Séance du 1er mars 2000
ÉGAL ACCÈS DES FEMMES ET DES HOMMES
AUX MANDATS ÉLECTORAUX
Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence et d'un projet de loi organique
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion :
- du projet de loi n° 192 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des
hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Rapport n° 231
(1999-2000) et rapport d'information n° 215 (1999-2000) ;
- du projet de loi organique n° 193 (1999-2000), adopté par l'Assemblée
nationale, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux
mandats de membre des assemblées de province et du Congrès de la
Nouvelle-Calédonie, de l'Assemblée de la Polynésie française et de l'Assemblée
territoriale des îles Wallis et Futuna. Rapport n° 231 (1999-2000) de M. Guy
Cabanel, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale
et rapport d'information n° 215 (1999-2000).
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je veux répondre en quelques mots aux orateurs qui, hier, se sont
exprimés, avec le souci de ne pas trop allonger les débats ; les réponses à
beaucoup des questions posées trouveront mieux leur place lors de l'examen des
articles et des amendements.
Tout d'abord, je soulignerai la qualité du travail de votre commission.
Je souhaite aussi remercier les orateurs et les oratrices qui ont soutenu
notre démarche, chacun à sa manière, celle de M. Mélenchon n'étant pas tout à
fait celle de Mme Terrade, de Mme Derycke ou de Mme Pourtaud. Chacun a sa façon
de faire et d'argumenter.
Je constate, en revanche, que mes propos n'ont convaincu ni Mme Heinis, ni M.
Vasselle, ni M. Gélard. Mais leurs interventions motivées, clairement
exprimées, montrent bien l'enjeu de notre débat.
Vous attendez une réponse sur quelques points sur lesquels ont plus
particulièrement insisté votre rapporteur et un certain nombre
d'intervenants.
Le premier point est l'abaissement par l'Assemblée nationale, de 3 500 à 2 000
habitants, du seuil rendant applicables les nouvelles règles aux scrutins
municipaux.
Sur cette question, abordée par presque tous les orateurs, et plus
particulièrement par le président de la commission des lois et son rapporteur,
je pense qu'il faut faire preuve de bonne foi et raison garder même si - et je
l'ai reconnu lors de mon audition devant votre commission - cet abaissement
présente des inconvénients réels.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il n'est pas possible de soutenir de bonne
foi que le Premier ministre s'est engagé à ne toucher, même d'une manière
marginale, à aucun scrutin !
J'ai pris la peine de relire les débats auxquels a donné lieu la réforme
constitutionnelle. Qu'a déclaré le Premier ministre, le 28 juin 1999, devant le
Congrès ? Exactement ceci : « Cette révision n'est pas conçue comme un prétexte
à une modification des modes de scrutin, tout particulièrement législatifs. »
Ce faisant, le Premier ministre souhaitait apaiser, vous le savez, une
inquiétude, réelle ou feinte, concernant l'institution de la proportionnelle
aux élections législatives.
Plusieurs intervenants au Congrès, notamment Mme Heinis, avaient d'ailleurs
regretté que le Premier ministre n'ait pas pris un engagement solennel pour
d'autres scrutins, par exemple pour le Sénat, comme il venait de le faire en
faveur de l'Assemblée nationale.
Vous-même, monsieur Cabanel, après Mme Heinis, vous aviez dit : « Certes, la
déclaration de M. le Premier ministre a contribué à éclairer le débat sur le
mode d'élection à l'Assemblée nationale. Pour ma part, je souhaite qu'il soit
fait usage de la réforme avec objectivité et progressivité. » Vous visiez, sans
doute, les autres modes de scrutin...
Puis-je encore citer Mme Guigou, qui, le 16 février 1999, déclarait : « Je
veux redire devant vous ce que j'avais affirmé le 15 décembre dernier : pour
les élections au scrutin uninominal, il est évident, comme l'a rappelé le
Premier ministre, que cette révision constitutionnelle n'est, aux yeux du
Gouvernement, en aucune façon conçue comme un moyen ou comme un prétexte pour
modifier les modes de scrutin et, tout particulièrement, le mode de scrutin
législatif. »
Je vous fais grâce des autres déclarations que j'ai notées à la relecture des
trois débats dans chaque assemblée ; mais je ne pouvais laisser s'accréditer
l'idée que les engagements du Gouvernement n'étaient pas respectés - je tiens à
le dire clairement - surtout compte tenu des conséquences que vous semblez
devoir en tirer dans un autre débat, celui sur le cumul, que nous aborderons
demain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyons donc de bonne foi. Mais soyons aussi
raisonnables et mesurés, et sachons raison garder !
M. Gérard Cornu.
C'est ce qu'on vous demande !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
J'ai du mal à croire que l'abaissement du seuil
des communes concernées par la parité de 3 500 à 2 000 habitants soit le «
bouleversement du système institutionnel » que vous dénoncez.
(Exclamations
sur les travées du RPR.)
Non ! soyons sérieux !
De quoi s'agit-il ? De faire passer, sur les 36 565 communes, 1 900 d'entre
elles, représentant 5 millions d'habitants, soit 8,6 % de la population, d'un
scrutin de liste avec possibilité de candidatures individuelles à un scrutin de
liste bloquée.
Je ne méconnais pas les inconvénients de cette mesure.
M. Alain Gournac.
Et alors, qu'en concluez-vous ?
M. Hilaire Flandre.
Oui, il faut en peser les avantages et les inconvénients !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
J'essaie de canaliser cette discussion dans les
limites de l'urbanité et de la sagesse qui sont le propre de votre
assemblée.
Il n'y a pas de bouleversement institutionnel mais sans doute y a-t-il
quelques inconvénients, et je les avais moi-même soulignés à l'Assemblée
nationale.
Je tiens à dire que j'ai le même langage au Sénat et à l'Assemblée nationale.
Bien entendu, la composition de ces deux assemblées n'est pas la même, mais je
m'efforce d'y tenir un discours de raison et d'argumenter autant que possible,
étant fidèle à la conception républicaine, et donc cartésienne, de la
démocratie. Je ne m'adapte pas à mes auditoires, je dis ce que je crois être
juste, ce que je crois être conforme à l'intérêt public !
Il est vrai que l'abaissement de ce seuil à 2 000 habitants présente certains
inconvénients : alourdissement des conditions d'organisation du scrutin ;
suppression du panachage et d'une certaine liberté de candidature... J'ai
proposé à votre commission des lois de remonter le seuil à 2 500 habitants.
L'extension des règles de parité ne concernerait donc plus, si vous me suiviez,
que 1 042 communes, représentant 5,3 % de la population. Cela aurait le mérite
de simplifier le code électoral puisque, vous le savez, ce seuil de 2 500
habitants existe déjà : c'est à partir de 2 500 habitants qu'il y a une
commission électorale, présidée par un magistrat - et on a beaucoup de peine à
en trouver. Cette proposition me paraît « tenir la route ».
Je laisse naturellement le débat se poursuivre avec l'Assemblée nationale, en
commission mixte paritaire puis, à défaut d'accord, lors des ultimes navettes.
Vous trouverez le bon équilibre. Au moins, je vous aurai donné mon point de
vue.
Mais 2 000 ? 2 500 ? 3 500 ? Je veux bien qu'il y ait débat. Encore une fois,
ce n'est pas là une affaire d'Etat !
Concernant l'application outre-mer, question abordée par M. Flosse et, avec
talent, par M. Loueckhote
(Ah ! sur les travées du RPR),
je rappelle que
le Gouvernement avait prévu des dispositions transitoires pour Mayotte,
lesquelles ont été supprimées à la demande même du député de Mayotte - je le
souligne au cas où vous ne l'auriez pas remarqué. La commission des lois du
Sénat, je l'observe, n'a pas demandé le rétablissement de mesures transitoires
pour Mayotte.
A vrai dire, il n'y a aucune légitimité à ce que les femmes de certains
territoires de la République soient exclues du bénéfice de la stricte parité,
bien que j'aie entendu M. Loueckhote évoquer ce qu'il appelle la coutume en
Nouvelle-Calédonie. Je pense qu'il a une conception quelque peu restrictive de
la coutume.
(Oh ! sur les mêmes travées.)
M. Simon Loueckhote.
Elle est prise en compte dans la Constitution française !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Oui, mais les exemples que vous avez donnés d'un
certain nombre de dames qui acceptent d'être candidates à la condition de ne
pas être photographiées ou de ne pas participer à des réunions publiques me
paraissent quand même à la limite de la conception de la coutume qui est
maintenant retenue - vous l'avez indiqué, monsieur Loueckhote - dans la loi, et
dans la Constitution qui autorise la loi.
Je vous fais observer que, d'après le voeu émis par le comité économique et
social de la Nouvelle-Calédonie le 6 août 1998, les femmes souhaitent que leurs
droits soient complétés et développés.
Elles aspirent à la reconnaissance de leurs droits sociaux ; elles souhaitent
s'impliquer davantage dans la vie publique et le fonctionnement des
institutions, exercer tous les métiers et participer activement aux destinées
du territoire.
Vous leur avez d'ailleurs rendu hommage, monsieur le sénateur, et je pense que
votre hommage va jusque-là.
Dans les sociétés du Pacifique, les femmes jouent un rôle essentiel dans de
multiples activités économiques et associatives, dans des domaines aussi
importants que l'éducation, l'artisanat, le tourisme, la santé, la lutte contre
l'alcoolisme et contre les violences sexuelles.
Elles jouent un rôle structurant dans l'organisation de ces sociétés par un
pouvoir économique et un rôle décisionnel accrus au sein de la famille.
Pourquoi ne pas reconnaître ce rôle en leur offrant la possibilité de
participer directement à la vie politique ? Il y a là un seuil à franchir.
J'en viens, enfin, aux risques d'inconstitutionnalité, évoqués plus
particulièrement par le président de la commission des lois, M. Jacques
Larché.
Il résulte clairement de l'article 3 de la Constitution que la loi «
favorise... », et le législateur est donc fondé à prendre un certain nombre de
mesures. Mais, pour favoriser, il faut aussi pouvoir prendre parfois des
mesures contraignantes. La loi est par essence normative, c'est-à-dire peu ou
prou coercitive, on ne peut pas jouer sur les mots.
C'est d'ailleurs en vertu de cette essence normative de la loi que je serai
conduit tout à l'heure à m'opposer à certains amendements aux intentions
louables, mais purement déclaratifs.
En l'occurrence, vous le savez, le but de la réforme constitutionnelle était
bien de permettre au législateur de prendre de telles dispositions
contraignantes, et ni la liberté des partis ni celle des citoyens ne paraissent
limitées au-delà de ce qui est nécessaire pour répondre à l'objectif de parité
désormais constitutionnel.
Il faut savoir allier la fermeté dans les principes et la souplesse dans
l'application. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à la tribune de
l'Assemblée nationale et hier, à la tribune du Sénat, la parité constitue le
développement du principe d'égalité. La parité est une avancée de la
République. La démocratie républicaine est d'essence politique, elle n'est pas
d'essence zoologique !
(Sourires.)
C'est la raison pour laquelle il faut
aborder cette grande question avec le pragmatisme souhaitable. C'est tout ce
que j'ai voulu dire.
Voilà mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques précisions que je
voulais vous apporter avant que nous abordions l'examen des articles et des
amendements.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées
du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
groupe du RDSE.)
M. le président.
Je rappelle que la discussion générale commune a été close hier.
Nous passons à la discussion des articles du projet de loi tendant à favoriser
l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions
électives.
Articles additionnels avant l'article 1er A