Séance du 26 janvier 2000
M. le président. Par amendement n° 1, M. Gaillard, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, avant l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 793 du code général des impôts est complété par un 3 ainsi rédigé :
« 3. Les objets classés à la demande et avec le consentement de leur propriétaire en application de l'article 16 de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques, à concurrence de la moitié de leur valeur, sous réserve des dispositions de l'article 793 bis A et du paragraphe II de l'article 1716 bis. »
« II. - Il est inséré, après l'article 793 bis du même code, un article 793 bis A ainsi rédigé :
« Art. 793 bis A. - L'exonération partielle prévue au 3 de l'article 793 est subordonnée à la condition que le bien soit resté la propriété du défunt ou du donateur pendant 5 ans à la date de la transmission à titre gratuit. »
« III. - Le présent article est applicable aux objets classés à compter du 1er janvier 2000.
« IV. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des I et II ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Yann Gaillard, rapporteur pour avis. C'est l'amendement principal de la commission des finances.
Il s'agit d'instaurer des avantages fiscaux pour les biens classés à la demande et avec le consentement de leurs propriétaires. De ce fait, l'Etat a la garantie qu'il n'y aura pas de recours contentieux susceptible de déclencher une jurisprudence « Walter ».
L'avantage fiscal résiderait dans une exemption des droits de mutation et des droits de succession à 50 % de la valeur du bien.
Il est bien clair, j'y insiste pour éviter toute ambiguïté, que la demande de classement n'entraîne pas un classement de droit. Il revient en effet à la commission compétente de donner un avis et au ministre de décider.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Serge Lagauche, rapporteur. Comme je l'ai fait observer dans mon intervention générale, les propositions de la commission des finances me semblent aller dans le bon sens, et je ne peux qu'encourager la réflexion qu'elles suscitent.
L'amendement n° 1 vise à exonérer les objets classés à compter du 1er janvier 2000, à la demande ou avec le consentement de leur propriétaire, de droits de mutation à titre gratuit à raison de 50 % de leur valeur et à la condition que le bien soit resté la propriété du défunt ou du donateur pendant cinq ans, à la date de la transmission à titre gratuit.
L'objectif louable de cet amendement est d'inciter les propriétaires à demander le classement de leurs biens grâce à l'octroi d'un avantage fiscal qui permettrait de garder sur le territoire national des oeuvres sans que l'Etat ait besoin de les acquérir.
Cet amendement me semble cependant soulever des objections. La loi de 1913 qui prévoit le classement, au demeurant comme d'autres textes régissent les dations ou les donations, accorde à l'Etat la compétence d'apprécier de manière discrétionnaire ce qui appartient ou non au patrimoine national.
Le classement entraîne, pour l'Etat, des obligations, telles que celle qui vise à assurer la restauration lorsque les propriétaires sont dans l'impossibilité d'y procéder eux-mêmes. Or c'est à l'Etat de décider s'il souhaite ou non assumer ces obligations.
Au-delà de ce principe, il existe, me semble-t-il, un inconvénient à lier de manière automatique un avantage fiscal au classement. L'administration risque en effet de se trouver confrontée à un afflux de demandes justifiées en réalité par la seule perspective de l'avantage fiscal.
Compte tenu de ces observations, la commission a décidé d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Dans le dispositif proposé, les modifications des lois de 1913 et de 1992 apparaissent comme le corollaire de l'avantage fiscal en faveur des biens classés avec le consentement de leurs propriétaires à compter du 1er janvier 2000. C'est pourquoi je souhaite y répondre de manière globale.
Vos propositions, monsieur le rapporteur pour avis, me paraissent faire suite aux conclusions de votre riche et stimulant rapport sur le marché de l'art. Dans le cas présent, il s'agirait d'exonérer les transmissions à titre gratuit des biens concernés à concurrence de 50 % de leur montant ou de leur ouvrir droit automatiquement à la procédure de la dation en paiement.
Je comprends très bien l'intérêt de votre proposition, qui permettrait sans aucun doute a priori d'améliorer la connaissance de notre patrimoine, de rassurer les propriétaires et de les inciter à demander la protection.
Cela étant, je m'interroge sur le dispositif d'ensemble retenu, qui ne me paraît pas suffisamment encadré. Nous devons en effet veiller à respecter un équilibre entre la légitime protection du patrimoine national et l'équité fiscale. A cet égard, les mesures proposées dans ces amendements mériteraient une expertise plus approfondie qui n'a pas pu être effectuée compte tenu des délais. Mais il apparaît d'ores et déjà qu'ils pourraient avoir une portée trop large, surtout si la loi de 1913 était modifiée, comme vous le proposez par ailleurs, monsieur le rapporteur pour avis, pour prévoir un classement de droit des trésors nationaux en cas de refus du certificat d'expor-tation.
Le risque existe que tous les détenteurs de biens culturels ne demandent le classement à seule fin d'obtenir l'avantage fiscal pour leurs héritiers ou leurs donataires, alors que la cession dudit bien n'est pas réellement envisagée, pas plus que son exportation ou sa sortie du territoire.
A cet égard, la prudence dont vous avez fait preuve en prévoyant l'obligation d'une détention de cinq ans par le défunt ou le donateur à la date de la transmission à titre gratuit risque d'être insuffisante pour éviter les biens concernés en valeur refuge.
De même, votre proposition d'instituer une procédure d'agrément de droit pour les biens classés bouleverse l'économie de la dation en paiement. J'ajoute que ce dispositif repose actuellement sur une procédure qui a toujours donné des résultats consensuels entre mon département ministériel et celui du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, après avis de la commission des dations.
Vous avez compris à mes propos, monsieur le rapporteur, monsieur le président, que vos propositions innovantes doivent être expertisées et que des études d'impact doivent être préalablement réalisées sur les plans juridique, économique et fiscal. D'ailleurs, je proposerai prochainement un projet de loi réformant la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Cette question y trouvera sa place, bien entendu je m'y engage.
Dans ce contexte, je vous demande de retirer vos amendements, qui m'apparaissent intéressants mais prématurés. A défaut, le Gouvernement y sera défavorable.
M. le président. L'amendement est-il maintenu, monsieur le rapporteur pour avis ?
M. Yann Gaillard, rapporteur pour avis. Mme la ministre a fait masse des quatre amendements déposés par la commission des finances, qui sont en fait assez différents.
Deux d'entre eux sont essentiels, à savoir celui dont nous discutons, qui crée l'avantage fiscal, et le troisième, qui est relatif à la possibilité de doubler l'offre publique d'une offre privée : ce sont les deux amendements de principe.
En revanche, je reconnais que le deuxième amendement, qui donne le sentiment, peut-être à cause d'une rédaction trop rapide, que le classement est de droit, crée une ambiguïté, et je suis tout à fait prêt à le retirer. De même, le quatrième amendement, relatif à la dation, présente, il est vrai, l'inconvénient de bouleverser quelque peu l'économie de cette procédure et, probablement, de heurter des susceptibilités au sein de la commission que préside, avec beaucoup de talent, le professeur Changeux. Je suis également disposé à retirer cet amendement.
Cela étant précisé, je souhaite que l'amendement dont nous débattons soit maintenu, au moins à titre provisoire. A cet égard, je rappellerai à Mme la ministre la discussion si intéressante que nous avions eue au moment de l'examen du projet de loi sur les commissaires-priseurs.
Un certain nombre d'amendements fiscaux de ce type avaient été déposés par nos soins à cette occasion, réduits que nous étions à nos propres moyens au sein de la commission des finances du Sénat parce que nous n'avions pu obtenir dans les délais l'avis des services de Bercy. Vous m'aviez alors tenu le même langage, en disant que ce que nous faisions était bien mais pourrait être encore amélioré et en nous demandant de retirer nos amendements pour vous laisser élaborer un meilleur dispositif.
Nous l'avions accepté en ce qui concerne le régime de Drouot, parce que la rédaction de l'amendement du Gouvernement nous paraissait régler le problème, et c'est effectivement le cas.
En revanche, nous avions maintenu à titre conservatoire nos amendements fiscaux sur les droits de mutation en cas de transfert de propriété et de capital dans le cadre de la création des nouvelles sociétés de vente, parce que nous n'avions qu'une promesse. Nous avions eu raison puisque, éclairé par sa propre sagese peut-être, mais aussi à cause de la pression du Sénat, le Gouvernement a effectivement réglé le problème de la fiscalité des professions libérales dans leur ensemble, et pas seulement pour les commissaires-priseurs, dans le cadre de la loi de finances rectificative.
Je souhaite par conséquent - je m'adresse au Sénat et à la majorité sénatoriale - que nous maintenions la pression pour inciter le Gouvernement à donner suite à ces bonnes dispositions, tant pour cet amendement que pour celui qui viendra après l'article 5 et qui est relatif au secteur privé.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article 5.
Par amendement n° 2, M. Gaillard, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, avant l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 16 de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Le classement d'un objet mobilier pour lequel est refusé le certificat prévu à l'article 7 de la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane est de droit lorsqu'il est demandé par son propriétaire. »
M. le rapporteur pour avis a indiqué qu'il retirait cet amendement.
Article 5