SEANCE DU 4 OCTOBRE 2000
AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE
ENVIRONNEMENTALE
Discussion d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 318,
1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à la création d'une
Agence française de sécurité sanitaire environnementale. [Rapport n° 476
(1999-2000.]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur
le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs,
l'impact des atteintes portées à l'environnement sur leur santé préoccupe de
plus en plus nos concitoyens. De nombreux sondages récents l'ont montré et, en
tant que ministre chargée de l'environnement, je suis de plus en plus souvent
interpellée par des citoyens qui ne s'émeuvent pas seulement d'être confrontés
à telle ou telle pollution ou nuisance, mais qui veulent savoir quelles en sont
les conséquences possibles pour leur santé.
Il y a donc, sur le lien « environnement-santé », une véritable attente de la
population, à laquelle les pouvoirs publics se doivent de répondre.
Au demeurant, il faut le dire, nous partageons ces inquiétudes. Le rapport
rédigé par Odette Grzegrzulka et André Aschieri rassemble des données qui
montrent la progression spectaculaire de certaines pathologies et conduit à
rechercher la responsabilité que la dégradation de l'environnement peut avoir
dans cette progression.
C'est pourquoi je me suis réjouie de l'initiative d'André Aschieri et des
députés Verts de faire inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale une
proposition de loi tendant à la création d'une Agence française de sécurité
sanitaire environnementale.
C'est pourquoi aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a
souhaité que cette proposition de loi vous soit soumise le plus rapidement
possible. Je suis donc heureuse que nous puissions débattre aujourd'hui du
texte qui a reçu l'approbation de l'Assemblée nationale et que le Gouvernement
souhaite voir adopter rapidement.
Depuis 1997, le Gouvernement et le Parlement, dont le rôle dans ce domaine a
été prépondérant, ont mené une action en profondeur pour améliorer
l'organisation de la sécurité sanitaire dans notre pays. Dominique Gillot, qui
peut légitimement être fière du travail accompli, reviendra sur ce point tout à
l'heure.
S'agissant plus spécifiquement de la sécurité sanitaire environnementale, je
voudrais d'abord rappeler que la gestion des risques sanitaires liés à
l'environnement n'est pas une préoccupation nouvelle des ministres de
l'environnement. C'est en effet une responsabilité majeure de mon ministère,
depuis sa création, que de prévenir les pollutions et les risques, notamment
ceux qui sont susceptibles de concerner la santé humaine.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est d'abord dans le domaine de
l'environnement que l'approche de précaution s'est imposée. Inscrits dans la
déclaration de Rio en 1992, les principes de prévention et de précaution
figurent maintenant dans le traité de l'Union européenne. Cette approche,
reprise à l'échelon national dans la loi Barnier en 1995, doit être déclinée
dans toutes les politiques, au niveau tant des principes que des pratiques. Le
Conseil européen de Nice, en novembre prochain, nous donnera d'ailleurs
l'occasion de faire adopter une résolution en ce sens par les chefs d'Etat et
de gouvernement des Quinze.
A l'échelon communautaire, depuis une vingtaine d'années, les ministres de
l'environnement ont adopté des législations tendant à améliorer la qualité de
l'air, à préserver les ressources en eau, à réduire la nocivité des déchets.
Chacune de ces décisions a été guidée par des préoccupations sanitaires, même
si elles n'étaient pas les seules. Je pense, par exemple, aux travaux qui ont
été accomplis ces dernières années en ce qui concerne les normes maximales
admissibles de plomb dans l'eau potable ; je pense encore à la limite du taux
de benzène acceptable dans les carburants.
La semaine prochaine, je compte d'ailleurs faire adopter par mes collègues une
position commune sur une directive concernant la pollution par l'ozone, qui
conduira à réduire de manière importante les valeurs limites autorisées
relatives à ce polluant, et donc à engager des actions vigoureuses pour en
réduire la concentration.
Vous l'aurez compris, il n'est pas rare que, tour à tour, les mêmes
interlocuteurs nous pressent de prendre des mesures pour réduire la diffusion
de substances polluantes et nous reprochent les coûts engendrés par les
stratégies qui visent à nous faire respecter nos engagements en matière et
d'environnement et de santé.
A l'échelon national, l'ensemble de la législation environnementale, qui vient
d'être rassemblée dans le nouveau code de l'environnement - loi sur l'eau, lois
sur les déchets, loi sur les installations classées pour la protection de
l'environnement notamment - est appliquée avec le souci de réduire les impacts
des activités humaines sur l'environnement et sur la santé.
C'est le cas, par exemple, des actions vigoureuses que j'ai engagées avec mon
ministère pour réduire les émissions de dioxine des incinérateurs.
Vous aurez, comme les membres du Gouvernement, noté avec intérêt, mais sans
doute aussi avec inquiétude, la publication par un épidémiliologiste bisontin
Jean-François Viel et son équipe, des résultats d'une étude qui met en évidence
l'excès de cas de certains cancers au voisinage d'incinérateurs.
Les progrès sont réels, mais beaucoup reste à faire et l'effet des décisions
prises est long à se faire sentir.
La mission d'Odette Grzegrzulka et André Aschieri a auditionné une centaine de
personnes issues des administrations centrales et des services déconcentrés,
des milieux scientifiques et associatifs, des entreprises. Leur rapport a
insisté sur la nécessité de renforcer la cohérence du dispositif de sécurité
sanitaire environnementale en matière d'évaluation des risques, afin de fournir
au Gouvernement les informations qui lui sont nécessaires pour mener son
action. Pour ce faire, il a préconisé la création d'une agence qui compléterait
le dispositif instauré par la loi du 1er juillet 1998.
Les trois propositions de loi déposées par chaque groupe de la majorité
plurielle permettent de concrétiser cette ambition. Une volonté commune anime
le Parlement et le Gouvernement sur ce sujet, ainsi qu'en témoigne l'adoption
en première lecture, le 25 avril dernier, à l'unanimité, par l'Assemblée
nationale, du texte aujourd'hui en discussion, ainsi qu'en témoigne aussi le
sérieux de vos travaux, monsieur le rapporteur, que j'ai suivis avec
intérêt.
Il s'agit maintenant de mettre en place très rapidement cette agence, sur la
base de ces principes et en veillant à doter notre pays d'un dispositif
opérationnel.
La création de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale,
l'AFSSE, répond, en effet, au besoin de développer et de renforcer les
capacités et la cohérence de l'expertise sur l'impact des facteurs de
l'environnement sur la santé. Cette expertise est en effet à la fois
insuffisante et dispersée dans un nombre important d'organismes. La nouvelle
agence devra assurer une meilleure coordination entre les organismes existants
tout en disposant d'une capacité scientifique d'expertise et de synthèse propre
ainsi que de moyens administratifs et financiers pour construire un partenariat
contractuel avec les établissements publics, les universités, les entreprises
et les bureaux d'études concernés. Cette agence pourra se saisir ou être saisie
de toute question portant sur l'impact sanitaire de l'environnement. Elle
préparera des avis qui seront rendus publics en même temps qu'ils seront
transmis au Gouvernement.
Vous l'avez indiqué dans votre rapport, deux options étaient envisageables :
fédérer les organismes concernés au sein d'une même agence ou créer un
organisme jouant le rôle de tête de réseau et doté de moyens humains et
budgétaires significatifs ainsi que du statut lui permettant d'assurer la
cohérence du travail d'évaluation des risques dans ce domaine.
Vous avez fait le choix, monsieur le rapporteur, de la première option, mais
sans en tirer toutes les conséquences, puisque le regroupement auquel vous
proposez de procéder ne concerne que quelques organismes parmi tant d'autres
qui devraient être également concernés si nous suivions votre raisonnement. Je
suis, bien sûr, sensible à votre argument concernant le poids relatif de
l'AFSSE, en termes de budget et de personnels, par rapport aux agences déjà
créées. Il me semble, cependant, qu'il ne s'agit pas seulement de compter les
emplois. Il s'agit aussi de voir si l'éventuelle fusion d'organismes fait
sens.
Il me semble - je l'ai dit à maintes reprises - que les questions que nous
avons à traiter aujourd'hui sont nettement plus complexes que celles qui furent
abordées hier. Qu'il s'agisse de produits de santé ou même d'alimentation,
c'est en effet une filière qu'il convient là d'expertiser. Le problème change
de dimension quand on s'intéresse à l'environnement.
On me permettra de citer ici quelques phrases tirées de l'avis du comité de la
prévention et de la précaution, que j'ai sollicité à cet effet. « Pour créer
les autres agences de sécurité sanitaire, il a été possible de s'appuyer sur
des structures déjà existantes dont les missions étaient assez proches. Ici, le
contexte est différent, car l'agence va être en charge des liens entre santé et
environnement et ce domaine transversal n'est justement pas traité par une
seule institution, mais réparti entre diverses institutions de manière
cloisonnée par milieu, population ou méthode.
« On peut citer les organismes spécialisés et les centres de recherche publics
suivants, qui ont une compétence indiscutable et qu'il serait extrêmement
difficile, voire illogique, de regrouper : l'INRA, le CEMAGREF, le BRGM,
l'OPRI, l'IPSN, l'INERIS, l'INRS, l'IFREMER, le CNRS, l'INSERM, les écoles
vétérinaires, les facultés de médecine, les facultés de pharmacie.
« Ce qui manque, dans ce contexte éclaté et cloisonné, ce n'est pas une
nouvelle institution lourde, mais une forte capacité d'intégration, de
coordination et d'impulsion des recherches en amont, c'est-à-dire d'ingénierie
de la connaissance scientifique utile à l'évaluation des risques pour la santé.
»
J'arrête là ma citation, mesdames, messieurs les sénateurs, mais la
démonstration est extrêmement argumentée.
C'est pourquoi le Gouvernement n'a pas changé de position. Il reste favorable
à la deuxième option. Je suis en effet convaincue que le renforcement de nos
capacités d'expertise sera à court terme plus efficacement assuré par une
meilleure coordination entre les organismes existants, par le renforcement de
ceux-ci, par la création d'une tête de réseau, que par leur regroupement au
sein d'une agence unique qui constituerait un
Meccano
complexe perdant
de vue les objectifs qui doivent nous guider.
A cela, je vois au moins trois raisons.
Premièrement, le réseau à constituer est vaste. Il ne se limite pas à quelques
organismes. Les risques sanitaires liés à l'environnement du travail sont
plutôt étudiés par l'Institut national de recherche et de sécurité pour la
prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, l'INRS,
et ceux qui sont liés à l'habitat par le Centre scientifique et technique du
bâtiment, le CSTB.
Des équipes appartenant à de nombreux organismes de recherche s'intéressent
également à l'évaluation des risques sanitaires liés à l'environnement, qu'il
s'agisse de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer,
l'IFREMER, pour le milieu marin, du Bureau de recherches géologiques et
minières, le BRGM, pour les sols, ou de l'Institut national de la recherche
agronomique, l'INRA, pour l'agriculture. Tous ces organismes ont une part
importante de leur activité qui n'est pas liée directement à la problématique
santé-environnement, et la qualité de notre expertise aurait sans doute à
souffrir d'une séparation des équipes qui étudient dans le même organisme
l'impact d'un même polluant sur l'être humain, sur la faune ou sur la flore.
S'y ajoutent des contraintes fortes liées au découpage de ces organismes,
s'agissant notamment du statut, de la tutelle, des règles administratives ou
des rémunérations. Quel chantier !
Deuxièmement, regrouper certains de ces organismes risque de déséquilibrer
l'agence, qui, sans faire mieux que les organismes qu'elle intégrerait sur leur
coeur d'activité, pourrait retarder son investissement sur les autres
sujets.
Troisièmement, le constat qui a été fait est un constat de carence. Les
missions qui sont fixées à l'agence ne sont, pour l'essentiel, remplies par
personne. Elles ne peuvent l'être au détriment des missions actuelles des
organismes qui seraient intégrés, missions qui sont également nécessaires.
A ce titre, je considère comme faisant partie de ma mission de tout faire pour
éviter que soit affaibli un organisme que je cherche à renforcer depuis trois
ans. L'Institut national de l'environnement industriel des risques, l'INERIS,
constitue maintenant un pôle d'expertise incontesté en matière d'évaluation des
risques industriels et chimiques. Ses budgets ont été en progression constante
depuis 1998.
Mais si les effectifs de l'INERIS se montent à 430 personnes et son budget à
265 millions de francs, le service qui est aujourd'hui chargé de l'expertise
des risques sanitaires est composé de 25 personnes pour un budget de 22
millions de francs, soit moins de 10 % des effectifs et moins de 10 % des
budgets.
L'essentiel de ses missions est ailleurs, et le Gouvernement ne peut pas s'en
passer : l'expertise de l'INERIS m'est en effet indispensable lorsqu'il s'agit
d'évaluer les risques liés à l'explosion d'un silo ou à celle d'un véhicule
fonctionnant au GPL dans un parking, sujets qui ne sont pas de la compétence de
la future agence.
Quant à l'Office de protection contre les rayonnements ionisants, l'OPRI, que
vous proposez d'intégrer également à l'AFSSE, le Gouvernement a effectivement
décidé de le fusionner à l'Institut de protection et de sûreté nucléaire,
l'IPSN, dans le cadre d'un établissement public autonome chargé de la sûreté
nucléaire et de la radio-protection.
Cette solution, suggérée par le rapport que M. Jean-Yves Le Déaut a remis au
Premier ministre le 7 juillet 1998, nous l'avons retenue après un long travail
interministériel au terme duquel il est apparu qu'une séparation
institutionnelle entre sûreté nucléaire et radio-protection en matière
d'expertise et d'évaluation n'avait pas de justification. On sait, par exemple,
que, d'ores et déjà, des travaux sur le radon et la dosimétrie biologique ont
été conduits par l'IPSN depuis plusieurs années.
Ce regroupement des compétences d'expertise et de recherche en matière de
risque nucléaire constituera un progrès important dans sa crédibilité et sa
capacité d'action. C'est pourquoi je défends cette orientation devant vous
aujourd'hui, et c'est pourquoi je ne pourrai pas donner mon accord à
l'amendement de votre commission sur ce sujet.
Je suis par ailleurs convaincue que l'intégration de l'expertise sur le
nucléaire au sein de l'AFSSE, avec les moyens dont elle dispose déjà,
déséquilibrerait complètement cette agence. Les problématiques sur lesquelles
nous savons tous qu'il est urgent de travailler - produits chimiques, pollution
de l'air, métaux lourds - passeraient au second plan au regard des enjeux
économiques, industriels et stratégiques que représente le domaine nucléaire.
Elles auraient peu de chance d'être étudiées de manière prioritaire dans un
organisme qui ne serait, par construction, pas fait pour les traiter.
Vous ne pouvez pas accuser le Gouvernement, monsieur le rapporteur, de vouloir
créer une coquille vide. J'ai obtenu que soit proposé au Parlement, dans le
cadre du projet de loi de finances pour 2001, de doter sur mon budget l'agence
de 10 millions de francs en dépenses ordinaires et de 10 millions de francs en
crédits incitatifs de recherche imputés sur le budget civil de recherche et de
développement technologique qui m'est délégué.
Dominique Gillot, de son côté, devrait doter l'AFSSE de montants sensiblement
équivalents.
Le budget total de l'agence pourrait ainsi être, dès 2001, de 37 millions de
francs et 35 emplois nouveaux seraient créés.
Bien sûr, ces crédits devront croître à l'avenir pour permettre à l'agence de
recruter des experts de haut niveau, à l'autorité reconnue, capables d'assurer
un véritable travail d'évaluation et de synthèse sur les données disponibles et
de définir des axes de recherche dans les domaines de compétence de
l'agence.
Mais, fondamentalement, je pense que ce qui assurera l'autorité de l'AFSSE,
c'est qu'elle sera le seul point d'entrée des commandes du Gouvernement sur
toute question touchant aux liens entre l'environnement et la santé, et qu'elle
seule sera habilitée à rendre des avis sur ces questions en réponse aux
saisines du Gouvernement.
Comme le texte voté par l'Assemblée nationale nous y invite, la possibilité
d'intégrer dans l'AFSSE des organismes existants devra être examinée d'ici à
deux ou trois ans, une fois un premier bilan accompli. Nous verrons mieux à ce
moment là si l'agence a su drainer vers les pouvoirs publics l'ensemble des
informations produites de façon décentralisée par le réseau d'expertise qu'elle
aura constitué ou si, au contraire, il est nécessaire de regrouper le
dispositif au sein d'un organisme unique.
La solution qui émergera alors n'ira pas dans le renforcement de la notion
d'agence d'objectif, entendue au sens d'une agence qui a pour mission
d'atteindre des résultats, ce qui est plus ambitieux et plus motivant que de
gérer des moyens. Or, c'est bien le résultat dont nous avons besoin.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous invite, mesdames, messieurs
les sénateurs, à voter le texte adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale
en première lecture.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, à la suite de ma collègue Dominique Voynet,
je souhaite rappeler l'action sans précédent qu'a menée le Gouvernement depuis
1997 pour l'organisation de la sécurité sanitaire dans notre pays, avec l'aide,
notamment, des sénateurs.
Qu'il me soit permis de rendre ici hommage au travail remarquable qu'a conduit
Claude Huriet au sujet de la sécurité sanitaire et à sa capacité d'entraîner
nombre de ses collègues sur ce champ particulièrement sensible qui mobilise
l'attention du Gouvernement.
Les leçons que nous avons su tirer des drames sanitaires que nous avons connus
voilà quelques années nous ont amenés à redéfinir le rôle des pouvoirs publics
en matière de risque et de sécurité sanitaires. En quelques années, on a pu
observer un véritable bouleversement de l'organisation de l'administration de
la santé. De nouvelles institutions ont été créées, de nouvelles
réglementations ont été édictées ; nous avons mis en place ou renforcé des
procédures de vigilance, d'évaluation ou de contrôles. Beaucoup a été fait,
notamment en matière d'organisation.
La loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et
du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, votée, ce
qui est exemplaire, à l'unanimité par les deux assemblées, a permis la
transformation du réseau national de santé public en Institut de veille
sanitaire, chargé de suivre l'état de santé de la population, de détecter et de
mesurer les conséquences de toute menace pour la santé publique quelle qu'en
soit l'origine.
Cette loi a également permis l'intégration de tous les produits de santé dans
les compétences de l'Agence du médicament, qui est devenue l'Agence française
de sécurité sanitaire des produits de santé, ainsi que la création de l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments dont nous nous félicitons
quasiment chaque jour de l'activité.
Ces agences créées pour assurer la protection de la santé publique
représentent, sans conteste, l'innovation la plus significative de l'évolution
qu'a connue le service public de la santé ces dernières décennies. Elles
répondaient à l'émergence d'une demande nouvelle, celle d'assurer la sécurité
face à l'ensemble des risques sanitaires, notamment ceux qui sont liés à
l'activité du système de santé ou à la consommation alimentaire.
Quatre principes fondent l'action des autorités sanitaires : un principe
d'évaluation des risques encourus et des bénéfices escomptés ; un principe
d'indépendance des experts et une séparation totale des fonctions de police de
celles qui accompagnent le développement des filières économiques concernées ;
un principe de transparence pour permettre l'alerte précoce, le débat
contradictoire, la confrontation des expertises, le partage de l'information et
le débat public au moment de la décision ; enfin, une attitude de précaution
pour n'accepter que les risques justifiés par les bénéfices attendus et faire
prévaloir les impératifs de santé et de sécurité.
A cet égard, la priorité du secrétariat d'Etat à la santé a été de mettre en
place un dispositif de réduction des risques. Cette démarche a contribué à
l'émergence du principe de précaution pour guider l'action de la puissance
publique.
Dans un contexte marqué par l'incertitude, il est nécessaire de protéger la
santé de l'homme et de faire prévaloir les impératifs de santé et de sécurité
sur la liberté des échanges. Tel est le sens du principe de précaution. Nous
devons le rappeler souvent au risque de nous retrouver face à un vocable qui
recouvre tout et, en même temps, peu de chose.
Le principe de précaution ne saurait être considéré comme un frein au progrès,
mais doit, au contraire, être envisagé comme un principe d'action et non
d'abstention, comme une incitation forte à la recherche. Soulever ce principe
doit toujours être l'occasion d'un débat public, fondé sur une information
objective et accessible, qui éclaire la réflexion de tous et précède la
décision politique.
Je me réjouis de cette proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale,
qui vient compléter le dispositif de sécurité sanitaire, conformément à
l'engagement du Premier ministre annoncé l'année dernière lors de la clôture
des états généraux de la santé, et ainsi donner corps aux recommandations du
rapport de Mme Grzegrzulka et de M. Aschieri, que Mme Dominique Voynet a cité à
plusieurs reprises dans son intervention.
La nécessité d'une agence chargée d'évaluer les risques sanitaires
environnementaux n'est sûrement pas contestable. Pollution urbaine, radon,
pesticides, saturnisme, amiante, dioxines sont autant de risques qui illustrent
l'importance d'une connaissance plus précise des risques réels et des
conséquences sur la santé pour, le cas échéant, renforcer le dispositif de
prévention, faire cesser la nuisance, l'altération, sinon la source
pathogène.
L'attente de l'opinion publique est forte pour disposer d'une meilleure
information concernant les atteintes de l'environnement sur l'homme. Elle
attend qu'en tout domaine soit renforcée la sécurité sanitaire, conformément
aux priorités retenues par le Gouvernement.
La population attend une politique sanitaire environnementale transparente,
cohérente et globale, fil conducteur des différentes politiques sectorielles
mises en oeuvre dans le champ des milieux naturels, des pollutions
industrielles, mais aussi dans l'environnement professionnel ou celui de notre
vie quotidienne.
A cet égard, est-il nécessaire de rappeler que la notion d'hygiène des milieux
a été à l'origine même de la santé publique ?
Le champ que devra couvrir cette agence est donc vaste. L'identification de
l'impact de l'environnement sur la santé impose une connaissance de tous les
milieux, qu'ils soient naturels ou artificiels, prenant en compte, notamment,
les substances chimiques, nouvelles ou anciennes, et les risques physiques.
En ce domaine, les risques sont multiples, les expertises font appel à des
métiers et à de nombreux organismes très variés, que Dominique Voynet a cités
tout à l'heure. Il convient donc d'assurer la coordination de la sécurité
sanitaire environnementale et de garantir la cohérence et la transversalité des
actions menées pour prévenir et limiter ces risques.
Cette nouvelle agence devra permettre l'organisation, le développement et la
coordination de l'évaluation des risques sanitaires environnementaux.
L'expertise est nécessaire pour éclairer les pouvoirs publics et leur
permettre de prendre les décisions pertinentes. Or, actuellement, cette
expertise apparaît dispersée, insuffisante et cloisonnée ; cela a été expliqué
précédemment.
L'exemple du radon, caractérisé par des expertises contradictoires issues de
divers organismes, illustre la nécessité de synthèse en la matière. Ce n'est
que lorsque des recommandations consensuelles ont été formulées, en
l'occurrence par le Conseil supérieur d'hygiène publique de France - CSHPF -
que les pouvoirs publics ont été en mesure de définir et de mettre en oeuvre
une politique nationale de surveillance.
A ce jour, plus de 4 000 établissements recevant du public ont pu être
contrôlés par les services déconcentrés de l'Etat, dans le cadre de directives
édictées par les ministres en charge de la santé et du logement.
La création de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale doit
donc être l'occasion d'une rationalisation du système d'expertise et d'une
simplification pouvant conduire à une modification des rôles et des compétences
des organismes intervenant dans ce dispositif pour en accroître l'efficacité et
assurer la complémentarité de tous les intervenants.
Bien sûr, le rôle du Conseil supérieur d'hygiène publique de France sera amené
à évoluer. La question de sa suppression apparaît toutefois prématurée et ne
peut en tout état de cause s'envisager de manière isolée.
Nous attendons de cette future agence le développement de l'expertise dans le
champ de la santé environnementale, une analyse des risques renforcée et une
transparence vis-à-vis de l'opinion.
Il va de soi que l'évaluation doit être indépendante, que cette indépendance
soit garantie par le statut des organismes ou par la rigueur des processus de
validation scientifique. D'ores et déjà, une dotation de près de 40 millions de
francs, dont la moitié sur le budget du ministère de la santé, est inscrite
dans le projet de loi de finances pour 2001 en vue de sa mise en place.
Au-delà de la structure et de son organisation, sur lesquelles Mme Voynet
vient de rappeler la position du Gouvernement, il me paraît utile de souligner
l'importance et les difficultés que nous rencontrons au quotidien pour modifier
les mentalités et les réflexes.
Il s'agit aujourd'hui tout autant de forger une culture sécuritaire commune,
entre médecins et ingénieurs épidémiologistes, environnementalistes et
hygiénistes que de renforcer les synergies entre ministères.
Outre cette future agence, et la collaboration avec l'Institut de veille
sanitaire, le Comité national de sécurité sanitaire est le lieu à même de
renforcer ce rapprochement.
Il faut également souligner l'importance du travail collectif sur le terrain,
car c'est bien en situation d'alerte ou de gestion que se forge le savoir-faire
commun.
Je voudrais, pour terminer, vous faire partager ma réflexion et mes
convictions en ce qui concerne le futur et, d'abord, sur l'impossible
disparition de tout risque sanitaire.
En effet, quel que soit le dispositif mis en place, il faut continuer de viser
à réduire ces risques, mais on ne pourra jamais tous les éviter. L'une des
questions fondamentales, pour l'avenir, sera notre capacité à appréhender les
risques et à apporter la réponse appropriée - c'est-à-dire à proportionner les
moyens dont dispose la collectivité à leur gravité - en mettant en place le
cadre démocratique nécessaire de débat sur ces sujets.
Dans ce débat citoyen, en charge de la santé, je réaffirmerai la préoccupation
qui, à mon sens, doit prévaloir, quels que soient les produits concernés et les
modes d'exposition, à savoir la santé de l'homme et de la femme.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'Agence
française de sécurité sanitaire environnementale, que la proposition de loi
soumise à notre examen vise à créer, se situe dans le droit-fil de la réflexion
lancée par notre commission qui a conduit à l'adoption de la loi du 1er juillet
1998 sur le renforcement de la veille sanitaire et le contrôle de la sécurité
sanitaire des produits destinés à l'homme.
Lors de l'élaboration de la proposition de loi sénatoriale, une priorité avait
été accordée à la refonte des structures administratives sanitaires et des
règles de droit, dans les domaines les plus aisés à définir et aux conséquences
les plus immédiates pour la santé, à savoir ceux des produits de santé et des
aliments destinés à l'homme.
En 1998, l'Assemblée nationale avait introduit dans la loi, sur l'initiative
de MM. André Aschieri et Jean-François Mattei, un article 13 prévoyant que le
Gouvernement remettrait un rapport « sur l'opportunité et la faisabilité de la
création d'une agence de sécurité sanitaire de l'environnement ».
Le 18 mai 1998, le Premier ministre a confié à M. Aschieri et Mme Grzegrzulka
une mission d'analyse et de réflexion relative à « la prévention, l'évaluation
et la gestion des risques sanitaires liés à des perturbations de
l'environnement », notamment à la création d'une « agence de sécurité
environnementale ».
Il est intéressant de ce point de vue de constater que le Premier ministre
n'avait pas repris exactement les termes du législateur et avait introduit la
notion de « sécurité environnementale », qui est plus large que celle de «
sécurité sanitaire environnementale ».
Ce rapport a été rendu public le 16 novembre 1998. Les députés recommandaient
au Premier ministre des mesures d'amélioration de la coordination au sein de la
sphère gouvernementale par la mise en place d'un plan national pluriannuel «
santé environnement », la formalisation accrue de la coopération
interministérielle et la création d'un Haut Comité scientifique en santé
environnementale pour mieux coordonner le travail des comités scientifiques
existants.
Sur le plan institutionnel, les députés recommandaient le renforcement de la
veille environnementale et la création d'une agence de sécurité sanitaire
environnementale.
La présente proposition de loi, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée
nationale le 25 avril dernier, vise à créer cette nouvelle agence, complétant
ainsi le dispositif mis en place sur l'initiative du Sénat qui comprend
aujourd'hui trois organismes coordonnés par un Comité national de la sécurité
sanitaire.
D'abord, l'Institut de veille sanitaire, l'IVS, est chargé de détecter tout
événement susceptible d'affecter la santé de la population, d'alerter les
pouvoirs publics et de formuler des recommandations.
Ensuite, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé,
l'AFSSAPS, est chargée de l'évaluation des bénéfices et des risques liés à
l'utilisation de l'ensemble des produits de santé ou à finalité sanitaire ainsi
que des produits cosmétiques.
Enfin, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, est
chargée d'évaluer les risques sanitaires et nutritionnels que peuvent présenter
les aliments destinés à l'homme ou aux animaux.
La nouvelle agence, qui aurait pour mission de « contribuer à assurer la
sécurité sanitaire dans le domaine de l'environnement », compléterait le
dispositif destiné à fournir des éléments d'évaluation aux responsables
politiques pour éclairer leurs décisions et elle serait en relation avec l'IVS,
dont la mission d'alerte serait mieux affirmée dans le domaine de
l'environnement et elle serait placée sous l'autorité du Comité national de
sécurité sanitaire présidé par le ministre de la santé.
A la lecture du texte transmis par l'Assemblée nationale, la commission a
constaté que le concept d'environnement et son contenu n'étaient pas clairement
définis. La notion d'environnement est très large et il ressort des nombreuses
auditions que j'ai effectuées que, afin de mieux cerner le rôle de la future
agence, il faut préciser la notion de milieu et celle de risque. Concernant les
milieux, il convient de distinguer entre milieu naturel et milieu modifié par
l'homme. L'environnement naturel englobe l'air, l'eau et les sols, qui peuvent
faire l'objet de pollutions diverses. A un certain degré, la concentration de
substances toxiques peut avoir une incidence sur la chaîne aliementaire, d'où
des problèmes de frontière avec l'Agence française de sécurité sanitaire des
aliments ; ils devront être tranchés par le Comité national de sécurité
sanitaire. Mais il faut également tenir compte des milieux créés par l'homme,
qu'il s'agisse de l'environnement domestique ou professionnel.
S'agissant des facteurs de risques sanitaires qui peuvent affecter l'homme,
trois catégories doivent être dinstinguées selon la nature du risque.
Les risques biologiques, dus aux virus, aux microbes, aux bactéries, sont les
plus anciennement connus. Ils ont donné naissance à la notion d'« hygiène
publique ».
Les risques chimiques sont parfois aigus, telles les grandes pollutions dues
au mercure ou à la dioxine, parfois insidieux, telle la pollution due aux
nitrates ou à l'amiante.
Les risques physiques enfin peuvent recouvrir des risques accidentels, comme
les explosions de silos ou les accidents telluriques, mais aussi les
conséquences des rayonnements, qu'il s'agisse des rayonnements ionisants ou des
rayonnements non ionisants, notamment des ondes électromagnétiques à haute ou
basse fréquence.
Pour porter une appréciation sur une telle agence, il faut analyser trois
critères : la nécessité de sa création, l'ampleur et les difficultés des
missions qui lui seront assignées et l'efficacité des moyens prévus.
La nécessité d'une agence de sécurité sanitaire environnementale est
incontestable aux yeux de la commission.
L'attente de l'opinion est à la mesure des inquiétudes que suscite la
dégradation de divers indicateurs concernant l'environnement. Qui plus est, les
atteintes à l'environnement font généralement l'objet d'une forte médiatisation
qui conduit l'opinion à mettre en cause les « pouvoirs publics ».
Dans les sociétés modernes, les progrès techniques et le développement
économique peuvent provoquer un accroissement de l'exposition des individus à
des risques environnementaux chroniques ou accidentels, du fait des nuisances
et des pollutions diverses, mais aussi de l'apparition de plus en plus rapide
de substances ou de techniques nouvelles dont les effets peuvent n'apparaître
que tardivement sur la santé.
L'opinion ressent parfois confusément l'existence d'un risque sur lequel elle
ne détient que peu d'information.
Les résultats du baromètre du Comité français d'éducation pour la santé rendus
publics - heureuse coïncidence ! - le 3 octobre dernier sont particulièrement
instructifs et nous devons en tenir compte tout au long de notre débat.
Parmi les risques qui inquiètent le plus les Français, apparaissent la
pollution de l'air - 63,5 % - les aliments transformés ou pollués - 60,2 % - la
pollution de l'eau - 56 % - et le risque nucléaire - 54,8 %. Les thèmes liés à
l'environnement figurent donc parmi les craintes les plus répandues. Mais il
est tout aussi révélateur que plus de la moitié des Français - 53,2 % - se
considèrent mal informés sur la pollution de l'air et les deux tiers sur la
pollution de l'eau.
L'une des missions importantes de la nouvelle agence sera d'informer nos
concitoyens.
S'agissant des nouvelles substances introduites par l'homme dans son
environnement, aucune information claire n'est disponible sur les seuils de
doses dangereuses, sur l'impact des temps d'exposition et sur les synergies qui
peuvent exister entre les différentes substances. Nos concitoyens éprouvent
donc un sentiment général de défiance à l'égard des autorités, qui semblent
incapables de hiérarchiser les priorités en matière de protection contre les
risques sanitaires environnementaux. Toute crise risque dès lors de pousser à
prendre des mesures disproportionnées et peu cohérentes au regard du risque
réel. Le traitement de la perception du risque par des mesures spectaculaires
risque de l'emporter sur le traitement rationnel de ce même risque.
Ce sentiment de défiance, comme dans le domaine alimentaire, est largement
nourri par le foisonnement, le cloisonnement et la dispersion des organismes
chargés aujourd'hui de procéder à l'analyse, à l'évaluation et à l'expertise
des risques sanitaires environnementaux.
Votre rapporteur a déjà constaté, en 1997, lors de la mission d'information
présidée par M. Charles Descours, combien il était difficile de dresser la
liste des organismes compétents en matière de sécurité alimentaire. Il en est
de même aujourd'hui pour ce qui concerne les risques liés à l'environnement.
De fait en matière d'évaluation des risques, le dispositif actuel se
caractérise par une multiplicité d'organismes, vous l'avez souligné l'une et
l'autre, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat. Quelques organismes
qui sont dotés de la personnalité morale sont plus particulièrement
concernés.
L'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'INERIS,
dont nous n'avons pas fini de parler, est un établissement public à caractère
industriel et commercial, placé sous la tutelle du ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement. Il est chargé de réaliser ou de faire
réaliser des études et des recherches permettant de prévenir les risques que
les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et
des biens, ainsi que sur l'environnement. Il faudra m'expliquer pourquoi il
serait incongru de rattacher l'INERIS à l'agence.
Il faut citer également, malgré son statut particulier, l'Institut national de
recherche et de sécurité. Il s'agit d'une association « loi de 1901 » financée
par une contribution de la branche « accidents du travail », c'est-à-dire par
les cotisations des employeurs, dont la gestion est paritaire et qui a pour
objet de contribuer à l'amélioration de la sécurité et de l'hygiène au
travail.
Parmi les établissements publics, l'Office de protection contre les
rayonnements ionisants, l'OPRI, placé sous l'autorité des ministres de la santé
et du travail, exerce les missions d'expertise, de surveillance et de contrôle
propres à assurer la protection de la population contre les rayonnements
ionisants. Là encore, il faudra me convaincre que l'OPRI n'a pas sa place dans
une agence de sécurité sanitaire environnementale !
Mais, à eux seuls, ces grands organismes n'épuisent pas la liste des
structures compétentes. Dans son rapport sur la sécurité nucléaire, M.
Jean-Yves Le Déaut dénombre près de dix-neuf services ou organismes rattachés à
six ministères différents dans le seul domaine des radiations ionisantes. Le
moment n'est-il pas venu de mettre un peu d'ordre et de cohérence dans cette
multitude d'organismes ? Il y a en effet de quoi y perdre son latin !
Hors rayonnements ionisants, il existe plusieurs organismes d'expertise et
d'aide à la décision se présentant sous forme de comités ou de conseils au sein
de différents ministères, auxquels il faut ajouter les divers organismes qui
jouent un rôle en matière de veille environnementale, c'est-à-dire de détection
des perturbations de l'environnement. Je cite, dans mon rapport écrit, une
dizaine d'organismes ou de services, et cette liste n'est pas exhaustive !
Ainsi le constat dressé dans le rapport remis au Premier ministre par M.
Aschieri et Mme Grzegrzulka - il est confirmé par un récent rapport du Haut
comité de la santé publique - n'apparaît-il que trop pertinent, ce qui n'est
pas pour nous surprendre ! Les auteurs de ce rapport regrettent la dispersion
des dispositifs de veille, la multiplicité des structures de conseil
concurrentes, l'absence de vision globale des enjeux, les cloisonnements
persistants.
Le constat établi par votre commission a fait apparaître que le dispositif
français souffre de deux défauts majeurs.
Premier défaut, il est peu lisible : en cas de crise, l'opinion, les médias,
et parfois même les pouvoirs publics, sont déroutés. Dans une organisation
dispersée, aucun organisme ne dispose à lui seul d'une crédibilité
suffisante.
Second défaut, son rapport coût-efficacité est faible : la diversité des
organismes concernés, leur taille souvent insuffisante, le recoupement
nécessaire de leurs analyses entraînent à l'évidence une perte de temps, une
déperdition d'énergie et de moyens.
Le contraste est frappant avec les Pays-Bas, qui disposent d'un instrument
puissant à travers l'Institut national de la santé publique et de
l'environnement, le RIVM, que je suis allé visiter il y a quelques semaines,
rassemblant sur un site unique de multiples compétences et des laboratoires
nombreux qui permettent à cet organisme d'exercer des attributions importantes
en matière de santé environnementale.
Si la création d'une agence française de sécurité sanitaire environnementale
est nécessaire, il faut souligner l'ampleur et la difficulté de sa mission.
En effet, comme on l'a vu, le champ de l'environnement est extrêmement vaste
et les voies que peuvent emprunter les facteurs de risque sanitaire sont
multiples. Ce sont souvent plusieurs facteurs qui augmentent la probabilité que
survienne un état pathologique.
Si, dans les années soixante et soixante-dix des procédures de surveillance et
de contrôle ont été mises en place pour diminuer les risques liés à de fortes
doses de contaminants, tout reste à faire pour étudier et prévenir, les
conséquences des expositions chroniques et multiples à des quantités de
polluant faible. La toxicité à long terme liée à des doses minimes est
difficile à évaluer, d'autant que le temps de latence est variable.
Comme l'indique le rapport Aschieri-Grzelgrzulka, l'écueil à éviter est de
considérer qu'un phénomène invisible, parce que l'on ne s'est pas donné les
moyens de l'observer, n'existe pas.
La question de la sécurité alimentaire était déjà plus complexe que celle des
produits de santé dont la fabrication était bien définie et déjà bien encadrée
: il a fallu assurer le contrôle sanitaire de l'ensemble de la filière
alimentaire « de la fourche à la fourchette ». En matière de sécurité sanitaire
environnementale, le champ d'observation se dilate encore : pour analyser et
prévenir les risques, des moyens considérables seront nécessaires.
Sous sa forme actuelle, l'Agence française de sécurité sanitaire
environnementale est-elle à la mesure de l'enjeu ? A vrai dire, votre
commission tout comme votre rapporteur doivent faire part d'une certaine
déception.
Tout d'abord, la définition de la mission de l'agence est imprécise. La
proposition de loi indique seulement que « l'agence a pour mission de
contribuer à assurer la sécurité sanitaire dans le domaine de l'environnement »
et d'évaluer les risques sanitaires qui sont liés à l'environnement. La mission
de la nouvelle agence est donc assez floue.
Autre point surprenant : le risque radioactif n'est pas explicitement intégré
dans le champ des compétences de l'agence alors que le Gouvernement annonce un
décret portant sur la refonte du dispositif de sûreté et radioprotection
nucléaire français.
Enfin, la nouvelle agence telle qu'elle est conçue actuellement, ressemble
fort à une « coquille vide ».
Madame la ministre, il ne suffit pas d'inscrire 37 millions de francs au
budget et de créer trente-cinq emplois pour remplir une coquille ! L'agence
n'est pas une « agence de moyens » ; c'est une simple « agence d'objectifs »
chargée
ex nihilo
de mobiliser la capacité d'expertise des organismes
existants et d'en assurer une meilleure coordination. Encore sait-on par
expérience qu'il ne suffit pas de coordonner les expertises - dont les
conclusions sont parfois opposées - pour avoir fait avancer la question que
l'on veut résoudre !
En l'état, l'agence ressemble plus à un « institut » ou à un « observatoire »
- ou encore au haut comité scientifique en santé environnementale, dont la
création avait été suggérée dans le rapport de M. Aschieri et de Mme
Grzegrzulka - qu'à une agence au sens de la loi du 1er juillet 1998.
Il existe d'ailleurs au Québec un organisme dont les attributions sont proches
de l'AFSSE actuelle, qui a pour rôle de coordonner les positions et les
programmes au sein de l'administration et de faciliter la concertation avec le
réseau de santé publique en matière de santé environnementale. Cet organisme,
qui ressemble à l'agence telle qu'elle ressort des travaux de l'Assemblée
nationale, est dénommé Comité de santé environnementale. Vous voyez qu'à
travers la querelle de mots il y a quelque chose de fondamental qui nous
oppose, mais je ne doute pas que le débat nous permettra de rapprocher nos
points de vue.
Une « tête de réseau » n'est pas une agence au sens d'un véritable instrument
d'aide à la décision pour le responsable politique. Les deux agences créées en
1998 ont vocation à présenter les enjeux scientifiques et techniques d'une
question, afin de permettre au responsable politique de prendre en toute
connaissance de cause les décisions. Elles doivent répondre à trois impératifs
: compétence, transparence et indépendance.
Plutôt que d'ajouter un nouvel organisme d'expertise dans un secteur qui en
compte déjà beaucoup, nous nous accordons sur ce point, il est préférable de
rechercher les moyens d'engager, dès maintenant, une réorganisation du
dispositif actuel. Sinon, à quoi bon légiférer ?
Votre commission ne peut accepter de laisser le dispositif issu de l'Assemblée
nationale en l'état, sauf à qualifier le nouvel organisme « d'office » ou «
d'observatoire » de la sécurité sanitaire environnementale. Cette démarche
n'aurait alors de sens que si cet organisme était conçu comme une première
étape avant la création d'une véritable agence. L'article 3 du texte qui
prévoit, dans un délai de deux ans, un rapport sur la rationalisation du
système national d'expertise en matière de sécurité sanitaire environnementale
s'inscrirait alors dans une telle démarche.
Cette solution a semblé à votre commission peu compatible avec les attentes de
l'opinion, d'autant que la loi du 1er juillet 1998 avait déjà prévu la remise
d'un rapport sur cette question et qu'au fond, en trois ans, nous n'aurions
guère progressé.
Pour faire de l'agence un outil performant et la doter d'une capacité
d'expertise lui donnant efficacité et crédibilité, l'alternative est la
suivante : soit doter l'agence d'un haut niveau de moyens humains et
budgétaires, importants et pérennes, permettant de recruter des chercheurs de
haut niveau, à l'autorité reconnue, capables d'assurer un travail d'expertise,
d'évaluation et de synthèse sur les données disponibles et de définir des axes
de recherche dans les domaines où la France prend quelque retard ; soit, autre
démarche que votre commission a privilégiée, créer l'agence en la dotant d'un «
noyau dur » à partir d'organismes existants qui, du fait de leur autorité
reconnue et de leur expérience, lui donnent une existence « réelle » et non «
virtuelle ».
Une démarche comparable a contribué à la création de l'AFSSA par le transfert
du Centre national d'études vétérinaires et alimentaires, et lui a donné
l'assise de départ nécessaire, ce dont chacun désormais se félicite.
Votre commission vous proposera d'adopter, outre plusieurs amendements
rédactionnels, trois modifications de fond à la proposition de loi.
Les amendements rédactionnels sont nécessaires pour effectuer les
coordinations requises par l'entrée en vigueur de la nouvelle rédaction du code
de la santé publique par ordonnance du 15 juin 2000.
Votre rapporteur souligne que, ce faisant, il n'entend pas demander à votre
Haute Assemblée de ratifier implicitement l'ensemble du code de la santé
publique. Celui-ci, composé de 2 300 articles, devra faire l'objet d'un examen
attentif à l'occasion de l'adoption du projet de loi de ratification déposé
devant le Sénat le 13 juillet dernier.
Sur le fond, il vous sera proposé tout d'abord de préciser dans la loi que la
mission d'évaluation porte sur les risques physiques, chimiques ou biologiques
liés à l'environnement naturel, domestique et professionnel, qui résultent
notamment de la pollution de l'air, des eaux et des sols ainsi que des
rayonnements ionisants ou non ionisants.
Il est proposé ensuite de constituer la nouvelle agence par absorption de
l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'INERIS, et
de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants, l'OPRI, dont les
compétences sont proches de celles de la nouvelle agence. Votre commission a
posé le principe que les garanties statutaires des personnels des deux
organismes devraient en tout état de cause être maintenues.
En dotant l'agence d'un noyau dur, votre commission n'entend pas créer une
agence « attrape-tout » qui aurait vocation à absorber, peu à peu ou
rapidement, l'ensemble des organismes compétents à un titre ou à un autre pour
l'expertise des liens entre la santé et l'environnement.
Dans notre esprit, l'agence pourra procéder par elle-même à des études ou à
des expertises, mais elle pourra le faire également en prenant appui sur les
services et sur les établissements publics compétents avec lesquels elle pourra
nouer - c'est d'ailleurs le voeu de l'Assemblée nationale - des relations
contractuelles de partenariat durable. Nous avons conservé cette disposition,
tout en étant conscients que les relations contractuelles de partenariat
durable seraient d'autant plus solides que l'agence serait plus forte.
Il reste la question essentielle des moyens financiers dont l'agence devra
être dotée pour remplir ses missions : les 37 millions de francs prévus comme
base de départ en budget annuel sont tout à fait insuffisants si l'on veut une
agence réellement efficace et « rapidement opérationnelle », conformément à
votre souhait.
Le budget de l'INERIS s'élevait à 260 millions de francs en 1999. C'est la
raison pour laquelle votre commission a souhaité présenter, ce matin, un
amendement visant à garantir que 2 % de la taxe générale sur les activités
polluantes, la TGAP, seront affectés au financement de la nouvelle agence,
s'inscrivant ainsi dans la logique même de cette taxe, qui avait pour objet, à
l'origine, d'appliquer le principe « pollueur-payeur » et qui était d'ailleurs
destinée, mes chers collègues, au financement de l'Agence de l'environnement et
de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME. Pourquoi ce qui était bon pour l'ADEME ne
le serait-il pas pour l'AFSSE ?
Mes chers collègues, c'est en modifiant ainsi le texte qui nous est soumis que
le Sénat pourra faire oeuvre utile, en donnant à cette agence les moyens
d'exister et de jouer le rôle qui doit être le sien pour répondre aux attentes
souvent inquiètes de nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Autain.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. François Autain.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, comme vient de le rappeler notre collègue M. Claude Huriet, le
texte qu'il nous revient d'examiner aujourd'hui répond au rendez-vous que nous
nous étions fixé avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement lors de la
discussion de la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille
sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à
l'homme.
Ce rendez-vous avait été fixé unanimement puisque, dans un contexte politique
chaque jour plus difficile, la sécurité sanitaire demeure, heureusement pour
nos concitoyens, un sujet de réflexion consensuel. Ce rendez-vous était
nécessaire puisqu'il convenait en effet de compléter notre dispositif de
sécurité sanitaire mis en place, pour l'essentiel, en 1998 sur l'initiative de
la Haute Assemblée.
Ce dispositif - ai-je besoin de le rappeler ? - comprend l'Institut de veille
sanitaire, dont notre rapporteur a rappelé la mission d'évaluation des risques
et d'alerte, les deux agences chargées de contrôler la qualité et la sécurité
des produits destinés à l'homme, auxquels ils convient d'ajouter, me
semble-t-il, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé. Cette
agence - dont, il est vrai, on parle moins - a été créée en 1996 et est chargée
de mieux garantir la qualité et la sécurité des actes thérapeutiques. Elle a,
me semble-t-il, un rôle à jouer qui doit être signalé dans cet ensemble.
Afin de coordonner l'action développée par ces trois piliers et d'impliquer
pleinement la responsabilité politique dans la définition d'une stratégie
globale, a été enfin institué un Comité national de la sécurité sanitaire. Vous
vous en souvenez, monsieur le rapporteur, s'agissant du contrôle des produits,
nous souhaitions tous, à l'époque, plutôt une agence unique - je regrette de ne
pouvoir vous citer, madame la secrétaire d'Etat, mais vous n'étiez pas encore
là, hélas ! et Mme la ministre de l'environnement, à cette époque, n'était pas
directement concernée par ce débat alors qu'elle le devient avec la création de
l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, ce dont nous devons
tous nous féliciter. Nous souhaitions tous, disais-je, une agence unique, à
l'instar du modèle américain, en accord avec le nouveau Premier ministre,
Lionel Jospin, qui, au lendemain de sa nomination, dans sa déclaration de
politique générale s'était prononcé en faveur d'une telle agence.
C'est finalement le système bipolaire qui l'a emporté - avant d'en arriver,
sans doute bientôt, au système tripolaire ! - au terme d'un arbitrage difficile
entre les thèses défendues par le ministère de la santé et les thèses défendues
par le ministère de l'agriculture.
De la même manière, nous avions envisagé un élargissement des missions de
l'Institut de veille sanitaire à l'ensemble des questions relatives à la
sécurité environnementale, à l'instar des
Centers for Disease Control,
les CDC américains, qui ont une mission globale d'évaluation et d'alerte
s'agissant des risques qui pèsent sur l'homme dans ses rapports avec son
environnement.
Voilà pourquoi, selon moi, il eût sans doute été préférable de compléter les
compétences de l'Institut de veille sanitaire plutôt que de créer une nouvelle
agence.
Pourquoi, me direz-vous ? Je ne reviendrai pas longuement sur les arguments
déjà développés voilà deux ans. En quelques mots, je dirai seulement qu'évaluer
et alerter doivent reposer sur une méthodologie commune qui, depuis l'expertise
jusqu'à l'accomplissement de la mission de contrôle et la communication avec le
public - j'insiste beaucoup sur ce point - donne à l'action de l'Etat, en
matière de sécurité sanitaire, une unité sans laquelle elle n'est pas comprise
par nos concitoyens.
Tel est le fondement du système de sécurité sanitaire américain, dont nous
nous sommes inspirés et qui a permis, outre-Atlantique mieux qu'en Europe, de
traverser les récentes crises sanitaires. Je tenais à le dire cette année comme
il y a deux ans.
Toutefois, le réalisme m'impose, cette année comme il y a deux ans, de retenir
la proposition qui nous est faite de la création d'une nouvelle agence. Mais je
vous mets en garde de ne pas aggraver, ce faisant, l'éparpillement des moyens
qui, malheureusement, est la règle dans notre système de veille et de sécurité
environnementale.
Or notre rapporteur a suffisamment montré, pour que je n'y revienne pas, dans
le domaine de la sécurité environnementale peut-être plus encore que dans celui
des produits de santé et des aliments que nous examinions il y a deux ans,
l'extraordinaire dispersion d'institutions parfois redondantes. Lorsque nous
savons, par ailleurs, qu'elles effectuent leurs missions dans l'ignorance les
unes des autres, on peut effectivement s'inquiéter sur la qualité et
l'efficacité du travail qui est ainsi effectué.
Notre constat commun me conduit, comme lui, à donner une mission autre que
celle de simple expertise à la nouvelle agence, en y intégrant les moyens de
l'INERIS, dont les compétences - je regrette, madame la ministre de
l'environnement, d'aller un peu à l'encontre des objectifs que vous vous êtes
fixés - épousent une grande part du champ que nous entendons couvrir
aujourd'hui.
Je conviens que, compte tenu de son statut, mais aussi de l'intérêt qu'il y
aurait plutôt à le rattacher à l'Institut de veille sanitaire, l'Institut
national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du
travail et des maladies professionnelles doit rester à l'écart de notre
discussion, même si un rapprochement est hautement souhaitable dans le champ
des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Il n'en reste pas moins vrai que cet organisme doit se rénover pour ne plus
donner prise aux critiques qui lui sont faites en ce qui concerne notamment son
manque d'indépendance et de transparence ; mais j'y reviendrai tout à
l'heure.
Reste, évidemment, l'autre sujet central des propositions de notre rapporteur,
je veux parler de la sécurité sanitaire dans le domaine nucléaire.
A l'évidence, deux logiques s'opposent.
La première, celle de notre rapporteur, postule que l'unité des moyens est un
facteur essentiel de l'efficacité en matière de sécurité sanitaire et le
conduit à proposer le rattachement de l'Office de protection contre les
rayonnements ionisants à l'agence que nous créons aujourd'hui. Mais il ne va
pas jusqu'au bout de sa logique, puisqu'il laisse de côté l'Institut de
protection et de sûreté nucléaire. Et pourtant, j'estime quant à moi, et je ne
suis pas le seul, que la sûreté nucléaire fait partie intégrante de la sécurité
nucléaire au même titre que la protection des personnes.
Mais on voit bien, ne serait-ce qu'en raison de sa dimension - plus d'un
millier d'experts et de chercheurs, un budget de 450 millions de francs - qu'un
tel organisme ne peut être intégré à l'agence sans déséquilibrer l'ensemble,
l'éventuelle fusion entre l'INERIS et l'OPRI que nous propose le rapporteur ne
concernant que quelque six cents personnes et un budget de 345 millions de
francs sans compter les amputations de personnel et de budget auxquelles on
sera conduit en constituant cette agence. C'est sans doute l'une des raisons
pour lesquelles M. le rapporteur n'est pas allé jusqu'au bout de sa logique.
Le nucléaire a été conçu à l'origine comme un domaine spécifique - il le
demeure d'ailleurs - sans que le législateur ait été beaucoup sollicité, ce que
nous pouvons tous regretter. Certes, on nous a fait miroiter le dépôt d'un
projet de loi sur la transparence nucléaire, mais nous ne voyons toujours rien
venir. Il nous est tout de même permis d'espérer puisque M. le Premier ministre
en a parlé lors des journées parlementaires socialistes à Lyon.
Pour toutes ces raisons, il serait, me semble-t-il, dangereux et irréaliste de
ramener cet institut de sûreté nucléaire dans le droit commun sans période de
transition.
L'autre logique, défendue dans un rapport datant de juillet 1998 signé par
notre collègue M. Jean-Yves Le Déaut et, du moins avais-je cru le comprendre,
soutenu par le Gouvernement, consiste au contraire à créer un instrument unique
de radioprotection et de sûretê nucléaire qui résulterait de la fusion de
l'OPRI et de l'IPSN et qui intégrerait les questions de sécurité sanitaire
rassemblant ainsi dans un même organisme la totalité de ce champ de compétences
très spécifiques. On créerait ainsi en quelque sorte une quatrième agence
consacrée à la sûreté nucléaire. On n'en est pas à une agence près ! Il en
existe trois, pourquoi pas quatre dès lors que le champ de compétences de
chacune de ces agences est bien limité, ce qui est, je crois, le cas
aujourd'hui.
Cette option, je dois le reconnaître, n'est pas mauvaise en soi. Elle opère le
rapprochement entre deux cultures, celle des médecins et celle des ingénieurs.
Elle associe l'expertise et la recherche avec l'IPSN à la surveillance de
l'environnement et la protection des travailleurs et de la population avec
l'OPRI.
Cependant, ne doit-on pas craindre que, dans un tel schéma, la dimension
sanitaire de la sécurité nucléaire ne soit reléguée au second plan...
M. Charles Descours.
Très bien ! Bien sûr !
M. François Autain.
... au profit de la sûreté nucléaire ?
M. Charles Descours.
Industrielle !
M. François Autain.
Que peuvent peser en effet les quelque deux cents agents de l'OPRI face aux
effectifs cinq fois supérieurs de l'IPSN ?
A cet égard, il n'est pas inutile de signaler que, si la France est le pays
qui fabrique le plus d'électricité d'origine nucléaire, elle est aussi celui
qui consacre les moyens les plus réduits à la radioprotection. Il y a là un
vrai problème auquel me semble-t-il, madame le ministre de l'environnement,
vous ne manquerez pas d'être sensible, problème que, selon moi, l'excellent
rapport de notre collègue M. Le Déaut n'a pas suffisamment pris en
considération.
On voit donc que chaque logique a ses avantages et ses inconvénients.
J'ajouterai enfin - je vous fais part d'une réflexion personnelle - qu'on peut
trouver pour le moins étrange qu'une agence de sécurité environnementale soit
déchargée d'une mission qui entre directement dans ses compétences, à savoir
les rayonnements ionisants. S'il existe en effet un domaine qui concerne
l'environnement, c'est bien celui des rayonnements - comme vous l'avez
d'ailleurs mentionné dans votre amendement, monsieur le rapporteur.
Dans quel schéma se trouvera mieux prise en compte la sécurité sanitaire ?
Faut-il conserver des systèmes de sécurité différents pour le nucléaire et les
autres pollutions ? Il est difficile de répondre à cette question qui nous est
aujourd'hui posée.
La proposition du rapporteur est une première réponse. Elle n'est sans doute
pas unique et définitive. La navette entre nos deux assemblées doit, à mon
sens, nous permettre d'affiner cette réponse.
Tourner le dos aujourd'hui à la proposition de notre rapporteur signifierait
que nous renonçons à engager ce débat.
Telle est la raison pour laquelle, madame la ministre, je souhaite laisser
toute sa chance au débat et ne pas écarter, à cette étape de la discussion
parlementaire, la proposition de M. le rapporteur.
Il ne faudrait pas, toutefois, que la décision que prendra de toute façon,
avec ou sans moi, la Haute Assemblée laisse penser au Gouvernement que,
décidément, la tâche devient trop difficile pour poursuivre l'oeuvre
aujourd'hui engagée. La loi de 1998 a montré que les deux assemblées et le
Gouvernement savaient surmonter leurs désaccords et trouver un compromis, tant
chacun mesure l'importance qu'attachent nos compatriotes à la sécurité
sanitaire - cela a déjà été dit mais il est bon de le répéter - et la place que
celle-ci occupe dans une perception plus citoyenne de l'action de l'Etat.
Ayant pris ainsi position sur l'essentiel, vous me permettrez de revenir sur
trois aspects particuliers.
Je voudrais vous dire d'abord, madame la ministre, madame la secrétaire
d'Etat, l'importance que j'attache à ce que ces agences nouvelles ne s'ajoutent
pas mais se substituent autant que faire se peut aux trop nombreuses instances
qui exercent aujourd'hui des compétences en matière de sécurité
environnementale.
Pour marquer cette volonté, je vous proposerai tout à l'heure, par voie
d'amendement - c'est un amendement « révolutionnaire » ! - de supprimer le
conseil supérieur de l'hygiène publique de France.
Il fallait oser, n'est-ce pas ?
(Sourires.)
M. Guy Fischer.
On ne vous le fait pas dire !
M. François Autain.
Quand on relit les attributions qui lui sont confiées depuis près d'un siècle,
on ne peut qu'être frappé par leur coïncidence avec celles qui sont aujourd'hui
dévolues, avec les moyens considérables qui sont désormais les leurs, aux
agences de sécurité sanitaire.
Vous observerez, madame la ministre, que je n'ai pas touché au comité de
précaution et de prévoyance !
(Mme le ministre et Mme le secrétaire d'Etat
sourient.)
M. Charles Descours.
Révolutionnaire mais pas anarchiste !
M. François Autain.
Réaliste !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Ce comité
n'a pas été créé par une loi.
M. François Autain.
Oui ! Vous voulez dire que je ne pouvais pas y toucher ; vous avez raison.
En fait, il s'agit de marquer une volonté de consolidation et de
simplification du dispositif actuel.
Il faudra bien d'autres initiatives, dans le domaine qui nous occupe
aujourd'hui comme dans celui qui nous occupait il y a deux ans, pour atteindre
cet objectif.
Comment ne pas redire aujourd'hui, par exemple, combien les compétences qui
sont encore dévolues à la DGCCRF compromettent l'action de nos agences de
sécurité des produits ?
Aux agences d'agir et à l'Etat de coordonner !
Je voudrais également reprendre à mon compte ici deux propositions faites par
Philippe Kourilsky et Geneviève Viney dans leur rapport au Premier ministre sur
le principe de précaution.
Parce que nous avons fait le choix de la dispersion des agences et que les
experts ne se sont pas multipliés à proportion, ce rapport propose la création
d'un organisme supplémentaire destiné à coordonner le choix et la définition
des missions confiées à l'expertise.
Je soutiens pleinement cette proposition et je souhaiterais connaître les
intentions du Gouvernement à son sujet et, plus généralement, savoir quelles
suites il entend donner aux recommandations contenues dans ce rapport. Le
principe de précaution est en effet au coeur de nos préoccupations, car il a un
lien direct avec le sujet que nous traitons aujourd'hui.
J'en soutiens une autre fondée sur le constat des difficultés de communication
de l'Etat en matière scientifique.
Certes, il nous faut surveiller, expertiser, protéger, mais nous avons besoin
d'une autorité compétente et reconnue pour informer, expliquer et orienter.
Pour illustrer mon propos, je ne prendrai qu'un exemple, parce que le plus
récent : il s'agit du naufrage de l'
Erika,
auquel je suis
particulièrement sensible étant un élu de Loire-Atlantique ; comme vous le
savez, c'est un département qui a été très touché par la marée noire, qui l'est
encore, d'ailleurs.
L'affaire de l'
Erika
s'est caractérisée par une absence d'information
sur le risque faible. Lorsque ce risque a été connu du grand public, les élus
locaux avaient décidé de renvoyer tous les bénévoles chez eux.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Eh oui !
M. François Autain.
Or ces derniers auraient sans doute accepté de courir un risque faible s'ils
en avaient eu une parfaite connaissance et s'ils avaient reçu en temps utile
des informations sur les moyens de s'en prémunir.
L'expérience du naufrage de l'
Erika
montre que la réflexion sur la
santé environnementale à laquelle nous nous livrons aujourd'hui n'est pas
suffisante. Elle doit s'accompagner d'une réflexion sur la communication en
direction de nos concitoyens.
Aujourd'hui, dans notre pays, nous manquons de journalistes scientifiques, et
les moyens qui leur sont accordés sont très limités. L'Etat lui-même, je viens
de le montrer, ne sait pas bien communiquer sur les risques qui pèsent sur la
sécurité sanitaire, au prix d'une incompréhension dramatique de l'opinion
publique.
Le rapport Kourilsky suggère, à juste titre, la création d'une agence de
presse scientifique, que celle-ci naisse de l'initiative privée ou de
l'initiative publique. J'aimerais là encore, madame la ministre, connaître
votre point de vue sur ce problème.
J'achèverai mon propos sur une note plus polémique, mais aussi un peu plus
souriante, même si certains sourires risquent d'être quelque peu crispés.
La définition du risque sanitaire environnemental m'a toujours paru
nécessaire, et je suis d'accord avec vous, monsieur le rapporteur, quand vous
proposez un amendement dans ce sens. Cette définition m'apparaît encore plus
nécessaire aujourd'hui, depuis que j'ai pris connaissance avec effarement des
déclarations de M. Seillière parues dans le dernier numéro de la revue
Risques.
C'est une revue qui est très difficile à trouver, mais on est
vite récompensé des efforts que l'on a dû faire pour l'obtenir.
Voilà ce que dit M. Seillière en réponse à une interview de M. Ewald, qui est
aussi une personnalité très compétente en matière de risques... surtout
lorsqu'il s'agit d'assurances !
« Autour du risque, on trouve une sorte de succédané de la lutte des classes.
Je veux dire que les batailles sur le risque, la sécurité alimentaire ou
sanitaire, la sécurité des produits, sont aussi la manière moderne de lutter
contre les entreprises innovantes, une manière d'en contester la légitimité.
Quand on ne peut plus combattre l'entreprise au nom du profit et de
l'exploitation, on utilise le risque, la protection de la santé et
l'environnement, ce n'est pas nécessairement moins efficace. »
J'ignorais, monsieur le rapporteur, qu'en militant depuis des années, avec le
talent et la persévérance que l'on vous connaît, en faveur de la sécurité
sanitaire, vous étiez devenu un adepte ou, mieux encore, un acteur de la lutte
des classes.
(Sourires.)
C'est en tout cas la conclusion que je tire des
propos de M. Seillière, même s'il ne s'agit, comme celui-ci l'a indiqué, que
d'un succédané de lutte des classes. Vous semblez apparemment vous en
contenter, et je crois que c'est bien comme cela !
Pour ma part, je voulais soumettre à votre réflexion ma proposition, celle de
créer une nouvelle agence pour prémunir les salariés du secteur privé contre
les risques que leur font courir le MEDEF et son président, que nous pourrions
à notre tour comparer respectivement à un succédané de patronat de combat et à
un succédané de patron de droit divin ! (
Sourires.
)
Plus sérieusement, ces propos de M. Seillière nous aident à comprendre
peut-être un peu mieux le comportement de certaines entreprises en matière de
protection sanitaire de leurs salariés. A cet égard, le rapport de l'Inspection
générale des affaires sociales de septembre 1999 sur le fonctionnement de
l'INRS nous apprend comment la direction de Pechiney a obtenu de cette
institution que les conclusions d'une expertise qui établissait le lien de
causalité existant entre la manipulation de l'aluminium sur une longue période
et l'apparition de la maladie d'Alzheimer soient purement et simplement
supprimées.
Sans doute a-t-on là un début d'explication des difficultés que rencontre la
refondation sociale, notamment dans le domaine de la médecine du travail.
Il n'empêche qu'est ainsi formulée de façon très claire la nouvelle idéologie
du patronat,... des entrepreneurs, veux-je dire. Je pense qu'il était important
que les salariés soient informés des nouvelles conséquences que l'application
de cette idéologie dans les entreprises pouvait avoir sur leur santé.
Cela tendrait à prouver que la refondation sociale ne passe pas par la
négation des préoccupations de nos concitoyens. Certes, M. Bernard Kouchner
avait raison de rappeler constamment à l'opinion publique que le « risque zéro
» n'existe pas. Mais il ajoutait toujours, n'en déplaise à M. Seillière, qu'il
appartenait à l'Etat, ainsi qu'aux entreprises citoyennes, de convaincre que
tout était fait pour limiter au mieux le risque.
Tel est bien le sens de la démarche que nous engageons ensemble aujourd'hui.
Nous devons rester sur le terrain consensuel que, au Sénat comme à l'Assemblée
nationale, nous avons jusqu'à présent choisi de suivre.
Tel est le voeu que je forme avant que ne s'engage la discussion des articles,
dont l'objet doit être non de constater les désaccords mais, au contraire, de
rechercher ensemble des solutions communes. Sachons, pour cela, madame la
ministre, donner un peu de temps au temps et laisser la navette faire son
oeuvre.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais
tout d'abord dire à notre ami M. Autain que le problème du risque est
effectivement important. Il a même donné naissance à une nouvelle science : la
cindynique, qui a déjà fait l'objet de colloques, notamment à Sophia Antipolis,
et qui a de fort nombreuses applications.
Ainsi les sociétés d'assurance estiment-elles à 500 milliards de francs le
coût, pour elles, des conséquences de l'effet de serre. L'effet de serre n'est
pas une théorie ; il a des conséquences mesurables, non seulement, hélas ! en
nombre de morts - certains estiment que la multiplication des cyclones
tropicaux a provoqué plusieurs millions de morts - mais aussi en termes
financiers.
Une proposition de loi préparée depuis trois ans par André Aschieri et
soutenue par Jean-François Mattei, votée par l'Assemblée nationale à
l'unanimité, puis étudiée en grand détail au Sénat par Claude Huriet, avec
l'approbation de la commission des affaires sociales, c'est évidemment un texte
sur le fond duquel nous sommes globalement tous d'accord.
Certes, et j'ai bien écouté le discours de Mme la ministre, des divergences
existent en ce qui concerne les missions qu'il convient de confier à l'agence
qu'il est proposé de créer et ce que deviendront les structures préexistantes ;
selon M. Huriet, celles-ci devraient constituer le « noyau dur » de la nouvelle
agence.
En tout cas, il est essentiel que cette nouvelle agence soit dotée de moyens.
A cet égard, la proposition d'amendement de la commission concernant la TGAP me
paraît important, ne serait-ce que parce qu'il correspond bien à l'esprit de la
taxe en question, et aussi à ce que veulent nos compatriotes, à savoir
renforcer la sécurité pour eux-mêmes et pour l'environnement. Nous le savons
tous ici, il s'agit là d'une demande forte.
Je tiens donc à vous remercier, madame la ministre, des 37 millions de francs
que vous avez pu mettre en place dès cette année afin que cette agence existe.
Cela étant, vu l'ampleur des domaines en cause, les fonds alloués à l'agence
devraient connaître une forte progression.
De même que pour d'autres établissements, tels que l'agence pour les économies
d'énergie, l'affectation d'une taxe ou d'une part du produit d'une taxe
correspond à une certaine logique.
Je n'ignore pas que beaucoup de ces taxes se trouvent prises dans une sorte de
trou noir : elles servent en fait à améliorer la présentation du budget de
l'Etat. Mais il y a aussi le cas, par exemple, de l'Institut français du
pétrole, auquel est affectée une partie de la taxe intérieure sur les produits
pétroliers. Il n'y a donc pas là une véritable innovation.
La précision que veut apporter notre rapporteur à propos des rayonnements
ionisants et non ionisants est importante. S'agissant des rayonnements
ionisants, autant l'intégration de l'OPRI dans l'agence ne me paraît pas
anormale, autant la fusion entre l'OPRI et l'IPSN ne me semble pas une bonne
chose.
Le cadre contractuel que l'IPSN développe, par exemple avec le CHU
Saint-Antoine ou au sein du groupe radiologie du Nord-Cotentin, présente
incontestablement des potentialités. Précisément, ces potentialités, la future
agence, en tant qu'agence de moyens et de financement, pourra les
concrétiser.
J'ai néanmoins été très frappé par l'observation de Mme la ministre concernant
les préoccupations que ne manqueraient pas d'avoir les responsables de la
nouvelle agence si, dès le départ, ils étaient confrontés au problème de
l'intégration de plusieurs organismes au sein de ladite agence, s'agissant
notamment de l'aménagement des statuts des personnels, même si l'on maintient
les avantages acquis. J'ai moi-même, dans un passé un peu lointain, eu des
responsabilités de ce type au sein de l'administation française et je sais que
cela dévore vraiment beaucoup d'énergie.
La formule à laquelle songeait Mme la ministre m'a fait penser au CNRS
première manière, qui n'avait pas de personnel propre. Il finançait les
universités, les établissements de recherche, etc. Et cela ne marchait pas si
mal ! Je dirai même que beaucoup d'universitaires, d'une certaine façon,
regrettent cette formule.
Je crains là aussi - et je m'en excuse auprès du rapporteur - qu'une trop
grande dépendance vis-à-vis du personnel dont on a la charge directe n'affecte
le rôle de coordination de multiples structures que l'on ne pourra pas toutes
rassembler, sauf à créer un énorme « machin ». D'où mon incertitude sur ce
point. Mais nous serons certainement amenés à en débattre plus à fond.
Il n'est pas évident que, dès le départ, il faille intégrer différents
organismes. Inéluctablement, on devra intégrer des équipes, des parties
d'équipes, tout en renforçant les moyens de ceux à qui l'on empruntera des
experts.
En tout cas, ce problème mérite d'être étudié plus en détail.
Je consacrerai la deuxième partie de mon intervention aux ondes
électromagnétiques et à l'utilisation, de plus en plus large, des fréquences
hertziennes.
En tant que membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques, j'ai été saisi d'une demande concernant, d'une
part, les conséquences, notamment économiques, de l'évolution scientifique et
technologique dans le secteur des télécommunications et, d'autre part, les
effets des téléphones portables sur la santé. De fait, de plus en plus de
personnes s'interrogent sur ces effets.
La première étude réalisée sur le sujet résultait d'une initiative de
l'Académie des sciences, prise lors du colloque « Communication mobile. -
Effets biologiques », organisé en avril 2000 sous l'égide de son conseil pour
les applications, le CADAS.
La future académie des sciences de l'ingénieur a dégagé un certain nombre de
conclusions qui sont les suivantes.
A moyen terme, avec les normes GSM et UMTS, le risque sanitaire lié à la
téléphonie mobile peut être considéré comme faible : d'une part, l'évolution
technologique des terminaux tend à diminuer l'exposition cérébrale ; d'autre
part, dans la gamme de fréquences de deux gigahertz actuellement utilisée,
aucune étude dosimétrique - sur l'animal - ou épidémiologique sérieuse n'a mis
en évidence d'effets biologiques significatifs.
Cependant l'Académie des sciences fait remarquer que le nombre de personnes
exposées, qu'il s'agisse des enfants, des personnes âgées ou des malades,
augmente.
Par conséquent, sur le plan sanitaire, on ne sait pas très bien où l'on en
est.
Cela étant, les réglementations européennes fixent un facteur de sécurité de 5
au-delà des limites d'exposition prévues pour les travailleurs ou dans les
zones contrôlées.
A plus long terme, les réseaux mobiles s'intégreront dans une constellation de
différents réseaux, dont certains pourraient être implantés sur les personnes
elles-mêmes. Cela signifie qu'il y aurait une augmentation massive du nombre
des émetteurs classiques et de petits émetteurs peu puissants, mais dont
certains seraient au contact direct du corps humain.
Cela signifie surtout que la gamme des fréquences utilisées risque d'augmenter
considérablement. Si l'on va jusqu'à prendre en considération les ondes
millimétriques, qui correspondent à quelques dizaines de gigahertz, cette
situation risque d'accroître l'exposition du corps tout entier à une multitude
de champs électromagnétiques, surtout si l'on place sur certaines parties du
corps des émetteurs susceptibles de se coupler avec des éléments contenus dans
la peau. Or on ne sait pas quels dommages pourraient en résulter.
Si j'en parle ici c'est parce qu'il existe une agence nationale des
fréquences, qui pour le moment, se borne à donner des accords d'utilisation de
cette denrée extrêmement rare.
Il y a aussi des fréquences dont on sait qu'elles n'ont pratiquement pas de
nocivité - je pense en particulier à toutes les fréquences de radio ou de
télévision - dont une partie du spectre va être totalement rendue disponible,
notamment grâce à la numérisation, laquelle permettra de multiplier par dix ce
qui correspond à une bande de fréquence donnée.
La France aura-t-elle besoin de soixante programmes d'émissions de télévision
à but éducatif ? Ces fréquences ne pourraient-elles pas être utilisées, en
particulier, pour remplacer des mobiles de troisième ou de quatrième génération
qui, eux, seraient beaucoup plus nocifs s'ils étaient dans des hautes
fréquences ? Ce problème est posé.
Il est certain, en tout cas, que c'est l'une des tâches que, me semble-t-il,
l'agence que nous allons créer devra prendre en charge, en utilisant les
experts là où ils se trouvent, car c'est véritablement un domaine qui est
totalement à défricher.
Pour moi, la priorité est, je le répète, de donner tous les moyens nécessaires
à cette nouvelle agence et de se demander comment ces moyens y seront intégrés.
Il faudrait savoir si la loi laissera la possibilité d'y intégrer une partie de
tel ou tel organisme. Je pense notamment à l'INERIS ou à l'OPRI, ou encore à
l'Institut de protection et de sécurité nucléaire, l'IPSN, voire à d'autres
organismes.
Par ailleurs, le système de conventionnement doit être renforcé.
En outre, l'agence doit être compétente pour un domaine dont le développement
est si rapide qu'il n'avait pas été prévu voilà deux ou trois ans : celui des
mobiles et de la téléphonie, source d'agressions par électromagnétisme dont
l'importance est proportionnelle à la puissance des micro-ondes en contact avec
la matière vivante - et qui n'a rien à voir avec les fours à micro-ondes ! On
peut donc s'interroger, notamment, sur la répartition des fréquences.
Cet exemple peut paraître hors sujet, mais il montre bien, je crois, combien
ce point est essentiel.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de
l'Union centriste et du RPR).
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir
écouté notre collègue M. Autain, je me suis demandé si je devais prendre la
parole, car la critique du texte tel qu'il nous arrive de l'Assemblée nationale
à laquelle je vais me livrer sera beaucoup moins sévère que la sienne.
Cependant, j'approuve pour l'essentiel les propos de M. Autain, surtout ceux
qu'il a tenus avant de tomber dans la revue de presse !
(Sourires.)
M. François Autain.
Ah !
M. Charles Descours.
Je formulerai trois observations.
La première porte sur la pertinence de l'agence que nous envisageons de
créer.
D'abord - question que je me posais déjà auparavant -, une agence de sécurité
sanitaire environnementale est-elle vraiment nécessaire dans le dispositif
actuel ? En effet, le champ couvert par la notion de risques liés à
l'environnement est tellement vaste que les responsables de l'agence risquent
rapidement de disperser leurs efforts. J'avais déjà attiré l'attention de M.
Aschieri sur ce point lorsqu'il nous avait invités, il y a quelques années, à
écouter un membre de l'agence de l'environnement américaine dans une salle de
l'Assemblée nationale.
Ensuite, lorsqu'il s'est agi, en 1998, de réformer le système de sécurité
sanitaire, M. Huriet et moi-même avons évidemment jugé important de légiférer
en premier lieu sur des produits ou des substances faciles à définir ou à
repérer.
Pour les produits de santé, le champ d'observation est constitué par des
substances, des procédés ou des molécules bien identifiés, dans un cadre de
production facile à déterminer. Pour les produits alimentaires, la tâche était
assurément plus difficile techniquement - administrativement aussi, d'ailleurs
- puisque certains sont entièrement fabriqués par l'homme, d'autres d'origine
naturelle. Mais on connaît bien les circuits de commercialisation de l'ensemble
des aliments destinés à l'homme.
Enfin, je voudrais insister sur un point qui nous a toujours soutenus pendant
la longue marche pour la création de ces deux agences - elle a connu deux
gouvernements ! - il s'agit de la lutte contre le cloisonnement des organismes,
contre le travail en « tuyaux d'orgue » qui existait - et existe encore
aujourd'hui - dans les agences ou dans les instituts travaillant dans le
secteur de l'environnement, quelle que soit la qualité des acteurs.
Le nombre d'agences, instituts et organismes que vous avez cités tout à
l'heure, madame la ministre, montre bien que la tâche sera encore plus
difficile dans le domaine de l'environnement que dans le domaine des produits
alimentaires ou des produits de santé.
En effet, lorsqu'on parle de pollution de l'eau, de l'air, des sols et des
sous-sols, le champ d'étude et d'analyse devient infiniment plus large. Pour
étudier l'impact de l'environnement sur la santé, il est nécessaire de tenir
compte d'une intrication de facteurs sans pouvoir toujours établir de relation
claire de cause à effet entre une nuisance causée à l'environnement et un
problème de santé.
Je prendrai l'exemple de la pollution atmosphérique. Le nombre des décès
connaît assurément des augmentations liées aux pics de pollution. Mais force
est de constater que les personnes touchées étaient déjà fortement fragilisées
sur le plan respiratoire, et ce pour des raisons purement médicales et
extérieures à l'environnement : c'est un raccourci journalistique qui fait dire
que tant de morts sont dus chaque année à la pollution. C'est faux, c'est
médicalement faux ! On constate certes que des personnes fragilisées meurent
parce qu'elles sont exposées à des circonstances défavorables du point de vue
de la qualité de l'air, mais le processus est plus compliqué qu'il n'y paraît
!
D'une certaine façon, on peut se demander si, en matière d'environnement, la
priorité ne devrait pas être accordée à l'observation des données
épidémiologiques susceptibles d'être mises en rapport avec l'environnement.
Mais ce travail d'alerte, lorsque des maladies surviennent dans le voisinage
d'une installation industrielle ou lorsque l'utilisation d'une nouvelle
technique entraîne des pathologies inattendues, doit revenir - M. le rapporteur
et M. Autain l'ont dit - à l'Institut de veille sanitaire, qui pourrait être
doté d'une section particulière consacrée au recueil des données en relation
avec l'environnement.
La nouvelle agence sera utile lorsqu'il s'agira d'établir des normes. Mais
pourra-t-elle vraiment procéder - surtout compte tenu des conditions dans
lesquelles ce texte nous est transmis par l'Assemblée nationale - à
l'évaluation de tous les risques environnementaux ? Je ne le crois pas. Sur
quels critères restreindra-t-elle éventuellement son champ de travail et
laissera-t-elle de côté tel ou tel domaine ? Ne risque-t-on pas de passer à
côté des vrais problèmes ?
Présenter des études épidémiologiques sérieuses démontrant des certitudes en
matière de risques sanitaires liés à l'environnement est donc un véritable
défi.
Deuxième observation : je partage le point de vue de M. le rapporteur
lorsqu'il met en évidence que le texte qui nous est transmis par l'Assemblée
nationale est une véritable « coquille vide ».
Il s'agit d'une « coquille vide », d'abord, parce que les attributions de
l'agence restent floues. On s'en remet en quelque sorte à la capacité des
futurs responsables de l'agence à se faire entendre, responsables d'organismes
qui étaient présents avant eux et qui auront donc, si ce n'est pas une certaine
antériorité la primauté des moyens. Etant donné le nombre des organismes déjà
présents sur le marché de la santé environnementale, comme l'ont souligné tous
les orateurs, on peut imaginer que la nouvelle agence aura bien du mal à se
faire entendre et,
a fortiori,
à faire parler tous les acteurs du
système d'une même voix. C'est la raison pour laquelle il faut aller plus loin
que ne le fait le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale. Toutefois, on
risque évidemment de créer une agence sans pouvoir et sans moyens.
Il s'agit d'une « coquille vide », ensuite, parce que l'on ne voit pas sur
quelles fondations pourra se construire la nouvelle agence. L'Agence de
sécurité sanitaire des produits de santé s'est appuyée sur l'Agence du
médicament. En matière alimentaire, il est clair que le CNEVA a fourni un socle
à partir duquel l'AFSSA peut travailler, malgré les conflits dans ce
domaine.
Madame le ministre, vous n'étiez pas, à l'époque, chargée de ce dossier. Je
rappellerai donc la bataille à laquelle l'intégration du CNEVA dans l'AFSSA a
donné lieu dans cet hémicycle même, où l'on trouvait sur toutes les travées des
adversaires de l'intégration : il faut savoir que l'intégration d'organismes
existants dans les nouvelles agences ne va pas de soi.
« Coquille vide », enfin, parce que les 37 millions de francs de subventions
annoncés paraissent, en l'état actuel des choses, une somme bien faible au
regard des 137 millions de francs alloués à l'AFSSPS et des 198 millions de
francs donnés à l'AFSSA.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Pas la
première année !
M. Charles Descours.
En effet ! Et nous nous sommes toujours félicités que le Gouvernement augmente
les moyens de ces deux agences. J'espère qu'il continuera !
En fait, paradoxalement, l'AFSSE a le champ le plus important à couvrir et les
moyens les plus faibles. C'est pourquoi je partage l'avis de M. le rapporteur
et de M. Autain quant à la nécessité de donner un peu de substance à cet
organisme, encore à l'état latent, en lui donnant un noyau dur.
La solution retenue par la commission consiste à intégrer l'OPRI et
l'INERIS.
Pour ce qui concerne l'INERIS, chacun conviendra que la place de cet organisme
est bien dans la nouvelle agence, quelles que soient les réticences exprimées
ici ou là, pour des raisons corporatistes que nous connaissons bien depuis la
création de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments.
S'agissant de l'OPRI, organisme que je connais bien puisque le Premier
ministre de l'époque, M. Juppé, m'avait chargé d'un rapport sur l'exposition
des personnels médicaux et paramédicaux aux rayonnements dans les hôpitaux,
j'approuve totalement ce qui vient d'être dit par plusieurs orateurs.
L'exposition des personnels aux rayonnements dans les hôpitaux est en effet
considérable et sans commune mesure avec celle des personnels de l'industrie -
le facteur est probablement supérieur à cent pour un. Et si l'IPSN, que je
connais bien également - un des membres de votre cabinet, madame, en fut le
directeur - est tourné vers l'industrie, l'OPRI est d'abord chargé de protéger
nos concitoyens des rayonnements ionisants.
Je le répète, un effort doit être accompli dans les hôpitaux. Or, faire
fusionner l'OPRI et l'IPSN reviendrait à priver le ministère de la santé des
relations particulières qu'il a avec l'OPRI aujourd'hui et qu'il avait avec le
service central de protection contre les rayonnements ionisants, le SCPRI,
hier.
Par conséquent, je soutiens la décision qu'a prise Claude Huriet d'intégrer
l'OPRI à l'agence. S'il ne l'avait fait, j'aurais moi-même présenté un
amendement allant dans ce sens.
Je souhaite qu'à l'occasion de la navette parlementaire un accord intervienne
entre les deux chambres - je crois que c'est aussi le voeu de M. le rapporteur
- pour que ces problèmes, qui intéressent tous nos concitoyens, ne soient pas
prétexte à des affrontements de type politicien.
Si l'Assemblée nationale devait revenir au texte tel qu'il nous est soumis
aujourd'hui, il faudrait nous poser la question de l'utilité de cette agence.
Celle-ci nous reviendrait alors, en deuxième lecture, en moins bonne forme que
celle dans laquelle le Sénat la laissera à l'issue de cette séance, grâce aux
améliorations apportées par les amendements que présente la commission.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Lepeltier.
M. Serge Lepeltier.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, très
légitimement, nos concitoyens accordent une importance grandissante aux
questions environnementales et à leurs répercussions sur la santé.
Cette prise de conscience est du reste souhaitable, tant il est vrai que la
protection de l'environnement nous concerne tous et devrait nous permettre, sur
bien des questions, de nous retrouver.
Personnellement, j'appelle de mes voeux l'émergence d'un véritable « contrat
environnemental avec les Français » fondé sur la pédagogie, l'information des
populations, la concertation, avant toute prise de décision.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui - adoptée à l'unanimité
par l'Assemblée nationale, je le rappelle - peut apparaître comme un exemple du
rassemblement qui doit prévaloir sur des sujets aussi essentiels pour la
qualité de vie et la santé des Français.
Il s'agit, nous le savons, de parfaire et de compléter l'édifice dont les
bases ont été jetées par la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de
la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits
destinés à l'homme.
Nous connaissons tous le rôle éminent du rapporteur, notre collègue Claude
Huriet, dans la genèse et l'émergence de ce dispositif de sécurité sanitaire,
et je voudrais personnellement lui rendre hommage pour le travail accompli.
Nous devons légiférer, car nous ne pouvons plus nous contenter, face à une
crise sanitaire, de réagir dans l'urgence. Dorénavant, nous devons nous donner
les moyens de prévenir plutôt que de guérir, et de répondre à l'attente
grandissante des citoyens en matière d'information et de transparence.
Il s'agit, en quelque sorte, d'opposer une véritable exigence éthique à la
présomption de faute qui prévaut actuellement, aux yeux de l'opinion publique,
en matière de sécurité sanitaire. Rigueur et transparence doivent être les
fondements de notre politique.
Vous l'aurez compris, j'approuve donc le principe de la création d'une agence
française de sécurité sanitaire environnementale.
L'actualité de ces dernières années a mis au jour, en effet, de véritables
drames et des risques bien réels.
Les pollutions de l'air, des sols, des zones humides et des nappes phréatiques
par les nitrates, les pesticides et autres produits phytosanitaires, les
conséquences parfois préoccupantes de l'épandage - je lisais récemment encore
un article sur un cas de mortalité de moutons vraisemblablement consécutive à
une intoxication par du cuivre apporté sur les terrains - les pollutions qui
peuvent aussi exister dans l'environnement professionnel ou l'environnement
domestique, l'impact largement méconnu des organismes génétiquement modifiés
sur la santé des consommateurs et les écosystèmes, bien d'autres motifs
d'interrogation encore, doivent nous inciter à la plus grande vigilance.
Chaque jour, en France, 400 personnes meurent du cancer, et nous savons
maintenant ou présumons que de réelles implications environnementales figurent
au nombre des multiples facteurs de cette terrible maladie.
Bien sûr, le cas de l'amiante est présent dans tous les esprits.
Dans les années 1960-1970, la population a pris essentiellement conscience de
la croissance d'une pollution visible. Je pense, entre autres exemples, aux
décharges sauvages, aux nombreuses épaves de véhicules automobiles alors
disséminées dans toute la France, à diverses formes de pollutions industrielles
et à bien d'autres nuisances ou détériorations du cadre de vie.
Depuis lors, des progrès considérables ont été accomplis, il faut le
reconnaître.
Aujourd'hui, en revanche, on est plutôt soumis à des pollutions moins
visibles, plus insidieuses, donc plus inquiétantes aux yeux des Français.
Or, bien évidemment, ce n'est pas parce que les risques sont diffus, mal
connus, voire controversés, ce n'est pas parce que des pathologies peuvent
apparaître après de très longues années, qu'il ne faut pas agir.
Au contraire, le principe de précaution, défini dans la loi Barnier du 2
février 1995, trouve ici un champ d'application particulièrement évident.
Par ailleurs, je rejoins largement les observations de M. le rapporteur sur la
nécessité de faire de l'agence de sécurité sanitaire environnementale un
véritable outil d'évaluation des risques, crédible et efficace, pour la mise en
oeuvre de la politique de sécurité sanitaire.
Or, que constate-t-on avec le texte qui nous est soumis ?
Nous constatons, tout d'abord, cela a été rappelé, des imprécisions dans la
définition même du champ de compétences de la future agence et de ses
procédures d'action. Nous constatons, ensuite, un manque de moyens.
Il lui faut, en particulier, des moyens de recherche.
Ainsi, comme le souligne judicieusement M. le rapporteur, la réponse à la
question de savoir si l'Agence possède ses propres laboratoires ou si elle fait
appel à des compétences extérieures n'est pas forcément claire, puisque, en
l'état actuel du texte, il est indiqué que l'agence « procède ou fait procéder
à toute expertise, analyse ou étude nécessaire en prenant appui sur des
organismes extérieurs avec lesquels elle noue des relations contractuelles de
partenariat durable ».
Par ailleurs, suivant en cela une même approche que celle qui a prévalu lors
de la création de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments avec le
transfert du Centre national d'études vétérinaires et alimentaires, M. le
rapporteur propose de donner une assise plus solide à la nouvelle agence en
intégrant dès l'origine l'Institut national de l'environnement industriel et
des risques, l'INERIS, et l'Office de protection contre les rayonnements
ionisants, l'OPRI.
Nous avons commencé à le faire, mais nous aurons encore largement à débattre
de cette question et de l'intégration du risque physique radioactif dans les
attributions de la future agence.
Pour ma part, je suis assez favorable à la proposition de la commission.
Je pense qu'il ne faut pas non plus surajouter les instruments d'évaluation,
d'autant moins que l'ensemble du dispositif de sécurité sanitaire a vocation,
me semble-t-il, à un horizon plus ou moins lointain, à déboucher
vraisemblablement sur une agence unique.
Par ailleurs, je note avec un grand intérêt la suggestion qui vient de nous
être faite par M. le rapporteur de renforcer la nature et le niveau des moyens
financiers alloués à la future agence.
En l'état actuel, le Gouvernement ne nous annonce qu'un budget de l'ordre de
37 millions de francs pour 2001, à l'évidence insuffisant pour satisfaire à
l'ambition d'une véritable agence de sécurité sanitaire environnementale, et
très en deçà des budgets des organismes de sécurité sanitaire déjà
existants.
Au contraire, la création de l'agence pourrait être l'occasion d'affecter très
directement une partie des ressources d'une écotaxe ciblée, digne de ce nom, et
non détournée de sa vocation environnementale comme l'est, d'ores et déjà, la
taxe générale sur les activités polluantes.
Je terminerai mon propos en soulignant toute l'importance de la dimension
européenne.
A l'évidence, les pollutions ne connaissent pas les frontières, et tout
édifice de sécurité sanitaire ne peut se concevoir en vase clos.
La France a un rôle déterminant à remplir : elle doit à la fois innover et
impulser. Or, je ne suis pas certain que notre pays soit forcément toujours en
pointe.
Je rappelle, par exemple, qu'il appartient, suivant une répartition des
tâches, à chaque Etat membre de l'Union, conformément au règlement CEE 793/93,
d'évaluer les risque pour les substances chimiques existantes prioritaires.
La France apparaît en retrait et n'a pas, en ce domaine, toute la place qui
devrait lui revenir.
Quel rôle pourrait alors jouer la nouvelle agence française de sécurité
sanitaire environnementale ?
Quelle est, madame la ministre, la vision du Gouvernement sur la future
politique européenne des produits chimiques ?
Plus généralement, en cette période de présidence française de l'Union
européenne, quelles initiatives notre pays compte-t-il prendre pour renforcer
une Europe de la sécurité sanitaire encore largement à construire ?
L'Europe comme la France doivent, en effet, développer une véritable culture
de la prévention sanitaire, et d'évaluations des risques.
Ce doit être l'une des priorités fortes des pouvoirs publics.
Au demeurant, l'honneur du politique n'est-il pas avant tout de s'extraire des
pressions du quotidien pour anticiper.
(Applaudissements sur les travées du
RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, cette
proposition de loi devrait permettre à la recherche française de combler, par
la création de l'agence, le retard qu'elle a accumulé en matière de sécurité
sanitaire environnementale. La prévention ne mobilise en France qu'à peine 2 %
des dépenses santé, et les questions liées à l'environnement, qui concernent
pourtant tous les grands problèmes de santé, n'ont jusqu'à présent été traitées
que de façon dispersée.
Quatre missions seront ainsi confiées explicitement à l'agence, que je
résumerai par : impulser, informer, coordonner et veiller à une représentation
efficace de la France tant sur le plan européen qu'international.
Impulser : cela ne pourra se faire sans une poursuite des efforts en matière
de politique de recherche. Parce que l'environnement est une notion très large
et qu'il n'existe en France qu'une centaine de chercheurs travaillant
spécifiquement sur cette question, il convient de promouvoir davantage la
recherche et sa formation en sécurité sanitaire environnementale, encore trop
mal vue car pluridisciplinaire. Les récentes déclarations de la nouvelle
directrice générale du CNRS, qui souhaite engager l'établissement sur une
réflexion stratégique concernant l'interdisciplinarité, sont, sur ce point,
rassurantes. Cela suppose aussi, comme l'ont démontré de nombreux rapports, une
réaction rapide de la recherche devant les thématiques nouvelles.
Informer : cette mission doit bien évidemment être remplie en cas de crise,
mais aussi de façon continue, en direction non seulement des décideurs mais
aussi du citoyen, dont la préoccupation sur les questions de santé
environnementale est croissante, mais dont la confiance envers la recherche
française a été de multiples fois mise à mal en raison d'une information peu
compréhensible pour tous.
Pourquoi ne pas sensibiliser les jeunes en instaurant des conventions entre
l'éducation nationale et la recherche qui permettraient aux chercheurs de se
rendre dans les établissements afin d'expliquer leur travail aux élèves mais
aussi aux enseignants ?
Coordonner : ce sera pour l'agence une vaste mission tant les organismes de
recherche sont nombreux, concurrentiels et dispersés. Une mise en réseau des
bases de données est indispensable. La création de lieux de mutualisation des
informations pour les professionnels, les élus et les citoyens serait
particulièrement pertinente. Il faut développer aussi les partenariats entre
les organismes de recherche, les universités et le secteur industriel.
Enfin, l'agence aura pour mission de fournir au Gouvernement l'expertise et
l'appui scientifique et technique nécessaires à l'élaboration et à la mise en
oeuvre des règles communautaires et des accords internationaux relevant de son
domaine de compétence. L'agence doit avoir une dimension européenne. Au-delà,
il faut créer - et je sais que le Gouvernement profite de la présidence de
l'Union européenne pour faire avancer la question - les conditions pour que
soit mise en place une véritable communauté scientifique européenne.
Il faut harmoniser aussi parce que la libre circulation des biens et des
personnes entraîne l'harmonisation des problèmes de santé publique, et parce
que les pays candidats à l'élargissement n'ont pas toujours notre approche des
problèmes environnementaux.
Il convient d'harmoniser, enfin, car les différences qui existent entre les
systèmes nationaux, entre les avancées dans tel ou tel domaine et la diversité
des approches sont un atout pour l'Europe à condition de favoriser le débat
scientifique.
La mobilité des étudiants, doctorants et chercheurs, à l'échelle
communautaire, doit permettre un recrutement au niveau européen. Les
collaborations entre les régions frontalières doivent être développées. Plus
largement, la création de réseaux thématiques pour la mise en commun des
savoirs est indispensable et la Commission doit être en mesure de financer des
infrastructures, par l'intermédiaire du développement de programmes européens
de la recherche.
De plus, la conférence sur le financement des infrastructures de recherche,
qui s'est tenue à Strasbourg en septembre dernier, a notamment avancé la
proposition de confier à l'ESF, la Fondation européenne de la science, le soin
d'établir l'analyse des besoins scientifiques et des priorités. Ce serait une
avancée considérable et l'agence que nous souhaitons créer pourrait notamment
être associée à ce travail. La France, dans le domaine de la recherche, doit
rattraper ses retards en matière de communication des informations et de
participation aux travaux européens.
Il faut donner une impulsion politique pour que nos ambitions de recherche
soient communes et performantes. Nous avons toute confiance, à cette fin, en
notre nouveau ministre de la recherche, avec qui, d'ailleurs, il serait
intéressant de débattre des perspectives de la recherche au sein de notre
hémicycle dans le cadre d'une question portant sur un sujet européen.
L'Agence française de sécurité sanitaire environnementale doit être mise en
place rapidement et être dotée de moyens suffisants pour contribuer
efficacement à la recherche française. Les propositions de mon collègue M.
François Autain vont en tout cas en ce sens. Cette agence devra servir
d'exemple pour d'autres pays européens où les recherches en santé environnement
sont encore loin d'être des priorités, lorsqu'elles existent.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 25 avril
dernier, l'Assemblée nationale adoptait, à l'unanimité des présents, le texte
qui nous est proposé aujourd'hui et qui prévoit la création d'une agence
française de sécurité sanitaire environnementale.
Il apparaît en effet que notre pays était jusqu'à présent plutôt démuni dans
la veille sanitaire pour ce qui concerne les risques liés à l'environnement.
Cette carence est d'autant plus préoccupante que la question environnementale
prend à présent une place particulière aux yeux de nos compatriotes et que de
récents événements, pour ne parler que de la catastrophe de l'
Erika,
au
large de la Bretagne, sont venus nous rappeler que les risques environnementaux
doivent être cernés au mieux. Ces risques couvrent le vaste champ de la
relation entre santé et environnement, pour reprendre l'expression de
l'excellent rapport de notre collègue M. Claude Huriet.
Les risques biologiques provoqués par les virus, les microbes et les bactéries
sont amplifiés par l'accélération de la circulation des hommes, des aliments et
des marchandises à l'échelle planétaire.
Les risques chimiques, tels que le mercure, l'amiante, le plomb, les éthers de
glycol, le benzène et la dioxine, montrent bien les conséquences de l'absence
du principe de précaution, tant dans le domaine de la mise en oeuvre de
matériaux nouveaux ou d'inventions que du recyclage de ceux-ci.
Les risques physiques, enfin, comme les explosions de silos, les accidents
telluriques, les rayonnements électriques ou électromagnétiques, les
ultraviolets et le bruit, montrent aussi que, très souvent, on a mis la charrue
devant les boeufs. En témoignent les soupçons de lésions provoquées par l'usage
intensif des téléphones portables ou, voilà quelques années, par l'utilisation
des fours à micro-ondes.
Les dangers sont donc nombreux, qu'ils soient ou non liés à l'activité
humaine, activité souvent guidée par le profit au mépris du respect de
l'environnement. La prise de conscience de ces risques progresse, au plan tant
national que mondial. Cependant, les mesures qui ont été prises ou qui doivent
l'être sont sans commune mesure avec les risques encourus.
Déjà en 1998, nous devions nous prononcer sur la création de deux agences.
Ainsi, l'Agence du médicament devenait l'Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé et, à la même date, était créée l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments.
Certes, la mise en place de ces agences répondait à la montée d'exigences
nouvelles de nos concitoyens qui veulent être légitimement rassurés pour ce qui
concerne le système de santé ou la consommation alimentaire. Mais encore
s'agissait-il de mettre en place une organisation administrative à même de
garantir l'indépendance de l'expertise scientifique.
Restait dès lors ce qui nous occupe aujourd'hui, à savoir la mise en place
d'une agence concernant les risques environnementaux.
Sur ce terrain, notre pays se devait de rattraper un certain retard, alors
même que de nombreux organismes, dont la réputation n'est pas à mettre en
cause, participent, chacun dans les domaines qui lui sont propres, d'une
certaine manière, de la veille sanitaire. L'effort que nous devons donc fournir
est d'accomplir la restructuration des moyens existants, ce qui n'exclut pas -
mais j'y reviendrai - de réels moyens pour l'agence que nous souhaitons voir
mise en place.
La prévention du risque environnemental doit être au centre des missions de
l'agence dans une période où se développent de manière très inquiétante les
affections liées à la dégradation de notre environnement : si les plus notoires
sont les affections respiratoires liées à la pollution atmosphérique, mais bien
d'autres existent.
Dans ce contexte, les quatre principes rappelés par notre collègue André
Aschieri, à l'Assemblée nationale, à savoir l'évaluation des risques liés à
l'environnement et, pour ce faire, l'indépendance de l'agence, le strict
respect du principe de précaution et la transparence, sont des objectifs que
nous partageons pleinement et qu'il conviendra de faire vivre au-delà même de
la proposition de loi qui nous est soumise et au-delà des clivages politiques.
L'absence d'outils de prévention adaptés nous a amenés, ces dernières années, à
réagir aux nuisances environnementales, généralement d'ailleurs sous la
pression de nos concitoyens qui incitaient le pouvoir politique à agir sur des
dossiers aussi importants que l'amiante, le saturnisme, les pollutions de
l'air, de l'eau, des sols.
Peut-être convient-il de rappeler que, très souvent, trop souvent, des
impératifs « économiques » aux termes courts conduisent aux stratégies
d'évitement, voire à la seule réaction, alors même qu'il nous faudrait
anticiper le risque environnemental, dans l'intérêt même des générations à
venir et de la planète tout entière.
Nous ne pouvons plus, comme par le passé, attendre l'apparition des effets
nocifs des dérèglements environnementaux pour intervenir.
Le principe de précaution doit guider en permanence le politique et les
pouvoirs publics sur les différents risques que pourrait faire peser sur
l'environnement tel ou tel produit.
Si la notion de sécurité environnementale est apparue dans un contexte de
défiance de nos concitoyens, il convient de tout mettre en oeuvre pour que la
transparence prévale en matière d'environnement, car, à tout le moins,
certaines formes d'« obscurantisme » alimentent les frayeurs, comme peut en
témoigner l'absence d'un débat d'ampleur sur la politique énergétique dans
notre pays, débat dont la nécessité se voit particulièrement accentuée par les
problèmes récents du stockage des déchets nucléaires et par la flambée des prix
des carburants.
La proposition de loi que nous examinons est le résultat d'un assez large
consensus, et de nombreux parlementaires ont directement ou indirectememt pensé
la mise en place d'un tel organisme public.
Cette nouvelle structure répond donc bien à une nécessité de coordonner les
différentes structures existantes et de participer à leur mise en synergie.
Nous ne pouvons être que particulièrement favorables à cette proposition de
loi, dont le bien-fondé n'est plus à démontrer ; cependant, nous restons
attentifs à l'évolution que pourrait connaître ce texte au Sénat, au regard des
amendements déposés. Aussi réservons-nous notre vote.
(Applaudissements sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur
le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai brièvement, ayant
pris la précaution, dans mon exposé introductif, de détailler de façon assez
précise la position du Gouvernement.
Tout d'abord, en réponse à M. le rapporteur, je voudrais rappeler deux
éléments.
Monsieur Huriet, vous avez pointé les résistances qui ont accompagné
l'inclusion du CNEVA dans ce qui est devenu l'Agence française de sécurité
sanitaire des aliments, et considéré que, aujourd'hui, chacun s'en félicite.
Laissez-moi vous dire que tel n'est pas réellement mon point de vue. En effet,
le CNEVA reste, pour l'essentiel, composé de personnes et d'équipes qui sont
chargées de tâches n'ayant rien à voir avec les missions de l'AFSSA. Il s'agit,
en quelque sorte, d'un noyau dur virtuel qui, à bien des égards, alourdit la
gestion sans donner effectivement les moyens dont l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments a besoin au quotidien. Comme vous le savez
parfaitement, le directeur de l'agence sollicite, au vu des questions qui lui
sont posées par les pouvoirs publics, des experts qui sont trouvés dans les
organismes existants en fonction de leurs compétences et des champs dans
lesquels ils travaillent. Ces experts sont donc issus de différents organismes
de recherche, et c'est tout à fait le modèle que nous proposons pour l'Agence
française de sécurité sanitaire environnementale.
Monsieur le rapporteur, vous avez ensuite évoqué les missions de l'INERIS en
considérant que, compte tenu de ces dernières rien ne s'opposait finalement à
faire de cet institut le futur noyau dur de l'Agence française de sécurité
sanitaire environnementale.
J'ai essayé de détailler, tout à l'heure, les moyens en crédits et personnel
de l'INERIS affectés au champ de la sécurité sanitaire environnementale, et je
peux vous dire qu'ils en représentent à peu près 10 %. Pour l'essentiel, cette
structure exerce de très nombreuses responsabilités et émet des avis dans des
champs très variés ; je pense notamment aux risques liés à l'utilisation des
véhicules fonctionnant au GPL - je citais tout à l'heure le risque d'explosion
- au comportement de différents matériaux en milieu confiné ou ouvert, au
risque d'explosion de silos, au comportement du front de taille de carrière,
aux conditions de stockage de gaz pour essayer d'évaluer la distance à
préserver à l'égard des habitations ; je pense encore aux risques liés à
l'ennoyage des galeries de mines ou au transport par pipe-lines de substances
diverses, notamment dans le cas particulier du pipe-line prévu entre Feyzin et
Saint-Alban, par exemple.
Dire que l'INERIS a vocation à devenir le noyau dur de l'AFSSE me paraît tout
à fait exagéré. J'ai besoin, pour ma part, des services rendus dans le domaine
de l'évaluation des risques industriels, et je peux vous dire que le conseil
d'administration de l'établissement et les syndicats partagent mon avis à cet
égard, non pas par souci de préserver les statuts ou les habitudes du personnel
mais parce qu'ils connaissent particulièrement la diversité des missions de cet
établissement. Une évolution de l'INERIS ne pourrait à mon avis pas se faire au
détriment de ses missions traditionnelles, qui constituent encore aujourd'hui
90 % de celles-ci.
M. Autain a demandé tout à l'heure ce que pèseraient, en cas de rapprochement
de l'OPRI et de l'IPSN, les 250 agents de l'OPRI face aux agents nettement plus
nombreux de l'IPSN. Pour moi, la radioprotection et la sûreté nucléaire ne sont
pas des champs antagonistes, loin s'en faut ! On est en train non pas de
soumettre les questions de sûreté ou de radioprotection aux impératifs
économiques ou industriels mais de mettre en cohérence les approches de sûreté
et de radioprotection.
La fusion de l'IPSN et de l'OPRI envisagée par le Gouvernement vise à
renforcer les capacités de recherche et d'expertise en ce qui concerne à la
fois la sûreté et la radioprotection. D'ores et déjà, les effectifs des deux
organismes sont équivalents en radioprotection, même si l'OPRI a aussi
marginalement un rôle de police et même si l'IPSN a surtout, pour sa part, des
activités de recherche. On compare donc des choses qui ne sont pas comparables.
En effet, on compare un organisme qui fait surtout de l'expertise et de la
police et un autre qui fait surtout de l'expertise et de la recherche avec, de
ce fait, des effectifs relativement variés et inégaux.
Mais il s'agit bien de permettre à l'ensemble des ministères concernés par la
maîtrise des risques de disposer d'une capacité d'évaluation plus forte.
Aujourd'hui, bien sûr, ce n'est pas le cas. L'idée est que le ministère de
l'environnement et le ministère de la santé travaillent de concert sur des
thèmes sur lesquels, d'ailleurs, des équipes travaillent souvent, aujourd'hui,
de façon parallèle. J'ai cité l'exemple du radon ou de la dosimétrie. Ce sont
des sujets qui concernent nos deux ministères.
M. Descours a dit tout à l'heure des choses qui avaient les apparences de la
sagesse. Monsieur le sénateur, personne ne prétend bien sûr que, lors d'un pic
de pollution, la pollution seule provoque la mort. D'ailleurs, personne ne le
dit !
M. Charles Descours.
Ce n'était pas mon propos !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Il s'agit
bien de vies raccourcies, de vie amputées,...
M. Charles Descours.
Oui !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
... la
pollution de l'air touchant pour l'essentiel des personnes déjà fragiles.
Mais ce n'est pas toujours le cas. Ainsi, pour ce qui est de l'exposition à
l'amiante, de l'exposition aux ethers de glycol, de l'exposition au plomb, il
s'agit bien de personnes qui étaient parfaitement saines et qui se retrouvent
malades du seul fait de l'exposition à un risque qui n'est pas acceptable. Les
problèmes de saturnisme, les problèmes de métaboglobinémie touchent pour
l'essentiel des enfants, et vous savez que les problèmes sociaux s'ajoutent aux
problèmes sanitaires et environnementaux. Je souhaite donc que l'on y réponde
de façon sérieuse. Il est vrai que les titres lapidaires des journaux ne
rendent pas compte de la complexité et de l'ampleur du sujet.
Quant à l'exposition aux rayonnements ionisants dans les hôpitaux, laissez-moi
vous dire que ce n'est pas un problème d'expertise. L'expertise est faite, et
on connaît le problème : c'est un problème de respect de la réglementation,
notamment dans le cadre de la médecine du travail.
Je crois que l'on doit bien se garder, en mettant en place l'Agence française
de sécurité sanitaire environnementale, de tout mélanger, et c'est
malheureusement un sujet sur lequel la tentation de le faire est grande. On a
abondamment argumenté sur le fait qu'il ne fallait pas mélanger les tâches qui
tombaient dans le cadre de l'INRS, par exemple, et celles que l'on attendait
d'une agence d'expertise, l'Agence française de sécurité sanitaire
environnementale. En tout cas, je tiens à ce que cette confusion n'ait pas lieu
et à ce que recherche, expertise, et mise en oeuvre des dispositions
réglementaires, notamment dans un cadre partenarial avec les partenaires
sociaux, ne soient pas confondues.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Afin que ces arguments ne soient pas développés à plusieurs
reprises au cours de la discussion des amendements que je défendrai dans un
instant, vous me permettrez, madame le ministre, de vous lire une courte
citation en ce qui concerne le CNEVA.
Vous avez participé, me semble-t-il, à l'audition publique que la commission
des affaires sociales avait organisée en ce qui concerne la mise en place des
agences.
(Mme le ministre fait un signe de dénégation.)
Il n'y avait pas
encore d'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, et c'est sans
doute ce qui explique le fait que vous n'ayez pas été entendue. En tout cas,
d'autres ministres se sont exprimés au nom du Gouvernement.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
J'ai
essayé de vous convaincre qu'il fallait associer le ministère de
l'environnement ! Je n'ai pas été assez convaincante à l'époque, et je suis
sûre que vous le regrettez !
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Je le regretterai peut-être moins en fonction de la réponse
que vous me donnerez dans un instant !
J'avais interrogé le directeur général de l'Agence française de sécurité
sanitaire des aliments en ces termes : « Ma deuxième question concerne le CNEVA
quant à son mode de financement à travers des partenaires industriels, d'autant
plus que le CNEVA garde ses attributions premières en matière de recherche. Il
m'a été dit dernièrement que le CNEVA n'avait pas changé et que le fait de
l'avoir mis dans l'AFSSA n'était qu'une sorte d'illusion, que l'on avait changé
l'enveloppe mais que cela n'avait pas modifié l'exercice de ses missions.
Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? » Je n'ai pas cité mes sources !
Voici la réponse donnée, sur ce point, par le directeur général de l'AFSSA : «
Le CNEVA a été intégré dans l'agence, il n'existe plus. Nous avons eu le souci
de ne pas déstabiliser des laboratoires qui rendaient un certain nombre de
services essentiels, en particulier dans le domaine sanitaire, tout en les
faisant évoluer. » Je compte sur vous, si nous parvenons à mettre l'INERIS dans
l'AFSSE, pour contribuer à cette évolution positive. « Leur mode de
fonctionnement actuel a été beaucoup influencé par leur intégration dans
l'agence ; nous avons complètement revu la liste et les conditions des
partenariats pour garantir l'indépendance de leurs travaux. Nous avons ainsi
défini des thématiques prioritaires, etc. »
Par conséquent, contrairement à l'information dont je n'avais pas cité les
sources, il semble bien, d'après les propos que vous venez de tenir, que le
transfert du CNEVA dans l'AFSSA est un élément positif et qu'il ne s'agit pas
d'un corps étranger, sous peine alors de mettre en cause l'analyse que fait le
directeur général de sa propre institution.
Il est envisagé, à la suite du débat, de « laisser le temps au temps », selon
l'expression employée par l'un de nos collègues.
Il est vrai que, si l'on pouvait compter sur les textes réglementaires et la
volonté de l'exécutif pour donner peu à peu une consistance à cette agence,
dont vous devez reconnaître avec nous qu'elle en manque aujourd'hui, eh bien,
pourquoi pas ? Mais nous avons quand même une expérience qui est tout à fait
inquiétante, madame le ministre, et qui concerne les dispositions introduites
dans la loi par un amendement de M. Autain, concernant l'AFSSA, et prévoyant
que sont déterminées par décret en Conseil d'Etat « les modalités selon
lesquelles les compétences, moyens, droits et obligations de laboratoires
publics intervenant dans les domaines traités par l'Agence lui sont transférés
».
Or que sommes-nous obligés de constater, madame le ministre ? C'est que cette
loi date de 1998 et que, depuis lors, aucun texte réglementaire n'a été publié
pour engager, comme le législateur l'avait souhaité, les transferts des
compétences, moyens, droits et obligations des laboratoires publics. Cette
expérience négative nous laisse donc très sceptiques quant à la volonté de
l'exécutif de faire en sorte que, par une disposition d'application peut-être
plus progressive, les laboratoires ayant à connaître de la sécurité sanitaire
environnementale puissent un jour être transférés à une agence qui est, pour
l'instant, je le répète, une coquille vide.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier