Séance du 2 février 2000
GENS DU VOYAGE
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi n° 460 (1998-1999),
adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accueil et à l'habitat des gens
du voyage. [Rapport n° 188 (1999-2000) et avis n° 194 (1999-2000).]
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui est
aujourd'hui soumis au Sénat, après son adoption par l'Assemblée nationale le 24
juin dernier, tend à apporter des réponses efficaces et équilibrées à des
problèmes auxquels les élus locaux sont souvent confrontés.
Les tensions liées à l'accueil des gens du voyage, qu'ils soient itinérants
toute l'année ou quelques mois par an, sont en effet nombreuses et parfois
vives.
La presse et le courrier que des élus, mais aussi des gens du voyage
m'adressent témoignent de ces tensions.
L'Association des maires de France - je parle sous le contrôle de son
président - à l'occasion de son avant-dernier congrès, en novembre 1998, avait
consacré à cette question un débat auquel j'avais été invité à participer.
Cette réunion avait témoigné du vif intérêt des maires, des élus, tant par le
nombre des participants que par la richesse et la diversité des
interventions.
Cette situation donne tout son sens à la volonté du Gouvernement de permettre
une cohabitation harmonieuse de toutes les composantes de la population. Il
nous faut pour cela permettre aux personnes itinérantes d'être accueillies par
les communes dans des conditions dignes.
L'article 28 de la loi du 31 mai 1990, issu, je le rappelle, d'un amendement
parlementaire, constitue le cadre législatif actuel. Il institue un schéma
départemental d'accueil des gens du voyage ; il crée l'obligation pour toutes
les communes de plus de 5 000 habitants d'aménager une aire d'accueil ; il
permet au maire d'une commune ayant aménagé une aire d'interdire par arrêté le
stationnement des gens du voyage sur le reste du territoire communal.
Cet article a permis des avancées, en particulier l'adoption d'un certain
nombre de schémas départementaux et la réalisation de quelques milliers de
places dans des aires d'accueil.
Ces avancées ne doivent pourtant pas dissimuler les importantes limites de la
mise en oeuvre de ce cadre législatif : un tiers seulement des départements ont
un schéma approuvé par le préfet et le président du conseil général, et un
quart seulement des 1 800 communes de plus de 5 000 habitants ont une aire. Ce
point est évidemment particulièrement préoccupant. Les communes qui ne
remplissent pas leurs obligations légales « se défaussent » sur les autres, si
je puis dire.
M. Nicolas About.
Et l'Etat se défausse sur les communes !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Cela va être corrigé, monsieur le sénateur, vous le
savez.
M. Nicolas About.
J'en doute !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Alors qu'il faudrait environ 30 000 places de
caravanes, seules 10 000 existent - c'est là le vrai problème - dont à peine un
peu plus de 5 000 correspondent aux normes. Il manque donc 25 000 places pour
répondre aux besoins.
Le projet qui vous est soumis tient compte de ces enseignements. Il tient
aussi compte des réflexions qui ont été menées sur ce sujet, notamment de
celles qui ont débouché sur la proposition de loi que votre assemblée a adoptée
au mois de novembre 1997. Manifestement, on ne peut en rester au
statu quo :
il faut un nouveau cadre législatif.
Le projet de loi repose sur un équilibre des droits et des devoirs de chacun
des acteurs concernés : les collectivités locales, qui « participent à
l'accueil des gens du voyage », selon les termes de l'article 1er, les gens du
voyage, qui doivent respecter les règles collectives, et l'Etat, qui est garant
de cet équilibre et qui doit exprimer la solidarité nationale.
Ce projet de loi privilégie d'abord et avant tout le partenariat et les
incitations, financières notamment. Il organise l'action de toutes les communes
dans des délais précis - adoption du schéma puis aménagement des aires - afin
qu'aucune commune n'attende que d'autres agissent à sa place.
La concertation, le partenariat et l'incitation sont de loin préférables à la
contrainte, nous le savons tous. Mais l'Etat doit pouvoir jouer son rôle de
garant, et il disposera des moyens juridiques de le faire.
Quels sont les grands axes du projet de loi ?
Le schéma départemental sera le pivot de l'analyse partagée des besoins
d'accueil des gens du voyage et des réponses à apporter. Une bonne
concertation, en particulier au sein de la commission consultative
départementale qu'il est proposé de créer, permettra d'apporter des réponses
adaptées et cohérentes au sein d'un territoire. Le schéma prévoira les communes
où les aires doivent être réalisées, ainsi que leur destination, leur capacité
et les interventions sociales nécessaires. Il prévoira des terrains
sommairement aménagés pour accueillir les grands ensembles de caravanes - cent,
voire deux cents caravanes - qui sont désormais nombreux à circuler en
France.
M. Nicolas About.
C'est de la folie !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Le schéma départemental prévoira aussi les
emplacements à mobiliser temporairement pour les quelques grands rassemblements
nationaux, traditionnels ou non ; certains peuvent, en effet, concerner
actuellement plusieurs dizaines de milliers de gens du voyage. Il définira
également les conditions dans lesquelles l'Etat intervient pour assurer le bon
déroulement de ces rassemblements.
M. Nicolas About.
Ce seront des zones de non-droit !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Le préfet et le président du conseil général
disposeront d'un délai de dix-huit mois maximum après la publication de la loi
pour approuver le schéma. Faute de cette approbation conjointe, le préfet
pourra adopter seul le schéma.
Par ailleurs, le projet de loi favorise les réponses intercommunales pour la
réalisation et la gestion des aires. A cet égard, l'accord entre communes pour
répondre aux besoins est, à mes yeux, la meilleure solution.
Cependant, le projet de loi maintient l'obligation spécifique créée par
l'article 28 de la loi de 1990, à savoir l'obligation qui est faite à toutes
les communes de plus de 5 000 habitants d'aménager et de gérer une ou des
aires, ou de contribuer financièrement à cet aménagement et à cette gestion.
Les communes devront aménager les aires d'accueil dans un délai de deux ans
après l'adoption du schéma. A défaut, l'Etat devrait réaliser et gérer ces
aires, et ce ne pourrait être qu'aux frais des communes défaillantes.
Pour aider les communes, l'Etat assume désormais ses responsabilités sur le
plan financier.
M. Nicolas About.
Ce n'est pas le problème !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Non exclusives d'autres aides, les subventions de
l'Etat aux communes pour l'investissement doubleront pendant la durée de mise
en oeuvre du schéma : 70 % des dépenses dans la limite d'un plafond, contre 35
% auparavant. Cela se traduira pour l'Etat par un effort financier estimé à
1,75 milliard de francs en quatre ans.
M. Nicolas About.
Ce n'est pas le problème de fond !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
En outre, une aide à la gestion des aires sera créée ;
c'est une avancée significative. Cette aide représentera environ la moitié du
coût annuel estimé de la gestion d'une place, soit, à terme, environ 300
millions de francs par an. Elle sera complétée par une aide à la gestion versée
par le département, laquelle sera cependant plafonnée au quart des dépenses, et
par un droit d'usage payé par les gens du voyage qui utiliseront l'aire.
(Rires et exclamations sur les travées du RPR.)
M. Gérard César.
C'est du rêve !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Quant au calcul de la DGF, il tiendra compte du nombre
de places de caravanes sur la ou les aires de la commune.
Enfin, des moyens nouveaux pour faire face aux stationnements illicites seront
donnés aux maires des communes qui auront rempli leurs obligations de création
et de gestion d'une ou plusieurs aires, et à ces maires seulement. Ce point est
décisif, vous le savez. Les élus concernés ont besoin de moyens juridiques plus
efficaces.
M. Alain Gournac.
Oh oui !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement en convient tout à fait, dès lors
qu'ils ont contribué à apporter des réponses adaptées à l'accueil des gens du
voyage.
Un maire dont la commune s'est dotée d'une aire peut déjà interdire par arrêté
le stationnement des caravanes sur le reste du territoire de la commune.
M. Nicolas About.
Exact !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Cette possibilité, qui n'est pas liée à la taille
d'une commune, sera élargie aux maires des communes participant à des solutions
intercommunales.
Lorsqu'un stationnement contreviendra à cet arrêté du maire, notamment sur un
terrain privé, le maire pourra s'adresser au tribunal pour obtenir de la
justice l'évacuation forcée de la ou des caravanes, bien évidemment dans le
respect constitutionnel des libertés individuelles.
M. Nicolas About.
Mais pas tous les trois jours !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Il faut souligner que le juge sera doté de pouvoirs
renforcés : sa décision sera rendue en la forme des référés et elle poura être
exécutoire au seul vu de la minute, afin de raccourcir les délais.
M. Patrick Lassourd.
Si le préfet le veut bien !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Le juge pourra assortir son ordonnance d'évacuation
d'une injonction de rejoindre l'aire d'accueil à défaut de quitter le
territoire communal.
Si une ou des caravanes se déplacent alors de quelques centaines de mètres sur
le territoire de la commune, le maire n'aura pas à recommencer l'ensemble de la
procédure d'expulsion : c'est une forte innovation.
M. Nicolas About.
Il fera quoi ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Je prendrai le temps de parvenir à vous convaincre,
monsieur le sénateur !
Ce projet de loi, vous l'avez compris, est centré sur l'accueil des
itinérants, pour lequel - chacun en convient - il faut un dispositif législatif
nouveau.
Le Gouvernement connaît aussi les difficultés rencontrées par les gens du
voyage en voie de sédentarisation. Il va de soi que, par « sédentarisation »,
j'entends une sédentarisation qui corresponde à leur demande : ni le
Gouvernement ni les collectivités locales n'ont à décider à leur place qu'ils
devraient se sédentariser.
Lorsqu'ils se sédentarisent, ils deviennent pleinement des habitants des
communes dans lesquelles ils vivent.
M. Alain Gournac.
Sans permis de construire !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Les réponses à leurs besoins doivent donc être
apportées par des politiques locales de l'habitat, en utilisant pour
l'essentiel des outils de droit commun qui existent, tout particulièrement le
prêt locatif aidé d'intégration.
Il a cependant semblé utile de créer un outil nouveau, et spécifique celui-ci,
pour favoriser la sédentarisation. Il s'agit du projet de création de «
terrains familiaux » sur lesquels pourront stationner, durablement et dans le
respect des règles de l'urbanisme, les caravanes des gens du voyage qui
entendent se sédentariser.
Concertation et schéma départemental, aménagement d'aires d'accueil par les
communes dans des délais identiques pour toutes, accompagnement financier
significatif de l'Etat, renforcement sensible des moyens juridiques pour faire
face aux stationnements illicites...
M. Nicolas About.
Manquent les moyens pour expulser !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
... Le projet de loi se donne les moyens de son
ambition de cohabitation harmonieuse des diverses composantes de la population,
avec un équilibre, auquel il faut veiller, des droits et devoirs de chacun.
Ce projet de loi, qui s'inscrit dans la lignée des réflexions qui ont déjà été
menées, notamment par le Sénat, tout en les complétant, en particulier par
l'engagement financier de l'Etat, répond aux nécessités de la situation.
Dans le débat que nous allons avoir, le Gouvernement sera attentif aux
contributions qui conforteront la logique du texte qui vous est proposé pour
permettre de mieux répondre aux difficultés rencontrées et aux attentes de tous
les intéressés.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen. - M. Hoeffel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Sur ce
sujet ô combien délicat, nous tenons, monsieur le secrétaire d'Etat, à exprimer
un regret, relever des points positifs et présenter des propositions pour
tenter d'apporter une réponse à un problème que les élus vivent dans la
douleur, la population dans l'incompréhension et les gens du voyage dans
l'interrogation.
Le regret, c'est d'avoir peut-être perdu deux ans !
M. Philippe François.
Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Le 6 novembre 1997, le Sénat avait en effet adopté une
proposition de loi qui tentait d'apporter une réponse en matière d'accueil des
gens du voyage. Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui reprend
d'ailleurs en grande partie son architecture.
M. Jean-Claude Carle.
Pas totalement !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Il nous faut agir en fixant très clairement les principes
auxquels chacun des acteurs est attaché.
Il s'agit, tout d'abord, du respect des traditions et de la liberté de choix
des nomades, dans le respect des lois républicaines.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Il s'agit aussi de la responsabilité des collectivités
locales : elles doivent offrir des conditions d'accueil, mais en ayant
l'assurance d'être protégées de toute intrusion sur le reste de leur
territoire.
Par ailleurs, l'Etat doit prendre ses responsabilités pour garantir le respect
de la loi et mobiliser tous les acteurs pour restaurer le « vivre ensemble
».
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce projet de loi ne peut pas être un effet
d'annonce car, aujourd'hui, beaucoup d'acteurs vivent dans la méfiance et la
suspicion,...
M. Alain Gournac.
Oui !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
... chacun cherchant soit à renvoyer le problème au voisin,
soit à l'ignorer, soit à le régler par des rapports de forces.
Les gens du voyage pensent que les contraintes qui vont leur être imposées
sont incompatibles avec leur mode de vie.
M. Nicolas About.
Tout à fait !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Mais le fait d'être sur un territoire national impose un
minimum de respect de la loi républicaine.
Les élus locaux, eux, pensent que les efforts qu'ils fourniront pour aménager
et entretenir des aires d'accueil seront vains, car ces aires seront détruites,
et ils seront seuls, ensuite, pour résoudre les problèmes posés.
M. Nicolas About.
C'est le cas aujourd'hui !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Quant à la population, elle ne comprend pas que des personnes
qui bravent impunément la loi fiscale, la loi pénale, puissent bénéficier d'une
liberté de circulation.
M. Dominique Braye.
Deux poids, deux mesures !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Cependant, s'il n'existe pas d'aires d'accueil, les nomades
ne peuvent organiser leur stationnement que dans un rapport de forces ; c'est
le vrai problème. Vous indiquiez que l'un des éléments de déséquilibre est le
manque de place.
Par ailleurs, sans l'assurance de disposer de moyens d'ordre juridique, le
maire cherche à mobiliser les forces publiques pour tenter de déplacer le
problème, sans le régler ; on le retrouve donc chez le voisin. La population
préfère aussi voir s'éloigner le problème plutôt que d'y être confrontée.
Pourtant, comme je l'indiquais en commission des lois, il m'est impossible
d'affirmer qu'il n'y aura plus de gens du voyage sur le territoire national et
donc de garantir aux maires que des gens du voyage ne s'installeront pas sur
leur territoire.
L'ensemble des acteurs s'interrogent - nous aurons l'occasion d'en reparler,
monsieur le secrétaire d'Etat - sur la capacité qu'a l'Etat de faire respecter
la loi.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
Aujourd'hui, ne rien faire, ne rien proposer créerait effectivement un climat
de tension, de violence, sur fond de délinquance, de destruction,
d'insalubrité, car cela ferait naître chez les nomades un sentiment de rejet
occasionnant une blessure d'autant plus injuste qu'ils ont été nombreux à
servir notre pays, et, parmi la population et les élus, un sentiment
d'exaspération en constatant le laxisme de l'Etat, voire son incapacité à faire
respecter la loi.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Or le climat de violence auquel on aboutirait est
inacceptable pour tout républicain.
Nous voulons et nous pouvons prévenir une telle situation en proposant une
solution équilibrée entre droits et devoirs, entre nombre de places et besoins
d'accueil, entre respect des traditions et respect des populations, une
solution concertée entre les nomades, les élus et l'Etat - justice, police et
gendarmerie - donc sur la base de négociations et non de contraintes.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'attire votre attention sur les propos que, à
notre grande surprise, nous avons entendus tenir - et je souhaite que vous
pesiez de toute votre autorité gouvernementale pour restaurer la confiance dans
l'Etat pour faire appliquer la loi - par un membre du corps préfectoral,...
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Un ancien
membre du corps préfectoral !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
... par un ancien membre...
M. Nicolas About.
Mais illustre !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
... du corps préfectoral, selon lequel, quels que soient les
engagements que prendrait l'Etat de faire interdire le stationnement en dehors
des aires d'accueil, lorsque celles-ci existent, le préfet n'aura
malheureusement pas à sa disposition les moyens de faire respecter cette
interdiction.
M. Jean-Claude Carle.
C'est grave !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Vous le comprenez bien - et c'est, nous le savons, la seule
piste - à partir du moment où le contrat de confiance ne peut s'appuyer que sur
la concertation, celle-ci ne peut se concevoir qu'avec la garantie que tous les
acteurs respecteront la règle du jeu résultant d'une telle concertation.
(Très bien ! sur les travées des Républicains et Indépendants.)
Enfin, il convient que la loi tienne également compte de l'évolution des
moeurs - la sédentarisation est un fait - notamment des comportements nouveaux
dans le temps et dans l'espace. Il faut aussi - je l'entendais tout à l'heure
et c'est tout à fait important - que les documents d'urbanisme soient
compatibles avec cette évolution des moeurs,...
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
... et que les schémas départementaux, en particulier,
intègrent les terrains familiaux.
Pour que cette future loi soit efficace, elle doit donc être élaborée par tous
les acteurs, grâce à la négociation et non pas sous la contrainte. Je vois mal
le préfet approuver de plein droit un schéma que les élus n'auraient pas signé.
Cela inciterait en effet ces derniers à s'en remettre complètement à l'Etat, au
point de lui demander d'assumer ses responsabilités jusqu'au bout en prenant en
charge la construction et la gestion des aires
(Bravo ! et applaudissements
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants),
certains élus
allant jusqu'à déclarer qu'ils sont prêts à ne pas signer pour que le préfet en
vienne là ! Je ne partage pas cette analyse, car je suis convaincu que c'est
dans la concertation que des réponses peuvent être trouvées.
(M. Peyronnet
applaudit.)
J'attire néanmoins votre attention sur le fait que se pose là
un vrai problème de crédibilité.
Beaucoup d'élus pensent - je suis, en tant que rapporteur, obligé de vous
faire part de cet état d'esprit - que cette discussion est un leurre, du fait
que l'Etat sera, je le répète, dans l'incapacité de faire respecter la loi.
M. Dominique Braye.
Ils n'ont pas tort !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
C'est une notion fondamentale que celle d'un climat de
confiance qu'il nous faut instaurer.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre engagement sera déterminant pour
l'application de ce texte qui, au-delà des réponses que nous pouvons apporter
aux gens du voyage et de leur accompagnement, est un véritable contrat de
confiance entre les élus, les nomades et l'Etat.
Il ne s'agit pas d'engager de nouveau un débat que nous connaissons bien, tant
dans cette enceinte que dans le cadre du congrès de l'Association des maires de
France, à l'occasion duquel vous êtes venu dialoguer avec les élus. Mais il est
un chantier que la commission des lois n'a pas ouvert, même si elle entend
poser la question, c'est celui du statut.
Nous vivons sous le régime de la loi de 1969, qui distingue trois catégories.
Il faudra réfléchir, monsieur le secrétaire d'Etat, à la possibilité d'élaborer
à l'échelon européen un livret de circulation. Je ne suis pas sûr que ce soit
la bonne réponse, car les communautés elles-mêmes ne sont pas d'accord entre
elles.
M. Nicolas About.
Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Cette réflexion est d'autant plus opportune qu'apparaissent
des populations nomades des pays de l'Est et un besoin d'identification avec
des communes de rattachement, et que la France va assurer la présidence de
l'Union européenne.
D'autres chantiers concernent la transparence fiscale et le statut citoyen,
débats que nous ne pouvons pas aborder ici.
M. Dominique Braye.
Et respect des lois républicaines !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Nous constatons actuellement une augmentation du nombre de
schémas départementaux. Le processus est donc enclenché et la moitié des
départements s'en sont déjà dotés. Nous proposons d'instaurer une coordination
régionale, notamment en Ile-de-France, ainsi qu'une coordination
interdépartementale.
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est indispensable !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Nous saluons l'effort financier de l'Etat, qui avait fait
l'objet d'un certain nombre de débats. Reconnaissons que cette incitation
financière à hauteur de 70 % pour l'investissement est un geste significatif.
La commission des lois, ce matin, a souhaité supprimer la notion de plafond.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Nous avons aussi pris acte de l'aide forfaitaire au
fonctionnement et de la proposition que vous faites sur la dotation globale de
fonctionnement. Mais nous n'avons pas retenu cette solution. Une telle
disposition pèserait sur les sommes disponibles pour la dotation d'aménagement
et, en son sein, pour la dotation de solidarité urbaine et la dotation de
solidarité rurale.
Il aurait été logique de vous demander un abondement de la DGF. Mais le
système est déjà tellement compliqué qu'il nous a semblé plus judicieux, à
partir du moment où nous mettons en place un contrat, d'augmenter l'aide
forfaitaire à hauteur de 15 000 francs par an et par place, ce qui permettra de
contractualiser l'investissement entre l'Etat et les collectivités locales, le
fonctionnement n'étant pas abordé.
Une réflexion sera ouverte sur la mutualisation des coûts de réparation en cas
de destruction.
Nous avons supprimé le seuil de 5 000 habitants, car l'approche territoriale
est incompatible avec la dimension démographique, même s'il est nécessaire de
réfléchir aux moyens des uns et des autres de faire face à leurs
obligations.
Nous restaurons le schéma national, car nous estimons que, pour les grands
déplacements, l'Etat doit s'engager. Vous aviez proposé une solution qui se
décline à l'échelon départemental, mais nous maintenons cette notion de schéma
national.
Nous privilégions la négociation plutôt que la contrainte. Nous avons donc
supprimé la possibilité donnée au préfet d'assumer seul l'élaboration du
schéma. Nous sommes convaincus que la concertation aboutira. Au pouvoir de
substitution du préfet, nous préférons un système de coresponsabilité.
Nous maintenons l'obligation du délai de deux ans, car nous sommes convaincus
- c'est un débat que nous avons eu à la commission des lois - que cette loi ne
peut être appliquée avec succès que si un délai est imposé et que s'il y a une
coordination, voire une relative harmonisation dans le temps de l'action de
l'ensemble des départements pour élaborer leur schéma, pour aménager leurs
places et pour y recevoir les gens du voyage.
Nous sentons bien, et c'est ce sur quoi je veux terminer, que d'autres
définitions à caractère juridique interviendront sur le plan urbanistique.
Nous avons aujourd'hui à trouver un équilibre, mais aussi à faire face à un
problème de comportement. Or la responsabilisation des uns et des autres
dépendra de la crédibilité du dispositif, laquelle reposera sur l'engagement
des acteurs de l'Etat à se mobiliser, et sur certains aspects judiciaires.
Vous aviez fait des avancées significatives. Vous aviez permis que les
créations des zones d'accueil s'accompagnent de la création de zones
d'interdiction sur l'ensemble d'un territoire, y compris intercommunal.
M. Nicolas About.
Cela change quoi ?
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Nous proposons d'accélérer les procédures judiciaires de
façon à pouvoir obtenir par référé, à toute heure, l'intervention de l'Etat.
Cependant, le débat, vous le verrez, s'ouvrira sur la question suivante : les
dispositifs prévus iront-ils jusqu'à traiter de l'exécution des décisions ?
M. Nicolas About.
Impossible !
M. Jean-Paul Delevoye,
rapporteur.
Or, j'attire l'attention sur le fait qu'aujourd'hui un grand
nombre de personnes s'interrogent, et c'est inquiétant, sur la capacité de
l'Etat à exercer son autorité.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Si le législateur doit être sensible à cette interrogation, il doit aussi
s'interroger sur la nécessité de faire des lois s'il est convaincu que
celles-ci ne pourront être appliquées.
(Très bien ! sur les mêmes
travées.)
Je crois qu'il nous appartient aujourd'hui, au travers du présent projet de
loi, de relever un enjeu de société que nous ne pourrions régler en l'ignorant.
Nous ne pourrons pas répondre à un besoin d'habitat traditionnel sans offrir un
nombre de places suffisant, ni faire face au mouvement de rejet de la
différence par la population sans qu'un équilibre soit bien perçu entre les
droits et les devoirs. C'est toute la noblesse et le sens de l'autorité de
l'Etat qui doivent être exercés aujourd'hui, et ce débat dépasse largement la
problématique des gens du voyage.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Hérisson,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
voici près de dix ans qu'est entré en vigueur l'article 28 de la loi n° 90-449
du 31 mai 1990, premier texte de loi à avoir aménager les modalités d'accueil
des gens du voyage en permettant aux communes qui ont réalisé des aires de
stationnement d'interdire le stationnement sur le reste de leur territoire.
Le bilan d'application de ce texte est mitigé, comme vient de le dire M. le
rapporteur de la commission des lois, à qui je rends hommage pour le travail
considérable qu'il a accompli - puisqu'il a été l'auteur d'une proposition de
loi en 1997 - dans le cadre de la préoccupation qui est la sienne, comme
parlementaire bien sûr, mais également comme président de l'Association des
maires de France.
On ne compte pas moins de 27 000 occupations illicites en France chaque jour
et, dans certains départements, seul un tiers d'entre elles font l'objet
d'expulsions.
Comment, monsieur le secrétaire d'Etat, concilier trois principes essentiels
garantis par la Constitution : la liberté d'aller et venir, le droit de
propriété et, enfin, le droit à un logement décent ? Comment permettre aux gens
du voyage d'être des citoyens à part entière, soumis aux mêmes droits et aux
mêmes devoirs que les autres Français ? Telles sont les deux équations qu'il
nous faut aujourd'hui résoudre.
Certes, les maires sont prêts à considérer les gens du voyage comme des
citoyens à part entière à condition, monsieur le secrétaire d'Etat, que ceux-ci
se comportent eux-mêmes comme des citoyens à part entière.
(Très bien ! sur
les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
La commission des affaires économiques estime souhaitable de préciser le texte
qui est transmis au Sénat sur plusieurs points. Mais, avant de développer ses
observations sur ce sujet, je souhaiterais insister sur certaines lacunes du
projet de loi.
En premier lieu, ce texte ne règle en rien les difficultés quotidiennes posées
par les dispositions de la loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des
activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France
sans domicile ni résidence fixes. Cette loi prévoit en effet que les personnes
se trouvant dans la situation des nomades au sens de la loi de juillet 1912
sont tenues de disposer d'un carnet de circulation, qui doit être visé
régulièrement par l'autorité administrative. Comme l'observait notre collègue
Jean-Paul Delevoye en 1997, le régime de ces titres de circulation, de même que
celui des titres délivrés aux commerçants ambulants et aux caravaniers, est «
inutilement complexe et mal adapté à la situation des gens du voyage ».
Lors de visites sur le terrain que j'ai effectuées en Seine-et-Marne - je
profite de l'occasion pour remercier M. Jacques Larché, président du conseil
général, de l'accueil qui nous a été réservé et du concours que nous ont
apporté les services du département - j'ai constaté par moi-même combien les
gens du voyage éprouvent de réelles difficultés certes, mais aussi combien les
services des communes, des départements et de l'Etat éprouvent, eux aussi, de
difficultés devenues quasiment insurmontables.
Ne serait-il pas nécessaire, par exemple - c'est un point particulier qui est
ressorti de nos auditions - de faciliter l'accès des gens du voyage à des
comptes bancaires, sur lesquels seraient versées les indemnités dont ils
bénéficient ? Cela permettrait en outre, en cas de problème, comme pour la
plupart des citoyens de notre pays, de suivre l'utilisation des fonds, ce qui
n'est pas possible aujourd'hui. Je crois que nous pourrons ouvrir un débat sur
ce sujet au sein de l'Association des maires de France, car une grande partie
de ceux-ci nous reprochent aujourd'hui un manque d'efficacité, s'agissant de
cette population, en matière de suivi, de contrôle fiscal et d'emploi des
indemnités à caractère social.
Cela étant, les problèmes sociaux rencontrés par les gens du voyage méritent
une attention particulière. Ainsi, les auditions auxquelles j'ai pu procéder
montrent que les jeunes nomades sont souvent moins bien alphabétisés que leurs
aînés, malgré la scolarité obligatoire. Je rappelle à cet égard que le
versement des allocations familiales est subordonnée à la scolarisation des
enfants. Malheureusement, cette conditon est difficile à faire respecter, bien
qu'il existe, je le reconnais, des tentatives allant en ce sens.
Par ailleurs, la drogue a fait son apparition chez les gens du voyage comme
dans le reste de la population française, en particulier dans les quartiers les
plus défavorisés. Elle y occasionne les mêmes ravages et le même cortège de
délinquance et d'exclusion, et favorise l'émergence de zones de non-droit, qui,
au surplus, sont des zones de non-droit itinérantes, encore plus difficiles à
traiter que les zones de non-droit situées dans les banlieues.
En outre, il semble que l'insertion sociale des gens du voyage se soit
dégradée.
Les activités traditionnelles telles que la collecte des métaux usagés sont de
moins en moins exercées par ces populations, ou servent purement et simplement
de couverture. Pour que les gens du voyage se considèrent et soient considérés
comme des citoyens à part entière, il est donc souhaitable de les encourager à
s'insérer dans le circuit économique.
Permettez-moi en outre, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous inviter à
régler les problèmes susceptibles de résulter de l'élargissement de l'Union
européenne compte tenu de l'importance de la population des gens du voyage qui
résident dans les nouveaux Etats membres. Je crois que l'ouverture de l'Union
européenne aux pays d'Europe centrale et orientale, au 1er janvier 2002, va
augmenter de manière tout à fait sensible la population des gens du voyage ;
nous devrons donc être encore plus attentifs à partir de cette date.
Des auditions auxquelles nous avons procédé, j'ai conclu que, actuellement,
pour un citoyen roumain qui souhaite venir en France, il est plus difficile est
plus de trouver les 1 000 dollars de caution pour obtenir le visa que d'obtenir
le visa lui-même.
Mes chers collègues, je voudrais maintenant attirer votre attention sur quatre
points qui ont plus particulièrement retenu l'attention de la commission des
affaires économiques : les grands rassemblements, la notion de résidence
principale mobile, la prise en compte des besoins des petites communes, enfin,
le respect des documents d'urbanisme.
Les grands rassemblements doivent relever de la seule compétence de l'Etat et
non de celle des communes. En effet, ces manifestations, parfois de plusieurs
milliers de personnes, occasionnent d'importants mouvements de population dans
toute la France. La gestion de ces flux nécessite une organisation qui dépasse
très largement le cadre des schémas départementaux prévus par le projet de loi
et doit être fondée sur un régime d'autorisation dépendant des personnes
responsables organisatrices des rassemblements.
Par ailleurs, sur le site même d'un grand rassemblement, les collectivités
locales, qui ont, certes, un rôle à jouer, ne peuvent en aucune façon faire
face seules à l'afflux de ces voyageurs.
Il n'est pas rare, en secteur péri-urbain ou en milieu rural, de trouver des
communes dans lesquelles la population des gens du voyage est supérieure à la
population sédentaire ; elle est parfois double ou triple !
Le libellé du projet de loi est trop imprécis en ce qui concerne la définition
de la résidence occupée par les gens du voyage. Celle-ci repose sur deux
critères fixés au 1er alinéa de l'article 1er : le caractère d'habitat
traditionnel, le caractère de résidence mobile.
C'est pourquoi il est nécessaire de préciser que les caravanes affectées à
l'habitat permanent des gens du voyage ont le caractère de « résidences
principales mobiles ». Cette rédaction permet d'opérer une distinction claire
entre les personnes dont la résidence principale est sédentaire et qui
utilisent des caravanes à des fins de tourisme et de loisir, et les gens du
voyage, dont le domicile permanent est situé dans une caravane.
Nous souhaitons en outre étendre le champ d'application de la loi.
L'article 2 du projet n'institue une obligation de créer des aires de
stationnement que pour les communes de plus de 5 000 habitants. Il ne vise pas
le cas des petites communes qui doivent cependant toujours accueillir les
voyageurs au moins quarante-huit heures, en vertu de la jurisprudence du
Conseil d'Etat « Ville de Lille » de 1983.
Les maires des petites communes rurales ne sont donc ni tenus de créer des
aires, ni fondés, dans ce cas, à interdire le stationnement des gens du voyage
sur le territoire de leur commune. C'est bien là que se pose le problème.
On peut craindre, en conséquence, que les gens du voyage qui ne trouveront pas
de places de stationnement dans les villes de plus de 5 000 habitants ne
s'installent dans ces petites communes souvent rurales. C'est pourquoi il est
nécessaire, lorsqu'un tel besoin est constaté dans le schéma départemental,
d'étendre l'obligation de créer des aires aux communautés de communes de plus
de 5 000 habitants dont aucune commune membre n'atteint ce chiffre.
Enfin, nous considérons comme indispensable d'encourager au respect des
dispositions des plans d'occupation des sols.
Les dispositions du III de l'article 8 du projet de loi relatives à la
délivrance d'une autorisation d'aménager un terrain pour y installer des
caravanes ne soulignent pas clairement la nécessité de respecter les
dispositions du plan d'occupation des sols ou du document en tenant lieu. Cette
omission, qui s'ajoute à la référence floue à des terrains « bâtis ou non bâtis
», sur laquelle je souhaiterais obtenir des précisions, monsieur le secrétaire
d'Etat, est de nature à susciter des difficultés d'interprétation du texte et,
par voie de conséquence, des contentieux.
Courage et lucidité, telles sont les deux qualités qu'exigera la mise en
oeuvre de ce texte. Puisse-t-il, s'il est débattu dans la dignité et la
solidarité, permettre de résoudre une question déterminante pour l'intégration
des gens du voyage à la société française. En tout cas, il faudra faire preuve
de la même fermeté à l'égard de ces citoyens qu'à l'égard de tous les autres !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
8 minutes.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'accueil des gens du voyage est devenu un problème d'intérêt général, pour ne
pas dire un problème de société ; notre collègueNicolas About l'a souvent
rappelé à cette tribune.
Dans nombre de communes, les incidents entre habitants et nomades se sont
multipliés, les difficultés sur le terrain se sont amplifiées, les conditions
se sont dégradées.
Face à une telle évolution, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a
quelque peu tardé à agir et, pourtant, ce n'est pas faute d'avoir été alerté ou
prévenu.
En effet, en novembre 1997, le Sénat soulignait déjà l'urgence en la matière ;
il avait pris l'initiative de discuter de deux propositions de loi sur le
sujet, déjà rapportées par notre collègue Jean-Paul Delevoye, aujourd'hui
excellemment secondé par notre collègue Pierre Hérisson.
Nous avions alors adopté un dispositif réaliste tendant à rechercher une
amélioration des conditions d'accueil des gens du voyage et à renforcer, en
contrepartie, les moyens de répression du stationnement illégal.
Par la suite, malgré nos demandes répétées, le Gouvernement s'est défaussé
pendant deux ans et demi en n'inscrivant pas ce texte à l'ordre du jour de
l'Assemblée nationale. Il a délibérément ignoré cette intéressante initiative
parlementaire, préparée en concertation avec les services des différents
ministères concernés.
Le constat est pourtant unanime, et ce depuis longtemps : le dispositif prévu
à l'article 28 de la loi de 1990 portant votre nom, monsieur le secrétaire
d'Etat, article créant une obligation « pour toute commune de plus de 5 000
habitants, de prévoir les conditions de passage et de séjour des gens du voyage
sur son territoire par la réservation de terrains aménagés à cet effet » a
montré ses insuffisances et son inadaptation à la réalité.
Le projet de loi que vous présentez aujourd'hui à la Haute Assemblée a au
moins un mérite, celui de relancer ce débat.
Pour le reste, il m'apparaît risqué et inapproprié.
Le projet de loi est tout d'abord risqué car, au lieu d'inciter, il impose la
réalisation d'aires d'accueil pour les communes de plus de 5 000 habitants sans
donner aux maires les armes juridiques adéquates pour sanctionner le
stationnement irrégulier. Or, les deux doivent aller de pair. Le danger est
donc que le dispositif mette les élus en difficulté en se retournant contre
eux.
Dans mon département, que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'Etat,
les maires soulignent leur impuissance face à de nombreux problèmes qui
touchent leurs concitoyens dans leur vie quotidienne et dont ils ont la charge
au premier chef : problèmes d'insécurité, problèmes d'hygiène, conflits de
voisinage que la présence des gens du voyage peut engendrer.
En outre, même lorsque le maire a fait construire des aires d'accueil, en
appliquant la législation actuelle, il n'a pas toujours résolu toutes les
difficultés. Il a d'abord pris une mesure souvent impopulaire au sein des
riverains concernés. Il n'est pas non plus à l'abri de stationnements sauvages,
contre lesquels il dispose de peu de moyens efficaces et rapides.
Je ne suis pas seul à le dire. Lors de la discussion du projet de loi à
l'Assemblée nationale, Michel Meylan avait déjà interpellé le Gouvernement sur
les dysfonctionnements que les élus dénoncent : tout d'abord, l'inapplication
de la loi par la non-intervention de la force publique lors de stationnements
sauvages ou d'actes délictueux ; ensuite, les délais trop longs dans
l'application des procédures de demande d'expulsion en référé - reconnaissons
au passage que ces procédures ne font très souvent que déplacer les problèmes
sans les résoudre, enfin, le coût qui en résulte pour la collectivité.
Dans ces conditions, comment ne pas comprendre le découragement, voire
l'exaspération des élus et de leurs mandants, ce qui les conduit parfois à des
actes maladroits à l'égard de ces populations de gens du voyage ?
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, je vais poser clairement une
question à laquelle je souhaiterais que vous répondiez tout aussi clairement :
si le projet de loi est adopté tel qu'il nous est proposé, quelle sera la
situation du maire ?
La réponse me paraît être la suivante : non seulement le maire sera toujours
dans l'incapacité de faire évacuer les campements sauvages dans de brefs délais
- si les tribunaux et la force publique font preuve, aujourd'hui, d'une
certaine réticence, pourquoi en irait-il autrement demain - mais, en outre, les
habitants de la commune ne manqueront pas de lui imputer les perturbations
causées par les gens du voyage. Il sera reconnu comme « responsable, voire
coupable » d'avoir doté la commune d'une aire d'accueil. Que pourra-t-il alors
répondre ?
Par ailleurs, le projet de loi est inapproprié à plusieurs titres et, tout
d'abord, dans les méthodes retenues.
L'éventuelle adoption unilatérale du schéma départemental par le préfet est
inacceptable, tout comme est inacceptable la possibilité pour l'Etat de se
substituer aux communes, mais à leurs frais, pour la réalisation des aires
d'accueil.
Après le racket qu'opère l'Etat vis-à-vis des collectivités locales en
n'assumant pas ses responsabilités dans un certain nombre de domaines - celui
des routes nationales est un exemple patent - mais en encaissant honoraires et
TVA, c'est un véritable diktat qu'il leur impose aujourd'hui.
Ces mesures portent en effet atteinte à la libre administration des
collectivités territoriales : elles substituent les représentants de l'Etat aux
titulaires de mandats électifs. Curieuse conception du fonctionnement de la
démocratie !
Au moment où le Gouvernement proclame le lancement de l'acte II de la
politique de décentralisation, on ne peut que s'étonner de la mise en place de
procédures qui recentrent la décision au niveau de l'Etat et aboutissent à nier
les acquis de la décentralisation. Gaston Deferre doit se retourner dans sa
tombe !
En conséquence, je ne peux qu'approuver les propositions de la commission des
lois tendant à supprimer les facultés ici reconnues au préfet.
Enfin, il est bien évident que le dialogue et la concertation entre les
différents acteurs - Etat, collectivités, représentants des gens du voyage -
sont indispensables, comme l'a rappelé M. Delevoye, pour la réalisation des
infrastructures, même si cela implique des délais un peu plus longs que ceux
qui sont prévus dans le projet de loi.
Dans un tel domaine, particulièrement sensible, la contrainte conduirait
inévitablement à l'échec de la politique arrêtée.
Comme l'a souligné M. Delevoye, ce projet de loi est inapproprié quant aux
méthodes, mais aussi dans la définition qu'il donne des droits et devoirs de
chacun. En effet, il ne parvient pas à établir un équilibre entre les droits et
obligations des collectivités, d'une part, et ceux des nomades, d'autre
part.
Le « droit d'usage », tel qu'il est défini dans le texte et que devront
acquitter les usagers des aires d'accueil aménagées, est un premier pas pour
responsabiliser les gens du voyage. Mais il ne paraît pas réellement suffisant
au regard des investissements et des frais de fonctionnement qu'engendrent les
aires de stationnement ainsi que les dégradations qui sont souvent commises.
A ce déséquilibre ne manquera pas de s'ajouter le fait que les gens du voyage,
qui revendiquent leur différence - et nous devons la respecter -, sont, quant à
eux, peu enclins à respecter la loi.
Pour illustrer mon propos, je rapporterai simplement la réflexion faite en
juin dernier par un délégué départemental d'une des grandes associations
représentatives des gens du voyage, l'Association sociale nationale et
internationale tzigane, l'ASNIT. Alors qu'on lui demandait si l'obligation,
prévue dans le projet de loi, de créer des aires d'accueil le satisfaisait,
celui-ci a répondu : « L'aire d'accueil, nous la subissons. »
Le projet de loi pèche, enfin, en confondant les problèmes liés aux
regroupements d'ordre familial et ceux qui tiennent aux grandes migrations,
lesquelles suscitent des besoins en termes de stationnement et d'équipement
très différents.
Or cette confusion n'est pas sans conséquences au regard des enjeux
financiers. Le texte défendu par M. Delevoye et voté par le Sénat en 1997
prenait en compte cette situation : il instaurait un schéma national pour les
grandes migrations traditionnelles.
Toutes ces remarques m'amèneront, monsieur le secrétaire d'Etat, à ne pas
approuver votre texte en l'état, à soutenir les propositions d'amélioration de
la commission des lois, excellemment exposées par notre rapporteur, car elles
vont dans le bon sens, et enfin à dénoncer l'insuffisance criante du projet de
loi en matière de transparence financière. Car là se situe bien le fond du
problème.
Je me demande, en effet, comment des gens qui, bien souvent, ne remplissent
pas de déclaration d'impôt ou ne sont pas imposables peuvent se payer des biens
de consommation onéreux tels que des voitures de grosse cylindrée et des
caravanes qui sont de véritables maisons mobiles.
Les moyens de contrôle de l'administration fiscale à l'égard des populations
nomades ne sont pas insuffisants : ils sont en fait totalement absents !
M. Alain Gournac.
Exactement ! Totalement absents !
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Jean-Claude Carle.
Le coût des procédures est tel que l'Etat ferme les yeux depuis longtemps sur
les illégalités. Cette injustice est de plus en plus mal acceptée par nos
concitoyens, et c'est bien normal.
Il n'est pas ici question de montrer du doigt tel ou tel. Il s'agit simplement
de rappeler que les lois s'appliquent à tout le monde, quel que soit son statut
social et professionnel et quel que soit son mode de vie.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR.)
Aujourd'hui, les services fiscaux demandent à tout citoyen de justifier
l'origine des sommes lorsque le règlement d'une transaction s'opère en partie
en espèces.
Afin de s'assurer que les revenus déclarés ou non par ces contribuables
particuliers correspondent effectivement à leur train de vie, que comptez-vous
faire, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Dominique Braye.
Il y a les « signes extérieurs de richesse » !
M. Jean-Claude Carle.
J'ai déjà interrogé à ce sujet votre collègue en charge du budget. Je n'ai
obtenu qu'une réponse extrêmement évasive. Je le regrette, même si je reconnais
que c'est un problème difficile.
Il reste que c'est un point capital pour la bonne application de ce projet de
loi. S'il n'est pas réglé, nous risquons de ne voir que les effets pervers du
dispositif, ceux que j'ai décrits précédemment.
Quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour faire respecter l'état de
droit en France, dans le cas des gens du voyage comme dans celui - mais c'est
un autre problème - des petits délinquants de banlieue ?
Ce débat, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, est révélateur
des déséquilibres qui menacent notre pays. Qu'il s'agisse de l'accueil des gens
du voyage ou, au-delà, du maintien de l'ordre public, de la sécurité des
personnes et des biens, les élus locaux sont, quoi qu'il arrive, les premiers
responsables et les premiers interlocuteurs aux yeux de la population.
Pour autant, ils ne disposent pas de pouvoirs et de moyens suffisants pour
conduire une action de proximité.
La question des gens du voyage n'échappe pas à cette règle, car de deux choses
l'une, monsieur le secrétaire d'Etat : soit l'Etat fait confiance aux
collectivités et leur laisse l'autonomie de décision et de moyens pour assumer
leurs responsabilités vis-à-vis de la loi et de leurs administrés, soit l'Etat
veut s'approprier ou conserver la maîtrise de la procédure, mais alors qu'il en
assume les conséquences et, surtout, qu'il ne compte plus sur les maires pour
payer les pots cassés à sa place.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendant, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
libre circulation des personnes ne date pas d'hier, et c'est heureux. Pendant
de nombreux siècles, en Occident, les gens du voyage - chevaliers, mendiants ou
brigands - étaient accueillis dans les églises et les monastères. C'est ce que
l'on appelait le « droit d'asile ». Victor Hugo, notre illustre prédécesseur en
ces lieux,...
M. Jean-Claude Carle.
Bonne référence !
M. Philippe Darniche.
N'est-ce pas ?
... écrivait ainsi dans
Notre-Dame de Paris :
« Toute ville au Moyen
Age, et, jusqu'à Louis XII, toute ville en France avait ses lieux d'asile...
Les palais du roi, les hôtels des princes, les églises surtout, avaient droit
d'asile. Quelquefois, d'une ville tout entière qu'on avait besoin de repeupler,
on faisait temporairement un lieu de refuge. Ainsi Louis XI déclara-t-il Paris
asile en 1467. »
Aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, la problématique à laquelle nous
sommes confrontés n'est pas si simple.
Longtemps, notre société a considéré que le choix de vie des gens du voyage ne
nécessitait aucune mesure particulière. C'était un erreur. Aujourd'hui, nos
sentiments balancent entre la volonté du respect de la culture et des
traditions de ces communautés, la volonté de les sédentariser si elles le
souhaitent, de scolariser leurs enfants et, enfin, la volonté que soient
respectées les propriétés privées ou publiques dans le cadre d'une
réglementation s'imposant à tous.
De nos jours, la loi pose le principe selon lequel les communes ont
l'obligation d'assurer cette mission d'accueil des gens du voyage. C'est un
acte honorable mais le contrat est, par nature, déséquilibré.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous proposez d'imposer aux communes des
devoirs stricts, des obligations et des responsabilités, tandis que les gens du
voyage, qui manquent souvent à leurs devoirs, ne font valoir que leurs droits,
sans contrepartie.
Si ce projet de loi est attendu et nécessaire, il passe impérativement par une
réglementation plus rigoureuse et la mise en place de dispositions civiles
renforcées. Je développerai l'exemple des communes du littoral où les gens du
voyage violent en masse, chaque été, le domaine public, en dressant
illégalement d'immenses campements.
Le stationnement des gens du voyage qui, de tout temps, a été malaisé, pose
aujourd'hui des problèmes de plus en plus pressants. Monsieur le secrétaire
d'Etat vous avez décidé de chercher à régler ce problème récurrent en proposant
une démarche participative mais déséquilibrée en ce qu'elle est fondée sur le
principe : qui ne veut pas accueillir, ne peut interdire.
Nous savons tous que l'urbanisation repousse toujours plus loin les
possibilités de stationnement. Il est souhaitable, pour tous, qu'en accroissant
le nombre des aires - comme vous le suggérez - on réduise le nombre
d'infractions. Mais dès lors que des aires de stationnement ont été créées par
des communes ou des communautés de communes, les sanctions prévues en cas de
stationnement illégal des gens du voyage doivent absolument être sensiblement
renforcées.
M. Nicolas About.
Et elles doivent être instantanées !
M. Philippe Darniche.
De même, doit être traité le problème, chaque jour constaté, du vandalisme
quasi systématique des aires déjà mises à disposition, un problème qui coûte
fort cher aux collectivités.
M. Jean Huchon.
Très juste !
M. Philippe Darniche.
A la lecture de ce projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, aucune
avancée n'apparaît en matière d'expulsion des gens du voyage, alors que, trop
souvent, ces derniers ne respectent pas les règles qui s'imposent à tout
citoyen.
En effet, garantir la liberté constitutionnelle d'aller et venir et
l'aspiration culturelle des gens du voyage à pouvoir stationner dans des
conditions décentes est louable et naturellement nécessaire. Bien sûr, nul ne
doit ignorer les droits fondamentaux de chacun de choisir son mode de vie ou de
circuler librement. Mais nul ne peut non plus s'opposer à la garantie du droit
de propriété.
Il est indispensable, nous le pensons tous, de favoriser une démarche
constructive vers la sédentarisation des gens du voyage et la scolarisation de
leurs enfants, en respectant leurs spécificités culturelles, en particulier le
phénomène des « grands rassemblements » traditionnels et religieux annuels.
Cependant, j'estime que la liberté constitutionnelle d'aller et venir est
indissociable du souci des élus locaux, lui aussi bien compréhensible, d'éviter
des installations illicites, qui occasionnement des difficultés de coexistence
avec leurs administrés. L'objectif des maires des petites communes est de faire
respecter la loi au regard des droits et devoirs de chacun.
M. Dominique Braye.
Exactement !
M. Philippe Darniche.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaiterais vous interpeller sur deux
aspects concrets de ce dossier.
Le premier concerne la grande préoccupation des maires liée au stationnement
illicite et massif des gens du voyage, en période estivale, sur le littoral
atlantique ou méditerranéen. On voit ainsi parfois se rassembler jusqu'à 1 000
caravanes ! N'est-ce pas, monsieur le président ?
Cette situation est particulièrement difficile pour les communes qui voient,
chaque année, et hors de toute tradition religieuse, déferler sur leurs plages
ces chapelets de caravanes dont les occupants s'approprient une dune, voire une
plage, au grand désespoir des touristes et des populations sédentaires. Les
référés, nombreux et coûteux, régulièrement intentés par les maires
n'aboutissent hélas ! à rien. Le malaise qui s'ensuit a des conséquences
pouvant troubler l'ordre public. Dans la plupart des cas, ces communes
littorales sont pourtant dotées d'aires d'accueil, mais celles-ci n'ont
évidemment pas la taille adéquate pour de tels rassemblements.
Comment comptez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, faire appliquer et
renforcer les moyens juridiques des communes pour lutter contre les
stationnements illicites, qu'elles aient ou non rempli leurs obligations ?
Sans doute faut-il qu'en cas de refus de quitter le site illégalement occupé
le préfet, garant du schéma départemental, selon le projet de loi, puisse faire
exécuter les ordonnances d'expulsion dans les délais les plus brefs et en ayant
recours, le cas échéant, à la force publique.
C'est la raison pour laquelle j'ai déposé - en particulier à l'article 9 - un
certain nombre d'amendements dont l'esprit rejoint celui qui sous-tend les
amendements du rapporteur de la commission des lois et d'un certain nombre de
nos collègues.
Il m'apparaît en effet indispensable d'améliorer les procédures judiciaires
pour faire respecter les règles d'urbanisme, ainsi que les arrêtés municipaux
relatifs au stationnement, et de renforcer les pouvoirs du maire en matière
d'interdiction de stationner. Cela passe notamment par la réduction sous
vingt-quatre heures du référé du juge civil en cas d'occupation illégale de
terrains, ainsi que par l'inscription de la compétence, pour le préfet, de
faire exécuter les ordonnances d'expulsion en ayant recours à la force
publique.
Le second aspect sur lequel je veux insister concerne le cas des communautés
de communes qui ont réalisé des aires de stationnement conformes aux
dispositions du projet de loi que vous nous proposez. Pouvez-vous nous
confirmer qu'une communauté de communes peut, au même titre qu'une commune,
prendre tout arrêté interdisant le stationnement sur le reste du territoire
intercommunal, afin de prendre les mesures nécessaires contre tout
envahissement intempestif et répétitif ?
J'indiquerai pour conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, que je ne peux, non
plus que l'ensemble de mes collègues non inscrits souscrire au texte que vous
nous proposez. Seules les améliorations suggérées par un certain nombre d'entre
nous - et particulièrement les réponses concrètes proposées par notre excellent
rapporteur, M. Jean-Paul Delevoye, qui représente ici tous les maires de France
- seront de nature à infléchir notre position.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Peyrat.
M. Jacques Peyrat.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'on ne saurait disconvenir que le projet de loi proposé par le Gouvernement a
le mérite de tenter d'apporter des solutions au rude problème auquel sont
confrontés les gestionnaires territoriaux mais également, d'une façon plus
large, l'ensemble de notre pays.
Certes, l'intérêt de ce débat n'est pas le même pour ceux qui gèrent des
communes, au contact permanent avec les affrontements découlant du
stationnement souhaité, voire voulu par « les gens du voyage », dans toutes
leurs disparités d'ailleurs, et pour ceux qui ne gèrent pas de collectivités
territoriales ou qui, les gérant, ne sont pas destinataires des migrations de
ces nomades.
La loi du 31 mai 1990 était irréaliste. Elle ne connut d'ailleurs qu'une
application très modérée.
Il était nécessaire de redéfinir de nouvelles dispositions et, partant, pour
nous, de légiférer.
Le texte qui nous est proposé est-il satisfaisant pour les maires de petites
et grandes communes ? Non, je ne le crois pas, malgré les avancées sérieuses et
incontestables qu'il comporte.
L'hétérogénéité est la caractéristique qu'il faut prendre en compte pour
espérer légiférer de manière efficace. Les gens du voyage ne peuvent en effet
être rangés dans une seule et même catégorie. Une distinction doit, par
exemple, être opérée entre, d'une part, des populations appartenant, tels les
Tziganes, à un groupe ethnique défini - il faut d'ailleurs savoir qu'à
l'intérieur des Tziganes les Manouches ne s'entendent pas avec les Rom, auprès
desquels ils ne veulent pas se trouver - et, d'autre part, les populations
autochtones, tels les Yéniches en Alsace.
Chaque groupe a ses propres coutumes, en vertu desquelles certains refuseront,
par exemple, telle aire d'accueil à tel endroit au motif que des esprits
mauvais y rôdent.
Faut-il, dès lors, prévoir une aire d'accueil pour chaque type d'ethnie ?
Tout cela pose le problème plus général que les élus locaux rencontrent depuis
de nombreuses années dès qu'ils veulent essayer de dialoguer pour examiner les
conditions de règlement des conflits systématiquement rencontrés.
Nous n'avons pas d'interlocuteurs représentatifs et je ne pense pas que la
multiplication de commissions nationales ou départementales consultatives des
gens du voyage y changera quoi que ce soit.
Enfin, autre considération préalable essentielle à l'élaboration d'une loi
efficace sur le sujet, ces populations ont bien changé et n'ont plus rien à
voir avec l'image romanesque du Romanichel tirant avec une vieille haridelle sa
roulotte pour se livrer à des travaux de vannerie et voler quelques poules.
Aujourd'hui, on a plutôt affaire à des familles roulant en grosses berlines,
tirant de superbes caravanes, l'ensemble valant d'ailleurs aisément le prix
d'un logement, sans que l'on soit, la plupart du temps, en mesure de connaître
précisément leurs revenus.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jacques Peyrat.
Ce que l'on sait, en revanche, c'est que, malgré un niveau de vie élevé en
apparence, nombreux sont ceux qui bénéficient du RMI...
M. Alain Gournac.
Comme c'est vrai !
M. Jacques Peyrat.
... au mépris total de la philosophie de cette allocation, qui suppose, en
contrepartie, un effort d'insertion, ce qui n'est, bien sûr, pas le cas de ces
populations.
Ce que l'on sait aussi, c'est que les nouveaux flux migratoires provoqués par
la chute du mur de Berlin et la situation politique et sociale de certains pays
de l'Est, conjugués à la construction européenne actuellement en cours, doivent
être pris en compte, tant d'un point de vue strictement comptable qu'en matière
d'immigration, et d'immigration clandestine notamment.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
C'est incroyable !
M. Jacques Peyrat.
Ce qui manque essentiellement à votre projet, c'est ce travail d'immersion au
sein de ces différentes communautés qu'il me paraît essentiel d'avoir à
l'esprit avant d'engager un quelconque travail législatif visant à régler, si
possible de manière consensuelle, le stationnement des gens du voyage.
Au-delà de ces remarques fondamentales, je dois reconnaître que vous avez eu
le mérite de tirer les leçons de l'échec de la loi de 1990 pour élaborer des
dispositions que vous nous annoncez soucieuses d'équilibre puisque les efforts
importants demandés aux communes ont - peut-être ! - pour contrepartie une
mutualisation des coûts et une répression effective du stationnement
illicite.
Je ne suis pas certain que l'équilibre soit aussi parfait que vous voulez bien
nous le dire. C'est en effet à la commune de supporter les nuisances, ce qui
n'est pas rien quand on connaît le sentiment de rejet des populations locales
vis-à-vis des gens du voyage. C'est à la commune aussi de trouver un terrain,
ce qui n'est pas simple dans les grandes villes ou dans une région très
fortement urbanisée, un terrain qui, de surcroît, soit accepté par toutes les
ethnies susceptibles d'y stationner.
Et c'est à la commune, enfin, d'entretenir cet espace et de supporter les
dégradations considérables que nous constatons après le départ des plus grands
rassemblements à la fin de l'hiver.
Votre projet de loi prévoit, certes, monsieur le secrétaire d'Etat, des
participations - que j'ai bien notées - s'agissant notamment de
l'investissement et du fonctionnement. A ce propos, je partage l'avis de M. le
rapporteur.
La solution qui consiste à prendre en compte, dans le calcul de la dotation
globale de fonctionnement des communes, le financement des places réservées aux
gens du voyage n'est pas satisfaisante dès lors que le montant global de cette
dotation n'aura pas été abondé, car elle entraînerait une baisse des sommes
disponibles pour les autres dotations composant cette DGF.
Je souhaite donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement prenne en
compte cet argument de bon sens et d'honnêteté. Je souhaite également qu'il
contribue à la réparation des dommages causés aux installations, voire à leur
reconstruction, mettant ainsi en oeuvre une véritable mutualisation entre
partenaires.
Autre grief à l'encontre de ce projet de loi, celui qui concerne le caractère
contraignant, voire coercitif, de la procédure d'élaboration du schéma
départemental. Cela n'est pas conforme au principe de partenariat entre l'Etat
et les collectivités locales qui doit régir la prise en charge du stationnement
des gens du voyage.
Cette démarche autoritaire imposée aux collectivités locales ira, à mon sens,
à l'encontre de l'objectif visé et risque de nourrir, au lieu de les apaiser,
les tensions susceptibles d'apparaître sur le plan local.
M. Jean-Claude Carle.
C'est tout à fait vrai !
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Jacques Peyrat.
Au-delà de tout affrontement politique, qui n'a pas sa place ici, ce que nous
souhaitons, c'est que cette loi soit un instrument utile pour chacun des
maires. Cette dimension est fondamentale. En effet, si le sentiment d'un
laxisme de l'Etat et d'une impuissance des maires à mettre un terme à ces
situations se répandait dans la population, on pourrait craindre de graves
conséquences auprès de nombre de nos concitoyens, pour lesquels l'élaboration
d'un tel projet de loi uniquement consacré à l'amélioration de l'habitat des
gens du voyage, alors même que toutes les demandes de logement à loyer modéré
ne peuvent être satisfaites, est déjà susceptible d'apparaître comme un
traitement préférentiel inacceptable.
Je l'ai dit, monsieur le secrétaire d'Etat, le fait que votre projet de loi,
existe constitue déjà une première avancée. Pour autant, il est un principe de
base que nous devons, que vous devez, avoir constamment à l'esprit : rien ne
sert de bâtir des textes, de les amender, de les discuter et de les voter s'ils
ne peuvent être réellement appliqués sur le terrain par ceux-là même qui les
attendent.
M. Alain Gournac.
Absolument ! C'est encore pire !
M. Jean-Claude Carle.
Très vrai !
M. Jacques Peyrat.
Toute la crédibilité du texte qui sortira du parcours législatif reposera sur
la capacité réelle de l'Etat à faire respecter la réglementation imposée par la
loi à ceux qu'elle vise.
Ainsi, le véritable débat, qui dépasse la discussion d'aujourd'hui, concerne
la responsabilité de l'Etat dans l'exécution par les forces de police des
décisions rendues par les tribunaux de l'ordre judiciaire.
C'est tout l'enjeu de l'article 9 de ce projet de loi, qui est la clé de voûte
de votre dispositif.
Soit sa mise en oeuvre permettra effectivement de lutter avec efficacité
contre le stationnement illégal, et votre projet de loi aura gagné toute sa
crédibilité ; soit rien de décisif n'aura changé, c'est-à-dire qu'il sera
toujours aussi difficile, voire impossible à un maire de faire cesser une
occupation illégale, auquel cas vous aurez échoué et votre projet comme notre
vote n'auront servi à rien.
M. Dominique Braye.
Ce sera pire !
M. Jacques Peyrat.
Tout le problème est là aujourd'hui. Non seulement la procédure judiciaire est
longue et contraignante, mais en plus, vous le savez, cela a été dit et ce sera
répété, neuf fois sur dix, la décision de justice ordonnant l'expulsion n'est
pas appliquée, le préfet ne mettant pas à la disposition de la justice les
forces de sécurité nécessaires.
Vous pouvez donc améliorer considérablement les procédures, notamment en
simplifiant les démarches des maires en matière de référé, mais rien de tout
cela n'a d'intérêt si, dans le même temps, vous ne vous assurez pas, si vous ne
nous assurez pas que l'Etat appliquera, dans un délai très court, toutes les
ordonnances d'expulsion.
Si, par malheur, la carence de l'Etat qui se manifeste au quotidien
persistait, nous nous efforcerions alors de mettre en oeuvre des moyens qui
font aujourd'hui défaut. C'est donc un contrat de confiance auquel il nous faut
souscrire, et, en l'état, on le peut difficilement.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
dans l'impossibilité de venir devant vous aujourd'hui, Mme Odette Terrade m'a
demandé de vous présenter tout à la fois ses excuses et son intervention.
Près de trois cent cinquante années séparent le premier dispositif relatif aux
gens du voyage du texte que nous examinons aujourd'hui. C'est en effet
l'ordonnance de Colbert de 1662 qui définissait comme délit le nomadisme,
l'oisiveté et l'errance.
Tout au long de ces trois siècles, la législation a certes évolué, mais les
pratiques et les mentalités sont encore trop souvent empreintes d'un jugement
négatif à l'égard des personnes itinérantes. Il y a, bien entendu, la peur de
ce qui est différent, la méconnaissance des autres, mais également une certaine
jalousie d'un mode de vie qui rime avec absence de contraintes, liberté totale
et irresponsabilité.
Les situations de tension dans notre pays témoignent bien de la nécessité de
faire évoluer les mentalités afin que le libre choix de vie de chacun soit
respecté. Comme vous le déclariez, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est « une
affaire de cohérence avec les valeurs dont nous nous réclamons », valeurs
inscrites sur le fronton de nos édifices : liberté, égalité et fraternité.
Ces situations de tension témoignent également de la nécessité de faire
évoluer la loi, d'abord pour des raisons de justice sociale, d'égalité de
traitement, mais également, j'en suis persuadée, parce que la loi contribue,
dans bien des domaines, à faire évoluer les mentalités.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez certes la charge de ce projet de loi,
mais cette question relève également de la compétence de plusieurs autres
ministères : ceux de la justice, de l'intérieur et de l'emploi et de la
solidarité.
La diversité de la réalité des gens du voyage exigerait des mesures dépassant
le cadre de cette loi car elles ne relèvent pas du strict domaine de l'accueil
et du stationnement.
Je pense avant tout à l'obligation pour les gens du voyage de posséder et de
présenter tous les trois mois un carnet de circulation, alors que la plupart
d'entre eux sont de nationalité française. Cet élément a d'ailleurs été évoqué
précédemment.
La loi du 3 janvier 1969 instituait le rattachement administratif sur une
commune donnée, qui entraîne des conséquences importantes pour de nombreux
actes de la vie quotidienne, notamment le mariage, le devoir fiscal, l'aide
sociale ou le service national.
J'ai en mémoire le témoignage d'un membre de la communauté du voyage
s'exprimant à un colloque à Bourg-en-Bresse. Il faisait part de l'atteinte à la
dignité que ce carnet de circulation représentait pour lui.
(Murmures de
protestation sur les travées du RPR.)
Il disait simplement combien il se
sentait un « sous-citoyen » par rapport au reste de la population. Comment ne
pas le comprendre !
M. Dominique Braye.
A Vernouillet, ils sont fichés !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
La loi, dans ce domaine, doit évoluer.
M. Dominique Braye.
Et ceux qui ne respectent pas la loi, qu'en fait-on ?
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Le débat doit avoir lieu, le plus largement possible.
Pour ce qui concerne les aides sociales, autre domaine qu'il convient de faire
progresser,...
M. Dominique Braye.
L'enfer est pavé de bonnes intentions !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
... mon groupe aura l'occasion d'intervenir ultérieurement sur l'article 6.
Aujourd'hui, sur le plan législatif, la référence est la loi du 31 mai 1990.
Ce texte comportait des avancées non négligeables. Tout d'abord, il mettait en
place les schémas départementaux prévoyant les conditions d'accueil spécifiques
des gens du voyage, en ce qui concerne le passage et le séjour, en y incluant
les conditions de scolarisation des enfants et les conditions d'exercice
d'activités économiques. De surcroît, il prévoyait que toutes les communes de
plus 5 000 habitants réservent des terrains aménagés à cet effet. Seule cette
obligation rendait possible l'interdiction de stationnement des gens du voyage
sur le reste du territoire communal, par le maire.
Le texte avait pour défaut majeur de ne prévoir ni obligation, ni sanction, ni
délai. Aujourd'hui, nous pouvons dire que cet appel à la bonne volonté n'a pas
suffi.
M. Hilaire Flandre.
C'est bien de le reconnaître !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Des chiffres déjà cités montrent les difficultés d'application de ce texte.
La première difficulté réside, comme je viens de le dire, dans l'absence de
contrainte et de délai. Cela est à mettre en parallèle avec une réelle pénurie
de terrains pour certaines communes ou avec d'autres motifs.
Nous constatons, dix ans après l'adoption de la loi de 1990 et son fameux
article 28, monsieur le secrétaire d'Etat, un très grand déficit en ce qui
concerne le nombre d'aires d'accueil. Il en résulte une très forte pression sur
les communes qui, dotées d'un équipement, se sentent pénalisées alors qu'elles
ont joué le jeu, et cela dissuade encore davantage les communes les moins
coopérantes.
Aussi était-il nécessaire de mettre en oeuvre un outil législatif pour
contraindre ces dernières à agir. Nous saluons donc votre initiative, monsieur
le secrétaire d'Etat.
M. Patrick Lassourd.
Vive la liberté !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Le présent projet de loi vise à une cohabitation harmonieuse de toutes les
catégories de la population, sur l'ensemble du territoire national. Ce texte
tend à créer les conditions d'un équilibre satisfaisant entre, d'une part, la
liberté constitutionnelle d'aller et de venir, l'aspiration légitime des gens
du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes et, d'autre part,
le souci, également légitime, des élus locaux d'éviter les installations
sauvages qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs
administrés. Cet équilibre entre droits et devoirs est de la responsabilité de
l'Etat, en partenariat avec les collectivités locales, les gens du voyage et
les populations sédentaires concernées.
En ce qui concerne les conditions de vie décentes auxquelles les gens du
voyage doivent avoir droit, comme toutes les autres catégories de la
population, ne conviendrait-il pas, à l'identique de ce qui se produit pour le
logement traditionnel, de fixer non seulement les normes d'hygiène, de
sécurité, de confort, mais également les normes de compatibilité avec leur
activité professionnelle, souvent le ferraillage, qui devraient être prises en
compte lors de la réalisation des aires d'accueil ? Il conviendra de veiller à
ce que les décrets d'application prennent effectivement en compte l'ensemble de
ces problèmes ainsi que la question des lieux d'implantation devant offrir un
cadre de vie de qualité.
Enfin, s'agissant du pouvoir des maires de lutter contre les stationnements
illicites, la loi de 1990 permettait déjà au maire d'interdire, par arrêté, le
stationnement des caravanes sur le reste du territoire de sa commune, dès lors
que celle-ci satisfaisait aux obligations de l'article 28. La jurisprudence a
d'ailleurs confirmé ces données.
Toutefois, de nombreux maires qui ont satisfait à l'obligation de construction
d'aires d'accueil font état, à juste titre, de délais trop longs entre le
signalement d'un stationnement illicite et le départ des personnes ayant commis
l'infraction. Ce projet de loi devrait corriger ces anomalies, tout d'abord
parce qu'il aura comme conséquence directe l'augmentation significative du
nombre d'aires, mais également parce qu'il renforce le dispositif existant en
confiant au juge judiciaire l'ordonnance de l'évacuation des terrains, y
compris sur le domaine public, et en rendant possible l'exécution « au seul vu
de la minute ».
Au-delà de la réalisation des aires d'accueil, l'évolution du mode de vie
nécessite une diversification des réponses. Outre les 100 000 gens du voyage
déjà sédentarisés, 70 000 peuvent être considérés comme semi-sédentarisés
puisqu'ils aspirent à rester plusieurs mois dans un même lieu. Cette tendance à
la sédentarisation correspond bien entendu à la disparition de nombreuses
activités traditionnelles des gens du voyage. Le choix d'une vie totalement
itinérante, semi-sédentarisée ou sédentarisée appartient à chaque individu.
Toutefois, la loi se doit d'appréhender toutes ces réalités afin d'y apporter
des solutions efficaces.
La commission des lois de la Haute Assemblée a adopté un amendement visant à
prévoir l'élaboration d'un schéma national dans le cadre de rassemblements
traditionnels ou occasionnels. Si ces grandes migrations entraînent des
déplacements d'une ampleur particulière soulevant des problèmes spécifiques,
elles ne constituent néanmoins que des déplacements ponctuels. Or, ce sont les
déplacements plus fréquents que les maires doivent gérer au quotidien. De plus,
le paragraphe IV de l'article 1er répond, me semble-t-il, à la nécessité de
coordonner, à l'échelon de la région, les travaux d'élaboration des schémas
départementaux. Enfin, il nous paraît que le schéma national éloigne des lieux
de décision les problèmes rencontrés sur le terrain par les élus locaux.
Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, d'aborder
une autre facette de la vie en caravane.
Nous assistons au développement du mode de vie, ou plutôt de survie, dans des
caravanes, voire des camions ou des voitures, à défaut de pouvoir se loger dans
un appartement.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Bernard Murat.
Ils ne veulent pas y aller !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Toutes ces personnes vivent dans une très grande précarité, en dessous du
seuil de pauvreté.
M. Dominique Braye.
Merci la gauche !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Leurs candidatures à un logement sont rejetées par tous les bailleurs
sociaux.
M. Dominique Braye.
Merci la gauche !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Ces personnes doivent-elles être assimilées aux gens du voyage ? Ne
conviendrait-il pas plutôt, dans nos politiques d'accompagnement social,
d'appréhender cette réalité de très grande exclusion ?
La loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions devait résoudre
une partie de ces situations.
M. Dominique Braye.
La fracture sociale s'accroît chaque jour, mais la cagnotte augmente !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Or, dans les faits, il n'en est rien. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le
secrétaire d'Etat, ce que le Gouvernement compte faire pour s'attaquer à ce
phénomène qui, me semble-t-il, s'amplifie ?
M. Dominique Braye.
La cagnotte serait bienvenue !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe communiste
républicain et citoyen approuvent globalement le projet de loi qui nous est
soumis. Nous formulons néanmoins quelques remarques, qui prendront la forme
d'amendements afin d'enrichir le texte, et quelques réflexions, que nous
souhaitons verser au débat.
Le principe d'une large consultation à l'échelon départemental nous agrée.
M. Dominique Braye.
Vous avalez tout !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Il faut cependant que la commission comprenant, notamment, des représentants
des communes concernées et des représentants des gens du voyage ait de réels
pouvoirs de proposition et d'intervention, au-delà du rôle consultatif que lui
attribue l'article 1er.
En ce qui conerne la question du financement, je note avec satisfaction que le
projet de loi contient des dispositions financières substantielles à la charge
de l'Etat, pour le financement de l'investissement et pour la compensation des
charges de fonctionnement. Toutefois, les départements et les communes y
contribueront de façon importante, ce qui provoque, avec raison, beaucoup
d'inquiétude parmi les maires.
Aussi, nous proposons au Sénat de déplafonner l'aide de l'Etat, afin que
celle-ci corresponde effectivement à 70 % des dépenses réelles engagées par les
collectivités locales pour la mise en place d'aires de stationnement.
L'article 7 instaure une majoration de la population prise en compte au titre
du calcul de la dotation globale de fonctionnement, des dotations de solidarité
ou du fonds de péréquation. Ne serait-il pas envisageable de prévoir également
une prise en compte du nombre d'emplacements réalisés, au même titre que le
nombre de logements sociaux, par exemple, pour la répartition des dotations de
solidarité ?
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen soutiennent toutes les
mesures permettant de concilier le droit à un habitat adapté et la libre
circulation des personnes dans un rapport équilibré entre les droits et les
devoirs de chacun. C'est, nous le pensons, l'esprit qui a présidé à
l'élaboration de ce texte, que nous soutenons.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si
nous examinons ce texte aujourd'hui, c'est vraisemblablement parce que la loi
de mars 1990 est un échec. En effet, vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur
le secrétaire d'Etat, elle n'a été appliquée que par un quart des communes.
C'est pourquoi vous nous présentez aujourd'hui un nouveau dispositif visant à
la corriger.
Cette loi est un échec pour plusieurs raisons. D'abord, les coûts étaient trop
importants pour les communes, qu'il s'agisse du montant de l'investissement ou
des frais de fonctionnement. Mais, nonobstant ces coûts élevés, il était
difficile d'expliquer à la population locale que l'ensemble de ces
investissements et frais de fonctionnement devait être financé par le budget
municipal.
Comme cela a été dit à plusieurs reprises au cours de nombreuses
interventions, nos concitoyens portent en effet souvent - certains diront hélas
! - un regard soupçonneux sur les nomades qui s'installent dans leur cité. Ils
constatent - n'y voyez point une discrimination, monsieur le secrétaire d'Etat,
car je fais simplement état des statistiques locales - que des exactions
suivent souvent l'implantation d'une aire réservée aux nomades.
Par ailleurs, ce qui ne manque pas d'intriguer la population locale - et cela
ne relève pas, je crois, de la grande exclusion, contrairement à ce que je
viens d'entendre - ce sont les conditions de vie des nomades.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai souvent l'occasion, dans ma commune, parce
que je suis alerté par mes concitoyens, d'aller voir de près ce qui se passe :
qu'elle n'est pas ma stupéfaction devant la qualité des caravanes, la marque
des voitures, alors que, quand je demande à ces gens quelle profession ils
exercent ils me répondent qu'ils sont rempailleurs de chaises !
Le texte que vous nous présentez vise à doubler la participation de l'Etat
relative à l'investissement. C'est beaucoup mieux que précédemment. En effet,
70 % du montant de l'investissement, c'est important. Cependant, l'Etat laisse
encore une charge importante à la commune au titre du fonctionnement : environ
10 000 francs par place, a dit tout à l'heure M. le rapporteur. En revanche, je
n'ai pas d'indication précise - peut-être pourrez-vous nous éclairer, monsieur
le secrétaire d'Etat - sur la réalité des frais de fonctionnement : s'agit-il
de 20 000 francs, de 30 000 francs, de 40 000 francs ou de 50 000 francs, comme
j'ai pu le lire ? En tout cas, cette participation communale qui subsiste
n'apaisera certainement pas les frictions entre les populations sédentaires et
les populations nomades.
Aujourd'hui, certaines aires d'accueil sont peu ou mal utilisées, et, malgré
l'existence de ces dernières, il est des terrains publics ou privés qui sont
constamment occupés de façon illicite. Je crains que les dispositions
envisagées visant à une augmentation des pouvoirs de police du maire et les
procédures de référé plus directes et plus larges ne restent essentiellement
théoriques. Il est très difficile - cela a été dit à plusieurs reprises, et je
me permets de le souligner de nouveau - de faire exécuter ces arrêtés. Tout à
l'heure, mon collègue de la Haute-Saône me demandait comment il était possible
de faire face à l'installation de 30 000 habitants dans sa commune de Pesmes,
qui compte 1 000 habitants. Les 100 CRS envoyés par la préfecture pour les
faire partir font en effet rapidement demi-tour, ce qui est facilement
compréhensible !
Aujourd'hui, les églises ne suffiraient plus à accueillir toutes ces
personnes, et je continue à penser qu'il sera extrêmement difficile de faire
exécuter les arrêtés de justice.
M. Jacques Peyrat.
De plus en plus !
M. André Vallet.
Notre groupe votera tout de même ce projet de loi, sous réserve, bien entendu,
de l'adoption des amendements présentés par la commission des affaires
économiques et par la commission des lois, parce que ce texte constitue une
avancée par rapport à la loi de 1990.
Mais nous aimerions, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette assemblée
puisse, un jour, évoquer tous les aspects, très divers, de ce problème : les
lieux de vie, certes, mais aussi l'éducation des enfants, les problèmes de
santé, les problèmes fiscaux, l'organisation des déplacements. En effet, on ne
peut, actuellement, être en marge de tout !
(Applaudissements sur les
travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi dont nous entamons la discussion est un texte attendu. Le débat
sur ce sujet est, quant à lui - on le sait - souvent passionnel. La question de
l'accueil des gens du voyage est en effet une question ancienne, récurrente,
souvent douloureuse en raison des tensions qu'elle suscite au niveau local.
Ces tensions, dont la presse se fait l'écho à l'occasion, mais bien en deçà de
la réalité quotidienne, montrent, si besoin est, que le
statu quo
n'est
satisfaisant ni pour les gens du voyage ni pour les maires. Je suis, sur ce
point, monsieur le rapporteur, tout à fait d'accord avec vos déclarations.
Certes, des efforts louables ont été réalisés, en particulier par vous,
monsieur le secrétaire d'Etat. Mais l'article 28 de la loi du 31 mai 1990,
malgré les progrès qu'il induit, ne suffit pas : nombreuses sont les communes
encore réticentes à réaliser des aires d'accueil, lesquelles suscitent
l'opposition des riverains ; fréquentes sont les difficultés à faire respecter,
une fois l'aire réalisée, l'interdiction des stationnements irréguliers ;
insurmontables, par faute de moyens et donc de surveillance, sont les coûts de
réparation des aires dégradées par leurs occupants.
Aussi, une évolution législative est nécessaire et même urgente ; mais
évolution ne veut pas dire précipitation, et, de ce point de vue, la maturation
de votre texte par rapport à la proposition de loi de 1997 est un incontestable
progrès.
L'urgence, à coup sûr, concerne d'abord le stationnement des gens du
voyage.
Actuellement, 10 000 places de stationnement sont disponibles. C'est
insuffisant puisque, semble-t-il - c'est un chiffre que vous avez vous-même
avancé, monsieur le secrétaire d'Etat - quelque 30 000 places seraient
nécessaires pour assurer de façon décente le stationnement des populations qui
ont conservé leur mode d'habitat traditionnel dans des résidences mobiles.
Pour résoudre le problème du stationnement, ou essayer de le faire, il existe
un véritable préalable, que nous étions d'ailleurs plusieurs à avoir souligné
lors de la discussion de 1997 : il faut d'abord se donner les moyens de créer
un nombre de places suffisant, et le faire de la façon la plus concomitante
possible. C'est tout le pari du texte, car on ne peut faire entrer 30 000
caravanes dans des aires de stationnement ne pouvant en recevoir que 10 000 !
Du reste, l'intitulé initial du texte était uniquement relatif à l'accueil.
C'est donc bien l'objet essentiel du présent projet de loi.
Toutefois, en aucun cas, cette politique d'accueil ne doit faire oublier la
nécessité d'appréhender le problème dans sa globalité. La question n'est pas
complètement traitée dans ce texte, et il faudra donc sans doute y revenir,
même si un traitement global à cet égard est difficile à mettre en oeuvre,
comme le savent bien les départements.
Pour le reste, monsieur le secrétaire d'Etat, s'agissant de l'accueil, nous ne
pouvons que vous féliciter d'avoir su tenir compte de la réalité.
Répondre aux préoccupations des élus quant au stationnement constitue tout
autant une priorité. Les élus sont en effet désemparés face aux stationnements
illicites et à l'incompréhension et à la colère que de tels agissements
suscitent au sein de la population. Trop fréquemment encore, l'arrivée de
caravanes sur le territoire d'une commune entraîne immédiatement une tension
entre les habitants et les gens du voyage, les élus essayant de désamorcer les
conflits. Cette tension est le terreau d'un ostracisme difficile à accepter,
même si on peut le comprendre. Mais, pour vaincre ces appréhensions, il faut,
certes, une volonté politique, peut-être même un certain courage politique,
mais aussi des moyens.
En effet, nous sommes confrontés à un problème qui ne peut être réglé que si
chacun accepte de jouer le jeu, et même de se mobiliser : je pense aux
collectivités locales - les maires en particulier - qui sont les acteurs de
terrain et qui doivent être soutenues bien au-delà du nécessaire dialogue
préconisé à bon droit dans le texte entre les collectivités locales, l'Etat,
les personnalités qualifiées, les pouvoirs publics en général et les
représentants des nomades.
Certains diront que le dialogue est un leurre, qu'il n'existe pas dans ce
texte en raison des pouvoirs reconnus au préfet, qui sont, il est vrai, peu
communs, très contraignants ; mais ils sont, je le crois, l'essence de ce
texte. Même s'il s'agit d'un texte de dialogue, il est parfois nécessaire -
c'est le rôle du législateur - d'anticiper les situations de blocage. Il faut
alors comprendre que la faculté reconnue au préfet d'approuver seul le schéma
départemental ne devra pas être et ne sera pas, si chacun accepte les
responsabilités qui sont les siennes, la règle, mais bien l'exception.
De même, le pouvoir reconnu au représentant de l'Etat de se substituer aux
communes est l'application du principe selon lequel il est inadmissible que
certaines communes puissent ne pas remplir leurs obligations en se déchargeant
sur les autres. Supprimer ces dispositions, ce serait supprimer ce qui fait
l'équilibre de ce texte et oublier les leçons que la pratique de la loi du 31
mai 1990 nous a enseignées.
Si je devais commenter ces aspects à la lumière des propos que j'ai entendus
tout à l'heure, je dirais que l'on ne peut tenir deux discours : on ne peut
crier à l'inefficacité de la loi de 1990 et, en même temps, refuser les moyens
permettant de lui conférer une certaine efficacité ; on ne peut crier à la
recentralisation par les pouvoirs donnés aux préfets et affirmer simultanément
que l'on se satisferait tout à fait de voir l'Etat prendre l'entière
responsabilité du logement, de l'installation et du contrôle des gens du
voyage. Il me semble que ces discours contradictoires ne sont pas
satisfaisants, contrairement à ce texte, qui est équilibré et raisonnable.
(M. Gournac s'exclame.)
L'action collective que ce projet de loi vise à mettre en place par des
mesures incitatives - financement, délais, pouvoir de substitution du préfet -
et le dialogue qu'il permet d'instaurer feront avancer les choses et, je
l'espère, rassureront les maires qui, aujourd'hui, ont le sentiment d'être
seuls.
Les communes ayant investi dans la réalisation d'aires d'accueil, il est
normal de reconnaître des pouvoirs importants aux maires ; mais - j'y insiste,
monsieur le secrétaire d'Etat - ceux-ci doivent être soutenus. Vous avez
compris leurs préoccupations, nous semble-t-il, et je crois qu'il vous en
sauront gré ; mais le soutien de l'Etat devra s'exercer dans la durée. Je veux
dire par là que l'Etat aura un rôle majeur à jouer dans l'exécution dans la
durée des dispositions de ce texte
(M. Gournac s'exclame de nouveau),
et
non pas seulement dans leur élaboration et leur vote.
Trois axes principaux charpentent ce projet de loi, en vue d'atteindre
l'objectif d'accueil.
Sur le plan institutionnel, tout d'abord, le texte que vous nous présentez,
monsieur le secrétaire d'Etat, répartit harmonieusement les rôles entre les
communes, les départements et l'Etat. Ainsi, les communes auront l'obligation
de créer des aires de stationnement et de les entretenir, comme le prévoyait la
loi de 1990 pour les communes de plus de 5 000 habitants. Ce seuil me semble
nécessaire, d'autant que rien n'interdit à une commune de moins de 5 000
habitants de participer à la réalisation d'une aire, ce qui lui permettra alors
de bénéficier des dispositions visant à faire respecter le stationnement. Il
appartiendra au schéma départemental de tenir compte de cette possibilité et de
renforcer une gestion intercommunale qui, du reste, est expressément prévue par
le texte, et c'est bien ainsi.
L'apport essentiel du texte réside dans l'instauration d'un délai contraignant
afin de tenir compte des leçons du passé. Ainsi, dans quatre ans environ,
lorsque la loi aura pris son plein effet, les places de stationnement devraient
être suffisamment nombreuses pour assurer un accueil correct des gens du
voyage. A ce sujet - mais nous en reparlerons certainement - il nous faut
réfléchir dès à présent au suivi de ces aires. A quoi bon, en effet, les
construire si, le temps passant, elles ne remplissent plus leurs fonctions à la
suite de défauts d'entretien ou de dégradation dont on sait bien qu'ils se
produiront.
Par ailleurs, les départements auront la responsabilité de jouer pleinement
leur rôle essentiel en matière de solidarité et de favoriser une approche
concertée de l'accueil des gens du voyage. Cette concertation sera réalisée par
leur action dans l'élaboration d'un schéma départemental et dans la mise en
place d'une commission consultative départementale dont il serait certainement
nécessaire de préciser la composition en s'assurant, notamment, de la présence
des groupements de communes concernés et des personnes qualifiées.
Le rôle du département est déjà reconnu par la loi visant à la mise en oeuvre
du droit au logement au travers du schéma départemental ; il est ici précisé,
et je crois en effet ce rôle indispensable.
Je m'interroge, en revanche, sur le rôle des régions. Ce n'est pas faire du
départementalisme forcené, mais, au vu de la géographie des régions, je
m'interroge sur la pertinence des commissions régionales. Je me demande si, au
contraire, des commissions interdépartementales, dont je vois bien qu'elles
seraient très nombreuses et donc lourdes à manipuler, ne seraient pas plus
efficaces. Il me semble que la concertation entre les Bouches-du-Rhône, par
exemple, et l'Hérault ou le Gard est probablement plus importante que la
concertation entre les Bouches-du-Rhône et les Alpes-Maritimes. Dans un cas, ce
sont deux régions différentes ; dans l'autre cas, c'est la même région ; mais
les circuits de circulation des gens du voyage se moquent des circonscriptions
administratives !
Enfin, il reviendra à l'Etat le devoir de mettre sur pied, dans la
concertation, les schémas départementaux.
Nous attendons la discussion des articles pour nous prononcer sur
l'opportunité du schéma national pour les grands déplacements, schéma national
dont le rétablissement, par retour au texte de 1997, ne nous semble pas stupide
à ce stade.
Certaines communes, du fait de l'installation massive de caravanes sur leur
territoire, sont confrontées à de très gros problèmes : outre les questions
habituelles d'état sanitaire et de maintien de l'ordre, des problèmes lourds
d'écologie peuvent ponctuellement se poser : je pense en particulier à des
sites protégés, et notamment à la Bretagne. Mme Yolande Boyer a d'ailleurs
déposé un amendement qui permettra d'évoquer ce problème lors de la discussion
des articles.
Enfin, la participation financière de l'Etat passe de 35 % à 70 % en matière
d'investissement, dans les limites d'un plafond fixé par décret. Si le montant
en cause est bien de 100 000 francs, comme l'étude d'impact l'a prévu, cela
constitue un effort important.
Par ailleurs, la participation de l'Etat au fonctionnement devrait être de
l'ordre de 50 %, ce qui, dans l'hypothèse d'un coût de 10 000 francs par place,
représente un effort certain. Au demeurant, la DGF, qui tiendra compte de la
réalisation des aires, devrait être majorée non plus seulement en fonction du
nombre d'emplacements existants mais du nombre d'occupants par emplacement, ce
qui aboutirait non pas à retenir l'unité mais le quadruple de l'unité.
Le département sera également un financeur important puisqu'il pourra
intervenir au titre des dépenses d'investissement et qu'il participera par
convention aux frais de fonctionnement. Je souligne d'ailleurs que la
participation de la plupart des départements est déjà très large dans ces deux
domaines.
Le troisième axe essentiel est la pérennisation du dispositif, qui passe par
le respect des droits et des devoirs de chacun.
Les gens du voyage doivent pouvoir circuler librement, bien sûr, et stationner
dans des conditions décentes, mais il ne faut pas céder aux tentations de
l'angélisme - et je ne crois pas l'avoir fait plus que d'autres - ou tomber
dans le travers du manichéisme - et je pense l'avoir fait un peu moins que
d'autres.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Sûrement !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Aussi, les maires doivent pouvoir prendre des mesures efficaces contre les
gens du voyage irrespectueux, ils doivent pouvoir prévenir ou faire cesser de
manière efficace les stationnements illicites.
Les mécanismes instaurés sont garants de cette efficacité : possibilité
d'interdire le stationnement dès lors que la commune a respecté ses obligations
en matière d'accueil des gens du voyage, possibilité pour le maire de se
substituer, sous certaines conditions, au propriétaire défaillant, saisine d'un
juge selon les procédures du référé, possibilité pour le juge d'enjoindre aux
gens du voyage de rejoindre l'aire aménagée ou, à défaut, de quitter le
territoire de la commune.
Sur tous ces points, les moyens établis par la loi constituent un progrès
considérable par rapport à la loi de 1990, mais aussi par rapport au texte
avorté de 1997. Toutefois, je le répète avec force, monsieur le secrétaire
d'Etat, rien ne se fera sans une mobilisation très forte de tout l'appareil
d'Etat - justice, police, gendarmerie - et au premier chef des préfets. Il
faudra que le Gouvernement veille à cette mobilisation !
Vous aviez fait adopter en 1990, monsieur le secrétaire d'Etat, un texte
prévoyant l'obligation pour les communes de plus de 5 000 habitants de se doter
d'une aire d'accueil. Il est maintenant temps d'achever ce que l'article 28 de
la loi du 31 mai 1990 avait ébauché !
En s'inspirant de ce socle, le projet de loi que vous nous soumettez établit
un équilibre entre les droits et les devoirs de chacun, et opte pour une
solution pérenne. C'est pourquoi le groupe socialiste votera avec satisfaction
un texte qui constitue une avancée considérable et donne de vrais moyens aux
pouvoirs publics, dans le cadre communal et départemental. Nul ne pourra
désormais raisonnablement dire que les moyens n'existent pas ! Il restera à
manifester, à tous les niveaux, la volonté politique de mettre ces moyens en
oeuvre.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
trouver une solution efficace et équitable au problème du stationnement des
gens du voyage relève de l'urgence. Rares sont les régions de France qui ne
sont pas concernées.
La loi de mai 1990 a le mérite d'avoir prévu des mesures. Ces dernières se
sont cependant révélées insuffisantes au regard de l'ampleur et de l'évolution
du problème.
C'est pour remédier à cette situation que le Sénat a adopté, en novembre 1997,
la proposition de loi Delevoye, qui suggérait des mesures que je crois
raisonnables et équilibrées.
On ne peut que regretter qu'il ait fallu attendre plus de deux ans pour que ce
problème soit réexaminé par le Parlement, par le biais du projet de loi que
vous nous soumettez aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat.
Je n'évoquerai que deux aspects du problème qui nous préoccupe aujourd'hui :
la nécessité d'adapter notre législation aux insuffisances et aux lacunes qui
se dégagent de la réalité vécue par les maires, et la nécessité de prévoir des
mesures efficaces pour faire respecter la loi.
Un maire de mon département, dont l'ouverture d'esprit ne saurait être mise en
doute, résume ainsi cette problématique : « Les maires qui respectent le droit
veulent pouvoir faire respecter le droit. »
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Les insuffisances qui se dégagent de la situation actuelle sont liées à des
facteurs très divers : le manque d'aires de stationnement, certes, mais aussi,
souvent, le refus des gens du voyage de s'installer sans s'adresser à la mairie
et sans respecter les règles de tranquillité et de salubrité.
Les groupes sont diversifiés quant à leur origine et de plus en plus nombreux,
mais les séjours sont souvent courts, ce qui ne permet pas d'agir efficacement
en cas d'installation illicite. En effet, il est de plus en plus malaisé de
trouver des responsables parmi les groupes de gens du voyage et, de ce fait,
négocier s'avère, faute d'interlocuteurs clairement identifiables,
compliqué.
Enfin, en cas d'occupation illicite, la mission d'un maire devient vite
insurmontable : les interprétations du code de procédure civile par les
magistrats sont variables quant aux procédures mises en oeuvre et obtenir
communication de l'identité des gens du voyage est difficile.
M. Alain Gournac.
C'est très vrai !
M. Daniel Hoeffel.
Quant au délai nécessaire à la délivrance d'une ordonnance d'expulsion, puis à
l'obtention du concours de la force publique, il est tel que l'exécution de la
décision de justice n'intervient guère avant le départ des gens du voyage.
En conclusion, saisi d'un réel sentiment d'impuissance, découragé, seul face
aux problèmes, le maire apparaît, vis-à-vis de l'opinion, comme incapable de
faire respecter l'ordre public.
M. Jean-François Picheral.
Bravo !
M. Daniel Hoeffel.
Quant à son autorité pour faire respecter par chacun, dans sa commune, les
règles de l'urbanisme et de la construction,...
M. Alain Gournac.
Voilà !
M. Daniel Hoeffel.
... elle se trouve sérieusement ébranlée auprès de ses concitoyens, qui ont le
sentiment qu'en groupe et par la force on peut échapper à la loi.
Face à ce constat, de nouvelles dispositions législatives étaient
inévitables.
Votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, a le mérite de répondre à
une attente. Nourri par les expériences vécues sur le terrain, le rapport de
notre collègue Jean-Paul Delevoye l'enrichit et le complète dans un sens que je
considère comme réaliste en insistant sur l'aspect partenarial entre l'Etat et
les collectivités locales ainsi que sur la nécessité de la concertation pour
éviter les décisions unilatérales. En rappelant que les départements et les
communes ont des responsabilités à assumer mais que l'Etat doit prendre les
siennes à l'occasion des grandes migrations traditionnelles et religieuses, la
commission des lois va dans la bonne direction.
La suppression du pouvoir de substitution reconnu dans le projet de loi au
représentant de l'Etat pour la réalisation des aires d'accueil me paraît, à cet
égard, tout à fait nécessaire, et je voterai l'amendement allant dans ce
sens.
Partenariat et concertation supposent confiance et respect réciproque. La
décentralisation, c'est l'acceptation par les communes des principes de
solidarité et de mutualisation, mais c'est en contrepartie le respect de la
liberté de décision des communes.
Cette position pourra être tenue dans la mesure où les schémas départementaux
seront rapidement généralisés.
Quant au deuxième volet des propositions qui nous sont soumises et qui
concerne le renforcement des moyens relatifs au stationnement illicite, il est
tout aussi indispensable. Les communes accepteront d'autant mieux leurs
responsabilités que les maires auront le sentiment qu'ils pourront s'appuyer
sur un dispositif concret et applicable leur permettant de faire respecter la
loi.
M. Alain Gournac.
Voilà !
M. Daniel Hoeffel.
A cet égard, les amendements tendant à autoriser l'interdiction du
stationnement sur le reste du territoire d'une commune qui a réalisé une aire
d'accueil ainsi que l'amendement prévoyant une procédure de référé accéléré
vont dans la bonne direction et sont indispensables.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Jean-François Picheral.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
En approuvant les propositions de la commission, je conclurai par deux
remarques.
La première concerne la compatibilité entre la notion de tolérance et la
notion d'autorité, problème ô combien difficile. La tolérance exige que nous
acceptions d'accueillir les gens du voyage et de respecter la liberté de
circuler, la culture, les coutumes, le mode de vie de ceux qui sont sur notre
territoire ; mais elle exige, en contrepartie, que tous ceux qui viennent en
France respectent nos lois et l'autorité indispensable à toute vie harmonieuse
en société.
M. Hilaire Flandre.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
La tolérance sans respect de l'autorité conduit inévitablement à
l'intolérance.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Le respect des droits sans le respect des devoirs - et cela ne concerne pas
que les gens du voyage...
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Daniel Hoeffel.
... conduit inévitablement à l'impasse et à la violence.
M. Hilaire Flandre.
A la chienlit !
M. Daniel Hoeffel.
Ma deuxième remarque reprend un souhait que j'avais exprimé ici même à
l'occasion de la discussion de la proposition de loi présentée par M. Delevoye
le 6 novembre 1997 : veillons à ce que la France ne soit pas le maillon faible
en Europe, qu'elle ne soit pas le pays où l'autorité de l'Etat s'exerce moins
qu'ailleurs, qu'elle ne soit pas un pays qui maîtrise moins que ses partenaires
le flux de ceux qui viennent et qui passent.
M. Hilaire Flandre.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Puissent les dispositions que nous nous apprêtons à adopter aujourd'hui
contribuer à apporter une réponse crédible à cette interrogation.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées du RDSE et sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
liberté d'aller et venir et le droit de propriété constituent deux principes à
valeur constitutionnelle. Leur exercice doit être garanti de façon identique
par notre société. Aussi, je souhaite qu'une solution prenant en compte à la
fois le droit légitime des gens du voyage à pouvoir stationner et la
préservation de la paix publique soit élaborée.
La notion de gens du voyage englobe, d'une part, les commerçants ambulants,
c'est-à-dire les marchands ambulants ainsi que les forains, et, d'autre part,
les nomades.
Toutefois, même si leurs modes de vie sont identiques, leurs rapports à la
société sont diamétralement opposés : les commerçants ambulants respectent
notre corps social, ils en font partie, ils participent à son épanouissement,
alors que les nomades refusent toute intégration, au nom de leur histoire et de
leurs coutumes.
Le mode de vie des gens du voyage, même s'il est respectable, ne justifie pas
que certains d'entre eux bafouent nos lois en toute impunité. S'ils veulent
être des citoyens à part entière, ils doivent se comporter comme tels.
Il devrait y avoir un équilibre entre droits et devoirs ; tel n'est pas le cas
à l'heure actuel. De plus, jusqu'à aujourd'hui, les lois et règlements ne
permettent pas de réprimer efficacement les infractions commises par les
nomades et laissent les maires seuls devant ce problème récurrent et le
courroux de leurs administrés.
La loi de 1990 a rendu obligatoire la création d'une aire d'accueil, et, dans
ma commune de Brive-la-Gaillarde, j'ai respecté la loi. Cette aire existe donc,
et elle doit être réhabilitée tous les six mois aux frais des contribuables
brivistes.
Dans ma collectivité, la volonté d'accueillir dans la dignité les gens du
voyage est une réalité. Mais, lorsque des nomades s'installent sans
autorisation sur une place publique, un espace vert, un terrain de sport, un
terrain privé non bâti ou une zone d'activité, la loi de 1990 n'apporte aucune
réponse satisfaisante quant à la préservation du droit de propriété. Le maire
ne peut que demander l'expulsion des contrevenants et faire face au ras-le-bol
de ses administrés durant le manque d'empressement de l'Etat.
Il en résulte un rejet pouvant donner lieu à des scènes de violence entre
nomades et riverains. Ces scènes de violence, aggravées par l'alcool et,
aujourd'hui, par la drogue, deviennent de plus en plus préoccupantes, sans
parler des désaccords entre les différentes ethnies et familles qui comparent
les populations nomades.
De façon cyclique, nos concitoyens se plaignent des feux allumés
inconsidérément contre des bâtiments, des détritus, des désordres des
campements, des étendages sauvages du linge, voire des menaces, injures, coups
et vols de certains nomades.
Ces troubles ont des effets économiques dévastateurs pour les communes, les
entreprises, l'environnement. Ils créent un sentiment d'insécurité chez
l'ensemble de nos administrés. De même, ces atteintes ont un impact sur le
tourisme et l'économie en général.
Or, et c'est peut-être ce qui peut nous différencier de certains de nos
collègues, la sécurité de nos concitoyens constitue la première de nos
préoccupations.
Les maires n'acceptent plus la démagogie. Même s'ils ont le souci de la
solidarité, voire de la générosité, ils ne peuvent plus admettre les troubles
de l'ordre public occasionnés par ces nomades inassimilables et qui considèrent
les aires d'accueil comme une contrainte contraire à leur culture.
L'opacité qui entoure leurs ressources financières, leur refus de s'intégrer
sont difficilement gérables par les collectivités locales. En effet, les maires
sont accusés de laxisme par leurs concitoyens, qui rendent responsable l'élu
des défaillances de l'Etat, comme c'est d'ailleurs le cas dans certains
quartiers devenus des zones de non-droit.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce projet de loi doit être une réponse adaptée
aux problèmes des maires.
Le Sénat, en 1997, avait formulé une réponse équilibrée aux difficultés
rencontrées par les communes. Il est regrettable que le Gouvernement ait
préféré attendre deux ans avant de soumettre un texte à l'Assemblée nationale,
texte dont, d'ailleurs, plusieurs dispositions peuvent être rapprochées de
celles qui ont déjà été élaborées par le Sénat.
Je tiens à rendre hommage à la commission des lois ainsi qu'à son rapporteur,
notre ami Jean-Paul Delevoye, qui, par leurs travaux, ont permis d'envisager
une véritable mutualisation des coûts et une répression effective du
stationnement illicite. En outre, je les remercie d'avoir privilégié une
approche intercommunale pour la réalisation des aires d'accueil.
Mais, monsieur le secrétaire d'Etat - veuillez m'excuser de vous interpeller
ainsi - pourquoi légiférer si l'Etat ne se donne pas les moyens de faire
respecter cette loi ? Je peux vous assurer que tous les maires attendent qu'une
réponse sans ambiguïté sorte du débat de cet après-midi. Leur réaction sera à
la hauteur de leur attente. Si vous prenez, si le Sénat prend le risque de les
décevoir, alors la violence s'instaurera effectivement dans nos communes.
Pour ma part, je souhaite aborder plus particulièrement la question de la
répression du stationnement illicite. En la matière, les moyens légaux des
maires existent, mais ils ne sont que théoriques.
La répression pénale est à elle seule insuffisante. En effet, outre les
problèmes posés par la verbalisation et le paiement des amendes, les sanctions
ne suffisent pas toujours à faire partir ceux qui stationnent
irrégulièrement.
J'en veux pour preuve l'inobservation des arrêtés de police sanctionnée d'une
amende de 30 francs à 250 francs. Croyez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat,
qu'une telle sanction soit vraiment dissuasive pour des gens qui se déplacent
en Mercedes 500 ?
M. Jean-Claude Peyronnet.
Démago !
M. Bernard Murat.
J'estime que cela ne peut qu'inciter les gens du voyage à persévérer et à se
moquer de nos lois.
Le relèvement du montant des contraventions de police appartient au pouvoir
réglementaire. Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande de bien
vouloir indiquer à la Haute Assemblée l'intention du Gouvernement sur cette
question, et ce avec la plus grande précision.
Ensuite, le maire peut saisir les tribunaux pour faire cesser le trouble à
l'ordre public. Mais la procédure est toujours longue, sujette bien souvent à
la sensibilité personnelle du juge, alors que la situation en cause nécessite
une réaction immédiate, dans l'urgence. Entre la saisine de l'huissier, la
remise du constat à un avocat, le jugement, la notification aux intéressés, la
mobilisation des forces de police, une procédure d'expulsion dure en moyenne
trois semaines, durée qui peut encore être augmentée si le juge octroie des
délais de huit à quinze jours avant l'exécution de la décision d'expulsion.
Au regard de cette situation, je me demande s'il ne serait pas opportun de
donner aux maires le pouvoir d'ordonner eux-mêmes l'expulsion. Une telle
procédure aurait l'avantage d'être rapide et n'entrerait pas en opposition avec
le respect de la liberté individuelle, puisque - j'insiste sur ce point -
s'agissant de nomades, on procède non pas à une expulsion du domicile mais
uniquement à un déplacement de la famille avec son domicile.
Le projet de loi donne le pouvoir au juge d'obliger les contrevenants, le cas
échéant sous astreinte, à rejoindre l'aire d'accueil ou à quitter le territoire
communal. Pour ma part, je suis favorable à cette disposition, qui évite aux
maires de recommencer l'ensemble de la procédure si les nomades concernés
bougent de 100 mètres seulement.
Mais encore faudra-t-il que les services de police, ou les autorités
judiciaires modifient leur perception de cette question et soient plus prompts
à réagir aux violations de l'état de droit. L'Etat se doit d'assumer réellement
ses responsabilités régaliennes.
L'argument qui consiste à dire que faire respecter notre loi aux gens du
voyage est matériellement impossible est inadmissible pour les républicains que
nous sommes. Chaque fois que l'Etat est bafoué, c'est la France que l'on bafoue
!
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je dirai
que toute la crédibilité de ce projet de loi repose sur la volonté de l'Etat de
faire respecter la loi, et uniquement sur cette volonté.
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande de prendre
l'engagement que, dorénavant, le Gouvernement veillera à fournir aux élus, dans
les meilleurs délais, les jugements des tribunaux et les moyens de police ou de
gendarmerie nécessaires pour rendre effective l'application stricte et rapide
tant de la loi que des réglementations communales.
M. Nicolas About.
C'est la vraie question ! C'est tout à fait vrai !
M. Bernard Murat.
Je vous rappelle que, si nous ne réussissons pas l'accueil des populations
nomades au sein de nos communes, c'est la République que nous mettons en
danger. Comme le disait Paul Valéry : « Si l'Etat est fort, il nous écrase.
S'il est faible, nous périssons. »
Monsieur le secrétaire d'Etat, si vous n'avez pas le pouvoir de faire
appliquer cette loi, que je voterai, une fois amendée, comme un moindre mal,
elle ne servira à rien, et votre autorité, comme celle de votre Gouvernement,
sera profondément altérée aux yeux des élus et des Français, que nous
représentons ici ce soir.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
présent projet de loi et le rapport de notre collègue Jean-Paul Delevoye
marquent un progrès dans le traitement d'un problème difficile.
Ne nous cachons pas la réalité : s'il y avait un référendum sur ce sujet, les
positions extrémistes - je le crains - se manifesteraient de façon
extraordinairement forte, surtout dans les régions, départements et communes de
France où les gens du voyage séjournent de plus en plus fréquemment et en
nombre de plus en plus grand.
En effet - je tiens à le préciser, car on ne l'a pas encore dit à cette
tribune - le problème ne se pose pas de façon homogène sur l'ensemble du
territoire. Aussi faudrait-il sans doute prévoir une certaine souplesse dans
les schémas départementaux pour tenir compte, si l'on veut être réaliste, de
cette réelle disparité.
Tout le monde comprend qu'en hiver le séjour pour des gens en caravane soit
plus attractif sur les rives de la Méditerranée que dans d'autres régions de
France. Quelques semaines, en janvier, sur la Côte d'Azur pourquoi pas ?
Représentant ici les Alpes-Maritimes, je constate chaque hiver que le nombre de
caravanes y croît de façon tout à fait extraordinaire. Dans mon village natal,
à Saint-Paul, la population augmente pratiquement de 50 % pendant les quelques
semaines d'hiver où quantité de caravanes viennent s'installer de manière tout
à fait illégale. Toute la vie locale en est perturbée, comme l'ont bien dit les
orateurs précédents.
Ce que l'on a dit aussi, c'est que, bien entendu, il faut des aires d'accueil
correctes et modernes.
Les auteurs du présent projet de loi, constatant que la loi du 31 mai 1990
était inadaptée, et donc inappliquée, ont prévu des mesures sages, tout comme
l'ont fait nos rapporteurs.
On a évoqué, à cette tribune, la liberté, l'égalité, la fraternité. On doit, y
ajouter, en République, l'état de droit et le respect des droits et des
devoirs, notamment le respect des lois, à commencer par celle que nous allons
voter.
Mais peut-être faut-il aussi se demander pour quelles raisons les populations
sont si réticentes. Cela ne tient pas uniquement à la différence des modes de
vie ; la population française, dans son ensemble, est désormais ouverte à la
différence et tolérante.
Par-delà les moyens mis à la disposition des collectivités, qui, je le répète,
doivent être envisagés dans un cadre assez souple, il faut se préoccuper aussi
de l'égalité des devoirs.
Sur le plan fiscal, par exemple, les populations pensent souvent, à tort ou à
raison, que le fisc, si pointilleux vis-à-vis des artisans, des commerçants,
des PME, des travailleurs sédentaires, semble, en ce qui concerne divers impôts
et taxes, y compris ceux qui concernent les signes extérieurs de richesse,
moins pointilleux vis-à-vis des gens du voyage. C'est peut-être faux. Dans
certains cas, c'est peut-être vrai !
Sur le plan social, les populations ont souvent le sentiment que les
prestations sociales ne sont pas aussi facilement données aux personnes
sédentaires qu'aux gens du voyage. Là encore, c'est probablement faux, mais
cela se dit.
En matière de délits et de respect de la propriété et de la législation, bien
des orateurs se sont exprimés ; je n'ajouterai donc pas à ce qui a été dit, et
fort bien dit.
Il m'apparaît nécessaire que les décrets d'application de la loi traitent de
ces points si l'on veut éviter que l'ostracisme, qui croît avec le nombre et
les mouvements, ne se poursuive et ne se développe.
Il est également nécessaire que nous sachions un peu plus précisément combien
de personnes sont concernées et quels sont leurs trajets et leurs modes de
déplacement. Sinon, comment pourra-t-on prendre la mesure de ce phénomène,
puisque les gens du voyage sont par nature mobiles et que leur nombre a
tendance à s'accroître ? Un véritable problème de cohésion sociale risque de se
poser en France. Je crois que cette question concerne toutes les travées de
notre assemblée, elle n'est pas de droite ou de gauche. J'ai entendu tout à
l'heure quelques ricanements quand un intervenant a parlé de « grosses voitures
». Or cela correspond à une réalité, et la population, qu'elle soit de droite
ou de gauche, y est sensible. Il s'agit vraiment d'un problème de fond. En
cette matière, je crois qu'il serait bon que nous disposions d'une forme
d'observatoire, de façon que les gens du voyage puissent être considérés comme
intégrés dans la communauté nationale, même s'ils ne veulent pas adopter les
habitudes liées à la sédentarité.
Notre groupe, compte tenu de l'excellent travail de la commission, votera,
dans sa majorité, ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ces
dernières années, c'est surtout sous l'angle des problèmes répétitifs soulevés
par leur accueil que nos concitoyens ont été confrontés aux gens du voyage. Ces
situations ont suscité beaucoup d'incompréhensions et de peurs ainsi qu'un fort
sentiment de rejet.
Nous connaissons mal cette population très diversifiée et nous avons des
difficultés pour prendre en compte ses besoins.
Aussi est-il important de réaffirmer des principes essentiels : les gens du
voyage en France, dont le nombre est estimé à 300 000 personnes, sont des
citoyens comme les autres. Ils sont à 95 % français. Ces citoyens ont
simplement un mode de vie différent. C'est ce que la République doit prendre en
compte afin d'assurer les conditions de réalisation de ce mode de vie
itinérant.
C'est pourquoi le texte que nous examinons aujourd'hui est fondé avant tout
sur ces principes essentiels de citoyenneté, de droits et de devoirs, et ce
dans le cadre du droit commun. Il vise à répondre non pas à l'ensemble des
questions liées à la vie des gens du voyage mais à la question plus spécifique
du stationnement de ceux qui vivent et de déplacent en caravanes et ne
souhaitent pas se sédentariser.
En qualité de sénateur du Val-de-Marne, j'insisterai sur les situations
spécifiques à la région parisienne et aux grandes agglomérations. Cet été, par
exemple, quatre-vingt-cinq familles se préparaient à s'installer sur le parc
interdépartemental des sports de Choisy afin de rester auprès de leur pasteur,
hospitalisé au centre anticancéreux de Villejuif. Malgré l'intervention
immédiate des forces de police, la situation s'est envenimée. Les gens du
voyage, ne se résignant pas à partir, ont bloqué le noeud routier du carrefour
Pompadour en immobilisant cent cinquante caravanes sur les voies. Toute la
soirée, le secteur a été totalement paralysé : le trafic des bus a été
interrompu, la bretelle de sortie de l'autoroute A 86 fermée. Ce n'est qu'un
exemple, certes assez exceptionnel.
Moins exceptionnels sont les rassemblements familiaux dans les enceintes des
hôpitaux, en cas d'hospitalisation d'un membre de la famille. La solidarité
familiale est très forte chez les gens du voyage, au point que le malade est
veillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tout particulièrement lorsque le
pronostic vital est en jeu. Dans ce cas, c'est l'établissement hospitalier et
son activité normale qui se trouvent déstabilisés par ce rassemblement. Aussi,
faudrait-il pouvoir mettre en place, avec les hôpitaux concernés, un dispositif
satisfaisant pour les deux parties.
Plus régulièrement, ce sont les mêmes quartiers qui sont investis par les
caravanes et, à force, il est difficile de contenir l'exaspération des
habitants. Il est vrai qu'en Ile-de-France 65 communes de plus de 5 000
habitants sur 327, soit moins de 20 %, offrent un terrain aménagé aux gens du
voyage. Dans mon département, seules 11 communes sur 47 ont un terrain, et le
schéma départemental se fait encore attendre. Or, une étude qui a précisément
été réalisée dans la perspective de l'élaboration de ce schéma montre que 250 à
300 caravanes parcourent ordinairement le département, et en particulier le
sud.
Outre les parkings publics et les terrains de sport occupés de manière
récurrente, surtout l'été, les occupations illégales concernent principalement
des zones industrielles ou des centres commerciaux, ce qui ajoute aux problèmes
d'ordre public une gêne non négligeable pour l'activité économique.
Il s'agit, la plupart du temps, non pas de quelques caravanes mais de
regroupements importants, parfois dans l'objectif de faire masse face aux
autorités locales. Cela implique forcément, en cas de procédure d'expulsion,
une intervention en nombre des forces de police, pas toujours mobilisables en
temps voulu. Au final, l'addition est lourde : ramassage des ordures, remise en
état des lieux, frais de justice à répétition. Et les expulsions ne font que
déplacer le problème !
Aujourd'hui, les mesures proposées dans le projet de loi sont de nature à
mettre fin à ce type de situations, précisément parce qu'elles partent du refus
qu'une commune soumise à l'obligation d'accueil des gens du voyage s'en
exonère.
A ce titre, le pouvoir de substitution donné au représentant de l'Etat pour
faire réaliser une aire d'accueil en cas de refus des communes mentionnées par
le schéma départemental est une avancée contre la volonté de certaines communes
de s'affranchir de leur obligation. C'est bien pour cette raison que la
majorité sénatoriale s'empresse de supprimer ce pouvoir de substitution.
Mais accepter cette suppression, c'est revenir à la situation créée par
l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 relative au droit au logement, c'est
accepter de ne pas avancer d'un iota et donc de légiférer pour rien. Il n'y
aura de réglement du problème du stationnement que si un maximum d'aires
d'accueil sont réalisées en un minimum de temps car, en fin de compte, c'est
bien la pénurie actuelle qui est la cause des blocages et des tensions.
Personnellement, j'aurais même tendance à juger cette avancée insuffisante. Il
ne faudrait pas qu'une commune ou qu'un EPCI, une fois l'aire d'accueil
construite, s'en lave les mains en toute légalité et impunité. Certes, on
rétorquera qu'il y a tout un volet financier subordonné à la gestion de l'aire.
C'est exact ; mais certains préféreront renoncer à ces aides et laisser l'aire
de stationnement se dégrader, et ainsi s'exonérer dans les faits de leur
obligation d'accueil.
C'est pourquoi je suis très attaché à l'amendement du groupe socialiste qui
vise à instaurer un contrôle bisannuel des aires par le préfet et la
possibilité pour le représentant de l'Etat de se substituer à la commune ou à
l'EPCI défaillant pour réaliser les travaux d'entretien.
M. Alain Gournac.
Et l'Etat paie !
M. Serge Lagauche.
Nous ne pourrons être légitimement sévères en cas d'infractions que si
nous-mêmes, élus locaux, respectons les obligations qui nous incombent !
Par ailleurs, il ne faut pas non plus, comme cela a été trop souvent le cas
jusqu'à maintenant, traiter la question du stationnement des gens du voyage
sous le seul angle de l'ordre public, car une telle approche conduit à
réaliser, sans concertation, des aires mal situées et mal adaptées au mode de
vie des gens du voyage. Le dialogue doit se développer, même s'il est parfois
malaisé de trouver des interlocuteurs représentatifs.
Le présent projet de loi nous y invite. En outre, la nomination du président
de la commission nationale consultative des gens du voyage parue aujourd'hui au
Journal officiel
va dans le bon sens. Il est essentiel que cette
commission, soit réactivée, pour mieux prendre en compte les besoins des
populations itinérantes.
De même, les aires d'accueil ne doivent pas constituer des zones de
relégation, où les gens vivraient comme dans un ghetto, repliés sur eux-mêmes.
Nous devons, au contraire, encourager autant que possible la socialisation.
Il faudrait pouvoir apporter des réponses diversifiées selon les besoins, en
termes d'accompagnement social s'il est nécessaire, d'accès à l'éducation et à
la formation, car ce sont là les droits de tout citoyen.
Veillons donc à ne pas ériger des « camps pour nomades » à l'écart de la
ville, mais des lieux d'habitat intégrés à la ville, afin de faciliter le
dialogue et les relations de bon voisinage avec les autres habitants, même si,
dans un premier temps, la démarche peut paraître difficile.
Pour l'entreprendre, il faut une volonté politique forte. Ce n'est qu'au prix
de cette volonté politique forte que nous parviendrons à faire évoluer les
mentalités, tomber les préjugés et éliminer les comportements de rejet à
l'égard des gens du voyage.
(Applaudissements sur les travées socialistes et
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
après avoir salué les excellents rapports de nos collègues Jean-Paul Delevoye
et Pierre Hérisson, je ne ferai que quelques brèves observations puisque
beaucoup de nos collègues se sont déjà exprimés.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous avons déjà eu ce débat ici même et nous
avions posé un certain nombre de principes en adoptant une proposition de loi.
Mais vous aviez estimé qu'il fallait approfondir la réflexion avant de
présenter un projet d'ensemble. Il est heureux, que vous soyez à nouveau au
banc du Gouvernement puisque c'est sur votre initiative qu'avait été votée la
loi de 1990, ce qui prouve qu'au bout de dix ans il faut savoir revisiter les
lois, qui n'ont pas toujours l'efficacité qu'on en attend sur l'instant.
Cette loi a eu d'autant moins d'efficacité que, lorsque les maires l'ont
respectée, ils en ont souvent été marris, puisque, bien qu'offrant des aires de
stationnement, leurs communes sont néanmoins envahies par de nombreuses
caravanes. Bien souvent, les aires sont détruites et abîmées. De plus, certains
groupes disent que ces aires ne leur conviennent pas et qu'ils préféreraient
s'installer ailleurs, comme le disait M. Lagauche, dans le centre des villes
notamment, ce qui ne peut manquer de poser certains problèmes.
Dans certains départements, cela prend des proportions considérables, ce sont
non pas seulement les communes qui sont touchées mais tout le tissu économique.
Combien de parkings d'entreprises et même maintenant de friches agricoles sont
occupés dans nos départements ? Sans parler des réunions de maires, il n'y a
pas une seule réunion d'agriculteurs ou de chefs d'entreprise dans mon
département où ceux-ci ne nous font part de leurs vives protestations et nous
disent : « Au nom de quoi supportons-nous ce qui devrait revenir à d'autres ?
»
C'est vrai.
Imaginez un peu l'embarras d'une entreprise de haute technologie, comme nous
en comptons heureusement dans les villes nouvelles de Marne-la-Vallée et de
Sénart, qui offre à la vue des visiteurs ou des clients qu'elle accueille son
parking envahi de caravanes ! Il n'y a pas de solution puisqu'il est très
difficile de mettre en oeuvre des procédures d'expulsion sur des terrains
privés.
En outre, et c'est toute la difficulté de la tâche, nous naviguons entre deux
écueils : on dénombre actuellement 10 000 places d'accueil, dont 5 000
réglementaires, alors que, selon les estimations, il en faudrait 30 000 pour
résoudre le problème au moins, en partie. Nous ne parvenons pas à contourner
cette difficulté.
Il faut certainement aménager des aires plus vastes que celles qui sont
prévues au niveau de la commune : fixer un seuil de 5 000 habitants n'a pas
grand sens ; il faudrait disposer d'aires définies à partir de périmètres
beaucoup plus larges que celui de la commune.
Si je crois à la responsabilité du département dans ce domaine, en étroite
collaboration avec l'administration de l'Etat, je ne crois pas du tout,
monsieur le secrétaire d'Etat, que nous aboutirions à des solutions heureuses -
d'ailleurs, il faudrait voir si c'est possible, et dans quelles conditions de
conflit cela se passerait - si le préfet devait imposer, en définitive,
l'implantation d'aires de stationnement. Un certain nombre de schémas
départementaux ont déjà été élaborés ; il faut inciter vivement les
collectivités et faire en sorte que le département soit parfaitement
associé.
Il n'en demeure pas moins que les charges ne sont pas égales entre les
départements.
Par ailleurs, j'ai parfois l'impression que nous ne connaissons pas bien le
monde des gens du voyage, son évolution. Celle des mentalités est évidente.
La formation, la scolarisation passent obligatoirement par la sédentarisation.
Il faut procéder par étapes, mais il ne sera pas possible de faire progresser
ces populations dans tous les domaines si nous ne facilitons pas leur
sédentarisation.
Cela ne signifie pas pour autant qu'il faut, du jour au lendemain, installer
les gens du voyage dans des tours ou des immeubles collectifs. D'ailleurs,
personne n'y vit très bien, nous l'avons bien vu, notamment dans les quartiers
difficiles. La sédentarisation, qui s'est développée plus rapidement dans
beaucoup d'autres pays, devrait être une voie à privilégier.
Reste un problème que ce projet de loi a évacué mais sur lequel la proposition
de loi du Sénat avait mis l'accent : je veux parler des grands rassemblements,
qui posent un réel problème. A mon avis, cette question relève de la
responsabilité de l'Etat. Peut-être pourrait-on aménager les camps militaires,
ou les terrains dont l'armée ne veut plus pour permettre aux gens du voyage, à
l'occasion de ces grands rassemblements, de stationner pendant quelques jours.
Il est dommage, monsieur le secrétaire d'Etat, que le projet de loi n'ait pas
repris les dispositions prévues par la commission des lois et par le Sénat. Il
faut résoudre la question.
Par ailleurs, et beaucoup l'ont dit, on a de plus en plus l'impression qu'il
n'y a plus d'interlocuteur. C'est d'ailleurs une évolution de notre société qui
n'est pas propre aux gens du voyage.
L'autorité, notamment celle du chef de famille, n'est plus guère respectée.
Certaines affaires judiciaires nous prouvent aussi, hélas ! que certains camps
ou certains rassemblements sont l'occasion d'actes de grande criminalité et de
grande délinquance. Voilà quelques mois, un remarquable reportage réalisé dans
le Sud-Ouest sur le travail effectué par la section de recherche de la
gendarmerie à Bordeaux avait démontré qu'il y avait du grand banditisme.
Il faut veiller à ce que ne se développent pas des zones de non-droit dans des
camps ou des lieux de rassemblement. Nous savons bien que de telles zones
existent dans de grandes cités, même si je n'en nommerai aucune ; ce serait
injuste !
On peut, bien entendu, accroître les moyens juridiques. En l'occurrence, ils
existent. Le recours au référé est possible. Mais on peut l'améliorer.
Le problème, c'est l'application de la loi. Bien souvent, les décisions de
justice ne sont pas appliquées. C'est un vrai problème de notre société.
Ce n'est pas le secrétaire d'Etat chargé du logement qui pourra y remédier,
mais il pourra au moins répercuter au Gouvernement notre souhait que les
mesures de contrainte soient plus efficaces.
Selon moi, on ne peut pas retirer, partout et à tout moment, aux gens du
voyage le droit d'aller et venir et de séjourner. Mais il faut que l'ensemble
des collectivités et, avant tout, la nation prennent en compte les besoins.
Le projet de loi tel que les commissions proposent de l'amender correspond
bien à nos préoccupations. Je ne suis cependant pas certain qu'il donne
totalement satisfaction, notamment aux élus locaux. Il faudrait que nous ayons
le courage de poser les vrais problèmes et d'envisager l'évolution de ces
populations, qui sont aussi respectables que d'autres.
(Applaudissements sur
les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il
n'est pas de sujet plus passionnel et controversé que l'accueil des gens du
voyage. Il est à l'origine de multiples difficultés pour les maires, qui sont
tiraillés entre leur obligation d'accueil, leur mission de contrôle du respect
par les nomades de la réglementation et, enfin, la pression de leurs
administrés.
Après un premier essai de règlement de cette question peu concluant - c'était
il y a dix ans, au détour d'un article de sa loi relative au droit au logement
- M. Besson, de nouveau au Gouvernement, récidive au travers d'un projet de
loi, cette fois spécifique.
Malgré ces dix ans de réflexion, force est de constater, monsieur le
secrétaire d'Etat, que votre projet de loi est décevant. Il n'aborde en effet
que certains aspects d'une question aux facettes multiples.
Ainsi ne traitez-vous que du stationnement des gens du voyage, alors que les
aspects économique et social du problème et, plus généralement, la question de
l'intégration des nomades dans une société majoritairement composée de
sédentaires sont tout aussi importants. Seul l'article 6 y fait référence, en
se contentant de faire relever les interventions sociales de conventions
départementales alors qu'elles relèvent bien souvent de la responsabilité de
l'Etat.
Je traiterai de l'intégration économique, tout d'abord.
Il faut reconnaître que les mutations économiques récentes ont touché de plein
fouet ces populations. Une partie de leurs activités traditionnelles, comme la
cueillette des agrumes ou les vendanges, ont pratiquement disparu du fait de la
mécanisation. Les gens du voyage ont également souffert d'une réglementation de
plus en plus restrictive du commerce ambulant.
Ces personnes sont fragilisées et, bien souvent à contre coeur, elles doivent
se sédentariser. Elles perdent ainsi leurs repères culturels.
Elles doivent par ailleurs avoir recours aux secours publics : plus de 20 %
d'entre elles seraient allocataires du RMI.
En outre, même si les vertus de l'école républicaine en matière d'intégration
économique et sociale ne sont plus à démontrer, force est de constater que, sur
ce point encore, des progrès restent à accomplir : en effet, seuls 50 % à 60 %
de la population tzigane en âge scolaire fréquentent l'école.
Le troisième facteur d'intégration et de citoyenneté, c'est le respect par
chacun de ses droits et de ses devoirs. Là encore, beaucoup reste à accomplir
pour permettre à ces populations d'exercer leurs droits, mais aussi d'assumer
leurs devoirs envers la société en appliquant les lois et en contribuant aux
charges publiques par l'impôt.
C'est cette question de l'intégration dans son ensemble qui doit être réglée,
sous peine de voir se poursuivre les conflits et les actes délictueux.
Il est regrettable que vous n'ayez pas saisi l'occasion de ce projet de loi
spécifique aux gens du voyage pour faire progresser l'un ou l'autre de ces
dossiers.
Par ailleurs, même en ce qui concerne son objet unique, le stationnement,
votre texte se révèle décevant.
L'article 28 de la loi de 1990 avait été adopté dans la précipitation, sans
évaluation chiffrée et sans connaissance des besoins des populations
concernées. Dix ans après son adoption, les problèmes de suroccupation et de
stationnement sauvage ne sont toujours pas réglés. Il est donc regrettable que
le projet se contente de reprendre l'esprit de la loi de 1990, sans
véritablement tenir compte des données du rapport Delamon.
Savez-vous qu'aujourd'hui 40 à 50 % des gens du voyage sont sédentarisés, que
20 à 35 % d'entre eux voyagent dans une zone restreinte - département ou région
- et que 25 à 35 % d'entre eux sont de grands voyageurs, ces catégories étant
perméables ?
Par ailleurs, l'excellent rapport rédigé par notre collègue Jean-Paul Delevoye
en 1997 souligne la tendance à la concentration plus forte dans les zones
urbanisées en période hivernale, tendance qui se heurte à la raréfaction des
terrains disponibles du fait de l'urbanisation accrue.
Au regard de ces données, le présent projet de loi présente de nombreuses
lacunes.
Le seuil de 5 000 habitants, par exemple, est tout à fait inadapté. Il revient
à appliquer une règle uniforme à l'ensemble du territoire alors que les besoins
varient d'un département à l'autre et se concentrent sur certaines zones en
fonction des trajectoires de migration. La suppression de ce seuil, comme le
propose notre commission, me semble relever du bon sens.
Par ailleurs, si les schémas départementaux doivent être maintenus et
coordonnés au niveau régional, comme le propose le texte, il convient également
d'intervenir à d'autres échelons, qu'ils soient intercommunal, national, ou
même communautaire.
Comme le propose notre collègue M. Jean-Paul Delevoye, il convient d'ores et
déjà d'établir un schéma national afin d'organiser l'accueil des gens du voyage
lors des grandes migrations saisonnières, manifestations qui nécessitent une
logistique hors normes.
De plus, au sein de chaque département, plutôt que de prévoir une obligation
pour les communes de plus de 5 000 habitants, il serait plus efficace et plus
judicieux de valoriser la coopération intercommunale.
J'y vois deux avantages. Tout d'abord, seule l'intercommunalité permettra
d'assurer un bon équilibre entre la taille des aires d'accueil et la densité de
la population locale. Ensuite, l'intercommunalité étant à mi-chemin entre le
pouvoir central et les communes, elle permettra à ces dernières, de par son
caractère administratif et non politique, de prendre du recul par rapport à la
pression constante exercée sur les maires par les administrés.
Enfin, il est à mon sens urgent que l'Etat s'implique dans la planification
des migrations tant à l'échelon national que, aussi et surtout, au niveau
communautaire. J'insiste sur ce point car un rapport de la Cour européenne des
droits de l'homme rédigé en 1995 suscite l'inquiétude et mérite de faire
l'objet d'une vigilance particulière.
Ce rapport conclut en effet qu'au nom du droit à la différence et à la
protection des minorités, le droit pour les gens du voyage de vivre dans leur
caravane sans respecter la réglementation d'urbanisme visant à protéger les
sites doit prévaloir. Cette position, adoptée par certains juges, est
discutable dans la mesure où la création d'un droit discriminatoire au profit
des nomades serait en conflit avec le droit des communes de défendre leur
espace naturel par le biais des plans d'occupation des sols.
Il apparaît nécessaire, au vu de ces éléments, que l'Etat s'implique davantage
et qu'il ne se contente pas d'imposer aux communes de régler la question de
l'accueil des gens du voyage. Chacun doit assumer ses responsabilités.
J'en viens maintenant au volet répressif de ce texte.
Malgré des avancées notables, il gagnerait à être enrichi de dispositions
supplémentaires pour être plus efficace. En effet, si la concertation s'impose
en amont, il est important qu'en aval les mesures soient prises pour faire
respecter les décisions adoptées. L'un ne va pas sans l'autre.
Si les mesures visant au renforcement de la procédure d'expulsion constituent
un progrès, il n'en demeure pas moins que, bien souvent, le problème réside non
pas dans le contenu de la procédure mais dans son application. D'un côté, les
préfets se montrent parfois réticents à faire usage de la force publique pour
faire exécuter les décisions du juge, de l'autre côté, les juges refusent
souvent de prononcer une ordonnance d'expulsion.
Rappelons par ailleurs que la procédure d'expulsion a un coût important pour
les communes, coût qui n'est pas pris en compte. Chaque référé coûte en effet
environ 6 000 francs. Ainsi, la ville de Strasbourg, qui, de 1994 à 1997, a
engagé de multiples procédures d'expulsion pour stationnement illicite, a dû
dépenser à ce titre 2,5 millions de francs, auxquels s'ajoutent près de 5
millions de francs de réparation de dégâts.
Ce coût n'est malheureusement pas évoqué par le présent projet de loi, qui
prévoit pourtant un renforcement de l'aide financière aux collectivités.
J'ajoute qu'en ce qui concerne les dégradations la proposition de notre
collègue Marie-Jo Zimmermann mériterait toute notre attention. Elle prévoit
que, dans les communes ayant rempli leurs obligations en matière de création
d'aires d'accueil et qui se voient contraintes de remettre en état des
équipements ou des terrains publics dégradés par des gens du voyage, le maire
ait la possibilité de mettre sous séquestre les véhicules des nomades concernés
jusqu'à ce qu'ils aient remboursé ces frais. Il en va de même pour les frais de
fonctionnement.
Il est important que les maires soient dotés des moyens nécessaires pour
répondre aux attentes très fortes de leurs administrés quant au respect de la
réglementation. Ce n'est en effet ni au juge ni au préfet qu'ils s'adressent en
cas de problème - et il y a problème ! - mais à leur maire, qui est souvent
bien impuissant.
Telles sont les remarques que je souhaiterais formuler à l'égard de ce texte
malheureusement en demi-teinte.
C'est pourquoi je me rallierai aux corrections et aux enrichissements proposés
par notre rapporteur, dont je tiens à saluer l'excellent travail.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à
l'occasion de l'examen du présent projet de loi, je voudrais me faire l'écho
des interrogations et même des inquiétudes des maires et des citoyens.
L'objet de ce texte est assurément la mise en pratique d'un droit à l'accueil
des gens du voyage, droit lié à celui du logement, qui est un droit essentiel.
Certes, il est évident que beaucoup de nos concitoyens éprouvent quelque
réticence à cohabiter avec des populations dont le style de vie est très
différent du leur. Cependant, cette liberté de choisir, en l'occurrence une vie
sédentaire, semi-sédentaire ou nomade, est un principe républicain.
On peut vous suivre, monsieur le secrétaire d'Etat, dans votre souci d'une
plus grande égalité de droits. En effet, ce texte pallie certaines carences. Au
regard du manque de structures - comme nous l'avons constaté, moins du quart
des besoins sont couverts à ce jour - obligation est faite aux communes de plus
de 5 000 habitants de créer des aires d'accueil. Les gens du voyage doivent
avoir la possibilité de trouver une aire de résidence. En conséquence, on peut
comprendre cette obligation faite aux communes de créer des aires d'accueil,
mais je nuancerai ma position.
Le présent projet de loi durcit la loi de 1990 en rendant obligatoire la
création d'aires d'accueil. Cette obligation risque de susciter des réactions
fortes chez les maires. Pour modérer ces réactions, vous devriez faire plus
grand cas, monsieur le secrétaire d'Etat, de la volonté des élus, qui ne sont
que consultés pour avis.
Si je ne m'élève pas contre cette obligation, je m'interroge en revanche sur
deux points : d'une part, sur l'équilibre entre les nouvelles obligations
imposées aux communes et les nouveaux pouvoirs accordés au maire, d'autre part,
sur l'équilibre entre ce droit à l'accueil pour les gens du voyage et le
respect des devoirs imposés à l'ensemble des citoyens.
Pour les communes de plus de 5 000 habitants ayant rempli leurs obligations
d'accueil ou celles de moins de 5 000 habitants qui choisissent de créer une
aire d'accueil, si les maires pourront désormais interdire le stationnement sur
le reste de leur commune, ils doivent aussi pouvoir effectivement faire évacuer
les contrevenants en saisissant directement le tribunal de grande instance et
leur faire payer une astreinte journalière. J'insiste sur ce point, car il leur
est très difficile aujourd'hui de faire appliquer la loi, nombre de mes
collègues l'ont souligné.
Votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, fixe des délais très
précis pour que les communes remplissent leurs obligations. Quels moyens
prendrez-vous pour garantir l'application stricte des procédures d'évacuation ?
Quelles contreparties garantissez-vous aux maires ? Pour choisir un exemple, un
délai impératif d'obtention du référé, par exemple de 24 heures, serait
efficace.
Je le répète, monsieur le secrétaire d'Etat, face aux nouvelles obligations
qui leur incombent, les maires doivent être rassurés sur les moyens réels qui
seront mis en oeuvre pour permettre l'application de la loi lorsqu'ils feront
appel à la gendarmerie et à la justice.
Pour les communes de moins de 5 000 habitants, tenues d'accepter le
stationnement des gens du voyage pendant 48 heures sans être obligées de créer
des aires de stationnement, la commission des affaires économiques propose que
l'obligation de création s'applique également aux communautés de communes de
plus de 5 000 habitants dont aucune des communes n'a une population supérieure
à ce chiffre.
Cette proposition ne me paraît pas appropriée à l'heure où les maires des
petites communes ont parfois bien du mal à accepter une intercommunalité
pourtant souvent fondée sur des projets qui leur sont familiers, car testés
dans des syndicats intercommunaux. Il n'est pas acceptable en effet qu'une
petite commune d'une ou de quelques centaines d'habitants puisse se voir
imposer une aire d'accueil dans le cadre de l'intercommunalité. Aujourd'hui,
malgré les fortes incitations fiscales, seules 136 communautés de communes se
sont créées depuis la loi du 12 juillet dernier. Ne freinons pas ces créations
de communautés de communes en inscrivant dans cette loi de nouvelles
contraintes !
Je voudrais insister sur le nécessaire équilibre numérique entre la population
communale et la population accueillie sur les aires. Le nombre de places en
aire d'accueil pourrait très utilement être défini en pourcentage de la
population de la commune. Monsieur le secrétaire d'Etat, que pensez-vous de
cette proposition, qui me semble s'appuyer sur le bon sens ? Etes-vous prêt à
la faire appliquer par les préfets dans les schémas départementaux ?
Le deuxième point concerne les obligations des citoyens. La quasi-totalité des
220 000 à 250 000 personnes entrant dans la catégorie des gens du voyage est de
nationalité française. Ce texte permet la concrétisation d'un droit à
l'accueil. Souligne-t-il l'obligation des devoirs ? Je n'en suis pas
certain.
Pour que la cohabitation se déroule bien avec les habitants sédentaires des
communes, il est pourtant essentiel que les gens du voyage, comme l'ensemble
des citoyens, remplissent également leurs devoirs. Je souhaite rappeler, de
manière sans doute trop rapide mais pragmatique, les deux faces de la
citoyenneté avec, d'un côté, les droits, par exemple des droits sociaux comme
le RMI, l'assurance maladie, les allocations familiale et, de l'autre côté, les
devoirs, par exemple, l'impôt et la scolarisation des enfants.
En ce qui concerne l'impôt, le fossé entre le niveau de vie réel, évalué par
des signes extérieurs de richesse, même si l'expression n'est pas vraiment
appropriée, et le niveau de vie légal, déclaré à l'administration fiscale, est
flagrant. Ainsi, de nombreux collègues l'ont rappelé, la profession de
rempailleur de chaises et le statut de RMIstes ne semblent pas compatibles avec
la possession de voitures de forte cylindrée et de caravanes spacieuses et
équipées des dernières innovations. Cela exaspère les habitants des communes
qui, pour leur part, ont du mal à payer les mensualités de remboursement de
leurs modestes logement ou véhicule et doivent bien sûr s'acquitter de leurs
impôts. Ces situations engendrent un sentiment d'injustice.
Pour ce qui est de l'obligation de scolarisation, qui, en théorie, conditionne
le versement des allocations familiales, il est évident que des formes adaptées
d'enseignement doivent être mises en oeuvre pour que ces enfants puissent être
scolarisés de manière permanente. A ce jour, la moitié des enfants de gens du
voyage n'est pas du tout scolarisée ! Certes, l'accroissement du nombre d'aires
d'accueil permettra également de faciliter la scolarisation, comme l'indique le
projet de loi, mais la subordination réelle des allocations à la scolarisation
me semble parfaitement efficace, pour peu qu'elle soit mise en application.
Ce projet de loi répond à une situation d'urgence - la nécessité de créer des
aires d'accueil -, mais ne permet pas de faire entrer les gens du voyage dans
une logique globale de responsabilité qui permettrait à la population
sédentaire de mieux les accepter. L'objectif final est bien de définir un
savoir-vivre ensemble sur un territoire partagé. Ce ne sera possible qu'avec
l'observation de règles communes et des principes de la République.
Membre du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, je voterai
ce texte amendé, sous réserve qu'il garantisse un équilibre entre les devoirs
et les droits respectifs des communes et des gens du voyage.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce
projet de loi était attendu depuis longtemps par tous les élus locaux et par
tous les acteurs de terrain, régulièrement confrontés aux problèmes posés dans
de nombreuses communes par le stationnement illicite des gens du voyage.
A ce titre, comme beaucoup d'entre nous, je regrette que la proposition de loi
qui faisait suite à des initiatives de nos collègues Philippe Marini et Louis
Souvet et qui a été votée le 6 novembre 1997 par la Haute Assemblée n'ait pas
fait l'objet d'une discussion à l'Assemblée nationale. Nous aurions ainsi évité
de perdre un temps précieux, deux ans, ce qui est considérable quand il s'agit
de problèmes qui nuisent presque quotidiennement à la qualité de vie et à la
tranquillité de nos concitoyens.
Ce texte était donc très attendu, dans la mesure où il devait apporter des
réponses adéquates et satisfaisantes à ces problèmes. Mais je fais partie de
ceux qui restent persuadés que ce n'était pas d'une énième loi que nous avions
besoin, car l'arsenal législatif et réglementaire existant était suffisant, si
toutefois il était appliqué, ce qui n'est manifestement pas le cas, comme l'ont
rappelé tous les intervenants, faute d'une volonté politique suffisante au
niveau de l'Etat.
Cela dit, et puisque nous devons néanmoins nous prononcer sur le projet de loi
qui nous est soumis, je considère pour ma part que le texte adopté par
l'Assemblée nationale, s'il comporte quelques dispositions intéressantes, pèche
cependant par son absence de réalisme quant à l'analyse des problèmes posés par
les déplacements et le stationnement des gens du voyage et par son absence
d'efficacité quant aux solutions qu'il envisage pour résoudre ces problèmes.
Grâce à l'excellent travail de nos rapporteurs, nos éminents collègues
Jean-Paul Delevoye et Pierre Hérisson
(M. Jean Chérioux applaudit),
notre Haute Assemblée sera heureusement en mesure de corriger la plupart
des imperfections de ce texte.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous m'objecterez que nombre des problèmes liés
au mode de vie et à l'habitat des gens du voyage proviennent de l'actuelle
absence d'aires de stationnement adaptées, ce que le présent texte doit
contribuer à corriger. Je n'en disconviens pas totalement, encore que je sois
persuadé que les gens du voyage, par habitude, par goût de leur indépendance et
aussi, parfois, par facilité, continueront à stationner là où ils le
souhaitent, sans toujours se préoccuper de ces aires de stationnement.
M. François Trucy.
Tout à fait !
M. Dominique Braye.
Mais surtout, si je me réfère à ma propre expérience de maire et à celle de
nombreux maires des Yvelines, dont je suis le représentant, je constate que les
problèmes récurrents que nous subissons du fait des gens du voyage relèvent de
toute une série de dysfonctionnements que le présent texte n'aborde que peu ou
pas du tout. Les élus locaux se rendent compte que ces dysfonctionnements sont
graves et souvent sans solution. En voici quelques-uns, et cette liste est loin
d'être exhaustive.
Problème de stationnement illicite sur la voie publique, sur les parkings et
les terrains communaux ou privés, et même dans les zones d'activité économique
ou commerciale importantes, je pense à la ville nouvelle de
Saint-Quentin-en-Yvelines et plus particulièrement aux communes de Coignières,
Maurepas et Elancourt, où de telles situations créent des tensions très fortes,
qui sont bien connues de notre collègue Gérard Larcher.
Problème de stationnement anarchique, souvent en surnombre évident par rapport
à la taille des communes, comme à Bazoches-sur-Guyonne, pour ne prendre que ce
seul exemple, tranquille petite commune rurale de 423 habitants sur le
territoire de laquelle 800 personnes réparties dans 200 caravanes viennent
régulièrement s'installer illicitement. Je vous laisse imaginer la cohabitation
paisible qui s'instaure ainsi chaque année !
Problèmes récurrents de tension avec les habitants des communes concernées,
problèmes d'hygiène et de salubrité publique, problèmes de sécurité
publique.
Problème de non-scolarisation des enfants, donc de refus d'une véritable
intégration à notre communauté nationale.
Problème de la sédentarisation partielle, avec des constructions illicites en
zones inconstructibles, avec agrandissement et solidification progressive des
constructions, sans permis de construire évidemment. Allez ensuite, quand vous
êtes maire, expliquer à l'un de vos administrés que le permis de construire de
sa véranda lui est refusé pour quelques centimètres en trop, alors que les gens
du voyage construisent ce qu'ils veulent et où ils le veulent en toute
impunité, la jurisprudence consacrant parfois la supériorité du droit au
logement sur le respect du plan d'occupation des sols...
Problème du coût pour les petites communes des référés afin de faire cesser un
stationnement interdit ou une construction illicite : démarches longues,
multiples et coûteuses pour aboutir à des décisions judiciaires qui ne sont
pratiquement jamais appliquées.
Problème des branchements sauvages sur les bouches d'incendie pour l'eau et
sur les lignes d'EDF ou sur l'éclairage public pour l'électricité, ce qui
entraîne un coût pour la commune et donc pour les contribuables, sans, bien
sûr, aucune contrepartie.
Problème du non-contrôle fiscal des revenus des gens du voyage, dont il est
permis de s'étonner - je le fais comme tous mes collègues - eu égard à leur
mode de vie et à leurs activités déclarées, qu'ils leur permettent de s'acheter
des voitures de grosse cylindrée et des caravanes grand luxe du dernier cri,
tout en percevant, paradoxalement, le RMI.
Problème plus grave encore, celui de certains camps, notamment celui, bien
connu dans notre département, du plateau de Verneuil-Vernouillet, qui sont de
véritables viviers de la très grande délinquance et qui mobilisent
manifestement une grande partie de nos services de gendarmerie.
Voilà un constat non exhausif de ces graves dysfonctionnements. A notre époque
où, je le sais, il est de bon ton d'utiliser un langage « politiquement correct
», j'ai bien conscience que toutes les vérités ne sont pas toujours bonnes à
dire. Néanmoins, je crois que toutes ces vérités doivent être entendues, car
elles sont connues de tous nos administrés.
Il ne sert à rien de se voiler la face. Nos concitoyens attendent de nous le
langage de la vérité et ils veulent des solutions concrètes des problèmes
concrets.
Or, à mon sens, ce projet de loi mésestime une fois de plus, dans son esprit
et dans sa lettre, ces réalités et les solutions qu'il préconise sont
insuffisantes et inadaptées.
Monsieur le secrétaire d'Etat, faire appliquer les lois et les réglementations
déjà existantes aurait été un préalable nécessaire et bienvenu à l'adoption de
ce nouveau texte. Il convient de le souligner une nouvelle fois, la question
des gens du voyage relève avant tout de la compétence de l'Etat, qui ne doit
pas se défausser une fois de plus de ses responsabilités sur les collectivités
locales, qui ne peuvent faire face seules à ce genre de problème.
Que se passe-t-il lorsque l'Etat n'est pas en mesure de faire respecter les
lois, comme dans ce cas-là ?
Tout d'abord, les citoyens et les élus se retrouvent seuls et dénués de moyens
de défense face à des exactions accomplies sans crainte d'aucune sanction, d'où
leur sentiment d'isolement, de découragement et d'impuissance.
Ensuite, les gens du voyage sont évidemment marginalisés et rejetés par une
grande majorité de nos concitoyens.
Enfin, cela entraîne
de facto
la création plus ou moins provisoire de
véritables zones de non-droit, qui sont le pendant rural et péri-urbain des
zones de non-droit de certains de nos quartiers urbains sensibles, et tout
cela, monsieur le secrétaire d'Etat, simplement parce que l'Etat se refuse à
faire appliquer les lois de la République !
M. Daniel Goulet.
Très bien !
M. Dominique Braye.
Nous ne saurions évidemment, nous, législateurs, cautionner cet état de fait
et ce laxisme. C'est donc sans illusion excessive quant à son efficacité à
résoudre les problèmes posés par les gens du voyage que je soutiendrai ses
amendements présentés par nos rapporteurs, qui améliorent sensiblement un texte
qui se caractérisait par de bonnes intentions de principe, mais aussi par un
angélisme peu pragmatique.
L'enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions. Car une bonne intention ne
devient une bonne action que si on se donne les moyens de la mettre en oeuvre.
Notre République suppose un équilibre égal entre droits et devoirs pour tous
nos concitoyens. Or les gens du voyage, prompts à réclamer le bénéfice de leurs
droits, voire l'exercice de droits spécifiques, oublient systématiquement la
contrepartie que constituent leurs devoirs de citoyens. Prenez donc garde,
monsieur le secrétaire d'Etat, de ne pas oublier que le respect de l'état de
droit est le premier pilier de notre République.
Nous pouvons, mes chers collègues, amender et voter toutes les lois que nous
soumettra le Gouvernement, mais il est bien plus important de lui rappeler que
l'Etat doit prendre ses responsabilité, rien que ses responsabilités, mais
toutes ses responsabilités.
Nous verrons rapidement ce qu'il en sera de l'application de cette nouvelle
loi. Je ne vous fais pas de procès d'intention, monsieur le secrétaire d'Etat,
mais je souhaite néanmoins prendre date avec vous, sans préciser le temps qu'il
faut, pour constater ensemble si cette nouvelle législation est réellement
appliquée et si force reste enfin à la loi dans notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard.
M. Alain Gérard.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
comme l'ont souligné les collègues qui m'ont précédé, le projet de loi que vous
nous présentez aujourd'hui est très attendu par tous les maires de France. Pour
cette raison, je remercie le Gouvernement de l'avoir inscrit à l'ordre du jour
de notre assemblée.
Le texte qui nous est proposé reprend les dispositions existantes issues de la
loi du 31 mai 1990, relative à la mise en oeuvre du droit au logement. Il a
pour objet d'assurer une offre plus importante en aires d'accueil et de
stationnement pour les quelque 30 000 caravanes qui souhaitent trouver des
emplacements adaptés lors de leurs déplacements.
Il précise, notamment, les conditions de définition et d'adoption du schéma
départemental prévu par la loi de 1990, les rôles respectifs du représentant de
l'Etat dans le département et du président du conseil général, les obligations
incombant aux communes inscrites au schéma, ainsi que les aides susceptibles
d'être apportées par l'Etat.
Il faut le dire : ce texte apporte quelques améliorations sensibles aux
procédures permettant aux communes et à leurs groupements de saisir le
président du tribunal de grande instance et de recourir au juge des référés en
cas de stationnement illicite en dehors des aires d'accueil.
Pour autant, le texte que vous nous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat,
présente, à mes yeux, des insuffisances. En effet, essentiellement centré sur
l'accueil des gens du voyage lors de leur déplacements habituels, il ne traite
pas, ou très incomplètement, la question des déplacements massifs
occasionnels.
De plus, si votre texte cherche à mieux définir les obligations respectives
des communes, dont le rôle, j'en conviens parfaitement, est l'accueil, s'il
définit également les obligations de l'Etat, qui doit faire respecter la loi et
l'ordre public, il me semblerait fort souhaitable qu'il définisse également des
devoirs qui, selon toute logique, devraient incomber aux gens du voyage.
Il me semble qu'au droit légitime de ces personnes à choisir le mode de vie
qu'ils souhaitent devrait être associé le devoir qu'ils devraient assumer de
respecter les règles collectives. Or, je n'ai rien vu dans votre texte qui
fasse référence à cet équilibre qu'il me paraît souhaitable d'instituer entre
les droits mais aussi les devoirs des gens du voyage. En un mot, pour employer
une formule qui semble malheureusement d'une autre époque : pouvons-nous faire
en sorte que ces populations adoptent un comportement citoyen ?
A ce propos, permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, d'apporter le
témoignage d'une commune de 773 habitants située sur le littoral nord du
Finistère. Cette commune, Tréflez, possède sur son territoire le site naturel
inscrit de Keremma, de 184 hectares, et compte parmi les plus importants sites
naturels placés sous la protection du Conservatoire du littoral et des rivages
lacustres.
Au cours de l'été 1999, les dunes de Keremma ont subi une agression
particulièrement violente avec l'arrivée totalement inopinée de plusieurs
centaines de caravanes appartenant à des communautés tziganes. En moins de
quatre heures, ce sont plus de 3 000 personnes et 500 caravanes qui se sont
installées sur dix hectares de dunes sablonneuses, en bord de mer, sur un
terrain appartenant au Conservatoire du littoral et strictement interdit à
toute forme de camping. Le siège, si je puis employer ce terme, a duré du 11 au
19 juillet. Je vous épargnerai une énumération fastidieuse des dégâts
constatés. Je dresserai juste quelques constats : un bilan écologique sévère,
avec destruction de la faune et de la flore sur cette zone, l'amoncellement de
plus de vingt-sept tonnes de déchets, des branchements électriques illicites,
la destruction d'équipements publics, etc. Je m'arrête là ; la liste serait
trop longue.
A ce moment du débat, je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, vous
interroger sur un point. Le texte que vous nous présentez comporte-t-il, selon
vous, des mesures préventives suffisantes pour empêcher qu'un tel événement ne
se reproduise, cet été, l'année prochaine, à Tréflez ou ailleurs ? Des mesures
préventives propres à empêcher les irruptions de véhicules et de caravanes
notamment sur des sites naturels classés - sont-elles annoncées ?
Enfin, quelles réponses, quels conseils pourrai-je apporter aux maires des
petites communes pour les rassurer, eux qui redoutent déjà l'arrivée des beaux
jours ?
Bien entendu, je ne manquerai pas de communiquer à tous les maires de mon
département les dispositions qui pourraient être susceptibles de les aider dans
l'exercice, si difficile, de leurs missions.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier les très nombreux
intervenants, qui ont pu observer avec quelle attention j'écoutais leurs
propos. Je ne pourrai revenir sur tous ce soir, mais j'ai gardé douze pages
entières de notes auxquelles, soyez-en sûr, je me reporterai utilement.
Bien entendu, j'ai été sensible au soutien exprimé par quelques intervenants
souscrivant à l'approche du Gouvernement : Mme Bidard-Reydet, qui s'est
exprimée au nom de Mme Terrade, MM. Peyronnet et Lagauche. Je tiens également à
saluer tout spécialement les rapporteurs, MM. Jean-Paul Delevoye et Pierre
Hérisson, pour leur travail, ainsi que pour la tonalité de certains de leurs
propos, MM. Vallet, Hoeffel, Laffitte, Hyest, Ostermann, Darniche et Gérard. De
toute façon, je remercie tous les intervenants pour l'intérêt qu'ils portent à
cette question, même si leurs doutes me paraissent
a priori
difficiles à
concilier avec l'approche du Gouvernement, qui est également celle de très
nombreuses associations. Je m'adresse là plus particulièrement à MM. Carle,
Peyrat, de Montesquiou et Braye.
Vous avez, les uns et les autres, évoqué bien des situations difficiles.
Permettez-moi de vous dire que je les connais pour avoir assumé les
responsabilités de maire pendant un peu plus de trois décennies. Mais si je me
suis retrouvé dans certaines descriptions, je ne me suis pas senti concerné par
certaines conclusions.
Certes, ces semi-sédentarisations familiales, semisédentarisations sauvages
qui sont plutôt le fait de groupes en difficulté, que nous devons
progressivement amener à une sédentarisation convenable, nous posent bien des
difficultés.
Certes, nous sommes confrontés à des passages en nombre et à des voies de
fait. A ce propos, monsieur Gérard, je comprends votre souci de savoir si des
mesures préventives pourraient être prises. Pour ma part, je pense que c'est
cas par cas que nous devons essayer de trouver ces dispositions préventives qui
pourraient s'appliquer localement.
La ville dont je suis l'élu a eu à faire face, en dehors de tous les problèmes
dus à des petits groupes, à des passages massifs au cours de l'année 1999. Lors
de deux de ces passages, des dégradations importantes ont été causées à des
terrains de sport sans que les intéressés aient eu conscience du coût que cela
entraînait.
Vous connaissez la fragilité de ce genre de terrain ! Après une installation
de huit jours, par temps de pluie, la ronde des véhicules sur le terrain, vous
imaginez le désastre !
Nous n'avons pas réussi à établir le dialogue avec le premier groupe.
L'expulsion a été prononcée, mais au bout de huit jours seulement, juste au
moment où il avait décidé de partir.
Avec le second groupe, les choses se sont passées différemment. Nous avons pu
nous adresser à deux personnes qui se disaient pasteurs, devant qui nous avons
mis en parallèle les références dont ils se réclamaient et certains
comportements. Après un dialogue approfondi, nous avons obtenu le nom et
l'adresse des responsables, à qui nous avons envoyé la facture des dégâts. Ils
l'ont honorée. Vous le voyez : toutes les situations ne sont pas désespérées !
Mais il faut déployer énormément de ténacité et de conviction.
M. Dominique Braye.
Ne généralisons pas l'exception !
M. Hilaire Flandre.
Vous avez vraiment eu la chance de tomber sur quelqu'un de bien !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Il faut dire aussi que, parfois, courent des rumeurs
qui grossissent considérablement les faits. Après le passage du premier groupe
dont j'ai parlé, toute la ville évoquait le dépôt de 69 plaintes pour vols. Je
me suis renseigné auprès du procureur de la République : aucune plainte n'avait
été déposée !
Nous sommes tous confrontés à des difficultés de ce genre. Au lieu d'amplifier
les conséquences de tels passages, aidons chacun à revenir à la raison !
Nous savons qu'il est extrêmement difficile d'établir le dialogue avec
certains groupes. J'ai cherché moi-même à aborder un tel groupe - je crois
qu'il s'agissait de Roms. A mon approche, tous les enfants ont fait cercle
autour des caravanes dans lesquelles se trouvaient les adultes, si bien que je
n'ai pu approcher ces derniers. J'ai bien compris qu'il s'agissait d'une
technique de barrage.
Un tel comportement de rejet a sans doute son origine dans le traitement
qu'ont subi ces populations en certains moments de l'histoire où, comme
d'autres hélas ! elles ont connu des génocides. Evidemment, ce n'est qu'une
explication, non une justification. En tout cas, nous devons persister dans la
recherche du dialogue.
Quant aux attelages luxueux et aux grosses voitures, certes ils existent, mais
la misère aussi est là.
Comment ne pas évoquer en cet instant l'appel que j'ai reçu, voilà près de
deux ans, de la présidente en exercice de ATD Quart-Monde, Mme Genevière de
Gaulle, me suppliant d'être présent aux obsèques d'un enfant de deux ans qui
s'était noyé dans la mare d'un chantier ?
Il s'agissait d'une famille yéniche alsacienne, groupe rejeté depuis des
siècles. On m'a dit qu'elle faisait partie d'un groupe qui se trouvait parmi
les derniers à avoir conservé l'usage de l'idiome alsacien et à s'exprimer,
paraît-il, dans cette langue mieux que beaucoup d'Alsaciens. Cette famille,
croyez-moi, vivait dans une misère indiscutable.
Elle était présente dans la commune depuis sept ou huit ans. Elle avait été
obligée de quitter la masure qu'elle habitait au moment de la construction
d'une voie et n'avait pu être relogée que dans des bungalows du chantier.
Cette famille vivait donc au bord de la route en construction. Or, chaque fin
de semaine, le conducteur d'une pelle mécanique enfonce celle-ci dans la terre
pour que son engin résiste au vent ; quand il la retire chaque lundi, un trou
se forme à l'emplacement. S'il pleut, l'eau peut stagner. C'est ce qui s'est
passé dans le cas que je vous rapporte : l'enfant est tombé dans le trou et a
trouvé la mort.
N'ayons donc pas une vision unilatérale des réalités ! Elles sont parfois très
constrastées.
Bien sûr, vous avez évoqué des tensions, des phénomènes de rejet, vous avez
parlé d'intolérance. C'est un débat qui pourrait nous retenir très longtemps !
Cela étant, nous ne pourrons pas progresser dans la voie de la tolérance et de
l'apaisement, j'en suis convaincu, si nous ne modifions pas la situation.
M. Braye est intervenu avec beaucoup d'impétuosité et s'est fait le
porte-parole du département des Yvelines.
M. Gérard Larcher.
Eh oui !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Voici quelques informations dont je dispose à propos
de ce département, monsieur le sénateur : sur les soixante communes concernées
par l'obligation instituée par la loi de 1990, huit ont réalisé une aire
d'accueil !
M. Gérard Larcher.
Dont Rambouillet !
M. Dominique Braye.
Et ce sont celles qui souffrent le plus ! Les autres n'ont pas voulu !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Huit communes en règle sur soixante, cela représente
138 places pour tout le département des Yvelines !
Dans ces conditions, je comprends que la tension puisse atteindre le niveau
que vous avez évoqué ! Comment pourrait-il en être autrement ?
M. Nicolas About.
Mais ils ne veulent pas aller sur les aires d'accueil !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Nous pourrons y revenir lors de la discussion des
articles.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Justement, nous voudrions y venir, à
la discussion des articles !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Nous y viendrons demain matin, monsieur le président
de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Non, tout de suite !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Vous avez été nombreux à déplorer un retard de deux
ans. Mais je dirais volontiers que le retard est d'au moins dix ans. En effet,
l'article 28 de la loi du 31 mars 1990 a résulté d'un amendement parlementaire,
dont j'avais, au nom du Gouvernement, demandé le rejet pour la bonne raison que
ce texte ne me paraissait pas avoir fait l'objet d'une étude suffisamment
approfondie. A l'époque, on pouvait effectivement espérer voir les travaux
d'une commission animée par un ancien préfet, M. Delamon, déboucher sur des
propositions qui auraient permis l'élaboration d'un texte législatif
d'ensemble. Hélas ! depuis 1990, ce texte législatif d'ensemble n'est pas venu,
ce dont un certain nombre de gouvernements peuvent être rendus
responsables...
Quoi qu'il en soit, si le texte de 1990 a été insuffisant, c'est
essentiellement parce que l'obligation n'était assortie d'aucun délai et
d'aucune sanction. Il n'en appelait qu'à la bonne volonté.
Si nous devions y revenir en supprimant les délais ainsi que la possibilité de
substitution, seule garantie du respect de ces délais, où serait l'efficacité
d'un nouveau texte ? Cela mérite tout de même qu'on y réfléchisse honnêtement
!
Vous avez été nombreux à dire que ces obligations et cette substitution
pouvaient recéler une atteinte à la décentralisation. C'est un vaste débat !
J'ai été, dès mon entrée dans la vie publique, un militant de la
décentralisation. J'ai voté les lois de Gaston Deferre avec conviction. J'y ai
toujours vu des capacités nouvelles données aux élus pour prendre davantage
d'initiatives et exercer plus de responsabilités locales. Je n'y ai jamais vu
une possibilité, pour quelque commune que ce soit, de s'affranchir des
obligations de la loi.
Et c'est heureux, car que deviendrait « la » République si la décentralisation
signifiait qu'on en a fait 36 000 dans notre pays ? Non, la République est une
! La loi doit pouvoir s'appliquer partout, et c'est l'honneur de chaque acteur
local que d'en assumer la responsabilité. Pour ma part, je ne dévierai pas de
cette conception républicaine de la décentralisation.
M. Dominique Braye.
Que l'Etat donne l'exemple ! Qu'il respecte la loi !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
M. Murat a dit : « Chaque fois que l'Etat est bafoué,
c'est la France que l'on bafoue. » M. Braye a dit : « Le respect de l'état de
droit est un pilier de la République. » Mais, si les collectivités publiques
sont les premières à s'affranchir de la loi, où va-t-on ?
M. Dominique Braye.
Elles suivent l'exemple de l'Etat !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Je crois qu'elles doivent donner l'exemple !
M. Nicolas About.
Vous voulez qu'elles se livrent pieds et poings liés !
M. le président.
Je vous en prie, mes chers collègues, laissez s'exprimer M. le secrétaire
d'Etat !
M. Nicolas About.
Qu'il n'accuse pas les communes ! Elles font ce qu'elles peuvent !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, d'habitude, la Haute Assemblée
se fait surtout remarquer par sa sérénité et son souci de l'équilibre.
M. Dominique Braye.
A condition qu'elle ne soit pas agressée.
M. Nicolas About.
Et que les communes ne le soient pas !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Je ne voudrais pas, en abordant un sujet délicat,
qu'il y ait...
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Monsieur le secrétaire d'Etat, me
permettez-vous de vous interrompre ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l'autorisation
de M. le secrétaire d'Etat.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Sans me départir de la sérénité qui
sied à la Haute Assemblée ni de la courtoisie qui vous est due, monsieur le
secrétaire d'Etat, je me permettrai simplement de vous faire remarquer que ce
texte est long et complexe et que tous les problèmes que vous êtes en train
d'évoquer pourront être traités, au moment de la discussion des articles, que
nous souhaitons vivement aborder dès ce soir.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
C'est au président de séance d'en décider, monsieur le
président de la commission des lois !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Si les communes sont en première ligne - et, encore
une fois, je suis moi-même élu local depuis 1965 - c'est pour une raison bien
simple : elles maîtrisent l'espace puisque l'Etat n'exerce, à cet égard,
quelques prérogatives que dans le cadre des projets d'intérêt général, et que
ni la région ni le département ne gèrent des espaces. Ce sont donc
nécessairement les communes qui sont en première ligne lorsque la solution d'un
problème implique la mobilisation d'une certaine superficie.
M. Dominique Braye.
Et le schéma directeur de la région d'Ile-de-France ?
M. Nicolas About.
Et la police ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Je rappelle que ce texte ne vise à régler que le
problème de l'accueil. Les autres questions relèvent d'autres ministères -
intérieur, justice, solidarité, éducation, notamment - et doivent être débattus
au sein de la Commission nationale consultative des gens du voyage, dont les
membres ont été nommés au mois de décembre. Je souhaite que cette commission,
placée sous la tutelle de ma collègue ministre de l'emploi et de la solidarité,
puisse travailler dans les meilleures conditions.
S'agissant du problème de l'accueil, point central de ce texte, il doit
pouvoir être résolu par les dispositions que nous proposons. En effet, il doit
être possible pour un pays comme le nôtre, si tout le monde s'y met, de
réaliser 30 000 emplacements pour caravanes, l'Etat prenant en charge quelque
70 % des coûts.
S'agissant de l'évaluation des coûts, je veux rendre ici hommage au travail du
président de l'Association des maires de France, aujourd'hui rapporteur de ce
texte devant le Sénat. C'est en effet dans son rapport que nous avons puisé les
références de coûts : 100 000 francs par place au titre de l'investissement et
20 000 francs au titre du fonctionnement. Le Sénat a donc contribué à
l'enrichissement de la réflexion.
Il me semble qu'il s'agit d'un texte équilibré, garantissant que l'Etat
assumera sa part de l'effort.
Cela dit, j'ai bien compris que votre préoccupation première concernait
l'application des décisions de justice.
M. Dominique Braye.
C'est effectivement la première !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Permettez-moi, monsieur le président Larché,
d'apporter d'ores et déjà une réponse sur ce point, qui a été au coeur de
toutes les interventions.
La liberté d'aller et venir est constitutionnellement reconnue et n'est pas
dissociable de la liberté de stationner. Le Conseil d'Etat l'a affirmé dès le
début du siècle s'agissant de la liberté pour les automobilistes de stationner
là où ils l'entendent.Concernant le stationnement des gens du voyage, il l'a
expressément confirmé dans un arrêt que l'un d'entre vous a cité, l'arrêt Ville
de Lille, du 2 décembre 1983.
Ce serait donc porter atteinte à une liberté constitutionnelle que de vouloir
empêcher les gens du voyage de stationner sur le territoire d'une commune.
Cependant, c'est précisément pour empêcher le stationnement sauvage, source de
nombreuses difficultés avec les populations et de nombreux contentieux, que le
projet de loi organise ce stationnement dans des aires aménagées et adaptées
aux besoins.
Le Gouvernement n'est pas naïf au point d'imaginer que toutes les occupations
illégales cesseront instantanément. Mais, en multipliant les aires, donc les
places - puisqu'il en manque actuellement 25 000 - la loi aura pour effet la
diminution des occupations illégales, sauf à considérer qu'aucune aire ne
serait utilisée, ce qui n'est, vous en conviendrez, guère plausible.
Certains intervenants ont mis en doute la capacité de l'Etat à mettre en
oeuvre les dispositifs tendant à lutter contre les occupations illégales.
Qu'ils sachent que le Gouvernement est déterminé à se donner les moyens d'y
parvenir.
Je rappelle que l'intervention du juge préalablement à une expulsion est une
garantie fondamentale, compte tenu de l'atteinte portée à la personne et,
éventuellement, à son intégrité qui peut résulter de l'expulsion. Cette
intervention du juge est donc indispensable. Le Gouvernement n'entend pas qu'il
y soit dérogé, sous la seule réserve, consacrée par la jurisprudence, des cas
d'urgence caractérisée.
Le projet de loi, je le rappelle, prévoit une intervention rapide du juge.
Celui-ci peut être saisi, et c'est une nouveauté importante, par le maire alors
même que le terrain irrégulièrement occupé est un terrain privé. Bien souvent,
en effet, le propriétaire privé préfère ne pas prendre la responsabilité des
formalités en raison de leur coût et éventuellement par crainte de
représailles. C'est donc pour libérer le propriétaire privé que cette
possibilité sera donnée aux maires. Le juge statue en la forme d'un référé, qui
est la plus rapide des procédures civiles. Sa décision est exécutoire par
provision, c'est-à-dire sans attendre l'expiration des délais d'appel.
L'exécution peut avoir lieu au seul vu de la minute, ce qui évite la procédure
de signification du jugement et les frais qui y sont liés.
Le Gouvernement reprend d'ailleurs à son compte - il le confirmera demain
matin, monsieur le rapporteur - la proposition de la commission des lois
tendant à rappeler que le référé d'heure à heure est possible, ce qui signifie
que le maire peut obtenir une décision dans la journée. Le garde des sceaux
prendra une circulaire à destination des juridictions sur l'application de ces
dispositions, la Chancellerie m'en a donné l'assurance.
S'agissant de la mise en oeuvre des décisions d'expulsion, les préfets sont
tenus de prêter le concours de la force publique à leur exécution. C'est ce que
rappelle l'article 16 de la loi du 16 juillet 1991 sur les procédures civiles
d'exécution.
M. Patrick Lassourd.
Cela ne se fait jamais !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Mais vous comprenez qu'il soit impossible d'inscrire
dans la loi que ce concours doit être systématique. En effet, le principe de
séparation des pouvoirs conduit à respecter la marge qui a toujours été laissée
par les textes au préfet d'apprécier le risque pour l'ordre public que pourrait
entraîner l'exécution par la force d'une décision d'expulsion.
M. Daniel Goulet.
Donc, il ne passe rien !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
C'est, mesdames, messieurs les sénateurs, un principe
consacré de très longue date par la jurisprudence.
Néanmoins, en matière d'occupation illégale de terrain par les gens du voyage,
le ministre de l'intérieur m'a donné l'assurance que les préfets seraient
particulièrement sensibilisés aux dispositions de la loi.
Il va sans dire que les communes disposant de telles aires d'accueil,
répondant aux prescriptions du schéma départemental, devraient bénéficier de la
mise en oeuvre, des moyens qui sont à la disposition des préfets pour exécuter
l'expulsion ordonnée par le juge.
M. Gérard Larcher.
C'est bien le moins !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, des éléments
très précis qui figureront au procès-verbal de cette séance, auquel chacun
pourra se reporter.
La discussion des articles me permettra de répondre sur les autres points qui
ont été soulevés.
Je conclurai en formant le souhait que la référence à l'humanisme, qui doit
transcender les clivages partisans, puisse nous réunir.
M. Dominique Braye.
L'enfer est pavé de bonnes intentions !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Soyons-en bien convaincus, il n'y a pas humanisme là
où il y a rejet de quelque humain que ce soit, aussi différent soit-il.
Bien sûr, tout serait plus simple si tous nos prochains nous ressemblaient !
Mais, si tous nous ressemblaient, ne serions-nous pas, d'une certaine façon,
appauvris ? Si toutes les différences s'effaçaient, ne serions-nous pas
conduits à le regretter ?
M. Jean Chérioux.
Ils peuvent respecter la loi même s'ils sont différents !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Plusieurs intervenants ont souligné qu'il s'agissait
d'une population aussi respectable que d'autres.
M. Dominique Braye.
Qu'elle le prouve !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le sénateur, oublieriez-vous que c'est dans
vos rangs même qu'ont été tenus de tels propos ? Sachez que j'y adhère. Ils
nous dictent un devoir certes délicat mais qui débouchera sur des résultats qui
seront d'autant plus à hauteur de ceux auxquels nous aspirons tous que nous
nous mobiliserons.
Je crois que c'est bien grâce à l'état d'esprit qui nous animera, grâce à
notre détermination, au-delà de l'adoption de cette loi, pour sa mise en
oeuvre, que nous réussirons à la rendre vivante et efficace. Dès lors, nous
pourrons en effet prendre date, nous donner rendez-vous.
Comme vous l'avez compris, le plan dispositif prévu s'accompagne des
financements de l'Etat sur quatre ans.
Si les délais sont respectés, s'il est tiré profit de ces quatre années grâce
à une mobilisation totale, je suis convaincu de l'efficacité de ce
dispositif.
Soyez assurés qu'au terme de ce délai - même si je n'ai pas l'ambition d'une
longévité gouvernementale me conduisant en 2004, alors que j'occupais déjà ce
banc voilà dix ans, comme quelqu'un l'a obligeamment rappelé - je resterai
attentif, à la place que j'occuperai alors - dont nous aurons sans doute
l'occasion de reparler. Je souhaite que ce soit pour constater la pertinence de
notre choix, sur lequel nous aurons eu raison de nous engager résolument tous
ensemble, par-delà les clivages.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er