Séance du 23 mars 2000
GENS DU VOYAGE
Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n°
243, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture, relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage.
[Rapport n° 269 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez examiner en deuxième
lecture un texte qui a déjà été adopté en première lecture par l'Assemblée
nationale le 24 juin 1999 et par la Haute Assemblée le 2 février 2000, et, en
deuxième lecture, par l'Assemblée nationale le 24 février dernier.
A l'occasion de ces débats, de nombreux arguments ont déjà été présentés :
vous me permettez donc de ne pas entrer dans le détail des divers aspects de ce
texte, tel qu'il vous est transmis par l'Assemblée nationale. L'examen des
amendements permettra bien sûr de revenir sur certains sujets.
Il me semble plus utile de rappeler les lignes de force de ce texte, à l'aune
des problèmes auxquels nous avons collectivement à faire face, et les
enseignements du dispositif existant.
Ce texte entend apporter des réponses à un aspect décisif concernant les gens
du voyage : l'accueil de ceux qui sont itinérants. Plus ambitieux et plus
conforme aux résultats que nous devons obtenir, ce terme d'« accueil » est
préférable à celui de « stationnement », qui tendrait à ne traiter les
problèmes qu'en termes techniques alors qu'il doit clairement s'agir
d'accueillir des personnes dans des conditions dignes de notre société.
S'il est centré sur l'accueil des itinérants, ce projet de loi a été une
occasion de faire émerger dans le débat public d'autres problèmes, tels ceux
qui sont liés, par exemple, à la sédentarisation d'une partie des gens du
voyage, à la scolarisation des enfants ou aux conditions nouvelles d'exercice
des activités économiques.
Ainsi, depuis que le projet de loi a été présenté par le Gouvernement,
plusieurs colloques ont déjà montré ce besoin de larges débats concernant les
gens du voyage sur d'autres thèmes ou sur des thèmes plus transversaux que
l'accueil des itinérants. Les discussions liées à l'élaboration des nouveaux
schémas départementaux seront une occasion importante de donner vie localement
à ces questions, de même que la relance de la Commission nationale consultative
des gens du voyage permettra, à leur sujet, une concertation et une réflexion
au niveau national.
Ce projet de loi ne prétend donc pas tout traiter ; mais, sur l'accueil des
gens du voyage itinérants, il entend apporter un ensemble cohérent de réponses
précises.
Ces réponses s'imposent, car les difficultés sont grandes. Parce qu'elles sont
liées à l'exercice de droits fondamentaux - droit de choisir son mode de vie,
droit de libre circulation, droit de propriété, respect de la loi
républicaine... - ces difficultés entraînent souvent, localement, des tensions,
parfois des conflits, dont les médias et les associations d'élus ne manquent
pas de se faire l'écho.
L'objectif du Gouvernement est de parvenir à une cohabitation harmonieuse de
toutes les composantes de la société sur le territoire national. Les pouvoirs
publics n'ont pas à imposer la sédentarisation à ceux des gens du voyage qui
souhaitent continuer un mode de vie fondé sur l'itinérance. Il faut, dans le
cadre des règles de droit et en tenant compte des droits et des devoirs de
chacun, permettre que ce mode de vie puisse s'exercer dans notre société.
Pour cela, il faut aménager des aires d'accueil en nombre suffisant. Nous
savons tous qu'il en faut davantage : un sixième seulement des besoins
quantitatifs sont couverts actuellement. Il faudrait trente mille places, alors
qu'il n'en existe que cinq mille aux normes.
Ces aires doivent aussi être correctement situées et aménagées et doivent
répondre mieux à des besoins qui évoluent depuis une dizaine d'années. Je
reviendrai sur ce point à propos des schémas départementaux.
L'article 28 de la loi du 31 mai 1990 a été un premier cadre législatif
apportant une réponse à ce grave déficit d'offre de possibilités de
stationnement. Mais dix ans d'application de ce dispositif montrent que, s'il a
indéniablement été utile en permettant de doter un tiers des départements d'un
schéma conjointement approuvé par le préfet et le président du conseil général
et d'augmenter le nombre de places, il a eu des résultats qui ne sont pas à la
hauteur des besoins. Ces insuffisances permettent toutefois de tirer des leçons
pour construire un nouveau cadre législatif.
Les réponses aux besoins doivent reposer sur une réflexion menée en commun par
les acteurs locaux. Cette nécessité d'une connaissance partagée et de la
concertation de tous les acteurs est à la base du schéma départemental. Ce sera
le pivot de l'élaboration de réponses adaptées et cohérentes sur un
territoire.
Le département est, à cet égard, le bon niveau, par exemple, pour l'analyse
des besoins, pour la localisation des aires, pour leur capacité et leur
destination, pour la définition de certaines interventions sociales. La logique
d'un schéma national, même pour les seuls grands rassemblements nationaux, ne
permettrait pas, de l'avis du Gouvernement, cette qualité de réponse construite
à la fois au plus près du terrain et avec un certain recul, nécessaire par
rapport aux tensions locales, que permet le niveau départemental.
Elaborer des réponses adaptées, c'est prendre en considération les évolutions
que connaissent depuis plusieurs années les aspirations des gens du voyage.
Ainsi, surtout parce que leur situation économique se dégrade à cause de
l'évolution de leurs activités traditionnelles, certains sont demandeurs de
durées de séjour plus longues que voilà une dizaine d'années.
De même, émerge un besoin de terrains sommairement aménagés pour accueillir
les groupes de grande taille - jusqu'à deux cents caravanes - qui sont de plus
en plus nombreux à circuler, notamment avant ou après les quelques grands
rassemblements de plusieurs milliers ou dizaines de milliers de personnes. Les
réponses locales, appuyées par les textes d'application de la loi et
coordonnées dans le cadre des schémas départementaux, devront mieux tenir
compte de ces évolutions, comme l'a déjà fait la circulaire d'octobre 1999 qui
a mis en place une subvention de 350 000 francs au maximum pour l'aménagement
de grands terrains temporairement mobilisables.
Des réponses adaptées devront aussi passer, le plus possible, par
l'intercommunalité. Le texte qui vous est soumis soutient cette logique
intercommunale. Si, toutefois, cette dernière ne prend pas forme localement, le
maintien d'une obligation spécifique pour les communes de plus de 5 000
habitants, qui figureront toutes au schéma, est une garantie que des aires
seront aménagées.
Le bilan mitigé de la loi du 31 mai 1990 montre aussi qu'il est décisif que
tous les acteurs concernés agissent, et agissent en même temps. Il faut donc
fixer des délais et se doter de moyens pour que ce qui est prévu soit
réalisé.
Deux délais successifs sont prévus : dix-huit mois pour l'adoption conjointe
du schéma par le préfet et par le président du conseil général, puis
vingt-quatre mois pour l'aménagement des aires.
L'Etat aura les moyens d'agir si ces délais ne sont pas respectés. Le préfet
pourra, en effet, adopter le schéma et se substituer, pour leur nom et en leur
compte, aux communes n'ayant pas agi.
Bien sûr, le souhait du Gouvernement est que ces moyens n'aient pas à être mis
en oeuvre. Il existe un précédent qui, à cet égard, ne manque pas d'intérêt :
ainsi, ce fut le cas pour la disposition de la loi du 31 mai 1990 qui prévoyait
une possibilité d'approbation du plan départemental d'actions pour le logement
des personnes défavorisées par l'Etat seul, car, en fait, tous les plans ont
été adoptés conjointement par le préfet et le président du conseil général,
dans les délais prévus.
L'effort que les communes auront à mener en aménageant des aires sera
fortement soutenu par l'Etat sur le plan financier. Les subventions
d'investissement, vous le savez, ont vu leur taux doubler : l'Etat y consacrera
1 750 millions de francs en quatre ans. Ce taux de subvention est, depuis
octobre dernier, de 70 % dans le cadre réglementaire actuel.
Une aire aménagée doit être gérée. Or cette idée de bon sens ne se traduisait
pas, jusqu'à présent, par une aide financière, ce qui a nui à l'entretien de
nombreuses aires. C'est pourquoi le projet tend à créer une aide au
fonctionnement ouverte à toutes les aires répondant aux normes, gérées et
entretenues.
Le montant de 10 000 francs par place et par an est celui qui avait été cité
dans un rapport élaboré par M. Delevoye au sein de votre assemblée. Cette aide
représentera, à terme, 300 millions de francs par an. Il y a donc un réel
effort de l'Etat.
Enfin, le texte que vous transmet l'Assemblée nationale contient, par rapport
au texte initial du Gouvernement, une avancée supplémentaire sur la prise en
compte des places de caravanes pour le calcul de la dotation globale de
fonctionnement. La majoration est portée à deux habitants par place de caravane
pour les communes éligibles à la dotation de solidarité urbaine, la DSU, ou à
la première fraction de la dotation de solidarité rurale, la DSR.
L'équilibre de ce texte suppose aussi que les maires de communes qui auront
rempli les obligations que leur fixe le schéma - et eux seuls - aient des
moyens nettement renforcés pour faire face aux stationnements illicites. Cette
disposition est nécessaire, même si l'amélioration du nombre d'aires doit se
traduire, à terme, par une diminution de ces stationnements illicites.
Le projet prévoit ces moyens nouveaux, mais il nous faut veiller à ce que de
tels pouvoirs respectent les principes de base de notre droit : le Gouvernement
tient à ce que les décisions d'expulsion soient des décisions de justice ;
toute formule qui contournerait ce principe ne serait donc pas acceptable.
Ce texte est nécessaire pour apporter des réponses à des tensions parfois
graves et à des problèmes actuellement sans solution. Il est ambitieux, et
l'objectif est de parvenir à une cohabitation harmonieuse de toutes les
composantes de la société. Il repose sur un équilibre des droits et des devoirs
de tous les acteurs concernés : collectivités locales, gens du voyage, Etat.
Il contient pour cela un ensemble cohérent de mesures qui, dans le respect des
objectifs et des principes que j'ai énoncés, visent à répondre efficacement et
à un horizon rapide aux difficultés que nous rencontrons.
Je ne méconnais ni ne sous-estime les divergences qui sont apparues entre la
Haute Assemblée et le Gouvernement lors de l'examen du texte en première
lecture, même si, je le crois, le diagnostic et les objectifs sont largement
partagés.
Je souhaite donc que cette deuxième lecture permette d'approfondir le débat et
d'enrichir le texte sans lui retirer sa cohérence, gage d'efficacité.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
secrétaire d'Etat, vous l'avez indiqué, un certain nombre d'arguments ont été
avancés au cours de la discussion, et permettez-moi de revenir sur votre
intervention en posant un premier préambule qui traduit l'état d'esprit du
Sénat.
Nous sommes, nous, sénateurs, convaincus que la navette entre les deux
chambres a pour vocation d'enrichir un texte et non de nourrir des procès
d'intention. Or je suis obligé de reconnaître que j'ai du mal à admettre le
procès d'obstruction qui est intenté au Sénat dans le rapport de l'Assemblée
nationale
(M. Gournac approuve.),
alors qu'en réalité nous nous
interrogeons pour savoir pourquoi l'Assemblée nationale n'a pas saisi
l'opportunité d'inscrire, dans sa fenêtre d'initiative parlementaire, la
discussion de la proposition de loi adoptée par le Sénat sur les gens du voyage
: cela aurait fait gagner du temps à tout le monde !
Quels sont, tout d'abord, nos points de convergence ? Vous l'avez dit,
monsieur le secrétaire d'Etat, sur les objectifs, nous partageons votre
analyse, le déséquilibre de l'offre de places crée des tensions, même si ce
n'est pas la seule raison de ces tensions.
Mais je souhaite aussi montrer très clairement quelles sont nos
divergences.
Nous contestons ainsi l'argument de la recentralisation utilisé pour repousser
le schéma national...
M. Alain Gournac.
Ah oui !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
... car nous estimons qu'au nom du principe même de la
subsidiarité les problèmes doivent être traités au niveau le plus efficace.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Face à des rassemblements nationaux prévisibles, l'Etat doit
faire face à ses responsabilités.
Selon vous, ces rassemblements doivent être intégrés dans les schémas
départementaux. C'est comme si vous proposiez à l'organisation du Tour de
France de déléguer à des organisations départementales la gestion de la course
étape par étape, sans tenir compte de la cohérence et de la globalité du
parcours du Tour de France !
(M. Gournac rit.)
Mieux vaut, selon vous, une négociation avec un coordinateur national pour
prévoir les mesures de sécurité et d'accompagnement.
M. Alain Gournac.
C'est le bon sens !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
En la matière, la pratique doit guider notre réflexion.
Nous refusons aussi la nécessité de la contrainte qui justifie le pouvoir de
substitution du préfet.
M. Alain Gournac.
Vive la décentralisation !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
En réalité, la contrainte, c'est l'échec, que ce soit dans
une famille ou dans les relations avec les collectivités locales. Est-ce,
alors, l'échec de l'Etat ? Est-ce celui des collectivités locales ? Existe-t-il
d'autres raisons à cet échec ?
En tout cas, nous refusons de nous laisser enfermer dans ce que nous voyons
apparaître dans bien des textes, c'est-à-dire dans un schéma binaire où l'Etat
serait paré de toutes les vertus de la défense de l'intérêt général et les
collectivités de tous les péchés de la défense des intérêts catégoriels au nom
de l'égoïsme communal.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Il s'agit là d'un vrai débat de société et d'articulation
dans les relations entre l'Etat et les collectivités locales.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne croyons
pas à la contrainte. Je sais d'ailleurs que vous n'y croyez pas vous-même,
puisque, dans votre argumentation, vous avez déclaré que, la seule fois où vous
l'avez introduite dans un projet de loi, en réalité, les signatures ont été
obtenues sans contrainte.
M. Jean-Claude Peyronnet.
L'harmonisation, cela existe !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Je crois plus à la force de l'incitation qu'à la force de la
contrainte : plutôt que de se réfugier dans cette facilité, mieux vaut
réfléchir aux freins qui ont nourri l'échec et faire en sorte de les desserrer.
La preuve en est que, lorsque vous avez estimé que l'intercommunalité urbaine
fonctionnait mal, vous avez mis en place un certain nombre d'incitations, qui
ont transformé l'échec en adhésion.
Je crois, moi, à la vertu de l'adhésion, et j'y suis d'autant plus sensible
que, si l'Etat veut contraindre, il prend le risque de devoir assumer seul
aujourd'hui la responsabilité des gens du voyage. En effet, de nombreux élus
m'ont dit : « Que l'Etat se débrouille avec ce problème ! S'il veut vraiment
nous contraindre, qu'il assume tout et tout seul ! » Je crois donc à
l'incitation.
Vous avez accompli des efforts qu'il nous faut souligner en matière
financière, avec une contribution importante sur l'investissement et une
dotation que nous estimons insuffisante sur le fonctionnement, mais un premier
pas a été fait et le partenariat signifie que l'Etat estime les élus capables
de faire respecter l'intérêt général.
Si, aujourd'hui, nous rencontrons des problèmes, c'est parce que les élus
doutent de l'Etat dans l'exécution des procédures d'évacuation, que la
population ne croit pas en la vertu de l'Etat et qu'il nous faut transformer -
c'est le pari de ce texte ! - ce climat de méfiance en climat de confiance. Il
nous faut transformer les oppositions en adhésion !
Je crains tous les dérapages si le Gouvernement met de la tension en
soupçonnant les élus locaux. Je crois, comme vous, à l'équilibre des droits et
des devoirs. Je crois, comme vous, à l'équilibre du nombre de places par
rapport aux besoins. Mais le respect de la loi passe non seulement par
l'éducation, mais aussi par la garantie de la sanction.
Nous proposons donc de redonner son rôle à l'Etat pour les grands
déplacements, car c'est un niveau qui nous paraît tout à fait adéquat. Mais
nous refusons de donner la capacité au préfet de se substituer aux élus et nous
croyons, en revanche, à l'incitation.
Comme vous, nous considérons que l'échelon départemental est le meilleur pour
l'élaboration des schémas. Quant à la commission consultative, elle doit
intégrer la totalité des parties.
Le schéma n'étant pas un document d'urbanisme, il n'est pas opportun
d'indiquer qu'il est opposable et nous souhaitons donc des moyens de coercition
pour le stationnement illicite. Nous partageons d'ailleurs votre analyse selon
laquelle il convient de prévoir l'intervention préalable de l'autorité
judiciaire et d'éviter la procédure qui a été prévue par l'Assemblée nationale,
supprimant l'intervention du juge administratif pour les occupations illicites
du domaine public.
Nous proposons un texte équilibré associant toutes les parties, garantissant
les intérêts des uns et des autres, mais exigeant le respect du droit de
propriété.
Nous proposons un texte qui renforce le nécessaire partenariat entre l'Etat et
les collectivités territoriales et non leur mise sous tutelle, susceptible
d'animer la révolte et de provoquer la montée des intolérances. L'acceptation
de l'autre ne se fait pas par la contrainte, mais par une approche commune dans
le respect de l'autre, de sa différence, mais aussi par le respect des règles.
Sinon, c'est la loi du plus fort et le règne de la violence.
Ce texte est nourri d'une approche pragmatique tirée des leçons du terrain.
Nous n'ignorons pas que certains élus voudraient déplacer le problème chez le
voisin, mais nous n'ignorons pas non plus la lassitude des élus qui se sont
engagés dans une politique généreuse et qui se voient aujourd'hui condamnés
parce qu'ils se sentent isolés devant les dégradations constatées, ne pouvant
faire appliquer la loi.
L'Etat veut les collectivités locales à ses côtés, et nous y sommes tout à
fait favorables. Mais les collectivités locales veulent que l'Etat soit à leurs
côtés, non pas contre les gens du voyage mais avec eux, afin que ceux-ci
puissent concilier leur mode de vie avec nos règles républicaines, et non
l'inverse.
Il nous faut accepter de vivre en commun sur notre territoire, mais cela ne
vaut que si l'Etat, garant des libertés, emploie avec rigueur et détermination
les moyens de faire respecter la loi, seule attitude lui permettant d'exiger
des collectivités locales de remplir leurs devoirs.
Sur ce texte, ne soyons ni angéliques ni démoniaques ; soyons pragmatiques et
confiants dans la volonté des élus d'accomplir leur devoir, si l'Etat les
rassure et prend l'engagement de respecter son contrat.
Cette loi doit être une marque de confiance. C'est la raison pour laquelle
elle ne peut pas être construite sur la méfiance, et c'est pourquoi nous aurons
l'occasion, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous indiquer très clairement
que, si nous soutenons un certain nombre de vos initiatives, nous n'approuvons
pas, en revanche, les moyens que vous nous proposez. Faisons en sorte que ce
problème des gens du voyage soit traité dans un esprit d'équilibre, de respect
et d'exigence, en garantissant les libertés de chacun !
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, «
association de l'ensemble des représentants des parties concernées », «
dialogue », « concertation », « coordination ». D'un rapport à l'autre, ces
maîtres mots de l'exercice moderne de la démocratie reviennent sous la plume et
dans les propos de notre éminent collègue et rapporteur, M. Jean-Paul
Delevoye.
Les vertus démocratiques que ces mots désignent, le Sénat les avaient prônées
en première lecture.
Il les avait prônées pour une mise en oeuvre effective d'un dispositif sur le
terrain pour répondre au problème délicat de l'accueil et de l'habitat des gens
du voyage.
L'Assemblée nationale a cru bon de rétablir le texte tel qu'elle l'avait
adopté en première lecture, maintenant ainsi un déséquilibre auquel nous avions
voulu remédier par des améliorations de bon sens.
Nous n'avons pas été entendus.
Le rétablissement par l'Assemblée nationale de la faculté pour le représentant
de l'Etat d'approuver seul le schéma départemental et de se substituer aux
communes pour la réalisation des aires d'accueil apparaît, monsieur le
secrétaire d'Etat, comme une suspicion à l'égard des collectivités locales.
Quel manque de confiance dans les vertus du dialogue et de la concertation
!
Pourquoi ne plus faire confiance aux élus locaux, à ceux qui connaissent la
réalité du terrain et sont confrontés aux difficultés au jour le jour ?
L'Etat aurait tout à gagner, en termes de crédibilité et d'efficacité, à
instaurer un véritable partenariat avec les collectivités locales.
Dans un monde toujours plus compliqué, où un rien exacerbe les tensions, le
dialogue est la seule méthode.
L'Assemblée nationale a adopté le point de vue du Gouvernement. Elle défend
ainsi la mise en place d'un dispositif coercitif qui fait fi de la libre
adhésion des collectivités à des solutions concertées et ignore la nécessité de
leur donner les moyens de réprimer le stationnement illicite.
Personnellement, je m'étonne que l'Assemblée n'ait pas cru bon de définir,
comme nous l'avions proposé, la notion de « résidence mobile ». C'est d'autant
plus étonnant que l'absence d'une telle définition légale risque d'être source
de contentieux lors de l'application de plusieurs dispositions du texte.
J'ai cependant constaté avec satisfaction que le Gouvernement avait pris en
considération nos remarques, ce qui revenait à prendre acte du bon sens et du
réalisme de notre Haute Assemblée.
Concernant le reste du texte, les principes de la décentralisation sont
quelque peu perdus de vue, qui font des collectivités locales des acteurs
pleinement responsables dans le cadre des compétences qui leur sont dévolues
par la loi.
L'esprit de la décentralisation n'a jamais été le désengagement d'un Etat
distribuant les responsabilités sans donner, en même temps, les moyens de les
exercer.
Il n'est pas acceptable, je le répète, que le représentant de l'Etat puisse
approuver seul le schéma départemental et se substituer également aux communes
pour la réalisation des aires d'accueil.
C'est d'autant moins acceptable que le texte escamote de nouveau la nécessité
d'un schéma national pour les grands rassemblements traditionnels, qui ne
peuvent relever, tant par leur nature que par leurs conséquences, de la
responsabilité des collectivités locales.
Les questions doivent être réglées à l'échelon le plus adéquat. Un schéma
national intégrant des objectifs d'aménagement du territoire s'impose. Cela
permettrait peut-être à l'Etat - c'est une suggestion ! - de faire des
propositions pour que certains terrains militaires désaffectés, aujourd'hui mis
en vente, puissent être réservés à l'accueil des gens du voyage. Ce faisant,
l'Etat donnerait l'exemple !
Il est également du devoir de l'Etat - nombre de nos collègues, à la suite de
notre rapporteur, avaient insisté sur ce point - d'apporter aux communes
concernées une compensation effective des charges qui leur sont imposées, une
compensation suffisante pour que le dispositif puisse être pérennisé.
Quand on parle du devoir de l'Etat, on ne pense pas seulement à son expression
sur le plan financier, on pense également - par « on » il faut entendre
l'ensemble des maires et des élus locaux - à son expression sur le plan des
sanctions.
Chaque département a sa liste accablante de villes où fleurit un stationnement
illicite préjudiciable aux riverains, aux entreprises, aux commerçants, où
règnent le non-droit et l'impuissance.
Je ne peux m'empêcher de penser à mes collègues élus des Yvelines, de
Coignières, de Maurepas, d'Elancourt, de Bazoches-sur-Guyonne, régulièrement
aux prises avec les difficultés d'une surpopulation. Je pense à
Carrières-sur-Seine, non loin du Pecq-sur-Seine, dont je suis maire ; je pense,
bien sûr, au plateau de Verneuil-Vernouillet, bien connu des services de
gendarmerie de notre département et où nous avons perdu un gendarme.
Pensant à ces élus, je ne peux que plaider, à la suite de notre rapporteur, en
faveur du renforcement effectif des moyens d'action du maire.
On ne peut pas indéfiniment reconnaître des droits aux uns et imposer des
devoirs aux autres, reconnaître des droits aux gens du voyage et imposer des
devoirs aux élus. Droits et devoirs doivent être défendus et rappelés avec la
même vigueur, exercés et remplis avec la même rigueur.
C'est la raison pour laquelle il est très important de permettre au maire de
prendre un arrêté d'interdiction dès la réalisation d'une aire d'accueil.
On ne peut pas attendre l'accomplissement de l'ensemble des obligations
prévues par le schéma départemental pour donner à un maire les moyens de mettre
en oeuvre une procédure destinée à obtenir l'évacuation par la force.
Les efforts consentis par une commune doivent être immédiatement accompagnés
de son indispensable contrepartie. La loi et les moyens de la faire respecter
doivent aller de pair et ne peuvent être séparés dans le temps. Ce serait
s'empêcher d'appeler par leur nom des pratiques abusives et, ainsi, les
encourager.
En fait, c'est là le simple bon sens, et, qui plus est, un bon sens salutaire,
c'est-à-dire animé par un souci aigu de l'ordre républicain, d'un ordre
vérifiable sur le terrain.
D'où la nécessité, de prévoir une procédure de référé accélérée, dite d'heure
à heure, si le cas requiert la célérité, de rétablir la compétence du juge
administratif pour les occupations illicites du domaine public, de permettre la
mise en oeuvre de la procédure judiciaire pour obtenir l'évacuation forcée des
résidences mobiles de nature à porter atteinte à des activités économiques.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il est regrettable qu'il ne soit pas davantage
fait confiance aux hommes, en l'occurrence aux maires, plus généralement aux
élus locaux.
Les gens du voyage posent un problème difficile, dont personne n'a la
solution. Mais, au Sénat, nous croyons fermement que celle-ci aurait plus de
chances de voir le jour dans la concertation entre l'Etat et les collectivités
territoriales.
C'est pourquoi, avec le groupe du Rassemblement pour la République, je
souscris pleinement aux propositions de la commission des lois formulées par
notre rapporteur.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
sénateurs socialistes ont l'impression de rejouer une pièce, pas forcément
mauvaise d'ailleurs, car nous avions, me semble-t-il, bien travaillé, mais tout
de même de rejouer une pièce, tant les propositions de la commission des lois
pour cette deuxième lecture sont semblables à celles qu'elle avait faites lors
de la première lecture, les arguments étant nécessairement les mêmes.
En tout cas, la politique suivie est mauvaise : il n'est bon pour aucune des
deux assemblées, même sur des textes qui ne mettent pas en cause l'avenir de la
République, de s'enfermer dans des certitudes sans dialogue réel. Ce n'est bon
ni pour le fonctionnement de nos institutions, qui est essentiel, ni pour notre
image, ni pour le Sénat, qui a montré en d'autres temps, et même très souvent,
toute l'importance de son apport au travail législatif.
La « bunkerisation » à laquelle nous assistons - surtout, monsieur le
rapporteur, si, comme j'ai cru le comprendre, elle est quelque peu fondée sur
une sorte de vanité d'auteur -...
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Pas du tout !
M. Jean-Claude Peyronnet.
... donne trop souvent le dernier mot non amendé à l'Assemblée nationale, y
compris lorsqu'elle prend parfois - ce n'est pas forcément le cas sur ce texte
- des positions excessives et offre ainsi des arguments faciles à ceux qui
dénoncent l'inutilité de la Haute Assemblée.
Certes, les logiques sont différentes, mais est-il nécessaire de reprendre
notre argumentation de février. Pour ma part, je me garderai bien de le faire,
me contentant de rappeler quelques grands axes.
Quelle est la logique de cette loi, nécessaire après l'échec des dispositions
de 1990 sur ce sujet et la non-concrétisation de la proposition de loi de 1997
?
Il s'agit de réaliser un nombre de places de caravanes suffisant pour
permettre un accueil décent des gens du voyage, de mettre en oeuvre ces places
dans des endroits définis par le schéma départemental de façon rapide et quasi
concomitante entre les communes afin de ne pas pénaliser, comme c'est le cas
actuellement, celles qui se conforment à la loi, de donner aux maires, dès lors
qu'ils auront satisfait aux obligations de la loi, des moyens qui, avec l'aide
des services de l'Etat - nous avons tous insisté, monsieur le ministre, sur la
nécessité, dans le long terme et pas seulement au début du processus, de cet
apport de l'Etat - doivent leur permettre d'interdire le stationnement sur
l'ensemble du territoire de leur commune.
Pour mettre en oeuvre cette action dynamique, l'Etat fait un effort financier
sans précédent, en investissement comme en fonctionnement. Cet effort n'est
peut-être pas suffisant pour que la loi s'applique dans de bonnes conditions,
car il est vrai qu'il peut exister bien d'autres blocages que financiers. Il
était toutefois une condition nécessaire au départ pour que le manque d'argent
ne constitue ni un obstacle à l'action ni un prétexte pour ne pas agir.
Instruits par le passé, par les lacunes du passé, on introduit dans ce texte
des contraintes. En effet, le préfet peut, si la négociation n'aboutit pas avec
le président du conseil général, approuver seul le schéma départemental, et le
vieux président de conseil général que je suis - dix-huit ans d'exercice ! -
souscrit à cette disposition. Le préfet peut aussi se substituer aux communes
pour réaliser les aires d'accueil retenues dans le schéma.
C'est vrai, M. le rapporteur l'a excellemment dit, mieux vaut privilégier la
concertation que la contrainte. Mais il est vrai aussi que ce recours éventuel
à la contrainte a finalement abouti - M. le secrétaire d'Etat l'a rappelé - à
ce que, dans le dispositif de 1990, les schémas départementaux soient approuvés
et réalisés dans la concertation. Celle-ci a lieu parce que le fait que le
préfet puisse, à un moment donné, se substituer aux communes est dissuasif. La
concertation se trouve ainsi facilitée.
La commission des lois, tout en demandant à l'Etat de se charger de
l'élaboration et de la mise en oeuvre d'un schéma national d'accueil pour les
grands rassemblements, crie à la recentralisation. Il faut savoir ce que l'on
veut et ne pas s'enfermer dans les contradictions ! Je l'avais dit dès la
première lecture et je le répète, on ne peut pas à la fois se plaindre de la
situation actuelle, de l'inefficacité du dispositif de 1990 et refuser, au nom
des grands principes, d'accorder les moyens qui créent les conditions de la
réussite.
Nous restons donc favorables au texte gouvernemental et, pour l'essentiel, à
la version qui nous revient de l'Assemblée nationale. Aussi, nous voterons
contre le texte qui sera vraisemblablement adopté par le Sénat si ce dernier
suit les propositions de la commission.
Le texte du Gouvernement nous apparaît pondéré, équilibré. Il apportera, si,
comme c'est probable, l'Assemblée a le dernier mot - comme toujours, hélas ! -
une réelle amélioration dans le domaine si délicat de la cohabitation des gens
du voyage avec la population sédentaire.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce
projet, que nous examinons pour la seconde fois, est ambitieux. Il vise à
trouver des solutions efficaces à l'accueil des gens du voyage en réalisant un
juste équilibre entre les droits et les devoirs de chacun : d'une part, le
droit des voyageurs de bénéficier d'aires d'accueil répondant à leurs besoins,
tant en termes d'implantation que d'aménagement, et le devoir des collectivités
territoriales de réaliser ces espaces ; d'autre part, les contreparties
attachées à ces obligations, avec, en premier lieu, les moyens nouveaux
octroyés aux communes - moyens de nature financière ou encore augmentation de
leurs pouvoirs de police - et, par conséquent, le devoir des gens du voyage de
respecter le stationnement dans des lieux prévus à cet effet.
Cet équilibre nous semble si juste que nous ne comprenons pas l'archarnement
de certains de nos collègues à refuser ce projet de loi.
S'il est vrai que la question de l'accueil des gens du voyage s'est
cristallisée, que de nombreux maires ont des difficultés quotidiennes à la
gérer, que les relations de voisinage sont souvent très tendues, il est certain
que cette situtation est, avant tout, due au manque de places d'accueil.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres.
Depuis 1990, seulement 47 schémas départementaux ont été approuvés, dont 15
uniquement par le préfet : seules 450 communes, sur les 1 739 communes de plus
de 5 000 habitants, ont une aire d'accueil.
Le nombre de places manquantes ou à réhabiliter est évaluée à 25 000. Ce
déficit accentue encore un peu plus la tension, car les villes qui ont joué le
jeu sont réputées accueillantes et voient ainsi le nombre d'arrivées de
caravanes sensiblement augmenter, ce qui dissuade davantage encore les communes
plus hostiles de créer des aires d'accueil.
Il est grand temps de rompre ce cercle vicieux. Le Gouvernement prend donc ici
toutes ses responsabilités. Il est dans son rôle de défense de l'intérêt
général, de promotion de la solidarité, même si, comme le prétend la majorité
sénatoriale, ces dispositions s'imposent aux collectivités et qu'il aurait été
plus louable que chacun assume ses responsabilités.
Malheureusement, le Gouvernement n'a pas pu faire autrement, notamment au
regard du bilan d'application de l'article 28 de la loi de 1990.
Comme en matière de construction de logements sociaux, le désengagement et
l'égoïsme de certains nous contraignent à adopter des mesures coercitives même
si, je le reconnais, cela peut sembler dommageable.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous disiez, lors de la première lecture, que
les dispositions permettant au préfet de se substituer à la collectivité
territoriale avaient vocation à ne pas servir ou plutôt à servir le moins
souvent possible.
Vous le voyez, chers collègues, nul n'a envie de jouer à la contrainte ou à la
répression comme vous semblez le laisser entendre, mais uniquement de proposer
des mesures opérantes et efficaces.
C'est le cas avec les schémas départementaux qui, pour fixer les objectifs de
réalisation, devront évaluer les besoins au regard de l'offre. Si cela semble
anodin, il suffit de dialoguer avec les gens du voyage et leurs associations
pour se rendre compte que s'ajoute au manque de places une réelle inadéquation
de leur mode de vie.
En effet, les gens du voyage ne sont pas une population homogène. L'évolution
de la société n'a pas été sans répercussion sur le mode de vie itinérant. Une
grande partie d'entre eux ont choisi de se sédentariser, notamment par manque
d'emplois. Mais la sédentarisation ne signifie pas l'abandon de la caravane.
Il faut donc prévoir des terrains familiaux pour le passage et pour les grands
rassemblements, répondant tous à des normes de confort, d'accessibilité et
d'implantation respectant le groupe, l'individu, sa dignité.
Après les questions de stationnement, reste à traiter tout ce qui est le
corollaire de l'accueil et que le projet de loi ne fait qu'effleurer. Je vise
la scolarisation et la formation, l'implication des familles à un certain
nombre de réalités, comme la promotion ou l'insertion, qu'elle soit
individuelle ou familiale. Au-delà, je pense qu'outre les DDASS et les
départements les caisses d'allocations familiales doivent jouer un rôle
prépondérant dans le cadre de leur politique familiale. Certaines communes, à
l'instar de Nîmes, par exemple, pour l'aire d'accueil de Canterperdrix, ont
bénéficié d'aides au financement de la part de la caisse d'allocations
familiales pour implanter, au sein du terrain, un centre social, où travaille
notamment un conseiller en vie sociale, ce qui permet de mener des actions
d'accompagnement en relation avec les familles.
Ces actions revêtent des caractères très différents. Il s'agit, dans la
plupart des cas, de démarches relativement simples, mais qui constituent un
lourd handicap, pour l'aide sociale, du fait du mode de vie des gens du
voyage.
La solution pourrait consister à considérer les résidences mobiles comme de
véritables logements, ouvrant ainsi droit à toutes les aides sociales qui y
sont liées, y compris celles qui permettent l'accès à la propriété privée.
Se pose cependant un problème : en assimilant les résidences mobiles à des
logements sociaux, n'ouvre-t-on pas la voie à des possibilités de proposition
de relogement en caravane ? Dans ce cas, ne faudrait-il pas assortir ce
classement d'une condition de libre choix des familles occupantes ?
Il me semble que cette solution constituerait une avancée pour les gens du
voyage qui pourraient ainsi accéder aux aides au logement. En effet, ceux-ci
peuvent, dans la plupart des cas, être considérés comme locataires, puisqu'ils
payent leur emplacement et les charges y afférentes.
Pourquoi ne pas envisager, également, que les prêts à taux zéro soient ouverts
pour l'achat d'un terrain ou d'une caravane ?
Concernant le RMI, la loi du 1er décembre 1988 a prévu que « les personnes
sans domicile stable », y compris les gens du voyage, selon les interprétations
du ministère de l'emploi et de la solidarité, doivent, pour bénéficier de
l'allocation, élire domicile auprès d'une association agréée. Nous aimerions
que cette même règle s'applique à l'ensemble des droits civiques.
S'agissant toujours du RMI, nous trouvons tout particulièrement choquant que
soit systématiquement soustraite la part logement, au motif que les gens du
voyage ont un type d'habitat différent. Il s'agit, là encore, de
discriminations au quotidien.
Enfin, je voudrais m'arrêter quelques instants sur le sentiment, non moins
réel, des gens du voyage d'être considérés comme des « sous-citoyens ».
La loi du 3 janvier 1969 est discriminatoire. Le carnet de circulation n'a
plus lieu d'être.
La loi du 29 juillet 1998, relative à la lutte contre les exclusions, a permis
aux personnes sans domicile fixe de se déclarer domiciliées dans un organisme
d'accueil, une association. Les gens du voyage espèrent, légitimement, que ces
dispositions puissent leur être applicables.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous rappeliez, lors de la première lecture,
que la commission nationale consultative des gens du voyage était chargée
d'aborder l'ensemble de ces questions. Le groupe communiste républicain et
citoyen ne peut, dès lors, que réaffirmer sa volonté que les voyageurs
bénéficient des mêmes droits et devoirs que nos concitoyens sédentaires !
M. Nicolas About.
Les mêmes devoirs !
Mme Odette Terrade.
Pour l'heure, nous soutenons le projet de loi issu des travaux de l'Assemblée
nationale sur l'accueil des gens du voyage, qui n'est qu'un des aspects des
différentes situations auxquelles ces concitoyens itinérants sont confrontés.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, je répondrai brièvement pour
alléger d'autant la discussion des articles, en reprenant les arguments avancés
par les différents intervenants.
Permettez-moi tout d'abord de remercier de leur soutien au texte Mme Terrade à
l'instant et M. Peyronnet auparavant. Certes, le problème est plus large et les
perspectives pourraient être plus ouvertes. Mais si nous parvenons à retisser
des liens et à en finir avec cette césure, cette coupure qui s'est établie
entre les sédentaires et les itinérants, nombre de problèmes pourront être
abordés d'un oeil nouveau par la commission nationale consultative des gens du
voyage, qui est bien le lieu où doit se poursuivre cette réflexion. Nous
aurons, je l'espère, des possibilités d'enregistrer des avancées.
Je voudrais également remercier la commission des lois du Sénat, plus
spécialement son rapporteur qui s'est investi dans ce dossier de longue date et
dont les travaux, même s'ils n'ont pas abouti dans le cadre de la proposition
de loi dont il a été l'auteur, ont nourri la préparation du présent projet de
loi. En effet, tout un travail de recherche, de référence et d'évaluation a été
repris, ce qui est, me semble-t-il, une façon de valoriser la réflexion menée
par la Haute Assemblée, tout spécialement par M. Delevoye, que je tiens à
remercier chaleureusement.
Monsieur le rapporteur, vous savez bien évidemment que ce n'est pas la vision
du Gouvernement que de penser que l'Etat aurait toutes les qualités et les
collectivités locales et leurs élus tous les défauts.
M. Nicolas About.
Vous nous rassurez !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Ce gouvernement compte un certain nombre d'élus
locaux, à commencer par votre serviteur. Je ne vois pas par quel masochisme
ambiant le Gouvernement en viendrait à penser qu'il lui faut se méfier des
élus. Le problème ne se pose pas en ces termes.
Il n'en reste pas moins qu'avec les 36 000 communes qui font sa richesse notre
pays est très morcelé. Au lieu d'avoir le réflexe des pays à grand territoire
où le problème est incontournable, chez nous, la diversité de nos 36 000
communes incite certains maires à compter sur leurs voisins pour régler les
problèmes. C'est une attitude très humaine, qui ne justifierait pas que l'on
voue les élus aux gémonies, mais qui ne nous autorise pas pour autant à ignorer
par angélisme une réalité que nous vivons au quotidien.
Comme vous, monsieur le rapporteur, le Gouvernement croit bien sûr à la vertu
de l'incitation et espère bien qu'elle l'emportera sur la contrainte. C'est la
raison pour laquelle, dans le texte qui vous est proposé, l'article 4 dispose
explicitement - c'est une disposition incitative - que le taux de 70 % pour les
subventions est applicable pendant la période où les problèmes se résolvent
dans le cadre du volontariat. Cela signifie,
a contrario,
que ceux qui
feraient montre de mauvaise volonté et amèneraient l'Etat à se substituer à eux
se placeraient hors du champ d'application de cette disposition de l'article 4,
qui traduit bien cette volonté d'incitation au volontariat à laquelle est
attaché le Gouvernement.
Il est vrai que, dépassant les clivages politiques traditionnels, la loi du 31
décembre 1990 - vous vous souvenez sans doute des conditions dans lesquelles
elle a été votée - avait institué des plans départementaux d'action pour le
logement des personnes défavorisées : il était prévu qu'au terme d'une année,
si aucun accord n'était intervenu dans le département entre les préfets et les
présidents de conseils généraux, au lieu de s'orienter vers une cosignature,
les préfets pourraient signer seuls. Le vote de cette disposition n'avait pas
donné lieu à un affrontement entre la gauche et la droite. Force est de
constater que cette possibilité de publication unilatérale du plan n'a pas eu à
jouer.
En fait, n'est-il pas fondamental - c'est une question que je pose à chacun
d'entre vous, notamment à M. Gournac - que, grâce à la volonté nationale,
c'est-à-dire au Parlement, qui exprime cette volonté nationale, l'Etat ait le
dernier mot en cas de mauvaise volonté manifeste, afin que le volontariat
aboutisse ? Cette possibilité de contrainte, dont personne ne souhaite se
servir, n'aide-t-elle pas à l'aboutissement du contrat et du volontariat ?
L'expérience des plans départementaux d'action pour le logement des personnes
défavorisées en a donné une illustration sur laquelle, je le pense, chacun peut
méditer.
M. Nicolas About.
Mais les communes s'administrent librement !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le sénateur, vous avez interrogé le Conseil
constitutionnel sur ce point : c'est après un recours du Sénat que le Conseil
constitutionnel a établi sa jurisprudence.
M. Nicolas About.
Eh oui !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Le Conseil constitutionnel vous a répondu, dans sa
décision du 30 mai 1990, que les collectivités territoriales s'administrent
librement - article 72 de la Constitution - dans le respect des lois de la
République.
M. Nicolas About.
Bien sûr !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Cela signifie que la décentralisation n'autorise pas
les élus locaux à choisir à la carte les lois qu'ils entendent appliquer ! Fort
heureusement, la décentralisation ce n'est pas cela et le Conseil
constitutionnel vous l'a dit d'une manière extrêmement claire.
M. Nicolas About.
Oui !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
La dignité de la fonction du parlementaire, que vous
ressentez très profondément chacun d'entre vous, bien sûr, est de faire la loi.
Cette dignité serait largement altérée s'il était possible de s'affranchir de
son application : nous ne serions plus en République partout sur notre
territoire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comprenez-nous : le seul souci du
Gouvernement est que figurent dans la loi des dispositions...
M. Hilaire Flandre.
Oui !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
... qui lui donnent l'assurance que la loi peut être
respectée partout. Je crois vraiment que, en fonction du clivage entre
républicains et non républicains, nous devons pouvoir nous mettre d'accord sur
ce point. Il s'agit d'un clivage, vous en conviendrez, beaucoup plus profond
que les clivages partisans traditionnels !
Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, la lassitude des élus qui se sont
engagés dans la recherche de solutions. Il est vrai que, depuis l'entrée en
vigueur de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, certains ont fait des
efforts, et c'est, me semble-t-il, de ceux-ci qu'il faut être prioritairement
solidaires. Mais on ne peut pas prendre en compte leur lassitude et vouloir
leur manifester de la solidarité en recréant un dispositif dont la mise en
oeuvre serait toujours laissée à la bonne volonté des autres. Ceux qui ont
fourni des efforts dans le passé seraient alors d'autant plus accablés par la
lassitude que vous déplorez.
M. Gournac a plaidé pour que le dialogue soit la seule méthode utilisée. C'est
également notre priorité, monsieur le sénateur, mais, dans ce domaine, force
est bien de constater que, depuis dix ans, la loi permet de résoudre ces
questions par le dialogue et le volontariat et que les résultats ne sont pas du
tout à la hauteur des besoins. Le texte dont nous débattons, que je trouve
extrêmement prudent, prévoit de donner un caractère obligatoire, à l'échéance
de dix-huit mois, à l'élaboration des schémas départementaux, et, au terme de
deux années, à la réalisation des aires d'accueil. Cela signifie que nous nous
en remettons au volontariat pour une période de trois ans et demi, les
obligations qui sont en perspective n'étant prévues qu'au terme de chacune de
ces périodes.
M. Gournac a suggéré que, pour les grands rassemblements nationaux, on puisse
mobiliser des terrains militaires. Je veux simplement lui indiquer que ce point
est tout à fait à l'ordre du jour. A cet égard, le grand rassemblement annuel
de Chamblay se déroule sur une ancienne base aérienne, et nous n'écartons pas
l'idée que d'autres terrains puissent être utilisés.
M. Gournac a également parlé des Yvelines. Je suppose qu'il pensait aux
quelques élus de ce département auxquels nous devons la réalisation de cent
trente-huit places : cent trente-huit seulement pour tout le département !
A l'égard de ces élus les plus vertueux, les plus courageux, les plus
solidaires, je suis en pensée avec vous. Mais, si la situation est difficile
dans tel ou tel département, c'est que l'offre de places est sans rapport avec
les besoins, puisqu'elle représente moins de 10 % de ce qu'il faudrait. Là est
la grande difficulté.
M. Nicolas About.
Nous en avons réalisé cent et elles ont été détruites !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le sénateur,
ne voulant pas retomber dans cette difficulté, l'Etat met en place un système
de financement du fonctionnement des aires,...
M. Nicolas About.
Ce n'est pas cela, c'est la sécurité des aires qui est en cause ! Il faut les
protéger.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
... qui seront gardiennées, et donc durables.
M. Nicolas About.
Gardiennées par qui ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Mais par du personnel rémunéré avec l'aide mise en
place !
M. Nicolas About.
Par l'Etat ?
M. le président.
Je vous en prie, mon cher collègue, veuillez laisser conclure M. le secrétaire
d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Il existe des associations spécialisées, des
organismes volontaires ; ils se mobiliseront et les moyens de financement
seront réunis.
Voilà, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les
sénateurs, les réponses que je voulais apporter aux questions qui m'ont été
posées.
Toutefois, à M. Gournac, qui a souhaité qu'une commune puisse disposer des
moyens renforcés prévus dans le projet de loi dès lors qu'elle aura satisfait à
ses obligations, sans attendre que toutes les communes du département visées
par le schéma départemental aient elles-mêmes satisfait à leurs obligations, je
répondrai que c'est précisément l'objet de l'article 9 du projet de loi. Dès
qu'une commune a satisfait aux obligations que lui donnent le schéma
départemental, elle pourra obtenir des moyens renforcés.
Mesdames, messsieurs les sénateurs, ce projet de loi vise donc bien, vous le
constatez, à progresser sur la voie de l'efficacité avec l'objectif de faire
prévaloir l'égalité de droit et de devoir à laquelle, comme le Gouvernement,
vous êtes attachés.
M. Philippe de Gaulle.
Pour les citoyens français !
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles
est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas
encore adopté un texte identique.
Article 1er