Séance du 19 octobre 1999
M. le président. Par amendement n° 33, M. Delfau propose d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le 1° de l'article L.O. 142 du code électoral est supprimé. »
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Cet amendement vise à toiletter le code électoral. Ce dernier conserve en effet, dans le cadre général de l'incompatibilité entre les fonctions de fonctionnaire et de parlementaire, une particularité selon laquelle les professeurs de l'enseignement supérieur peuvent continuer à exercer leur profession avec, évidemment, toutes les conséquences qui en découlent.
Il est logique, me semble-t-il, d'une part, que le droit commun s'applique et, d'autre part, que nous mettions un terme à cette situation au moment où nous voulons donner au parlementaire le maximum de temps pour s'occuper de son mandat.
J'ai essayé de comprendre pourquoi cette disposition avait été mise en place et avait subsisté au fil des ans, notamment dans le cadre de la loi de 1985.
L'explication en est la suivante : au départ, l'organisation de l'université était telle qu'elle donnait aux professeurs la possibilité d'être titulaires d'une chaire d'enseignement, chaire qui, si je puis dire, leur appartenait en propre. Par conséquent, le professeur d'université élu parlementaire perdait tout moyen de réintégrer la fonction publique, plus particulièrement l'enseignement supérieur. Telle est la première raison avancée pour justifier cette sorte de discrimination entre les divers corps de fonctionnaires.
J'en viens à la seconde raison : l'université a droit à une sorte de respect particulier. Toute interdiction pour un professeur de chaire d'être en même temps parlementaire aurait constitué - c'était du moins l'argument avancé dans les débats qui ont abouti à cette disposition - une atteinte à l'indépendance universitaire.
Aujourd'hui, la question ne se pose plus en ces termes : le débat sur l'autonomie de l'université ne passionne plus ici, alors qu'il a pourtant été brûlant voilà une vingtaine d'années. Surtout, le dispositif en faveur des professeurs de chaire s'est progressivement étendu avec les différentes réformes universitaires : désormais, tout professeur, tout maître de conférence peut bénéficier de cete disposition.
Il y a certes eu, à cet égard, un avis du Conseil constitutionnel. Il me semble néanmoins qu'il est de notre rôle de soulever cette question dans le débat, même si la portée d'une telle réforme serait purement symbolique. Il est important, en effet, que nous allions, sur ce plan-là comme sur les autres, un peu plus loin que la situation actuelle et que, sans attendre la nuit du 4 août des professeurs d'université, nous indiquions bien que la règle de l'incompatibilité entre la fonction publique et le mandat de parlementaire doit s'appliquer complètement et jusqu'au bout.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Larché, rapporteur. Je souhaiterais que soit précisée la portée de l'article L.O. 142.
Il vise effectivement les professeurs d'université,...
M. Jean-Jacques Hyest. Pas seulement !
M. Jacques Larché, rapporteur. ... mais également les ministres du culte d'Alsace-Moselle.
M. Jean-Jacques Hyest. Vous posez là un grave problème !
M. Jacques Larché, rapporteur. C'est, en effet, un très grave problème, car cette disposition vise aussi l'évêque de Strasbourg, le grand rabbin, ou encore le président du consistoire luthérien.
M. Hilaire Flandre. Mais ils ne sont pas candidats, que je sache !
M. Jacques Larché, rapporteur. Faites attention, dans ces conditions, aux accusations de racisme !
Cet amendement est d'autant plus amusant, si j'ose dire, que d'éminents professeurs d'université comptent parmi les plus grands donneurs de leçons en matière d'incompatibilités parlementaires.
M. Jean-Jacques Hyest. Et certains sont également avocats !
M. Jacques Larché, rapporteur. En effet, et de grands avocats.
J'ai eu l'occasion de faire remarquer cette situation à un éminent parlementaire européen, et celui-ci m'a répondu qu'il était tout à fait capable d'assumer ses responsabilités.
Considérant que tous les professeurs d'université sont capables - nous en avons des exemples vivants dans cet hémicycle ! - d'assumer les responsabilités qui sont les leurs tout en étant parlementaires, je ne puis qu'être défavorable à cet amendement.
Cela étant, sans vouloir le moins du monde blesser mon ami Patrice Gélard, je tiens cependant à dire que ce ne sont pas les professeurs d'université qui travaillent le plus, mais les professeurs chargés des classes préparatoires aux grandes écoles, khâgne, hypokhâgne et autres. Malheureusement, ils sont fonctionnaires et, pour eux, l'incompatibilité existe. Ce n'est pas juste, mais c'est comme cela. Mais ne devons-nous pas préserver, dans la vie quotidienne, un certain nombre d'injustices qui, après tout, peuvent profiter aussi bien à la gauche qu'à la droite ? Vous allez faire de la peine à un certain nombre de vos amis si vous votez ce texte, monsieur Delfau !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Sur ces questions d'incompatibilité professionnelle, c'est-à-dire sur toute la série d'amendements que nous allons examiner maintenant, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Parlement. S'agissant d'organiser le mandat parlementaire, je crois que c'est d'abord aux parlementaires qu'il appartient de définir leur position.
M. Hilaire Flandre. Ben voyons !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 33.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. le doyen Gélard. ( Sourires.)
M. Patrice Gélard. Je tiens à rappeler que le droit de cumul des fonctions de professeur d'université avec celles de parlementaire ne relève plus de la loi, mais de la Constitution, en vertu d'une décision du Conseil constitutionnel.
M. Jacques Larché, rapporteur. Décision rendue sur le rapport de M. Vedel !
M. Patrice Gélard. Je suis éventuellement ouvert à la révision du statut des professeurs d'université, mais je précise qu'il faudra alors d'abord réviser la Constitution et non pas la loi.
Par ailleurs, je précise que le statut un peu particulier des professeurs d'université existe dans plus de soixante-dix pays différents et garantir aux intéressés le droit d'être en même temps parlementaires est l'un des critères de la démocratie.
En 1848, Lamartine et Victor Hugo ont défendu ce privilège des professeurs d'université tout comme ils défendaient en même temps celui des journalistes et celui des écrivains : la pensée doit pouvoir s'exprimer sans aucune contrainte et sans aucune limite.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Patrice Gélard. Dans ces conditions, le jour où l'on interdira aux professeurs d'université d'être parlementaires, il faudra aussi l'interdire aux journalistes, aux écrivains...
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Patrice Gélard. ... et il faudra bâillonner tous ceux qui peuvent s'exprimer.
Ce privilège - s'il en est un - est l'un des critères de la démocratie et il ne faut pas y toucher dans l'état actuel de notre droit. (Applaudissements sur les travées du RPR).
M. Philippe Richert. Les journalistes ne sont pas des fonctionnaires !
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Je ne veux évidemment pas toucher au statut des ministres du culte !
En revanche, malgré le vibrant plaidoyer du doyen Gélard, je persiste à penser qu'il n'y a aucune raison, fût-ce pour la défense de la pensée, que je ne vois pas menacée ici, de faire deux poids, deux mesures. Il n'est pas question ici de bâillonner un professeur d'université, mais de lui demander, le temps de son mandat - puisqu'il retournera à l'université, ce qui constitue une grande différence par rapport à ce qui a été dit auparavant -, de choisir temporairement entre sinon deux métiers, du moins deux missions également prenantes.
Mais disons les choses un peu plus trivialement : n'est-ce pas aussi une façon d'éviter qu'un professeur d'université continue à bénéficier d'un temps plein à l'université tout en siégeant au Parlement et en étant maire d'une grande ville, président d'une communauté d'agglomération ou d'un district et, pourquoi pas, éventuellement, conseiller général ? Car c'est aussi cela, la réalité !
Pour ma part, je représente le vrai naïf dans ce débat, puisque, comme je l'ai dit ce matin, je me suis appliqué à moi-même, dès le début, la limitation du cumul des mandats. Et c'est parce que je suis le vrai naïf que j'ai choisi de dire un certain nombre de choses, dont quelques-unes, je le sais, feront réagir.
Oh ! je ne m'attends pas à ce que mes propositions soient votées par la Haute Assemblée, et encore moins par l'Assemblée nationale avec le soutien du Gouvernement. Mais je considère que, lorsque les idées sont justes, elles cheminent.
La question que je viens d'évoquer, nonobstant l'obstacle du Conseil constitutionnel, est peut-être mineure, mais elle est symbolique. N'appartient-il pas aux professeurs d'université, ou plutôt à l' alma mater, de la régler ?
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. le professeur Fréville. (Sourires.)
M. Yves Fréville. Un professeur qui n'est plus en activité, monsieur le président !
Il est, je crois, un principe sous-jacent à cette disposition de la loi organique, un principe fondamental qui est reconnu par les lois de la République, je veux parler de l'indépendance par rapport à la hiérarchie.
Pourquoi, parmi tous les fonctionnaires, seuls les professeurs d'université et les ministres du culte d'Alsace-Moselle peuvent-ils être en même temps parlementaires ? Pour une raison très simple : ils sont les seuls à être totalement indépendants, à n'être pas soumis à une hiérarchie, à ne pas recevoir d'ordres, à pouvoir s'exprimer librement.
Je suis universitaire, professeur d'économie. J'ai été à la fois, à une époque, professeur d'université et parlementaire. Je pouvais alors librement, devant mes étudiants, dire ce que je pensais de la politique de tel ou tel ministre des finances, tout en utilisant, bien entendu, les réserves propres à la pensée scientifique.
Si l'on abrogeait cette disposition, qui est le fondement d'un principe essentiel reconnu par les lois de la République, cette autonomie et cette indépendance de pensée seraient par là-même abrogées. Or je considère, mes chers collègues, qu'il est absolument indispensable pour le développement de l'université que cette liberté de parole des universitaires, qui sont responsables scientifiquement, soit respectée par le Parlement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 33, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2 bis