Séance du 21 octobre 1999
M. le président. « Art. 1er. _ Il est inséré, dans le titre Ier du livre Ier du code de procédure pénale, après l'article 29, un chapitre Ier bis ainsi rédigé :
« Chapitre Ier bis
« Du ministre de la justice
«
Art. 30
. _ Le ministre de la justice définit les directives générales
de la politique pénale. Il les adresse aux magistrats du ministère public pour
application et aux magistrats du siège pour information.
« Il ne peut donner aucune instruction dans les affaires individuelles.
«
Art. 30-1
. _ Lorsque le ministre de la justice estime, en l'absence
de poursuites pénales, que l'intérêt général commande de telles poursuites, il
met en mouvement l'action publique.
« Lorsque le ministre estime, en l'absence d'appel ou de pourvoi en cassation
contre une décision de refus d'informer, de non-lieu ou de relaxe dans une
procédure pour laquelle il a été fait application des dispositions de l'alinéa
précédent, que l'intérêt général commande un tel recours, il interjette appel
ou forme un pourvoi en cassation.
« Le ministre saisit par voie de réquisitoire ou de citation directe la
juridiction compétente. Il ne peut à cette fin déléguer sa signature.
« Une copie de l'acte de poursuite, d'appel ou de pourvoi est adressée, par
l'intermédiaire du procureur général, au parquet compétent. En cas d'urgence,
ces transmissions peuvent se faire par tout moyen, à charge de joindre
l'original de l'acte de poursuite à la procédure dans les meilleurs délais. Les
délais d'appel et de pourvoi du ministre de la justice sont les mêmes que ceux
du procureur général. La procédure se déroule dans les mêmes conditions que si
l'acte émanait du ministère public.
«
Art. 30-2
. _ Le ministre de la justice rend publiques les directives
générales mentionnées à l'article 30.
« Il informe chaque année le Parlement, par une déclaration pouvant être
suivie d'un débat, des conditions de mise en oeuvre de ces directives
générales. Il précise également le nombre et la qualification des infractions
pour lesquelles il a fait application des dispositions de l'article 30-1. »
Sur l'article, la parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Avec cet article, nous abordons le coeur du projet de loi : les relations
entre le parquet et la Chancellerie, dispositions tout à fait innovantes... et
contestées. Les relations entre la justice et le politique restent en effet
taboues et la culture de soumission de l'autorité judiciaire au pouvoir
exécutif tellement ancrée dans la tradition française que toute tentative d'y
mettre fin se heurte, inéluctablement, aux plus vives résistances. Aussi, je
voudrais faire deux remarques et exprimer quelques réserves pour contribuer au
débat.
Première remarque, je me félicite de cet article. Enfin, les instructions du
pouvoir dans les affaires individuelles n'auront plus droit de cité. Par le
rapprochement avec les dispositions relatives aux classements sans suite, nous
avons enfin l'assurance que l'action publique sera exercée en toute
impartialité.
Nous serions d'ailleurs favorables à la suppression des instructions
individuelles dans les domaines civil et commercial.
Vous dites, mes chers collègues de la droite, que ces instructions étaient, en
pratique, fort rares. Mais n'y en aurait-il qu'une, ce serait déjà une de trop.
Et quand bien même ce texte aurait-il une portée essentiellement symbolique, il
ne faut pas la négliger dès lors qu'elle peut contribuer à restaurer la
confiance des citoyens dans leur justice.
Toute remise en question de ce nouveau principe aurait des effets désastreux :
elle apparaîtrait inéluctablement comme une légitimation de pratiques pour le
moins condamnables. L'épisode tragi-comique de l'affrètement d'un hélicoptère
pour retrouver un procureur en excursion dans l'Himalaya afin de lui faire
prendre des réquisitions conformes aux voeux du ministre de la justice en place
est là pour nous le rappeler.
J'en viens à ma deuxième remarque.
Interdit d'instructions individuelles, le garde des sceaux n'en conserve pas
moins la définition des priorités de la politique pénale sous la forme de «
directives » adressées aux magistrats du parquet chargés de les appliquer dans
le cadre de leurs fonctions. Quant à savoir s'il vaut mieux parler de «
directives » ou d'« orientations », cette question nous semble largement
accessoire.
La terminologie retenue n'aura, en dernier ressort, aucune incidence
juridique, le Conseil d'Etat n'étant pas lié par la qualification retenue :
l'important, c'est que nous nous accordions tous pour dire que ces directives
ne peuvent ajouter à la loi sous peine d'être illégales.
C'est en effet au Parlement qu'il appartient de « faire » la loi pénale, en
vertu de l'article 34 de la Constitution.
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. Robert Bret.
De ce point de vue, la disposition tendant à soumettre chaque année à débat
l'application de ces directives de politique pénale nous semble tout à fait
essentielle.
L'innovation la plus importante de cet article 1er réside dans l'institution
de ce qu'on a appelé un « droit d'action directe » du garde des sceaux. A cet
égard, nous avons quelques réticences. Certes, le mécanisme s'insère bien dans
la cohérence d'ensemble qui met fin aux instructions données aux parquets dans
les affaires individuelles. Par ailleurs, il permet au garde des sceaux d'en
assumer la responsabilité devant la représentation nationale, puisqu'il devra
rendre compte de son utilisation chaque année au Parlement.
Néanmoins nous émettons quelques réserves qui sont d'ordre philosophique,
symbolique et politique. Je m'explique.
Du point de vue philosophique tout d'abord, le groupe communiste républicain
et citoyen s'interroge sur la conformité avec la conception française de la
séparation des pouvoirs d'un système qui permet au garde des sceaux d'agir
comme un procureur. Certes, il ne s'agit que de la mise en mouvement des
poursuites, mais, en France, on a opté pour l'unité du corps judiciaire, en
considérant que la gestion des poursuites faisait partie de l'action
judiciaire.
Du point de vue symbolique ensuite, on peut craindre qu'une telle disposition
n'ait l'effet inverse de celui qui est recherché : l'intervention du garde des
sceaux ne risque-t-elle pas de renforcer les Français dans le sentiment que la
justice est au service du pouvoir, en particulier dans le cas où la juridiction
de jugement suivra les « réquisitions » - faut-il les appeler ainsi ? - du
garde des sceaux ?
Du point de vue politique enfin, que se passera-t-il si, comme on l'a déjà
évoqué, le mécanisme « tombe dans de mauvaises mains » ? Un garde des sceaux
mal intentionné ne risque-t-il pas d'en faire mauvais usage ?
M. Michel Charasse.
Et un procureur ?
M. Robert Bret.
Par ailleurs, si le garde des sceaux était désavoué par la juridiction de
jugement, n'en serait-il pas affaibli ?
C'est pourquoi les sénateurs communistes sont favorables à l'institution de
garde-fous destinés à encadrer l'utilisation de ce droit d'action. Ne
pourrait-on pas imaginer qu'une commission spéciale de la Cour de cassation
donne un avis sur le déclenchement de l'action publique par le garde des sceaux
? Nous verrons dans le débat si des réponses peuvent être apportées sur ce
point.
Voilà les quelques remarques que nous souhaitons livrer à votre réflexion,
madame la ministre, mes chers collègues, pour ouvrir notre débat sur les
amendements.
ARTICLE 30 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE