Séance du 13 octobre 1999






RELATIONS AVEC LES ADMINISTRATIONS

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi
en deuxième lecture

M. le président. Nous reprenons la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner, en deuxième lecture, le projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Or, force est de constater que le texte transmis par l'Assemblée nationale s'apparente plutôt à une première lecture. En effet, sur amendements du Gouvernement, l'Assemblée nationale a complété le présent projet de loi par plusieurs cavaliers législatifs relatifs à la fonction publique.
Ainsi, plus du tiers des trente articles dont nous sommes saisis sont nouveaux.
Je rappellerai tout d'abord les orientations retenues par la Haute Assemblée en première lecture dans le cadre du présent projet de loi. Je ferai ensuite état des travaux de l'Assemblée nationale et des propositions de la commission des lois du Sénat, d'une part, sur les articles restant en discussion et, d'autre part, dans le domaine de la fonction publique.
Le projet de loi issu des travaux du Sénat différait sensiblement du projet de loi initial.
En première lecture, pour améliorer la cohérence du projet de loi, le Sénat a supprimé les articles dépourvus de contenu normatif.
Il s'est agi en particulier de l'article 2 tendant à ce que les autorités administratives organisent un « accès simple » aux règles de droit qu'elles édictent et de l'article 3 définissant un programme législatif de codification. Ce dernier article s'apparentait à une injonction à légiférer et minimisait la responsabilité du Gouvernement dans le retard pris par la codification.
Enfin, le Sénat a supprimé l'article 5 organisant la consultation obligatoire du public sur les opérations de travaux publics se superposant au droit existant.
En deuxième lieu, le Sénat a précisé les obligations pesant sur les autorités administratives en matière de transparence administrative et financière.
Il a étendu, en première lecture, la levée de l'anonymat des agents des services publics afin de la rendre applicable à l'ensemble des services publics, tant administratifs qu'industriels et commerciaux.
L'article 10 du projet de loi visait à ce que les autorités administratives dotées de la personnalité morale et les organismes bénéficiant d'aides ou de subventions publiques tiennent leurs comptes à la disposition du public. La Haute Assemblée a estimé que la mise à disposition des comptes des autorités administratives était déjà en grande partie régie par le droit existant.
S'agissant des entreprises privées, le Sénat a jugé que le cadre du présent projet de loi ne se prêtait pas à la création de nouvelles obligations pour les entreprises privées.
En troisième lieu, le Sénat a envisagé les procédures administratives et le régime des décisions sous l'angle du renforcement des droits des tiers. Il s'agit notamment de l'obligation pour l'administration de délivrer un accusé de réception aux demandeurs et du régime juridique du retrait des décisions implicites d'acceptation illégales.
En dernier lieu, le Sénat a souhaité améliorer les relations entre les autorités administratives et leurs interlocuteurs.
A cette fin, il a amélioré la cohérence du cadre législatif applicable aux maisons des services publics en amendant les articles 24 à 26 du projet de loi.
En outre, constatant que les relations entre les administrations et les citoyens se détériorent du fait des recours abusifs mettant en cause des activités d'intérêt général devant la juridiction administrative, le Sénat, sur proposition de certains de ses membres, dont M. Pierre Hérisson, a imposé aux associations de sauvegarde de l'environnement déposant un recours pour excès de pouvoir contre une autorisation d'urbanisme de consigner auprès du tribunal une somme d'argent qui sera restituée si le recours n'est pas jugé abusif.
J'en viens aux propositions de la commission des lois en deuxième lecture sur les articles entrant dans le champ du projet de loi initial.
Je crois opportun, mes collègues, de vous renvoyer au rapport écrit pour l'exposé des modifications apportées par l'Assemblée nationale au projet de loi, afin de concentrer mon propos sur les principaux points de divergence entre les deux assemblées.
Face à l'importance des modifications apportées par l'Assemblée nationale, la commission des lois propose une attitude de conciliation, sans renoncer aux exigences du Sénat en matière de qualité législative.
Le premier point de désaccord concerne la transparence administrative et financière. Alors que le Sénat avait supprimé l'article 2 relatif à l'accès simple aux règles de droit, l'Assemblée nationale en a proposé une nouvelle version.
La commission des lois propose au Sénat de maintenir la suppression de l'article 2 du projet de loi, considérant que la rédaction de l'Assemblée nationale ne purge pas cet article des défauts soulignés en première lecture par le Sénat et ne lui confère toujours pas une valeur normative.
S'agissant de l'article 3 relatif à la codification des textes législatifs, la commission propose de le mettre en cohérence avec les dispositions du projet de loi portant habilitation du Gouvernement à codifier par ordonnances, que vous venez d'adopter sur le rapport de M. Patrice Gélard, mes chers collègues.
L'Assemblée nationale a refusé la proposition du Sénat tendant à inclure les services publics industriels et commerciaux dans le champ de l'article 4 prévoyant la levée de l'anonymat des agents des services publics. La commission des lois propose de rétablir la position adoptée par le Sénat en première lecture.
A l'occasion de l'examen des articles 6 à 9, mettant en cohérence les lois relatives à l'informatique et aux libertés, à l'accès aux documents administratifs et aux archives, la commission des lois souhaite à nouveau interroger le Gouvernement sur le calendrier de transposition de la directive européenne du 24 octobre 1995 relative à la protection des données à caractère personnel.
A l'article 8, l'Assemblée nationale a posé le principe de la communication des documents administratifs par les autorités qui les détiennent.
La commission des lois proposera de ne pas généraliser l'obligation pour une autorité administrative qui détient un document, sans en être l'auteur, de la communiquer aux demandeurs. Cette disposition risquerait en effet de s'exercer au détriment du bon fonctionnement du service public, l'administration détentrice d'un document n'étant pas toujours à même de déterminer si la communication de celui-ci ne porte pas atteinte à un secret protégé par la loi.
En matière de transparence financière, l'Assemblée nationale a réécrit l'article 10 afin de distinguer les obligations pesant sur les autorités administratives de celles qui sont applicables aux organismes subventionnés et de préciser le contenu de ces obligations.
Les deux assemblées divergent donc sur le champ d'application de cet article et sur les modalités pratiques que peut emprunter la mise des comptes à la disposition du public.
La commission des lois proposera d'appliquer aux établissements publics industriels et commerciaux les mêmes obligations de transparence financière qu'aux services publics administratifs et de ne pas imposer de nouvelles obligations aux entreprises privées et aux associations sans un examen exhaustif des obligations comptables existantes.
Le deuxième point a trait à la lutte contre les recours abusifs.
L'Assemblée nationale a refusé la proposition du Sénat tendant à limiter les recours abusifs devant la juridiction administrative, au motif que cet article n'entre pas dans le champ du présent projet de loi.
Or la judiciarisation des relations entre les autorités administratives et les usagers des services publics présente un lien direct avec l'amélioration des droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. En effet, des droits accrus ne doivent pas avoir pour conséquence de paralyser l'action des collectivités publiques.
L'article 5 bis est l'occasion pour la commission des lois d'alerter le Gouvernement sur le risque de paralysie de l'action administrative et de l'interroger sur les mesures qu'il envisage en matière de lutte contre les recours abusifs.
La commission des lois vous propose de rétablir l'article 5 bis, tout en en étendant le champ d'application afin de recouvrir l'ensemble des associations.
Cette solution, à ses yeux, permet de lutter contre les recours abusifs, sans pour autant créer d'inégalités entre les associations requérantes ni limiter l'accès des particuliers à la justice.
Le troisième point concerne les procédures administratives et le régime des décisions.
A l'article 14, concernant les modalités de transmission d'une demande à l'administration, la commission vous propose d'exclure l'application du dispositif aux procédures régies par le code des marchés publics.
Dans les articles relatifs au régime des décisions administratives, l'Assemblée nationale a privilégié le principe de sécurité juridique, quitte à offrir moins de garanties aux tiers.
Dans la plupart des cas, la commission sera en mesure de vous proposer des solutions de conciliation de nature à mieux équilibrer trois objectifs parfois contradictoires : le respect du principe de légalité, la stabilité de la situation juridique du bénéficiaire de la décision et la garantie des droits des tiers.
Enfin, le quatrième point a trait aux maisons des services publics.
L'Assemblée nationale a réécrit les articles 24 à 26, refusant ainsi la rédaction proposée par le Sénat. La commission des lois vous proposera de regrouper dans la même loi les dispositions concernant les maisons des services publics. Il ne lui paraît pas souhaitable de maintenir deux textes concurrents, alors que l'essentiel du régime juridique des maisons des services publics figure désormais dans la loi du 4 février 1995 relative à l'aménagement et au développement durable du territoire, telle que modifiée par la loi du 25 juin 1999.
Votre rapporteur et la commission regrettent que la méthode adoptée n'ait pas permis de regrouper ces dispositions dans un seul des deux projets de loi en cours de navette, l'urgence ayant été déclarée sur le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.
J'en arrive aux propositions de la commission des lois concernant les principaux ajouts de l'Assemblée nationale en matière de fonction publique.
L'Assemblée nationale a adopté sept articles additionnels sur proposition du Gouvernement. Bien qu'ils n'aient donné lieu à aucune explication en séance publique de la part du Gouvernement, ils ont été adoptés sans modification.
Plusieurs de ces articles présentent un caractère technique. La commission des lois vous proposera de les accepter.
Il s'agit d'abord de l'article 26 bis modifiant la dénomination de « secrétaire général de mairie » en « directeur général des services de la commune ».
Il s'agit ensuite de l'article 26 ter modifiant le régime des pensions d'invalidité des fonctionnaires de l'Etat afin de tenir compte des maladies de longue latence, en particulier liées à l'amiante. Comme cet article ne s'applique qu'aux seuls fonctionnaires des services de l'Etat, la commission des lois souhaite interroger le Gouvernement sur les mesures réglementaires qu'il envisage d'adopter afin de transposer ces dispositions dans la fonction publique territoriale ainsi que sur leur impact budgétaire pour les collectivités.
Les articles 26 sexies et 26 septies procèdent à la validation législative de mesures réglementaires censurées par la juridiction administrative ; ils tendent à garantir la sécurité juridique des fonctionnaires concernés.
L'article 27 A régularise la situation des médecins exerçant des missions de médecine professionnelle dans les collectivités territoriales sans détenir la qualification requise.
Voilà pour les articles que la commission des lois vous proposera d'adopter.
A l'inverse, la commission vous proposera de supprimer les deux articles relatifs à ce qu'il est convenu d'appeler la jurisprudence « Berkani ».
Les deux dispositions centrales ajoutées par l'Assemblée nationale tendent à traduire dans la loi la jurisprudence « Berkani » du Tribunal des conflits relative à la notion d'agent de droit public.
La jurisprudence du Tribunal des conflits a longtemps été fondée sur l'existence d'un critère matériel permettant de rattacher la notion d'agent de droit public à la participation directe à l'exécution du service public administratif. Or, en 1996, le Tribunal des conflits a opéré un revirement jurisprudentiel privilégiant l'appréciation d'un critère organique, estimant que « les personnels non statutaires travaillant pour le compte d'un service public à caractère administratif géré par une personne publique sont, quel que soit leur emploi, des agents contractuels de droit public ».
L'article 26 quater applique cette jurisprudence aux agents non titulaires de l'Etat en prévoyant un droit d'option pour les personnels en place, ceux-ci pouvant choisir un contrat de droit privé. Les dispositions relatives à la titularisation, aux concours réservés et au congé de fin d'activité ne s'appliqueraient pas à ces agents.
L'article 26 quinquies a le même objet concernant la fonction publique territoriale.
Force est de constater que la notion de contrat de droit public à durée indéterminée ne favorise pas la souplesse nécessaire à une bonne gestion des ressources humaines dans les collectivités territoriales.
La commission des lois souhaite interroger le Gouvernement sur l'innovation juridique majeure que constitue la notion de contrat de droit public à durée indéterminée, d'autant que celle-ci ne résulte pas de la jurisprudence du Tribunal des conflits.
De plus, la commission des lois souhaite obtenir de la part du Gouvernement des précisions sur les conditions dans lesquelles les employeurs territoriaux pourront licencier les personnels qui bénéficieront de ces contrats de droit public à durée indéterminée.
Enfin, votre rapporteur souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité de réformer le régime du cumul d'activités et de rémunérations pour les agents publics.
A la suite du rapport remis récemment par le Conseil d'Etat à ce sujet et dans l'esprit des préoccupations exprimées par nombre de nos collègues, en particulier par M. André Jourdain, il me paraît très opportun d'assouplir le dispositif en vigueur afin de développer l'emploi.
Chacun connaît les difficultés que rencontrent sur le terrain les agents d'entretien pour compléter leur temps de travail au service de nos collectivités par un emploi privé.
J'en arrive à ma dernière remarque : le Gouvernement a inscrit dans l'article 26 quater une modification importante du régime juridique applicable aux agents recrutés par les services de l'Etat implantés à l'étranger, dits « recrutés locaux ». Votre rapporteur souhaite connaître les pratiques actuelles des administrations de l'Etat implantées à l'étranger et le régime juridique applicable aux recrutés locaux.
Pour ces raisons, la commission des lois vous proposera, d'une part, de supprimer l'article 26 quater , relatif à la fonction publique de l'Etat, et l'article 26 quinquies , relatif à la fonction publique territoriale, et, d'autre part, de poursuivre la discussion au cours de la navette.
Sous réserve de ces interrogations et des amendements qu'elle vous soumettra, la commission des lois vous propose d'adopter en deuxième lecture le projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd'hui en deuxième lecture le projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Il est inutile, à ce stade, de revenir sur des dispositions qui, toutes, tendent à améliorer la situation des administrés. En effet, l'administration du xxe siècle s'est diversifiée en devenant de plus en plus complexe. Les structures administratives se sont multipliées, entraînant parfois mauvaise circulation de l'information et dilution des responsabilités. Il fallait donc réagir.
Un certain nombre de réformes sont intervenues. Elles avaient deux objectifs : tout d'abord, rapprocher les administrés des administrations ; ensuite, remplacer l'usager par un administré actif ; bref, replacer le citoyen au centre du dispositif.
Les processus de décentralisation et de déconcentration répondent à une première volonté de réforme. Même si l'on constate des dérives, les lois de 1982 et de 1983 restent un pas en avant décisif.
Pour le second volet, chacun d'entre nous a présents à l'esprit les lois du 17 juillet 1978 relative au libre accès aux documents administratifs et du 11 juillet 1979 traitant des motivations, ainsi que le décret du 28 novembre 1983, obligeant l'administration à abroger les actes devenus obsolètes, sans oublier les efforts du gouvernement Rocard en faveur de la modernisation du service public, à partir de 1989, relayés notamment par M. Perben lorsqu'il fut ministre en charge de ce dossier.
Le texte que nous examinons aujourd'hui apporte sa contribution à cet exercice et les améliorations qu'il comporte sont diverses, mais toutes doivent être saluées.
J'aimerais revenir tout d'abord sur deux sujets, concernant, d'une part, le médiateur de la République et, d'autre part, le délai de deux mois pour répondre à la requête d'un administré.
Le professeur René Chapus commente ainsi, dans son manuel de droit administratif, la place du médiateur : « Une institution nécessaire... Son succès a manifesté l'existence de besoins dont on n'avait pas suffisamment apprécié l'importance. »
S'agissant des conflits entre administration et administrés, tous ne trouvent pas de solution devant les juridictions. Certaines demandes sont irrecevables, d'autres voient l'abandon de leur requérant compte tenu de la difficulté de la charge, d'autres encore se heurtent à la régularité d'une réglementation qui est pourtant, en l'espèce, absurde. C'est là l'intérêt premier de la médiature.
Parallèlement, le médiateur propose les réformes susceptibles d'améliorer la situation des administrés. Il apparaît ainsi comme « la critique publique de l'administration ».
Ce médiateur est indépendant, et c'est là toute l'utilité de cette institution. Son pouvoir n'est que d'influence, mais celle-ci est grande, néanmoins, dans la vie quotidienne des citoyens, d'autant que les personnalités - et nous en comptons une sur nos travées - qui ont occupé ce poste lui ont donné une réelle légitimité.
A l'occasion de ce débat, je désirerais obtenir de votre part, monsieur le ministre, un éclaircissement. Cette personnalité est nommée par décret. Or la loi de 1989 dispose que le médiateur est une « autorité indépendante » ; reste-t-il, depuis ce jour, une autorité administrative, ou bien est-il devenu une autorité en dehors de l'administration ?
J'en viens au second point que j'évoquais tout à l'heure : le silence gardé par l'administration pendant un délai de quatre mois valait, jusqu'ici, refus. Ce délai passerait à deux mois. C'est un changement important !
En effet, en application non pas d'un « principe général du droit » mais d'un principe général tiré d'une règle écrite, le silence de quatre mois vaut traditionnellement rejet. Le décret du 11 janvier 1965 relatif aux délais du recours contentieux posant ce principe, c'est donc une règle écrite traditionnelle en droit administratif. Le Conseil constitutionnel l'a d'ailleurs considérée comme telle en 1969.
Or ce délai apparaît, en pratique, très long pour l'administré puisqu'il ne peut agir avant, et notamment intenter un recours contre l'administration, tandis que celle-ci, en application de cette règle, continue à travailler. S'agissant de contentieux lourds, il y avait déséquilibre.
On ne peut donc qu'approuver cette modification qui impose à la puissance publique une célérité dans l'instruction du dossier nécessitant - soulignons-le au passage - du personnel compétent et en nombre suffisant.
Restent quelques points - relativement mineurs, me semble-t-il - de désaccord entre les propositions de la commission des lois et le texte issu de l'Assemblée nationale.
Tout d'abord, l'article 5 bis a été amendé ici même au Sénat, à la demande de notre collègue M. Hérisson. Il institue un système de caution pour les associations déposant un recours devant le tribunal administratif contre une décision d'urbanisme prise par une collectivité publique.
Si je comprends, et même si je partage la colère des élus locaux devant la pratique du recours systématique, voire abusif, je ne peux personnellement accepter cette limitation du droit de contestation des citoyens face à la puissance publique et cette forme de sélection par l'argent. Je ferai observer, monsieur le rapporteur, que cet amendement est en contradiction complète avec l'esprit même de la loi qui s'inspire du philosophe Alain et de son célèbre ouvrage : Le Citoyen contre les pouvoirs.
Je vous invite, monsieur le ministre, à trouver avec votre collègue Mme le garde des sceaux, d'autres solutions à ce réel problème qui paralyse, il est vrai, nombre de collectivités locales tout en constituant une entrave à l'intérêt général ; nous aimerions vous entendre à ce sujet.
Mon désaccord est plus profond avec la commission des lois quand elle propose de retirer du présent texte les trois articles qui consacrent l'existence des maisons des services publics.
L'argument selon lequel ces dispositions auraient été votées dans la loi Voynet me semble fallacieux : cette nouvelle conception d'un service public de proximité regroupant plusieurs opérateurs en un même lieu est l'élément-clé de ce projet de loi. Il lui donne son sens et sa portée novatrice. Par conséquent, y renoncer équivaudrait à amputer gravement le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre.
De surcroît, je crains que la position de nos collègues ne soit à double détente. Ne voudraient-ils pas, en réalité, couper la maison des services publics de la fonction publique et généraliser la délégation de missions de service public à des entreprises privées ? N'envisagent-ils pas d'autres formules qui, au-delà de la dénaturation du concept de maison des services publics, multiplieraient les emplois précaires ? En tout cas, pour moi la question se pose.
Sachez que, très attentifs au statut du personnel employé dans les maisons des services publics, les radicaux de gauche n'accepteront pas qu'il soit autre que celui de la fonction publique au sens large, fonction publique d'Etat ou fonction publique territoriale, ou celui des salariés à statut des entreprises publiques.
Nous nous opposons notamment à ce que l'on a vu parfois dans le passé, c'est-à-dire à l'emploi dans ces structures de personnes dépendant d'un contrat de droit privé ou d'un contrat emploi-solidarité. Ces personnels n'ont en effet ni la formation, ni la permanence, ni le statut leur permettant de répondre aux besoins de la population.
Sur le fondement de votre texte, va se mettre en place toute une nouvelle génération de services publics que j'illustrerai le moment venu par deux exemples particulièrement éloquents.
Je vous avouerai maintenant ma perplexité à l'égard de la validation législative de la jurisprudence « Berkani », s'agissant des recrutés locaux à l'étranger, essentiellement par les ministères de l'éducation nationale et des affaires étrangères.
Sur le fond, ma position ne peut qu'être favorable à l'extension de cette jurisprudence, sauf à accepter la création d'une catégorie de « sous-salariés ». Mais une étude approfondie m'a montré que la diversité des situations était un redoutable obstacle. Je comprends donc, monsieur le ministre, votre hâte à légiférer, du moins si je m'en tiens aux principes. Faut-il le faire dès à présent et comme vous le proposez ? Je m'interroge. J'attends l'éclairage du débat pour me déterminer.
Enfin, j'évoquerai ce qui pourrait être le prochain chantier de la modernisation des relations entre l'administration et les administrés : celui de l'évaluation de la qualité du service rendu à l'usager.
Je vous sais sensible à cette dimension et, pour ce qui me concerne, voilà plusieurs années que je travaille dans le cadre d'une association à faire avancer l'idée. Nous souhaitons donc que vous preniez des initiatives à ce sujet.
Tel est, en résumé, mon sentiment et celui de mes collègues radicaux de gauche sur ce texte. Il est donc positif.
Les autres membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen sont plutôt enclins à suivre l'avis de la commission.
L'écart entre positions ne me paraît pourtant pas tel que nous ne puissions arriver à un texte de compromis qui serait susceptible d'être voté en l'état par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour examiner en deuxième lecture le projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Ce texte est enrichi des dispositions relatives à la fonction publique ajoutées à la demande du Gouvernement.
L'Assemblée nationale a utilement amendé le texte, soit pour préciser ou clarifier le dispositif, soit pour le rétablir, après examen du Sénat, dans un sens à mon avis plus proche de l'objectif rechercé.
Bon nombre de dispositions sont déjà adoptées conformes, notamment celles qui sont relatives au Médiateur de la République, ou seront adoptées conformes, tout au moins je l'espère, à l'issue de cette deuxième lecture.
A ce stade du débat, je crois inutile de revenir sur l'ensemble du dispositif ; je me contenterai de rappeler son principal objet : rapprocher, voire réconcilier citoyen et administration, d'abord, en simplifiant et en accélérant les procédures, ensuite, en introduisant plus de transparence.
Notons qu'il n'existe pas - pas plus qu'en première lecture, d'ailleurs - d'opposition tranchée entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur le fond et la philosophie de ce projet de loi, qui, dois-je le rappeler, s'inscrit dans le prolongement du projet de loi Perben. C'est pourquoi je regrette qu'au seuil de cette deuxième lecture nous ne soyons pas parvenus à un consensus sur ce texte. En effet, il demeure des points de discussion importants, voire essentiels à nos yeux.
Je veux notamment évoquer trois points : premièrement, la généralisation du cautionnement à toutes les associations avant recours contre une autorisation d'urbanisme, généralisation qui, loin de nous satisfaire, accroît nos divergences ; deuxièmement, les difficultés à traiter les conséquences de la jurisprudence « Berkani », qui laisse les personnels concernés dans l'insécurité ; troisièmement, les dispositions relatives aux maisons des services publics, qu'il est proposé de transférer dans la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.
Avant de développer ces trois points, je tiens à souligner l'excellent travail effectué par M. le rapporteur dans la rédaction - tant sur la forme que sur le fond - d'un certain nombre d'articles. Je prends également acte avec satisfaction des avancées vers un compromis avec l'Assemblée nationale.
Parmi ces avancées, le Sénat s'apprête à adopter l'article 1er, ce qui me semble un point positif. Cet article apparaît tout à fait essentiel puisqu'il définit le champ d'application de ce projet de loi.
L'adoption de cet article à cette place me laisse entrevoir que notre assemblée pourrait accepter de retirer les amendements tendant à étendre certaines dispositions de ce projet de loi aux services publics industriels et commerciaux, les SPIC.
En effet, si l'on comprend bien les motivations qui les sous-tendent, les SPIC n'entrent pas dans le champ défini par l'article 1er. J'ajouterai que l'extension aux SPIC mérite expertise dans la mesure où certains services, qui sont souvent plus en avance que l'administration, choisissent une logique différente dans leurs relations avec les usagers.
En ce qui concerne le retrait pour illégalité prévu à l'article 21, il est heureux que M. le rapporteur nous propose aujourd'hui de revenir sur la position adoptée en première lecture, en optant pour une rédaction qui prend cette fois en compte l'intérêt des tiers comme celui des bénéficiaires de la décision.
C'est un pas en avant qui permet de maintenir le nécessaire équilibre entre le respect de la légalité et la sécurité des usagers. Demeure un léger différend sur la durée de retrait possible pour les décisions implicites non publiées, qui est de quatre mois pour la commission des lois, et de deux mois pour l'Assemblée nationale. Nous y reviendrons à l'appel de l'article.
Je voudrais encore m'attarder sur l'article 2, qui pose le principe d'un accès simple aux règles de droit et généralise l'obligation pour les administrations détenant un document dont elles ne sont pas l'auteur de le communiquer.
Il n'est pas juste d'affirmer, comme le fait M. le rapporteur, que cet article ne possède aucune valeur normative. Inscrire un tel article dans la loi tend à garantir le droit à l'information pour les citoyens et le respect du devoir d'information qui s'impose à l'administration. Loin d'être une disposition secondaire, cet article me paraît essentiel dans un projet de loi qui vise à rapprocher les citoyens de leurs administrations en facilitant leurs démarches quotidiennes.
Enfin, s'agissant de la transparence des comptes des associations et organismes subventionnés, je pense que nous pourrions accepter l'amendement du Gouvernement, qui est beaucoup plus explicite. Nous en débattrons lors de l'examen de l'article 10.
Venons-en maintenant aux questions qui nous semblent devoir faire l'objet d'une attention toute particulière.
En premier lieu, nous sommes fortement opposés à l'obligation de consigner une somme d'argent pour les associations qui souhaiteraient déposer un recours pour excès de pouvoir contre une autorisation d'urbanisme.
Le champ d'application de cette mesure, d'abord limité de façon discriminatoire aux seules associations de sauvegarde de l'environnement, serait étendu à toutes les associations, ce qui est encore plus grave au regard de nos principes républicains.
A vrai problème, mauvaise réponse ! En effet, s'il ne s'agit nullement de nier que certaines associations peuvent pratiquer des recours abusifs, il n'en demeure pas moins que le remède proposé est tout aussi abusif ! Et nous ne risquons guère de régler le problème au détour d'un amendement qui nous paraît inacceptable à plus d'un titre.
D'abord, il porte atteinte aux principes d'égalité et de gratuité de la justice, auxquels nous sommes foncièrement attachés. Ensuite, il entrave la capacité d'expression du citoyen, alors même que le projet de loi vise justement à instaurer une saine relation de confiance entre administration et administré. Enfin, il revient à appliquer aux tribunaux administratifs les règles dont relèvent les tribunaux correctionnels, ce qui paraît pour le moins surprenant !
Nous portons également un intérêt particulier aux maisons des services publics.
Sur ce sujet, la rédaction proposée par la commission des lois suscite notre réserve, tant sur le fond que sur la forme.
D'un point de vue formel, l'implantation des maisons de services publics répondant à un objectif d'aménagement du territoire, il était tout à fait logique que la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire en prévoie la création.
De la même manière, il paraît logique que le cadre juridique définissant de façon précise les modalités de création, le statut et le fonctionnement de ces maisons des services publics soit fixé par le présent projet de loi dont l'objet est précisément, je le rappelle, de prendre des mesures pour rapprocher les citoyens de leurs administrations.
Bien évidemment, je me félicite que M. le ministre ait bien précisé que la responsabilité et la direction de ces maisons des services publics relèvent d'un fonctionnaire. Je déplorais vivement cette lacune de la loi Perben. Voilà une très grande avancée !
Or, à peine la loi « d'orientation » pour l'aménagement et le développement durable du territoire vient-elle d'être promulguée que vous trouvez bon de la modifier déjà à seule fin d'y introduire les dispositions techniques prévues dans le présent projet de loi et relevant spécifiquement d'une question de fonction publique.
J'avoue ne pas très bien saisir l'intérêt d'une telle démarche. Il me semble pourtant que nous étions tous d'accord sur cette répartition entre les deux textes et il ne me paraît guère convaincant de vouloir regrouper dans un seul texte l'ensemble des dispositions relatives aux maisons des services publics.
Je n'en dirai pas davantage, mais je regrette d'autant plus ce procédé qu'il touche à un texte de nature essentiellement technique, plus technique que politique, en tout cas.
Sur le fond, la rédaction de l'Assemblée nationale nous paraît acceptable, dans la mesure où elle a rétabli le projet de loi initial tout en le précisant. Je regrette, néanmoins, que le Sénat, tout comme en première lecture, supprime la précision rappelant les garanties conservées par les agents publics travaillant dans une maison des services publics. A en croire notre rapporteur, cette disposition relèverait de l'évidence. Nous voyons pourtant là l'occasion de vérifier le vieil adage « cela va mieux en le disant » !
Je déplore également la suppression des ajouts de l'Assemblée nationale relatifs à l'accès des personnes handicapées et au service public itinérant.
Il serait particulièrement regrettable - et j'ai même envie de dire peu responsable de notre part - de ne pas parvenir à un accord sur la question des maisons de services publics, d'autant que ces lieux polyvalents sont d'un intérêt majeur pour les usagers.
Le dernier point sur lequel je tiens attirer votre attention - et je ne serai pas le seul de mon groupe - concerne la jurisprudence « Berkani ». Légiférer sur ce point nous paraît aller dans le bons sens, car il convient de stabiliser la situation des personnels concernés. D'ailleurs, certains de mes collègues, M. Guy Penne notamment, défendront un amendement pour la rendre applicable aux personnels contractuels recrutés sur place par les services de l'Etat à l'étranger.
La commission des lois s'interroge. Il est vrai que le dispositif proposé mérite un examen attentif, notamment en ce qui concerne son champ d'application - limitation à la catégorie C, exclusion des recrutés locaux - et ses conséquences.
Je rappelle tout de même que ce dispositif a été soumis au conseil supérieur de la fonction publique d'Etat et a reçu un accueil favorable. J'ajoute qu'il est tout à l'honneur du présent gouvernement de s'employer à régler cette question, tandis que M. Perben, qui en redoutait les conséquences en termes d'affichage, s'en était bien gardé... peut-être faute de temps ! Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des articles.
J'espère que nous pourrons avancer sur cette question, car les personnels concernés par la jurisprudence « Berkani » - les agents non titulaires de l'Etat ou des collectivités territoriales - se trouvent dans une grande insécurité juridique. A ce jour, et tant qu'un texte ne sera pas voté, ils ne peuvent obtenir la qualité d'agent public qu'au cas par cas, au gré des contentieux.
Je conclurai en insistant sur la nécessité, dans le cadre de la réforme de l'Etat, de passer par une simplification des rapports entre l'administration et le citoyen.
Or, ce texte, pour n'être pas à proprement parler révolutionnaire, introduit de notables avancées en amendant des procédures longues et complexes. Il va ainsi grandement faciliter la vie quotidienne de nos concitoyens grâce à des mesures tout à fait concrètes qui doivent être appliquées sur le terrain. Nous espérons beaucoup de ce débat en deuxième lecture, et nous estimons qu'il serait tout à fait dommageable de s'enliser dans des conjectures et procédures diverses, au détriment des objectifs fixés comme des attentes des citoyens.
Nous sommes favorables au texte issu des travaux de l'Assemblée nationale et notre vote final en deuxième lecture dépendra des travaux du Sénat cet après-midi. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Biarnès.
M. Pierre Biarnès. Monsieur le ministre, votre projet de loi ne me plaît pas ! Je vous le dis en ma qualité de sénateur socialiste représentant les Français de l'étranger, c'est-à-dire des compatriotes qui sont directement concernés par votre initiative.
Tout d'abord, votre projet de loi ne me plaît pas pour des raisons générales de droit.
Certes, j'évoquerai surtout le cas des contractuels français à l'étranger. Mais si j'ai tenu à intervenir au cours de la discussion générale, c'est parce que je n'admets pas que ce gouvernement, comme les précédents, hélas ! profite d'un projet de loi « fourre-tout » pour présenter des dispositions qui devraient faire l'objet d'un projet de loi distinct. En somme, permettez-moi cette comparaison familière, je n'admets pas que, dans un panier de poissons frais - c'était le cas - on glisse un poisson pourri !
M. Emmanuel Hamel. Où est le poisson pourri ?
M. Pierre Biarnès. Je vais vous le dire.
Monsieur le ministre, vous justifiez le texte que vous soumettez à l'approbation du Parlement en faisant en quelque sorte valoir que, s'il est adopté, il constituera - dans un domaine très important, celui du statut des agents de l'Etat recrutés locaux - une consécration législative d'une évolution plutôt libérale de la jurisprudence dont vous auriez décidé de prendre acte.
Pourquoi le Gouvernement veut-il soudain figer par une loi, toujours difficile à réformer ensuite, une situation jurisprudentielle de toute façon, par nature, plus évolutive ? Ne voudrait-il pas plutôt stopper une heureuse évolution en cours et même revenir en fait en arrière par rapport à la jurisprudence ? Le fait qu'il choisisse, pour intervenir, l'opportunité d'une loi « fourre-tout » - toujours propice à un mauvais coup de l'exécutif, nous le savons depuis longtemps, hélas ! - ne peut qu'éveiller nos soupçons.
Vous affirmez votre souhait de confirmer une solution retenue par le Tribunal des conflits - très haute juridiction composée paritairement de membres appartenant à l'instance supérieure de chacun de nos deux ordres juridictionnels : le Conseil d'Etat et la Cour de cassation - en l'occurrence, une solution selon laquelle il est affirmé - comme le Conseil d'Etat l'avait du reste déjà fait dans plusieurs de ses arrêts antérieurs - que tous les personnels non statutaires travaillant pour le compte d'un service public à caractère administratif géré par une personne publique sont, quels que soient leurs emplois, des agents contractuels de droit public. Mais, en réalité, vous souhaitez anéantir, pour une grande part, cette jurisprudence et son évolution socialement heureuse, par le projet de loi que vous soumettez à notre approbation, en tentant d'instaurer de multiples exceptions à cet état réel du droit, notamment en ce qui concerne les agents recrutés à l'étranger par les services de l'Etat implantés hors de France.
En fait, pour moi, et pour nombre de mes collègues, il est clair, monsieur le ministre, que votre projet de loi ne relève que de la volonté délibérée du Gouvernement de réduire, pour des raisons budgétaires évidentes mais qui n'en sont pas moins socialement très injustes, les maigres avantages de milliers d'agents de l'Etat.
Derrière votre projet de loi, le parlementaire que je suis ne peut que voir à l'oeuvre, une fois de plus, ces « légistes » qui s'attachent obstinément, obsessionnellement, depuis de longs siècles, depuis nos anciens rois - et qui continuent à le faire de nos jours encore, comme si la Révolution n'avait jamais eu lieu - à faire entrer sans cesse davantage d'argent dans les caisses publiques et à n'en laisser ressortir que le moins possible, quelles que soient les conséquences sociales et humaines de ce travail de sape.
Je trouve ce comportement détestable, dès lors en tout cas qu'il s'exerce, aujourd'hui comme hier, au détriment des plus faibles.
En ce qui concerne plus précisément les agents de l'Etat à l'étranger, ce comportement injuste, dont votre projet de loi n'est que la dernière manifestation en date - vos prédécesseurs n'étaient pas en reste - est tout particulièrement insupportable.
Tout au long de ces dernières années, disons depuis une bonne vingtaine d'années, pour ne pas remonter plus loin, l'Etat, singulièrement le ministère des affaires étrangères, quelle que soit l'étiquette politique de nos gouvernements successifs, a eu de plus en plus recours à des personnels recrutés localement par contrat, titulaires ou non de la fonction publique, pour accomplir de très nombreuses tâches qui étaient autrefois confiées à des fonctionnaires détachés de la métropole, dans le cadre des très importantes missions de ce ministère : des missions diplomatiques et consulaires et, surtout, beaucoup plus encore, quantitativement, des missions d'éducation des enfants français à l'étranger et des missions de diffusion de notre langue et de notre culture dans les autres nations du monde.
Depuis une vingtaine d'années, dans l'accomplissement de ces diverses missions, le ministère des affaires étrangères et, à travers lui, l'Etat tout entier n'ont cessé de se désengager, de se privatiser. Nos centres et instituts culturels ont été remplacés en grand nombre par des alliances françaises, qui ne dépendent pas directement de lui, car elles sont de droit associatif étranger, et qui, budgétairement, sont donc moins contraignantes pour lui.
Pour les mêmes raisons financières, les établissements de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, une institution significativement présidée pourtant par le ministre des affaires étrangères ès qualité, sont très peu souvent gérés directement par cette agence, les formes de gestion privée, par des fondations ou des associations parentales, étant privilégiées.
Surtout, quoi qu'il en soit, au sein de tous ces établissements culturels et éducatifs, publics ou privés, l'Etat détache de moins en moins de fonctionnaires à statut, qu'il juge trop chers pour lui, pour faire de plus en plus appel, à moindre coût, à des personnels recrutés localement, titulaires ou non de la fonction publique, fort mal payés, en situation juridique précaire, à la merci de licenciements pour des motifs divers, des licenciements d'ordinaire fort mal indemnisés.
En fait, dans nos lycées et dans nos collèges, ces « recrutés locaux » très mal rémunérés sont à la charge des familles qui sont bien souvent démunies et qui n'en peuvent plus de payer pour l'éducation de leurs enfants, car rappelons-le, l'enseignement républicain est loin d'être gratuit à l'étranger pour les enfants français. A juste titre, personne n'est content, ni les parents d'élèves ni la plus grande partie des personnels qui deviennent à leurs corps défendant antagonistes, ayant légitimement mais contradictoirement raison les uns et les autres.
Mais l'important, pour le ministère des affaires étrangères, est de payer le moins possible lui-même. Quant au ministère de l'éducation nationale, il s'en désintéresse totalement, refusant depuis des années, et aujourd'hui encore, de mettre un seul sou dans la caisse de l'agence.
Dans nos centres et dans nos instituts culturels, c'est pis encore. Au-delà de cinq ou six fonctionnaires détachés, au maximum, et de quelques recrutés locaux mensualisés, on recourt systématiquement à des vacataires payés à l'heure, sans aucune participation de leur employeur public à leurs cotisations sociales, la plupart se retrouvant de ce fait sans assurance maladie ni droit à la retraite. Autant de soutiers de la langue et de la culture françaises ! Mais, à part ça, vive la francophonie !
Et c'est à tous ces personnels-là que s'attaque néanmoins votre projet de loi, en voulant leur supprimer les petits avantages compensatoires qui leur restent parfois de leur statut d'agent public, un statut reconnu vaille que vaille jusqu'à présent, même si les effets de celui-ci sont de plus en plus minorés pour eux dans la pratique. S'« attaquer », le mot n'est pas trop fort.
Mais qui gouverne donc ces temps-ci la France ? Des hommes de progrès, épris de justice sociale, ou bien ces « légistes » qui se cachent encore derrière les dirigeants de l'Etat républicain, comme aux pires moments de l'histoire sociale de notre ancienne monarchie ? Je persiste à penser que, sous ce gouvernement, ce sont bien des hommes de progrès épris de justice sociale, mais j'attends, aujourd'hui, qu'ils se manifestent.
En conséquence, monsieur le ministre, je vous demande, instamment, de prendre en considération l'amendement de retrait de toutes les dispositions relatives aux recrutés locaux à l'étranger que défendra notre collègue Guy Penne, au nom du groupe socialiste. Sinon, personnellement, je ne voterai pas votre projet de loi. Je n'achéterai pas votre panier de poisson frais !
M. Emmanuel Hamel. Il y a de saintes colères, mais aussi des excès !
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici à nouveau consultés pour la deuxième lecture du projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Les débats en première lecture ont été riches. De nombreuses questions ont été soulevées, aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Les discussions ont permis à chacun de faire valoir sa conception de la modernisation des services publics et, plus généralement, de le réforme de l'Etat.
Ce texte contribue effectivement aux réformes de la vie publique engagées par notre gouvernement, au même titre que le texte sur l'intercommunalité ou, encore, l'égal accès des femmes et des hommes à la vie publique.
Il s'agit, selon vos propres termes, monsieur le ministre, « de rendre les administrations plus accessibles, plus propres et plus transparentes » pour les citoyens. Nous ne pouvons qu'adhérer à un tel objectif car, même s'il est indéniable que d'importants progrès ont été accomplis aux cours des vingt-cinq dernières années - je pense à la création du médiateur, qui a été rappelée, ou de la commission d'accès aux documents administratifs, mais également à la loi sur la motivation des actes administratifs - un certain nombre d'améliorations sont encore nécessaires pour que, dans leurs relations avec l'administration, les usagers soient enfin des citoyens, comme l'affirme le titre du projet de loi.
Les mesures proposées sont simples, mais les enjeux qu'elles sous-tendent pour l'avenir des services publics sont importants.
Le service public est au coeur du développement de la France. Il est porteur d'efficacité, de protection et de cohérence sociale, et il demeure un atout décisif au service de l'emploi, du dynamisme de notre pays et de sa modernisation. Il est également l'une des assises du sentiment de citoyenneté et du principe d'égalité.
Aussi est-il primordial, pour les parlementaires communistes, mais certainement aussi pour l'ensemble des parlementaires, de veiller à une amélioration et à un développement constant de la qualité des services publics.
A l'heure où le nombre des exclus ne cesse de progresser, menaçant ainsi la cohésion sociale de notre pays, nous avons besoin d'un Etat volontariste, qui donne une impulsion, une dynamique nouvelle, et non d'un Etat amenuisé, qui laisse à la dérive un nombre croissant d'individus.
Les difficultés des citoyens dans leurs relations avec les administrations ne sauraient s'expliquer uniquement par un mode de fonctionnement opaque, qui donne parfois l'impression d'un certain arbitraire.
Si le sentiment de carence des services publics grandit aujourd'hui parmi les usagers, c'est en grande partie parce que l'administration ne dispose pas de moyens suffisants pour assumer ses missions.
La solution à ce problème passe nécessairement par un réinvestissement franc et massif de l'Etat.
Comment prétendre améliorer la qualité du service public, si aucune ressource supplémentaire n'est accordée ?
On ne saurait en effet s'attaquer aux nombreuses lenteurs dont souffre l'administration sans développer les emplois au sein de la fonction publique. Délaissée depuis de nombreuses années maintenant, elle souffre désormais d'une situation de sous-emploi chronique. Les longues files d'attente dans certaines administrations en témoignent, par exemple dans les commissariats, notamment dans ma ville, Marseille. Mais ce n'est pas la seule, hélas ! Ainsi, dans une ville de 90 000 habitants comme Saint-Denis, en fin de semaine, un seul fonctionnaire de police est présent pour enregistrer les plaintes. C'est inacceptable !
La stabilité des effectifs proposés par le Gouvernement ne peut nous contenter, dans la mesure où tous les besoins ne sont pas satisfaits.
Ces questions sont, à mon avis, au centre du débat que nous avons aujourd'hui. Et l'attitude de la majorité sénatoriale, qui tente de réduire la portée du texte, a pour conséquence de limiter le rôle des services publics comme facteur de cohésion sociale et de réduire substantiellement le nombre de fonctionnaires. Il s'agit à l'évidence d'une divergence de fond.
Sans revenir sur l'ensemble des dispositions dont nous avons eu l'occasion de débattre en première lecture, je voudrais m'arrêter sur une ou deux questions.
La mise en place des maisons des services publics - articles 24 et 25, éléments clés effectivement du projet de loi - nous satisfait, puisqu'il s'agit de réunir, en un seul lieu, différents services publics afin de faciliter les démarches des usagers. Il s'agit ainsi d'inverser la tendance qui visait jusqu'alors, y compris dans la loi sur l'aménagement du territoire, à rationaliser les services publics.
Je ne suis donc nullement surpris de la proposition de la commission des lois visant à intégrer le dispositif de cette loi dans la loi du 4 février 1995.
Le groupe communiste républicain et citoyen, quant à lui, préfère le dispositif proposé, qui tend à améliorer les réponses des services publics aux besoins, notamment de proximité, de nos concitoyens.
Ces mesures sont de nature à faire vivre des quartiers et s'inscrivent dans la politique de la ville que nous souhaitons.
Le seul sujet d'inquiétude - ce n'est pas le moindre, monsieur le ministre - concerne les moyens alloués au développement de ces maisons des services publics.
Sans traiter sur le fond des articles additionnels après l'article 26 - j'y reviendrai tout à l'heure - je voudrais, monsieur le ministre, vous dire combien nous avons été surpris par la méthode employée.
Il eût été préférable de présenter vos propositions un tant soit peu en amont du débat à l'Assemblée nationale, d'autant plus que ces amendements sont des cavaliers législatifs : nouvelle dénomination pour les secrétaires généraux de mairie, modification du code des pensions civiles et militaires, situation juridique des agents publics en poste à l'étranger, application législative de la jurisprudence Berkani - j'aurai l'occasion d'y revenir au cours de la discussion des articles - et, enfin, validation des décisions individuelles de l'Office national de la chasse.
Ces ajouts ne constituent cependant pas une modification profonde du texte, qui garde tout de même une cohérence certaine quant à l'objectif qu'il cherche à atteindre.
Nous souscrivons à l'ensemble des autres dispositions : liberté d'accès aux documents administratifs, modalité de communication de ces documents, levée de l'anonymat, élargissement des compétences de la commission d'accès aux documents administratifs. Autant de réponses simples et concrètes qui devraient, me semble-t-il, mes chers collègues, d'une part, favoriser une réelle amélioration des relations entre l'administration et le citoyen et, d'autre part, répondre à l'attente de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Monsieur le président, aussi bien le rapporteur que les quatre orateurs qui sont intervenus après lui se sont exprimés sur ce texte avec beaucoup de précision,...
M. Emmanuel Hamel. Et de passion !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ... voire, quelquefois, avec vigueur. Mais c'est là la liberté des parlementaires !
M. Emmanuel Hamel. Merci de le reconnaître !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Je répondrai simplement aux questions ne se rapportant pas aux aspects qui seront abordés dans la discussion des articles.
Monsieur le rapporteur, vous avez soulevé le problème des tierces personnes et de l'indemnisation des maladies de longue latence. La loi du 26 janvier 1984 relative à la fonction publique territoriale impose la transposition, par voie réglementaire, s'agissant de la majoration et de l'indemnisation aux agents territoriaux. Les incidences financières sont peu importantes, puisque 2 % des retraités pour invalidité la perçoivent, ce qui représente environ 10 millions de francs par an.
S'agissant des maladies de longue latence, aucun chiffrage ne peut être établi à l'heure actuelle. Cependant, les causes d'exposition à l'amiante dans des conditions réellement dangereuses dans des bâtiments communaux et départementaux sont, il faut le dire, relativement rares.
Par ailleurs la rédaction du projet de loi portant transposition de la directive sur la protection des données personnelles est achevée, et ce projet de loi, qui vous sera présenté par Mme le garde des sceaux, sera prochainement examiné par le Conseil d'Etat.
La cohérence avec les modifications que le projet de loi DCRA que nous examinons à l'heure actuelle introduit dans la loi relative à la CNIL a été préservée.
S'agissant du statut du médiateur, je répondrai à M. Delfau que, dans les textes, le médiateur est qualifié d'« autorité indépendante », afin de lui permettre d'assurer son rôle d'intercesseur entre l'administration et les usagers, et je dois dire que les médiateurs successifs se sont montrés très attachés à cette rédaction.
Vous m'avez également interrogé, monsieur le sénateur, sur les progrès réalisés en matière d'évaluation des relations entre usagers et administrations, notamment en ce qui concerne le recueil de l'avis des usagers sur les dispositifs administratifs. A titre d'exemple, je citerai le « portail unique » d'accès aux sites publics sur Internet. Il est en cours d'élaboration et il a été précédé d'une large consultation... sur Internet d'ailleurs !
D'une manière générale, le Gouvernement se préoccupe de mettre en place des démarches de qualité et des indicateurs de résultats ; il partage totalement votre préoccupation.
Voilà mes réponses aux questions sur lesquelles je ne reviendrai pas lors de la discussion des articles.
M. Emmanuel Hamel. Vous n'avez pas répondu à tous les orateurs !
M. Pierre Biarnès. Il a le droit de ne pas répondre ! De quoi vous mêlez-vous ?
M. Emmanuel Hamel. J'ai dit qu'il n'avait pas répondu !
M. le président. Veuillez conservez votre calme, mes chers collègues.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er