Séance du 30 mars 2000
M. le président. « Art. 18 bis A. - Après l'article 144-1 du même code, il est inséré un article 144-2 ainsi rédigé :
« Art. 144-2 . - La détention provisoire peut être effectuée, sur décision du juge de la détention provisoire d'office ou sur demande du juge d'instruction, avec l'accord de l'intéressé, selon les modalités prévues à l'article 723-7 et suivants du présent code. Pour l'exécution de cette mesure, le juge de la détention provisoire exerce les compétences attribuées au juge de l'application des peines. »
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Cet article, introduit par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, vise à permettre que la détention provisoire s'effectue sous les modalités du placement sous surveillance électronique.
Cette solution nous est présentée comme l'un des moyens les plus efficaces de lutte contre la surpopulation carcérale, l'effectif des détenus étant composé, on le sait, pour moitié de personnes qui sont en attente de jugement.
Selon nous, cette solution n'est pas la panacée ! Au contraire, elle suscite nos plus vives réserves.
Dans son principe même, nous ne sommes pas favorables au port du bracelet électronique, qui porte gravement atteinte à la liberté individuelle et dilue la notion de peine, en transposant la prison à l'intérieur de la société.
Vous nous avez néanmoins indiqué que les premiers bracelets électroniques seraient mis en place en juillet prochain. Nous prenons acte de l'application de cette mesure en tant que modalité d'exécution de la peine.
Mais sa transposition dans le cadre de la détention provisoire nous apparaît bien plus problématique. Dans son essence, en effet, le placement sous surveillance électronique est susceptible de battre en brèche la présomption d'innocence.
Lors de la discussion, en 1996, du projet de loi relatif au placement sous surveillance électronique, le garde des sceaux de l'époque, M. Toubon, avait lui-même indiqué qu'il préférait que le système soit réservé aux peines d'emprisonnement fermes dans les termes suivants : « Je tiens à dire à quel point cette condition me paraît essentielle, car c'est elle qui permet d'inscrire la mesure dans ce que je considère être son principe même, à savoir une modalité d'exécution de la peine d'emprisonnement et non une alternative à la détention.
« En effet, dans cette hypothèse, il n'est pas possible de craindre que le placement sous surveillance électronique ne soit prononcé contre des personnes qui, si une telle mesure n'avait pas existé, seraient restées libres. »
Vous avez vous-même relevé, madame la ministre, comme nous l'avions fait en 1996, lors de la discussion de la loi sur la détention provisoire, que cette solution risquait d'être plus utilisée à la place du contrôle judiciaire qu'à la place de la détention provisoire.
Solution plus « pratique », plus économique et moins « traumatisante » pour le juge, le placement sous surveillance électronique nous semble réunir de nombreux inconvénients liés à la détention provisoire sans toutefois présenter les mêmes avantages.
De surcroît, dans la discussion générale, je vous ai fait part de mes inquiétudes quant au traitement inégalitaire que cette solution pourrait engendrer vis-à-vis des personnes mises en examen, aggravant ainsi la fracture sociale.
Le risque existe de voir attribuer les peines alternatives à une catégorie de population pénale.
Permettez-moi de faire référence à l'étude menée par M. Castel aux Etats-Unis dans les années soixante-dix, laquelle montrait clairement que les Blancs étaient plus souvent condamnés à des mesures alternatives, tandis que les Noirs continuaient d'aller en prison.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre l'article 18 bis A autorisant la mise sous placement électronique dans le cadre de la détention provisoire et contre l'amendement n° 39 de la commission des lois, qui procède de la même logique.
M. le président. Par amendement n° 39, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit la première phrase du texte présenté par l'article 18 bis A pour l'article 144-2 du code de procédure pénale :
« Lorsqu'elle est prononcée, la détention provisoire peut être effectuée, sur décision du juge des libertés d'office ou sur demande de l'intéressé ou du juge d'instruction, avec l'accord de l'intéressé, selon les modalités prévues aux articles 723-7 et suivants du présent code. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. L'article 18 bis A prévoit que la détention provisoire peut être effectuée sous le régime du placement sous surveillance électronique. Evidemment, c'est une idée très séduisante. Simplement, il existe un risque que le placement sous surveillance électronique ne devienne une modalité de contrôle judiciaire et qu'il ne fasse pas reculer le placement en détention provisoire.
L'amendement n° 39 tend à bien préciser que le placement sous surveillance électronique est décidé après que la détention provisoire a été décidée. C'est donc une modalité d'exécution d'une mesure de détention provisoire.
Il prévoit, en outre, que l'intéressé pourra demander lui-même le bénéfice du placement sous surveillance électronique.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis d'accord avec la modification de fond qui vise à préciser que le placement sous surveillance électronique est décidé au moment même où est prononcée la détention provisoire. Ainsi il est dit de façon très claire que le bracelet électronique est destiné à se substituer à la détention provisoire et non pas aux mesures de contrôle judiciaire. C'était, en effet, la difficulté principale que je voyais à l'adoption du placement sous surveillance électronique en amont et non pas seulement, comme nous l'avions envisagé au départ, dans la proposition de loi de M. Cabanel, en tant que modalité d'application des peines.
La rédaction du Sénat est en effet meilleure, mais, comme je suis opposée à la terminologie de « juge des libertés », je ne peux que m'en remettre à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 39.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je vais voter cet amendement, mais je m'interroge sur un point.
Je voudrais savoir si la personne qui est susceptible de faire l'objet d'une détention provisoire aura le choix ente le bracelet électronique et la détention dans un établissement.
En effet, une personne ayant porté atteinte à la vie d'autrui, en cas de légitime défense, par exemple, pourrait préférer, pour sa propre protection, être détenue dans un établissement plutôt que circuler librement. Aura-t-elle la possibilité de choix ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Elle pourra refuser de porter ce bracelet, auquel cas elle sera placée en détention provisoire.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 39, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 18 bis A, ainsi modifié.
(L'article 18 bis A est adopté.)
Article 18 ter