Séance du 12 octobre 1999
M. le président. La parole est à Mme Borvo, auteur de la question n° 590, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, ma question porte sur la situation des locataires de taxi - leur nombre est très important à Paris - qui, hélas ! est éloignée d'un respect ne serait-ce que minimal du droit du travail.
J'avais, en mars 1997, soulevé cette question. Un an plus tard, les parlementaires de mon groupe ont déposé une proposition de loi à ce sujet, qui prévoit la suppression du régime de la location.
En effet, le contrat de location ne fait l'objet d'aucun encadrement ni d'aucun contrôle. De surcroît, l'extension du contrat de louage contribue à déséquilibrer la structure du secteur du taxi en faisant progressivement disparaître les chauffeurs salariés. En effet, le système de la location permet d'échapper à l'application des droits sociaux.
Le contrat de location imposé aux chauffeurs est, pour eux, générateur d'insécurité juridique. Bien qu'il entre dans le champ des contrats de travail qui, aux termes du code du travail, font l'objet d'une affiliation obligatoire pour les droits à l'assurance maladie, on impose à ces chauffeurs, comme aux artisans, un délai de carence de quinze jours pour les indemnités journalières. Par ailleurs la chambre de métiers et les URSSAF, unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, refusent l'inscription des chauffeurs locataires de taxi, car ceux-ci ne remplissent pas les conditions légales d'affiliation. Le repos dominical et les congés payés annuels ne sont pas obligatoires, pas respectés, ce qui n'entraîne pas de sanctions, et en cas de rupture ou de non-renouvellement de leur contrat, les chauffeurs locataires ne bénéficient pas des indemnités de chômage.
Quant à la rémunération, on peut estimer que si un locataire verse 4 600 francs par semaine au loueur, chiffre qui inclut les charges sociales et la TVA, et qu'il dépense de 70 à 100 francs par jour en carburant, pour une recette moyenne quotidienne de 800 à 1 000 francs, il gagne entre 4 000 et 8 000 francs par mois pour soixante-quinze heures de travail hebdomadaire !
Je crois que l'annonce de la discussion prochaine de la proposition de loi que nous avons déposée serait la bienvenue à l'heure où l'on débat des trente-cinq heures. Je voulais de nouveau attirer votre attention sur cette situation, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Madame le sénateur, je crois d'abord utile de rappeler que les locataires sont presque exclusivement présents dans la zone unique des taxis parisiens, regroupant Paris et quatre-vingts communes environnantes, et de façon limitée à Lyon. A Paris, un tiers des conducteurs de taxi sont locataires. Ils louent le taxi à un artisan ou à une société moyennant une redevance mensuelle allant de 13 000 à 20 000 francs par mois.
Le ministère de l'intérieur n'a pas été inactif sur ce sujet, et j'aimerais vous en convaincre.
La location, forme reconnue d'exercice de la profession, est un système hybride, qui présente certains avantages, comme l'autonomie complète et la libre disposition du véhicule. C'est pourquoi bon nombre de chauffeurs non titulaires d'une autorisation de stationnement le préfèrent au salariat. L'inconvénient est qu'il libère le loueur de certaines contraintes inhérentes à la réglementation du travail. C'est pourquoi il a été prévu de l'encadrer conformément à l'article 10 du décret du 17 août 1995 portant application de la loi du 20 janvier 1995 relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi.
Je me suis donc attaché à ce qu'un contrat type de location, fondé sur les dispositions de l'article 10, soit élaboré dans le cadre des nombreuses réunions de travail qui ont eu lieu entre l'administration et les organisations représentatives des loueurs et des locataires.
Ce contrat type a été envoyé par une circulaire en date du 22 septembre 1998 à tous les préfets pour diffusion auprès des maires. S'il ne peut constituer un document juridiquement contraignant, j'ai souhaité que l'autorité qui délivre une autorisation de stationnement gérée sur un mode locatif s'inspire de ce modèle pour délivrer l'autorisation.
Les principales sources d'insécurité que pouvaient ressentir certains chauffeurs et dont vous faites état ont été réglées par ce contrat type.
En effet, l'aspect précaire des contrats mensuels a été supprimé, la durée minimale étant d'un an. Certains loueurs concluent même avec leurs locataires des contrats de trois ans, voire quatre, alignés sur la durée de vie présumée du véhicule. Les craintes des locataires de voir les tarifs de location s'envoler, alors que l'activité ne progresse que modestement, sont écartées, le réajustement de la redevance étant calculé proportionnellement aux indices INSEE relatifs à l'achat de véhicules automobiles et au taux horaire de la main-d'oeuvre.
De nombreuses autres mesures favorables aux locataires ont été introduites, telles que le mois de gratuité annuel à titre de prime de fidélité, la mise à disposition obligatoire d'un véhicule de remplacement en cas d'immobilisation du véhicule principal avec paiement d'indemnités journalières par le loueur qui ne s'acquitterait pas de cette obligation dans les cinq jours.
Enfin, la résiliation de ces contrats ne peut intervenir que pour des motifs graves : retrait du permis de conduire ou de la carte professionnelle, conduite en état d'ivresse, non-paiements importants et récurrents des sommes dues, sinistrabilité excessive, tous motifs d'ailleurs qui conduiraient un artisan à cesser son activité.
J'ajouterai que, comme tous les chauffeurs de taxi, les locataires profitent de la reprise économique et je ne crois pas qu'aujourd'hui leur situation soit aussi inquiétante que vous la décrivez.
Je n'en veux pour preuve que l'augmentation du prix des autorisations de stationnement qui traduit un accroissement du chiffre d'affaires et le fait que, tous les ans, une partie importante des autorisations sont acquises par des locataires.
Ceux-ci mettent donc à profit la location pour se former, découvrir le monde très particulier du taxi, constituer un capital et, le cas échéant, accéder à l'artisanat.
Je note, si j'en juge par la proportion stable du nombre d'artisans et de salariés, que les équilibres qui prévalent au sein de cette profession depuis de nombreuses années ne semblent pas menacés.
Pour autant, il s'agit d'un sujet récurrent, qui peut toujours faire l'objet de débats. Comme je l'ai dit, des dispositions législatives et réglementaires ont été prises. Pour ma part, je ne demande qu'à m'instruire en écoutant les arguments que ne manqueront pas de développer les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Brovo. Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous avez apportées sur votre activité pour encadrer au maximum la location.
Selon moi, ce statut particulier, qui a d'ailleurs été réintroduit en 1972, est défavorable à l'emploi. En effet, il permet une surexploitation d'une partie des chauffeurs de taxi, ce qui n'est pas sans conséquence sur le service rendu et au regard de la sécurité.
La proposition de loi que nous voudrions voir discuter et qui serait effectivement l'occasion d'un échange d'arguments prévoit de mettre fin à une situation que vous avez vous-même qualifiée d'hybride, monsieur le ministre.
Nous proposons de ne retenir que deux modes d'exploitation : soit par le propriétaire, soit par les salariés. Ce serait également l'aboutissement logique d'une situation dans laquelle la jurisprudence, notamment le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre, le 8 novembre 1995, « reconnaît les liens de subordination qui existent entre le chauffeur et le loueur, critères du contrat de travail ». Cela reviendrait à introduire l'obligation d'un contrat de travail.
Je crois savoir que le Gouvernement est conscient des problèmes existants, vous venez de le dire, monsieur le ministre. En effet, dans un courrier du 25 août 1998 adressé à une organisation syndicale et provenant du secrétariat d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, qui est en quelque sorte cogérant de la profession, il était fait mention de l'examen possible de la proposition de loi déposée par les parlementaires communistes.
Donc, je réitère simplement ma demande pour qu'un débat ait lieu sur cette question et que nous nous orientions vers un meilleur encadrement de la profession.
7