Séance du 10 février 2000
M. le président. « Art. 16. - Les sommes dues en exécution d'un marché public sont mandatées dans un délai maximal fixé par décret en Conseil d'Etat à compter de la date à laquelle sont remplies les conditions administratives ou techniques déterminées par le marché auxquelles sont subordonnés les mandatements.
« A défaut de date certaine, ressortant du dossier de mandatement et permettant de déterminer le point de départ du délai de mandatement, celui-ci, sous réserve des conditions énoncées au premier alinéa, est la date de la facture augmentée de deux jours.
« Lorsque le mode de règlement proposé par le candidat est une lettre de change relevé, la personne publique est tenue de l'accepter. »
Sur cet article, je suis saisi de trois amendements, présentés par M. Paul Girod, au nom de la commission des lois.
L'amendement n° 10 tend :
I. - Dans le premier alinéa de cet article, à remplacer les mots : « sont mandatées » par les mots : « sont payées ».
II. - En conséquence, de compléter le même alinéa par les mots : « et le paiement. »
L'amendement n° 12 vise à insérer, après le premier alinéa de l'article 16, deux alinéas ainsi rédigés :
« Le défaut de paiement dans le délai prévu à l'alinéa précédent fait courir de plein droit et sans autre formalité, au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant, des intérêts moratoires à compter du jour suivant l'expiration dudit délai.
« Les intérêts moratoires dus au titre des marchés des collectivités territoriales sont à la charge de l'Etat lorsque le retard est imputable au comptable. »
L'amendement n° 11 a pour objet, dans le deuxième alinéa de l'article 16, de remplacer les mots : « du délai de mandatement » par les mots : « du délai de paiement ».
La parole est à M. Paul Girod, rapporteur pour avis, pour défendre ces trois amendements.
M. Paul Girod, rapporteur pour avis. Ces trois amendements tendent à substituer, pour le démarrage des intérêts moratoires, la notion de paiement à celle de mandatement. Ce qui intéresse les entreprises, spécialement les petites, c'est le moment où les deniers entrent dans leurs caisses, et non le moment où une formalité administrative s'est déroulée quelque part, entre l'ordonnateur et le comptable.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois, d'ailleurs semble-t-il, là encore, en avance tant sur le Gouvernement que sur la Commission de Bruxelles, qui se prépare à élaborer une directive allant tout à fait dans ce sens, propose au Sénat d'envoyer au Gouvernement, sur la base de l'Arlésienne n° 2, un signe fort en lui indiquant ce que nous souhaitons, à savoir que les entreprises soient payées le plus exactement possible et que, à défaut de paiement réel à tel moment, on ne puisse pas s'abriter derrière des arguties variées pour expliquer que c'est la faute de l'un ou de l'autre. Le paiement, rien que le paiement et tout le paiement, si c'est possible !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 10, 12 et 11 ?
M. Francis Grignon, rapporteur. La commission émet bien sûr un avis favorable.
Je voudrais simplement préciser que l'article 16 prévoit d'étendre aux collectivités territoriales le régime des lettres de change relevé, qui existe pour l'Etat. Ce serait un excellent outil puisque la lettre de change relevé est l'équivalent de la traite dans l'économie privée ; elle impose des délais et des paiements d'indemnités de retard automatiques.
Il est donc important que les collectivités territoriales et les PME sachent que cet outil existe.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. J'ai expliqué longuement tout à l'heure que, après la directive européenne, nous élaborerons un texte. Je reste persuadé qu'il nous faut attendre la directive européenne, quitte à aller au-delà de ce qu'elle demandera.
En tout état de cause, la directive fait état de délai de paiement et jamais de mandatement. Dans l'argumentaire développé par M. Christian Pierret, c'est bien le paiement qui est pris en compte.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements, et ce pour des raisons d'opportunité par rapport à la directive.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 10.
M. Jacques Bellanger. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bellanger. M. Jacques Bellanger. Je tiens à rappeler que nous avons voté contre les quatre amendements précédents, dont les dispositions nous semblaient soit dangereuses, soit inefficaces.
S'agissant de l'amendement n° 10, nous sommes beaucoup plus perplexes, y compris sur les lettres de change.
Nous sommes quand même dans un sytème très simple : il y a l'ordonnateur et le payeur. Avec une lettre de change, il va falloir payer. Or, comment va faire le payeur s'il n'a pas les documents lui permettant de payer ? Il engagera sa propre responsabilité, car il est responsable sur ses propres deniers.
A cet égard, nous avons eu, ce matin, une discussion en commission des affaires économiques et du Plan. Naturellement, tout le monde est bien d'accord pour reconnaître qu'il est dramatique pour une entreprise, notamment une petite entreprise, de ne pas pouvoir être payée en temps utile. Dans le meilleur des cas, elle contractera des emprunts en banque et paiera des intérêts ; dans le pire des cas, elle déposera le bilan.
Aussi faut-il remédier à cette situation. Mais, dans le même temps, nous constatons que, dans la plupart des cas, c'est non pas le payeur qui est en cause, ou rarement, mais plutôt l'ordonnateur, qui n'arrive pas à fournir un certain nombre de pièces.
Vous le savez, toutes les mairies ne sont pas de grandes mairies, dotées de services compétents. Or, la législation, notamment sur les travaux, n'est pas si simple que cela.
Quand on le veut, quand on connaît bien la législation et quand on dispose de bons services, il est relativement aisé de faire payer dans les délais voulus, à condition d'avoir la trésorerie. Je suis très bien placé pour en parler, car je l'ai fait !
Mais l'amendement n° 10 va aboutir à d'innombrables contentieux pour savoir qui a empêché de payer. Le trésorier va dire que la commune ne lui a pas fourni les documents, et la commune prétendra le contraire. Je ne vois donc pas du tout comment le problème pourra être résolu. Par conséquent, si nous sommes tous d'accord pour dire que, sur le fond, il faut faire quelque chose, sur la forme, je suis beaucoup plus réservé.
J'ajouterai un autre argument relatif à la tenue d'un budget par une commune. Une commune ne va bien sûr pas engager des dépenses si elle n'a pas reçu les subventions, monsieur le rapporteur. Mais il arrive parfois que, contrairement à la promesse de subvention qui lui avait été faite, la collectivité locale ne voie rien venir. Or, elle est en droit d'engager les dépenses, et elle est aussi en droit de ne pas avoir de trésorerie, si l'engagement oral qu'on lui a donné n'est pas tenu. Les responsables des collectivités locales sont donc confrontés à certaines difficultés.
Tel est l'ensemble des raisons pour lesquelles nous sommes plutôt hostiles non seulement à l'article 16, mais aussi aux amendements n°s 10, 12 et 11.
M. Paul Girod, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Paul Girod, rapporteur pour avis.
M. Paul Girod, rapporteur pour avis. Nous retrouvons ici une discussion que nous avons eue ce matin en commission des affaires économiques.
J'entends bien toutes les difficultés que vous exposez, monsieur Bellanger, mais je tiens à préciser un certain nombre de points.
D'abord, en ce qui concerne la trésorerie de la collectivité, il ne peut y avoir, sauf cas très exceptionnel, versement de subvention sans qu'il y ait eu préalablement paiement par la collectivité. Par conséquent, il appartient à cette dernière de prévoir son plan de trésorerie, quitte à ce que le comptable attire éventuellement son attention, quand elle lance ses marchés, sur le fait qu'à un moment ou à un autre il risque d'y avoir rupture.
Au demeurant, permettez-moi de vous signaler que je connais peu de cas où une banque n'accorde pas une ligne de trésorerie quand il y a un arrêté en bonne et due forme prévoyant une subvention de l'Etat ou d'une collectivité. Certes, j'ai connu un cas - je préfère taire le nom de la collectivité visée - où les imprudences successives du responsable majeur de cette collectivité l'avaient effectivement mise dans une situation telleque les lignes de trésorerie étaient systématiquement refusées parce que trop, c'est trop. Mais ce cas est unique !
Cela dit, il peut y avoir des problèmes entre le comptable et l'ordonnateur, c'est vrai. Mais vous me permetterez de dire que je préfère un contentieux entre le comptable et l'ordonnateur au dépôt de bilan d'une entreprise. Une fois que l'entreprise aura perçu son argent, que le comptable et l'ordonnateur se renvoient la balle sur les intérêts moratoires, c'est un autre problème, mais il doit rester interne à la sphère publique et il faut éviter que les entreprises privées se retrouvent en dépôt de bilan et disparaissent du jour au lendemain.
Quoi qu'il en soit, cette proposition de loi sur les marchés publics vise non les grands groupes - Bouygues peut supporter, à la limite, un léger retard de paiement -, mais la petite entreprise locale qui doit pouvoir, sans état d'âme et sans terreur anticipée, se présenter dans le circuit des marchés publics des collectivités territoriales.
Vu sous cet angle, dans l'intérêt des entreprises, nous devons aider la commission des affaires économiques dans sa démarche, ainsi que la commission des lois.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 16, modifié.
(L'article 16 est adopté.)
Chapitre V
Incidences sur les recettes de l'Etat et compensation
Article 17