Séance du 23 mars 2000






GENS DU VOYAGE

Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 243, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage. [Rapport n° 269 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez examiner en deuxième lecture un texte qui a déjà été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 24 juin 1999 et par la Haute Assemblée le 2 février 2000, et, en deuxième lecture, par l'Assemblée nationale le 24 février dernier.
A l'occasion de ces débats, de nombreux arguments ont déjà été présentés : vous me permettez donc de ne pas entrer dans le détail des divers aspects de ce texte, tel qu'il vous est transmis par l'Assemblée nationale. L'examen des amendements permettra bien sûr de revenir sur certains sujets.
Il me semble plus utile de rappeler les lignes de force de ce texte, à l'aune des problèmes auxquels nous avons collectivement à faire face, et les enseignements du dispositif existant.
Ce texte entend apporter des réponses à un aspect décisif concernant les gens du voyage : l'accueil de ceux qui sont itinérants. Plus ambitieux et plus conforme aux résultats que nous devons obtenir, ce terme d'« accueil » est préférable à celui de « stationnement », qui tendrait à ne traiter les problèmes qu'en termes techniques alors qu'il doit clairement s'agir d'accueillir des personnes dans des conditions dignes de notre société.
S'il est centré sur l'accueil des itinérants, ce projet de loi a été une occasion de faire émerger dans le débat public d'autres problèmes, tels ceux qui sont liés, par exemple, à la sédentarisation d'une partie des gens du voyage, à la scolarisation des enfants ou aux conditions nouvelles d'exercice des activités économiques.
Ainsi, depuis que le projet de loi a été présenté par le Gouvernement, plusieurs colloques ont déjà montré ce besoin de larges débats concernant les gens du voyage sur d'autres thèmes ou sur des thèmes plus transversaux que l'accueil des itinérants. Les discussions liées à l'élaboration des nouveaux schémas départementaux seront une occasion importante de donner vie localement à ces questions, de même que la relance de la Commission nationale consultative des gens du voyage permettra, à leur sujet, une concertation et une réflexion au niveau national.
Ce projet de loi ne prétend donc pas tout traiter ; mais, sur l'accueil des gens du voyage itinérants, il entend apporter un ensemble cohérent de réponses précises.
Ces réponses s'imposent, car les difficultés sont grandes. Parce qu'elles sont liées à l'exercice de droits fondamentaux - droit de choisir son mode de vie, droit de libre circulation, droit de propriété, respect de la loi républicaine... - ces difficultés entraînent souvent, localement, des tensions, parfois des conflits, dont les médias et les associations d'élus ne manquent pas de se faire l'écho.
L'objectif du Gouvernement est de parvenir à une cohabitation harmonieuse de toutes les composantes de la société sur le territoire national. Les pouvoirs publics n'ont pas à imposer la sédentarisation à ceux des gens du voyage qui souhaitent continuer un mode de vie fondé sur l'itinérance. Il faut, dans le cadre des règles de droit et en tenant compte des droits et des devoirs de chacun, permettre que ce mode de vie puisse s'exercer dans notre société.
Pour cela, il faut aménager des aires d'accueil en nombre suffisant. Nous savons tous qu'il en faut davantage : un sixième seulement des besoins quantitatifs sont couverts actuellement. Il faudrait trente mille places, alors qu'il n'en existe que cinq mille aux normes.
Ces aires doivent aussi être correctement situées et aménagées et doivent répondre mieux à des besoins qui évoluent depuis une dizaine d'années. Je reviendrai sur ce point à propos des schémas départementaux.
L'article 28 de la loi du 31 mai 1990 a été un premier cadre législatif apportant une réponse à ce grave déficit d'offre de possibilités de stationnement. Mais dix ans d'application de ce dispositif montrent que, s'il a indéniablement été utile en permettant de doter un tiers des départements d'un schéma conjointement approuvé par le préfet et le président du conseil général et d'augmenter le nombre de places, il a eu des résultats qui ne sont pas à la hauteur des besoins. Ces insuffisances permettent toutefois de tirer des leçons pour construire un nouveau cadre législatif.
Les réponses aux besoins doivent reposer sur une réflexion menée en commun par les acteurs locaux. Cette nécessité d'une connaissance partagée et de la concertation de tous les acteurs est à la base du schéma départemental. Ce sera le pivot de l'élaboration de réponses adaptées et cohérentes sur un territoire.
Le département est, à cet égard, le bon niveau, par exemple, pour l'analyse des besoins, pour la localisation des aires, pour leur capacité et leur destination, pour la définition de certaines interventions sociales. La logique d'un schéma national, même pour les seuls grands rassemblements nationaux, ne permettrait pas, de l'avis du Gouvernement, cette qualité de réponse construite à la fois au plus près du terrain et avec un certain recul, nécessaire par rapport aux tensions locales, que permet le niveau départemental.
Elaborer des réponses adaptées, c'est prendre en considération les évolutions que connaissent depuis plusieurs années les aspirations des gens du voyage. Ainsi, surtout parce que leur situation économique se dégrade à cause de l'évolution de leurs activités traditionnelles, certains sont demandeurs de durées de séjour plus longues que voilà une dizaine d'années.
De même, émerge un besoin de terrains sommairement aménagés pour accueillir les groupes de grande taille - jusqu'à deux cents caravanes - qui sont de plus en plus nombreux à circuler, notamment avant ou après les quelques grands rassemblements de plusieurs milliers ou dizaines de milliers de personnes. Les réponses locales, appuyées par les textes d'application de la loi et coordonnées dans le cadre des schémas départementaux, devront mieux tenir compte de ces évolutions, comme l'a déjà fait la circulaire d'octobre 1999 qui a mis en place une subvention de 350 000 francs au maximum pour l'aménagement de grands terrains temporairement mobilisables.
Des réponses adaptées devront aussi passer, le plus possible, par l'intercommunalité. Le texte qui vous est soumis soutient cette logique intercommunale. Si, toutefois, cette dernière ne prend pas forme localement, le maintien d'une obligation spécifique pour les communes de plus de 5 000 habitants, qui figureront toutes au schéma, est une garantie que des aires seront aménagées.
Le bilan mitigé de la loi du 31 mai 1990 montre aussi qu'il est décisif que tous les acteurs concernés agissent, et agissent en même temps. Il faut donc fixer des délais et se doter de moyens pour que ce qui est prévu soit réalisé.
Deux délais successifs sont prévus : dix-huit mois pour l'adoption conjointe du schéma par le préfet et par le président du conseil général, puis vingt-quatre mois pour l'aménagement des aires.
L'Etat aura les moyens d'agir si ces délais ne sont pas respectés. Le préfet pourra, en effet, adopter le schéma et se substituer, pour leur nom et en leur compte, aux communes n'ayant pas agi.
Bien sûr, le souhait du Gouvernement est que ces moyens n'aient pas à être mis en oeuvre. Il existe un précédent qui, à cet égard, ne manque pas d'intérêt : ainsi, ce fut le cas pour la disposition de la loi du 31 mai 1990 qui prévoyait une possibilité d'approbation du plan départemental d'actions pour le logement des personnes défavorisées par l'Etat seul, car, en fait, tous les plans ont été adoptés conjointement par le préfet et le président du conseil général, dans les délais prévus.
L'effort que les communes auront à mener en aménageant des aires sera fortement soutenu par l'Etat sur le plan financier. Les subventions d'investissement, vous le savez, ont vu leur taux doubler : l'Etat y consacrera 1 750 millions de francs en quatre ans. Ce taux de subvention est, depuis octobre dernier, de 70 % dans le cadre réglementaire actuel.
Une aire aménagée doit être gérée. Or cette idée de bon sens ne se traduisait pas, jusqu'à présent, par une aide financière, ce qui a nui à l'entretien de nombreuses aires. C'est pourquoi le projet tend à créer une aide au fonctionnement ouverte à toutes les aires répondant aux normes, gérées et entretenues.
Le montant de 10 000 francs par place et par an est celui qui avait été cité dans un rapport élaboré par M. Delevoye au sein de votre assemblée. Cette aide représentera, à terme, 300 millions de francs par an. Il y a donc un réel effort de l'Etat.
Enfin, le texte que vous transmet l'Assemblée nationale contient, par rapport au texte initial du Gouvernement, une avancée supplémentaire sur la prise en compte des places de caravanes pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement. La majoration est portée à deux habitants par place de caravane pour les communes éligibles à la dotation de solidarité urbaine, la DSU, ou à la première fraction de la dotation de solidarité rurale, la DSR.
L'équilibre de ce texte suppose aussi que les maires de communes qui auront rempli les obligations que leur fixe le schéma - et eux seuls - aient des moyens nettement renforcés pour faire face aux stationnements illicites. Cette disposition est nécessaire, même si l'amélioration du nombre d'aires doit se traduire, à terme, par une diminution de ces stationnements illicites.
Le projet prévoit ces moyens nouveaux, mais il nous faut veiller à ce que de tels pouvoirs respectent les principes de base de notre droit : le Gouvernement tient à ce que les décisions d'expulsion soient des décisions de justice ; toute formule qui contournerait ce principe ne serait donc pas acceptable.
Ce texte est nécessaire pour apporter des réponses à des tensions parfois graves et à des problèmes actuellement sans solution. Il est ambitieux, et l'objectif est de parvenir à une cohabitation harmonieuse de toutes les composantes de la société. Il repose sur un équilibre des droits et des devoirs de tous les acteurs concernés : collectivités locales, gens du voyage, Etat.
Il contient pour cela un ensemble cohérent de mesures qui, dans le respect des objectifs et des principes que j'ai énoncés, visent à répondre efficacement et à un horizon rapide aux difficultés que nous rencontrons.
Je ne méconnais ni ne sous-estime les divergences qui sont apparues entre la Haute Assemblée et le Gouvernement lors de l'examen du texte en première lecture, même si, je le crois, le diagnostic et les objectifs sont largement partagés.
Je souhaite donc que cette deuxième lecture permette d'approfondir le débat et d'enrichir le texte sans lui retirer sa cohérence, gage d'efficacité. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.) M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous l'avez indiqué, un certain nombre d'arguments ont été avancés au cours de la discussion, et permettez-moi de revenir sur votre intervention en posant un premier préambule qui traduit l'état d'esprit du Sénat.
Nous sommes, nous, sénateurs, convaincus que la navette entre les deux chambres a pour vocation d'enrichir un texte et non de nourrir des procès d'intention. Or je suis obligé de reconnaître que j'ai du mal à admettre le procès d'obstruction qui est intenté au Sénat dans le rapport de l'Assemblée nationale (M. Gournac approuve.), alors qu'en réalité nous nous interrogeons pour savoir pourquoi l'Assemblée nationale n'a pas saisi l'opportunité d'inscrire, dans sa fenêtre d'initiative parlementaire, la discussion de la proposition de loi adoptée par le Sénat sur les gens du voyage : cela aurait fait gagner du temps à tout le monde !
Quels sont, tout d'abord, nos points de convergence ? Vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, sur les objectifs, nous partageons votre analyse, le déséquilibre de l'offre de places crée des tensions, même si ce n'est pas la seule raison de ces tensions.
Mais je souhaite aussi montrer très clairement quelles sont nos divergences.
Nous contestons ainsi l'argument de la recentralisation utilisé pour repousser le schéma national...
M. Alain Gournac. Ah oui !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. ... car nous estimons qu'au nom du principe même de la subsidiarité les problèmes doivent être traités au niveau le plus efficace.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Face à des rassemblements nationaux prévisibles, l'Etat doit faire face à ses responsabilités.
Selon vous, ces rassemblements doivent être intégrés dans les schémas départementaux. C'est comme si vous proposiez à l'organisation du Tour de France de déléguer à des organisations départementales la gestion de la course étape par étape, sans tenir compte de la cohérence et de la globalité du parcours du Tour de France ! (M. Gournac rit.)
Mieux vaut, selon vous, une négociation avec un coordinateur national pour prévoir les mesures de sécurité et d'accompagnement.
M. Alain Gournac. C'est le bon sens !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. En la matière, la pratique doit guider notre réflexion.
Nous refusons aussi la nécessité de la contrainte qui justifie le pouvoir de substitution du préfet.
M. Alain Gournac. Vive la décentralisation !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. En réalité, la contrainte, c'est l'échec, que ce soit dans une famille ou dans les relations avec les collectivités locales. Est-ce, alors, l'échec de l'Etat ? Est-ce celui des collectivités locales ? Existe-t-il d'autres raisons à cet échec ?
En tout cas, nous refusons de nous laisser enfermer dans ce que nous voyons apparaître dans bien des textes, c'est-à-dire dans un schéma binaire où l'Etat serait paré de toutes les vertus de la défense de l'intérêt général et les collectivités de tous les péchés de la défense des intérêts catégoriels au nom de l'égoïsme communal.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Il s'agit là d'un vrai débat de société et d'articulation dans les relations entre l'Etat et les collectivités locales.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne croyons pas à la contrainte. Je sais d'ailleurs que vous n'y croyez pas vous-même, puisque, dans votre argumentation, vous avez déclaré que, la seule fois où vous l'avez introduite dans un projet de loi, en réalité, les signatures ont été obtenues sans contrainte.
M. Jean-Claude Peyronnet. L'harmonisation, cela existe !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je crois plus à la force de l'incitation qu'à la force de la contrainte : plutôt que de se réfugier dans cette facilité, mieux vaut réfléchir aux freins qui ont nourri l'échec et faire en sorte de les desserrer. La preuve en est que, lorsque vous avez estimé que l'intercommunalité urbaine fonctionnait mal, vous avez mis en place un certain nombre d'incitations, qui ont transformé l'échec en adhésion.
Je crois, moi, à la vertu de l'adhésion, et j'y suis d'autant plus sensible que, si l'Etat veut contraindre, il prend le risque de devoir assumer seul aujourd'hui la responsabilité des gens du voyage. En effet, de nombreux élus m'ont dit : « Que l'Etat se débrouille avec ce problème ! S'il veut vraiment nous contraindre, qu'il assume tout et tout seul ! » Je crois donc à l'incitation.
Vous avez accompli des efforts qu'il nous faut souligner en matière financière, avec une contribution importante sur l'investissement et une dotation que nous estimons insuffisante sur le fonctionnement, mais un premier pas a été fait et le partenariat signifie que l'Etat estime les élus capables de faire respecter l'intérêt général.
Si, aujourd'hui, nous rencontrons des problèmes, c'est parce que les élus doutent de l'Etat dans l'exécution des procédures d'évacuation, que la population ne croit pas en la vertu de l'Etat et qu'il nous faut transformer - c'est le pari de ce texte ! - ce climat de méfiance en climat de confiance. Il nous faut transformer les oppositions en adhésion !
Je crains tous les dérapages si le Gouvernement met de la tension en soupçonnant les élus locaux. Je crois, comme vous, à l'équilibre des droits et des devoirs. Je crois, comme vous, à l'équilibre du nombre de places par rapport aux besoins. Mais le respect de la loi passe non seulement par l'éducation, mais aussi par la garantie de la sanction.
Nous proposons donc de redonner son rôle à l'Etat pour les grands déplacements, car c'est un niveau qui nous paraît tout à fait adéquat. Mais nous refusons de donner la capacité au préfet de se substituer aux élus et nous croyons, en revanche, à l'incitation.
Comme vous, nous considérons que l'échelon départemental est le meilleur pour l'élaboration des schémas. Quant à la commission consultative, elle doit intégrer la totalité des parties.
Le schéma n'étant pas un document d'urbanisme, il n'est pas opportun d'indiquer qu'il est opposable et nous souhaitons donc des moyens de coercition pour le stationnement illicite. Nous partageons d'ailleurs votre analyse selon laquelle il convient de prévoir l'intervention préalable de l'autorité judiciaire et d'éviter la procédure qui a été prévue par l'Assemblée nationale, supprimant l'intervention du juge administratif pour les occupations illicites du domaine public.
Nous proposons un texte équilibré associant toutes les parties, garantissant les intérêts des uns et des autres, mais exigeant le respect du droit de propriété.
Nous proposons un texte qui renforce le nécessaire partenariat entre l'Etat et les collectivités territoriales et non leur mise sous tutelle, susceptible d'animer la révolte et de provoquer la montée des intolérances. L'acceptation de l'autre ne se fait pas par la contrainte, mais par une approche commune dans le respect de l'autre, de sa différence, mais aussi par le respect des règles. Sinon, c'est la loi du plus fort et le règne de la violence.
Ce texte est nourri d'une approche pragmatique tirée des leçons du terrain. Nous n'ignorons pas que certains élus voudraient déplacer le problème chez le voisin, mais nous n'ignorons pas non plus la lassitude des élus qui se sont engagés dans une politique généreuse et qui se voient aujourd'hui condamnés parce qu'ils se sentent isolés devant les dégradations constatées, ne pouvant faire appliquer la loi.
L'Etat veut les collectivités locales à ses côtés, et nous y sommes tout à fait favorables. Mais les collectivités locales veulent que l'Etat soit à leurs côtés, non pas contre les gens du voyage mais avec eux, afin que ceux-ci puissent concilier leur mode de vie avec nos règles républicaines, et non l'inverse.
Il nous faut accepter de vivre en commun sur notre territoire, mais cela ne vaut que si l'Etat, garant des libertés, emploie avec rigueur et détermination les moyens de faire respecter la loi, seule attitude lui permettant d'exiger des collectivités locales de remplir leurs devoirs.
Sur ce texte, ne soyons ni angéliques ni démoniaques ; soyons pragmatiques et confiants dans la volonté des élus d'accomplir leur devoir, si l'Etat les rassure et prend l'engagement de respecter son contrat.
Cette loi doit être une marque de confiance. C'est la raison pour laquelle elle ne peut pas être construite sur la méfiance, et c'est pourquoi nous aurons l'occasion, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous indiquer très clairement que, si nous soutenons un certain nombre de vos initiatives, nous n'approuvons pas, en revanche, les moyens que vous nous proposez. Faisons en sorte que ce problème des gens du voyage soit traité dans un esprit d'équilibre, de respect et d'exigence, en garantissant les libertés de chacun ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « association de l'ensemble des représentants des parties concernées », « dialogue », « concertation », « coordination ». D'un rapport à l'autre, ces maîtres mots de l'exercice moderne de la démocratie reviennent sous la plume et dans les propos de notre éminent collègue et rapporteur, M. Jean-Paul Delevoye.
Les vertus démocratiques que ces mots désignent, le Sénat les avaient prônées en première lecture.
Il les avait prônées pour une mise en oeuvre effective d'un dispositif sur le terrain pour répondre au problème délicat de l'accueil et de l'habitat des gens du voyage.
L'Assemblée nationale a cru bon de rétablir le texte tel qu'elle l'avait adopté en première lecture, maintenant ainsi un déséquilibre auquel nous avions voulu remédier par des améliorations de bon sens.
Nous n'avons pas été entendus.
Le rétablissement par l'Assemblée nationale de la faculté pour le représentant de l'Etat d'approuver seul le schéma départemental et de se substituer aux communes pour la réalisation des aires d'accueil apparaît, monsieur le secrétaire d'Etat, comme une suspicion à l'égard des collectivités locales.
Quel manque de confiance dans les vertus du dialogue et de la concertation !
Pourquoi ne plus faire confiance aux élus locaux, à ceux qui connaissent la réalité du terrain et sont confrontés aux difficultés au jour le jour ?
L'Etat aurait tout à gagner, en termes de crédibilité et d'efficacité, à instaurer un véritable partenariat avec les collectivités locales.
Dans un monde toujours plus compliqué, où un rien exacerbe les tensions, le dialogue est la seule méthode.
L'Assemblée nationale a adopté le point de vue du Gouvernement. Elle défend ainsi la mise en place d'un dispositif coercitif qui fait fi de la libre adhésion des collectivités à des solutions concertées et ignore la nécessité de leur donner les moyens de réprimer le stationnement illicite.
Personnellement, je m'étonne que l'Assemblée n'ait pas cru bon de définir, comme nous l'avions proposé, la notion de « résidence mobile ». C'est d'autant plus étonnant que l'absence d'une telle définition légale risque d'être source de contentieux lors de l'application de plusieurs dispositions du texte.
J'ai cependant constaté avec satisfaction que le Gouvernement avait pris en considération nos remarques, ce qui revenait à prendre acte du bon sens et du réalisme de notre Haute Assemblée.
Concernant le reste du texte, les principes de la décentralisation sont quelque peu perdus de vue, qui font des collectivités locales des acteurs pleinement responsables dans le cadre des compétences qui leur sont dévolues par la loi.
L'esprit de la décentralisation n'a jamais été le désengagement d'un Etat distribuant les responsabilités sans donner, en même temps, les moyens de les exercer.
Il n'est pas acceptable, je le répète, que le représentant de l'Etat puisse approuver seul le schéma départemental et se substituer également aux communes pour la réalisation des aires d'accueil.
C'est d'autant moins acceptable que le texte escamote de nouveau la nécessité d'un schéma national pour les grands rassemblements traditionnels, qui ne peuvent relever, tant par leur nature que par leurs conséquences, de la responsabilité des collectivités locales.
Les questions doivent être réglées à l'échelon le plus adéquat. Un schéma national intégrant des objectifs d'aménagement du territoire s'impose. Cela permettrait peut-être à l'Etat - c'est une suggestion ! - de faire des propositions pour que certains terrains militaires désaffectés, aujourd'hui mis en vente, puissent être réservés à l'accueil des gens du voyage. Ce faisant, l'Etat donnerait l'exemple !
Il est également du devoir de l'Etat - nombre de nos collègues, à la suite de notre rapporteur, avaient insisté sur ce point - d'apporter aux communes concernées une compensation effective des charges qui leur sont imposées, une compensation suffisante pour que le dispositif puisse être pérennisé.
Quand on parle du devoir de l'Etat, on ne pense pas seulement à son expression sur le plan financier, on pense également - par « on » il faut entendre l'ensemble des maires et des élus locaux - à son expression sur le plan des sanctions.
Chaque département a sa liste accablante de villes où fleurit un stationnement illicite préjudiciable aux riverains, aux entreprises, aux commerçants, où règnent le non-droit et l'impuissance.
Je ne peux m'empêcher de penser à mes collègues élus des Yvelines, de Coignières, de Maurepas, d'Elancourt, de Bazoches-sur-Guyonne, régulièrement aux prises avec les difficultés d'une surpopulation. Je pense à Carrières-sur-Seine, non loin du Pecq-sur-Seine, dont je suis maire ; je pense, bien sûr, au plateau de Verneuil-Vernouillet, bien connu des services de gendarmerie de notre département et où nous avons perdu un gendarme.
Pensant à ces élus, je ne peux que plaider, à la suite de notre rapporteur, en faveur du renforcement effectif des moyens d'action du maire.
On ne peut pas indéfiniment reconnaître des droits aux uns et imposer des devoirs aux autres, reconnaître des droits aux gens du voyage et imposer des devoirs aux élus. Droits et devoirs doivent être défendus et rappelés avec la même vigueur, exercés et remplis avec la même rigueur.
C'est la raison pour laquelle il est très important de permettre au maire de prendre un arrêté d'interdiction dès la réalisation d'une aire d'accueil.
On ne peut pas attendre l'accomplissement de l'ensemble des obligations prévues par le schéma départemental pour donner à un maire les moyens de mettre en oeuvre une procédure destinée à obtenir l'évacuation par la force.
Les efforts consentis par une commune doivent être immédiatement accompagnés de son indispensable contrepartie. La loi et les moyens de la faire respecter doivent aller de pair et ne peuvent être séparés dans le temps. Ce serait s'empêcher d'appeler par leur nom des pratiques abusives et, ainsi, les encourager.
En fait, c'est là le simple bon sens, et, qui plus est, un bon sens salutaire, c'est-à-dire animé par un souci aigu de l'ordre républicain, d'un ordre vérifiable sur le terrain.
D'où la nécessité, de prévoir une procédure de référé accélérée, dite d'heure à heure, si le cas requiert la célérité, de rétablir la compétence du juge administratif pour les occupations illicites du domaine public, de permettre la mise en oeuvre de la procédure judiciaire pour obtenir l'évacuation forcée des résidences mobiles de nature à porter atteinte à des activités économiques.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il est regrettable qu'il ne soit pas davantage fait confiance aux hommes, en l'occurrence aux maires, plus généralement aux élus locaux.
Les gens du voyage posent un problème difficile, dont personne n'a la solution. Mais, au Sénat, nous croyons fermement que celle-ci aurait plus de chances de voir le jour dans la concertation entre l'Etat et les collectivités territoriales.
C'est pourquoi, avec le groupe du Rassemblement pour la République, je souscris pleinement aux propositions de la commission des lois formulées par notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les sénateurs socialistes ont l'impression de rejouer une pièce, pas forcément mauvaise d'ailleurs, car nous avions, me semble-t-il, bien travaillé, mais tout de même de rejouer une pièce, tant les propositions de la commission des lois pour cette deuxième lecture sont semblables à celles qu'elle avait faites lors de la première lecture, les arguments étant nécessairement les mêmes.
En tout cas, la politique suivie est mauvaise : il n'est bon pour aucune des deux assemblées, même sur des textes qui ne mettent pas en cause l'avenir de la République, de s'enfermer dans des certitudes sans dialogue réel. Ce n'est bon ni pour le fonctionnement de nos institutions, qui est essentiel, ni pour notre image, ni pour le Sénat, qui a montré en d'autres temps, et même très souvent, toute l'importance de son apport au travail législatif.
La « bunkerisation » à laquelle nous assistons - surtout, monsieur le rapporteur, si, comme j'ai cru le comprendre, elle est quelque peu fondée sur une sorte de vanité d'auteur -...
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Pas du tout !
M. Jean-Claude Peyronnet. ... donne trop souvent le dernier mot non amendé à l'Assemblée nationale, y compris lorsqu'elle prend parfois - ce n'est pas forcément le cas sur ce texte - des positions excessives et offre ainsi des arguments faciles à ceux qui dénoncent l'inutilité de la Haute Assemblée.
Certes, les logiques sont différentes, mais est-il nécessaire de reprendre notre argumentation de février. Pour ma part, je me garderai bien de le faire, me contentant de rappeler quelques grands axes.
Quelle est la logique de cette loi, nécessaire après l'échec des dispositions de 1990 sur ce sujet et la non-concrétisation de la proposition de loi de 1997 ?
Il s'agit de réaliser un nombre de places de caravanes suffisant pour permettre un accueil décent des gens du voyage, de mettre en oeuvre ces places dans des endroits définis par le schéma départemental de façon rapide et quasi concomitante entre les communes afin de ne pas pénaliser, comme c'est le cas actuellement, celles qui se conforment à la loi, de donner aux maires, dès lors qu'ils auront satisfait aux obligations de la loi, des moyens qui, avec l'aide des services de l'Etat - nous avons tous insisté, monsieur le ministre, sur la nécessité, dans le long terme et pas seulement au début du processus, de cet apport de l'Etat - doivent leur permettre d'interdire le stationnement sur l'ensemble du territoire de leur commune.
Pour mettre en oeuvre cette action dynamique, l'Etat fait un effort financier sans précédent, en investissement comme en fonctionnement. Cet effort n'est peut-être pas suffisant pour que la loi s'applique dans de bonnes conditions, car il est vrai qu'il peut exister bien d'autres blocages que financiers. Il était toutefois une condition nécessaire au départ pour que le manque d'argent ne constitue ni un obstacle à l'action ni un prétexte pour ne pas agir.
Instruits par le passé, par les lacunes du passé, on introduit dans ce texte des contraintes. En effet, le préfet peut, si la négociation n'aboutit pas avec le président du conseil général, approuver seul le schéma départemental, et le vieux président de conseil général que je suis - dix-huit ans d'exercice ! - souscrit à cette disposition. Le préfet peut aussi se substituer aux communes pour réaliser les aires d'accueil retenues dans le schéma.
C'est vrai, M. le rapporteur l'a excellemment dit, mieux vaut privilégier la concertation que la contrainte. Mais il est vrai aussi que ce recours éventuel à la contrainte a finalement abouti - M. le secrétaire d'Etat l'a rappelé - à ce que, dans le dispositif de 1990, les schémas départementaux soient approuvés et réalisés dans la concertation. Celle-ci a lieu parce que le fait que le préfet puisse, à un moment donné, se substituer aux communes est dissuasif. La concertation se trouve ainsi facilitée.
La commission des lois, tout en demandant à l'Etat de se charger de l'élaboration et de la mise en oeuvre d'un schéma national d'accueil pour les grands rassemblements, crie à la recentralisation. Il faut savoir ce que l'on veut et ne pas s'enfermer dans les contradictions ! Je l'avais dit dès la première lecture et je le répète, on ne peut pas à la fois se plaindre de la situation actuelle, de l'inefficacité du dispositif de 1990 et refuser, au nom des grands principes, d'accorder les moyens qui créent les conditions de la réussite.
Nous restons donc favorables au texte gouvernemental et, pour l'essentiel, à la version qui nous revient de l'Assemblée nationale. Aussi, nous voterons contre le texte qui sera vraisemblablement adopté par le Sénat si ce dernier suit les propositions de la commission.
Le texte du Gouvernement nous apparaît pondéré, équilibré. Il apportera, si, comme c'est probable, l'Assemblée a le dernier mot - comme toujours, hélas ! - une réelle amélioration dans le domaine si délicat de la cohabitation des gens du voyage avec la population sédentaire. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet, que nous examinons pour la seconde fois, est ambitieux. Il vise à trouver des solutions efficaces à l'accueil des gens du voyage en réalisant un juste équilibre entre les droits et les devoirs de chacun : d'une part, le droit des voyageurs de bénéficier d'aires d'accueil répondant à leurs besoins, tant en termes d'implantation que d'aménagement, et le devoir des collectivités territoriales de réaliser ces espaces ; d'autre part, les contreparties attachées à ces obligations, avec, en premier lieu, les moyens nouveaux octroyés aux communes - moyens de nature financière ou encore augmentation de leurs pouvoirs de police - et, par conséquent, le devoir des gens du voyage de respecter le stationnement dans des lieux prévus à cet effet.
Cet équilibre nous semble si juste que nous ne comprenons pas l'archarnement de certains de nos collègues à refuser ce projet de loi.
S'il est vrai que la question de l'accueil des gens du voyage s'est cristallisée, que de nombreux maires ont des difficultés quotidiennes à la gérer, que les relations de voisinage sont souvent très tendues, il est certain que cette situtation est, avant tout, due au manque de places d'accueil.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres.
Depuis 1990, seulement 47 schémas départementaux ont été approuvés, dont 15 uniquement par le préfet : seules 450 communes, sur les 1 739 communes de plus de 5 000 habitants, ont une aire d'accueil.
Le nombre de places manquantes ou à réhabiliter est évaluée à 25 000. Ce déficit accentue encore un peu plus la tension, car les villes qui ont joué le jeu sont réputées accueillantes et voient ainsi le nombre d'arrivées de caravanes sensiblement augmenter, ce qui dissuade davantage encore les communes plus hostiles de créer des aires d'accueil.
Il est grand temps de rompre ce cercle vicieux. Le Gouvernement prend donc ici toutes ses responsabilités. Il est dans son rôle de défense de l'intérêt général, de promotion de la solidarité, même si, comme le prétend la majorité sénatoriale, ces dispositions s'imposent aux collectivités et qu'il aurait été plus louable que chacun assume ses responsabilités.
Malheureusement, le Gouvernement n'a pas pu faire autrement, notamment au regard du bilan d'application de l'article 28 de la loi de 1990.
Comme en matière de construction de logements sociaux, le désengagement et l'égoïsme de certains nous contraignent à adopter des mesures coercitives même si, je le reconnais, cela peut sembler dommageable.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous disiez, lors de la première lecture, que les dispositions permettant au préfet de se substituer à la collectivité territoriale avaient vocation à ne pas servir ou plutôt à servir le moins souvent possible.
Vous le voyez, chers collègues, nul n'a envie de jouer à la contrainte ou à la répression comme vous semblez le laisser entendre, mais uniquement de proposer des mesures opérantes et efficaces.
C'est le cas avec les schémas départementaux qui, pour fixer les objectifs de réalisation, devront évaluer les besoins au regard de l'offre. Si cela semble anodin, il suffit de dialoguer avec les gens du voyage et leurs associations pour se rendre compte que s'ajoute au manque de places une réelle inadéquation de leur mode de vie.
En effet, les gens du voyage ne sont pas une population homogène. L'évolution de la société n'a pas été sans répercussion sur le mode de vie itinérant. Une grande partie d'entre eux ont choisi de se sédentariser, notamment par manque d'emplois. Mais la sédentarisation ne signifie pas l'abandon de la caravane.
Il faut donc prévoir des terrains familiaux pour le passage et pour les grands rassemblements, répondant tous à des normes de confort, d'accessibilité et d'implantation respectant le groupe, l'individu, sa dignité.
Après les questions de stationnement, reste à traiter tout ce qui est le corollaire de l'accueil et que le projet de loi ne fait qu'effleurer. Je vise la scolarisation et la formation, l'implication des familles à un certain nombre de réalités, comme la promotion ou l'insertion, qu'elle soit individuelle ou familiale. Au-delà, je pense qu'outre les DDASS et les départements les caisses d'allocations familiales doivent jouer un rôle prépondérant dans le cadre de leur politique familiale. Certaines communes, à l'instar de Nîmes, par exemple, pour l'aire d'accueil de Canterperdrix, ont bénéficié d'aides au financement de la part de la caisse d'allocations familiales pour implanter, au sein du terrain, un centre social, où travaille notamment un conseiller en vie sociale, ce qui permet de mener des actions d'accompagnement en relation avec les familles.
Ces actions revêtent des caractères très différents. Il s'agit, dans la plupart des cas, de démarches relativement simples, mais qui constituent un lourd handicap, pour l'aide sociale, du fait du mode de vie des gens du voyage.
La solution pourrait consister à considérer les résidences mobiles comme de véritables logements, ouvrant ainsi droit à toutes les aides sociales qui y sont liées, y compris celles qui permettent l'accès à la propriété privée.
Se pose cependant un problème : en assimilant les résidences mobiles à des logements sociaux, n'ouvre-t-on pas la voie à des possibilités de proposition de relogement en caravane ? Dans ce cas, ne faudrait-il pas assortir ce classement d'une condition de libre choix des familles occupantes ?
Il me semble que cette solution constituerait une avancée pour les gens du voyage qui pourraient ainsi accéder aux aides au logement. En effet, ceux-ci peuvent, dans la plupart des cas, être considérés comme locataires, puisqu'ils payent leur emplacement et les charges y afférentes.
Pourquoi ne pas envisager, également, que les prêts à taux zéro soient ouverts pour l'achat d'un terrain ou d'une caravane ?
Concernant le RMI, la loi du 1er décembre 1988 a prévu que « les personnes sans domicile stable », y compris les gens du voyage, selon les interprétations du ministère de l'emploi et de la solidarité, doivent, pour bénéficier de l'allocation, élire domicile auprès d'une association agréée. Nous aimerions que cette même règle s'applique à l'ensemble des droits civiques.
S'agissant toujours du RMI, nous trouvons tout particulièrement choquant que soit systématiquement soustraite la part logement, au motif que les gens du voyage ont un type d'habitat différent. Il s'agit, là encore, de discriminations au quotidien.
Enfin, je voudrais m'arrêter quelques instants sur le sentiment, non moins réel, des gens du voyage d'être considérés comme des « sous-citoyens ».
La loi du 3 janvier 1969 est discriminatoire. Le carnet de circulation n'a plus lieu d'être.
La loi du 29 juillet 1998, relative à la lutte contre les exclusions, a permis aux personnes sans domicile fixe de se déclarer domiciliées dans un organisme d'accueil, une association. Les gens du voyage espèrent, légitimement, que ces dispositions puissent leur être applicables.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous rappeliez, lors de la première lecture, que la commission nationale consultative des gens du voyage était chargée d'aborder l'ensemble de ces questions. Le groupe communiste républicain et citoyen ne peut, dès lors, que réaffirmer sa volonté que les voyageurs bénéficient des mêmes droits et devoirs que nos concitoyens sédentaires !
M. Nicolas About. Les mêmes devoirs !
Mme Odette Terrade. Pour l'heure, nous soutenons le projet de loi issu des travaux de l'Assemblée nationale sur l'accueil des gens du voyage, qui n'est qu'un des aspects des différentes situations auxquelles ces concitoyens itinérants sont confrontés. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, je répondrai brièvement pour alléger d'autant la discussion des articles, en reprenant les arguments avancés par les différents intervenants.
Permettez-moi tout d'abord de remercier de leur soutien au texte Mme Terrade à l'instant et M. Peyronnet auparavant. Certes, le problème est plus large et les perspectives pourraient être plus ouvertes. Mais si nous parvenons à retisser des liens et à en finir avec cette césure, cette coupure qui s'est établie entre les sédentaires et les itinérants, nombre de problèmes pourront être abordés d'un oeil nouveau par la commission nationale consultative des gens du voyage, qui est bien le lieu où doit se poursuivre cette réflexion. Nous aurons, je l'espère, des possibilités d'enregistrer des avancées.
Je voudrais également remercier la commission des lois du Sénat, plus spécialement son rapporteur qui s'est investi dans ce dossier de longue date et dont les travaux, même s'ils n'ont pas abouti dans le cadre de la proposition de loi dont il a été l'auteur, ont nourri la préparation du présent projet de loi. En effet, tout un travail de recherche, de référence et d'évaluation a été repris, ce qui est, me semble-t-il, une façon de valoriser la réflexion menée par la Haute Assemblée, tout spécialement par M. Delevoye, que je tiens à remercier chaleureusement.
Monsieur le rapporteur, vous savez bien évidemment que ce n'est pas la vision du Gouvernement que de penser que l'Etat aurait toutes les qualités et les collectivités locales et leurs élus tous les défauts.
M. Nicolas About. Vous nous rassurez !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Ce gouvernement compte un certain nombre d'élus locaux, à commencer par votre serviteur. Je ne vois pas par quel masochisme ambiant le Gouvernement en viendrait à penser qu'il lui faut se méfier des élus. Le problème ne se pose pas en ces termes.
Il n'en reste pas moins qu'avec les 36 000 communes qui font sa richesse notre pays est très morcelé. Au lieu d'avoir le réflexe des pays à grand territoire où le problème est incontournable, chez nous, la diversité de nos 36 000 communes incite certains maires à compter sur leurs voisins pour régler les problèmes. C'est une attitude très humaine, qui ne justifierait pas que l'on voue les élus aux gémonies, mais qui ne nous autorise pas pour autant à ignorer par angélisme une réalité que nous vivons au quotidien.
Comme vous, monsieur le rapporteur, le Gouvernement croit bien sûr à la vertu de l'incitation et espère bien qu'elle l'emportera sur la contrainte. C'est la raison pour laquelle, dans le texte qui vous est proposé, l'article 4 dispose explicitement - c'est une disposition incitative - que le taux de 70 % pour les subventions est applicable pendant la période où les problèmes se résolvent dans le cadre du volontariat. Cela signifie, a contrario, que ceux qui feraient montre de mauvaise volonté et amèneraient l'Etat à se substituer à eux se placeraient hors du champ d'application de cette disposition de l'article 4, qui traduit bien cette volonté d'incitation au volontariat à laquelle est attaché le Gouvernement.
Il est vrai que, dépassant les clivages politiques traditionnels, la loi du 31 décembre 1990 - vous vous souvenez sans doute des conditions dans lesquelles elle a été votée - avait institué des plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées : il était prévu qu'au terme d'une année, si aucun accord n'était intervenu dans le département entre les préfets et les présidents de conseils généraux, au lieu de s'orienter vers une cosignature, les préfets pourraient signer seuls. Le vote de cette disposition n'avait pas donné lieu à un affrontement entre la gauche et la droite. Force est de constater que cette possibilité de publication unilatérale du plan n'a pas eu à jouer.
En fait, n'est-il pas fondamental - c'est une question que je pose à chacun d'entre vous, notamment à M. Gournac - que, grâce à la volonté nationale, c'est-à-dire au Parlement, qui exprime cette volonté nationale, l'Etat ait le dernier mot en cas de mauvaise volonté manifeste, afin que le volontariat aboutisse ? Cette possibilité de contrainte, dont personne ne souhaite se servir, n'aide-t-elle pas à l'aboutissement du contrat et du volontariat ?
L'expérience des plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées en a donné une illustration sur laquelle, je le pense, chacun peut méditer.
M. Nicolas About. Mais les communes s'administrent librement !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, vous avez interrogé le Conseil constitutionnel sur ce point : c'est après un recours du Sénat que le Conseil constitutionnel a établi sa jurisprudence.
M. Nicolas About. Eh oui !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Conseil constitutionnel vous a répondu, dans sa décision du 30 mai 1990, que les collectivités territoriales s'administrent librement - article 72 de la Constitution - dans le respect des lois de la République.
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Cela signifie que la décentralisation n'autorise pas les élus locaux à choisir à la carte les lois qu'ils entendent appliquer ! Fort heureusement, la décentralisation ce n'est pas cela et le Conseil constitutionnel vous l'a dit d'une manière extrêmement claire.
M. Nicolas About. Oui !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. La dignité de la fonction du parlementaire, que vous ressentez très profondément chacun d'entre vous, bien sûr, est de faire la loi. Cette dignité serait largement altérée s'il était possible de s'affranchir de son application : nous ne serions plus en République partout sur notre territoire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comprenez-nous : le seul souci du Gouvernement est que figurent dans la loi des dispositions...
M. Hilaire Flandre. Oui !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. ... qui lui donnent l'assurance que la loi peut être respectée partout. Je crois vraiment que, en fonction du clivage entre républicains et non républicains, nous devons pouvoir nous mettre d'accord sur ce point. Il s'agit d'un clivage, vous en conviendrez, beaucoup plus profond que les clivages partisans traditionnels !
Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, la lassitude des élus qui se sont engagés dans la recherche de solutions. Il est vrai que, depuis l'entrée en vigueur de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, certains ont fait des efforts, et c'est, me semble-t-il, de ceux-ci qu'il faut être prioritairement solidaires. Mais on ne peut pas prendre en compte leur lassitude et vouloir leur manifester de la solidarité en recréant un dispositif dont la mise en oeuvre serait toujours laissée à la bonne volonté des autres. Ceux qui ont fourni des efforts dans le passé seraient alors d'autant plus accablés par la lassitude que vous déplorez.
M. Gournac a plaidé pour que le dialogue soit la seule méthode utilisée. C'est également notre priorité, monsieur le sénateur, mais, dans ce domaine, force est bien de constater que, depuis dix ans, la loi permet de résoudre ces questions par le dialogue et le volontariat et que les résultats ne sont pas du tout à la hauteur des besoins. Le texte dont nous débattons, que je trouve extrêmement prudent, prévoit de donner un caractère obligatoire, à l'échéance de dix-huit mois, à l'élaboration des schémas départementaux, et, au terme de deux années, à la réalisation des aires d'accueil. Cela signifie que nous nous en remettons au volontariat pour une période de trois ans et demi, les obligations qui sont en perspective n'étant prévues qu'au terme de chacune de ces périodes.
M. Gournac a suggéré que, pour les grands rassemblements nationaux, on puisse mobiliser des terrains militaires. Je veux simplement lui indiquer que ce point est tout à fait à l'ordre du jour. A cet égard, le grand rassemblement annuel de Chamblay se déroule sur une ancienne base aérienne, et nous n'écartons pas l'idée que d'autres terrains puissent être utilisés.
M. Gournac a également parlé des Yvelines. Je suppose qu'il pensait aux quelques élus de ce département auxquels nous devons la réalisation de cent trente-huit places : cent trente-huit seulement pour tout le département !
A l'égard de ces élus les plus vertueux, les plus courageux, les plus solidaires, je suis en pensée avec vous. Mais, si la situation est difficile dans tel ou tel département, c'est que l'offre de places est sans rapport avec les besoins, puisqu'elle représente moins de 10 % de ce qu'il faudrait. Là est la grande difficulté.
M. Nicolas About. Nous en avons réalisé cent et elles ont été détruites !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. C'est la raison pour laquelle, monsieur le sénateur, ne voulant pas retomber dans cette difficulté, l'Etat met en place un système de financement du fonctionnement des aires,...
M. Nicolas About. Ce n'est pas cela, c'est la sécurité des aires qui est en cause ! Il faut les protéger.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. ... qui seront gardiennées, et donc durables.
M. Nicolas About. Gardiennées par qui ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Mais par du personnel rémunéré avec l'aide mise en place !
M. Nicolas About. Par l'Etat ?
M. le président. Je vous en prie, mon cher collègue, veuillez laisser conclure M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Il existe des associations spécialisées, des organismes volontaires ; ils se mobiliseront et les moyens de financement seront réunis.
Voilà, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je voulais apporter aux questions qui m'ont été posées.
Toutefois, à M. Gournac, qui a souhaité qu'une commune puisse disposer des moyens renforcés prévus dans le projet de loi dès lors qu'elle aura satisfait à ses obligations, sans attendre que toutes les communes du département visées par le schéma départemental aient elles-mêmes satisfait à leurs obligations, je répondrai que c'est précisément l'objet de l'article 9 du projet de loi. Dès qu'une commune a satisfait aux obligations que lui donnent le schéma départemental, elle pourra obtenir des moyens renforcés.
Mesdames, messsieurs les sénateurs, ce projet de loi vise donc bien, vous le constatez, à progresser sur la voie de l'efficacité avec l'objectif de faire prévaloir l'égalité de droit et de devoir à laquelle, comme le Gouvernement, vous êtes attachés.
M. Philippe de Gaulle. Pour les citoyens français !
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er