Séance du 23 mars 2000
CONSULTATION
DE LA POPULATION DE MAYOTTE
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 237, 1999-2000)
organisant une consultation de la population de Mayotte. [Rapport n° 270
(1999-2000).]
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes appelés à vous
prononcer sur le projet de loi organisant une consultation de la population de
Mayotte.
Mayotte, île de 373 kilomètres carrés, comptait, au dernier recensement,
effectué en 1997, 131 000 habitants, auxquels il faut ajouter environ 15 000
Mahorais vivant soit à la Réunion, soit en métropole. La croissance
démographique y est extrêmement rapide, puisque la population a quadruplé en
trente ans.
Mayotte est devenue française en 1841, avant les autres îles de l'archipel des
Comores. L'esclavage y a été immédiatement aboli. Par la suite rattachée
administrativement aux Comores, Mayotte a de tout temps cultivé un réel
particularisme au sein de l'archipel. Ce particularisme devait se manifester au
moment où les autres îles se sont engagées sur la voie de l'indépendance. Pour
en tenir compte, la loi du 3 juillet 1975 a permis aux Mahorais de choisir le
maintien dans la République en prévoyant que le référendum d'autodétermination
des Comores serait mis en oeuvre île par île.
La question du statut de Mayotte est demeurée en suspens depuis près de
vingt-cinq ans. Le 8 février 1976, les Mahorais rejetaient l'indépendance à la
quasi-unanimité - plus de 99 % des voix - puis refusaient, le 11 avril 1976, le
maintien du statut de territoire d'outre-mer. La loi du 24 décembre 1976
érigeait Mayotte en collectivité territoriale dotée d'un statut propre en vertu
de l'article 72 de la Constitution. La loi de 1976 reconnaissait, en outre, le
caractère temporaire de ce régime et prévoyait que les Mahorais seraient
consultés dans un délai de trois ans sur le futur statut de leur île.
La loi du 29 décembre 1979 a prorogé ce délai pour une nouvelle durée de cinq
ans. Mais, depuis lors, cette consultation n'a pas été organisée et le régime
statutaire, conçu comme provisoire en 1976, a perduré. Plusieurs tentatives ont
été engagées par la suite, notamment le projet de loi présenté par le
Gouvernement en 1984, mais aucune n'a abouti.
Il faut y voir, bien sûr, le poids du contexte international, mais aussi
l'impossibilité pour les gouvernements successifs de se situer dans le cadre
des options prévues en 1976 quant au contenu de la consultation.
Cette situation précaire a entraîné une réelle incertitude sur le droit
applicable à Mayotte dans de nombreux domaines. Le Sénat a ainsi eu à connaître
de nombreux textes, souvent sous la forme d'ordonnances, étendant, en les
adaptant, certains pans entiers de la législation métropolitaine, par exemple
en matière de droit du travail, de droit rural, de droit pénal ou de droit des
assurances. La dernière loi d'habilitation du 26 octobre 1999 a ainsi habilité
le Gouvernement à établir par ordonnances des règles en matière d'état des
personnes, de régime de l'état civil, d'entrée et de séjour des étrangers.
Lors du déplacement que j'ai effectué à Mayotte, en novembre 1997, j'ai pris
l'engagement, au nom du Gouvernement, d'ouvrir les discussions avec l'ensemble
des forces politiques mahoraises pour organiser la consultation attendue et
doter l'île d'un statut qui ne soit plus provisoire. Cette démarche s'est
appuyée, en particulier, sur les travaux de deux commissions, animées, l'une, à
Paris par le préfet Bonnelle, l'autre, à Mayotte par le préfet Boisadam. Ces
travaux, publiés à la Documentation française, sont riches et sérieux. Ils ont
progressivement permis de rapprocher les points de vue tant des représentants
des forces politiques et de la société mahoraises que des différentes
administrations concernées de l'Etat.
Les négociations engagées avec les forces mahoraises ont abouti à un accord
conclu le 4 août 1999, à Paris. Ce texte a été soumis à la consultation du
conseil général et des conseils municipaux de l'île ; il a été approuvé par 14
conseillers généraux sur 19 et par 16 des 17 communes. Cet accord a été signé
officiellement le 27 janvier dernier à Paris et publié au
Journal
officiel
de la République française du 8 février 2000. Il constitue le
texte sur le lequel les Mahorais auront à se prononcer, si le projet de loi est
adopté, avant le 31 juillet 2000.
Cette démarche du Gouvernement correspond au voeu émis par le Président de la
République le 3 décembre dernier lors du sommet de la commission de l'océan
Indien, prenant acte d'un contexte international qui paraît aujourd'hui
apaisé.
Cet accord n'a pas été signé par les parlementaires de Mayotte. Je le
regrette, car j'y vois plutôt la consécration de l'action inlassable qu'ils ont
menée depuis plus de vingt-cinq ans pour affirmer l'enracinement de Mayotte
dans la République. Cette donnée n'est plus contestée aujourd'hui. Et il faut
prendre acte des évolutions intervenues pour mieux préparer l'avenir de
Mayotte. Cet accord signifie, pour la collectivité de Mayotte, la fin de
l'immobilisme.
Si les Mahorais approuvent ce texte, les orientations qu'il contient serviront
de base au futur projet de loi organisant le statut de Mayotte, qui devra être
déposé au Parlement avant la fin de l'année 2000. Mayotte se verrait alors
conférée l'appellation de « collectivité départementale ». L'île continuerait
comme auparavant à constituer une collectivité
sui generis
de l'article
72 de la Constitution.
Ainsi, l'accord - et ce point a été tout à fait clair tout au long des
négociations avec les représentants des forces politiques mahoraises -
n'entérine pas la transformation immédiate de Mayotte en département
d'outre-mer. L'écart des niveaux de vie et des conditions économiques et
sociales ainsi que le fait que près de 95 % de la population de l'île restent
régis par un statut de droit personnel obéissant au droit coranique, comme les
membres de la mission d'information de la commission des lois ont pu le
constater sur place, excluent aujourd'hui une telle transformation.
Le point 4 de l'accord tire les conséquences de ce choix en maintenant à
Mayotte l'application du principe de la spécialité législative.
Mais le futur statut esquissé par le document d'orientation ouvre clairement
une phase de transition au cours de laquelle le régime statutaire de Mayotte
sera rapproché du droit commun départemental tout en respectant les
spécificités de la société mahoraise. Ainsi, l'identité législative sera
progressivement instaurée.
Dans le domaine institutionnel, l'exécutif de la collectivité sera transféré
du préfet au président du conseil général. Les compétences de cette assemblée
seront progressivement élargies pour se rapprocher de celles qui sont exercées
par les départements et les régions de métropole.
Déjà, les élections du conseil général qui étaient fixées en mars 2000 ont été
alignées par la loi sur le calendrier national et se tiendront donc en mars
2001.
L'organisation et les compétences des communes seront alignées, elles aussi,
sur le régime de droit commun pour que les principes de la décentralisation
engagés à partir de 1982 en métropole puissent s'y appliquer pleinement et pour
que les communes disposent d'une fiscalité propre, ce qui suppose l'existence
d'un cadastre. Le code des communes sera modernisé et un programme de formation
des élus et des agents sera défini.
Dans le cadre du contrat de plan qui couvrira la période 2000-2004, l'ensemble
des concours de l'Etat sera de l'ordre de 4 milliards de francs. C'est plus
qu'un doublement des moyens qui étaient consacrés, au cours de la période
précédente, au développement de l'île.
Ce contrat de plan s'orientera, comme je l'ai indiqué lors de ma visite des 15
et 16 février dernier, autour de trois axes stratégiques : tout d'abord,
asseoir les bases du développement économique ; ensuite, former les hommes et
les femmes de Mayotte, puisque près de 60 % des Mahorais ont moins de 20 ans ;
enfin, poursuivre et amplifier les programmes d'équipement et de développement
social.
Compte tenu du potentiel financier plus faible de la collectivité territoriale
de Mayotte, l'Etat est prêt à prendre en charge de 80 % à 90 % du financement
de ce contrat de plan. C'est une disposition unique en France.
Enfin, la rénovation de l'état civil et la clarification du statut personnel
devront permettre une application plus complète des principes républicains.
Deux ordonnances du 8 mars 2000 sont relatives aux règles de détermination du
nom des personnes et à l'état civil. Elles permettront de doter les Mahorais
d'un état civil fiable. Une mission conjointe du secrétariat d'Etat à
l'outre-mer et de la Chancellerie se rendra dans les prochains jours à Mayotte
pour préparer la mise en place de cette importante réforme.
L'accord détermine aussi une « clause de rendez-vous », fixé en 2010. A cette
date, le Gouvernement et les principales forces représentatives de Mayotte
feront le bilan d'application du statut de collectivité départementale et
devront se prononcer pour doter l'île d'un statut définitif. Toutes les options
sont laissées ouvertes par l'accord, y compris la transformation en département
d'outre-mer, étant entendu qu'à cette date les traits et les caractéristiques
des collectivités aujourd'hui régies par l'article 73 de la Constitution - les
départements d'outre-mer - pourraient aussi avoir évolué.
Le présent projet de loi, en organisant la consultation des Mahorais sur
l'accord dont je viens de rappeler les éléments fondamentaux, répond au souci
exprimé par le législateur en 1976, renouvelé en 1979, de sortir d'un statut
conçu alors comme provisoire mais également de consulter les populations
intéressées sur leur avenir institutionnel.
Avant de conclure, je reviendrai rapidement sur les deux principales questions
juridiques que pose le présent projet de loi.
La première question a trait à la constitutionnalité de la consultation ainsi
prévue. Cette consultation ne s'inscrit pas dans le cadre de l'article 11 de la
Constitution puisque, si elle porte certainement sur l'organisation des
pouvoirs publics, l'ensemble de la population de la République ne sera
cependant pas appelée à y participer. Il ne s'agit pas d'organiser un
référendum visant à l'adoption d'un projet de loi, comme cela avait pu être le
cas en 1988 pour la Nouvelle-Calédonie, après la conclusion des accords de
Matignon. L'objectif du Gouvernement est ici de consulter les populations
intéressées afin de préparer le futur statut de l'île.
Nous ne nous situons pas non plus dans le cadre prévu par le troisième alinéa
de l'article 53 de la Constitution, dès lors que la question posée ne porte en
aucun cas sur une éventuelle accession à l'indépendance de ce territoire.
L'organisation d'une consultation est tout à fait légitime au regard des
principes démocratiques et connaît un précédent à Mayotte même. En effet, le
Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 décembre 1975, n'avait rien
trouvé à redire au principe d'une consultation de ce type pour celle qui a été
organisée le 11 avril 1976, donnant le choix aux Mahorais du maintien ou non du
statut de territoire d'outre-mer. Les lois de 1976 et de 1979 prévoyaient elles
aussi des consultations, même si ces dernières n'ont pu se tenir dans les
délais prévus.
De même, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 2 juin 1987, à propos
de la consultation qui devait être organisée en Nouvelle-Calédonie le 13
septembre 1987, a également admis que les Néo-Calédoniens, qui étaient aussi
interrogés sur la question de l'indépendance, puissent se prononcer sur le
futur statut qui leur serait appliqué.
Le Gouvernement réfléchit actuellement à l'institution d'un mécanisme
comparable pour les départements d'outre-mer. Les changements statutaires
devraient aussi être préalablement soumis, pour consultation, à l'avis des
populations locales quand ils portent sur des modifications substantielles.
La seconde question juridique concerne l'interrogation des populations
intéressées. A cet égard, le projet de loi doit nécessairement répondre aux
obligations de clarté et de loyauté de la question posée, comme l'a rappelé le
Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 juin 1987. Cette double condition
est effectivement remplie par le présent projet de loi : il n'y a pas
d'ambiguïté à ce titre entre le statut de collectivité départementale, qui
relève de l'article 72 de la Constitution, et celui de département d'outre-mer,
qui est prévu par l'article 73 de la Constitution, puisque l'accord prend soin
de préciser que le principe de la spécialité législative continue de s'y
appliquer.
Je signale à cet égard qu'une partie du débat qui a eu lieu à Mayotte au cours
des six derniers mois a porté sur le fait que le document d'orientation
différait la transformation immédiate de l'île en département d'outre-mer, ce
qui aurait été incompatible avec le maintien d'un statut particulier prévu,
précisément, par l'article 75 de la Constitution.
Par ailleurs, il faut rappeler que les Mahorais ont refusé le statut de
territoire d'outre-mer, qui apparaîtrait, toujours à leurs yeux, comme une
régression juridique.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi
marque une nouvelle étape de l'histoire de Mayotte dans la République. Depuis
un quart de siècle, Mayotte vit dans l'incertitude. L'accord signé le 27
janvier va permettre d'engager Mayotte sur la voie de la modernisation, dans le
respect de l'identité locale.
C'est pourquoi je vous invite à approuver ce projet de loi, qui permettra de
consulter les populations de Mayotte, comme le législateur s'y était engagé en
1976. Nous ne le ferons, certes, que vingt-cinq ans après cet engagement, mais
nous offrirons à Mayotte des perspectives de développement, de solidarité et de
maintien dans la République.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat va donc
examiner un projet de loi organisant la consultation de la population de
Mayotte.
Sur quels points porte cette consultation, où seule - vous l'avez indiqué à
l'instant, monsieur le secrétaire d'Etat - la population mahoraise sera
consultée ?
Si le présent projet de loi comporte dix articles, en réalité, seuls deux sont
importants - l'article 1er et l'article 3 - les autres ne comportant que des
modalités électorales ou des adaptations d'ordre électoral.
Aux termes de l'article 1er : « Une consultation sera organisée avant le 31
juillet 2000 afin que la population de Mayotte donne son avis sur l'accord sur
l'avenir de Mayotte signé à paris le 27 janvier 2000 et publié au
Journal
officiel
de la République française le 8 février 2000. »
Aux termes de l'article 3 : « Les électeurs auront à répondre par "oui" ou par
"non" à la question suivante : "Approuvez-vous l'accord sur l'avenir de
Mayotte, signé à Paris le 27 janvier 2000 ?". Le corps électoral se prononcera
à la majorité des suffrages exprimés. »
Que contient l'accord du 27 janvier 2000 auquel renvoie le projet de loi ?
Intitulé « Accord sur l'avenir de Mayotte », il comporte onze articles et a été
signé, d'une part, par vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat à l'outre-mer,
au nom du Gouvernement, et, d'autre part, par le président du conseil général
de Mayotte, M. Bamana, par trois partis politiques, le Rassemblement pour la
République, le parti socialiste et le mouvement populaire mahorais, le MPM. En
revanche, le sénateur de Mayotte, M. Henry, et le député de Mayotte, M.
Jean-Baptiste, ainsi que le MDM, le Mouvement départementaliste mahorais, ont
refusé de le signer.
L'accord précise que Mayotte sera dotée d'un nouveau statut, instauré par une
loi qui devrait intervenir au plus tard à la fin de l'an 2000, la consultation
des Mahorais prévue par le même texte devant avoir lieu avant le 31 juillet
2000.
Cet accord prévoit également que, dès l'adoption de la loi à intervenir,
Mayotte ne sera plus régie par le statut de collectivité territoriale dont elle
a été dotée par la loi du 24 décembre 1976, mais deviendra une collectivité
départementale
sui generis -
ce qui est possible aux termes de l'article
72 de la Constitution - dotée d'une organisation juridique, économique et
sociale qui se rapprochera le plus possible du droit commun des départements
d'outre-mer tout en étant adaptée à l'évolution de la société mahoraise.
Par la suite, en 2010, comme le prévoit le chapitre Ier de l'accord du 27
janvier 2000, sur proposition du conseil général statuant à une majorité
qualifiée, après son renouvellement, le Gouvernement devra soumettre au
Parlement un projet de loi portant sur l'avenir institutionnel de Mayotte.
L'accord sur l'avenir de Mayotte, au travers de onze articles différents,
précise ce qu'il faut entendre par collectivité départementale, statut qui
régira Mayotte pendant les dix années à venir entre 2000 et 2010 si la
population répond par l'affirmative à la question qui lui est posée.
Ainsi, premièrement, la collectivité départementale aura une assemblée unique
dénommée conseil général - rappelons qu'il existe déjà - lequel aura des
compétences accrues de caractère départemental et régional, notamment dans le
domaine de la coopération décentralisée. L'exécutif, actuellement entre les
mains du préfet, sera transféré au président du conseil général dans les termes
de la loi à intervenir après la consultation. Seront créés également un conseil
économique et social, un conseil de la culture, de l'éducation et de
l'environnement, une chambre de commerce et d'industrie, une chambre
d'agriculture, une chambre des métiers.
Deuxièmement, l'évolution démographique de Mayotte sera prise en compte pour
déterminer le nombre de parlementaires et, le cas échéant, modifier les cartes
communales et cantonales, à l'instar de ce qui se passe à l'heure actuelle en
métropole. Les compétences des communes seront ainsi rapprochées
progressivement du droit commun métropolitain.
Troisièmement, le système fiscal et douanier sera rapproché du droit commun et
une fiscalité communale sera créée. Elle n'existe pas actuellement, ce qui pose
un réel problème, ne serait-ce que pour l'indépendance des communes à l'égard
du Gouvernement.
Quatrièmement, Mayotte continuera de bénéficier de la spécialité législative,
c'est-à-dire que les lois de la République ne s'y appliqueront qu'après avis du
conseil général et sur motion expresse. Le droit applicable à Mayotte devra
être adapté dans le sens d'un rapprochement avec le droit commun.
Cinquièmement, le développement économique et social de Mayotte sera poursuivi
pour permettre son désenclavement aérien et maritime. Des contrats de
rattrapage seront conclus et une agence de développement sera mise en place.
L'Etat engagera avec l'Union européenne les négociations nécessaires afin
d'utiliser au mieux les fonds européens. Un pacte pluriannuel de développement
durable sera mis en place.
Sixièmement, la formation des hommes sera assurée, y compris la formation
universitaire. L'Etat contribuera à la constitution des réserves foncières, au
développement des infrastructures et du logement pour accompagner la croissance
d'une démographie maîtrisée. Nous y reviendrons !
Septièmement, le système de protection sanitaire et sociale sera modernisé. Le
code du travail sera adapté.
Huitièmement, seront entreprises la rénovation de l'état civil - opération
dont vous nous avez dit à l'instant qu'elle était en cours - et la mise en
place du cadastre dans les cinq ans. Par ailleurs, le rôle des cadis sera
recentré sur les fonctions de médiation sociale. Les droits des femmes seront
confortés et le fonctionnement de la justice sera amélioré.
Neuvièmement, un dispositif de sanctions pénales sera mis en place pour
prévenir l'immigration irrégulière - vaste problème pour Mayotte ! - et des
actions de coopération seront développées avec les pays voisins.
Dixièmement, Mayotte sera associée aux projets d'accords concernant la
coopération régionale.
Enfin, onzièmement, l'Etat, les parlementaires, le président du conseil
général et les responsables des partis politiques représentés au conseil
général feront partie d'un comité de suivi qui se réunira tous les ans.
Dans notre rapport écrit, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous rappelons qu'une délégation de la commission des lois, composée de MM.
Hyest, Duffour, Dejoie, Othily, Sutour et moi-même, s'est rendue à Mayotte dans
le courant du mois de janvier. Elle a auditionné tous les responsables de cette
île française de l'océan Indien, distante de Madagascar de 300 kilomètres et de
la Réunion de 1 500 kilomètres.
Vous trouverez dans notre rapport écrit un chapitre concernant la situation
géographique de Mayotte. Peuplée, lors du dernier recensement de 1997, de 131
000 habitants, Mayotte en compte sans doute un peu plus aujourd'hui, avec une
densité de plus de 350 habitants au kilomètre carré, comme aux Pays-Bas. Sa
population est à plus de 95 % musulmane et près de 75 % de ses habitants ne
parlent pas le français, ce que nous ne pouvons que déplorer alors que Mayotte
est devenue française en 1841, avant Nice et la Savoie, je me plais à le
rappeler.
A l'inverse de celle des autres îles des Comores, la population de Mayotte, le
22 décembre 1974, s'est prononcée à une majorité importante contre
l'indépendance ; le 8 février 1976, par 99,4 % des suffrages exprimés, elle
décida de rester dans la République française ; enfin, lors de la consultation
du 11 avril 1976, elle écarta le statut de territoire d'outre-mer, voulant voir
Mayotte dotée du statut de département d'outre-mer, après une longue lutte des
parlementaires de Mayotte, notamment de notre collègue M. Marcel Henry - vous y
avez d'ailleurs fait allusion, monsieur le secrétaire d'Etat - et grâce à
l'action de la Haute Assemblée, qui obtint, en 1974, que le vote des Comores
ait lieu île par île et non globalement.
Dans notre rapport écrit, nous avons longuement décrit la situation actuelle
de l'île, caractérisée par un statut particulier qui s'inspire de
l'organisation départementale antérieure aux lois Defferre de décentralisation,
avec un conseil général et un préfet, exécutif du département, et l'application
du principe dit de « spécialité législative », mis en place par l'article 10 de
la loi du 24 décembre 1976.
Il nous faut préciser encore que Mayotte est divisée en dix-neuf cantons et
dix-sept communes et que, au regard de l'Union européenne, l'île fait partie
des « pays et territoires d'outre-mer », les PTOM, lesquels font l'objet d'un
régime spécial d'association en application de l'article 227-3 du traité de
Rome, ce qui rend Mayotte inéligible aux fonds structurels européens, et
seulement éligible au fonds européen de développement. En conséquence, la
dotation annuelle par personne était de 21 écus de 1991 à 1995 alors que, pour
la même période, La Réunion recevait 178 écus par personne.
C'est la raison pour laquelle, dans notre rapport écrit, nous avons souhaité,
monsieur le secrétaire d'Etat - et je vous en ai entretenu personnellement -
qu'une négociation s'engage pour permettre à Mayotte de bénéficier des fonds
structurels européens, ou tout au moins de fonds équivalents.
Nous avons exposé également les particularismes du droit civil et de
l'organisation judiciaire, à savoir le statut des personnes et la justice
cadiale.
Le statut personnel est un statut de droit civil local inspiré du droit
coranique et de la coutume mahoraise qui régit les musulmans, lesquels peuvent
cependant opter pour le statut civil de droit commun sur simple requête déposée
auprès du tribunal de première instance.
Le statut personnel reconnaît la polygamie, la possibilité de répudiation de
la femme, l'absence de reconnaissance des enfants naturels, l'absence de régime
matrimonial entre époux, l'inégalité des sexes en matière successorale.
C'est la raison pour laquelle existe à Mayotte un double système d'état civil.
Signalons cependant qu'une réforme de l'état civil est actuellement en cours,
vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat.
Par ailleurs, cette dualité de statut civil se traduit par la coexistence des
juridictions civiles de droit commun et de la justice musulmane exercée par les
cadis, qui sont au nombre de seize, avec un Grand cadi que nous avons eu
l'honneur de rencontrer lors de notre passage à Mayotte.
Ces fonctionnaires territoriaux, dont les compétences sont définies par un
décret du 1er juin 1939, exercent la profession de notaire, célèbrent les
mariages musulmans - qui concernent parfois des fillettes d'une dizaine
d'années -, reçoivent les répudiations et prononcent les divorces ; ils sont
également compétents en matière de contentieux civils et commerciaux entre
musulmans ; en revanche, ils ne sont pas compétents en matière de droit
pénal.
L'appel de leurs décisions est porté devant le Grand cadi, mais les jugements
rendus en appel peuvent être déférés en cassation par les parties ou le
procureur de la République au tribunal supérieur d'appel, présidé par le
président de ce tribunal - que nous avons également rencontré lors de notre
passage à Mayotte, de même que le procureur de la République - assisté de deux
cadis qui n'ont pas voix délibérative.
Signalons que la justice cadiale ignore la procédure contradictoire, que les
avocats n'y sont pas admis, ce qui pose problème au regard de la convention
européenne des droits de l'homme. Dans ces conditions, son maintien n'apparaît
pas compatible avec la départementalisation.
Dans notre rapport écrit, nous examinons également le climat économique et
social que nous avons pu observer sur place et qui est caractérisé par une
démographie galopante, le rythme d'accroissement annuel de la population étant
de 5,8 % avec une fécondité qui atteint 5,2 enfants par femme, phénomène
aggravé par une forte immigration clandestine en provenance surtout de l'île
voisine d'Anjouan, mais également de Madagascar. A cet égard, je rappellerai
simplement que les femmes de l'île d'Anjouan représentent près de la moitié des
accouchements effectués à la maternité et à l'hôpital de Mayotte. Mais les
moyens de lutte contre l'immigration clandestine sont à l'évidence
insuffisants, nous en somme tous convaincus.
Nous avons également examiné les handicaps liés à l'éloignement et à la
faiblesse des infrastructures, avec une desserte aérienne incapable
d'accueillir les gros porteurs et un port en eau profonde qui ne peut recevoir
les grands paquebots de croisières, ce qui constitue un réel handicap quand on
connaît le succès exponentiel des croisières à l'heure actuelle. Par ailleurs,
un quart des habitants n'ont ni l'eau ni l'électricité, et on constate un
manque d''infrastructures d'accueil et d'hébergement, si bien que le tourisme
est encore peu développé - 9 600 touristes seulement en 1997, selon les
dernières statistiques connues - tandis que l'agriculture est peu importante et
est surtout fondée sur les cultures vivrières que sont la banane et le manioc
et sur deux cultures d'exportation, la vanille et l'ylang-ylang.
Quant au BTP, il est largement dépendant, nous le savons tous, des transferts
publics de la métropole. Le taux de couverture des échanges extérieurs n'est
que de 2 %, et le chômage - vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat -
frappe plus de 30 % de la population active, surtout les jeunes. Notons qu'il
n'existe à Mayotte ni allocations de chômage ni RMI.
Notre mission parlementaire a constaté d'importants besoins en matière
d'éducation, de formation et de logement. Cependant, il faut le reconnaître,
des efforts importants ont été faits : en 1999, 48 799 enfants étaient
scolarisés - contre seulement 8 000 en 1978 - soit la quasi-totalité des
enfants de six à seize ans.
Le ministère de l'éducation nationale doit faire porter son effort sur le
niveau des maîtres et des professeurs de collège, qui doit être rapidement
relevé, afin que tous les jeunes puissent parler le français sans difficulté et
accéder à un niveau comparable à celui des écoles primaires et des collèges de
la métropole.
Nous nous devons de rappeler que, du point de vue institutionnel, le principe
de la consultation de la population, tel que prévu par le présent projet de
loi, a déjà été décidé une première fois par l'article 1er de la loi du 24
décembre 1976 - M. Marcel Henry nous en parlera sans doute - et qu'elle devait
avoir lieu au terme d'un délai de trois ans. Par la suite, aucune consultation
n'ayant été effectuée, une nouvelle loi, celle du 22 décembre 1979, en son
article 2, avait prévu que la consultation devait avoir lieu dans un délai de
cinq ans. Or ces deux lois n'ont jamais été suivies d'effet et les
consultations n'ont jamais été organisées.
Rappelons, pour mémoire, qu'elles avaient envisagé trois hypothèses
d'évolution pour Mayotte : le maintien du statut de 1976, la transformation de
Mayotte en département ou l'adoption d'un statut différent.
Or, le
statu quo
a perduré, et l'île continue à être régie depuis
vingt-cinq ans par un statut provisoire, en grande partie, nous le savons bien,
pour des considérations de politique internationale, notamment du fait de
l'opposition de l'ONU et de l'OUA.
C'est la raison pour laquelle les deux parlementaires de Mayotte, le député
Jean-Baptiste et le sénateur Marcel Henry, ont, après 1980, et à trois reprises
différentes, sauf erreur de ma part, déposé des propositions de loi, une en
1986 et deux en 1999, le Gouvernement, en ce qui le concerne, ayant mis en
place deux groupes de réflexion, les groupes Bonnelle et Boisadam.
Ces deux groupes de travail, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat,
évoquent, dans un rapport de synthèse, cinq voies possibles pour l'avenir
institutionnel de Mayotte : un statut nouveau de collectivité territoriale à
vocation départementale, un statut de département d'outre-mer avec des
compétences régionales, un statut de département d'outre-mer couplé avec une
collectivité régionale, un statut de département d'outre-mer avec maintien
d'une collectivité territoriale et un statut de territoire d'outre-mer. Tout
cela est bien compliqué !
A la suite de ces rapports, le Gouvernement, s'inspirant de la méthode
néo-calédonienne, alors que la situation à Mayotte est entièrement différente,
la tendance indépendantiste étant pratiquement inexistante, envoya dans l'île
une mission interministérielle, qui, début août 1999, après discussion avec les
élus, rédigea l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé le 27 janvier 2000, qui
est visé dans le présent projet de loi.
Il faut savoir également que, le 3 décembre 1999 - vous l'avez évoqué,
monsieur le secrétaire d'Etat - le Président de la République, à
Saint-Denis-de-la-Réunion, à l'issue du deuxième sommet des chefs d'Etat ou de
Gouvernement de la commission de l'océan Indien, déclara que, conformément aux
engagements pris depuis longtemps, il y aurait un référendum qui permettrait
aux Mahorais de s'exprimer et, le cas échéant, de créer non pas un département
mais une collectivité départementale dont il conviendrait de préciser
exactement la nature.
Pour être exhaustif, nous préciserons que le principe d'une telle consultation
a été admis par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 décembre 1975
et dans une autre décision du 2 juin 1987. Cependant, le Conseil
constitutionnel impose que la question posée aux populations intéressées
satisfasse à la double exigence de clarté et de loyauté de la consultation et
qu'elle ne comporte pas d'équivoque.
Nous pensons, quant à nous, qu'il en est bien ainsi avec la question posée.
Cependant, un problème s'est posé à votre rapporteur, né du fait que les deux
parlementaires de l'île, le député et le sénateur, se sont refusés, de même que
l'un des partis politiques mahorais, le MDM, à signer l'accord signé à Paris le
27 janvier 2000.
Fallait-il essayer d'obtenir le consensus de tous les élus locaux et nationaux
?
Une rédaction modifiée de la question posée dans la consultation pouvait-elle
emporter l'adhésion de tous ?
Etait-il souhaitable, surtout au regard de l'étranger, et particulièrement des
autres pays de l'océan Indien, de l'Afrique du Sud et de l'Afrique de l'Est,
d'obtenir un vote quasi unanime des populations consultées ou fallait-il
laisser les choses en l'état ?
Nous avions opté pour la première solution, après avoir analysé les positions
du conseil général, d'une part, et des deux parlementaires, d'autre part.
Le président du conseil général et les trois représentants des partis
politiques signataires de l'accord, que nous avons reçus, nous ont fait
connaître leur volonté de ne pas modifier la question telle qu'elle est énoncée
à l'article 3 du projet de loi qui nous est soumis.
Des contacts que nous avons eu avec les deux parlementaires, il est ressorti
que leur désaccord porte, sauf erreur de ma part - mais M. Marcel Henry nous le
dira - sur quatre points.
Premièrement, ils veulent que le texte fasse explicitement référence à la
possibilité pour la population mahoraise de se prononcer à terme en faveur du
statut du département, considérant que le texte actuel est un recul par rapport
à la loi de 1979.
Deuxièmement, ils souhaitent que le texte prévoie une nouvelle consultation en
2010, et non une délibération du conseil général à la majorité qualifiée, comme
le prévoit l'accord du 27 janvier 2000.
Troisièmement, ils ne veulent pas de l'importance donnée à l'insertion de
Mayotte dans son environnement régional, compte tenu des revendications de la
République islamique des Comores sur Mayotte. Je le dis par parenthèse,
d'autres départements, notamment dans la région Caraïbe, ont une volonté
contraire.
Quatrièmement, ils regrettent l'absence d'engagement précis de l'Etat quant au
plan de rattrapage économique.
Compte tenu de ces éléments, nous avions proposé un texte, que notre
commission des lois avait adopté, selon lequel la question à poser à
l'électorat mahorais aurait été la suivante : « Approuvez-vous l'accord sur
l'avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000 et, en référence à cet
accord, la présentation en 2010 d'un projet de loi fixant, dans le cadre de la
République et de l'article 72 de la Constitution » - avions-nous ajouté - « le
statut de Mayotte ? »
Pourquoi cette référence à l'article 72 de la Constitution ? Parce que, vous
le savez, mes chers collègues, c'est l'article qui traite des collectivités
territoriales, et qui se lit comme suit : « Les collectivités territoriales de
la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer.
Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi... » Chacun aurait
pu y trouver son compte.
La référence, dans l'article 72, aux départements devait rassurer les
parlementaires quant à la volonté du Parlement, et du Sénat en particulier, de
voir évoluer le statut de Mayotte, actuellement collectivité territoriale,
après l'an 2000 collectivité départementale, vers le statut de département
d'outre-mer en 2010, si le conseil général en faisait la demande à la majorité
qualifiée.
Nous avions des espoirs sérieux d'arriver, avec cette formulation, à un vote
conforme du Sénat et de l'Assemblée nationale si les principaux intéressés
avaient souscrit à cette rédaction.
Malheureusement, nos efforts, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, se sont révélés vains, et c'est la raison pour laquelle nous avons
proposé à la commission des lois, qui nous a donné son accord ce matin, de
retirer l'amendement à l'article 3 du projet.
Personnellement, je le regrette, car, vis-à-vis de l'étranger, il m'eût été
agréable - sans doute comme à vous, monsieur le secrétaire d'Etat, comme à nous
tous - qu'un consensus puisse se dégager et que l'on vote pour à 99 %, comme
Mayotte sait le faire et l'a déjà fait dans le passé.
En ce qui concerne les autres amendements, ils apportent au texte quelques
précisions qui nous ont paru indispensables concernant, notamment, les
modalités du scrutin, les compétences de la commission de contrôle de la
consultation et l'application de la loi du 19 juillet 1977 relative à la
publication et à la diffusion des sondages d'opinion.
C'est sous réserve de ces quelques modifications que je vous demande, mes
chers collègues, d'approuver le projet de loi qui nous est soumis, en
souhaitant que Mayotte, devenue française en 1841, sous le roi Louis-Philippe,
et qui a confirmé, en 1974, de façon éclatante qu'elle entendait rester dans la
République française, évolue vers le statut de département d'outre-mer - ce
statut va sans doute être modifié sous peu, et tout le monde, Président de la
République, Gouvernement et même Parlement est conscient que ce sera difficile,
car il faudra élaborer des statuts « cousus main », pour utiliser mon
expression que vous avez bien voulu reprendre et que le Président de la
République a repris en termes similaires - et que Mayotte soit aidée tant par
la métropole que par l'Europe de façon importante dans les dix années à venir
afin que, en 2010, nous ne nous posions pas encore la même question : « Peut-on
doter l'île d'un statut départemental ou non ? »
L'aide de la métropole ne suffira qu'à la double condition qu'avec la
participation active des Mahorais nous maîtrisions l'immigration et la natalité
et que nous ayons le courage, tous ensemble, de modifier le droit des
personnes.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures,
sous la présidence de M. Gérard Larcher.)