Séance du 27 octobre 1999
ACTIVITÉS PHYSIQUES ET SPORTIVES
Discussion d'une proposition de loi déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 443,
1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence,
portant diverses mesures relatives à l'organisation d'activités physiques et
sportives. [Rapport n° 24 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, comment ne pas avoir aujourd'hui une pensée
particulière pour ce grand champion que fut Marcel Cerdan, qui nous quittait
voilà tout juste cinquante ans ?
La proposition de loi qui vous est présentée est soutenue par le
Gouvernement.
Les dispositions dont nous allons débattre ne sont pas séparables des réformes
engagées par le Gouvernement dans le domaine du sport pour préserver l'éthique,
pour renforcer la cohésion et la solidarité entre tous les niveaux de pratique
à travers la vie associative, pour développer les fonctions sociales,
éducatives et citoyennes du sport.
Ces trois objectifs se retrouvent dans trois textes législatifs.
Le premier de ces textes, que vous m'avez fait l'honneur d'adopter à
l'unanimité, concerne la lutte pour la santé des sportifs et contre le dopage,
une lutte qui repose, bien sûr, sur des principes éthiques et qui porte
pleinement les valeurs éducatives du sport.
Le deuxième projet de loi repose sur une modification en profondeur de la loi
de 1984. Précédé d'un très large débat avec le monde du sport, il sera présenté
au Parlement dès le début de l'année 2000.
Là encore, à travers des mesures comme celles qui visent à la création d'un
fonds de mutualisation d'une partie des droits de télévision liés au sport, à
la valorisation de l'association sportive, à la féminisation des pratiques et
des responsabilités, à la réglementation de la profession d'intermédiaire, à
l'adaptation et la modernisation des formations et des qualifications, de quoi
est-il question ? D'éthique, de solidarité entre les différents niveaux de
pratique, d'éducation, d'association citoyenne.
Enfin, voici le troisième texte législatif lié au sport, un texte d'origine
parlementaire, qui vise à modifier le statut juridique des clubs
professionnels, à rétablir un véritable lien public avec ce secteur de
l'activité sportive et économique, à protéger les sportifs mineurs de risques
réels d'abus, à consolider les structures de formation des jeunes.
Là encore, il s'agit donc bien d'éthique, de lien social.
J'ajoute que, depuis l'adoption en première lecture de cette proposition de
loi, le 17 juin dernier - comme le souligne à juste raison le rapport de la
commission - une actualité aussi riche en milliards qu'en rebondissements est
venue conforter notre volonté commune de ne pas accepter la soumission du sport
à des règles exclusivement commerciales, la rentabilité du spectacle primant
sur toute autre considération. Fort heureusement, nous n'en sommes pas là, mais
nous savons que les marchands sont désormais plus attirés par les stades que
par les temples. Le défi à relever est exigeant.
C'est ce qui fonde le soutien du Gouvernement à cette proposition de loi.
S'agissant du statut juridique des clubs professionnels, le dispositif proposé
est tout à fait pertinent, pour trois raisons qui me semblent essentielles.
En premier lieu, c'est l'association sportive qui garde le rôle pivot dans
l'organisation du secteur professionnel, quelle que soit la forme juridique
retenue. L'association et la société définissent leurs relations par
conventions, ce qui est essentiel.
En deuxième lieu, le dispositif législatif proposé prend parfaitement en
compte la très grande diversité du sport professionnel.
Rien n'aurait été plus absurde que de vouloir imposer un cadre juridique
unique à des clubs aux situations très différentes, d'un sport à l'autre, mais
également à l'intérieur du même sport.
Les quatre types de sociétés sportives proposées maintiennent les situations
existantes et apportent un plus, dans des conditions précises.
Cela me conduit à une troisième observation.
Pour certains clubs français de football, de basket ou de rugby, il est
incontestable que les formes juridiques actuelles peuvent être un obstacle à
l'arrivée de nouveaux investisseurs.
C'est pourquoi la société anonyme sportive professionnelle, la SASP, disposera
des mêmes prérogatives qu'une société anonyme de droit commun, à deux
exceptions près sur lesquelles je reviendrai.
La création de cette société anonyme n'est pas une concession à une vision
rentable du sport. C'est une réponse maîtrisée, dans la mesure où les
possibilités nouvelles de développement économique ne vont jamais au-delà des
limites qu'impose le respect du sens du sport.
Plusieurs garde-fous sont posés.
Tout d'abord, dès l'article 1er de la proposition de loi, la nouvelle société
anonyme garde une relation forte avec l'association sportive.
Ensuite, l'article 4 prévoit d'interdire la possibilité d'être propriétaire de
plusieurs clubs. C'est une mesure indispensable si l'on veut préserver l'équité
d'une compétition. Que se passerait-il, en effet, si une finale de Coupe de
France opposait deux clubs appartenant au même propriétaire ?
Enfin, troisième garde-fou, il sera impossible pour les sociétés anonymes de
s'introduire en bourse.
C'est un choix résolument défendu par le Gouvernement. C'est une condition
indispensable à la préservation des valeurs que le sport doit porter.
A cette mise en garde on m'a parfois opposé plusieurs arguments.
On m'a dabord dit : votre position est idéologique ! A ce compte-là, il faut
classer parmi les idéologues Michel Platini, quand il déclare : « Je suis
opposé à l'entrée en bourse. Les résultats du foot, ça ne doit pas se lire au
CAC 40 ou à Wall Street. Il y a une éthique sportive à défendre. Le foot a une
vocation sociale et doit rester un jeu. »
On m'a dit aussi : « Mais enfin ! tous les pays d'Europe y sont passés, alors
pourquoi pas la France ? »
Cette remarque ne correspond en rien à la réalité des faits. Sur les quinze
pays de l'Union européenne, cinq ont accepté la cotation en bourse des
clubs.
Et dans les cinq pays où l'accès à la bourse est autorisé, combien de clubs
ont-ils fait ce choix ? Un seul en Italie, un aux Pays-Bas, deux au Portugal,
six au Danemark et vingt-deux en Grande-Bretagne, soit trente-deux clubs sur
les cent quatre-vingts clubs professionnels de ces cinq pays.
Enfin, à ceux qui présentent la situation du football britannique comme le
modèle de la réussite boursière, il est sans doute utile de rappeler les
principales conclusions de l'audit effectué, en 1998, par le cabinet
d'expertise Deloitte et Touche.
Je cite : « Depuis l'introduction en bourse, les pertes conjointes des clubs
professionnels, toutes divisions confondues, atteignent 1 100 millions de
francs. L'écart entre la situation financière des clubs de première ligue et
celle des clubs de divisions inférieures est un gouffre qui se transforme en
abysse ». On ne peut dire les choses plus clairement.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, la bourse et le sport reposent sur des
logiques opposées. Les mécanismes de la bourse impliquent nécessairement la
disparition des plus faibles, alors qu'une compétition sportive suppose certes
qu'il y ait un premier et un dernier, mais implique aussi qu'ils soient
toujours présents dans la même compétition.
Dans la logique boursière, quelle place reste-t-il pour la glorieuse
incertitude du sport ? Aucune.
A partir de tous ces éléments, la création d'une nouvelle société anonyme
permettant de développer la taille économique d'un club dans des conditions qui
préservent la spécificité du sport est un choix équilibré et responsable.
Le dernier point relatif au statut des clubs concerne les subventions
publiques. Je sais que l'article 5 suscite un certain nombre d'interrogations ;
c'est bien normal.
Là encore, nous devons partir d'une réalité.
La législation actuelle prévoit l'interdiction des subventions publiques aux
clubs professionnels à la fin de cette année. Si ce dispositif était maintenu,
je peux vous assurer que de très nombreux clubs de basket, de rugby, de
handball, mais également de football disparaîtraient, ou connaîtraient de très
grandes difficultés.
Je peux vous dire que, depuis deux ans, de très nombreux élus locaux, en
particulier des maires, et quelle que soit leur sensibilité politique, me
demandent de revenir sur ce dispositif.
Je comprends leur préoccupation.
Le maintien d'un lien public avec tous les niveaux de pratique sportive, y
compris le niveau professionnel, est un élément essentiel de cohésion du
mouvement sportif.
A l'inverse, la suppression de toute subvention publique serait une façon de
pousser le sport de haut niveau vers une sphère marchande, au détriment de ses
fonctions sociales.
Bien évidemment, ce rétablissement de la possibilité de recevoir des
subventions publiques n'est pas aveugle. Soyons très clairs : il n'est pas
question que des fonds publics alimentent le marché des transferts !
C'est pourquoi l'article 5 propose que les subventions publiques financent
exclusivement des missions d'intérêt général, dans le cadre d'une convention
entre la collectivité et le club. Elles recouvriront essentiellement la
formation des jeunes, la participation du club à des actions sportives à
caractère social, l'aide aux bénévoles, la création d'emplois de techniciens,
d'éducateurs, d'animateurs sportifs, ou encore le soutien aux équipes de
jeunes.
En réalité, cette disposition va introduire une véritable clarté dans les
relations avec les clubs.
C'est d'ailleurs pour renforcer cette démarche qu'un décret déterminera le
niveau et l'affectation de ces subventions.
J'en viens aux deux articles concernant, d'une part, la protection des
sportifs mineurs, d'autre part, la formation des jeunes. Ces deux dispositions
sont essentielles et l'actualité vient, hélas ! le souligner.
Nous ne pouvons pas laisser se développer un commerce indigne, qui s'apparente
parfois à un véritable trafic d'enfants et peut mettre gravement en cause
l'équilibre d'un individu. Nous ne pouvons pas laisser des intermédiaires sans
scrupules casser la vie d'un jeune !
Ecoutons le témoignage de David, un jeune footballeur formé dans un club
lyonnais à qui l'agent d'un grand club étranger a promis monts et merveilles à
l'âge de dix-sept ans et qui n'a jamais vu le début de ce rêve. Voici ce qu'il
déclarait à la presse en février dernier : « Un impresario a profité de moi
parce que j'étais un gamin et que mes parents ne connaissent pas trop le milieu
du foot... Les managers veulent nous faire croire que ça va être tout beau tout
rose. Aujourd'hui, je ne suis plus rien. » A dix-neuf ans !
J'ajoute qu'une telle mesure ne mettra pas la France à contre-courant de
l'Europe, bien au contraire !
Je rappelle en effet qu'en juin dernier, en Allemagne, les quinze ministres
des sports de l'Union européenne, sur proposition de la France ont adopté à
l'unanimité la position suivante : « La prise en compte des intérêts
spécifiques du sport doit intervenir, en particulier... dans l'action des Etats
membres et des organisations sportives sur la protection des sportifs mineurs.
»
Enfin, s'agissant de l'article 7, je veux souligner combien la nouvelle
relation contractuelle entre un club formateur et un jeune, telle qu'elle est
proposée, répond à une demande du mouvement sportif.
Les clubs et les fédérations qui ont fait dans bien des cas le choix d'une
politique ambitieuse de formation des jeunes, avec le soutien de l'Etat et des
collectivités, en mesurent depuis plusieurs années les effets bénéfiques. Cette
politique est certainement devenue le premier atout du sport français.
Aujourd'hui, ces acquis sont fragilisés par une véritable déréglementation.
C'est l'une des conséquences de l'arrêt Bosman.
Le texte tend à préserver les jeunes en même temps qu'à consolider les
structures et la politique de formation, en évitant l'« achat » de jeunes au
terme de celle-ci.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
raisons de fond qui motivent le soutien du Gouvernement à cette proposition de
loi.
La commission des affaires culturelles du Sénat propose de préciser et
d'enrichir maintes dispositions de ce texte, mais sans remettre en cause ses
principales orientations, ce dont je me réjouis.
Cette proposition de loi marque une reconnaissance de l'apport spécifique du
sport professionnel à notre pays, une prise en compte de ses besoins et de ses
missions.
En refusant tout autant l'immobilisme que la fuite en avant, en adoptant des
mesures qui répondent à des besoins réels et renforcent la cohésion et
l'éthique sportives, vous poursuivrez le travail que nous avons engagé ensemble
depuis deux ans.
(Applaudissements.)
M. Michel Sergent.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. James Bordas,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui
nous est soumise aujourd'hui en urgence, après avoir été examinée et adoptée un
peu rapidement en juin dernier par l'Assemblée nationale, constitue une
nouvelle « pièce détachée » du projet de loi modifiant la loi de 1984 que nous
examinerons au printemps prochain.
Elle comporte des mesures diverses - pour ne pas dire disparates - relatives
au sport professionnel, mesures qui seront d'ailleurs complétées par des
dispositions du prochain projet de loi.
Nous vous avons déjà dit en commission, madame la ministre, qu'il ne nous
semblait pas de bonne méthode de procéder ainsi. Mais nos objections ne se
limitent pas à la méthode. Nous craignons aussi que ces mesures ne soient pas à
la hauteur des problèmes qu'elles sont censées traiter.
Cela tient, bien sûr, pour une part, à leur caractère un peu improvisé et à
leur rédaction imprécise : à cet égard, nous vous proposerons, mes chers
collègues, de leur donner une portée plus concrète.
Mais cela tient surtout au fait qu'elles abordent des questions que nous ne
pouvons pas espérer résoudre à l'échelon national. D'ailleurs, comme l'a très
justement relevé en commission notre collègue Jean-Luc Miraux, nous devons nous
inquiéter des conséquences que pourraient avoir certaines des dispositions de
la proposition de loi si des mesures identiques n'étaient pas prises à
l'étranger.
Or il nous semble, madame la ministre, que le « bon exemple » que nous avons
cherché à donner en matière de lutte contre le dopage tarde à être suivi, et
cela nous conduit, vous le comprendrez, à nous interroger sur la bonne volonté
de nos partenaires étrangers.
Mes chers collègues, je ne ferai pas à cette tribune l'exposé détaillé des
dispositions de la proposition de loi, ne serait-ce que parce que certaines
d'entre elles se bornent à reprendre le droit en vigueur ; je pense en
particulier à celles qui ont trait aux rôles respectifs des associations et des
sociétés ainsi qu'aux conventions qui régissent leurs rapports, ou à celles qui
prohibent, uniquement d'ailleurs au niveau national, ce qu'il est convenu
d'appeler la « multipropriété » des clubs sportifs.
Je n'insisterai pas non plus sur les dispositions du texte qui rétablissent
les subventions publiques aux clubs professionnels, sinon, madame la ministre,
pour vous demander si vous pouvez nous préciser aujourd'hui le contenu du
décret d'application dont dépendra en fait la portée du nouveau dispositif.
Nous voudrions, à ce sujet, vous faire part d'une inquiétude : même si la
présente proposition de loi est adoptée avant le 31 décembre prochain, même si
le décret d'application paraît sans délai, cela ne suffira pas pour que ce
dispositif puisse être appliqué dès le début de l'an 2000.
Certes, le relèvement des seuils intervenu en juin dernier fera échapper
beaucoup d'associations à l'encadrement des subventions publiques. Espérons au
moins, mes chers collègues, que ce relèvement des seuils n'incitera aucune
association à renoncer à constituer une société et à présenter les garanties
que cela implique en matière de transparence et de rigueur dans la gestion de
ses activités commerciales, d'autant que la proposition de loi supprime
définitivement le régime de l'association à statut renforcé, créé en 1987 pour
concilier statut associatif et gestion rigoureuse. Le relèvement des seuils
retire en tout cas une grande part de sa portée à la disposition de la
proposition de loi qui prévoit de rendre alternatifs, et non plus cumulatifs,
les critères retenus pour apprécier l'importance des activités commerciales des
associations sportives et leur imposer la constitution d'une société.
Mais là n'est sans doute pas l'essentiel, et je voudrais à présent en venir,
mes chers collègues, aux dispositions les plus importantes de la proposition de
loi, celles qui concernent, d'une part, le statut des clubs sportifs et,
d'autre part, la protection des jeunes sportifs mineurs comme celle des
intérêts des clubs formateurs, deux préoccupations qui ne sont d'ailleurs pas
très faciles à concilier.
En ce qui concerne le statut des clubs sportifs, la création de la société
anonyme sportive professionnelle, la SASP, a largement éclipsé le reste du
dispositif, que je présenterai brièvement avant de tenter d'analyser la portée
concrète de la « révolution culturelle » que représente cette nouvelle
catégorie de société sportive.
La proposition de loi modifie en effet sensiblement la gamme des choix
statutaires offerts aux clubs professionnels.
Je l'ai déjà dit, les associations à statut renforcé disparaissent. Mais là ne
s'arrêtent pas les innovations.
La plus ancienne des sociétés sportives, la société d'économie mixte sportive
locale, qui avait été créée en 1975, est quant à elle « mise en extinction » :
les SEM existantes pourront garder leur statut, mais il ne pourra plus en être
créé de nouvelles.
Les associations sportives auront donc désormais le choix entre trois
formules, dont deux nouvelles : la société anonyme à objet sportif, ou SAOS,
seule « survivante » des formules mises en place en 1984, et dont le statut ne
change pas ; l'entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée,
EUSRL, qui est juridiquement une SARL à associé unique et constitue donc la
seule société sportive qui ne relève pas du régime de la société anonyme ;
enfin, la société anonyme sportive professionnelle, le plus novateur des
régimes proposés aux clubs.
La SASP ne sera pas tout à fait une société anonyme de droit commun. Elle
devra, comme les autres sociétés sportives, adopter des statuts conformes à des
statuts types. Je rappelle, à ce propos, que c'est actuellement une clause de
leurs statuts types, qui interdit en fait aux SAOS et aux SEM sportives d'être
cotées sur un marché réglementé.
Elle devra aussi conclure une convention avec l'association, qui disposera à
son égard de certains des pouvoirs de contrôle réservés aux actionnaires
minoritaires mais ne participera pas obligatoirement, il faut le souligner, à
son capital.
La SASP échappe cependant aux autres contraintes imposées jusque-là aux
sociétés sportives. En particulier, elle pourra distribuer des bénéfices. Ce
sera donc la seule société sportive à être une vraie société commerciale, dont
la finalité est la réalisation et le partage d'un profit.
La SASP lève ainsi le tabou interdisant qu'un club professionnel puisse être
une entreprise à but lucratif : cela paraît correspondre à un choix réaliste et
courageux.
Mais que peut-on attendre, concrètement, de la création de la SASP ? Elle
semble susciter beaucoup d'espoirs, comme l'avait d'ailleurs fait, avant elle
la SAOS.
Si l'on étudie les débats de l'Assemblée nationale, on a l'impression que,
pour nos collègues députés, il ne fait pas de doute que la SASP résoudra les
problèmes actuels des clubs professionnels et que la seule question qui se pose
est de savoir si cela dépend ou non de son accès au marché financier.
J'avoue que nous avons, pour notre part, envisagé un peu différemment la
question. Il faut, nous semble-t-il, relativiser les avantages de la SASP, et
la possibilité de faire publiquement appel à l'épargne n'y changerait rien, au
moins pour l'instant. J'aborderai successivement ces deux points.
La SASP est, bien sûr, pour les investisseurs privés, une formule nettement
plus intéressante que les autres sociétés sportives. Elle leur permettra de
toucher des dividendes - du moins quand il y aura des bénéfices ! - et elle
sera, en fait, assez largement autonome par rapport à l'association.
Cela dit, les statuts ne sont pas tout, et la situation économique des clubs
n'en sera pas changée.
Pour prendre l'exemple des clubs de football - les premiers concernés -, si
leur situation s'est globalement améliorée, en partie grâce aux apurements de
passif consécutifs à des dépôts de bilan, elle reste très fragile.
Ils n'ont pas d'actifs : ils ne sont pas, sauf exception, propriétaires de
leurs stades ni de leurs marques, ni des droits d'exploitation audiovisuelles.
En fait, leurs seuls actifs, ce sont leurs joueurs, ce qui est, à tous égards,
bien peu satisfaisant.
Par ailleurs, ils ne maîtrisent pas l'évolution de l'essentiel de leurs
recettes, les droits de diffusion et le sponsoring, et leur prospérité
budgétaire dépend aussi de leurs résultats sportifs, par définition
incertains.
Pour transformer un club en une entreprise raisonnablement solide et rentable,
pour diversifier, par exemple, ses activités, comme l'ont fait les grands clubs
anglais dont on nous parle toujours, il faudrait consentir des investissements
très importants et à long terme : ce n'est pas le rêve de l'investisseur
moyen...
La SASP n'est donc pas, en elle-même, une solution aux problèmes de
financement des clubs sportifs.
C'est là qu'interviennent les partisans de la cotation en bourse, qui pensent
que les SASP ne « marcheront » que si elles peuvent faire appel à l'épargne sur
les marchés financiers.
L'Assemblée nationale s'y est opposée, en interdisant - par une bien mauvaise
rédaction, soit dit en passant - que les titres des SASP soient admis sur les
marchés réglementés ou non réglementés.
Nous avons longuement réfléchi à cette question, et les arguments invoqués de
part et d'autre nous ont paru également peu convaincants.
Comment imaginer que le recours aux marchés financiers serait une solution
miracle pour des entreprises qui ne trouvent pas d'investisseurs ? Mais peut-on
dire, d'un autre côté, que le recours aux marchés financiers est moins conforme
à l'éthique sportive que les « ventes » de joueurs ou la création de clubs
sportifs « à but lucratif » ?
En revanche, deux autres éléments nous paraissent devoir être pris en
considération : le premier, c'est que, de toute façon, la question de l'accès à
l'épargne publique des clubs ne paraît pas se poser dans l'immédiat et, en tout
état de cause, certainement pas avant que nous abordions l'examen du projet de
loi réformant la loi de 1984 ; le second, c'est que l'accès des clubs sportifs
à l'appel public à l'épargne nous paraît mériter réflexion et justifier que
nous pesions nos responsabilités.
Cet appel public à l'épargne pose d'abord un problème spécifique de protection
des épargnants. Les actions des clubs de football seront, surtout en l'état
actuel, des placements « à risque ». Dans un pays comme le nôtre, où
l'actionnariat populaire n'est pas développé, il ne faudrait pas que des
personnes vulnérables confondent l'enthousiasme du supporter avec l'attitude
plus circonspecte qui doit être celle de l'épargnant.
Il est un peu inquiétant, à cet égard, d'entendre vanter par certains la
stabilité qu'assurerait à un club comme Manchester United son actionnariat de
supporters, et nous ne voudrions pas que l'on assiste à des démarcharges un peu
agressifs des supporters pour les inciter à des « investissements » dont ils ne
mesureraient pas les risques.
Et puis, il faut aussi nous interroger sur l'intérêt des clubs sportifs.
D'abord, il n'est pas du tout certain, à supposer qu'ils remplissent les
conditions réglementaires, que leur introduction en bourse serait un succès. Le
PSG ou l'OM, ce n'est pas France Télécom !
Ensuite, quelles seraient les conséquences de cette introduction sur leur
actionnariat ? Les clubs sportifs ont bien du mal à trouver de véritables
partenaires : le cas de Canal Plus et du PSG est longtemps resté une exception.
Ce n'est que tout récemment que l'on a vu d'autres cas de prise de
participation de sociétés dont l'activité peut avoir une certaine « synergie »
avec le sport, comme M6, Pathé ou IMG France. Il n'est pas sûr que l'accès à la
bourse favoriserait cette évolution. On pourrait plutôt craindre qu'elle
n'offre à certains investisseurs une occasion bienvenue de récupérer leur
mise.
Cela dit, il n'y a, à nos yeux, aucune raison de manifester une opposition de
principe à la cotation des clubs en bourse. Mais peut-être devrions-nous nous
demander s'il ne faudrait pas prévoir certains délais ou certaines conditions
pour pallier les dangers que je signalais à l'instant.
M. Bernard Murat.
Très bien !
M. James Bordas,
rapporteur.
C'est pourquoi, mes chers collègues, la commission proposera
au Sénat de maintenir, à titre conservatoire et dans une rédaction plus
cohérente que celle de l'Assemblée nationale, l'interdiction pour les sociétés
sportives de faire publiquement appel à l'épargne, en attendant de rouvrir ce
dossier lors de l'examen du projet de loi modifiant la loi du 16 juillet 1984.
Nous pourrons, d'ici là, recueillir des avis techniques autorisés.
J'en viens à présent aux dispositions concernant la protection des sportifs
mineurs et celle des clubs.
L'exploitation des sportifs mineurs est un vrai problème, surtout dans le
football. Il trouve son origine dans le système des transferts. Les clubs ont
en effet intérêt à recruter des joueurs de plus en plus jeunes parce que, avant
qu'ils soient sous contrat, il n'y a pas de « transfert » à payer et parce que
lesdits clubs peuvent espérer les « revendre » ultérieurement avec profit.
De telles pratiques ne sont malheureusement pas le monopole des pays
étrangers. En France aussi, on cherche à recruter de jeunes adolescents, on
voit se multiplier les vocations d'intermédiaires parfois peu scrupuleux. En
France aussi on propose quelquefois de l'argent aux parents pour qu'ils signent
un contrat, et beaucoup de jeunes sportifs ont été déçus par des promesses qui
ne se sont pas concrétisées.
Vous avez donc raison, madame la ministre, de poser ce problème, surtout à
l'échelon européen, parce qu'on ne peut évidemment pas le résoudre au seul
échelon national.
Nos collègues députés en sont, je crois, conscients ; ils ont néanmoins voulu
prendre une position de principe sur le sujet.
Cela procède d'une préoccupation que l'on ne peut que partager, même si cela
ne résoudra pas le problème du recrutement de jeunes Français par des clubs
étrangers, problème qui est pourtant à l'origine de cette disposition.
Nous avons trouvé cependant que ni le sens ni la portée du texte de
l'Assemblée nationale n'étaient très clairs. Nous vous proposerons donc une
rédaction différente, qui tend à interdire que des tiers - intermédiaires,
clubs ou parents - puissent percevoir une rémunération, une indemnité ou un
avantage quelconque à l'occasion d'un contrat relatif à l'activité sportive
d'un mineur.
Nous vous proposerons, dans le même esprit, d'étendre aux rémunérations
perçues par les jeunes sportifs de moins de seize ans le dispositif prévu par
le code du travail, qui impose le blocage partiel, jusqu'à leur majorité, des
rémunérations perçues par les jeunes artistes ou mannequins.
Enfin, l'article 7 de la proposition de loi a pour objet de protéger les
intérêts des centres de formation. Il entend répondre à une préoccupation
exprimée par les clubs sportifs, qui ne reçoivent aucun dédommagement lorsque
les sportifs qu'ils ont formés sont, ensuite, engagés dans un autre club. Cela
concerne d'ailleurs uniquement les engagements dans des clubs étrangers car, au
niveau national, de tels dédommagements existent déjà dans la pratique. Nous
nous demandons donc, madame la ministre, s'il est bien utile de vouloir régler
cette question, en fait assez marginale, par une loi nationale et s'il ne
vaudrait pas mieux tenter de faire prévaloir, comme y semblent prêts aussi bien
l'UEFA que la Commission de Bruxelles, une solution européenne.
Ce problème rejoint en effet le problème plus général de la compensation des
frais de formation, auquel il faut trouver, pour préserver l'égalité entre les
clubs et encourager les efforts de formation, une solution équitable et qui
évite les dérives des transferts. C'est une question difficile, car il faut
protéger à la fois les jeunes et les clubs formateurs.
Sur ce point, le texte adopté par l'Assemblée nationale n'est pas du tout
satisfaisant. Il obligerait un jeune entrant dans un centre de formation à
signer « un premier contrat d'engagement professionnel » avec le club.
Ce dispositif appelle plusieurs observations. D'une part, il porte atteinte à
la liberté du travail et n'est pas très équilibré : le jeune est obligé de
signer un contrat, mais le club n'est pas obligé de lui en proposer un. D'autre
part, il est aussi bien peu protecteur des sportifs mineurs ; cet engagement un
peu excessif serait en effet contracté par un jeune de quinze ans ou seize ans,
ou même moins, puisque la fédération de football prépare actuellement un «
statut du joueur en préformation » qui s'adresserait à des jeunes à partir de
treize ans ; un jeune pourrait donc être tenu par des engagements successifs de
treize ans jusqu'à vingt-trois ans ou vingt-quatre ans !
Ce dispositif s'analyse comme une extension du système des transferts.
L'obligation que contracterait le jeune sportif conférerait en effet au club un
droit monnayable et le club ne manquerait pas d'exiger une indemnité importante
pour le laisser partir.
Enfin, il ne faudrait surtout pas encourager une dérive commerciale des
centres de formation. Certains clubs n'ont déjà que trop tendance à se
constituer des réserves de joueurs « cessibles ». En outre, la presse a fait
état récemment d'informations quelque peu inquiétantes sur les pratiques de
certains clubs formateurs, vous l'avez rappelé, madame la ministre.
Nous vous proposerons donc une nouvelle rédaction de cet article, selon une
formule qui s'inspire d'ailleurs du « contrat de formation », que serait
disposée à admettre la Commission européenne.
Cette rédaction reconnaît le droit du club formateur d'obtenir le
remboursement des frais de formation et d'entretien des jeunes qu'il a formés
lorsque ceux-ci sont engagés par un autre club après avoir refusé de signer un
contrat de travail avec le club qui les a formés. Ce remboursement serait
soumis à des conditions tenant notamment au sérieux de la formation, qui devra
être agréée, et à la conclusion préalable d'une convention précisant le montant
et les conditions d'exigibilité du remboursement.
En somme, mes chers collègues, nous vous inviterons à préférer, à une
extension de la détestable pratique internationale des transferts, une nouvelle
application du système bien français de la « pantoufle ».
(Sourires.)
Telles sont, monsieur le président, mes chers collègues, les principales
positions que la commission des affaires culturelles a prises sur le texte qui
nous est soumis et qu'elle vous demandera d'adopter sous réserve des
amendements qu'elle vous propose et des observations que je viens de
formuler.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le monde
sportif professionnel évolue de manière extrêmement rapide. Dans un contexte
communautaire et international où le sport est de plus en plus médiatisé et
donc présent dans les esprits, il est important que la France ne reste pas à
l'écart de cette évolution : notre législation doit pouvoir donner aux clubs
français les moyens de se développer grâce à des finances saines et à un cadre
juridique qui permette cette évolution.
Si l'actualité sportive - aujourd'hui la Coupe du monde de rugby - semble
donner tout son sens à l'examen de cette proposition de loi portant diverses
mesures relatives à l'organisation d'activités physiques et sportives, je
souhaite, toutefois, formuler trois réserves.
Premièrement, la procédure d'urgence, largement utilisée depuis juin 1997, ne
me semble toujours pas appropriée pour parvenir à un accord et à un texte de
qualité, la réflexion et la concertation répétées étant, à mes yeux,
indispensables.
Deuxièmement, ce texte intéresse exclusivement les clubs sportifs
professionnels. Il eût été utile de le préciser dans son intitulé afin de ne
pas laisser croire qu'on légifère sur l'organisation des activités physiques et
sportives dans leur ensemble.
Je souhaite, à cette occasion, rendre hommage aux bénévoles des associations
sportives, aux petits clubs qui, malgré les difficutés, continuent à se battre
pour faire vivre le sport sur l'ensemble du territoire. Ils contribuent non
seulement à la diffusion de valeurs qui nous sont chères - l'effort, le respect
des autres, le sens de l'équipe - mais également à l'aménagement du territoire
et à sa vitalité. Ils sont les acteurs à part entière d'une ruralité vivante et
méritent notre confiance comme notre soutien. Madame la ministre, je me réjouis
qu'après réflexion vous leur accordiez de nouveau votre confiance par le
maintien d'une gestion paritaire du Fonds national pour le développement du
sport. Les petits clubs doivent savoir qu'ils ne seront pas oubliés dans le
projet de loi modifiant la loi de 1984 qui sera examiné par notre assemblée en
2000.
Troisièmement, si je me réjouis que le sport soit au centre de notre
réflexion, je redoute la multiplicité des textes, souvent cause d'incohérences.
Il eût été judicieux de fondre dans un même texte les dispositions contenues
dans celui-ci et celles que vous nous proposerez prochainement, madame la
ministre.
Toutefois, il nous appartient d'apprécier aujourd'hui ce texte, qui se
justifie par une concurrence grandissante entre les clubs au niveau
communautaire et international.
Les clubs professionnels français subissent trois handicaps : un impôt sur le
revenu dissuasif pour nos sportifs professionnels, le niveau élevé des charges
sociales et les dispositions de la loi Evin, qui, compte tenu de la
médiatisation transfrontalière des épreuves, sont archaïques et non
adaptées.
Si la lutte contre l'alcoolisme, qui est à l'origine de cette loi, se justifie
pleinement, les dernières statistiques soulignent l'efficacité insuffisante de
cette forme de prévention.
Il s'agit, en attendant une réforme profonde sur ces trois points, d'offrir
aux clubs un nouveau statut et de permettre aux jeunes professionnels français
d'assurer leur avenir tout en reconnaissant les efforts et les investissements
de leur club d'origine.
Ce texte comporte plusieurs types de dispositions.
Le premier type de disposition tend à maintenir le versement de subventions
publiques aux clubs sportifs professionnels, sous réserve d'un certain nombre
de conditions telles que l'intérêt général, le passage d'une convention,
l'objet, le plafonnement, le pourcentage du budget. Cette disposition est
indispensable pour que perdurent des sports moins médiatiques que d'autres ;
elle ne dispensera pas ces clubs de rechercher des modes de financement
privés.
Le deuxième type de dispositions vise à remanier la gamme des choix
statutaires offerts aux clubs sportifs. Je retiendrai la véritable innovation
de ce texte, qui mérite notre plein soutien : la création des sociétés anonymes
sportives professionnelles, les SASP.
Mes chers collègues, cette création constitue une véritable avancée pour les
clubs sportifs professionnels. Certes, les SASP devront, comme les autres
sociétés sportives, adopter des statuts conformes à des statuts types et
organiser dans le cadre d'une convention leurs relations avec l'association
sportive. Mais elles permettent une gestion réellement comptable, commerciale
et fiscale des clubs sportifs professionnels, puisqu'elles pourront distribuer
des bénéfices. C'est une révolution culturelle et sportive dont il faut nous
réjouir.
Nos collègues députés ont longuement débattu sur l'opportunité de faire appel
à l'épargne publique, appel qui se traduirait par une cotation en bourse. Je
partage l'avis de la commission sur la nécessité d'étudier toutes les
conséquences de l'adoption éventuelle d'une telle mesure. Il n'y a pas
d'urgence en la matière.
Toutefois, je récuse l'argument, souvent avancé, selon lequel les supporters
seraient moins à même que d'autres Français de juger de l'opportunité d'engager
leur épargne dans le financent d'un club sportif dont ils veulent soutenir les
efforts. C'est oublier qu'ils connaissent mieux que tout autre cette entreprise
que devient leur club. Les clubs sportifs trouveraient là une source de
financement et l'actionnariat mériterait le nom de « populaire », ce qui n'est
pas souvent le cas dans notre pays. Cela permettrait surtout aux supporters de
mieux juger la gestion des clubs auxquels ils donnent leur enthousisame et,
souvent, leur dévouement. L'exemple des clubs britanniques est positif quant à
leur prospérité, qui les dispense de faire appel aux fonds publics.
Il est donc souhaitable qu'une telle mesure soit adoptée afin que le sport
attire également l'épargne. Madame la ministre, d'après vos propos
introductifs, il ne semble pas que vous envisagiez de proposer une telle mesure
dans le projet de loi que vous préparez.
La question pourra notamment être débattue le 24 janvier 2000 au Sénat lors
d'une conférence, débat qui se tiendra sur « l'avenir du rugby professionnel »
et qui réunira des responsables français, européens et de l'hémisphère sud.
Dans le contexte d'une concurrence croissante entre les clubs au niveau
international, un troisième type de dispositions touche à la protection des
sportifs, notamment des plus jeunes, et de leurs structures de formation.
La présente proposition de loi met la protection des sportifs mineurs au
premier rang de ses priorités. C'est en effet une priorité et j'espère avec
vous, madame la ministre, que, dans ce domaine comme dans celui du dopage, nous
parviendrons à convaincre les autres Etats membres de l'Union de légiférer dans
ce sens.
La commission a souhaité trouver un moyen concret de limiter les abus dont
sont victimes des sportifs de plus en plus jeunes. Elle propose d'étendre aux
jeunes sportifs les dispositions relatives au blocage des rémunérations des
jeunes artistes. Je me réjouis de cette mesure qui, en assimilant les sportifs
à des artistes, reconnaît l'aspect culturel du sport tout en proposant une
solution pragmatique. Sur ce point, je partage totalement l'analyse de M. le
rapporteur.
Dans cet équilibre à trouver entre l'intérêt financier des clubs qui ont su
trouver et former les futurs champions et la libre circulation des sportifs
dans un contexte concurrentiel, le Sénat propose une solution satisfaisante :
un club pourra obtenir le remboursement des frais de formation - ces
remboursements ne pouvant excéder les frais effectivement exposés - si le jeune
sportif signe un contrat de travail avec un autre club. Il ne sera plus
question de transferts vertigineux ni de « vente » - terme dévalorisant - de
jeunes sportifs pour des raisons purement financières. Du point de vue de
l'éthique sportive, cette mesure me semble essentielle.
La présente proposition de loi contribue à faire évoluer positivement la
situation des clubs et des sportifs professionnels. Nul doute que les
discussions se poursuivront sur ce thème et que d'autres propositions seront
présentées, notamment au sein du groupe d'études sur les problèmes du sport et
des activités sportives.
Au nom du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, je suivrai
l'avis de la commission des affaires culturelles et voterai donc cette
proposition de loi ainsi modifiée.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat.
Madame la ministre, être, comme mon collègue Aymeri de Montesquiou, un ancien
joueur de rugby,...
M. Aymeri de Montesquiou.
Pourquoi « ancien » ? Nous sommes toujours jeunes !
M. Bernard Murat.
... et un ancien dirigeant de club est certainement un atout pour le maire
d'une ville du Sud-Ouest comme Brive-la-Gaillarde, mais constitue également un
avantage pour intervenir dans ce débat.
Ma ville a une particularité : voilà quelques années, elle a été sacrée «
première ville sportive de France ». Sur 50 000 habitants, 18 000, soit 35 % de
la population, sont licenciés dans 145 clubs qui représentent 68
disciplines.
La collectivité que je dirige a mis en place treize écoles municipales des
sports, donnant à notre jeunesse le goût de l'activité sportive. Voilà
pourquoi, à Brive-la-Gaillarde, le sport est une attitude. Le goût du challenge
est une réalité qui se décline dans toutes les activités humaines et
économiques.
La locomotive de cet ensemble reste, bien sûr, la section rugby professionnel
du Club athlétique briviste, championne d'Europe en 1997 et qui, depuis, est
passée en SAOS. Pour une collectivité de la taille de Brive-la-Gaillarde, ce
statut pose de réels problèmes. Nous ne savons plus comment aider
financièrement ces clubs sans être montrés du doigt par les magistrats des
chambres régionales des comptes, comme c'est le cas aujourd'hui pour le
CSP-Limoges, alors que leurs budgets explosent compte tenu de la concurrence
des grandes villes et des autres pays européens.
J'ajoute qu'un club professionnel a une formidable capacité à structurer un
territoire et à fidéliser des femmes et des hommes d'un bassin de vie et bien
au-delà. Un club sportif phare dans sa région est un formidable atout pour
lutter contre la fracture sociale et pour donner à tous une identité, des
repères, le sentiment d'appartenir à une communauté ; c'est un facteur
d'intégration.
En d'autres termes, le sport occupe une place privilégiée. A mes yeux, il a
une triple dimension : éducative, économique et sociale. Cette proposition de
loi ne prend en compte que les clubs professionnels. Mais comment ne pas
rappeler ici les mérites des associations de sport amateur et de leurs
bénévoles, qui attendent toujours un véritable statut ?
Il devient urgent d'adapter les relations juridiques et financières entre les
collectivités locales et les clubs sportifs professionnels en tenant compte de
la nature particulière des activités de ces derniers.
Tel devrait être l'objet de la proposition de loi que nous examinons
aujourd'hui, pour laquelle l'urgence a été déclarée. Mais, au lieu de prendre
en compte l'évolution des législations de nombreux pays européens, elle réduit,
semble-t-il, nos activités sportives dans une approche hexagonale, alors que
les différentes coupes du monde mettent de plus en plus nos clubs en
concurrence avec d'autres logiques, d'autres cultures et d'autres méthodes de
financement.
Comme l'a très justement rappelé M. le rapporteur, que je tiens à féliciter
pour la qualité de son travail, l'organisation juridique du sport professionnel
repose, en France, sur une distinction : d'une part, l'exercice des compétences
et des responsabilités proprement sportives sont dévolues aux associations ;
d'autre part, la gestion des aspects commerciaux du « sport-spectacle » peut
être confiée à des sociétés à statut particulier. Le sport-spectacle est une
dérive de notre société, due aux médias, et dont nous devons tenir compte, même
si parfois, comme vous, madame la ministre, j'en déplore les excès.
Les clubs comme les collectivités locales ont fini par se satisfaire de cette
distinction. Or, madame la ministre, au lieu d'en assurer la pérennité, d'en
contrôler mieux les effets, ce texte fragilise ce difficile équilibre.
Au lieu de répondre aux attentes de sécurité juridique formulées par les élus
locaux et par les dirigeants, il comporte des déclarations de principe qui
n'apportent aucune véritable réponse et laissent les maires en difficulté
devant les appréciations des chambres régionales des comptes.
Je ne vous le cache pas, notre attente n'est pas satisfaite. La transformation
du sport en activité économique est un processus inévitable. Il est dommageable
que le Gouvernement n'ait pas pris la mesure de cette réalité, même si, encore
une fois, je déplore que certains aspects mercantiles de l'évolution du sport
soient entrés dans les faits.
Aux termes de l'article 1er de la proposition de loi, toute association
sportive qui remplit les critères alternatifs de recettes et de rémunérations
constitue une société commerciale pour la gestion de ses activités.
En vertu du principe selon lequel tout ce qui n'est pas interdit par la loi
est autorisé, cela signifie que les associations sportives qui ne remplissent
pas un de ces critères peuvent constituer des sociétés commerciales pour la
gestion de leurs activités.
Cette disposition pose, selon moi, trois questions.
Premièrement, les fédérations étant des associations sportives, si elles
dépassent un des deux seuils, elles seront dans l'obligation de constituer des
sociétés commerciales. Or il ne me paraît ni nécessaire ni opportun de prévoir
implicitement cette obligation. Les considérations qui motivent le passage en
société anonyme pour les clubs ne sont en effet pas transposables à une
fédération. En outre, soumettre les fédérations aux mêmes obligations que les
clubs risque d'engendrer des problèmes d'interprétation. A partir de quel
moment pourra-t-on considérer qu'une fédération participe habituellement à
l'organisation de manifestations sportives ? Pour une fédération, le simple
fait de verser des primes de résultat à des sportifs lui confère-t-il la
qualité d'employeur ?
C'est pourquoi nous proposons de reprendre les termes de la loi de 1984, de
préciser que seules les associations sportives affiliées à une fédération
seront soumises à l'obligation de créer une société commerciale.
Ainsi, les fédérations et les associations non affiliées à une fédération ne
seront pas obligées de constituer une société commerciale pour la gestion des
aspects commerciaux de leurs activités, mais elles en auront la possibilité.
Deuxièmement, les critères de seuil conditionnent l'obligation de constituer
une société commerciale. Aux termes du texte adopté par l'Assemblée nationale,
ces critères sont alternatifs, alors qu'auparavant ils étaient cumulatifs. Cela
me paraît regrettable. En effet, certains clubs qui n'atteignent que l'un des
deux seuils se verront dans l'obligation d'adopter le statut de société
commerciale sans le souhaiter ou sans y être préparé.
Par conséquent, il me semble préférable de restaurer la distinction établie
par la loi de 1984. Ceux qui remplissent les deux critères seront dans
l'obligation de constituer une société commerciale ; ceux qui remplissent au
plus un critère en auront la possibilité, mais n'y seront pas obligés.
Troisièmement, en ce qui concerne les relations entre les sociétés
commerciales et les associations sportives, l'exclusion de la société anonyme
sportive professionnelle, la SASP, du champ d'application de l'article 13 de la
loi de 1984 répond à une attente exprimée par un certain nombre de clubs
professionnels, à savoir pouvoir ouvrir leur capital à des investisseurs
privés. Toutefois, cette exclusion pure et simple n'est pas sans risque.
Certes, des garanties sont prévues : possibilité pour l'association de demander
en justice la récusation du commissaire aux comptes, ou encore possibilité de
poser par écrit au président du conseil d'administration ou du directoire des
questions sur tout fait de nature à compromettre la continuité de
l'exploitation.
Mais je tiens à rappeler que la loi de 1966 subordonne ces garanties à la
condition de détenir au moins 10 % du capital social. Or cette proposition de
loi abandonne le principe de la minorité de blocage et de l'obligation pour
l'association de détenir au moins une action de la SASP.
Aussi, madame la ministre, je vous remercie de bien vouloir préciser devant la
Haute Assemblée que cette proposition de loi donne implicitement la possibilité
aux associations d'exercer ces garanties ouvertes par la loi de 1966 quel que
soit le montant de leur participation au capital social de la société.
En effet, il me semble important que, en toute hypothèse, l'association puisse
conserver un droit de regard sur la société commerciale tout en permettant aux
clubs professionnels d'ouvrir en toute liberté leur capital social à des
investissements privés.
J'en viens à l'article 5 de la proposition de loi, qui traite des subventions
versées par les collectivités territoriales aux clubs sportifs. Madame la
ministre, comme j'ai eu l'occasion de vous l'indiquer en juin dernier, il me
semble important que les collectivités territoriales puissent continuer à
participer financièrement au développement de leurs clubs sportifs.
En effet, ces derniers jouent un rôle irremplaçable en matière d'éducation,
d'insertion sociale, de divertissement des jeunes sur le plan local, et de
promotion des collectivités locales tant sur le plan régional que sur le plan
national ou sur le plan international.
La solution prévue par cette proposition de loi ne me paraît pas pleinement
satisfaisante, pour deux raisons au moins.
Premièrement, il me semble indispensable que le législateur précise très
clairement les missions d'intérêt général qui pourront faire l'objet d'une
subvention publique. C'est pourquoi je propose que l'article 5 mentionne, au
sein des activités d'intérêt général, les actions de formation et d'animation
locale.
Deuxièmement, nombre de mes collègues et moi-même estimons que la possibilité
offerte par la proposition de loi de verser des subventions aux sociétés
commerciales n'est guère morale et qu'elle n'est pas conforme aux prescriptions
communautaires.
Tout d'abord, aux termes de cet article, les seules sociétés commerciales qui
pourraient être subventionnées par une collectivité publique seraient les
sociétés sportives.
Ensuite, en principe, les sociétés commerciales n'ont pas pour objet de
remplir des missions d'intérêt général.
En outre, et vous le savez, madame la ministre, les instances de la Communauté
européenne souhaitent qu'il soit mis fin aux aides publiques à des groupements
sportifs professionnels au motif qu'elles faussent le jeu de la concurrence. En
effet, l'arrêt Bosman, rendu par la Cour de justice européenne le 15 décembre
1995, a confirmé l'assimilation du sport à une activité économique devant
respecter les lois du marché.
C'est pourquoi je propose que seules les associations puissent percevoir des
subventions des collectivités locales ; ces subventions seraient versées pour
financer des missions d'intérêt général. Cela aurait pour effet de renforcer la
distinction entre le rôle des associations et celui des sociétés commerciales.
Les associations exerceraient les missions d'intérêt général et les sociétés
commerciales se consacreraient totalement à leurs activités économiques.
Cette réflexion m'amène directement à la question de la cotation en bourse des
SASP. Je sais que sur ce point, madame la ministre - vous me l'avez confirmé
tout à l'heure - vous n'avez pas d'opposition de principe, et encore moins
d'opposition idéologique. De ce point de vue, nous allons nous retrouver.
Comme vous, madame la ministre et, j'en suis sûr, comme un grand nombre de mes
collègues, j'ai la nostalgie du sport tel que Pierre de Coubertin et Léo
Lagrange, notamment, l'ont théorisé. Mais le législateur n'a-t-il pas à tenir
compte des réalités économiques, de l'évolution sociale et de la concurrence
internationale
via
les médias ?
Je ne prétends pas que la cotation en bourse constitue l'alpha et l'oméga. Je
souhaite simplement ouvrir le débat, car c'est, je crois, notre devoir de
législateur.
Dès lors qu'est offerte la possibilité de distribuer des dividendes, les clubs
et leurs partenaires principaux peuvent
a priori
avoir pour objectif la
maximalisation des profits. La cotation en bourse, si elle constitue un symbole
fort d'une nouvelle logique capitalistique pour les clubs sportifs
professionnels, ne change en rien, du moins à travers ce que j'en connais, la
nature de leurs objectifs, sauf à ne prévoir aucune disposition particulière en
vue de préserver l'équité sportive.
J'ai été sensible à vos arguments, madame la ministre, même si je ne suis pas
sûr que vos champions référents soient les mieux placés pour dénoncer l'argent
dans le sport.
Je voudrais simplement, pour ouvrir le débat, envisager les raisons qui
pourraient justifier cette cotation dans le futur. J'en note au moins six :
permettre aux clubs français d'être à égalité avec les autres clubs étrangers ;
renforcer les fonds propres des clubs, ce qui pourrait leur permettre à terme,
comme l'ont fait les Anglais, d'acquérir ou de construire des équipements
sportifs en complément d'équipements municipaux ; créer de nouvelles
possibilités d'associer les supporters à la vie du club et d'en faire des
actionnaires, et donc des supporters responsables ; permettre une plus grande
mobilité du capital et une valorisation plus aisée des investissements des
actionnaires ; répondre à une obligation de transparence liée à la procédure
d'introduction puis à « l'exigence » des marchés ; obliger à une rigueur de
gestion et de planification qui serait bien utile pour les collectivités
locales.
Si la question de l'appel public à l'épargne ne se pose pas immédiatement pour
toutes les disciplines, un certain nombre de clubs pourraient, toutefois, y
accéder à moyen terme. Je pense tout particulièrement à certains clubs de
football, de basket ou de rugby qui jouent au niveau européen. Ne rien prévoir
n'aura qu'une conséquence : agrandir le gouffre économique qui les sépare des
autres clubs européens auxquels ils sont confrontés. Je vous rappelle que le
recrutement des clubs étrangers dans nos clubs et nos centres de formation est
facilité par une fiscalité pénalisant très largement l'attractivité des clubs
français. Il ne faudrait pas persister trop longtemps dans une vision ne tenant
pas compte, qu'on le veuille ou non, des évolutions du sport à travers le
monde, même si nous pouvons faire valoir une certaine exception française.
Enfin, je souhaite attirer votre attention sur l'article 7 de la proposition
de loi. Cet article, issu des travaux de l'Assemblée nationale, a pour objet
d'obliger les jeunes accédant à un centre de formation à conclure avec celui-ci
« un premier contrat d'engagement sportif » d'une durée maximale de trois ans.
Les clubs ne sont cependant pas dans l'obligation de leur proposer un tel
contrat.
Madame la ministre, je suis totalement d'accord avec vous sur l'ardente
obligation de protéger notre jeunesse, nos « bébés-champions », des malfrats du
sport et même, parfois, de leur famille, et une telle mesure se donne pour
objectif de freiner le pillage des jeunes joueurs issus des centres de
formation français. Toutefois, elle remet totalement en cause l'ensemble de
l'architecture de la politique de formation des sportifs français, que vous
défendez vous-même. En outre, ce texte est incomplet en cas de non-respect du
premier contrat d'engagement sportif.
Ainsi, il est nécessaire de prévoir que le club puisse faire signer un
engagement de dédit formation au jeune sportif afin de pouvoir être dédommagé.
Mais vous nous proposez, par l'article 6, d'interdire toute démarche dite «
commerciale » sur un mineur, faisant fi du fait que de nombreux joueurs
professionnels entament leur carrière avant l'âge de dix-huit ans. Madame la
ministre, je suis d'accord avec vous sur le fait que nous devons instaurer des
dispositifs de protection, mais je crains qu'une solution trop manichéenne
n'hypothèque les chances de réussite de nos espoirs français et, à terme,
n'appauvrisse notre réservoir de joueurs d'élite, moteur du sport de masse.
Vous avez compris tout l'intérêt que nous portons à cette proposition de loi,
que je regrette, comme mes collègues, de voir traitée en urgence. Même si ce
texte pose de vrais questions, les réponses apportées à ces dernières ne sont
pas encore pleinement satisfaisantes.
C'est pourquoi nous vous proposons des amendements qui répondent réellement
aux attentes des sportifs, des clubs et des collectivités locales.
Je ne peux conclure mon intervention, madame la ministre, sans vous poser, au
nom de tous les présidents des clubs professionnels - mais ne voyez aucune
malice de ma part à cela - la question de l'application des 35 heures aux
joueurs français ou étrangers évoluant dans une équipe française. Comment un
club devra-t-il gérer, vis-à-vis de l'inspection du travail, les temps
d'entraînement, les récupérations, les déplacements et bien sûr les matchs,
avec leurs prolongations éventuelles ? Comment voter une loi sur le statut des
clubs professionnels sans évoquer cette originalité bien française qui va
occasionner nombre de contentieux ?
Madame la ministre, vous serez sans doute d'accord avec moi pour dire bonne
chance à l'équipe de France de rugby et pour souhaiter que ces joueurs - ce
sont eux, en effet, qui doivent d'abord être pris en compte - connaissent le
même bonheur que l'équipe de France de football.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition
de loi qui nous est présentée aujourd'hui vise à modifier la loi du 16 juillet
1984. Elle est, en fait, un extrait de quelques articles du projet de loi que
vous nous présenterez en 2000, madame la ministre, afin de répondre à plusieurs
nécessités plus ou moins pressantes, telles que l'adaptation du statut
juridique des clubs sportifs professionnels aux nouvelles exigences financières
du sport de haut niveau en Europe, le maintien des subventions des associations
sportives par les collectivités territoriales, alors que le décret Pasqua du 24
janvier 1996 les interdit à partir du 1er janvier 2000, la protection des
sportifs mineurs et la défense des intérêts des centres de formation, enfin, la
clarification des rapports entre le monde du sport et celui de l'audiovisuel,
objectif introduit dans le texte à la suite de l'adoption d'un amendement à
l'Assemblée nationale.
Cette situation d'urgence s'inscrit dans un contexte général préoccupant. En
effet, des disciplines comme le football, le rugby ou le basket-ball sont de
plus en plus des sports spectacles : le nombre croissant de téléspectateurs,
les sommes énormes et en constante augmentation payées pour les droits de
retransmission ou pour l'achat de grands joueurs - par exemple, la cote du
célèbre Anelka est passée, en six mois, de 100 millions de francs à 220
millions de francs - l'engouement et la demande croissante du public ne sont
pas dus uniquement à l'effet Coupe du monde.
Les investisseurs, s'adaptant facilement à ce climat, ont plutôt tendance à
l'amplifier et tentent d'y répondre en faisant prendre le risque que certains
sports professionnels, convertis en entreprise d'exhibition, transforment les
rencontres en simulacres de combats et les grands joueurs en héros divinisés.
La recherche du profit doit être freinée afin de replacer le sport dans sa
vocation éducative, sociale et culturelle qui, seule, peut justifier la
participation des collectivités publiques dans le financement des clubs petits
et grands. La dérive prise par certains clubs européens de football est
importante et a entraîné des conséquences souvent inacceptables : ainsi, des
petits et moyens clubs ont du mal à survivre, des équipes nationales n'en sont
plus, et j'en passe.
Les dispositions prévues dans ce texte reflètent les préoccupations du
Gouvernement et des élus en tentant d'y apporter une réponse.
Ainsi, les associations sportives organisant des manifestations qui atteignent
un certain niveau budgétaire devront obligatoirement créer une société
commerciale selon trois formes possibles : la société anonyme à objet sportif,
la SAOS, qui existait déjà, l'entreprise unipersonnelle sportive à
responsabilité limitée, la EUSRL, enfin, la société anonyme sportive
professionnelle, la SASP, qui pourra distribuer des dividendes à ses
actionnaires.
En revanche - et c'est un impératif - aucun de ces types de société ne pourra
être coté en bourse : non seulement trop peu de clubs français pourraient y
prétendre, mais on ne peut concevoir qu'un club disparaisse ou soit racheté en
raison d'un match important perdu, une coupe ou un titre manqué, comme ce fut
le cas, l'an dernier, de la Lazio de Rome dont les actions ont perdu jusqu'à 50
%, des supporters actionnaires du club allant même jusqu'à porter plainte
contre l'arbitre du dernier match.
Néanmoins, le Sénat souhaite que cette question soit revue sans précipitation
avant de rejeter définitivement cette formule. Je crois, comme tous nos
collègues, que votre proposition, monsieur le rapporteur, est sage. Le sport
doit respecter une certaine éthique, et il faut éviter son assujettissement à
une politique de marché qui lui nuirait grandement.
Favoriser la venue de nouveaux investisseurs dans nos clubs sportifs est
peut-être souhaitable, mais pas uniquement en direction d'une élite. Pensons
aux milliers de petits clubs animés par des bénévoles qui ont besoin d'être
aidés et qui représentent le sport de masse dont notre pays a grand besoin.
Mais je sais, madame la ministre, que c'est votre préoccupation majeure.
Si l'apport de nouveaux investisseurs dans le sport est nécessaire, il faut,
pour éviter les dérives et préserver l'incertitude des matchs, d'une part,
interdire la multipropriété des clubs et, d'autre part, interdire à tout
actionnaire d'une société sportive de consentir un avantage à une autre dès
lors que son objet social porte sur la même discipline. Que penser, en effet,
des groupes tels que les compagnies d'investissement anglaises, déjà
majoritaires dans cinq clubs européens de pays différents et dont l'une, cette
année, a tenté d'acquérir les Girondins de Bordeaux ? L'UEFA a certes inscrit
dans ses règlements une mesure contre cette tendance ; cette disposition devra
cependant être renforcée par des règlements de l'Union européenne et, avant
cela, être inscrite dans la loi française, ce en quoi la proposition de loi
répond par son article 4.
S'agissant des sociétés d'économie mixte sportives locales ayant été créées
avant la publication de cette loi, ne serait-il pas opportun de prévoir une
date limite pour leur transformation en tout autre société, afin que ne
subsiste pas, en quelque sorte, un régime d'exception ?
Autre disposition très attendue par de nombreux acteurs du monde sportif,
l'article 5 permet le maintien des subventions publiques aux sociétés
commerciales sportives, évitant ainsi un désastre économique pour de nombreux
clubs à faibles ressources dépendant de l'aide publique, mais aussi pour les
villes, voire les régions, au sein desquelles un club sportif représente une
animation sociale certaine.
Qu'on le regrette ou non, cette aide des collectivités territoriales reste
indispensable si l'on ne veut pas que le haut niveau soit réservé à cinq ou six
clubs.
C'est vous, madame la ministre, qui aurez la lourde charge de fixer la barre
et de contrôler les effets. Pourriez-vous nous en dire quelques mots, car il
faut à la fois être juste et tenir compte des situations locales qui peuvent
rapidement entraîner des catastrophes ?
En effet, plusieurs questions méritent sur ce point une réponse : sur quels
critères le pourcentage de limitation sera-t-il fixé ? Dans le cas d'un club
sportif qui se voit relégué à la division inférieure, la limitation sera-t-elle
maintenue en l'état et, dans l'affirmative, les subventions seront-elles alors
suffisantes pour redresser le club ? Enfin, l'achat de places sera-t-il
assimilable à une subvention ?
Etant donné la diversité des réalités locales et des actions envisageables,
peut-être serait-il utile, madame la ministre, d'associer les élus à la
préparation du décret qui précisera le cadre des missions d'intérêt général
?
Quant à la protection des mineurs, deuxième grand axe de cette proposition de
loi, l'article 6 pose le principe de l'interdiction de toute transaction
commerciale ayant pour objet l'activité ou la formation sportive d'un mineur.
Cette disposition répond encore une fois à des exigences éthiques. L'amendement
adopté par la commission me paraît excellent.
Un autre sujet qui soulève de nombreuses questions est la protection des
centres de formation contre le départ de leurs meilleurs éléments vers des
clubs plus riches ; il faut, pour cela, faire asseoir par la loi les règlements
des fédérations.
L'article 7 vise ainsi l'obligation pour un mineur de conclure un contrat
d'engagement sportif avec son club à l'issue de sa formation.
Sur ce point, l'excellent travail de la commission et de son rapporteur ont
révélé des difficultés techniques quant à l'application de ce dispositif, qui
porte atteinte à la liberté du travail et, plus généralement, à la protection
des libertés individuelles. Mais le dispositif retenu par la commission n'est
pas non plus satisfaisant : la plus-value apportée par la formation aux
qualités d'un jeune footballeur va au-delà des frais réels de formation.
Il est donc primordial de trouver un équilibre entre l'intérêt des petits
clubs et la liberté des joueurs mineurs pour la signature d'un contrat. Sauf
explications ou proposition d'un autre dispositif lors de la discussion qui
suivra, cet article me semble à ce stade prématuré et devrait être reconsidéré
dans le cadre de la grande loi d'orientation sur le sport dont nous aurons à
discuter prochainement.
D'autres aspects devront de même être pris en compte. Le jeune Aliadière,
parti voilà huit mois vers un grand club de la banlieue londonienne, ne suit en
Grande-Bretagne que onze heures de cours d'anglais pas semaine. C'est bien peu
lorsqu'on sait qu'il serait, en France, en classe de seconde, qu'une blessure
grave peut advenir à tout moment, l'empêchant d'envisager une carrière, ou tout
simplement qu'il devra un jour envisager sa reconversion.
Il faudrait ainsi que les jeunes en formation, âgés de plus de seize ans,
puissent suivre un cycle scolaire minimum. En effet, il est nécessaire qu'ils
possèdent un minimum d'atouts - le baccalauréat, par exemple, ou une formation
technique - afin de pouvoir envisager sereinement leur reconversion
professionnelle pour le cas où, leur formation achevée, ils ne recevraient
aucune proposition de contrat professionnel, que ce soit de leur faute ou de
celle de leur club. Il conviendrait alors de prévoir un dispositif se
traduisant par une sorte de bourse leur permettant de suivre une formation
complémentaire de reclassement suffisante.
Reste un problème grave : celui des nombreux joueurs étrangers issus des pays
en voie de développement. Toujours dans le cas où ils ne pourraient accéder au
statut de joueur professionnel, il conviendrait de prévoir pour eux un retour
décent vers leur pays d'origine ou, pour le cas où ils souhaiteraient rester en
France, de leur donner les moyens d'une véritable insertion.
Toutes ces questions, là encore, méritent une réflexion approfondie.
Enfin, je profiterai de la discussion de ce texte pour présenter un amendement
visant à répondre aux récentes affaires de dopage dans le football. Il tend à
modifier en cela les prérogatives du Conseil de prévention et de lutte contre
le dopage prévues dans l'article 26 de la loi du 23 mars 1999 relative à la
lutte contre le dopage.
Le sport connaît donc une évolution rapide qu'il convient de maîtriser pour en
éviter les excès. Et, si cette proposition de loi répond à quelques urgences,
c'est, madame la ministre, votre projet de loi qui sera l'élément de base de la
politique sportive souhaitée par nous tous. On peut d'ailleurs regretter le
retard pris, dans la mesure où il aurait été plus pertinent de légiférer sur le
monde sportif dans son ensemble.
Mais je sais que ce temps n'a pas été inutile, que les concertations ont été
longues, que les enjeux sont importants et que des discussions au niveau
européen sont toujours en cours.
Vous avez ainsi rencontré lundi et mardi, à Helsinki, vos homologues
européens. Cette nouvelle session de travail faisait suite à la réunion de juin
dernier, à Paderborn. Je tiens à vous féliciter de vos interventions
vigoureuses afin de trouver une solution qui ne ravale pas le sport, et plus
spécialement le football, au rang de spectacle.
L'accent a une nouvelle fois été mis sur les intérêts spécifiques du sport et
sur la nécessité d'inverser la tendance induite par l'arrêt Bosman de 1995. La
logique de marché ne doit pas entacher le sport !
Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour poursuivre vos négociations,
tant avec l'Union européenne qu'avec les instances sportives. Seule une
position commune de tous les pays d'Europe rendra possible une réflexion
constructive à l'échelle internationale.
A ce sujet, les discussions prendront certainement une nouvelle dimension
lorsque Mme Reding, nouveau commissaire européen chargé des sports, recevra, le
10 novembre prochain, les représentants de la FIFA et de l'UEFA pour une
première prise de contact.
Nous aurons, quoi qu'il en soit, l'occasion de faire un point sur le sport et
l'Europe le 24 novembre, avec la discussion de la question orale avec débat de
notre collègue M. Haenel.
Mais, surtout, madame la ministre, que le football ne nous fasse pas oublier
tous les autres sports et les dizaines de milliers de bénévoles et de
participants qui sont le ferment d'une véritable politique sportive ouverte à
tous, jeunes et moins jeunes. Mais je sais que nous pouvons compter sur
vous.
Soyez en retour assurée de tout le soutien du groupe socialiste du Sénat dans
votre action et de tous nos encouragements pour que la loi française continue
d'impulser la réglementation européenne qui, dans le domaine sportif, a fait
preuve ces dernières années de trop nombreuses carences.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Madame la ministre, je vous sais gré d'avoir rappelé à notre mémoire,
cinquante ans après sa disparition, la mémoire du grand champion et du grand
boxeur que fut Marcel Cerdan. Le débat d'aujourd'hui s'y prête bien.
Aujourd'hui, la réalité du mouvement sportif professionnel et les enjeux
financiers considérables autour du sport de haut niveau sont autant d'éléments
qui nous imposent de légiférer rapidement afin de doter les clubs sportifs d'un
dispositif juridique adapté.
La proposition de loi que nous examinons oeuvre donc à cette construction
nécessaire, même si l'on aurait pu souhaiter voir aborder cette question dans
le cadre plus général de la réforme de la loi de 1984. Mais la vie ne nous
laisse pas toujours le loisir de choisir !
Moderniser le statut juridique des clubs sportifs, protéger les sportifs
mineurs de certaines des dérives du sport de haut niveau, voilà qui doit nous
conduire à la plus extrême vigilance vis-à-vis de la question essentielle et
incontournable de la relation du sport à l'argent.
A cet égard, nous savons, madame la ministre, votre attachement à une certaine
conception du sport et de la compétition sportive et au dévouement des
bénévoles, nous ne le dirons jamais assez : vous êtes soucieuse de la défense
des valeurs essentielles véhiculées par la pratique sportive.
Le texte qui nous est soumis illustre l'équilibre fragile qu'il convient de
trouver entre la dimension économique et financière du sport, d'une part, et
l'ensemble des dimensions sociales et culturelles de la pratique sportive -
mais aussi du spectacle sportif dans notre pays - d'autre part.
A cet effet, l'article 1er distingue quatre formes juridiques différentes pour
les clubs sportifs dont deux, l'entreprise unipersonnelle sportive à
responsabilité limitée et la société anonyme sportive professionnelle, sont des
innovations majeures.
Dans ce cadre juridique rénové demeurent des garanties - auxquelles nous
sommes, pour notre part, très attachés - afin de ne pas soumettre les clubs
sportifs aux seules lois du marché.
Ainsi, la société anonyme sportive professionnelle ne pourra pas être cotée en
bourse tout en permettant la distribution de dividendes et la rémunération de
ses dirigeants, ce qui était impossible auparavant.
Autre garantie essentielle à nos yeux, l'association sportive demeure le pivot
incontournable de la société anonyme créée. Seule l'association reste
détentrice de l'affiliation à la fédération sportive. Ce lien essentiel est le
seul, selon nous, à garantir l'équilibre que nous évoquions à l'instant entre
activité commerciale et éthique sportive.
La pratique sportive et le volet professionnel qui en découle trouvent leurs
sources dans les efforts consentis par les milliers de femmes et d'hommes qui y
concourent par leurs efforts, souvent fondés sur le bénévolat. L'association
régie par la loi de 1901 est la forme juridique adaptée à cette réalité. C'est
pourquoi celle-ci doit être conservée et, avec elle, l'ensemble de ses
prérogatives face aux sociétés anonymes créées.
Dans le même ordre de mesures destinées à préserver l'éthique du sport, la
proposition de loi tend à interdire la multipropriété des clubs. Il s'agit là
d'un élément indispensable. Il ne me paraît pas souhaitable, en effet, de voir
une finale sportive opposer deux clubs appartenant au même propriétaire.
Vous avez rappelé à de multiples reprises, madame la ministre, votre
opposition déterminée à la cotation boursière des clubs sportifs. Nous sommes
résolument à vos côtés pour empêcher que le sport de haut niveau soit l'objet
de transactions boursières : la logique marchande qui est celle de la Bourse
réduirait à néant l'élan collectif d'effort, de générosité, de compétition - au
sens de dépassement de soi-même - qui participe à la réussite de tel ou tel
club.
Certes, ce n'est pas l'argent en soi qu'il faut diaboliser : le sport, à
quelque niveau qu'il se pratique, nécessite des apports financiers souvent
importants. Pour autant, cette logique, qui vise à introduire dans le champ du
marchand un éventail de plus en plus large de l'activité des hommes, participe
de la construction d'une société de plus en plus inégalitaire.
Le sport, à l'instar de la culture, est un fondement essentiel de l'activité
de l'homme. A ce titre, nous devons tout mettre en oeuvre pour le soustraire
aux appétits financiers croissants de quelques-uns.
Pour autant, nous savons la fragilité de cette position, que vous faites vôtre
en la matière. En effet, l'arrêt Bosman, rendu par la Cour de justice des
Communautés européennes le 15 décembre 1995, traite l'activité sportive au même
titre que l'ensemble des activités économiques auxquelles s'appliquent les
règles de la concurrence.
Le second volet de la proposition de loi que nous examinons a trait à la
protection des mineurs.
Ainsi, l'article 6 prévoit l'interdiction de toute transaction commerciale dès
lors qu'il s'agit des activités physiques d'un mineur. Quant à l'article 7, il
permettra aux clubs de bénéficier des effets de la formation qu'ils dispensent
en évitant qu'un jeune sportif formé dans un club exerce son activité, les
premières années au moins, dans un autre club.
Nous sommes, bien entendu, très favorables à toutes les mesures permettant de
condamner l'exploitation éhontée des jeunes sportifs et de leur famille. Cette
disposition, qui s'inscrit dans le droit-fil de la défense de l'éthique
préconisée lors de l'examen du texte relatif au dopage, a tout notre
agrément.
J'appuie, à cet égard, les propos de M. le rapporteur sur la nécessité de
traiter ce problème, comme vous l'avez fait avec beaucoup de courage et de
ténacité, madame la ministre, en matière de dopage ; il en sera de même pour la
cotation boursière des clubs : nous savons que ce sera un combat difficile,
mais il faut tenir bon et, s'il est difficile d'être à l'avant-garde en la
matière, il en va cependant de l'honneur de la France.
Et, puisque j'ai cité M. le rapporteur, je tiens à le féliciter du bon travail
qu'il a accompli avec la commission. Même si quelques divergences subsistent
entre nous, je crois que nous parviendrons à élaborer un bon texte.
Enfin, la possibilité pour les clubs sportifs de bénéficier de subventions en
provenance des collectivités locales pour les missions d'intérêt général des
clubs sportifs constitue une mesure de bon sens, de nature à assurer la survie
des clubs les plus modestes. La fixation d'un plafond d'aides permettra, au
demeurant, d'éviter tout abus.
Enfin, au-delà de la loi que nous votons, il y a les décrets d'application et
l'usage qui en est fait. Aussi devrons-nous rester vigilants, et nous le serons
!
En effet, l'immersion au sein du mouvement sportif d'intérêts financiers
obéissant à une logique que nous connaissons - vente des joueurs, rapports du
sport aux médias - nous incite à penser que les activités financières des
sociétés sportives devront être strictement encadrées. Nous veillerons donc -
et je me félicite que votre ministère y prenne sa pleine part - à l'évolution
du texte que nous examinons.
En conclusion, le groupe communiste républicain et citoyen se prononce pour ce
texte tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale, moyennant
certains aménagements proposés par la commission et sous réserve, bien sûr, de
ce que la Haute Assemblée décidera au cours de la discussion des articles.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Je tiens tout d'abord à remercier
M. le rapporteur, ainsi que l'ensemble de ceux qui se sont exprimés dans ce
débat, de la qualité de leurs interventions et de leur esprit tout à fait
constructif.
Certes, monsieur Murat, nous pouvons aborder la question des 35 heures à
l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, mais il faudrait surtout,
car c'est urgent, aborder celle de la mise en place d'une convention collective
dans le sport. Les emplois, donc les salariés, sont en effet de plus en plus
nombreux dans le sport, mais les droits et les devoirs des employeurs et des
salariés ne sont pas aujourd'hui suffisamment définis, ce qui peut entraîner de
nombreuses dérives et de nombreux abus. Mais, dans le débat sur la convention
collective, l'application des 35 heures pour ces emplois du sport pourra être
abordée.
Je suis très attachée à la cohésion du mouvement sportif et à l'unité des
différentes pratiques entre le sport amateur et le sport professionnel, entre
le sport de loisirs accessible à tous et le sport de très haut niveau, qui
conduira nos championnes et nos champions jusqu'aux jeux Olympiques, demain, à
Sydney.
Pour préserver cette cohésion, qui est une richesse du mouvement sportif
français et européen - ce qui n'est pas toujours le cas dans d'autres
continents - il faut écouter les uns et les autres. Par exemple, dès septembre
1997, j'ai souhaité rencontrer les représentants du football professionnel et
les responsables des différents secteurs professionnels pour essayer de
comprendre les difficultés qu'ils pouvaient rencontrer, voire, parfois, les
dérives auxquelles pouvait conduire le sport professionnel. Nous avons essayé
ensemble de trouver une réponse à ces difficultés.
Tel est l'objet de cette proposition de loi, et tel sera aussi l'objet de
certains articles du projet de loi dont nous discuterons en 2000 concernant les
intermédiaires, que certains d'entre vous ont évoqués dans leur
intervention.
Mais il faut savoir aussi écouter ceux qui n'ont pas les mêmes porte-parole, à
savoir le sport amateur et ses bénévoles. C'est pourquoi je vous soumettrai, en
février 2000, l'instauration d'un prélèvement de 5 % sur les droits de
retransmission télévisée des manifestations sportives qui sera redistribué au
profit des pratiques et des clubs amateurs. Vous serez également amenés à
débattre, à cette occasion, des rôles respectifs des associations, des
éducateurs, de l'encadrement, du bénévolat, etc.
Ces propositions visent à refléter la cohésion du mouvement sportif.
Je n'ai pas de position de principe : c'est grâce aux expériences qui sont
menées, à la concertation avec le mouvement sportif et au débat avec les élus
que nous serons à même de trouver les meilleures solutions. J'aurai
certainement l'occasion, lors de l'examen des amendements, de revenir sur les
questions qui ont été soulevées par les différents orateurs.
Je n'ai pas non plus de nostalgie. Le sport a changé, ses enjeux économiques
sont aujourd'hui bien différents de ce qu'ils étaient voilà dix ou vingt
ans.
Cependant, le fait de ne pas avoir de nostalgie et de regarder la réalité en
face ne doit pas nous amener à nous laisser séduire par certaines visions
marchandes. Le fait de prendre en compte le rôle économique et même social du
sport professionnel ne doit pas nous conduire à accepter l'apparition d'un
sport-spectacle coupé du reste du mouvement sportif et soumis à quelques
financiers.
Ce danger a pesé un temps, on l'a vu, sur des sports majeurs comme le
football, avec la mise en place d'une « superligue », ou le rugby. Nous devons
donc intervenir pour aider le sport à gérer cet afflux d'argent, que celui-ci
serve le sport dans toute sa diversité et dans toutes ses composantes.
J'en viens maintenant à la dimension européenne du débat.
En l'espace de deux ans, des transformations profondes sont apparues à
l'échelon de l'Union européenne. En effet, nous sommes partis d'une situation
où le sport n'était nullement reconnu en tant que tel, où l'on considérait
qu'il devait être géré comme une entreprise et, en conséquence, soumis à la loi
de la libre concurrence ; mais aujourd'hui deuis Paderborn, sa singularité a
été admise, ainsi que la nécessité de prendre en considération ses
spécificités. Il n'est pas possible d'appliquer purement et simplement au sport
les règles qui valent pour le marché, pour l'entreprise.
Il s'agit d'un progrès considérable, surtout si l'on songe que, lundi dernier,
lors de la réunion des ministres des sports européens qui s'est tenue en
Finlande, nous en sommes arrivés à discuter des propositions que formulera la
Commission européenne, sous l'impulsion de M. Prodi, afin de développer, au
sein de l'Union européenne, le rôle social du sport et la lutte contre le
dopage. Cette avancée est très importante, bien que je considère, tout comme
vous, que les choses ne vont pas assez vite.
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
Mme Marie-George Buffet,
ministre de la jeunesse et des sports.
Pour ce qui concerne la lutte
contre le dopage, alors que jusqu'à présent la France était en pointe, selon
les uns, ou isolée, selon les autres, les quinze ministres des sports européens
ont débattu de la création d'une agence internationale, des conditions à réunir
pour que celle-ci soit efficace et des modalités de nomination des
représentants de l'Union européenne qui seront appelés à y siéger. Nous en
sommes même venus à discuter de l'implantation du siège de cet organisme, ce
qui m'a paru tout de même un peu prématuré !
Cela étant, est-ce complètement satisfaisant ? Non, et j'ai déjà eu l'occasion
de le dire, même si cela ne plaît pas toujours. Il n'est déjà parfois pas
facile d'arrêter des résolutions à l'unanimité des quinze pays, mais il est
plus difficile encore de rendre les actes conformes à ces résolutions.
En effet, la détermination de mener à bien des actions concrètes dans le
domaine de la lutte contre le dopage n'est pas la même partout.
Quoi qu'il en soit, je crois que nous sommes dans la bonne voie.
S'agissant maintenant des décrets nécessaires à la mise en oeuvre de cette
proposition de loi, nous avons commencé à examiner de façon très rigoureuse les
budgets des clubs et l'apport financier des collectivités territoriales à
ceux-ci. Nous sommes désormais en mesure d'élaborer des propositions, et je
m'engage ici à associer la Haute Assemblée à ce travail de préparation des
décrets portant sur les subventions, les dispositions d'intérêt général et les
conventions entre associations et clubs, ou entre collectivités locales et
clubs.
Enfin, en ce qui concerne la protection des clubs formateurs et, surtout,
celle des futurs sportifs de haut niveau, l'Assemblée nationale et le Sénat me
paraissent animés de la même motivation pour rechercher une solution permettant
de respecter à la fois les jeunes et l'effort de formation. Je pense donc que
nous pourrons trouver ensemble une réponse satisfaisante à cette préoccupation
commune.
(Applaudissements.)
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