Séance du 30 mars 2000







M. le président. Par amendement n° 133, MM. Dreyfus-Schmidt et Charasse proposent d'insérer, avant l'article 3 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - A la fin du premier alinéa de l'article 84 du même code, les mots : "par requête motivée du procureur de la République, agissant soit spontanément, soit à la demande des parties." sont remplacés par les mots : "soit par requête motivée du procureur de la République, soit par les parties."
« II. - Le même article est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« S'il n'y a qu'un seul juge dans le tribunal, la requête ou la demande visée au premier alinéa sont adressées au premier président de la cour d'appel qui statue dans les formes et conditions indiquées aux deux premiers alinéas du présent article. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. En réalité, je défends cet amendement en remplacement de notre collègue et ami Michel Dreyfus-Schmidt, qui est malheureusement souffrant et qui ne peut pas assister à nos travaux.
Cet amendement reprend des dispositions qui ont déjà été présentées en première lecture : ceux qui ont participé au débat à l'époque s'en souviennent parfaitement.
En premier lieu, il s'agit d'autoriser les parties à demander elles-mêmes le dessaisissement du juge d'instruction si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie.
En second lieu, les pouvoirs reconnus au président du tribunal, et qu'il ne peut exercer s'il n'existe qu'un seul juge d'instruction dans la juridiction, doivent être exercés, dans ce cas, dans les mêmes formes et conditions par le premier président de la cour d'appel. Il faut bien que quelqu'un les exerce !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Il semble qu'il y ait une confusion entre deux systèmes.
Le droit français prévoit ce que l'on appelle la suspicion légitime : si une partie a des raisons de croire que, véritablement, le tribunal ou la juridiction qui va apprécier son affaire ne peut pas le faire pour des raisons liées à cette affaire, il est normal qu'elle présente elle-même une requête en suspicion légitime puisqu'elle revendique un droit particulier.
Dans le cas particulier qui nous occupe, en revanche, il s'agit d'une mise en cause générale de la bonne administration de la justice. On ne peut laisser à chaque plaideur la possibilité de considérer, au nom d'une certaine conception de l'Etat et de l'administration, qu'il doit être jugé par un autre juge !
C'est la raison pour laquelle la commission est défavorable à cet amendement, et j'espère qu'après ces explications, monsieur Charasse, vous n'aurez pas trop de regrets s'il est rejeté.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je ne suis pas favorable à cet amendement, car je ne crois pas qu'il faille laisser aux parties la possibilité de demander directement au président du tribunal ou au premier président de la cour d'appel le dessaisissement d'un juge d'instruction dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
Le filtre du procureur de la République est nécessaire pour dissuader les demandes dilatoires ou vexatoires émanant de parties qui veulent simplement choisir leur juge, car c'est la loi qui définit la compétence territoriale et la compétence d'attribution des juges, et non les parties.
S'il existe des raisons sérieuses de dessaisir le juge, d'une part, une requête en suspicion légitime peut être déposée devant la chambre criminelle par les parties elles-mêmes, en application de l'article 662 du code de procédure pénale ; d'autre part, ce dessaisissement peut aussi être décidé par la chambre d'accusation dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle, cette chambre pouvant être saisie de très nombreuses façons par les parties.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 133.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Vous aurez remarqué que cet amendement n° 133 n'est signé que de M. Dreyfus-Schmidt et de moi-même, parce que j'ai accepté de le suppléer. Quant à mes amis du groupe socialiste, ils s'abstiendront sur ce point.
Je suis un peu gêné, après avoir entendu les propos de M. le rapporteur et de Mme le garde des sceaux, mais j'ai promis à M. Dreyfus-Schmidt de défendre cet amendement. Je pense que je ne lui ferais pas plaisir - et, dans la situation physique où il est, ce ne serait pas bien de ma part ! - si je le retirais. Par conséquent, je le maintiens.
Cependant, je voudrais dire amicalement à Mme le garde des sceaux, pour avoir présenté moi-même il y a peu de temps une demande de dessaisissement d'un juge d'instruction pour suspicion légitime, que ce n'est pas si facile et que cela n'aboutit pas lorsqu'on a décidé que cela n'aboutirait pas : j'avais saisi la chambre criminelle de la Cour de cassation d'une demande de suspicion légitime d'un juge d'instruction qui est à la fois juge et partie dans une affaire qui me concerne, mais la chambre criminelle m'a répondu qu'elle n'était pas compétente parce que la juridiction bizarre contre laquelle je m'élevais n'entrait pas au nombre de celles sur lesquelles elle pouvait avoir un jugement. J'ai donc saisi le premier président de la cour d'appel, puisque l'on peut aussi interpeller ce dernier pour manque de neutralité ; il a eu la délicatesse de me répondre un mois après le jugement, en disant qu'il n'y avait plus lieu de statuer puisque l'affaire était déjà passée ! (Sourires.)
Par conséquent, tout cela, c'est foutaises et compagnie... Cela dit, je maintiens l'amendement ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 133, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
M. Robert Badinter. Le groupe socialiste s'abstient.

(L'amendement n'est pas adopté.)


Article 3
bis