Séance du 20 décembre 1999
LOI DE FINANCES POUR 2000
REJET D'UN PROJET DE LOI
EN NOUVELLE LECTURE
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi
de finances pour 2000 (n° 145, 1999-2000), adopté avec modifications par
l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. [Rapport n° 146 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, nous voici donc arrivés au dernier stade de
l'examen parlementaire du projet de loi de finances pour 2000. Comme vous le
savez, le Sénat, en première lecture, a consacré à ce texte cent trente et une
heures de discussion.
Rappelons simplement que le Gouvernement bénéficie d'une heureuse conjoncture
et donc des fruits d'une croissance dont il n'est que pour une part
responsable...
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Pour une part, en
effet !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... et qu'il n'en profite pas suffisamment, à notre
sens, pour réaliser les réformes de structures qui s'imposeraient.
Ainsi se perpétue une sorte d'exception française. En effet, les prélèvements
obligatoires connaissent un niveau très élevé. Pour 1999, nous savons que les
estimations de 45,3 points de produit intérieur brut seront assurément
dépassées. Pour 2000, il est très difficile de se faire une opinion sur cette
fraction ; nous avons d'assez bonnes raisons de supposer qu'elle se situera à
un point plus élevé sur la courbe que celui qui est allégué par le
Gouvernement. Par rapport à cela, les dépenses publiques ne diminuent pas et le
déficit est insuffisamment réduit. Telle est donc ce que nous avons eu
l'occasion d'appeler l'exception française.
Pour ne pas abuser de votre patience, mes chers collègues, je me bornerai à
trois grandes observations, l'une de méthode, les deux autres sur le fond.
En termes de méthode, nous savons tous, et la Cour des comptes l'a relevé tout
récemment encore, que les concepts sur lesquels nous nous fondons pour examiner
et adopter les lois de finances ont vieilli. Nous devons donc nous employer à
rénover les instruments de la discussion budgétaire. Deux objectifs majeurs me
semblent devoir s'imposer pour une telle évolution : d'une part, accroître
l'information du Parlement ; d'autre part, faire évoluer les règles de
présentation et d'examen des budgets.
Pour accroître l'information du Parlement, bien des choses seront à faire, et
nous en verrons une illustration très rapidement lorsque nous examinerons le
collectif budgétaire de fin d'année 1999, c'est-à-dire tout à l'heure.
Mes chers collègues, il faut rester bien imprégné d'une maxime que l'on
attribue, je crois,...
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
A Portalis ?
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... à Cavour : « La pire des chambres vaut mieux que
la meilleure des antichambres », fût-elle ministérielle ou fût-elle celle du
chef du Gouvernement !
(Nouveaux sourires.)
Or nous savons bien qu'avec le Sénat nous disposons de la meilleure des
chambres. Il faut donc en faire le meilleur usage possible.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
C'était une page de publicité !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
On n'est jamais mieux servi que par soi-même !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Pour faire évoluer les questions budgétaires, nous
avons proposé en particulier l'établissement de comptes consolidés ou, du
moins, nous avons émis le souhait que l'on s'oriente vers une appréciation
globale des recettes issues des prélèvements obligatoires et de leur
affectation.
Je regrette, à ce titre, le rejet par l'Assemblée nationale de la disposition
que nous avions votée en ce sens sur l'initiative de M. Roland du Luart.
Par ailleurs, nous estimons qu'il faudra, dans un avenir proche, distinguer la
section de fonctionnement et la section d'investissement. Cela a également
retenu l'attention de la Cour des comptes, qui formule des propositions pour
tendre à cet objectif. Si l'on s'était fixé cette contrainte pour le budget
2000, il apparaîtrait encore plus clairement que, sur les 622 milliards de
francs qui seront levés sur les marchés financiers au cours de cette année au
titre des emprunts de l'Etat, la répartition se fait en trois fractions
d'inégale importance : 407 milliards de francs pour rembourser des emprunts
antérieurs ; 167 milliards de francs seulement pour financer les dépenses
d'investissement de l'exercice considéré, mais aussi 48 milliards de francs
pour solder le compte des opérations courantes.
Il reste encore des progrès à faire pour respecter nos bons principes de
gestion des finances publiques, monsieur le ministre.
J'en viens maintenant au fond.
Vous le savez, nous avons adopté, s'agissant de la dépense publique, une
démarche à la fois qualitative, politique et globale, puisque, à la lumière des
explications fournies par nos rapporteurs spéciaux et par nos rapporteurs pour
avis, nous nous sommes fait une opinion sur chacun des budgets ministériels à
partir des principes que nous nous sommes donnés : qualité de la gestion,
importance des dépenses de fonctionnement, degré de préparation de l'avenir. Et
nous avons rejeté bon nombre de ces budgets.
Nous avons alors entendu de la part du Gouvernement des remarques qui,
rétrospectivement, nous font un peu sourire. Car, monsieur le ministre, les
secrétaires d'Etat qui vous ont représenté au cours de cette discussion
budgétaire nous ont fait des compliments rétrospectifs sur la méthode que nous
avions adoptée les deux années précédentes et qui est celle du budget
alternatif de responsabilité et de confiance, le contre-budget, en d'autres
termes.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On nous avait tant brocardé que recevoir cet hommage
un an après nous a beaucoup touchés !
M. Claude Estier.
Oh !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'en suis heureux
!
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Bien sûr, lorsque nous reviendrons, un jour, au
contre-budget,...
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
L'an prochain
?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... vous nous direz qu'il valait mieux, en effet,
rejeter globalement les budgets sur lesquels nous ne sommes pas d'accord.
M. Michel Charasse.
Il ne faut pas préjuger !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais il ne faut pas caricaturer nos approches. Nous
avons voulu mettre l'accent, les années précédentes, sur la dépense publique
et, cette année, davantage sur la partie « recettes » et sur l'évolution
excessive, qualitativement et quantitativement, des prélèvements
obligatoires.
S'agissant en particulier de la fiscalité, je voudrais rappeler que le Sénat,
en première lecture, a examiné, en trente-cinq heures, 295 amendements au titre
de la première partie, et, en quatre heures, 48 amendements au titre de la
seconde partie.
Comme d'habitude, nous nous sommes efforcés d'aller, autant qu'il était
possible, au fond des choses. Cela nous a permis de mettre en place une baisse
réelle des prélèvements obligatoires et d'introduire toute une série de mesures
de nature, selon nous, à amorcer ce que doit être une vraie réforme en
profondeur de la fiscalité. Qu'il s'agisse de l'impôt direct frappant tant les
personnes que les sociétés, qu'il s'agisse de l'imposition sur l'épargne ou sur
le patrimoine, nous avons voulu anticiper les évolutions et marquer notre souci
de voir enfin s'enclencher cette réforme d'ensemble de la fiscalité.
Nous nous sommes également préoccupés des questions de contrôle fiscal et
d'administration de l'impôt, afin de tenter d'équilibrer la balance entre les
droits du contribuable et donc, d'une certaine façon, les libertés
individuelles, d'une part, et les droits légitimes de l'administration, d'autre
part, en tenant compte des différents impératifs.
Mais de tous ces apports du Sénat, que reste-t-il à l'issue du nouvel examen
du projet de loi de finances par l'Assemblée nationale ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Hélas !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Hélas, peu de choses !
Il demeure toutefois une appréciation que je prends comme un hommage dans la
bouche du rapporteur général de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, ou
plutôt sous sa plume...
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il l'a également
dit !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il a en effet dit et écrit que « le Sénat a donc
démontré, de façon plus qu'explicite, son opposition à la politique menée par
le Gouvernement et sa majorité depuis deux ans et demi ». On ne peut mieux dire
!
(Sourires.)
M. Claude Estier.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais, pour autant, monsieur le ministre, s'agit-il là
d'un délit d'opinion ? Je crois qu'il faut s'interroger sur ce point dans
l'optique de la démocratie parlementaire, régime qui devrait en principe rester
le nôtre.
Les propositions que nous avons émises ont souvent été repoussées, nous en
avons le sentiment, parce qu'elles ont été formulées dans cette assemblée,
alors que, sur certains sujets, et je vais m'efforcer de le montrer, nos idées
rejoignaient celles qui avaient été exprimées sur les bancs de la majorité
gouvernementale de l'Assemblée nationale, voire au sein de la commission des
finances de celle-ci, par son rapporteur général en particulier.
Cependant, nos propositions devaient sans doute, pour la plupart d'entre
elles, déranger la bonne harmonie, du moins ce que vous estimez, monsieur le
ministre, être la bonne harmonie, d'une majorité plurielle qui - pardonnez-moi
ce jeu de mots, je ne sais pas s'il est excellent, mais nous sommes lundi matin
! - tire à hue et à dia.
(Sourires.)
Il s'agit évidemment d'un équilibre
parfois un peu précaire et délicat qu'il faut s'efforcer de maintenir, et nous
comprenons donc que nos propositions, quelles que soient leurs qualités sur le
fond, aient pu, de ce point de vue, apparaître quelque peu gênantes ou de
nature à perturber la conception que la majorité gouvernementale a de ses
propres équilibres internes. Par conséquent, un certain immobilisme a
malheureusement prévalu.
Il serait trop long de détailler de façon exhaustive les points de désaccord,
et je me bornerai donc à citer quelques exemples à cet égard. En revanche, je
présenterai la liste des points d'accord de manière plus complète, parce que
ceux-ci sont rares !
S'agissant des points de désaccord, à l'article 2, même si M. Migaud était
favorable à une indexation partielle du barème de l'impôt sur le revenu sur la
croissance de l'économie, il a dû y renoncer, car, aux yeux du Gouvernement,
tous les fruits de la croissance doivent naturellement revenir à l'Etat.
A l'article 2
bis
B, en ce qui concerne l'imposition commune des frères
et soeurs vivant ensemble, la proposition émanait du Sénat, et même si le
groupe communiste républicain et citoyen en avait pris l'initiative, elle
n'était donc pas recevable, car indécente.
A l'article 2
bis
, s'agissant du dispositif devant faciliter le
réinvestissement des indemnités de licenciement dans la création d'entreprise,
l'amendement « Baylet » est, lui aussi, apparu trop novateur pour pouvoir être
pris en compte par l'Assemblée nationale. Nous regrettons qu'il en soit ainsi,
après tous les compliments dont cet amendement avait fait l'objet de la part de
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, qui vous représentait
ici même, monsieur le ministre. Nous avons donc été surpris par l'attitude de
l'Assemblée nationale, mais peut-être considériez-vous qu'accepter cet
amendement reviendrait à accorder trop de poids critique, au sein de votre
majorité, à une composante qui, si elle est utile, n'en est pas moins
modeste...
En fait, nous avons eu l'impression que le vote du Sénat sur cet amendement
venait perturber vos équilibres internes. Cela est regrettable car, sur le
fond, la proposition de M. Jean-Michel Baylet était excellente.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Et sociale, en plus !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Bien que n'étant pas de la même sensibilité politique
que M. Baylet, j'avais voté son amendement, tout comme la majorité du Sénat.
A l'article 15, l'actualisation du barème de l'impôt de solidarité sur la
fortune en fonction de la hausse des prix n'a pas été maintenue, alors que
cette proposition figurait dans le texte initial du Gouvernement. Sur d'autres
points, nous avions d'ailleurs voté des amendements qui tendaient à rétablir
celui-ci, mais revenir au texte de M. Dominique Strauss-Kahn sur certains
sujets, notamment celui des bons de souscription de parts de créateur
d'entreprise, n'était sans doute pas de nature à réconcilier les différentes
tendances de la majorité plurielle.
Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi de souligner un cas d'application
aveugle d'une règle qu'il faudrait absolument modifier : je veux parler ici de
l'article 63
quindecies
, que nous avions voté et qui visait à
reconnaître le statut d'interné ou de déporté politique à des étrangers entrés
sur le territoire national après le 1er septembre 1939.
Il s'agit d'un point très particulier, qui ne concerne que quelques personnes
très âgées, mais c'est là une question d'équité. L'amendement avait été voté à
l'unanimité de tous les groupes du Sénat, et je n'ai vraiment pas compris pour
quelles raisons il a été « lessivé ».
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il émanait du Sénat !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est probablement la raison, en effet.
Certes, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes civiles
dispose que ce statut ne peut être accordé qu'aux personnes entrées en France
avant le 1er septembre 1939 : telle est la réponse qui est opposée à tous nos
courriers concernant les quelques cas individuels qui peuvent encore se
présenter. Cependant, monsieur le ministre, un bon geste serait apprécié en
cette matière.
Plus généralement, nombre de nos initiatives que l'Assemblée nationale
trouvait intéressantes sur le fond n'ont pas été reprises. Leur examen a été
reporté à une analyse d'ensemble ultérieure de la situation, qu'il s'agisse des
aménagements de l'impôt sur le revenu en faveur des familles, de la «
conjugalisation » de la décote proposée par notre collègue Yves Fréville, du
régime successoral des frères et soeurs ou du taux de la TVA sur les
prestations funéraires. Toutes ces propositions n'ont pas été rejetées sur le
plan des principes, mais elles doivent faire l'objet de ce fameux examen global
que nous ne voyons pas venir alors que, pour des raisons d'équité et compte
tenu des marges de manoeuvre budgétaires dont nous disposons aujourd'hui, il
eût été préférable de ne pas remettre à demain ce que l'on est en mesure de
faire immédiatement.
J'évoquerai maintenant les quelques points sur lesquels nous sommes tombés
d'accord avec la majorité de l'Assemblée nationale.
Il en est ainsi, à l'article 5
bis
, pour l'application de la réduction
des droits sur les donations sans limite d'âge qui a été prorogée, et, à
l'article 19
quater,
s'agisant du mécanisme du quotient pour le calcul
du revenu de référence pour les impôts locaux.
Mais surtout, mes chers collègues, le débat sur la sauvegarde du secret
professionnel qui s'est déroulé dans cette assemblée a été utile, et les
arguments que nous avons invoqués pour demander la suppression de la
disposition relative à la présentation dite « spontanée » de certains documents
lors de contrôles fiscaux ont été entendus. Cette disposition a été supprimée,
et je pense, monsieur le ministre, que c'est une sage décision. Le texte de
l'article 57 devient ainsi moins critiquable, mais il reviendra bien sûr au
Conseil constitutionnel d'en apprécier tous les aspects au regard du respect
des libertés publiques, dans l'optique de la saisine par bon nombre d'entre
nous dont il fera certainement l'objet.
En conclusion, mes chers collègues, le Sénat, fidèle à ses traditions, a
procédé, du moins je l'espère, à un examen budgétaire de qualité. Nos
initiatives ont été d'autant plus vivement combattues qu'elles dérangent
davantage. Mais nous sommes habitués, dans cette assemblée, à anticiper sur les
débats à venir, et je pense que nous avons bien joué notre rôle
constitutionnel. Nous avons pris date.
Nous avons également pris soin d'ouvrir un certain nombre de débats qui
devront se poursuivre, notamment en matière de fiscalité agricole, de fiscalité
sur le revenu, de modernisation de l'impôt et de modernisation de la
présentation des comptes budgétaires de l'Etat. Je pense que nous avons tracé
des perspectives qui seront utiles, en tout état de cause, à notre pays.
Cela étant, pour des raisons uniquement politiques, nous n'avons pas été
suivis sur nombre de ces points par l'Assemblée nationale, ce que je déplore.
Mes chers collègues, au regard du bilan d'ensemble de l'examen en première
lecture de la loi de finances tant par le Sénat que par l'Assemblée nationale
et de la rapide incompréhension qui s'est manifestée entre les deux assemblées
au cours des trop brefs travaux de la commission mixte paritaire, j'estime
logique que la commission des finances du Sénat ait pris l'initiative de
déposer une motion tendant à opposer la question préalable.
En effet, nous avons à faire un choix, mes chers collègues : soit nous
reprenons l'examen complet du texte et alors, bien entendu, pour être
cohérents, nous devrons réinsérer tous les amendements qui avaient été votés en
première lecture, ce qui n'ébranlera sans doute guère les positions de
l'Assemblée nationale, sauf sur quelques points, soit nous marquons notre
opposition à l'ensemble du texte tel qu'il résulte des délibérations que j'ai
décrites. Cette seconde solution, qui est recommandée par la commission des
finances, nous conduira au vote d'une motion tendant à opposer la question
préalable, étant donné qu'il n'y a à notre sens plus lieu d'examiner ce texte,
mais qu'il faut le rejeter globalement.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
La pièce que vous aurez, monsieur le ministre,
imposé au Parlement d'interpréter durant quarante jours à l'Assemblée nationale
et vingt jours au Sénat touche à sa fin. Le Gouvernement, par son refus
systématique d'envisager toute autre solution que les siennes, aura réduit ce
rendez-vous à un exercice plus théâtral que budgétaire et législatif.
Après soixante jours de débat, trois mois si l'on tient compte de l'immense
travail des commissions, nous voilà en quelque sorte sommés, pour conclure, de
graver dans le marbre de la loi les résultats annoncés dès la publication du
communiqué de presse du Gouvernement, le 15 septembre dernier, qui arrêtait le
déficit budgétaire à 215,4 milliards de francs.
Avec une bonté touchante, à moins que ce ne soit par inadvertance, vous aurez,
monsieur le ministre, laissé l'Assemblée nationale modifier ce déficit de 73
000 francs : un tel montant, rapporté au budget de 1 900 milliards de francs,
illustre bien le niveau de considération que le gouvernement auquel vous
appartenez porte au Parlement !
Comme au terme de l'émission
Au théâtre ce soir
, que nous avons tous
regardée à la télévision,...
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ah ! C'est vrai
!
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
... je suis tenté de vous dire :
« Mesdames et messieurs, la pièce que nous venons d'interpréter devant vous
était de Christian Sautter
(Sourires),...
M. Michel Charasse.
Ah !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
... les dialogues étaient de
Philippe Marini et de Didier Migaud, les costumes n'étaient pas de Donald
Caldweld, mais le scénario, lui, était bien celui qui a été imposé par la
direction du budget ! »
(Nouveaux sourires.)
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Deus ex machina
!
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Le rideau tombe. Le public ne
quitte pas la salle puisqu'il n'est jamais venu. Les acteurs ont déjà déserté.
Mais, au fond, peu vous importe, monsieur le ministre, l'essentiel est que rien
n'ait été changé à votre projet initial !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Que nous n'applaudirons pas !
(Sourires.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il n'y a ni amertume ni dépit
dans mon propos, puisque la Constitution me permet de vous rendre au centuple,
en contrôle, ce que vous nous aurez retiré en marge législative.
Mais je veux plus gravement appeler votre attention sur le fait que nous n'en
sommes plus au stade du débat rituel et un peu classique « majorité-opposition
», quand la controverse fleure la bonne époque des grands débats
parlementaires. C'est la démocratie qui est désormais en cause. C'est un régime
politique qui est en train de changer sans s'en rendre compte. C'est un
gouvernement qui ignore, pour ne pas dire qui méprise, le Parlement et qui ne
le considère plus que comme un passage obligé, en attendant sans doute de s'y
soustraire complètement.
Quand le Premier ministre, tel un monarque de l'Ancien Régime, annonce qu'il
suspend, de sa seule volonté, l'application de la loi votée par le Parlement,
dans quel régime sommes-nous ?
Même si, comme je vous l'ai dit, je suis personnellement d'accord - mais là
n'est pas le problème - pour reporter l'application de la loi abrogeant les
arrêtés Miot, il n'en demeure pas moins que c'est encore une fois la presse qui
nous informe que le chef de l'exécutif va suspendre l'application de la loi.
J'ai le regret de vous dire, mes chers collègues, que ce système-là n'est plus
la démocratie parlementaire.
J'imagine, monsieur le ministre, que vous invoquerez le passé et des cas
équivalents pour justifier l'accélération de cette dérive de nos institutions.
Je vous indique néanmoins dès à présent que cela ne me convaincra pas.
Il est urgent de mettre un terme à ces pratiques ; et je vous dis d'ailleurs
sans détour, monsieur le ministre, que, si l'année 2000 prolonge cette funeste
orientation, je demanderai au Sénat d'utiliser, l'année prochaine, toutes les
ressources de la procédure pour que les actes budgétaires soient examinés au
moyen de deux lectures complètes, entières, quelles que soient les dates
extrêmes auxquelles nous entraîneront ces longues, très longues discussions. Il
s'agit là, de ma part, non pas d'une menace en l'air ou d'un excès de tribune,
mais d'une froide détermination à l'issue d'une longue et profonde
réflexion.
Je tiens d'ailleurs à dire, parlant sous le contrôle du rapporteur général,
que nous nous étions préparés à le faire dès cette année, au cas où nous
l'aurions jugé nécessaire. Il n'est pas dans la tradition du Sénat d'utiliser
la procédure pour tenter de faire prévaloir ses vues, mais il est désormais du
devoir du Sénat de rappeler que le Parlement est l'émanation du peuple français
et qu'il est seul légitime pour élaborer et adopter la loi de la République.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Que reste-t-il de nos jours et
de nos nuits de travail ? Si peu de chose ! Quelques minuscules progrès,
arrachés au forceps, comme l'abattement sur les donations consenties par des
personnes de plus de soixante-quinze ans ou le gommage des aspects les plus
attentatoires aux libertés publiques de l'article 57.
Certes, le Sénat est dans l'opposition : son rôle est de proposer, de proposer
encore, de proposer toujours ; il ne peut - et il le sait - être suivi en tous
domaines, et c'est normal parce que c'est aussi la démocratie.
Mais que dire du sort réservé à l'Assemblée nationale ? Elle n'a pas davantage
été entendue ! Où se traduisent, dans cette loi de finances, les résultats de
la « mission d'évaluation et de contrôle », dont l'objet est, précisément, de
parvenir à une maîtrise de la dépense publique ? Où est la politique préconisée
par le premier des députés, Laurent Fabius, qui, dans un discours identique au
nôtre, affirme qu'il faut réduire les prélèvements obligatoires grâce à une
baisse des dépenses, en particulier des charges de structure ? Je n'en vois
aucune trace dans le texte qui arrive ce matin de l'Assemblée nationale. Au
contraire, si cette dernière parle abondamment de réduire les impôts, dans la
réalité, elle les augmente, notamment sur les entreprises qui créent l'emploi
dans notre pays, puisque l'impôt sur les sociétés a été majoré par les députés
de 2,7 milliards de francs.
En conclusion, monsieur le ministre, cette discussion sur le projet de loi de
finances pour 2000 me laisse, comme démocrate, une bien piètre impression. Non
que le débat fut désagréable puisqu'il a toujours été, au contraire, très
courtois, très approfondi, très sérieux ; mais il laisse l'impression d'une
débauche d'efforts inutiles ; il traduit une perte infinie du sens démocratique
: la loi devient celle des ministres, des bureaux, des administrations, comme
si la représentation du peuple n'était plus qu'un musée, la volonté générale
s'exprimant désormais sur les plateaux de télévision et dans les grands
journaux. A ce jeu là, monsieur le ministre, la France y perdra beaucoup plus
que vous n'osez l'imaginer. En tout cas, le Sénat ne vous encouragera pas dans
cette voie ; il considère qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la discussion dans
un tel déficit démocratique. C'est pourquoi il votera la motion tendant à
opposer la question préalable, proposée par le rapporteur général.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le
rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de
finances pour 2000 vous est soumis aujourd'hui pour un ultime examen, et j'ai
plaisir à être parmi vous à cette occasion.
Si je n'ai pu être présent dans cet hémicycle pendant une partie de l'examen
de ce texte en première lecture, c'est en raison de mes nouvelles fonctions :
j'ai dû tout d'abord, en effet, me rendre à Seattle, afin de défendre les
intérêts de notre pays, et notamment ceux de son agriculture. Ce déplacement
n'a d'ailleurs pas été inutile, je crois, et Christian Pierret, à qui vous avez
bien voulu rendre hommage, monsieur le rapporteur général, m'a alors suppléé.
Par ailleurs, j'ai dû participer à la réunion importante sur la Corse,
organisée sur l'initiative de M. le Premier ministre, et c'est M. Huwart qui, à
ce moment-là, m'a remplacé. Je crois que nous aurons l'occasion de reparler de
la Corse très prochainement. Je tenais donc simplement, en introduction à mon
propos, à vous exprimer tout le respect que je porte à la Haute Assemblée.
Contrairement à ce qu'a dit tout à l'heure M. le président de la commission
des finances, qui voulait sans doute teinter ses propos d'une touche d'humour
subtil, je ne considère pas que nous sommes ici, comme au théâtre, pour jouer
une pièce. Je crois que nous sommes ici dans un lieu de débat démocratique
entre le Gouvernement, sa majorité et le Sénat, qui est effectivement dans
l'opposition. Je donnerai d'ailleurs plusieurs preuves témoignant de la qualité
de ce débat, même si, monsieur le président de la commission, monsieur le
rapporteur général, les résultats vous semblent parfois décevants.
C'est un fait que la commission mixte paritaire, qui s'est réunie mercredi
dernier, n'est pas parvenue à un accord, de sorte que l'Assemblée nationale a
revu le texte en nouvelle lecture. Elle est naturellement revenue aux grandes
lignes du budget qu'elle avait adopté en première lecture, tout en intégrant
des contributions apportées par le Sénat et en apportant de nouvelles
améliorations pour élaborer le texte qui vous est soumis aujourd'hui et qui me
paraît de bonne qualité.
Le fait que l'Assemblée nationale soit revenue aux grandes lignes du projet de
budget en faveur de la croissance, de la solidarité et de la justice sociale ne
doit pas étonner. M. Marini, dans son discours de belle portée, a parlé d' «
exception française ». Je considère, moi aussi, que notre pays vit une
exception : c'est l'exception de la croissance. Sur la période 1997-1999, notre
pays a connu une croissance nettement plus rapide que celle de nos grands
voisins européens, et le Fonds monétaire international accorde d'ailleurs à la
France la médaille d'or de la croissance pour 2000, parmi les pays du G 7. Il
est donc un fait que notre pays, qui était plutôt en queue de peloton entre
1991 et 1997, s'est porté en tête. Il y a là une heureuse exception, que M. le
rapporteur général me permet de saluer.
Sur le plan fiscal, l'Assemblée nationale a rétabli la logique d'ensemble du «
paquet » de mesures favorables à l'emploi, à la solidarité et au développement
durable : elle a notamment repris le texte initial en ce qui concerne la baisse
de la TVA sur les travaux dans les logements, la baisse des frais de notaire ou
la suppression progressive du droit de bail. Elle a également rétabli un
certain nombre de dispositifs visant à encourager les entreprises à orienter
leurs décisions vers l'investissement productif plutôt que vers les placements
financiers spéculatifs : il s'agit de la baisse du taux de l'avoir fiscal et de
la limitation de l'exonération des dividendes.
En matière de dépenses, l'Assemblée nationale n'a pas eu d'autre choix que de
rétablir les budgets qui avaient été rejetés en bloc par le Sénat.
Il est vrai - je le dis sans humour - que le Sénat, contrairement aux années
passées, n'a pas présenté de contre-budget assorti des économies
correspondantes, fussent-elles forfaitaires. Cet exercice, auquel nous nous
sommes livrés pour les budgets de 1998 et de 1999, avait le mérite de montrer
avec clarté qu'il y avait effectivement deux orientations, chacune ayant sa
forte cohérence et mettant des moyens différents au service d'objectifs
différents.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Reconnaissance tardive !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Le Sénat avait
annulé les budgets de l'emploi, de la solidarité, de l'éducation, de la
recherche et de l'environnement. L'Assemblée nationale les a rétablis.
Quant au déficit budgétaire, il a été ramené à 215,3 milliards de francs,
c'est-à-dire, comme M. le président de la commission des finances l'a noté, à
un niveau quasiment identique à celui qu'avait fixé le projet de loi de
finances initial.
Je ne pense d'ailleurs pas que la variation du déficit budgétaire en cours
d'examen soit un critère de qualité du débat démocratique, et le déficit établi
à 215,3 milliards de francs me paraît plus significatif que celui qui résultait
de vos propres travaux, puisque vous aviez rejeté vingt et une sections
budgétaires sur trente.
Je voudrais insister, après M. le rapporteur général, qui l'a fait avec une
grande honnêteté, sur le fait que l'Assemblée nationale a repris plusieurs des
contributions du Sénat.
Plusieurs dispositions introduites par des amendements présentés par la
commission des finances du Sénat ont été confirmées : il en est ainsi, par
exemple, du prolongement de la réduction des droits sur les donations pour les
personnes âgées de plus de soixante-quinze ans, de la simplification des
formalités fiscales pour les contribuables ayant opté pour le paiement par
acomptes de leurs impôts locaux, ou de l'amélioration des mécanismes de
compensation de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle
pour les fonds nationaux de péréquation de cette taxe.
L'Assemblée nationale a également retenu des amendements issus des groupes de
la majorité plurielle et adoptés par la Haute Assemblée. Je pense notamment, à
cet égard, à des amendements proposés par le groupe communiste républicain et
citoyen et tendant au durcissement de l'imposition forfaitaire annuelle pour
les
holdings
de sociétés, à la prise en compte pour le calcul des
dégrèvements de taxe d'habitation du caractère exceptionnel de certains
revenus, ou encore au remboursement des taxes sur les carburants propres
utilisés par les exploitants de bennes à ordures.
Je tiens aussi à souligner une mesure importante prise sur l'initiative de M.
Loridant, à savoir le relèvement des minima de perception sur les tabacs, qui
permettra d'accompagner le relèvement des prix du tabac l'an prochain et de
contribuer ainsi à éviter que ne pénètrent sur notre marché des cigarettes à
bas prix pouvant relancer la consommation, notamment chez les jeunes.
Enfin, de nouvelles améliorations ont été apportées au projet de loi de
finances par l'Assemblée nationale, dans le sens des attentes du Sénat.
A cet égard, je voudrais tout d'abord revenir sur l'article 57, à propos
duquel M. le rapporteur général s'est exprimé fortement et qui a clairement été
amélioré sur le fondement des débats de la Haute Assemblée.
La Haute Assemblée s'était en effet inquiétée des atteintes au secret
professionnel qui auraient pu résulter de l'obligation pour les professions
libérales d'ouvrir leurs livres de comptes et de donner accès à des données
individuelles. L'Assemblée nationale a adopté un amendement qui, tout en
rétablissant l'article voté en première lecture, a supprimé la possibilité pour
l'administration fiscale de demander des informations sur l'identité des
clients des contribuables soumis au secret professionnel.
Je crois que le Sénat, comme l'a dit M. le rapporteur général, a pleinement
joué son rôle dans ce débat, ce dont, au nom du Gouvernement, j'ai plaisir à
lui donner acte.
L'Assemblée nationale a évité ainsi que le texte qui est actuellement en cours
de discussion ne puisse être interprété comme portant atteinte au secret
professionnel, et elle a répondu aux attentes des professions médicales et
paramédicales dont le Sénat s'était, à juste titre, fait largement l'écho.
Je me félicite personnellement de cette nouvelle rédaction qui lève toute
ambiguïté quant à la portée réelle de l'article 57 et qui confirme que le
Gouvernement, avec ce texte, avait l'intention non pas de permettre à
l'administration fiscale de recueillir des informations sur l'identité de ceux
qui s'adressent à un médecin ou à un avocat pour porter atteinte au secret
professionnel, mais seulement de mettre en mesure l'administration fiscale de
contrôler les revenus des professions libérales, comme ceux de toutes les
professions.
Au total, je crois que le texte a été substantiellement amélioré par les
navettes parlementaires, et que, de ce point de vue, il n'y a pas eu le déficit
démocratique que M. le président de la commission des finances a voulu
souligner. Il est un fait que le projet de budget qui vous est soumis
aujourd'hui n'entre pas dans la logique que je pourrais qualifier de « libérale
» de la majorité de la Haute Assemblée : il illustre une autre politique, comme
M. le rapporteur général l'a fort bien dit. Le budget qui vous est présenté,
dans l'esprit du Gouvernement, a pour but de soutenir la croissance française,
de développer l'emploi et d'agir au profit des jeunes, des personnes
défavorisées et des exclus.
Je voudrais maintenant répondre à quelques points soulignés par M. le
rapporteur général.
Tout d'abord, je tiens à lui préciser, afin de le rassurer, que, s'agissant
des étrangers internés et déportés politiques venus en France à partir du 1er
septembre 1999, l'Assemblée nationale a voté l'article conforme, après avoir
peut-être eu, à un moment, la tentation de l'amender. Mais le résultat, j'en
suis sûr, est conforme à ses souhaits.
S'agissant de l'amendement déposé par M. Baylet, qui permettait de maintenir
l'exonération de l'impôt sur le revenu pour les indemnités de licenciement
réinvesties dans des créations d'entreprise nouvelle, le Gouvernement,
représenté par M. Christian Pierret, ici, ou par moi-même, à l'Assemblée
nationale, a manifesté beaucoup d'intérêt pour cette proposition, en regrettant
toutefois que la forme n'en soit pas suffisamment aboutie pour lui permettre de
donner un avis favorable sans réserve. Mais l'idée défendue par M. Baylet était
bonne, comme je l'ai dit devant l'Assemblée nationale.
S'agissant enfin de l'évolution de la discussion budgétaire, M. le rapporteur
général a évoqué la nécessité de poursuivre certains débats et d'accroître
l'information parlementaire.
Nous aurons tout d'abord l'occasion, si la commission des finances le veut
bien, d'examiner, comme l'an dernier, les perspectives pluriannuelles que je
transmettrai à mes partenaires européens au mois de janvier. Ce moment
important doit nous permettre de situer la politique budgétaire dans une
perspective à long terme : il s'agira, en l'occurrence, de 2003. Je souhaite
que nous puissions en débattre au début de l'an prochain.
Nous aurons, par ailleurs, comme chaque année, le rendez-vous de printemps sur
le débat d'orientation budgétaire, qui inclura l'examen des gestions
passées.
J'ajoute que, en matière d'information du Parlement, nous avons enrichi le
rapport économique, social et financier. Toutefois, si cela se révèle
nécessaire, nous sommes prêts à le perfectionner encore pour l'édition de
septembre 2000.
Au regard de la rénovation de la procédure budgétaire, un progrès a été fait à
l'Assemblée nationale.
Vous avez fait allusion à la mission d'évaluation et de contrôle, qui a
débouché sur deux éléments importants : tout d'abord, le débat relatif à cinq
budgets a été rénové et concentré dans un débat en commission, à la
satisfaction, me semble-t-il, des parlementaires, comme du Gouvernement. Par
ailleurs, la mission d'évaluation et de contrôle s'est penchée sur un certain
nombre de budgets et a procédé à une évaluation de qualité. Nombre de ses
conclusions ont déjà été prises en compte, et d'autres le seront
ultérieurement.
Pour terminer, je veux répondre à l'intervention assez grave dans son ton de
M. le président de la commission des finances.
Le Gouvernement et moi-même ne sommes pas en train de jouer une pièce de
théâtre, avec ou sans auteur ! Nous sommes au coeur d'un débat démocratique où
chacun a joué son rôle, sa partition. Et je ne donnerai qu'un exemple pour le
confirmer : celui de la baisse de la TVA sur les travaux d'entretien dans les
logements.
Il s'agit là d'un point qui avait été mentionné par M. Alain Lambert, alors
rapporteur général, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1998,
qui a été repris ensuite par M. Philippe Marini, pour le projet de loi de
finances pour 1999, qui a fait l'objet d'un examen par le Sénat et d'une
résolution par l'Assemblée nationale ; tout cela a permis au Gouvernement, et à
Dominique Strauss-Kahn en particulier, de convaincre nos partenaires européens
qu'il y avait là une réforme importante à faire du point de vue de l'emploi.
Je pense que, avec cette mesure phare du budget qui vous est soumis, le
Parlement a joué un rôle non seulement de contrôle mais aussi d'impulsion et
d'appui dans un débat européen qui n'était pas facile.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Elle est entrée en vigueur avant
d'être votée par le Parlement, d'ailleurs !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous savez très
bien que si l'on prend une telle décision - et cela a été le fait dans le passé
pour la TVA sur les automobiles -...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je sais bien !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... on ne peut
pas l'annoncer le 15 septembre en disant qu'elle s'appliquera le 1er janvier
suivant !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Vous présentez cette mesure
comme un succès du Parlement !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Qu'auraient fait
les artisans d'Alençon, de Compiègne, de tous les villages et villes de France
?
M. Michel Charasse.
De Puy-Guillaume !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Echantillon choisi par hasard !
M. Christian Sautter,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Absolument ! Ce
sont des villes particulièrement sympathiques.
Il est de tradition, lorsqu'il y a des baisses d'impôts, qu'elles s'appliquent
dès qu'elles sont annoncées, de façon à ne pas paralyser l'activité
économique.
Nous parlerons cet après-midi de la Corse, et nous aurons l'occasion de
développer longuement ce point. Après une réunion particulière fructueuse entre
le Gouvernement et les élus, le Premier ministre a décidé de proposer au
Parlement - et cela commencera par la Haute Assemblée - une mesure fiscale sur
laquelle nous reviendrons.
Vous ne retirerez pas au Gouvernement le droit de proposer des mesures
fiscales, sachant qu'il revient au Parlement de les adopter.
Nous avons tous, me semble-t-il, bien travaillé, chacun avec ses conceptions,
chacun respectant l'autre, en faisant preuve de capacité d'écoute et de
conviction.
Le cru du budget 2000 me paraît être un bon cru démocratique, même si - et je
comprends, monsieur le président de la commission des finances, que vous en
ayez un pincement de regret - la majorité qui soutient le Gouvernement
adoptera, en définitive, un budget qui n'est pas entièrement conforme à vos
voeux.
Je conclurai mon propos en soulignant une nouvelle fois l'importance du rôle
de la Haute Assemblée - nous l'avons notamment constaté, entre autres points,
sur le fameux article 57 - et en rappelant l'estime et le respect que le
Gouvernement a pour les travaux du Sénat.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
discussion de ce projet de loi de finances pour 2000 arrive enfin à son
terme.
Comme nous pouvions évidemment nous y attendre, l'échec de la commission mixte
paritaire - un échec en quelque sorte programmé - a conduit l'Assemblée
nationale à rétablir, pour l'essentiel, moyennant quelques menues retouches au
texte qu'elle avait adopté en première lecture, la teneur du projet de loi sur
lequel elle s'était mise d'accord au début de la navette.
Les débats menés au sein de la Haute Assemblée n'auront donc pas été d'une
grande portée sur le contenu de la loi de finances pour 2000, sinon pour
marquer un peu plus la différence de conception qui anime la majorité
sénatoriale et la majorité gouvernementale. Il est vrai que la position que
vous défendez, monsieur le rapporteur général, commence à être quelque peu
inconfortable.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Oh ! Elle est plus confortable que la vôtre !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
En effet, vous nous aviez habitués, pendant quatre ans, à l'austérité
budgétaire, et vous vous trouvez contraints de débattre de l'existence de
plus-values fiscales dissimulées et de réduction de la dépense publique.
Il n'y a pourtant pas, dans le projet de loi de finances pour 2000, de quoi
vous insurgez contre le gaspillage des deniers publics.
L'exécution du budget de 1999 montre que la progression de la dépense publique
est, dans les faits, assez proche, sinon identique à celle du produit intérieur
brut, ce qui signifie très concrètement qu'il n'y a pas de dérive des dépenses
budgétaires.
Le mouvement de croissance des dépenses publiques en 2000 sera sensiblement
inférieur à la croissance réelle de l'économie, ce qui signifie aussi que le
niveau des prélèvements obligatoires n'est pas, à structure constante,
majoré.
On ne peut et on ne doit en effet jamais oublier que la valeur des rentrées
fiscales doit être prise en compte en regard de l'évolution de la richesse
nationale et que le niveau des prélèvements obligatoires n'est donc pas
nécessairement, en valeur relative, plus important.
De toute façon, nous ne pensons pas que l'existence d'un niveau plus ou moins
important de prélèvements obligatoires pose un problème particulier.
En cette matière, comme nous l'avons déjà dit, la question est de savoir non
pas quel pourcentage de prélèvements est appliqué, mais qui paie et pour quoi
faire.
Certains pays, économiquement évolués, ont des taux de prélèvements plus
importants, et d'autres des niveaux de prélèvements moins importants ; mais ce
qui compte en dernière instance, c'est de savoir quels besoins collectifs sont
socialisés et quels besoins collectifs ne le sont pas.
Les Etats-Unis ont un niveau de prélèvement plus faible, mais n'oublions pas
que, dans ce pays, des besoins comme la couverture santé, l'assurance
vieillesse ou le financement de l'enseignement supérieur sont pour l'essentiel
non socialisés et directement individualisés ou soumis à la seule loi de
l'initiative privée.
C'est là aussi une question de choix de société, et je ne suis pas persuadée
que la société américaine soit, en fin de compte, malgré son important
potentiel de croissance et de développement, malgré la puissance de ses entités
industrielles et commerciales, plus équilibrée, plus juste et plus humaine que
la nôtre.
Le fait que nos concitoyens soient attachés à un certain modèle de
développement social et que nous nous efforcions de donner toute sa pertinence
à ce modèle au travers de l'action législative que nous pouvons mener ne nous
pose donc pas de problème.
C'est d'ailleurs cette démarche, qui traduit le souci de mettre la croissance
au service de la réduction des inégalités sociales, qui nous a guidés dans ce
débat budgétaire.
Que nos conceptions n'aient pas été toujours prises en compte est un aspect du
bilan que l'on peut relever au terme de ces controverses.
C'est ainsi que vous concevrez aisément, monsieur le ministre, que les membres
de mon groupe et moi-même puissions nourrir quelques regrets à l'examen de
l'état actuel de ce projet de loi de finances pour 2000.
Un journal que j'ai l'habitude de lire, comme d'ailleurs tous les autres,
comme vous tous, mes chers collègues, titrait, le jour de la présentation du
projet de loi : « Loi de finances 2000 : pourquoi si peu d'audace ? »
En la matière, même si nous avons apprécié positivement certaines mesures
annoncées - baisse de la TVA sur les travaux dans les logements, suppression
progressive du droit de bail, suppression d'un certain nombre d'impôts et taxes
désuets, renforcement de la fiscalité sur les sociétés bénéficiant du régime
spécial des groupes, réduction de l'avoir fiscal - nous aurions souhaité plus
d'audace dans certains domaines, notamment au travers des propositions que nous
avons formulées dans le débat et que, dans sa grande sagesse, le Sénat avait
jugé utile d'adopter.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Voilà l'inconfort !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je pense ainsi à la réduction du taux de la TVA sur les prothèses auditives et
optiques, à la possibilité offerte aux collatéraux vivant sous le même toit de
déposer une déclaration commune d'imposition sur le revenu, à l'exonération de
taxe foncière des bénéficiaires de minima sociaux comme le RMI ou l'allocation
de la solidarité spécifique, ou encore à la détaxation partielle du gazole pour
les transporteurs publics de voyageurs.
Je me permettrai donc de souligner que la modicité relative du coût de ces
mesures et leur impact potentiel devraient motiver, dans le cadre de l'ultime
lecture, un nouvel examen.
Par exemple, nous nous interrogeons sur la cohérence d'une position qui
consiste, par la voix de Mme la ministre des affaires sociales, à annoncer
l'effacement des dettes fiscales des titulaires de minima sociaux et à ne pas
retenir le principe d'une exonération d'office de la taxe foncière qu'ils
peuvent être amenés à payer.
De la même manière, se fixer un objectif de développement de transports moins
polluants nécessite, dans un premier temps, si l'on veut permettre aux services
publics de transports de voyageurs de recourir à des véhicules utilisant des
carburants dits propres, de réduire les contraintes de fonctionnement qu'ils
subissent du fait de l'alourdissement de la taxation grevant l'usage du
gazole.
Il s'agit pour nous de s'inscrire dans une démarche facilitant
l'autofinancement de ces investissements et non dans une démarche de
développement du phénomène de pollution, et ce d'autant qu'il n'est pas
scientifiquement prouvé que les carburants dits sans plomb soient forcément
moins polluants que le gazole.
En termes de mesure de la pollution, c'est uniquement la nature des rejets qui
est mise en avant et non leur quantité.
C'est cette démarche dynamique, cette approche nouvelle de la gestion des
deniers publics qui permettra aussi, à terme, de dégager de nouvelles marges de
manoeuvres financières pour l'action publique.
Vous comprendrez, par exemple, qu'il nous soit difficile d'admettre que l'on
ne puisse pas trouver 500 millions de francs pour des exonérations de taxe
foncière ou 150 millions de francs pour une détaxation de carburant quand on en
a trouvé plus de 5 milliards de francs pour alléger les droits de mutation,
recette pourtant essentielle des collectivités territoriales depuis les lois de
décentralisation.
Le Gouvernement doit donc donner des signes plus forts du changement de
politique que nos compatriotes attendent depuis 1997. Ce n'est pas là pour nous
un mauvais procès intenté à une politique budgétaire, mais bien plutôt une
remarque, un constat qui doit conduire à des propositions nouvelles.
Nous voulons dire les choses clairement : la majorité sénatoriale a fait la
démonstration, au travers de ce débat budgétaire, de son incapacité à prendre
en compte les véritables besoins collectifs et de sa conception profondément
inégalitaire de la fiscalité. Elle ne l'entend, cette fiscalité, que
lorsqu'elle favorise une forme de redistribution à l'envers, au profit quasi
exclusif des plus fortunés et des entreprises.
Dans ce contexte, il nous semble que la démarche du Gouvernement doit être
plus audacieuse, plus encore efficace pour ce qui est de parvenir à une plus
grande justice fiscale et à un système de prélèvement plus efficient pour
inciter au progrès économique et social.
Bien évidemment, nous ne voterons pas la question préalable, présentée par M.
le rapporteur général au nom de la majorité sénatoriale, ses attendus étant à
mille lieues de ce qu'il convient de faire, aujourd'hui, en matière de
nouvelles capacités d'intervention de l'Etat.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable