » : une obligation de déclaration systématique des transactions financières devrait permettre de répondre aux problèmes posés par ces centres.
S'il est prévu que la mise en oeuvre de mesures comme celle-ci soit progressive et réalisée en coordination avec nos partenaires étrangers, le projet de loi prévoit de renforcer dès maintenant notre dispositif interne de lutte contre le blanchiment de l'argent sale, notamment en clarifiant la notion de soupçon et en élargissant les possibilités de sanctions pénales à d'autres activités financières délictueuses. La France se situe ainsi dans le groupe d'avant-garde des pays qui luttent contre ce type de criminalité. Nous devons saluer avec fierté cet engagement fort.
Mon collègue Bernard Dussaut, membre de la commission des affaires économiques, interviendra tout à l'heure sur la partie du projet de loi qui traite de la régulation de la concurrence. Je me bornerai donc à souligner que les mesures prévues par ce projet visant à créer les conditions d'une concurrence plus loyale s'inscrivent dans le droit-fil de la philosophie qui a présidé à l'élaboration de l'ensemble du texte : il n'est que de citer la liberté des contrats, la loyauté de la concurrence, le meilleur contrôle des concentrations, la lutte contre les abus de position dominante, le soutien aux petits producteurs, la défense des consommateurs ; il s'agit, en bref, de la régulation économique au service de la cohésion sociale.
La troisième partie du projet de loi est consacrée à la régulation de l'entreprise, et celle-ci constitue bien la cellule de base de la vie économique. Réguler le fonctionnement de la vie économique en favorisant l'équilibre des pouvoirs au sein de l'entreprise est donc une nécessité en soi. Mais c'est aussi une démarche qui vise à améliorer l'efficacité économique de l'entreprise.
Les administrateurs doivent être plus présents et davantage concernés par la stratégie de leur entreprise. Le pouvoir de direction de celle-ci doit être mieux réparti. Les actionnaires minoritaires doivent cesser d'être considérés comme quantité négligeable : ils doivent pouvoir jouer leur vrai rôle d'actionnaire.
En effet, les grands groupes économiques et financiers se développent et leurs actionnaires se multiplient. Cette évolution appelle la mise en oeuvre d'une démocratisation de ce que l'on peut appeler le « gouvernement » de l'entreprise. Il s'agit donc de rénover de mode de fonctionnement des sociétés commerciales comme celui des entreprises du secteur public.
Il nous faut par conséquent, mes chers collègues, rechercher un fonctionnement plus équilibré et plus transparent des organes dirigeants des entreprises faisant appel à l'épargne. Il faut assurer un meilleur équilibre des pouvoirs entre les organes dirigeants. La mission du conseil d'administration doit être clarifiée, de même que doivent être précisées les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général. Le cumul des mandats d'administrateur doit être limité. Les sociétés doivent se convertir à davantage de transparence, par exemple en matière de rémunération des mandataires sociaux. Le pouvoir des actionnaires minoritaires doit être renforcé grâce, notamment, à l'abaissement du seuil d'exercice de certains droits essentiels dans le domaine de la gestion.
Toutes ces dispositions, que le projet de loi qui nous est soumis nous permet d'envisager concrètement, devraient permettre aux différentes parties prenantes à la gestion de l'entreprise de mieux exercer leurs responsabilités, de participer davantage à l'élaboration de ses orientations stratégiques, de mieux contrôler ses activités, et tout cela pour le plus grand bien de l'entreprise comme de ceux qui y travaillent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je me réjouis que le Parlement - aujourd'hui, le Sénat - ait à examiner toute une série de dispositions régulatrices qui constituent autant d'avancées. Elles seront suivies par d'autres mesures, découlant d'autres textes que nous aurons à connaître.
Ces dispositions traduisent notre capacité à adapter nos modes d'action aux évolutions de l'économie et de la société, afin de corriger les excès de la première et de rendre la seconde plus humaine.
Enfin, ces dispositions, pour nombreuses, précises et détaillées qu'elles soient, n'en relèvent pas moins d'une philosophie qui fait honneur à la gauche : la philosophie de la liberté, du contrat social, de l'équilibre, de l'égalité, de la solidarité et de la justice. Si je devais me risquer à résumer d'une formule cette philosophie qui est la nôtre et qui nous conduit à adhérer totalement à votre démarche, monsieur le ministre, je dirais ceci : c'est la liberté qui stimule, mais c'est la loi qui libère. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'une question décisive pour l'avenir de notre économie. En effet, la mondialisation crée une situation qui se caractérise par la distorsion des revenus et des coûts, avec toutes les conséquences qui peuvent en découler.
Mes propos seront brefs et traiteront du problème posé par la grande distribution.
Très regroupées - elles sont cinq et font trembler une armée de petites et moyennes entreprises - les centrales d'achat, goulet d'étranglement du circuit marchand, commercialisent dans les faits plus de 90 % des produits alimentaires de notre pays.
On retire de la lecture du rapport parlementaire sur l'évolution de la distribution le sentiment que rien n'arrêtera le rouleau compresseur du grand commerce. Nous avons entendu tous les acteurs, grands distributeurs et fournisseurs, et nous avons constaté l'inégalité des situations : la grande distribution a acquis une telle puissance qu'elle écrase tout sur son passage, à l'exception peut-être de quelques multinationales capables de lui résister.
Les exemples sont nombreux dans la vie économique ; je prendrai celui du secteur des fruits et légumes, qui, en permanence, subit le sinistre de plein fouet. La profession se retourne alors vers le Gouvernement, afin qu'il sécurise la production des fruits et légumes en la réglementant et en moralisant les pratiques commerciales de la grande distribution, détentrice de 70 % de ce secteur du marché français.
Voilà des années que les producteurs de fruits et légumes travaillent à perte, qu'ils « vivotent », alors qu'ils constatent souvent un coefficient multiplicateur de dix entre le prix payé à l'exploitant et celui qu'ils voient au détail. On les maintient « sous perfusion » à coup d'aides.
Non seulement les coûts salariaux sont trop élevés, notamment les charges - ce qui est malheureusement propre à la France - mais la grande distribution est exigeante avec les producteurs, qui font pourtant des efforts considérables pour valoriser leur production et cherchent à offrir toujours plus de qualité, plus de traçabilité. Malheureusement, ils ne sont pas payés de retour et peuvent être balayés d'un revers de main par la grande distribution, et ce du jour au lendemain.
Le Gouvernement a-t-il réellement pris la mesure des enjeux ? Ses propositions, lors des assises du commerce et de la distribution, nous ont semblé bien tardives !
Dans leur rapport, les parlementaires font une analyse qui nous paraît lucide : la loi existe pour protéger les plus faibles ; cependant, il reste des failles, qui, au fil du temps, se transforment en canyons, dans lesquels s'engouffrent des milliards de francs. Tel est le cas des « marges arrières ». Ainsi, très souvent, les paiements au titre de la coopération commerciale ne correspondent plus à aucune réalité. Comment ne pas s'interroger, lorsque l'on sait que la réglementation existe mais est mal appliquée ? L' omerta - la loi du silence, respectée par les victimes de peur de représailles de la part de la grande distribution - ne suffit pas à expliquer le faible nombre des sanctions. Le secteur des fruits et légumes est le plus touché par ce déséquilibre.
Comment ne pas évoquer les pratiques commerciales de la grande distribution, que rend également possibles l'incapacité de la profession à s'organiser ? Pourtant, des organismes existent ; mais ils déçoivent les producteurs. Aujourd'hui, s'ajoute à cela la concurrence de l'hémisphère Sud : la Nouvelle-Zélande, le Chili, l'Argentine, entrent de plus en plus sur le marché européen et offrent notamment des fruits à coûts moindres et, malheureusement, sans être tenus au respect des normes imposées aux producteurs français. Là encore, les producteurs s'en remettent à l'Etat, puisque, contrairement aux autres secteurs de l'agriculture, le marché des fruits et légumes est totalement libre.
A défaut de lois réglementant leurs relations avec la grande distribution, les producteurs de fruits et légumes sont impatients de voir votée cette loi relative aux régulations économiques.
C'est donc sur les comportements qu'il faut intervenir, en définissant des règles du jeu claires et en en contrôlant la mise en oeuvre ; en reconnaissant la situation de dépendance économique par une sanction renforcée des abus ; en réaffirmant le rôle de l'Etat, qui doit pouvoir intervenir au nom de l'ordre public économique ; enfin, en développant une contractualisation, dans laquelle les producteurs doivent sinon reprendre l'initiative, du moins jouer tout leur rôle. A défaut, la pérennité de l'activité agricole et agroalimentaire, génératrice d'emplois dans un grand nombre de territoires, risque d'être affectée.
Si la loi Galland de juillet 1996 a éradiqué certaines pratiques, notamment la revente à perte - donc le discount pur et dur - les producteurs et les fournisseurs, en particulier les PME, se trouvent dans une situation de dépendance économique encore plus grande qu'hier du fait de la concentration d'une distribution qui, malheureusement, est en mesure d'imposer ses conditions.
Le véritable enjeu, au nom des intérêts bien compris de notre pays, n'est-il pas d'assurer d'abord une juste préservation des PME et des PMI, moteurs de la croissance économique ?
Jusqu'à ce jour, il a toujours été clair que les PME et PMI, « dominées », ne pouvaient pas se plaindre sans encourir le risque d'être « déréférencées ». C'est d'autant plus évident que la taille de l'entreprise fournisseur est plus petite.
Comment ne pas reconnaître l'effet dévastateur des regroupements et reclassements intervenant entre les enseignes de la grande distribution ? Trop longtemps, hélas, la puissance publique a feint de croire que les « ententes illicites » ne se rencontraient jamais que du seul côté des industriels, les dérapages de la grande distribution se trouvant pudiquement passés sous silence, en réalité au motif inavoué de mieux maîtriser l'inflation et de favoriser le pouvoir d'achat des consommateurs.
La grande distribution est un système féodal, sans contrepouvoir. Il n'est que temps aujourd'hui de faire cesser ces pratiques. Les producteurs se demandent vraiment s'il est encore possible de rester entrepreneur face à un tel pouvoir !
Ce que les producteurs-fournisseurs demandent - et nous les soutenons sur ce point - c'est que la coopération commerciale fictive soit rendue impossible ; que les pratiques rétroactives soient interdites ; que la compensation soit sanctionnée ; que la menace du déréférencement cesse d'être utilisée de façon arbitraire ; et, plus généralement, que la dépendance économique des fournisseurs ne soit pas exploitée de façon abusive. Dans le même temps, nous sommes convaincus que le dialogue interprofessionnel est également essentiel pour mettre un terme aux pratiques abusives et pour promouvoir les bons usages. Malheureusement, l'expérience nous montre que ce dialogue, qui repose sur le seul volontariat, n'aboutit pas ou ne donne naissance qu'à des accords qui sont contournés dès qu'ils sont conclus.
Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, je souhaite que le projet de loi soit amendé sur un certain nombre de points, notamment en ce qui concerne la commission d'examen des pratiques commerciales et sa composition ; les dispositions relatives au déréférencement brutal, qui doit être défini de façon plus précise ; la définition réglementaire des marques de distributeurs ; les délais de paiement ; enfin, l'ensemble des abus que nos talentueux rapporteurs ont évoqués.
Madame le secrétaire d'Etat, je vis au milieu de ces producteurs agricoles inquiets et désenchantés, de ces petites et moyennes entreprises du textile et de l'habillement, qui, tous, sont étouffés. Que ce sentiment d'étouffement ne se transforme pas en désespoir, avec toutes les conséquences qui peuvent en découler !
Mon voeu le plus cher est que ce projet de loi atteigne son objectif et ramène une sérénité qui n'aurait jamais dû disparaître. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous discutons aujourd'hui du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques.
Malgré la présence de l'adjectif « nouvelles », c'est un grand classique qui nous est proposé, comme l'ont rappelé nos excellents rapporteurs MM. Philippe Marini, Pierre Hérisson, Jean-Jacques Hyest et Jean Chérioux, puisque les sujets abordés sont disparates et mêlent droit boursier, droit financier, droit des sociétés, lutte contre le blanchiment de l'argent sale, distribution, concurrence, etc.
Il s'agit d'un texte d'opportunité, présenté sans véritable construction cohérente et relevant du patchwork législatif.
Il s'agit aussi d'un texte au parcours chaotique, surtout depuis le dernier remaniement ministériel : des amendements gouvernementaux ont été retirés, comme celui qui portait sur le « dégroupage » de France Télécom ; dans d'autres domaines, le Gouvernement hésite à engager les réformes - cela a été rappelé tout à l'heure par M. le ministre - comme celle des autorités de régulation ou celle du service bancaire de base. C'est donc notre commission des finances qui proposera, par voie d'amendement, la réforme de la COB !
La variété de ces thèmes explique que j'aie choisi de centrer mon propos sur la distribution, plus particulièrement la distribution des produits agricoles.
Le paysage dans lequel se déroulent les relations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs a changé ; de nouvelles pratiques sont apparues, dont certaines ont eu des effets pervers qui appellent effectivement des modifications radicales.
Depuis la loi Galland de 1996, les relations entre les fournisseurs et la grande distribution ont connu de profondes évolutions. Nous constatons d'abord une accélération des concentrations, phénomène qui a bien été décrit tout à l'heure. Ainsi, dans le secteur de la distribution, les cinq premières centrales d'achat, qui représentaient 28 % des ventes en 1980, atteignent désormais la barre des 94 %.
Par ailleurs sont apparues des pratiques commerciales discriminatoires qui constituent de nouvelles formes d'abus de dépendance. Deux pratiques faussent gravement une relation commerciale équitable : il s'agit, d'une part, du phénomène dit de « marge arrière » et, d'autre part, des modalités d'élaboration des prix sur catalogue.
La « marge arrière » consiste pour le distributeur à faire payer au fournisseur une série de services qu'il est censé lui avoir rendus. Or, dans bien des cas, les avantages financiers sont perçus sans réelle contrepartie, ce qui porte préjudice tant aux consommateurs qu'aux acteurs économiques eux-mêmes. En effet, réduire la marge des fabricants ou des producteurs revient à limiter leur capacité à investir et à innover. Cela les conduit parfois tout simplement à constater une marge négative.
Une autre pratique provoque de graves distorsions au détriment des producteurs, celle des prix sur catalogue des fruits et légumes, qui est une véritable « monstruosité économique ». Nous en connaissons maintenant tous le mécanisme : en début de saison, les distributeurs annoncent à leurs clients, par des documents imprimés, des prix très bas établis pour toute la saison, au moment où les producteurs mettent sur le marché leur première récolte, qui est rare et qui est généralement chère. Une telle pratique oriente fictivement les prix à la baisse et pousse les producteurs dans leurs derniers retranchements, c'est-à-dire à la vente à perte. Dès lors, toute la filière de production subit les contrecoups de cette désorganisation.
Enfin, s'agissant du cas particulier du secteur des fruits et légumes, la crise de l'été 1999 et celle de l'été dernier pour la pêche et la nectarine ont clairement mis en lumière le déséquilibre des relations commerciales entre producteurs et distributeurs.
Nous devons tirer toutes les conséquences de ces crises en reconnaissant, d'abord, l'échec du double étiquetage mis en place en août 1999 et en prenant, ensuite, toutes les dispositions nécessaires pour que la crise de 1999 ne se reproduise pas. Je rappellerai que les pertes du secteur des fruits et légumes se sont élevées cette année à 1,1 milliard de francs.
Face à ces situations, vous concevrez aisément, mes chers collègues, qu'il est impératif de disposer d'un cadre législatif adapté. Notre objectif est de rééquilibrer les relations commerciales et de lutter contre des pratiques qui menacent des secteurs entiers de notre économie, au risque de les voir disparaître : le producteur doit pouvoir vivre correctement de la vente de ses produits.
Dans cette perspective, plusieurs aspects du projet de loi nous paraissent importants ; nous entendons les compléter par plusieurs amendements.
Premièrement, il faut encadrer les promotions pour les produits alimentaires périssables en subordonnant les annonces de prix à l'existence d'un accord interprofessionnel. Tel est l'objet de l'article 27 du projet de loi, qui permet, en outre, d'encourager les négociations interprofessionnelles.
Deuxièmement, j'apporte mon soutien à l'amendement de notre collègue M. Hérisson, qui vise à mieux encadrer la coopération commerciale pour remédier aux « marges arrière ».
Troisièmement, nous devons veiller à ce que les informations données sur les produits soient claires et rigoureuses, afin que le consommateur puisse faire son choix en toute connaissance. A ce titre, nous sommes favorables à une définition précise, par décret, du concept d'« agriculture raisonnée ».
Dans le même ordre d'idées, il est nécessaire de s'assurer de la lisibilité des différents labels et appellations permettant d'identifier une production de qualité : le producteur et le consommateur n'ont rien à gagner à la confusion des informations et des sigles. C'est pourquoi, dans le droit-fil de la proposition de notre collègue Michel Pelchat, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, nous souhaitons que l'appellation « chocolat pur beurre de cacao » soit exclusivement réservée au chocolat produit avec des fèves de cacaoyer, sans adjonction de matière grasse de substitution.
MM. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis, et Jean-Patrick Courtois. Très bien !
M. Joël Bourdin. Parallèlement, nous devons veiller à ce que les marques de distributeurs n'annihilent pas les mentions valorisantes propres aux signes officiels de qualité qui sont appliqués à des modes de production spécifiquement agricoles.
Enfin, dans certains cas, les producteurs doivent être protégés. Ainsi, il est important de préciser les conditions de rupture d'une relation commerciale, en particulier par un préavis non seulement écrit mais motivé.
De même, le rapport présenté par la commission d'examen des pratiques commerciales ne doit pas être un simple rapport descriptif, il faut qu'il puisse contenir des recommandations ; son utilité réside dans l'identification rapide des dérives et dans la proposition de solutions pour y remédier.
Pour conclure, le volet « distribution » de ce projet de loi demeure modeste, surtout au regard des ambitions affichées à l'automne dernier par le Gouvernement, avant la tenue des assises du commerce et de la distribution.
Nous devons, certes, assainir certaines pratiques commerciales, et nous faisons d'ailleurs des propositions dans ce sens. Nous devons aussi sécuriser certaines productions agricoles qui paient très cher des conditions de distribution draconiennes. Nous devons, au total, corriger l'asymétrie des relations entre producteurs et distributeurs lorsque le déséquilibre est tel qu'il porte préjudice à l'une des parties.
Cependant, nous devons garder à l'esprit la signification du mot « régulation ». Selon le Robert , la régulation est « le fait de maintenir en équilibre, d'assurer le fonctionnement correct », en l'occurrence du marché.
Nous devons donc veiller à ce que les tentations apparemment irrépressibles de la majorité plurielle ne la conduisent insidieusement à un retour au dirigisme économique et à la multiplication des réglementations. Bien au contraire, il nous semble que la responsabilisation des acteurs, la négociation et la contractualisation doivent primer.
En conséquence, le groupe des Républicains et Indépendants adopterea ce texte tel qu'il sera amendé par le Sénat.
Je terminerai mon propos en formulant deux recommandations.
Tout d'abord, s'il faut modifier la loi ; nous y sommes prêts. Il faut aussi que le Gouvernement ait le courage d'engager, en partenariat avec les acteurs économiques, la réforme de certaines filières, car seuls des producteurs forts et organisés pourront se défendre collectivement avec efficacité.
Ensuite, le Gouvernement doit se donner les moyens d'un contrôle rigoureux, qui permette de sanctionner rapidement les dérives, car il est préférable d'appliquer totalement les textes en vigueur plutôt que d'envisager un nouveau texte plus contraignant. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, adopté en conseil des ministres au mois de mars dernier, le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques est soumis au Sénat six mois après son examen par l'Assemblée nationale.
M. Philippe Marini, rapporteur. L'urgence !
M. Jean-Patrick Courtois. Le caractère particulièrement « serré » de l'emploi du temps parlementaire jusqu'à la fin de l'année 2000, ajouté au calendrier électoral du premier trimestre de l'année 2001, fait que ce projet de loi sera promulgué près d'un an après le début de son examen. Voilà qui relativise considérablement la déclaration d'urgence faite par le Gouvernement !
M. Philippe Marini, rapporteur. Certes !
M. Jean-Patrick Courtois. Avec M. le président du Sénat et M. le rapporteur général, que nous félicitons vivement de la qualité de son travail et de la précision de son rapport, nous regrettons une certaine banalisation de la procédure d'urgence. Agir ainsi, c'est, de la part du Gouvernement, donner l'illustration d'une volonté de ne pas laisser la réflexion parlementaire aller à son terme.
M. Philippe Marini, rapporteur. Effectivement ! M. Jean-Patrick Courtois. Ce projet de loi est le reflet assez fidèle de la politique menée en matière économique par le Gouvernement : une politique au fil de l'eau, sans réelles priorités définies.
Il faut rappeler les conditions dans lesquelles est apparu ce texte. Voilà plus d'un an, le 13 septembre 1999, le Premier ministre vint déclarer au journal télévisé du soir : « Il ne faut pas attendre tout de l'Etat et du Gouvernement. Ce n'est pas par la loi, par les textes, que l'on va réguler l'économie »,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Il avait raison !
M. Jean-Patrick Courtois. ... ou « administrer l'économie » puisqu'il paraît que le Premier ministre avait commis un lapsus en utilisant le mot « réguler ».
D'ailleurs, la nuance entre les termes « réguler » et « administrer » est si subtile qu'elle a même échappé au ministère de l'économie, qui a utilisé le terme « régulations » dans l'intitulé du projet de loi. Peut-être le Gouvernement proposera-t-il au Sénat un amendement tendant à remplacer le mot « régulations » par le mot « administrations », afin de se conformer à l'exacte pensée du Premier ministre.
M. Philippe Marini, rapporteur. Pensée qui évolue !
M. Jean-Patrick Courtois. En tout état de cause, quel aveu pour les tenants d'une politique keynésienne et quelle tempête dans les rangs de la majorité plurielle, où certains se sont même laissés aller à dénoncer « la dérive libérale du Gouvernement » !
Afin de rendre quelques couleurs à sa majorité abasourdie, le Premier ministre annonçait quelques jours plus tard le dépôt d'un projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, qui se voulait être l'arme absolue contre la mondialisation, le capitalisme et le libéralisme. Quel programme ! Mais quelle déception lorsque le dispositif du projet de loi fut rendu public ! La bonne dénomination de ce texte, nous la devons à M. le rapporteur, et je la reprends bien volontiers à mon compte : il s'agit non pas de régulations économiques, mais de diverses dispositions d'ordre économique, juridique, comptable et financier, qui devront être examinées comme telles.
Certes, de nombreuses dispositions de ce texte auront pour effet d'accentuer la mainmise de la sphère publique sur les relations entre personnes privées, qu'elles soient commerciales, financières ou contractuelles. C'est à cette dérive que nous opposerons notre foi dans l'homme, plutôt que dans l'Etat omniprésent et omnipotent. Les amendements que présenteront les collègues de mon groupe seront tous empreints de cette certitude : en économie, la liberté est toujours préférable à la contrainte, et la souplesse à la rigidité.
La bonne approche de la notion de régulation économique concilie la loi et la liberté de choix des acteurs. Le mode naturel et légitime d'intervention des pouvoirs publics est la loi. C'est à l'Etat et aux organismes de contrôle compétents de veiller à sa totale application. Pourtant, il ne s'agit pas pour l'Etat de fixer les moindres détails. Il convient de laisser une marge de liberté aux acteurs économiques, d'encadrer les choix, et non de les imposer. La loi ne doit pas augurer le choix qui sera finalement effectué par les acteurs économiques.
S'il est une critique qui peut être faite à ce texte, c'est son absence de dimension internationale. Le Gouvernement s'enferme dans une vision franco-française de l'économie,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Effectivement.
M. Jean-Patrick Courtois. ... alors que celle-ci est complètement ouverte sur l'extérieur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Absolument !
M. Jean-Patrick Courtois. Faute d'avoir déterminé précisément le champ ouvert à une régulation nationale et celui qui nécessite une coordination européenne, le Gouvernement cantonne son projet de loi dans des domaines où la régulation seulement nationale est totalement inefficace et, le plus souvent, contre-productive.
L'autre erreur commise par le Gouvernement est d'avoir limité son texte aux seules grandes entreprises, alors que sur 2,3 millions d'entreprises, plus de deux millions sont des petites et moyennes entreprises. Cultivant une méfiance à l'égard du monde de l'entreprise, la majorité plurielle tente de lever l'une contre l'autre l'entreprise vue comme une égoïste créatrice de valeurs et la société dans son ensemble. Cette diabolisation de l'entreprise permet, par ailleurs, de mettre en permanence les entreprises à contribution à l'occasion des majorations d'impôts et de charges, si nombreuses depuis trois ans.
L'Etat aurait été dans son rôle de régulateur si le Gouvernement avait initié la profonde réforme du droit des sociétés qui est nécessaire pour nos entreprises, tout particulièrement pour les plus petites d'entre elles. Il convient, dans ce cadre, de rapprocher les différentes formes de sociétés françaises des modèles européens existants ; on pense ici, bien sûr, à la SARL française, dont le statut devrait être rapproché de celui de la GmbH allemande, ou à la nécessité de donner un véritable statut juridique aux groupes.
M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. Mais aucune réforme ambitieuse n'est soumise à l'examen du Parlement, alors même que le temps joue contre la compétitivitié de nos entreprises vis-à-vis de celles de nos voisins.
Dans la partie relative à la régulation financière, les dispositions relatives au déroulement des offres publiques d'achat ou d'échange ont retenu toute notre attention. Il est incompréhensible que le Gouvernement et sa majorité aient décidé d'introduire des notions relevant du droit du travail dans un domaine du droit boursier.
M. Philippe Marini, rapporteur. Absolument !
M. Jean-Patrick Courtois. Il en va ainsi de la privation des droits de vote rattachés aux actions, lorsque l'auteur de l'OPA ou de l'OPE refuse de répondre à l'invitation du comité d'entreprise à venir expliquer sa stratégie. Il s'agit d'une atteinte évidente au droit de propriété, qu'il convient de dénoncer. Notre groupe, qui a déposé un amendement visant à supprimer ce dispositif, la dénoncera. Cette disposition du projet de loi illustre la méconnaissance de l'entreprise par le Gouvernement. En effet, pour qu'une OPA fonctionne, l'attaquant a tout intérêt à aller devant le comité d'entreprise et à dévoiler clairement ses objectifs et ses projets.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation. Oh non !
M. Jean-Patrick Courtois. Cette attitude a d'ailleurs été adoptée par le président de la BNP au moment des offres sur Paribas et la Société Générale.
Avant que s'entame la première lecture devant le Sénat, la partie du projet de loi relative au droit boursier revêtait une véritable curiosité : les vrais problèmes n'y étaient pas traités. Ainsi, la multiplicité des organismes de régulation dans le domaine financier n'aurait sans doute pas fait l'objet d'un amendement de fusion des organismes par le Gouvernement devant le Sénat, après son silence devant les députés, si le rapporteur générale de notre commission des finances n'avait tenu à analyser le problème et à formuler des solutions dans son rapport.
Sur le problème de la lutte contre le blanchiment des capitaux, nous ne pouvons qu'approuver les principes, mais nous rejetons les moyens proposés par le Gouvernement, dont l'efficacité et la portée peuvent être mises en cause.
Les propositions qui nous seront exposées par notre commission des finances, inspirées par son récent rapport relatif à un nouvel ordre financier mondial, recevront notre total soutien. Il nous semble, à ce sujet, que la démarche du Sénat soit beaucoup plus constructive que celle qui a été adoptée par la majorité de l'Assemblée nationale.
Pour ce qui est des relations commerciales et de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, ce projet de loi est l'occasion pour le Gouvernement de procéder à une « reréglementation », notamment par le renforcement de certaines prérogatives du pouvoir exécutif et de l'administration. Les difficultés qui existent entre les distributeurs et les producteurs ne seront pas résolus par un alourdissement des mesures d'encadrement administratif. Au contraire, ce type de mesures est, à l'évidence, à l'origine de la multiplication des approvisionnements de la grande distribution hors de France.
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est vrai !
M. Jean-Patrick Courtois. A cet alourdissement, il convient d'ajouter les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale qui, pour les unes, seront inapplicables et, pour les autres, sont contraires à notre droit.
Un certain nombre d'amendements que nous présenterons tendront à remédier à ces défauts de conception. Nos propositions marqueront notre différence d'approche avec celle qu'a choisie le Gouvernement. Pour ce dernier, le seul objectif est le renforcement de la zone d'influence de la sphère publique dans des relations entre acteurs privés. A l'inverse, notre démarche consiste à regretter cette immixtion permanente.
Un autre exemple illustre bien cette différence de conception : les relations entre production et distribution ont déjà fait l'objet d'un empilage d'une multitude de textes sans que l'on soit parvenu à un résultat réellement satisfaisant. La solution prônée par le Gouvernement est d'ajouter un nouvel étage à l'édifice, au risque d'ailleurs de le fragiliser un peu plus. C'est la conséquence d'une vision quelque peu déséquilibrée des relations commerciales, dans lesquelles le Gouvernement s'obstine à vouloir faire de l'autorité publique le centre de tout.
Notre groupe partage l'analyse développée par le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, que nous tenons à féliciter de la clarté de ses propositions. Ce n'est pas le rôle du législateur de remettre en cause le principe de la coopération commerciale qui relève par nature de la libre négociation contractuelle, même si c'est à lui de s'assurer que c'est dans le cadre qu'il a déterminé que celle-ci s'inscrit.
Par ailleurs, nous revendiquons la transparence des relations contractuelles entre distributeurs et fournisseurs. Or la multiplication des règles ne constitue en aucun cas l'assurance que cet objectif de transparence soit plus facilement atteint ; c'est peut-être même le contraire.
Notre groupe manifeste une certaine inquiétude au regard de la trop grande sollicitude manifestée par le Gouvernement à l'égard des entreprises dans la troisième partie du projet de loi. Le Gouvernement a manifesté des intentions plutôt positives en souhaitant assurer une place plus prépondérante à la notion de « gouvernement des entreprises » dans le droit des sociétés. Malheureusement, sans vision d'ensemble du droit des sociétés, nous en sommes restés, au pire, au stade des intentions ou, au mieux, à celui de l'impression de réforme.
Dans ces conditions, nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement n'ait pas nourri sa réflexion et son analyse à la meilleure source, en prenant en considération les travaux effectués en 1996, à la demande du Premier ministre, par le rapporteur général de notre commission des finances, sur la modernisation du droit des sociétés. Comme le rapporteur de la commission des lois du Sénat, comment ne pas regretter l'absence de cohérence d'une politique qui consiste à modifier le droit des sociétés par petites touches dans des textes disparates et sans unité ?
Le groupe du RPR proposera la suppression de l'article 55 A prévoyant l'attribution de droit d'une action au comité d'entreprise, étant donné son caractère juridiquement approximatif et inutile au regard des pouvoirs déjà détenus par le comité d'entreprise.
Sur le sujet délicat de la limitation du cumul des mandats, notre groupe s'en remettra aux solutions équilibrées proposées par nos rapporteurs.
Enfin, nous ne pouvons que déplorer les conditions dans lesquelles a été modifié le régime fiscal applicable aux stock-options. Il convient donc de soutenir les propositions de la commission des finances tant sur le délai d'indisponibilité que sur les taux d'imposition récemment aggravés par le Gouvernement.
Finalement, ce projet de loi n'est à la hauteur ni des promesses du Premier ministre ni des enjeux propres aux domaines qu'il prétend réformer.
Paradoxalement, le rôle des salariés dans les entreprises n'est pas clarifié. Le texte adopté par l'Assemblée nationale manque à la fois d'ambition et de souffle. C'est à cette tâche qu'il convient maintenant de s'atteler pour apporter à notre économie les conditions d'un développement harmonieux, à l'abri des à-coups des réglementations successives.
Telles sont toutes les raisons pour lesquelles le groupe du Rassemblement pour la République apportera son soutien aux propositions des rapporteurs et restera attentif au sort qui sera réservé aux siennes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui, très médiatisé lors de son passage à l'Assemblée nationale, était attendu par l'opinion publique. Et pour cause ! Il avait pour objectif, selon l'aveu de M. le Premier ministre, de résoudre des situations telles que l'« affaire Michelin ».
Sans anticiper sur les propos de mon collègue Paul Loridant, je rappellerai brièvement les faits. En septembre 1999, la société Michelin affiche des bénéfices en hausse de 22 % et, quasiment dans le même temps, son président-directeur général annonce un plan dit « social » se traduisant par 7 500 licenciements. A l'annonce de ces licenciements, le cours de l'action Michelin s'envole. L'émotion et la colère des salariés de cette entreprise et, plus largement, de nos concitoyens qui se sont exprimés alors étaient légitimes.
Comment ne pas se sentir révolté ou tout du moins désappointé par la brutalité de cette réalité ?
Dans le même esprit, comment ne pas se sentir frustré ou, tout du moins, déçu par le texte que nous examinons aujourd'hui et qui devait apporter une solution à ce type de situations ?
Nous apprécions incontestablement un certain nombre de dispositions que ce projet de loi prévoit. Le groupe communiste républicain et citoyen ne manquera d'ailleurs pas de soutenir toutes les mesures lui semblant aller dans le bon sens. Pour autant, nous regrettons que ce texte, après avoir fait l'objet d'annonces éminemment politiques, manque singulièrement d'ambition politique et d'efficacité.
En fait, de quoi est-il question ? Il s'agit d'un toilettage de mesures existantes. Le Gouvernement procède à une actualisation et à une réglementation des relations contractuelles ou conflictuelles qui ont cours dans les stratégies d'entreprises sans rien remettre en cause de l'architecture actuelle. Il légitime les mouvements de capitaux, même s'ils se révèlent contraires à l'intérêt général. Sans tenter de les limiter significativement, il rend plus strictes les modalités de fusion, de concentration, afin de lutter contre les concurrences déloyales ou le blanchiment de l'argent sale.
Enfin, il rend le statut des entreprises plus collégial, à défaut de le rendre démocratique, en respectant mieux les droits des petits actionnaires mais en restant muet sur les droits à accorder aux salariés, qu'ils soient actionnaires ou non.
Force est de constater que ce texte ne répond pas à l'ambition initiale qui avait guidé sa rédaction.
Les illustrations de ce fait sont nombreuses. En effet, qu'est-ce que la consultation de la COB, la Commission des opérations de bourse, et du CECEI, le comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, proposée par ce texte, aurait changé à la captation du Crédit commercial de France par la HSBC, la Hong Kong and Shangai Banking Corporation ?
Quels effets cette loi aurait-elle eu sur des mouvements de concentration tels que ceux qui ont été opérés par Renault et Nissan, TotalFina et Elf ou la BNP et Paribas
Quels outils présentés dans ce projet de loi sont-ils de nature à lutter contre le mouvement des capitaux, qui, par leurs combinaisons réussies ou non, défavorisent des populations considérables ?
Se dégage-t-il de ce texte la volonté de créer une autorité politique capable de faire valoir une incompatibilité entre ces procédés et la politique monétaire, financière, sociale de la France ?
A toutes ces questions, nous sommes dans l'obligation de répondre par la négative.
Nous ne sous-estimons pas le travail accompli par l'Assemblée nationale, qui, d'ailleurs, a quelque peu amélioré les dispositions proposées : c'est d'ailleurs pourquoi nous soutiendrons, si elles sont mises en débat, un certain nombre de mesures positives.
Toutefois, et de façon plus fondamentale, nous regrettons que la logique de financiarisation de l'économie, avec toutes ses conséquences négatives sur l'économie réelle, ne soit pas contestée dans la philosophie et les dispositions mêmes du projet. Comme nos collègues communistes de l'Assemblée nationale, nous analysons ce texte comme une adaptation à la logique spéculative, à la croissance fictive qui se développe de manière irrationnelle, à la multiplication des bulles financières qui aspirent la substance monétaire au détriment des activités sociales, économiques, écologiques et humaines, qui sont pourtant l'expression de la vraie vie.
Nous attendions l'esquisse d'une autre construction économique et financière, transformant qualitativement notre façon de produire, répartissant les richesses et partageant les pouvoirs, au service d'un développement dynamique, solidaire, dans le cadre d'une mondialisation tenant compte de la diversité des cultures et des territoires.
En résumé, nous souhaitions rompre avec la logique de guerre économique qui domine aujourd'hui et se traduit par une concurrence sauvage, exacerbée par l'économie virtuelle, cette économie qui serait la seule capable de nous faire entrer dans la modernité, et ce malgré les conséquences désastreuses que nous observons chaque jour.
Les parlementaires communistes appellent de leurs voeux des réformes structurelles. Bien entendu, ces réformes nécessitent ambition, courage politique et aussi inventivité. Mais les points d'appui ne manquent pas pour y parvenir.
En effet, des organisations comme la coordination pour un contrôle citoyen de l'Organisation mondiale du commerce ou celles qui sont présentes à Seattle, à Boston ou à Washington se font jour. Elles réfléchissent, proposent et agissent. Elles souhaitent, elles aussi, de nouvelles lois de régulation, fondées sur un contrôle démocratique des ressources, le respect des écosystèmes, l'égalité, la coopération et le principe de précaution.
Permettez-moi de développer quelques-unes de nos propositions qui prendront la forme d'amendements que le groupe communiste républicain et citoyen vous présentera au fil des articles.
Tout d'abord, nous présenterons une série d'amendements cosignés avec d'autres collègues, membres du groupe parlementaire ATTAC. L'amendement le plus important vise bien entendu à mettre en oeuvre la taxe Tobin sur les flux transnationaux de capitaux. Mais un certain nombre de ces amendements portent également sur le renforcement de la lutte contre les paradis fiscaux et le blanchiment des produits du trafic des stupéfiants et de l'activité des organisations criminelles.
Je citerai enfin, s'agissant de cette série d'amendements, ceux qui tendent au rétablissement du droit de timbre et de l'impôt de bourse dont sont exonérées les opérations effectuées par des investisseurs non résidents. En effet, cet impôt de bourse, supprimé par M. Balladur en 1993, pourrait faire figure de mini-taxe Tobin, car il ne porte que sur le marché des actions et non sur celui des changes. Je rappelle que cet impôt est appliqué aux résidents et que, s'il était élargi aux non-résidents au même taux, c'est-à-dire 0,15 %,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Ils iraient ailleurs !
Mme Odette Terrade. ... il rapporterait 18 milliards de francs par an.
M. Philippe Marini, rapporteur. Mais non ! Cela ne rapporterait rien !
Mme Odette Terrade. Cette somme est dérisoire par rapport au rendement de la bourse de Paris, qui a augmenté de 52 %, en 1999 !
Il suffirait de porter cet impôt à 1 % pour que 120 milliards de francs soient collectés.
M. Philippe Marini, rapporteur. Mais non !
Mme Odette Terrade. Avouez qu'amputer de 1 % les opérations boursières, qui portent chaque année sur 12 000 milliards de francs, ne mettrait pas les actionnaires sur la paille !
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est une illusion complète !
Mme Odette Terrade. Cette disposition pourrait également contribuer à instaurer plus d'équité fiscale entre souscripteurs et permettrait ainsi de s'attaquer à la part toujours plus grande qu'occupent les placements venant de l'étranger.
Toujours dans la première partie de ce projet de loi, relative aux régulations financières, nous proposerons des dispositions s'attaquant aux spéculations abusives afin de contenir la croissance financière lorsqu'elle ne s'appuie pas sur celle de l'économie réelle.
S'agissant des offres publiques d'achat, les OPA, et des offres publics d'échanges, les OPE, nous sommes très attachés à offrir aux salariés et à leurs représentants des droits nouveaux leur permettant d'être informés, mais également de prendre une part plus active dans les décisions, en particulier lors d'OPA, d'OPE, de fusions, d'absorptions, de concentrations et lorsque l'emploi est en jeu.
Concernant la lutte contre le blanchiment de l'argent, nous notons positivement les améliorations proposées par le texte, notamment après son passage à l'Assemblée nationale. Il était urgent de s'attaquer à ce problème car, je le rappelle, selon le Fonds monétaire international, le blanchiment représenterait 1 000 milliards d'euros.
Nous proposerons trois amendements lors de l'examen de ce titre. Le premier vise à impliquer l'ensemble des membres des professions juridiques indépendantes qui participent, dans le cadre de leur profession, à la conception ou à la réalisation de transactions de blanchiment de capitaux provenant du trafic des stupéfiants.
Nos deux autres amendements visent à étendre les sanctions aux centres financiers off shore, aux paradis fiscaux et autres zones de non-droit.
La deuxième partie de ce projet de loi concerne la régulation de la concurrence.
La domination qu'exerce aujourd'hui les distributeurs tant sur les PME du secteur industriel ou agro-alimentaire que sur les consommateurs au travers de l'abaissement des critères de qualité démontre combien il est nécessaire de favoriser l'émergence de nouvelles relations entre producteurs et distributeurs.
Cette problématique est d'ailleurs similaire dans les domaines de la production intellectuelle et artistique. C'est pourquoi nous présenterons un amendement visant à interdire les offres d'accès illimité aux cinémas appartenant à des entreprises réalisant plus de 0,5 % des entrées sur le territoire métropolitain, comme UGC l'a fait au détriment des petites salles, qu'elles soient d'art ou d'essai, ou dans les zones rurales.
On assiste aujourd'hui à de larges mouvements de restructuration et de concentration qui affectent le bon fonctionnement de la concurrence, l'équilibre des relations entre les entreprises et, par voie de conséquence, les prix et l'emploi.
Dans le secteur de l'agro-alimentaire, on assiste au diktat des groupes d'achat qui écrase les petits producteurs. L'offre d'un bas prix pour les consommateurs ne doit pas servir d'alibi à ces pratiques déloyales qui menacent nos producteurs. La préoccupation des cinq centrales d'achat qui distribuent à elles seules 93,60 % des produits alimentaires dans notre pays est, n'en doutons pas, exclusivement financière.
Le groupe communiste républicain et citoyen souhaite confirmer l'ordonnance de 1986 qui donne la possibilité au Gouvernement d'agir sur les prix agricoles en cas de crise.
Nous souhaitons également que le rôle du conseil de la concurrence soit étendu en élargissant son champ de compétences aux opérations de concentration. Ces opérations nous semblent d'ailleurs devoir faire l'objet de plus grands contrôles, notamment par leur notification au ministre chargé de l'économie.
Enfin, la troisième partie du projet de loi dont nous discutons aujourd'hui est relative à la régulation de l'entreprise.
Là encore, madame la secrétaire d'Etat, nous restons sur notre faim.
Conformément aux objectifs affichés par M. Jospin, nous aurions souhaité que vous nous proposiez un dispositif interdisant aux entreprises réalisant des bénéfices substantiels de procéder à des plans dits « sociaux ». Je me permets de souligner qu'aux dégâts sociaux que de telles opérations produisent s'ajoute un pillage éhonté des fonds publics. En effet, ces plans appelés « sociaux » sont souvent réalisés alors que ces mêmes entreprises reçoivent de l'argent public au nom de l'emploi.
A cet égard, je rappelle que le groupe communiste républicain et citoyen a déposé une proposition de loi relative à la constitution d'une commission de contrôle des fonds publics accordés aux entreprises.
S'agissant des stocks-options, nous pensons qu'il est indispensable de clarifier leur régime fiscal, en considérant leur caractère anti-économique au regard de l'économie réelle.
Comme pour la sphère politique, la volonté du projet de loi de limiter le cumul des mandats dans les entreprises a beaucoup été commentée. Nous pensons qu'il convient de mieux dissocier les pouvoirs dans toutes les entreprises. Une présence significative des salariés dans tous les lieux de décision, y compris au conseil d'administration, nous semble nécessaire.
Avant de conclure, je voudrais dire quelques mots sur les modifications apportées par les différentes commissions saisies, en particulier la commission des finances.
Lorsque l'on parle de nouvelles régulations économiques, certains, tels MM. les rapporteurs, tirent de cette définition un sens particulier. Pour eux, cela signifie que l'on accepte comme indépassables, indiscutables « l'économie ultra-libérale » et son cortège de ravages et que, dès lors, toute mesure de caractère législatif est directement liée à la seule adaptation de la société à ces modalités de fonctionnement économique !
Dans son essence, le présent projet de loi peut donc tout à fait convenir à la majorité sénatoriale, qui retrouve là une partie de ses préoccupations. C'est le cas pour la modernisation du droit des sociétés qui procède du mode de fonctionnement des entreprises anglo-saxonnes. C'est également le cas pour la place particulière des autorités indépendantes ou professionnelles dans le contrôle de telle ou telle activité et donc pour la dissolution du rôle de l'Etat, du politique, du « démocratique élu » au bénéfice d'organismes tendant à définir entre « initiés » les règles du jeu. C'est certainement là la vision de la « liberté par rapport à la contrainte », citée par l'orateur précédent.
Mais cette démarche trouve tout de même quelques limites : ainsi, une forte volonté de lutter contre l'argent sale est affichée. On s'interroge aussi sur l'intentionnalité du délit.
De même, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous appelez de vos voeux la gouvernance d'entreprise et le renforcement des pouvoirs de l'assemblée générale des actionnaires, mais, surtout, vous souhaitez réduire la portée de l'intervention des instances de représentation du personnel et vous vous montrez plus que réservés lorsqu'il s'agit de transparence de la rémunération des dirigeants...
Les parlementaires communistes républicains et citoyens ne se satisfont pas, quant à eux, du fonctionnement actuel de l'économie de marché. Et ce texte, qui ne vise qu'à en corriger les effets les plus négatifs, ne peut remporter notre totale approbation !
Nous pensons qu'un autre fonctionnement de notre économie est possible. J'ai tenté, à l'aide de la série de propositions que je viens d'énoncer, d'en tracer une ébauche. L'adoption des amendements du groupe communiste républicain et citoyen permettrait de répondre aux attentes de nombre de nos concitoyens, qui aspirent tout comme nous à l'inversion de la logique dominante. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, proposé aujourd'hui à l'examen du Sénat, est d'un grand intérêt par la variété des sujets abordés et par le souci de moralisation des pratiques financières qui l'inspire.
Plusieurs niveaux d'intervention caractérisent les mesures qu'il contient.
Tout d'abord, ce projet intervient après de nombreux débats sur la nécessité de fixer des règles dans l'organisation et le fonctionnement des systèmes fondés sur l'actionnariat.
Il vise, ensuite, à pallier les lacunes juridiques dans la nébuleuse des liens douteux entre l'argent sale et les circuits financiers.
Enfin, il prend en compte l'existence de déséquilibres profonds entre certaines catégories de partenaires économiques.
A un moment où notre pays redécouvre régulièrement que certaines sphères économiques n'ont d'autre règle que celle du plus fort et que la croissance et les bénéfices toujours plus importants des grandes entreprises n'empêchent ni les licenciements massifs ni les politiques de délocalisation, ce projet arrive donc à point.
Il nous donnera, je l'espère, l'occasion d'exprimer la primauté du politique sur l'économique dans l'élaboration des grandes orientations de tout projet de société : comment rester de marbre, mes chers collègues, face aux exigences de certains actionnaires dans leur soif toujours plus insatiable de bénéfices, comment demeurer inerte face aux pratiques commerciales déloyales, hélas trop courantes, où le plus fort a le dernier mot ?
Le projet de loi qui nous est proposé permet une meilleure appréhension du phénomène de la déréglementation et de l'abus de position dominante auxquels il convient d'apporter des limites.
Ainsi, dans le droit-fil de ce projet de loi, le moment est venu d'instituer une taxe sur les mouvements de capitaux spéculatifs, destinée à lutter contre leurs incidences négatives qui aboutissent le plus souvent à des crises économiques graves.
Cette taxe serait due par les établissements de crédit et par les entreprises d'investissement. Ses modalités d'établissement, de liquidation et de recouvrement seraient identiques à celles qui sont prévues pour les prélèvements sur les produits de placement à revenu fixe ; nombre de nos collègues soutiendront d'ailleurs avec moi cette idée. Sans vouloir m'attarder sur les détails, les débats qui suivront la fin de la discussion générale ne manqueront pas de souligner le bien-fondé de toute disposition visant à s'opposer aux mouvements anarchiques de vente et d'achat de capitaux à caractère spéculatif.
Dans le même esprit, et après avoir approuvé les grandes orientations de ce texte, j'aimerais apporter modestement ma pierre à l'édification d'un nouvel ensemble de règles dans le domaine bancaire.
Mes chers collègues, il faut bien en convenir : l'accession de toutes les couches de la population aux services bancaires de base n'est plus aujourd'hui réalisée, alors qu'il s'agit d'un élément constitutif de la citoyenneté. Les chiffres actuels sont éloquents : 5 à 6 millions de Français sont exclus du système bancaire, et ces chiffres ne font que croître. Cette croissance est d'autant plus choquante et injuste que les résultats financiers des principales banques françaises ne cessent de progresser.
C'est pourquoi, fort de ces constatations, j'ai déposé un certain nombre d'amendements tendant à instaurer un service universel bancaire gratuit garantissant une gamme complète de prestations de base. En effet, ce service universel bancaire s'adresserait à tous les usagers, sans exception, y compris aux petits revenus. Par le truchement d'un fonds de compensation, se mettrait en place un mécanisme financier capable d'inciter tous types d'établissements à élargir leur clientèle, ce qui encouragerait une meilleure implantation territoriale et un accès facilité pour les personnes les plus démunies.
M. Jean-Marc Pastor. Très bien !
M. Gérard Delfau. Je sais que cette idée d'un service universel de base gratuit et ouvert à tous fait l'objet d'un grand nombre d'amendements, provenant de tous les groupes de notre Haute Assemblée.
Le débat devra, pourtant, clarifier la position de chacun sur un point crucial : comment ce service sera-t-il financé ? Nos collègues de la majorité sénatoriale envisagent-ils, pour être plus précis, que ce coût soit financé par une tarification des chèques, mesure impopulaire ?
M. Henri de Raincourt. Oh non !
M. Gérard Delfau. Si oui, pourquoi ne le disent-ils pas ?
Ou alors s'agira-t-il d'une surfacturation des autres services, ce qui pèserait lourdement sur les usagers les moins fortunés ?
Il est du devoir du législateur d'assumer la responsabilité de ses choix et de dire qui, in fine , paiera la note.
C'est en raison de cette objection que j'ai prévu un amendement de repli créant des comptes sécurisés destinés à réintégrer les quelques millions de Français exclus du système bancaire. Je propose, à cet effet - m'appliquant ainsi la règle que je viens d'édicter - un mode de financement à partir d'un fonds de compensation alimenté par une taxe fiscale.
L'intérêt de cette méthode est de choisir une cible plus restreinte, dont le coût serait infiniment moins élevé ; et d'inciter fermement l'ensemble du système bancaire à prendre en charge tous les citoyens, quels que soient leurs revenus, et tout le territoire, y compris les zones rurales et les quartiers urbains sensibles.
Le Sénat n'échappera pas à ces questions. Il ne peut espérer résoudre par un texte si vague des problèmes qui concernent des millions de personnes et qui sont, chacun d'entre nous le sait, si sensibles dans l'opinion publique.
Il serait, enfin, souhaitable que ce service bancaire de base garantisse l'accès à des prêts à vocation sociale et à des prêts d'honneur pour la création d'entreprise. Je présenterai aussi des propositions à ce sujet.
De même faut-il revoir, je le dis au passage, la loi de 1991 qui frappe les émissions de chèques sans provision et qui multiplie les interdits bancaires. Les pénalités ne sont-elles pas disproportionnées, et l'Etat doit-il continuer à prélever sa dîme sur des situations de détresse ?
Telles sont, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les caractéristiques du service universel bancaire et du service bancaire de base que je tenais à vous proposer. La solidarité nationale exige une telle clarification ; et la décision concernant l'exclusion bancaire est depuis trop longtemps attendue.
L'efficacité économique y trouvera, elle aussi, son compte. Le Sénat, qui s'est souvent préoccupé du problème de l'exclusion bancaire, ferait preuve, en adoptant ces amendements, de modernité et d'équité.
Quoi qu'il en soit, pour en revenir à l'ensemble du texte, j'aurai à coeur, avec mes collègues radicaux de gauche du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, d'améliorer tout au long des débats un projet de loi dont j'approuve l'esprit et le courage. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Dussaut.
M. Bernard Dussaut. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon intervention portera sur la deuxième partie du projet de loi, et plus particulièrement sur la moralisation des pratiques commerciales et la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles entre fournisseurs et distributeurs, notamment.
Après le constat d'un malaise profond dans les relations commerciales, il était urgent de mettre en place des mécanismes de régulation afin de moraliser les relations, de lutter plus efficacement contre les pratiques anticoncurrentielles et d'organiser les échanges de manière plus transparente.
C'est ce qu'attendent de ce projet de loi les acteurs du monde économique concernés que nous avons pu rencontrer.
Plusieurs dispositions vont dans le bon sens, notamment celles qui encadrent les conditions de rupture entre les producteurs et les distributeurs.
Par ailleurs, les propositions concernant l'étiquetage des produits sous marque de distributeur, qui imposent de faire figurer le nom et les coordonnées du fabricant - lequel se trouve souvent en situation de dépendance par rapport à un distributeur - sont différemment appréciées. Peut-être trouverons-nous un compromis afin que le fabricant puisse faire le choix de voir ou non figurer son nom sur le produit ?
Un des dispositifs centraux de la deuxième partie de ce texte est la création d'une commission d'examen et d'observation des pratiques commerciales.
La mise en place d'une instance de consultation, sorte de juge de paix, est nécessaire. Elle devra délibérer sur le principe des pratiques générales et non pas sur les pratiques individuelles. Il faudra cependant veiller à ce qu'elle ne soit pas paralysée pour cause d'encombrement, à ce qu'elle ne se transforme pas en une sorte de juridiction corporatiste, où certains refuseraient alors de siéger : elle se révélerait alors totalement inopérante.
Je souhaiterais enfin faire remarquer que l'économie de marché s'inscrit dans une trilogie production-distribution-consommation et que le consommateur a indéniablement un rôle à jouer dans cette commission. C'est pourquoi nous déposerons un amendement tendant à organiser une représentation des organismes agréés de consommateurs, ce qui n'est pas prévu pour l'instant.
En un mot, cette commission sera ce qu'en feront ses acteurs. Elle doit, à mon sens, être une instance préventive.
Ce texte comprend également des éléments de répression, avec des conséquences financières plus importantes que celles qui sont en vigueur actuellement pour les auteurs de pratiques abusives. Les mécanismes de sanction prévus permettront sans conteste une moralisation dans ce domaine.
Ce projet de loi, enrichi par l'Assemblée nationale, n'instaure pas un nouveau droit de la concurrence, mais de nouvelles réglementations de ce droit. C'est un texte dont les objectifs sont clairs : respect des acteurs minoritaires du marché ; renforcement de la transparence économique ; attribution de moyens efficaces aux autorités de régulation.
Nous espérons que sa discussion au Sénat ne remettra pas en cause l'équilibre ainsi affirmé. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la deuxième partie du présent projet de loi est consacrée à la moralisation des pratiques commerciales et à la régulation de la concurrence.
Dans un contexte général marqué par une asymétrie des relations entre producteurs et distributeurs, les mesures proposées tendent à renforcer l'effectivité du droit de la concurrence et à favoriser le développement de meilleures pratiques commerciales par des modifications de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, ainsi que par un toilettage du code de la consommation.
La situation de l'été 1999, qui a opposé les producteurs de fruits et légumes à la grande distribution, a été à l'origine des Assises de la grande distribution et de ce second volet du projet de loi.
Cette crise qui a frappé les producteurs de fruits et légumes a mis en lumière le déséquilibre des relations commerciales entre producteurs et distributeurs. Illustrant, pour certains, les pressions que font peser les distributeurs de produits alimentaires sur les producteurs, cette crise a effectivement révélé des dérives de comportement préjudiciables aux fournisseurs. Mais elle fut également la manifestation d'une situation générale dégradée, dont le comportement de la grande distribution n'est pas la cause unique, et qui trouve ses racines dans l'évolution générale du paysage commercial français.
Le mouvement de concentration des grandes enseignes commerciales a pris, depuis quelques années, une nouvelle dimension.
La progresssion constante des grandes surfaces à dominante alimentaire, la fusion récente entre Carrefour et Promodès - après celles d'Auchan et de Mamouth, de Leclerc et de Système U - ont alerté les producteurs, les conduisant à se demander si cette évolution leur laissait une quelconque marge de manoeuvre dans la négociation, en dépit même du fait que la France ne soit pas, dans ce secteur, particulièrement plus concentrée que ses principaux voisins européens.
Chacun connaît le rapport de forces qui caractérise la relation fournisseurs-distributeurs : d'une part, des producteurs et des fournisseurs agricoles et agro-alimentaires nombreux et insuffisamment organisés, d'autre part, une distribution puissante et toujours plus concentrée.
Les abus constatés et dénoncés, notamment dans le rapport de la commission d'enquête parlementaire de MM. Le Déaut et Charié, concourent aux difficultés rencontrées par les producteurs et fournisseurs, du secteur agro-alimentaire notamment.
Il faut souhaiter que le projet de loi puisse avoir des effets positifs si, en fixant mieux les limites de la liberté contractuelle, il parvient à redéfinir un cadre dans lequel la négociation commerciale s'exerce au bénéfice des deux parties.
Mais, pour que cette négociation réussie existe, il faut au préalable une meilleure organisation des producteurs et des filières, ce que l'on appelle « les bonnes ententes ».
Certes, un certain nombre de dispositions, dont les dernières ont été votées dans la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, vont dans le bon sens. Mais sont-elles suffisamment utilisées ?
La prohibition absolue des ententes a, dans le passé, freiné et placé dans l'insécurité les acteurs de l'agriculture, alors que la taille des exploitations de notre pays, toujours petites par rapport au marché, doit nous conduire vers une organisation économique plus fiable. Les pouvoirs publics doivent l'encourager, sous peine de devoir, à chaque nouvelle crise, « jouer les pompiers ».
Ce nouvel environnement impose, à l'évidence, un rééquilibrage des relations entre les deux parties, qui, sans négliger l'importance de la contractualisation, adapte le cadre législatif à une réforme des pratiques commerciales.
On peut regretter que d'autres voies de rééquilibrage n'aient pas été explorées : d'un côté, celles qui auraient privilégié l'organisation de la profession elle-même, à savoir les producteurs, autour de centrales d'offres capables de regrouper une part importante de la production et de modifier ainsi le rapport de force existant ; de l'autre, celles qui auraient permis d'encourager le développement d'une économie contractuelle entre producteurs et distributeurs.
La contractualisation ne règle pas la question du prix, mais elle permet d'assurer des débouchés et d'éviter, chez les producteurs, l'effet de panique que suscitent les crises annoncées.
Quant aux entreprises coopératives, qu'elles soient grandes, petites ou moyennes, elles ont une caractéristique commune : elles sont liées aux territoires par leurs hommes et par leurs produits. Elles ne peuvent délocaliser leurs « bassins » pour aller s'approvisionner ailleurs et moins cher. C'est leur mision et leur rôle qui les distingue d'autres PME du secteur agroalimentaire.
La relation contractuelle est au coeur de la relation commerciale entre les partenaires de la filière. Il faut souhaiter que les règles du jeu soient définies et respectées, et que les abus soient sanctionnés. En ce sens, la création de la commission d'examen des pratiques commerciales est une innovation. Espérons qu'elle permettra de mieu réguler les abus dans les pratiques commerciales et ne participera pas à un effet d'annonce sur des séries de mesures sans réelle efficacité à long terme.
Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, nous souhaitons voir le dispositif de cette deuxième partie du projet de loi amélioré sur certains points que nous estimons fondamentaux.
Nous prônons ainsi un même délai de paiement pour tous les produits alimentaires ; un contrat entre industriels et distributeurs qui décrit précisément les prestations fournies par les distributeurs ; un fonctionnement opérationnel de la commission d'examen des pratiques commerciales ; une obligation de motiver le préavis de déréférencement ; un préavis de six mois en cas de déréférencement d'une marque de distributeur ; enfin, une clarification des règles d'étiquetage pour éviter la confusion entre la marque de l'enseigne distributrice du produit et la marque du fabricant du produit.
Nous avons, en conséquence, déposé quelques amendements portant sur ces dispositions essentielles.
Je dirai, pour conclure, que nous souhaitons avant tout que, avant de fixer de nouvelles contraintes, avant de créer un nouveau carcan qui empêcherait le marché de jouer son rôle et qui contraindrait les distributeurs à aller peut-être s'approvisionner à l'étranger pour fuir les rigueurs de la loi, il faudrait faire en sorte que les contraintes existantes puissent s'appliquer déjà effectivement.
Le cadre législatif et réglementaire en vigueur est aujourd'hui inopérant ou contourné. Puisse cette nouvelle loi infléchir le rapport de forces qui s'est établi entre les producteurs et la grande distribution, rapport de forces qui permet à cette dernière d'exiger de ses fournisseurs des avantages que ceux-ci ne peuvent pas lui refuser !
Pour ces motifs, nous sommes favorables à ce que l'ordonnance de 1986, sans être refondue, soit toutefois révisée, afin d'être applicable de façon plus réaliste. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, légiférer est décidément un art difficile. Il consiste, en particulier, à éviter des « lois inutiles qui affaiblissent les lois nécessaires », vieux conseil de Montesquieu.
Alors, sommes-nous aujourd'hui dans cette épure ? J'en doute fortement, malgré les propos, que j'ai écoutés avec beaucoup d'attention, de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ni absence, ni omniprésence de l'Etat, nous dit-il. Fort bien ! Mais je ne trouve pas dans ce texte de contenu correspondant à cette intention.
« Nouvelles régulations économiques » ! L'enseigne est scintillante, mais le magasin est hétéroclite et bien décevant. Dans cette espèce de brocante législative, je trouve tout ce qui ne devrait pas figurer dans une loi de régulation et je ne trouve rien de ce qui serait vraiment nécessaire à la compétitivité de notre économie.
Je cherche à comprendre le concept de régulation à la française. Je crains qu'il ne s'agisse pas seulement de réguler, c'est-à-dire de définir et d'améliorer les règles du jeu du marché pour qu'il soit loyal et protecteur des plus faibles.
J'ai bien peur que nous n'assistions à une réglementation masquée faisant descendre l'Etat de son rôle d'arbitre et de garant jusqu'à celui d'intervenant.
Permettez-moi, madame le secrétaire d'Etat, de vous dire mon inquiétude.
D'abord ce texte ressemble à l'habillage, qui se veut séduisant, d'un ensemble hétéroclite particulièrement surprenant.
Comme l'a fort bien dit, avec beaucoup de justesse, M. le rapporteur général de la commission des finances, notre excellent collègue Philippe Marini, ce texte n'est jamais qu'un nouveau DDOEF. L'innovation majeure, c'est qu'il s'agit sans doute du plus « fourre-tout » des textes de ce genre. Je crois que le plus fin des juristes y perdra son latin.
Ainsi collectionne-t-il des dispositions techniques sur des sujets aussi divers que le droit boursier et financier, le droit des sociétés, la lutte contre le blanchiment de l'argent sale ou la distribution et la concurrence.
On se demande, dès lors, quelle réflexion d'ensemble et quelle cohérence ont pu présider à l'élaboration de ce florilège !
La seule réponse plausible, c'est malheureusement l'opportunité. Il fallait bien donner un signe fort à l'opinion, que l'on avait fait rêver avec les cagnottes successives. «Français, ne vous inquiétez pas ! On ne vous rendra rien de ce que l'on vous a pris, mais le Gouvernement régule » !
Et c'est bien là la seconde réalité contestable de ce texte : sa vocation idéologique. Les députés socialistes ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, qui l'ont considéré comme un texte de « limitation du capitalisme ». Voilà de nouveau la gauche cédant à ses vieux démons, la gauche qui a « toujours cru que l'égalité consistait à trancher ce qui dépasse ».
Le psychodrame des stock-options est la parfaite illustration des motivations idéologiques du Gouvernement. Alors que ces options d'achat d'actions sont le plus souvent attribuées par les entreprises à leurs cadres dirigeants pour les motiver et les fidéliser, la majorité plurielle a accru la taxation des plus-values les plus importantes, pour ne prévoir qu'un allégement - très conditionnel - des plus petites. Ce régime fiscal, fruit d'un compromis passé avec le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, fait sourire la presse étrangère et risque de faire fuir encore un peu plus les équipes dirigeantes françaises à l'étranger.
M. Philippe Marini, rapporteur. Mme Terrade sera contente !
M. Bernard Plasait. A cet égard, je ne saurais trop rappeler l'urgence pour notre pays de prendre en compte les conclusions de l'excellent rapport du président de la commission des affaires économiques, M. François-Poncet, sur la fuite de nos cerveaux à l'étranger.
Autre exemple de la dérive idéologique de ce texte, la transparence imposée partout. En effet, le renforcement de la transparence des opérations financières et du pouvoir des autorités de régulation ne saurait suffire à assurer la stabilité de notre système bancaire.
De même, en matière de droit des sociétés, le projet de loi établit les règles du « gouvernement d'entreprise ». D'aucuns lui reprocheront alors son caractère minimaliste car, dépourvue de force contraignante, la réforme ne va pas jusqu'au bout de la logique. D'autres - et je suis de ceux-là - se demandent s'il fallait vraiment légiférer de cette façon, tant il est essentiel d'engager une vraie modernisation de notre droit des sociétés, vaste réforme qui dépasse largement les seuls principes du corporate governance.
En outre, je crois qu'il eût été préférable d'avoir un vrai débat sur l'organisation du pouvoir et sur les mécanismes de contrôle au sein de l'entreprise, notamment sur la base des rapports Viénot et à la lumière des expériences anglosaxonnes.
Quoi qu'il en soit, je tiens à exprimer des réserves quant à la totale transparence des rémunérations des dirigeants sociaux, qui, pour des raisons culturelles que je crois évidentes, me semble difficilement transposable en droit français.
Dans cette logique, et même si cela ne me paraît pas suffisant, j'approuve pleinement la proposition du rapporteur général de supprimer l'obligation faite aux dix salariés les mieux payés de rendre publics leurs rémunérations et leurs stock-options.
Ce qui est réellement préjudiciable à nos entreprises, c'est ce que ne contient pas ce projet de loi, qui n'est, de facto, que l'arbre qui cache la forêt des réformes de fond que le Gouvernement se refuse à engager.
Une chose est certaine, la France est malade de son Etat, un Etat tentaculaire et budgétivore.
On ne nationalise plus, mais on réglemente toujours plus, réduisant chaque jour davantage le champ des libertés économiques.
Depuis 1997, les prélèvements se sont accrus de 523 milliards de francs. Pourtant, chaque année, le Gouvernement essaie de nous faire croire que les impôts baisseront. Chaque fois, il a été contredit par les faits.
En trois ans, il a créé quinze nouveaux impôts ou nouvelles taxes. Il a fait adopter à la sauvette plus de trente mesures d'augmentation !
Plus les déclarations gouvernementales en faveur de la création d'entreprises se multiplient, plus la fiscalité les accable.
M. Marc Massion. Et la TVA Juppé !
M. Bernard Plasait. Alors oui, madame le secrétaire d'Etat, l'impôt sur les sociétés diminuera en 2001. La suppression de la majoration de 10 % permettra effectivement de revenir au taux de 33,3 %. Mais il ne faudrait quand même pas oublier que le Gouvernement a créé, l'année dernière, une contribution sociale sur les bénéfices de 10 %. Cela s'appelle « un jeu à somme nulle ».
J'ajoute que le taux d'imposition des bénéfices restera supérieur, en France, à celui qui est en vigueur chez nos principaux partenaires, soit 36 % chez nous, alors qu'il n'est que de 30 % au Royaume-Uni et de 25 % en Allemagne.
Dans ces conditions, comment s'étonner de la baisse de nos exportations enregistrée ces derniers mois ? Depuis quatre ans, nos entreprises ont fortement réduit leurs investissements, au point qu'elles sont aujourd'hui sous-équipées et qu'elles ne peuvent pas répondre à la demande étrangère,...
M. Marc Massion. C'est faux !
M. Bernard Plasait. ... surtout en ce qui concerne les produits à forte intensité technologique.
Les 43,7 % du PIB de prélèvements obligatoires pénalisent gravement nos produits et nos services.
Alors que l'initiative individuelle devrait être vivement encouragée, la fiscalité sur le revenu l'entrave.
Là encore, madame le secrétaire d'Etat, vous annoncez une baisse de 43 milliards de francs pour les trois ans à venir, après avoir annulé, en 1997, le plan Juppé de baisse de l'impôt sur le revenu portant sur 75 milliards de francs. Vous le pouvez d'autant mieux que l'impôt sur le revenu devrait augmenter de 60 milliards de francs pour la seule année 2000.
Vous comptez ramener le taux marginal de 54 % à 52,5 % en 2003. C'est mieux qu'en 1982, où vous aviez créé une super-tranche à 65 %. Mais que de chemin encore à parcourir ! Le taux marginal sera de 42 % en Allemagne et il est déjà de 40 % au Royaume-Uni.
Dès lors, comment s'étonner que nos jeunes, entreprenants, deviennent des entrepreneurs à l'étranger ? Comment s'étonner que les diplômés français, aux compétences mondialement reconnues, aillent de plus en plus recueillir les fruits de leurs efforts outre-Manche et outre-Atlantique ?
Une fiscalité aussi confiscatoire ne peut que faire des ravages. l'Etat doit dépenser moins, l'Etat doit dépenser mieux. La compétitivité de notre économie est à ce prix. Il y a urgence.
D'après l'enquête réalisée cette année par le World Economic Forum , la France est au quinzième rang pour la compétitivité actuelle et au vingt-deuxième pour le potentiel de compétitivté.
Aussi, madame le secrétaire d'Etat, je vous dirai tout simplement ceci : rendez aux Français leur argent ! (Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.) C'est la seule régulation qui vaille. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce texte fait, dès son intitulé, un abus de langage : il utilise le mot « régulation » alors qu'il ne propose que de la « réglementation » ! Il m'inspire trois réflexions ; j'allais dire trois désillusions !
Oui, c'est un texte qui réglemente plus qu'il ne régule !
Le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques était présenté par le Gouvernement comme l'alpha et l'oméga d'une « meilleure organisation vis-à-vis de l'évolution de l'économie mondiale ». En fait, le contenu du projet de loi est inversement proportionnel aux effets d'annonce.
Au fond, il ne s'agit que d'un texte fourre-tout, sans ambition, relevant d'ailleurs, à certains moments, plus du domaine réglementaire que législatif. C'est en fait un projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique, juridique, comptable et financier, qui complète et amende la législation en vigueur.
Puisque l'on parle de « régulations économiques », de fait, il y a tromperie sur la marchandise, et la plupart des vraies questions posées par les conséquences de la mondialisation sur notre économie ne trouvent pas les vraies amorces de réponses dans ce texte.
Avec 8 000 lois, 100 000 décrets, 360 000 règlements, 30 000 textes d'origine européenne et 30 codes, n'était-il pas temps d'aller vers un peu plus de simplification ? Ne vaut-il pas mieux, chaque fois que possible, remplacer le détail de la loi par le contrat ?
La bonne approche de la régulation consisterait en fait à fixer les principes d'en haut et à régler les choses d'en bas.
On ne peut donc pas parler de régulations alors que la conséquence du texte est l'alourdissement de la pression réglementaire et des contrôles, là où tout devrait être fait pour assurer un meilleur fonctionnement de l'économie. L'économie ne fonctionnera pas de manière plus satisfaisante si l'on étend encore plus l'intervention de l'Etat.
Ce projet est l'illustration, une fois encore, des travers de l'économie réglementée, cause des blocages les plus répandus dans notre société : blocages des initiatives individuelles, découragement de l'esprit d'entreprendre, incitation - Bernard Plasait l'a évoqué - au départ des créateurs de richesses et d'emplois vers des terres plus propices au développement de leurs activités !
Réglementer encore plus l'économie constitue, pour l'Etat, le risque de prendre un retard difficile à rattraper. A l'heure de la mondialisation des échanges et des nouvelles technologies, il s'agirait d'aller vers plus de souplesse dans les échanges économiques, et les conditions favorables à cette souplesse sont absentes de ce texte. En réglementant à nouveau dans des domaines où la sphère publique se trouvait un peu en retrait, le Gouvernement place la société dans une situation d'inadaptation aux défis économiques de demain.
Très concrètement, le Gouvernement n'est pas allé au bout de la logique de la régulation ; il a refusé à l'économie ce qu'il avait accordé à d'autres domaines.
Par exemple, en matière de concurrence, le Gouvernement refuse de faire du Conseil de la concurrence une instance libérée de la tutelle de l'Etat et va même, à l'inverse, renforcer cette tutelle ainsi que les pouvoirs du ministre compétent en matière de concurrence ; Philippe Marini l'a dit clairement dans ses propos liminaires.
Par ailleurs, le Gouvernement se refuse à débattre de la création d'une autorité de régulation postale adossée à l'Etat, alors même qu'une telle autorité pourrait être un élément important à la fois de la protection, de la modernisation et de l'adaptation de notre grand opérateur de service public : La Poste.
Alors, je dois dire ma désillusion.
Ma deuxième désillusion a déjà été largement évoquée : le Parlement est si peu respecté !
Il va s'écouler un an entre le début de l'examen de ce texte par l'Assemblée nationale et la promulgation de la loi, qui, dans les meilleurs délais, n'interviendra qu'au printemps prochain pour motifs de session budgétaire et d'élections municipales. Ainsi est illustré le peu de respect du Gouvernement - en tout cas de considération - envers le Parlement. L'utilisation abusive de la procédure d'urgence - M. Marini y a fait allusion tout à l'heure, reprenant les mots du président Poncelet - c'est ce que j'appelle, moi, paraphrasant pitrement Goethe : « l'urgence lente »... (Sourires.)
L'urgence lente, c'est une réalité de la discussion d'aujourd'hui, qui nous prive finalement d'un vrai débat, à l'occasion duquel la navette enrichit les idées et nous permet d'avancer, dépassant souvent les clivages.
Oui, encadrer le processus parlementaire dans des délais de plus en plus courts nuit à la qualité de notre travail. Et nous allons en avoir un exemple dans les semaines qui viennent puisque nous allons débattre de 53 directives et de 7 règlements communautaires... comme ça... (L'orateur claque des doigts.) Comme ça, Natura 2000... Comme ça ! l'avenir de la loi d'orientation postale... Comme ça ! le financement des concessions autoroutières.
Cela n'est pas acceptable ! et je suis certain que le Sénat ne l'acceptera pas (Chaque fois, l'orateur renouvelle son geste) sur des sujets aussi essentiels, sujets dont, le 8 juin dernier, M. Fabius disait : « La Poste, c'est l'un des grands sujets pour le Gouvernement. » Cinq minutes, au mieux, dans une loi d'habilitation...
Ma troisième désillusion, malgré la déclaration de M. Fabius voilà quelques jours, est que le Gouvernement n'a pas déposé d'amendement permettant, après l'échec de la commission Jollivet, d'assurer l'effectivité du droit au compte ouvert par l'article 137 de la loi de lutte contre l'exclusion. Là, les propos incantatoires ne signifient rien. Il faut maintenant inscrire dans la loi ce que nous voulons.
Ce faisant, M. Fabius a refusé de prendre clairement position sur les conditions de sortie du « ni-ni bancaire » - ni facturation des chèques ni rémunération des dépôts à vue - et les effets que la fin de cette spécificité française va entraîner pour les plus démunis de nos concitoyens. De ces conséquences, nous avons ici le devoir de débattre ! S'agissant de ce sujet, la question du droit au compte des plus démunis et le problème posé par les chèques payants, je suis certain que nous sortirons de ce débat avec un texte enrichi et une réponse à cette problèmatique.
En effet, nous avons, plusieurs de nos collègues de notre groupe d'étude sur l'avenir de La Poste et moi-même, déposé une proposition de loi en mars dernier, qui a fait depuis des adeptes, ici comme à l'Assemblée nationale. De cette proposition de loi, nous reprendrons l'essentiel ici, dans des amendements visant à instaurer un service universel bancaire ouvert à tous, mais « profilé » pour répondre en priorité aux besoins des plus modestes de nos concitoyens, car, pour eux, la fin programmée de la gratuité du compte bancaire peut avoir des conséquences dramatiques dans la mesure où elle signifierait leur exclusion des circuits financiers.
Il faut, mes chers collègues, avoir bien conscience que le chèque payant n'est que le premier pas d'un processus d'alignement de nos tarifs bancaires sur les pratiques ayant habituellement cours ailleurs dans l'Union européenne - seule la Grèce applique encore aujourd'hui notre système.
Tout cela heurte pour le moins nos habitudes.
Cependant, l'esprit qui inspire la demande bancaire peut se comprendre et n'est pas critiquable en soi : nos établissements financiers sont des entreprises qui doivent pouvoir se battre à armes égales avec leurs concurrents, notamment européens. Il peut même en résulter un nouvel équilibre dans les relations entre les banques et la majorité de leurs clients, la gratuité du chèque se payant actuellement sur d'autres services.
Je rassure M. Delfau : il y a bien d'autres services payants. Mais le compte bancaire a une dimension sociale et la fin de sa gratuité risque de contribuer à l'exclusion des couches les plus fragiles de la population.
L'avenir de La Poste va être un enjeu crucial des prochaines années car cette entreprise n'a toujours pas procédé aux adaptations nécessaires. Je pense à son statut et à sa dotation en capital. A ce sujet, le 20 novembre, nous aurons un rendez-vous particulier : l'entrée de la poste allemande sur le marché européen.

Il est donc de notre devoir de nous soucier de son sort, en raison de son rôle éminent dans l'économie nationale et de par sa présence territoriale.
Il ne nous faut pas espérer que le Gouvernement se préoccupe de cette question. Depuis deux ans, nous attendons l'indispensable loi d'orientation postale qu'il s'était pourtant engagé à élaborer par les voix de Mme Voynet et de M. Pierret. Nous lui donnons rendez-vous dans quelques semaines !
Nous aborderons naturellement la question du service bancaire de base, ou du service bancaire universel, et de leur financement. La solution ne réside peut-être uniquement pas dans une taxe fiscale.
Mes chers collègues, c'est à nous tous qu'il revient de rétablir une concordance entre le titre du projet de loi et son contenu. Nous y veillerons.
A propos de ce texte, M. Bernard Plasait a parlé de « brocante » ; pour ma part, j'ai pensé un moment à l'expression « vide-greniers ». En fait, il s'agit plutôt d'un magasin d'antiquités : il traite en effet de l'intervention de l'Etat, alors qu'aujourd'hui il faut de la liberté, de la souplesse et aussi un certain nombre de régulations.
Il nous reviendra de défendre nos options ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais essayer de vous apporter des réponses aussi complètes que possible.
M. le rapporteur général a, d'une certaine façon, revendiqué le droit à la contradiction, puisqu'il a à la fois estimé que ce texte était un inventaire, que tout est régulation et que, enfin, il aurait souhaité y trouver d'autres dispositions.
Par ailleurs, il a regretté qu'on l'examine trop vite et, dans le même temps, que l'on ait trop tardé pour l'inscrire à l'ordre du jour, alors même que c'est le temps très long - vous le savez tous ici, et j'ai eu pour ma part suffisamment d'incidents à gérer à ce sujet pour pouvoir le rappeler - consacré par la Haute Assemblée à l'examen du projet de loi sur le renouvellement urbain qui est la cause de ce retard.
M. Philippe Marini, rapporteur. Non ! Je ne peux pas laisser dire cela !
M. Gérard Larcher. C'est inexact, madame ! Nous nous en sommes d'ailleurs expliqués en conférence des présidents !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. J'y viens, monsieur Larcher.
Puisque j'ai vécu suffisamment d'incidents à ce sujet, je voulais profiter de ma présence en cet hémicycle... (M. le rapporteur demande à interrompre Mme le secrétaire d'Etat.)
Je vais jusqu'au terme de mon propos et je vous laisserai ensuite la parole, monsieur le rapporteur.
J'avais fait une erreur à propos du temps, et j'ai dit que l'examen du projet de loi sur le renouvellement urbain avait nécessité une trop longue discussion. Je m'en étais expliquée auprès de votre président en disant que, effectivement, le Sénat avait parfaitement le droit de prendre tout le temps qu'il voulait et que le Gouvernement aurait pu, comme M. le président me l'a rappelé après la conférence des présidents, retirer un autre texte de l'ordre du jour.
Mais il est vrai que nous étions alors dans une situation difficile et que, si ce n'est à cause du Sénat, nous rencontrions beaucoup de difficultés. Je me souviens avoir rencontré un certain nombre d'acteurs sur d'autres types de sujets : un problème de temps se posait à nous au printemps, vous le savez, monsieur le rapporteur.
Vous savez aussi que j'ai adressé une lettre à votre président concernant cette affaire.
Je pense qu'il fallait simplement rappeler ces faits en souriant, comme je le fais en cet instant, monsieur Marini.
Mais peut-être voulez-vous me répondre maintenant ?
M. le président. Naturellement, je peux donner la parole à M. le rapporteur. Mais il me semblait, madame le secrétaire d'Etat, que cette affaire était définitivement réglée. Je suis un peu désolé que vous l'évoquiez de nouveau.
M. Gérard Larcher. Moi aussi !
M. le président. Véritablement, cela ne nous semblait pas nécessaire.
M. Pierre Hérisson, rapporteur pour avis. C'est une provocation !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. La situation avait été difficile, et je rappelais à M. le rapporteur ainsi qu'à M. Larcher que j'avais tenu à écrire moi-même pour que les choses soient claires. Je pensais, moi aussi que c'était réglé, monsieur le président, d'y être revenue, alors que vous ne le jugiez pas opportun.
M. le président. Acte vous est donné de vos propos, madame le secrétaire d'Etat. Il n'y a plus d'incident. Il n'était pas nécessaire d'y revenir.
Veuillez poursuivre, madame le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Merci, monsieur le président.
Ensuite, monsieur le rapporteur, vous êtes passé d'un point de vue à un autre puisque vous avez jugé le texte fragile juridiquement et disparate, mais vous avez ensuite souhaité ajouter un cavalier législatif de la taille d'un cheval de Troie, puisque, sous la forme d'amendements sur la modernisation de la régulation financière, vous avez fait des propositions importantes !
M. Philippe Marini, rapporteur. Le Gouvernement aussi !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je pense que nous pouvons être d'accord sur un point au moins : si nous avons abordé un certain nombre de sujets importants que vous pouvez juger disparates, vous en ajoutez d'autres aussi importants, que nous pouvons, nous aussi, qualifier de disparates.
Vous avez dit que les ordonnances étaient excellentes mais, en même temps, vous avez dit qu'il fallait la loi.
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous m'avez mal écouté !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Nous y reviendrons au moment de la discussion des articles, et je m'exprimerai alors plus longuement sur le sujet.
Enfin, vous avez jugé certaines dispositions de ce texte « inclassables » ; vous avez même régulièrement rappelé que, dans les chapitres concernés, il n'y avait pas beaucoup d'ordre et que vous aviez beaucoup de difficultés à vous y retrouver. C'était fatal... pour un texte qui ne contiendrait rien, si j'en crois votre introduction.
Mais, paradoxalement, ce texte qui ne contient rien, vous l'avez estimé riche de trop de choses ! Nous y reviendrons également.
Sur le fond, j'apprécie votre double souci d'élaborer une bonne législation et votre désir de créer des emplois.
Je vous remercie, en outre, pour le satisfecit que vous avez décerné à la partie internationale de ce texte.
Même si tout le monde ne partage pas cette appréciation, vous avez fait part de votre absence d'opposition de principe à la commission des parités commerciales. C'est bon signe.
Il n'en demeure pas moins que nous ne sommes pas d'accord sur bien des sujets ; le débat sera donc fort intéressant.
Vous avez évoqué la transparence pour les OPA et les OPV, les règles applicables aux chefs d'entreprise oscillant entre le délit d'entrave et le délit d'inité. Le jugement est sûrement lourd. Nous y reviendrons aussi.
Vous avez également soupçonné les conventions réglementées d'engendrer un déluge paperassier, or nous allons simplifier les dispositifs.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. C'est loupé !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Notre appréciation n'est pas la même que la vôtre. Nous verrons bien comment elle sera perçue.
Vous avez préféré appeler « droit des sociétés » ce que nous appelons « régulation de l'entreprise ». Cela relève de votre volonté de vous opposer, car, sur le fond, les divergences ne sont pas dramatiques.
Selon nous, ce texte apporte des innovations en matière de régulations économiques. Vous ne semblez pas partager notre point de vue. La discussion nous permettra de dégager à la fois les points de cohérence et les points de divergence.
M. Hérisson a employé des mots que nous avons souvent entendus et que nous attendions : attente des consommateurs, moralisation, loyauté, équilibre. C'est logique !
Il s'est par ailleurs inquiété des concentrations et des rapports entre les distributeurs, les fournisseurs et les clients.
Avec Laurent Fabius, nous pensions qu'il allait approuver ce texte. Or, le seul élément positif qu'il ait salué, c'est l'entente qui a régné entre les commissions du Sénat. C'est dommage, parce que certains mécanismes de régulation des rapports entre distributeurs et clients auraient pu lui plaire.
M. Hyest a d'abord adressé des compliments au Gouvernement, pour ensuite lui reprocher de vouloir rétablir l'économie administrée. Pour le reste, je peux résumer sa pensée en disant : tout ce qui est mal est dans la loi, tout ce qui aurait été bien n'y est pas.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Non !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Parce qu'il est, selon lui, de bonne composition, il a jugé que, pour les stock-options, nous n'agissions que par idéologie.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Simpliste !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Par idéologie simpliste, dites-vous, alors que nous pensons, nous, qu'il s'agit de transparence, de modernité et de justice ! Cela effectivement nous sépare.
M. Chérioux, quant à lui, a utilisé un procédé cinématographique. Il a en effet fait un long flash-back sur la proposition sénatoriale d'actionnariat salarié. C'était son droit, et c'était intéressant.
Ensuite, M. Chérioux nous a annoncé que, dans l'attente du texte sur l'épargne salariale, il retirait tous ses amendements, dans un geste qu'il a qualifié de imperia brevitatis. C'est bien, et j'espère que cela nous conduira à un échange construtif au moment de la discussion du texte relatif à l'épargne salariale devant le Sénat.
M. Massion, sénateur-maire du Grand-Quevilly, s'est placé sur un terrain qui nous convenait forcément, celui des principes de justice. Face à la mondialisation, aux monopoles, aux concentrations, il faut effectivement rappeler l'utilité de l'Etat, garant du contrat social. Je crois que personne ici ne s'oppose sur ce point, en tout cas je l'espère.
Pour ce qui est de la concurrence, monsieur Massion, vous avez souhaité la transparence, la loyauté, la liberté des contrats. C'est effectivement ce que nous voulons.
Vous êtes également intervenu en faveur de la cohésion sociale et des droits des salariés en prônant l'équilibre des pouvoirs, le respect de chacun dans l'entreprise, la protection des plus petits, la protection des salariés ou celle des PME.
En tant que secrétaire d'état chargée des PME, j'ai reçu énormément de demandes de la part des PME, d'artisans et de commerçants ainsi que d'agriculteurs concernant ce texte. Je crois qu'ils vous rejoignent dans l'analyse de ce que pourrait être une cohésion sociale dans un monde économique plus équilibré et plus éthique.
Monsieur Massion, vous avez ensuite résolument placé la conclusion de votre propos sous un signe qui nous rassemble, sur une valeur que nous partageons : la solidarité. La solidarité, vous l'avez souligné, est non pas l'ennemi du social mais sûrement son support le plus infaillible. L'entreprise n'est pas plus du côté de l'employé que de celui de la loi ou de la liberté.
Vos propos formaient une belle intervention, monsieur le sénateur, et j'espère que nous travaillerons bien ensemble par la suite.
M. Huchon ayant quitté cet hémicycle, je lui répondrai plus brièvement.
Il a évoqué l'évolution des rapports de force entre distributeurs et fournisseurs à l'avantage des premiers. C'est bien cette évolution que le Gouvernement a prise en compte par ce projet, qui vise à la moralisation des pratiques commerciales, afin notamment de renforcer la lutte contre les abus.
M. Huchon a également souligné la concurrence avec les producteurs du Sud. C'est vrai, mais il ne faut pas non plus oublier que les producteurs et les entreprises agro-alimentaires françaises font souvent partie des fleurons de l'exportation française. Ils nous demandent donc à la fois une régulation, mais aussi une protection sur les marchés internationaux. Par conséquent, nous devons être prudents dans la façon dont nous traitons les problèmes, en particulier d'importation.
M. Bourdin a souhaité centrer son propos sur la distribution des produits agricoles. Je ne peux que saluer la justesse de son constat.
Il y a, c'est vrai, un déséquilibre dans les structures, des « marges arrière » destructrices. Je crois qu'on ne peut pas dire autre chose aujourd'hui.
Monsieur le sénateur, vous avez également salué l'encadrement des relations commerciales et les labels, et vous avez demandé au Gouvernement d'agir sur l'évolution des filières. C'est important, et le Gouvernement n'hésitera pas à prendre en charge ce dossier. Il le fera dans ce texte et dans d'autres, en particulier dans le projet de loi de finances, dont deux articles traitent des filières agricoles.
M. Courtois a justement placé le débat sur un choix fondamental, celui de la régulation ; c'est bien la voie retenue par le Gouvernement, non pas pour administrer ou réadministrer l'économie, mais pour offrir aux entreprises un cadre souple et adapté pour un exercice plus transparent de la vie des entreprises dans leurs opérations boursières, dans l'information des organes représentant des salariés, dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs.
Monsieur le sénateur, vous avez dit ensuite que le texte manquait d'ambition. Cela revient à nier l'ampleur des sujets couverts. Les salariés - contrairement à ce que vous dites - se trouvent au coeur de la préoccupation de la loi. Cette contradiction est peut-être due au fait qu'il faut contracter ses propos dans une enceinte comme celle-ci.
Il est difficile aussi de ne voir dans le texte qu'une vision franco-française, quand on mesure l'ensemble des dispositions contre le blanchiment et les dernières avancées européennes en la matière. C'est à partir d'une action forte de Mme la garde des sceaux et de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie que nous avons pu faire avancer les choses au niveau européen. Selon moi, ce texte traduit une vision internationale qu'il fallait avoir sur tous ces sujets. Tout ce qui concerne les entreprises, en effet, dépasse effectivement le cadre national, nous le disons depuis longtemps.
Mme Terrade, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, a organisé son propos autour de trois points : sa déception, due au fait que nous ne soyons pas allés plus loin dans le droit des salariés - j'en prends acte ; mais je n'attendais pas autre chose, pour avoir rencontré Mme Terrade plusieurs fois à ce sujet - la proposition d'instauration d'une « taxe Tobin » et son opposition à voir les règles du marché financier trop peu encadrées aujourd'hui.
Je comprends l'attente de nos amis communistes, partagée au sein de la majorité plurielle.
Des amendements seront déposés. Le Gouvernement les examinera. A l'occasion de leur discussion, nous pourrons au moins débattre ensemble, ce qui est important.
Je reviens sur deux points cependant.
L'idée d'instaurer une taxe Tobin, généreuse et séduisante, est relayée à l'extérieur du Sénat comme de l'Assemblée nationale, par un certain nombre de mouvements que vous connaissez tous sur l'ensemble de ces travées mais sa mise en place pose d'innombrables problèmes techniques. Si un pays, un seul, instaurait une telle taxe, nous savons très bien les conséquences qui s'ensuivraient pour lui.
M. Philippe Marini, rapporteur. J'ai déjà entendu cela !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Que Renault devienne un champion mondial, qu'il réussisse au Japon, ce n'est pas si mal pour notre pays et pour ses salariés. De plus, nos entreprises investissent à l'étranger, ne l'oublions pas. Avec la logique d'une taxe de ce type, délocaliser hors de nos frontières présenterait parfois, souvent même, des inconvénients. Or, au sein de ces entreprises, les salariés sont très demandeurs de ces projets d'exportation, et ils ont raison.
Monsieur Delfau, vous avez centré votre intervention sur ce que que vous avez appelé « la recherche de nouvelles règles bancaires ». Je partage tout à fait votre objectif de traiter le cas des citoyens exclus du système bancaire. Vous faites preuve de constance sur ce sujet.
Vous avez souligné, à juste titre, tous les dangers relatifs à l'instauration d'un service bancaire universel et gratuit. D'une part, les modalités de son financement peuvent se retourner contre les clients les plus modestes, qu'il faut justement protéger - vous rejoignez, sur ce point, les associations de consommateurs. D'autre part, cet objectif de financement peut cacher la tarification des chèques.
Je l'ai déjà dit depuis longtemps, au nom du Gouvernement, à l'Assemblée nationale, les banques françaises ont trouvé une solution qui consiste dans la tarification non pas des chèques, mais du traitement de ceux-ci. Il est vrai que face à ce système, les situations deviennent inégales.
Le Sénat ne peut pas sous-estimer les dangers d'un service universel et l'éventualité d'un report de la tarification du traitement et d'autres types d'opérations sur le chèque lui-même. Or, celui-ci, nous le savons, est le moyen de paiement le plus utilisé par ceux qui sont les moins favorisés, car les autres y ont très peu recours.
Il y a là matière à un véritable débat de fond. Il est intéressant que vous ayez posé le problème en ces termes avec un sens de la responsabilité et en proposant un dispositif alternatif. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des amendements.
A propos de la partie relative à la régulation de la concurrence, M. Dussaut a évoqué deux axes majeurs du texte : la prévention, avec le rôle du juge de paix, et la commission des pratiques commerciales et des relations contractuelles.
Il faut revenir à des rapports commerciaux apaisés par la discussion. C'est pourquoi, comme M. Dussaut, le Gouvernement souhaite faire de cette commission non pas un nouveau lieu de cristallisation des conflits, en lui donnant une compétence quasi juridictionnelle, mais, au contraire, une instance de dialogue. Les parties, qu'il s'agisse des petites entreprises, des agriculteurs, des associations ou de la grande distribution, se sont retrouvées sur ces dispositions et nous avons au moins eu la satisfaction de voir les opinions converger sur ce point. Il est important d'en tenir compte.
Le deuxième axe de l'intervention de M. Dussaut a consisté à rappeler que la répression, lorsque la prévention a échoué, est un sujet délicat dans notre pays.
M. Dussaut a eu raison de rappeler que le projet du Gouvernement ne remet pas en cause tout le droit de la concurrence ; il a vocation à renforcer son efficacité pour plus de transparence et d'« éthique » en économie ; c'est un mot que nous ne devons pas avoir peur de prononcer.
M. Huchon a salué, à juste titre, le rapport de MM. Charié et Le Déaut. Certes, comme M. Marini me le soufflait tout à l'heure, le Sénat n'est pas l'Assemblée nationale. Mais, à entendre certaines critiques très fortes émanant des membres du groupe sénatorial du RPR, j'imaginais que les oreilles de M. Charié devaient siffler ! En effet, même s'il n'a pas la chance de siéger au Sénat, il appartient au même groupe politique que vous, monsieur Marini, et quand on a des positions aussi divergentes au sein d'un même groupe, cela ne doit pas être simple ! (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est pluriel, réjouissons-nous !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Ayant entendu tout à l'heure quelques critiques relatives aux difficultés de la majorité plurielle, permettez-moi d'évoquer quelques difficultés de la majorité sénatoriale !
M. Huchon, disais-je, a eu raison de saluer l'excellent rapport de MM. Charié et Le Déaut, dont le Gouvernement s'est effectivement largement inspiré pour la modernisation des pratiques commerciales. Je partage souvent leurs préoccupations et leur souci de voir mieux organiser les filières agricoles. En revanche, je ne saurais adhérer à un concept de bonnes ententes. Nous devons faire attention aux expressions et, souvent, les bonnes ententes non seulement sont contraires au droit de notre concurrence, mais aussi peuvent être réalisées au détriment du consommateur !
Cet été, avec l'accord de l'ensemble des parties, appliquant en cela l'ordonnance de 1986 et, au-delà, une entente entre une partie de la profession agricole et la distribution, nous avons expérimenté l'élargissement d'un accord de filière pendant un court moment - quelques semaines. C'est une pratique qui pourrait se renouveler dans l'avenir, sauf si, et c'est ce que nous souhaitons, nous n'avons plus besoin de faire appel à ce type d'intervention directe de l'Etat et si les relations entre les producteurs - qu'ils soient agricoles ou de biens - et la distribution s'améliorent.
M. Plasait a regretté le caractère hétéroclite du projet. Cela lui a permis d'évoquer de nombreux sujets, dont plusieurs, d'ailleurs, ne figuraient pas dans le texte !
Nous nous rejoignons sur l'impérative nécessité de discuter de beaucoup de sujets quand on parle de régulation économique.
En matière de fiscalité, il faut être juste sur l'analyse des chiffres et sur les commentaires qu'on en fait. Certes, on ne réduit jamais assez les impôts, mais le Gouvernement l'a fait, ce qui n'était pas le cas du précédent gouvernement.
M. Philippe Marini, rapporteur. La situation n'était pas la même. Il n'avait pas de cagnotte, le pauvre !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je reviendrai sur la cagnotte !
Le fait de supprimer la surtaxe Juppé de 10 %, de réduire l'impôt sur les sociétés des PME qui ont un chiffre d'affaires inférieur à 250 millions de francs pour le faire passer petit à petit largement en dessous de la barre des 20 %, c'est quand même un pas important pour les PME françaises, et je pense qu'elles sont assez satisfaites de cette tendance.
Vous avez parlé de cagnotte, monsieur Marini. Vous savez pourtant qu'avec un tel pourcentage de dette de l'Etat on n'a pas de cagnotte, et ce n'est pas à vous que je ferai l'injure de rappeler cela ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est une expression consacrée ! (Sourires.)
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Disons que c'est une expression habituelle qui, sur le plan médiatique, a effectivement bien fonctionné !
M. Gérard Larcher a parlé avec beaucoup de talent ...
M. Gérard Larcher. Merci !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. ... d'inadaptation et de concurrence...
M. Gérard Larcher. Du Conseil de la concurrence !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. ... du Conseil de la concurrence, en effet, qui doit être libéré de toute tutelle. C'est extrêmement important.
Il a également parlé de désillusion. Il a dit que le Gouvernement était peu respecté parce qu'il était peu respectable. Je n'ai pas très bien suivi son raisonnement parce que, soyons honnêtes, appartenant à ce Gouvernement, je me sens respectable ! Mais ce n'est pas très grave.
Il a ensuite évoqué Goethe. Très honnêtement, je ne connais pas l'expression qu'il a employée...
M. Gérard Larcher. Gile mit Weile !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. ... je ne reviendrai pas sur son propos.
Après ce long prologue, vous avez surtout parlé du « ni-ni bancaire » - c'est l'expression que vous avez utilisée, monsieur Larcher - et du droit au compte.
S'agissant des chèques payants, il est exact que nous sommes les derniers, avec la Grèce, à ne pas payer les chèques. Mais, je crois l'avoir dit tout à l'heure, il faut faire attention, d'autant que, comme je le précisais à M. Delfau, c'est le moyen de paiement qui est utilisé par les personnes les moins favorisées dans ce pays.
M. Gérard Larcher. Bien sûr !
Mme Marylise Lebranchu secrétaire d'Etat. C'est un élément qu'il faut prendre en compte.
Nous devons absolument régler cette question dans les meilleures conditions. Le Gouvernement a entamé des négociations et d'importants progrès ont d'ores et déjà été accomplis. En effet, deux banques - dont l'une vient de publier ses nouveaux tarifs - ont décidé de donner une pleine transparence à la tarification ; or c'est précisément le manque de transparence qui nous gênait. L'une d'elles - dont je ne peux bien évidemment pas citer le nom - a déjà procédé à une modulation en fonction des services rendus au client.
Il est extrêmement important que nous ayons obtenu cette transparence de la tarification ; qui permet au consommateur de choisir et à l'usager de savoir pourquoi telle ou telle somme lui est facturée. Cela permet également de savoir qui supporte in fine le coût d'un allégement de la charge sur le plus petit des services.
Nous avons donc déjà gagné une manche importante. Mais nous pourrons, au cours des débats, revenir sur ce sujet, qui est loin d'être clos.
Je remercie l'ensemble des orateurs de la qualité de leur intervention et aussi de leur fougue. Il est intéressant de voir la passion que suscitent les rapports entre distributeurs et fournisseurs.
On a cependant oublié - je l'ai noté à plusieurs reprises - à force de ne considérer qu'une seule aberration de l'économie, celle d'un rapport de force trop important entre le producteur et le distributeur, un rapport qu'il me semble pourtant nécessaire de signaler, c'est celui qui existe entre la petite entreprise et son donneur d'ordres, entre les sous-traitants, les cotraitants et les grands donneurs d'ordres. Le jeu entre les grands donneurs d'ordres et la grande distribution peut parfois ne pas profiter aux plus petits producteurs, quelle que soit la nature de leur production. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est vrai !

Question préalable