Séance du 22 juin 1999
DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE
Suite d'un débat
sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
Nous reprenons le débat d'orientation budgétaire consécutif à une déclaration
du Gouvernement.
Dans la suite du débat, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, je concentrerai mon propos sur un sujet quelque peu controversé
: la dépense publique.
C'est un thème qui prête assez facilement à la caricature, caricature qui n'a
pas sa place dans la Haute Assemblée et en vertu de laquelle, si je me fie à ce
que l'on peut lire ici ou là, la droite serait par principe défavorable à la
dépense publique, qu'elle réduirait dès qu'elle exerce des responsabilités,
alors que la gauche serait par réflexe favorable à la dépense publique, qu'elle
augmenterait dès qu'elle est au gouvernement. Le présent débat d'orientation
budgétaire, qui nous permet de faire le bilan de deux années de gestion
budgétaire sérieuse et de couvrir les trois années à venir, fera justice de ces
caricatures.
Je commencerai par faire un éloge rapide de la bonne dépense publique.
Chacun connaît l'apport que peut représenter la dépense publique dans le
domaine social, dans le domaine culturel, dans le domaine de l'aménagement du
territoire. J'ai d'ailleurs noté qu'au moment où se négocient les contrats de
plan entre l'Etat et les régions, nombreuses sont les voix qui s'élèvent, sur
toutes les travées, pour souhaiter que la participation de l'Etat soit encore
plus ambitieuse que celle que le Premier ministre a récemment arrêtée !
Ce que je veux démontrer ici, c'est qu'une certaine dépense publique peut
contribuer à l'efficacité économique de notre pays, mais aussi que, pour que la
gestion de la dépense publique soit efficace, il convient, comme l'a dit M. le
ministre à l'instant, qu'elle respecte une norme d'évolution.
Une dépense publique efficace peut être une contribution et non pas une
entrave à la compétitivité de notre économie. En effet, lorsqu'une entreprise
investit, elle ne mesure pas seulement le montant de l'impôt qu'elle paie ;
elle compare aussi le montant de cet impôt, bien public qui contribue à sa
propre activité, que ce soit l'usage des espaces urbains, des routes, des voies
ferrées, la qualité de la formation de la main-d'oeuvre ou la densité des
laboratoires et des télécommunications, bref, sont ce qui fait la qualité de la
vie dans notre pays.
Si notre pays a la médaille d'argent en matière d'accueil des investissements
étrangers, c'est, en partie, parce que nos services publics sont de qualité et
sont appréciés comme tels non seulement par nos entrepreneurs et, bien sûr, nos
concitoyens, mais aussi par les étrangers, qui font des comparaisons entre les
différents pays européens.
Cette efficacité de la dépense publique, nous entendons la préserver et
l'accroître au cours des années à venir. Nous avons déjà débattu de la dépense
publique au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 1999. La
commission des finances du Sénat, avec un certain courage, je dois le dire,
avait défendu un contre-projet de budget qui consistait à réduire les dépenses
de l'Etat de 28 milliards de francs.
Cela s'était traduit, dans ce contre-budget - ce budget alternatif, je crois,
monsieur le rapporteur général
(M. Philippe Marini, rapporteur général,
acquiesce)
- par des coupes massives dans des dépenses à nos yeux
prioritaires, dans de bonnes dépenses, des dépenses pour l'emploi et contre
l'exclusion.
Nous aurons donc l'occasion de reprendre ce débat. Pour ma part, je crois très
sincèrement qu'une bonne dépense publique peut accroître l'efficacité de notre
économie et renforcer la cohésion sociale de notre pays.
Pourquoi respecter une norme d'évolution de la dépense publique ? Pourquoi ne
plus viser, comme on le faisait antérieurement, un objectif en termes de solde
?
Dans le passé, il était naturel que l'on se fixe un objectif en termes de
solde parce qu'il fallait être qualifié pour l'euro. Maintenant, ce souci de
fixer un programme pluriannuel maîtrisé des dépenses doit nous permettre
d'atteindre plusieurs objectifs.
Une telle définition oblige les différents acteurs publics à penser leur
action dans le moyen terme et non pas année par année.
Elle permet aussi une gestion moins heurtée, en cours d'année, des finances
publiques, lesquelles étaient parfois hachées, dans le passé, par des décisions
de régulation, par exemple.
La progression modérée et certaine du volume des dépenses publiques permet,
comme l'a dit M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, de
libérer des ressources pour réduire la charge de la dette que supporteront les
générations futures et pour laisser aux ménages comme aux entreprises
créatrices d'emplois une plus grande part de la croissance.
Enfin, il est clair qu'un objectif stable des dépenses publiques en volume
peut contribuer à stabiliser la conjoncture.
Et cela nous fait passer insensiblement de l'échelon français à l'échelon
européen, car il est important de poursuivre, dans l'ensemble des onze pays de
l'euro, ce que les spécialistes appellent un bon
policy mix
,
c'est-à-dire une politique monétaire qui s'adapte aux évolutions
conjoncturelles de l'ensemble des pays de l'euro et une politique budgétaire
plus ciblée qui soutient l'activité en cas de ralentissement spécifique à un
pays.
Après avoir développé très rapidement ces considérations de principe, je
souhaite maintenant faire, très rapidement aussi, le bilan de deux années de
bon ouvrage budgétaire.
Je dirai, d'abord, que nous avons stabilisé la dépense en volume en 1997 pour
nous qualifier à l'euro - M. Dominique Strauss-Kahn l'a déjà dit - et respecté
les engagements pris pour 1998, à savoir le maintien des dépenses en volume.
Sur ce point, je voudrais corriger un chiffre cité par M. le rapporteur
général dans son rapport écrit, remarquable par ailleurs, qui me paraît
manifestement erroné. Il est écrit que la dépense de l'Etat, en 1998, a
augmenté de 1,1 %, c'est-à-dire au-delà de l'augmentation de 0,8 % qui
correspond à la stabilité des dépenses en volume. En fait, s'inspirant de la
Cour des comptes, je dois le reconnaître, M. le rapporteur général a raisonné
en « dette brute » qui n'est pas le concept sur lequel le Gouvernement s'était
engagé pour une raison assez claire, même si elle est un peu technique : cet
agrégat n'a guère de sens puisqu'il intègre - les spécialistes le comprendront
bien - des intérêts non courus qui ont pour contrepartie des recettes
d'ordre.
Je crois qu'il est important de continuer à raisonner en dette nette, et c'est
dans ces termes, même si ses propos sont quelque peu techniques, que le
Gouvernement a pris des engagements et les a respectés.
En 1999, pour tenir compte non pas peut-être d'une inflation, mais d'une
hausse des prix plus faible que prévu, nous avons eu recours à une méthode
innovante en passant avec l'ensemble des ministères ce que nous appelons des
contrats de gestion qui consistent à négocier, et non pas à imposer, comme dans
les mesures de régulation, des mises en réserve modulées, selon chacun des
ministères, de certains crédits ; ces crédits sont provisoirement mis en
réserve tant que l'on n'a pas la certitude que la hausse des prix correspond à
celle qui a été prévue. Cette méthode permet à la fois de respecter les
objectifs en volume tout en laissant à chaque ministre la maîtrise de la
politique qu'il mène.
Je voudrais, là aussi, corriger un point que M. Marini développe dans son
rapport écrit. M. le rapporteur général s'inquiète de la progression de la
dépense en 1999, plus précisément de la dépense connue à la fin du mois d'avril
1999 par rapport à celle qui était connue à la fin du mois d'avril 1998. Il
cite le chiffre de 2,8 % et ajoute que ce dernier est incompatible avec le
respect de l'objectif de progression en volume de 1 % sur l'ensemble de
l'année.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le rapporteur général de votre commission
des finances est un homme trop avisé pour ne pas savoir que, dans ces dépenses
que nous publions au mois le mois - nous sommes d'ailleurs le seul pays
européen à publier une situation budgétaire mensuelle - est pris en compte
l'effet des rebudgétisations dont nous avons débattu au cours de la discussion
du projet de loi de finances pour 1999, rebudgétisations qui sont d'un montant
total de 46 milliards de francs.
Après M. Dominique Strauss-Kahn, je dirai à M. Marini que, cette année, comme
les deux années précédentes, nous respecterons nos engagements en la matière.
Je n'insisterai pas sur le montant de la dépense publique. M. Dominique
Strauss-Kahn a fort bien expliqué qu'il allait être progressivement réduit en
pourcentage du produit intérieur brut d'ici à 2002 et que notre pays ferait en
la matière un effort plus important que la moyenne de ses partenaires ; nous
n'en tirons d'ailleurs aucune vanité, la modération de la dépense publique
étant non pas un objectif en lui-même, mais le moyen de réduire les déficits et
d'alléger les impôts.
J'insisterai plutôt sur la structure de la dépense publique.
Au cours des deux dernières années - nous prenons le même engagement pour les
trois années à venir, qui font l'objet de ce débat d'orientation budgétaire -
nous avons eu la volonté de dépenser mieux, de dépenser au plus juste.
Entre 1997 et 1999, 30 milliards de francs ont été chaque année déplacés au
profit des priorités du Gouvernement, priorités que partage la majorité qui le
soutient à l'Assemblée nationale et la valeureuse minorité présente au
Sénat.
Nous avons ainsi redéployé sur deux ans 50 milliards de francs en faveur de
budgets précis : l'emploi et la justice sociale, la justice et la sécurité,
l'éducation et la recherche, la culture et l'environnement. Pour ces priorités
que nous défendons avec acharnement, les dépenses correspondantes dans le
budget ont crû deux fois plus vite que la moyenne.
Par exemple, le budget de l'emploi et celui de la solidarité ont été portés de
220 milliards de francs en 1997 à 238 milliards de francs en 1999.
Cette progression de 8,2 % en deux ans a permis de développer les
emplois-jeunes, de financer la réduction négociée du temps de travail et de
lutter contre les exclusions.
Ce sont ces dépenses de solidarité que vous voulez réduire. Il y a clairement
entre nous une différence irréductible.
Autre exemple, les moyens de l'éducation nationale, qui atteignent près de 350
milliards de francs cette année, ont crû de près de 8 %, et ce pour développer
la qualité de l'enseignement, lutter contre l'exclusion en milieu scolaire,
renforcer notre effort dans les zones d'éducation prioritaires ou pour mettre
en place le plan social étudiant. Ces dépenses d'avenir sont celles que la
majorité sénatoriale veut réduire.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le
secrétaire d'Etat ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de M. le
secrétaire d'Etat.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai lu avec grand
intérêt dans certains documents budgétaires qu'en 1998, au chapitre 44-74 du
ministère de l'emploi et de la solidarité, rubrique concernant l'insertion des
publics en difficulté, donc extrêmement prioritaire, il a été procédé en deux
temps à des annulations de crédits de 9 milliards de francs sur un total
initial de 39,4 milliards de francs, soit 22,8 % des crédits inscrits dans la
loi de finances initiale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous réalisez donc bien des économies, même sur
des actions aussi prioritaires à vos yeux ! Alors, de grâce, ne satanisez pas
la majorité sénatoriale dans son effort de rigueur !
(M. Jean Chérioux
applaudit.)
M. Charles Descours.
Très bien !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le rapporteur général, je n'aurais pas
l'outrecuidance de vouloir sataniser la majorité sénatoriale ! J'ai simplement
dit que nous avions réalisé des transferts de crédits entre ministères, ce dont
je parle actuellement, et que chaque ministère, en son sein, avait fait un
effort de redéploiement en faveur d'actions prioritaires.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur général, de cette intervention, que
je prends comme un compliment, au nom de l'ensemble du Gouvernement. Il est
vrai que nous avons diminué un certain nombre de dépenses passives de
solidarité en faveur des dépenses actives que sont les emplois jeunes, la
réduction négociée du temps de travail, la lutte contre les exclusions.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Que nous vous avions recommandées !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous remercie d'avoir apporté cette eau à mon
moulin !
Je poursuis en indiquant que les crédits de la justice ont progressé de 10 %
en deux ans. Là encore, il s'agit d'améliorer un service public auquel tiennent
beaucoup nos concitoyens, particulièrement les plus faibles d'entre eux. La
justice a été rendue plus rapidement ; l'administration pénitentiaire a été
modernisée ; la prise en charge des jeunes par notre système judiciaire a été
promue. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, et nous aurons
l'occasion d'en reparler.
Les moyens alloués à la culture ont progressé de 4 % ; ceux qui sont affectés
à la sécurité de 5 %, et ceux de l'environnement de 17 %.
Ces chiffres concrets montrent que, dans une progression globale modérée il
est possible de consacrer des moyens supplémentaires substantiels à un certain
nombre de budgets qui, pour nous, sont des budgets prioritaires qui
correspondent à des bonnes dépenses publiques, comme je l'évoquais tout à
l'heure. En la matière, comme l'a dit M. Strauss-Kahn, il n'y aura pas de
scoop
: les priorités de dépenses que nous avons respectées dans le
passé resteront les priorités du Gouvernement pour l'avenir.
Je voudrais profiter de ce discours introductif pour revenir sur une mauvaise
querelle à laquelle M. Fréville s'est prêté lors de l'examen du projet de loi
portant règlement définitif du budget de 1997, au sujet de la progression des
investissements civils dans le passé.
Soyons clairs : il faut prendre en compte non seulement les investissements
civils qui sont financés par le budget général mais aussi ceux qui sont
financés par les comptes spéciaux du Trésor. J'ajoute aussitôt que, dans ces
comptes spéciaux du Trésor, je n'inclus pas les recettes résultant de la vente
d'un certain nombre de biens appartenant à l'Etat qui figurent sur un compte
d'affectation spéciale.
Je vous livre les chiffres : les investissements civils, toutes sources de
financements confondues, ont diminué de 13 % entre 1993 et 1997 ; ils ont crû
ou vont croire de 10 % entre 1997 et 1999. Cela traduit notre volonté affirmée
de redonner à l'investissement civil toute la place qu'il doit avoir dans la
préparation de notre économie et de notre société future.
Je ne veux pas vous lasser en évoquant une débudgétisation du prêt à taux zéro
qui avait servi au précédent gouvernement à minorer artificiellement les
dépenses de l'Etat, alors que, nous, dans un souci d'honnêteté budgétaire, nous
l'avons rebudgétisé à partir de 1999. Je ne détaillerai pas ce point maintenant
mais je serai prêt à répondre aux orateurs qui le souleveraient
ultérieurement.
Nous avons également maîtrisé les frais de fonctionnement de l'Etat, qui ont
été diminués de 3 % en termes réels. Il y a là la preuve que l'on peut, dans le
cadre d'une bonne gestion de la dépense publique, réduire les crédits de
fonctionnement sans porter atteinte aux politiques correspondantes.
J'ajoute en conclusion que le Gouvernement a respecté la règle qui avait été
prise dans la déclaration de politique générale du Premier ministre en juin
1997 : la stabilité des effectifs budgétaires civils de fonctionnaires de
l'Etat.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais
porter à votre connaissance avant que nous entamions ce débat qui portera sur
la politique économique et budgétaire de l'ensemble de la législature. Les bons
résultats obtenus depuis deux ans augurent bien des trois années à venir. Notre
politique, comme vous le voyez, s'inscrit dans un horizon de moyen terme. Elle
trace les perspectives durables d'une politique budgétaire sérieuse au service
du progrès solidaire. Tel est notre engagement pour les années à venir et,
comme nous l'avons fait depuis l'été 1997, nous respecterons cet engagement.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certains
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous voici réunis
pour ce débat d'orientation budgétaire qui va se dérouler, comme M. Dominique
Strauss-Kahn l'a dit tout à l'heure, sur la base de deux documents, le rapport
d'orientation budgétaire du Gouvernement et le programme de stabilité de la
France à l'horizon 2002, tel qu'il a été élaboré en décembre 1998 et transmis à
l'Union européenne.
Ces deux documents comportent surtout des énoncés d'objectifs. Baisse du
déficit budgétaire de 20 milliards de francs, progression des dépenses nulle en
volume, stabilisation des prélèvements obligatoires, tels sont les objectifs du
rapport d'orientation budgétaire. Déficit public ramené à 1 % du produit
intérieur brut, dette publique en diminution relative, dépense publique ramenée
autour de 51 % du produit intérieur brut, prélèvements obligatoires autour de
45 % du même produit intérieur brut, tels sont les objectifs du programme de
stabilité.
Que nous annonce-t-on en termes de moyens pour atteindre ces objectifs ? C'est
là que le bât blesse !
Le Gouvernement ne nous semble avoir arrêté ses priorités ni en matière de
dépense, ni en matière fiscale.
Certes, nous comprenons bien que le rapport d'orientation budgétaire ne peut
pas se substituer à la loi de finances initiale et que des arbitrages vont
avoir lieu selon le calendrier habituel. Il n'en demeure pas moins que le
document d'orientation qui nous a été remis et le débat organisé aujourd'hui
doivent nous permettre, me semble-t-il, de cerner la manière dont le pays et
ses finances publiques seront gérés au cours de la période à venir.
Monsieur le ministre, la commission des finances - cela ne vous surprendra pas
- partage l'orientation de vos objectifs et, si vous voulez réduire la
dimension, le poids de la sphère publique dans l'économie française, nous
serons à vos côtés, cela va de soi.
Vous devez bien comprendre que nous jugeons vos objectifs insuffisamment
ambitieux et, surtout, vos moyens excessivement flous. C'est sur cette
contradiction que je voudrais m'arrêter, sans faire, naturellement, de procès
d'intention à quiconque. J'articulerai mon intervention, mes arguments autour
de deux pôles que je reprendrai systématiquement, domaine par domaine.
En premier lieu, portant un regard rétrospectif sur les deux années qui
viennent de s'écouler, je poserai la question suivante : le Gouvernement a-t-il
mis en harmonie les réalisations avec ses intentions ?
En second lieu, s'agissant des moyens - que je qualifiais de trop flous - je
me permettrai de vous poser une série de questions tout au long de cet exposé,
monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, en souhaitant qu'il vous
soit possible d'apporter à la Haute Asssemblée les éléments d'information
nécessaires.
M. Emmanuel Hamel.
Ne les faites pas trop souffrir !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mon cher collègue, je vais tâcher d'être aussi neutre
et factuel qu'il est possible...
(Exclamations sur les travées
socialistes.)
M. Guy Fischer.
Mission impossible !
M. Jean Chérioux.
Et objectif, comme vous l'êtes toujours, monsieur le rapporteur général !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je vais reprendre quatre rubriques, qui seront les
mêmes d'ailleurs que pour la loi de règlement : le cadrage macro-économique,
les recettes, c'est-à-dire les prélèvements obligatoires, la maîtrise des
dépenses et le solde des finances publiques.
En ce qui concerne le cadrage macro-économique, vous vous souviendrez, je
l'espère, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Sénat
n'avait pas souhaité, lors du débat budgétaire de décembre dernier, remettre en
cause l'hypothèse de croissance économique figurant dans le document
budgétaire, soit 2,7 %. A la différence d'autres, nous avions estimé, en toute
rigueur, que l'intérêt national justifiait, même si nous pouvions douter de son
réalisme, de souscrire à l'hyptohèse de croissance.
Le Gouvernement, face à l'évolution des choses, n'a pas tardé, comme il était
probable, à remettre en cause cette hypothèse et, à la vérité, dès le mois de
décembre, c'est-à-dire dès le moment où nous discutions de la loi de finances
elle-même, il élaborait et transmettait un programme de stabilité qui ne
faisait plus état que de 2,4 % pour l'année 1999.
La commission des finances vous fait crédit, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, du fait que la croissance française est plus forte que celle
de nos partenaires.
(M. Strauss-Kahn s'exclame.)
Mais nous estimons que l'assainissement des finances publiques ne peut pas
reposer exclusivement sur cet effet de croissance et qu'il nécessite une
volonté persistante, permanente et une politique visant à de véritables
transformations structurelles.
La commission des finances, si elle n'avait pas remis en cause votre hypothèse
de croissance, avait posé des questions - voire plus que des questions - sur la
prévision d'inflation que vous aviez établie à 1,3 %. Vous l'avez d'ailleurs
révisée très vite et de façon majeure en la ramenant à 0,5 %. Cela, chacun s'en
rend compte, a des effets importants sur les recettes budgétaires et, plus
encore, mes chers collègues membres de la commission des affaires sociales, sur
les cotisations sociales. En effet, l'évolution de la masse salariale pour 1999
a dû, de ce fait, être revue à la baisse.
Certains d'entre nous avaient prédit au Gouvernement, au mois de décembre,
mais il se refusait alors à l'admettre, qu'il serait contraint d'opérer assez
vite des gels de crédits.
J'ai examiné les documents que vous nous avez présentés et je n'y ai pas
trouvé de gel de crédits. En revanche, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, j'y ai trouvé un élément nouveau qui reflète votre habileté
sémantique, je veux parler des contrats de gestion passés entre le ministère de
l'économie et des finances et les ministères dépensiers.
Il s'agit des contrats de gestion dont l'objectif est d'arrêter, de manière
conjointe avec les ministères, les principes et les modalités pratiques
d'exécution des crédits afin de respecter l'objectif de pilotage en termes
réels des dépenses de l'Etat.
Les contrats prévoient concrètement la constitution d'une réserve de crédits.
Au total, cette réserve atteint près de 14 milliards de francs. Il n'y a pas de
gel, il y a des contrats de gestion et l'on met en réserve - maintenant je
comprends - 14 milliards de francs.
Pour l'année 2000, le Gouvernement n'affiche plus une hypothèse de croissance
nominale aussi ambitieuse que pour 1999. Il est à présent question d'une
fourchette de 3,4 % à 3,9 %, croissance réelle plus inflation.
Compte tenu de tous ces éléments et sachant qu'une faible croissance nominale
est de nature à réduire les recettes et à augmenter le poids des dépenses
publiques, je voudrais, constatant que le Gouvernement maintient toutefois son
objectif de réduction des déficits à 2,3 % en 1999 et à une fourchette comprise
entre 1,7 % et 2 % pour l'an 2000, m'adresser à vous, monsieur le ministre,
monsieur le secrétaire d'Etat, et vous poser une première série de
questions.
Les contrats de gestion de 14 milliards de francs seront-ils suffisants ?
Pouvez-vous par ailleurs nous dire quels sont les ministères touchés par ces
contrats ?
J'en viens à présent aux prélèvements obligatoires que vous concevez
délibérément élevés. Je vais tâcher de m'expliquer sur ce point.
Depuis 1998, le Gouvernement promet que les prélèvements obligatoires, qu'il
juge à bon droit trop élevés, vont, doivent baisser. Il fait reproche, sans
doute à juste titre, au précédent gouvernement de les avoir augmentés, d'avoir
cassé la croissance.
M. Michel Sergent.
C'est vrai !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous nous en parliez encore voilà un instant. C'est
déjà un vieux débat et, avec le temps, mes chers collègues, ce sujet perdra
sans doute de son intérêt. A vrai dire, à quoi bon polémiquer sur des choses
mortes ?
Mais rappelons quand même que le précédent gouvernement avait au moins deux
excuses. Il lui fallait d'abord aller vite à partir d'une situation très
compromise par 150 milliards de francs de déficit légués au début de l'année
1993, et pour qualifier la France pour l'euro. Il lui fallait ensuite faire
face à une conjoncture qui était mauvaise, avec des recettes qui n'augmentaient
pas spontanément, avec la charge de la dette qui
a contrario
était dans
une spirale tout à fait effrayante. Alors, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, le Gouvernement de vos prédécesseurs n'a pas eu l'heur de
connaître la conjoncture heureuse qui vous permet de nous présenter des
chiffres plus favorables.
M. Jean Chérioux.
Mais il l'avait préparée !
M. Emmanuel Hamel.
Il fallait prévoir cette heureuse conjoncture et ne pas dissoudre.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La commission des finances doute que, dans les
circonstances d'aujourd'hui et avec la croissance d'aujourd'hui, le
Gouvernement d'aujourd'hui souhaite réellement diminuer les prélèvements
obligatoires.
Quels sont les éléments qui nous permettent de douter de cette volonté ?
Le premier élément, c'est tout simplement l'absence complète de tout résultat
digne de ce nom en ce domaine depuis juin 1997. J'observe que, si le poids des
impôts locaux n'avait pas diminué depuis 1997, car il est passé de 7,2 % à 6,9
% du produit intérieur brut, le total des prélèvements obligatoires aurait
continué à augmenter.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Eh oui ! C'est la
taxe professionnelle !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous n'en serions pas à ce record de 46,1 % du
produit intérieur brut ; nous en serions à 46,4 % !
Alors, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, s'il est au moins
une chose heureuse, c'est que les collectivités locales soient venues à la
rescousse de l'Etat et du Gouvernement.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est la TP !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est une chose dont nous pouvons tous être
satisfaits.
(M. le ministre s'esclaffe.)
Je rappellerai simplement en un mot, et sans revenir sur le débat de tout à
l'heure, qui portait sur 1997, que ce taux de 46,1 % date, monsieur le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, du projet de loi portant mesures
urgentes à caractère fiscal et financier. C'est à ce moment-là que le taux de
prélèvements obligatoires a franchi la dernière marche pour passer de 45,8 % à
46,1 % du revenu national.
Et, contrairement aux annonces que vous aviez faites, monsieur le ministre de
l'économie, lors du débat d'orientation budgétaire d'il y a un an, puis lors du
débat sur la loi de finances pour 1999, les prélèvements obligatoires sont
restés sur ce palier très élevé et à ce niveau record de 46,1 %. Vous aviez
pourtant annoncé une baisse de 0,2 point en 1999, comme en 1998, et cette
annonce avait été confirmée dans le programme de stabilité transmis à l'Europe
en décembre dernier.
Le second élément de doute ou de perplexité résulte de votre stratégie telle
que vous l'exposez dorénavant, stratégie qui vous conduit à vous accommoder
d'une simple stabilisation des prélèvements obligatoires.
En effet, dans le document présentant les comptes prévisionnels de la nation
pour 1999 et les principales hypothèses économiques pour l'an 2000, document
publié au mois d'avril dernier, l'objectif est exprimé de façon nettement moins
ambitieuse que dans le programme pluriannuel des finances publiques jusqu'en
2002, puisque je lis : « Le taux de prélèvements obligatoires devrait être
stabilisé. Il commencerait même à décroître d'ici à 2000 pour s'établir entre
45,7 et 46 points du PIB compte tenu des mesures fiscales déjà engagées. »
Vous conviendrez avec moi que 46 points, c'est très proche de 46,1 points !
Cette rectification effectuée à peine quatre mois après l'élaboration du
programme de stabilité nous conduit à constater que la diminution tant promise
des prélèvements obligatoires est différée de deux ans au minimum. Et je ne
vois dans les documents qui nous ont été transmis - et j'espère, bien entendu,
pour notre pays et pour les contribuables, me tromper - aucune mesure concrète
de baisse des impôts.
En revanche, je vois des signes d'une position contraire. On parle en effet de
la création d'une écotaxe pour financer les réductions de charges sur les bas
salaires venant après ou sur la taxe générale sur les activités polluantes de
l'année dernière, venant avec sans doute l'écotaxe européenne, pour contribuer
aux études sur les effets de serre.
Ensuite, je constate qu'il est question de créer une contribution
additionnelle sur les bénéfices des entreprises réalisant plus de 50 millions
de francs de chiffre d'affaires, venant relayer en quelque sorte la surtaxe que
M. le secrétaire d'Etat qualifiait encore tout à l'heure d'exceptionnelle et de
temporaire et qui retrouve ainsi une existence nouvelle avec un nom de baptême
nouveau, et ce, mes chers collègues, alors même que les recettes au titre de
l'impôt sur les sociétés sont très brillantes puisqu'à la fin du mois d'avril
elles avaient augmenté de 38 % par rapport à la période analogue de l'année
1998.
Permettez-moi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de passer
à ma deuxième série de questions.
Quelles sont vos véritables intentions en matière de politique fiscale ? Que
voulez-vous faire en matière d'impôt sur le revenu, de TVA sur les travaux à
forte intensité de main-d'oeuvre et, surtout, de charges pesant sur le travail
? Pouvez-vous d'ailleurs réellement faire quelque chose ?
Après avoir évoqué les prélèvements obligatoires, j'en viens aux dépenses.
Sans vouloir les classer en bonnes ou en mauvaises dépenses, je vais essayer de
vous montrer, mes chers collègues, que nous ne sommes pas réellement dans un
vrai contexte de maîtrise de la dépense publique.
Depuis 1998, vous parvenez à afficher des progressions honorables,
acceptables, de la dépense publique parce que vous bénéficiez - tant mieux pour
la France, pour son budget et pour vous ! - de l'augmentation très modérée de
la charge de la dette publique liée à la baisse des taux d'intérêt - dont
chacun sait que le facteur de déclenchement s'est situé à la fin de l'année
1995 - et accessoirement grâce aux économies que vous faites sur certaines
dépenses sociales que la croissance rend moins nécessaires.
Mais, pour l'essentiel, les économies dont vous bénéficiez sont des économies
de constatation qui ne nécessitent, à la vérité, que très peu d'actions
volontaires sur la structure des budgets. Chacun sait que les postes les plus
lourds, les plus massifs en ordre de grandeur, à savoir la fonction publique,
les retraites et l'assurance maladie, sont ceux auxquels il faut s'attaquer en
priorité si l'on prétend exercer une action de « maîtrise » de la dépense
publique.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'état, le Gouvernement s'est
fixé pour l'an 2000 - ce sont les lettres de cadrage du Premier ministre - un
objectif qui a le mérite de la clarté : ne pas augmenter les dépenses en francs
constants.
A la vérité, compte tenu des économies en termes relatifs faites sur la dette
- mais je ne chipoterai pas sur ce point - on note une légère augmentation, de
l'ordre de 0,3% en termes réels hors dette, mais ce n'est pas l'essentiel.
L'essentiel est le petit calcul auquel nous avons procédé et qui montre que
cette règle vous donne une marge d'augmentation de la dépense en francs
courants de 17,2 milliards de francs en 2000 par rapport à 1999. Or je me suis
livré à un autre petit calcul de coin de table : j'ai dressé la liste d'un
certain nombre de rubriques que je vais vous citer très rapidement et qui,
prises une par une, nous conduisent inéluctablement à constater des dépenses
supplémentaires. Je ne porte là, mes chers collègues, aucun jugement de
valeur.
Selon vos propres hypothèses, les emplois-jeunes vont coûter, en 2000, 13,6
milliards de francs de plus ; la lutte contre l'exclusion, 4 milliards de
francs de plus ; la couverture maladie universelle - nous savons que notre
collègue M. Oudin et la commission des finances ont contesté le bien-fondé de
ce chiffre - 1,7 milliard de francs de plus ; l'accord salarial de février 1998
dans la fonction publique 8,5 milliards de francs de plus, auquel il faut
ajouter des mesures catégorielles pour 5 milliards de francs et les pensions de
la fonction publique pour 5,5 milliards de francs. Total : 38 milliards de
francs par rapport aux 17 milliards de francs de marge !
Dans cette liste, je n'ai pas pris en compte une rubrique que je ne sais
d'ailleurs pas apprécier ni calculer, mais qui est néanmoins très intéressante
: celle du passage aux trente-cinq heures. Monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, allez-vous appliquer les 35 heures à la fonction publique ?
Comment allez-vous faire ? Quelle en sera la traduction dans les documents
budgétaires ? Si vous envisagez de ne pas les appliquer, l'avez-vous dit à nos
partenaires sociaux ?
Considérons le passage aux 35 heures de manière un peu plus large, hors
fonction publique. Je ne sais pas ce que nous apportera ou nous retirera la loi
en préparation, mais je pense, d'après les éléments que vous nous transmettez,
que restera à la charge de l'Etat un coût non négligeable, de l'ordre de 20 %
du total du dispositif. Sur ce point, je souhaite vivement, monsieur le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous éclairiez.
D'après les éléments que j'ai ainsi réunis, avec les petits moyens dont je
dispose,...
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Petits moyens ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... je constate que près de 25 milliards de francs de
dépenses ne seraient ainsi pas financés. Il vous faudra procéder par
redéploiements, d'où une troisième série de questions.
Sur quels postes, quels ministères, porteront ces redéploiements ?
M. Emmanuel Hamel.
Sur le ministère de la défense !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous nous informez, dans le document budgétaire que
nous avons reçu, que, « s'agissant des sections budgétaires les moins
prioritaires, les dépenses de fonctionnement devront baisser de 3 %, tandis
que, pour les dépenses d'intervention, une baisse de 10 % des moyens devra être
recherchée ».
Quelles sont les sections budgétaires moins prioritaires ? Dites-le nous ! Que
représentera leur diminution ? Dites-le-nous aussi !
Par ailleurs, toujours dans le document budgétaire, vous comptez sur un
excédent des comptes sociaux. Nos collègues qui suivent avec beaucoup d'intérêt
ces sujets, en particulier M. Descours, rapporteur de la loi de financement de
la sécurité sociale, pourraient s'associer à moi pour la quatrième série de
questions.
M. Charles Descours.
Il le fera !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Comment parviendrez-vous aux résultats que vous
affichez, compte tenu de la dérive actuelle des dépenses d'assurance maladie ?
Comment y parviendrez-vous si le financement de la seconde loi relative aux 35
heures repose, comme il est vraisemblable, à hauteur de 20 milliards de francs
sur l'UNEDIC ?
Je formulerai une question subsidiaire : au sein de l'UNEDIC, les partenaires
sociaux en sont-ils conscients et d'accord ?
J'achèverai cette série de considérations par quelques propos sur l'équilibre
des finances publiques.
Mes chers collègues, il est clair, et il faut lui en rendre grâce, que, depuis
qu'il est en fonction, le Gouvernement actuel a poursuivi la démarche de
réduction des déficits publics. Ces derniers ont atteint 3 % du produit
intérieur brut en 1997, 2,9 % en 1998 et devraient être de 2,3 % en 1999. Sur
ce point, nous n'avons rien à contester. C'est la voie choisie qui ne nous
convient pas vraiment. En effet, elle nous semble être excessivement originale
et à l'écart de ce qui se fait partout ailleurs dans les principaux pays
concernés.
En flux, vous maintenez un niveau élevé de prélèvements et de dépenses, et ce
volontairement. En stock, vous préférez ne pas réduire la dette brute, et
constituer des réserves gérées par les administrations publiques. C'est votre
fonds de réserve pour les retraites. A l'exception des pays scandinaves et de
la Belgique, la France est le seul pays industriel à opter pour une vision
aussi étatique des choses.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ce n'est pas
totalement rien, quand même !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faut bien qu'il y ait des différences entre nous,
monsieur le ministre,...
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je le
souhaite.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... sinon la vie démocratique ne pourrait pas se
dérouler !
Mais vos choix traduisent une philosophie différente de celle de la
commission. A la vérité, ce n'est pas cela l'essentiel. L'essentiel, c'est
notre conviction qu'avec les moyens que vous utilisez il ne sera pas possible
de résoudre durablement - et vos partenaires de la majorité plurielle ont
raison d'insister sur le « durablement » - les difficultés financières de la
France, qui sont à venir ! Aujourd'hui, vous mangez votre pain blanc ; demain
et après-demain, les choses seront certainement un peu plus difficiles.
Venons-en un instant à une notion que vous avez vous-même évoquée : le déficit
structurel, c'est-à-dire l'excès permanent des dépenses sur les recettes. Il
est égal à 140 milliards de francs, selon le Gouvernement, à 193 milliards de
francs, selon l'OCDE. Peu importe, ce sont des différences de méthode. Il y a
par ailleurs un déficit de fonctionnement de l'Etat de 68 milliards de francs
financé par emprunt, ce que nous ne pourrions pas faire dans la plus petite de
nos communes.
Le déficit structurel ainsi décrit est, en proportion, le plus lourd des
Quinze, à l'exception de celui de la Grèce. C'est ce qui est important ! De
plus, ces déficits structurels sont, chacun le sait, des facteurs d'aggravation
de la dette publique. En effet, même si vous nous dites vouloir stabiliser
celle-ci en pourcentage de la richesse nationale, il est nécessaire d'aller
plus loin. Ce que nous voudrions, nous, c'est que l'on engage véritablement un
mouvement de réduction de la dette publique en valeur absolue, comme le font
les Etats-Unis et beaucoup de nos partenaires européens. Nous n'en sommes pas
encore là.
A la vérité, il faudrait même aller au-delà, être encore plus ambitieux,
s'interroger sur la réalité de cette dette, c'est-à-dire sur les vrais
engagements de l'Etat, ceux qu'il devra honorer dans l'avenir. Il faudrait donc
pousser plus loin l'exercice esquissé par notre excellent collègue Jean Arthuis
quand il occupait vos fonctions, monsieur le ministre
(Exclamations sur les
travées socialistes),...
M. Michel Sergent.
Ce n'est pas lui qui a diminué la dette !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... c'est-à-dire faire une comptabilité patrimoniale
de l'Etat et savoir ce qui nous attend pour demain ou après-demain. En d'autres
termes, nous aurons besoin de connaître le hors bilan de l'Etat.
Il existe des engagements, certes conditionnels, comme certaines garanties en
matière de crédit à l'exportation. Mais il en est d'autres qui ont dès
maintenant un caractère de certitude. Ainsi, nous le savons bien, il faudra
dénouer les structures de défaisance, payer les primes d'épargne logement ;
incomberont encore à l'Etat les charges de remboursement de la dette de Réseau
ferré de France. Nous savons surtout, car c'est l'essentiel, qu'il faudra
financer les retraites et que nous aurons à affronter de très graves, de
massives difficultés en ce domaine.
D'après les chiffres de l'OCDE concernant la France, les pensions de la
période 1994-2070 - vous voyez que c'est une échelle très longue ! - ne sont
pas financées à hauteur de 100 % du produit intérieur brut de 1994. Certaines
extrapolations du rapport Charpin permettent d'évaluer l'impasse financière des
retraites à une somme comprise - je n'entre pas dans le détail - entre 50 % et
300 % de la richesse nationale de 1998. Pour avoir une idée véritable de cette
dette latente, qui est notre dette collective à tous et que personne ne
contestera, il faudrait donc, au minimum, doubler le montant de la dette
publique d'aujourd'hui.
C'est là, monsieur le ministre, qu'intervient votre fonds de réserve destiné à
recevoir les éventuels excédents des comptes sociaux, les recettes de
privatisation et le produit - 15,9 milliards de francs - de la mutualisation
des caisses d'épargne. Nous nous sommes longuement exprimés sur ce sujet lors
de l'examen du projet de loi concernant la mutualisation des caisses
d'épargne.
Je voudrais cependant rappeler que, d'un point de vue économique, les réserves
de ce fonds viennent s'imputer sur les engagements futurs des administrations
publiques, ce qui économiquement, je le répète, équivaut strictement à un
désendettement de ces mêmes administrations.
En d'autres termes, il serait de même effet soit de réduire en valeur absolue
l'endettement public et de définir des conditions nouvelles de financement des
retraites par les agents économiques, soit de doter, sous l'égide de l'Etat, un
fonds de réserve appelé à devenir considérable et qui pourrait être, je tiens à
le dire, un instrument de bureaucratisation de l'économie.
Parvenu à la fin de mon propos, je vais me permettre de vous poser une
dernière série de questions concernant le fonds de réserve, une autre question
que j'avais oubliée tout à l'heure étant de savoir ce que l'on attend pour
comptabiliser les engagements hors bilan.
Quel sera le montant de ce fonds de réserve ? Par qui sera-t-il géré ? En
fonction de quels objectifs ? Quelle sera la nature des actifs financiers qui
s'y trouveront ? Enfin, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
pourquoi se fatiguer à gérer à la fois des actifs et des passifs, alors qu'il
suffirait de réduire le passif de l'Etat ?
(Murmures sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Comme pour les
entreprises.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Sans doute ! Encore que les mouvements de
compensation et de simplification, pour des esprits simples comme les nôtres,
soient préférables à toutes les complexités administratives
(Rires et
exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen),
car, vous le savez, nous sommes des
élus de province et nous ne comprenons que des choses qui reflètent un minimum
de bon sens.
(Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
C'est bien vrai !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
D'ailleurs, ce bon sens, nous le trouvons dans les
rapports des grandes institutions internationales et européennes, que ce soit
la Commission de l'Union européenne, le Conseil des ministres, la Banque
centrale européenne ou l'OCDE. Nous le trouvons également exprimé par notre
Cour des comptes nationale. Tous ces organismes ont mis l'accent, dans des
documents récents, sur la nécessité de réduire les dépenses publiques pour
réduire les déficits et pour préparer les chocs démographiques.
A vrai dire, il est toutes sortes de voix qui s'élèvent en ce sens. Je vais en
citer encore une : « Aujourd'hui, les prélèvements obligatoires atteignent un
niveau record - 46 % du PIB - soit quatre points au-dessus de la moyenne de
l'Union européenne. Comment moins prélever ? Réponse : en enrayant la
progression de la dépense budgétaire. » Qui a dit cela ? Mes chers collègues,
je vous le laisse deviner...
M. Emmanuel Hamel.
M. Fabius !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Avec votre lucidité habituelle, vous avez trouvé, mon
cher collègue : c'est le président de l'Assemblée nationale, M. Fabius.
Je crois que l'on peut effectivement lui rendre hommage pour ce propos tout en
espérant qu'il soit partagé et surtout que ses conséquences concrètes soient
partagées par toutes les composantes de la majorité plurielle avec lesquelles,
monsieur le ministre, vous avez parfois quelques difficultés.
(Protestations
sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen)...
M. Guy Fischer.
Vous pouvez parler !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... mais bien entendu, dans ces difficultés, comptez
sur le Sénat pour vous aider à vous diriger sur la voie du bon sens et de la
rigueur.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le ministre,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M. le rapporteur général a
su parfaitement et complètement exprimer le point de vue de la commission des
finances.
M. Marc Massion.
De la majorité de la commission.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il a su analyser les données et
les voies budgétaires que la commission recommande d'emprunter pour la France.
On peut l'en remercier et lui présenter les compliments qu'il mérite.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Aussi me limiterai-je, pour ma part, à souligner quatre enseignements
principaux sur les points qui ont été abordés depuis le début de la discussion,
tant par M. le ministre ou par M. le secrétaire d'Etat que par M. le rapporteur
général.
Le premier enseignement - ce point a été évoqué par M. Strauss-Kahn - est que
l'euro constitue une puissance d'intégration insoupçonnée. J'indique, monsieur
le ministre, que nous ne sommes pas en désaccord sur ce sujet.
Notre nouvelle monnaie européenne, que beaucoup d'entre nous avons voulu, va
engendrer une convergence des politiques budgétaires nationales dont nous ne
mesurons pas encore toute la portée.
Les calendriers, les méthodes, les concepts, les grands agrégats, la gestion
de la dette : aucun des instruments de la politique budgétaire n'échappera à ce
mouvement de convergence. Le débat sur le dépassement par l'Italie de ses
objectifs de déficit en est d'ailleurs une illustration assez éclatante.
En effet, en l'absence d'une coordination étroite entre les politiques
économiques, la sanction risque d'être rude, notamment pour l'emploi.
Les coûts s'affichant dans la même monnaie, à l'échelle de notre continent,
les entreprises n'auront d'autre choix, face à la concurrence, que d'améliorer
leur productivité et de se regrouper.
Les disparités entre pays s'effaceront donc, mais au prix fort pour les moins
compétitifs : celui de la perte massive d'emplois.
L'harmonisation des politiques budgétaires dépasse donc, et de très loin, me
semble-t-il, les seules préoccupations du pacte de croissance et de stabilité.
Or, techniquement, politiquement, institutionnellement, à mes yeux, nous ne
sommes pas encore prêts.
Aussi devrons-nous mener, bien vite, une réflexion prospective et la conduire
parallèlement avec l'harmonisation de nos fiscalités dont nous parlons d'ores
et déjà.
Le deuxième enseignement est la prise de conscience de la nécessaire réforme
ambitieuse de la fonction publique.
Que l'on s'en réjouisse ou qu'on le regrette, qu'on le nie ou qu'on le
dénonce, les crédits de la fonction publique sont désormais la variable
principale de nos dépenses budgétaires.
Trois aspects peuvent retenir notre attention à ce sujet.
Les effectifs, les rémunérations et les charges de retraite croissent d'une
manière préoccupante. Depuis 1997, les effectifs budgétaires - je pense aux
ministères civils et à la défense hors appelés - ont augmenté de près de 12 000
postes, sans compter les emplois-jeunes - 350 000 au total sont annoncés pour
l'année prochaine - ni les non-titulaires rémunérés sur les crédits de
fonctionnement.
Sur ce sujet, mes chers collègues, la France s'engage à contre-courant de tous
ses partenaires européens.
Cette évolution sera d'autant moins soutenable à moyen terme que les
traitements de la fonction publique s'améliorent plus rapidement que les
salaires du secteur privé : sur la période 1995-1999, le salaire moyen brut
aura augmenté de 1,2 % l'an en moyenne dans la fonction publique ; il n'aura
augmenté que de 0,9 % par an dans le secteur privé.
Les effectifs peuvent, quant à eux, connaître une évolution considérable, car,
lorsque l'on y regarde de près, on constate que, dans les dix ou douze années à
venir, la moitié des fonctionnaires partiront à la retraite. Il appartient
donc, dès aujourd'hui, à la représentation nationale de se prononcer sur les
voies et moyens de la modernisation de notre fonction publique française.
Aucune réflexion prospective réelle, en tout cas aucune prospective associant
le Parlement, n'a été engagée, malgré les kilos de rapports qui s'accumulent
sans doute sur vos bureaux, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire
d'Etat, en attendant celui de la Cour des comptes, dont on dit qu'il fera grand
bruit.
En disant cela, je ne fais que reprendre ce que deux grands pays voisins,
l'Allemagne et le Royaume-Uni, disent par l'entremise de MM. Blair et Schröder
: « La proportion des dépenses publiques dans le PIB a atteint un seuil
intolérable et les services publics doivent être réformés afin de répondre aux
exigences d'efficacité et de performance attendues par les contribuables. En
conséquence, la bureaucratie doit être réduite et les services publics
rigoureusement évalués au regard d'objectifs de performance préalablement
définis. »
M. Michel Sergent.
Cela ne leur a pas trop réussi !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Si vous les reniez, mes chers
collègues, vous ne pouvez pas en même temps vous réjouir du fait que les
gouvernements de l'Europe soient presque tous socialistes. Par conséquent, soit
vous ne les reniez pas, auquel cas vous pouvez en effet prétendre que les
gouvernements sont socialistes,...
M. Michel Sergent.
On peut faire la démonstration inverse !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
... soit vous les répudiez,
auquel cas vous vous dissociez de leur point de vue.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ils veulent les convertir !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Cela étant, cher monsieur
Sergent, nous pourrons être d'accord sur ce qui suit.
A mes yeux, la fonction publique n'est pas seulement un poste de dépenses,
c'est aussi et c'est surtout un poste de ressources humaines. Elle est même le
plus gros capital humain qui existe dans notre pays.
M. Michel Sergent.
C'est vrai !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Mais, hélas, elle est en même
temps le capital humain le plus mal « managé », celui auquel on ne fixe jamais
d'objectifs, celui qui souffre du jugement souvent négatif porté par nos
conpatriotes, celui qui saurait, selon moi, retrouver la fierté de sa mission
pour peu qu'on le mobilise, le dynamise, le récompense, le sanctionne lorsque
c'est justifié et qu'on le considère comme un corps d'élite, en charge de
l'essentiel, plutôt qu'un effectif dont on ne distingue plus, parmi ses
missions, le principal de l'accessoire.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Monsieur le ministre, monsieur
le secrétaire d'Etat, la solution, que je qualifie de facilité, dans laquelle
s'installe le Gouvernement aujourd'hui en matière de fonction publique est
préoccupante, car elle laisse en quelque sorte se creuser un fossé entre le
public et le privé et elle rompt un équilibre entre deux composantes de notre
corps social. Cette facilité n'est pas soutenable sur le long terme. Elle
appellera des réformes d'autant plus douloureuses à conduire qu'elles auront
été sans cesse différées.
J'en viens au troisième enseignement que nous pouvons tirer de ce débat déjà
engagé : la croissance sert en quelque sorte de voile pudique à une gestion de
facilité, une gestion peu rigoureuse, comme l'a très bien décrit à l'instant M.
le rapporteur général.
Il ne s'agit pas de nier les quelques efforts de maîtrise de dépenses
accomplis, mais les résultats qui sont présentés par le Gouvernement méritent
tout de même une analyse un peu plus fine. Je prends quelques exemples.
Tout d'abord, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, on ne peut
pas gérer un Etat moderne sans comptabilité patrimoniale. Or aucun des
multiples rapports qui ont été commandés ces dernières années, qu'il s'agisse
du rapport Giraud, du rapport Delorme ou du rapport François, n'a été digne
d'être porté à la connaissance du Parlement.
Cette comptabilité ferait pourtant apparaître le poids réel du « hors-bilan »
de l'Etat, c'est-à-dire la charge des retraites publiques, de l'endettement de
certaines entreprises publiques ou des garanties diverses qui ont été
consenties. En se refusant à provisionner, dès aujourd'hui, ces dépenses
inéluctables, « on pousse les miettes sous le tapis » et le Parlement, mes
chers collègues, est appelé à statuer sur des comptes publics inexacts, car
incomplets.
Comme l'a montré avec clarté la Cour des comptes, la structure du budget
général est de plus en plus déséquilibrée : moins d'investissement et plus de
fonctionnement, et, au sein de ces dépenses de fonctionnement, de plus en plus
de dépenses rigides, inexorablement rigides.
Pour financer l'investissement, l'Etat n'a plus d'autres moyens que de
recourir à des taxes nouvelles et à la débudgétisation, via les comptes
spéciaux du Trésor, comme le Gouvernement l'a fait pour financer les routes
d'Ile-de-France en étendant la taxe sur les bureaux aux commerces et
entrepôts.
Comme le dénonce la Cour, cette situation obère sérieusement les marges de
manoeuvre de l'Etat, marges qu'il faudra pourtant trouver au premier
retournement de conjoncture qui, même si nous ne le souhaitons pas, ne manquera
pas, hélas ! d'intervenir.
Enfin, la Cour - je la cite toujours pour démontrer notre objectivité -
relève, pour 1998, que la réduction du déficit s'est opérée par l'augmentation
des recettes, donc des impôts, plutôt que par la réduction des dépenses. Sur
moyenne période, de 1993 à 1998, le constat est d'ailleurs le même : la France
a augmenté fortement les prélèvements et diminué modestement les dépenses ; les
autres pays ont fait le choix inverse : diminuer fortement les dépenses et
abaisser significativement les impôts.
J'en viens au quatrième et dernier enseignement qui appelle à une véritable
réforme fiscale.
Le niveau élevé des impôts en France pénalise à l'évidence ce qu'il y a de
plus précieux, c'est-à-dire l'emploi, MM. Blair et Schröder l'ont apparemment
bien compris quand ils affirment que « la réduction des impôts et la réforme de
la fiscalité jouent un rôle décisif pour atteindre des objectifs sociaux ».
Or le Gouvernement a augmenté les prélèvements de toute nature sur les
catégories sociales moyennes et supérieures. Cette surfiscalisation pénalise le
travail, la prise de risque et l'innovation.
Les prélèvements supplémentaires opérés sur les cadres moyens et supérieurs
les conduisent au découragement, si ce n'est à la fuite, alors qu'ils sont les
forces vives de la nation, ceux qui doivent faire gagner la France dans sa
conquête de nouveaux marchés pour de nouveaux emplois.
Le Gouvernement ne veut pas admettre que le statut des cadres est devenu un
enjeu majeur pour la réussite de l'économie française ; ses atermoiements sur
le dossier des
stock options
en sont l'une des illustrations.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Triste illustration.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
J'ajoute que la fiscalité qui
pèse sur nos entreprises les pénalise par rapport à leurs concurrents des pays
voisins et menace, en conséquence, nos emplois.
Je réaffirmerai, en conclusion, qu'il ne peut pas y avoir de baisse réelle et
durable des prélèvements, sans au préalable le courage politique de baisser les
dépenses. Les experts, apparemment, tardent à le croire, mais la grande
majorité de nos compatriotes, eux, le sentent intuitivement. Il est clair que
le Gouvernement n'a pas la volonté de réduire ces dépenses.
Nos compatriotes dans nos départements comprennent parfaitement que des
dépenses élevées génèrent des impôts élevés. Ils découvrent peu à peu que ces
dépenses n'engendrent pas seulement « l'impôt connu », celui qui est prélevé au
cours de l'année, mais aussi « l'impôt caché », celui qui, par le déficit et
par la dette, est renvoyé aux générations futures.
Il ne suffit naturellement pas de dire qu'il faut baisser les impôts ; il faut
dire lesquels. C'est la grandeur des hommes politiques de prendre leurs
responsabilités. Nous proposons en ce domaine un critère simple : toute baisse
d'impôt doit être mesurée à sa capacité à créer de l'emploi.
Trois pistes sont possibles, qu'il s'agisse de la fiscalité de ceux qui
prennent des risques et pour qui le taux marginal, si l'on ajoute l'impôt sur
le revenu et la CSG, devient un non-sens économique absolu, qu'il s'agisse de
la baisse de la TVA sur les services à forte intensité de main-d'oeuvre ou
qu'il s'agisse des charges qui pèsent sur le travail le moins qualifié.
Souvenons-nous en permanence, mes chers collègues, et je conclurai ainsi,
qu'au-delà de toutes les controverses politiques le meilleur système social et
fiscal sera celui qui privilégiera toujours le travail par rapport au chômage.
Pour ma part, j'ai fait le choix de l'emploi, et j'invite le Sénat à faire de
même.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
En
débutant votre intervention à l'Assemblée nationale, vous avez déclaré,
monsieur le ministre, que vos trois priorités étaient : « la croissance, la
croissance, la croissance », et vous vous êtes félicité, comme vous l'avez fait
tout à l'heure devant nous, des résultats obtenus en la matière par la France
au cours des deux dernières années.
Le fait est que la France, avec 3,1 % ou 3,2 % de croissance en 1998 et 2,2 %
ou 2,5 % selon vos prévisions en 1999, fait mieux que l'Allemagne ou l'Italie,
dont les économies sont quasi stagnantes. Le cas de la Grande-Bretagne est plus
complexe, puisque, si sa croissance actuelle est faible, son taux de chômage,
en revanche, est inférieur de moitié au nôtre ; elle a peu de dettes et, donc,
peu d'impôts et son budget est en quasi-équilibre.
Cependant, si vous me le permettez, mon propos est ailleurs. Suffit-il,
monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, alors
que l'économie se mondialise et que les concurrences sont planétaires, de nous
comparer, pour savoir comment nous nous portons, à nos seuls voisins européens
? Très franchement, je ne le crois pas.
M. Roland du Luart.
Il a raison !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
Je le pense d'autant
moins qu'en se lançant dans la belle aventure de l'euro l'Union européenne
affiche des ambitions mondiales. C'est au dollar qu'elle a lancé un défi non
pas pour le détrôner, mais pour faire jeu égal avec lui. Or, à la surprise
générale, on constate que l'euro ne cesse de fléchir par rapport au dollar
depuis le début de l'année. Ce décrochage n'a, en soi, rien d'inquiétant, et
c'est une affaire entendue. Au contraire, il accroît la compétitivité de nos
exportations.
En revanche, ce qui mérite de retenir notre attention, ce sont les raisons qui
expliquent l'affaiblissement inattendu de l'euro. Ce que les marchés
sanctionnent, c'est surtout l'asthénie de l'économie européenne par rapport à
celle des Etats-Unis d'Amérique. Et plus que l'asthénie elle-même, c'est
l'incapacité des gouvernements européens à réaliser les réformes de structure
qui débrideraient la croissance.
Ce constat, monsieur le ministre, nous n'avons pas le droit de l'ignorer. Il
ne concerne pas seulement la France. L'Allemagne est autant, sinon plus, visée
que nous-mêmes.
Mais ce qui compte ici pour nous, c'est de savoir si la politique économique
et budgétaire du Gouvernement est ou non de nature à corriger une dérive qui,
de jour en jour, creuse entre les deux rives de l'Atlantique un véritable
fossé, un retard en matière de croissance et de progrès, qui, si nous n'y
prenons garde, reléguera l'Europe, peut-être pour toujours, en seconde position
sur l'échiquier mondial.
M. Emmanuel Hamel.
Il faut se libérer de la Banque centrale européenne !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
Tirer satisfaction
de comparaisons limitées à l'Allemagne ou à l'Italie, c'est se tromper d'époque
et d'ambition.
Ce qui importe, dans ce débat, c'est de déterminer si les orientations que
vous nous proposez sont de nature à rétablir la compétitivité globale -
économique, technologique et sociale - de la France. Ce qui compte, c'est de
savoir si elles vont dans ce sens, le bon sens, et si elles sont
suffisantes.
Avant que le rapporteur général et le président de la commission des finances
de la Haute Assemblée soient intervenus à ce sujet, avec le talent et la
compétence qui les caractérisent, une réponse pour le moins dubitative nous a
été apportée, voilà un mois, par le gouverneur de la Banque de France.
Dans la lettre qu'il a adressée le 20 mai dernier au Président de la
République et au Parlement, il met en évidence les deux raisons qui, selon lui,
menacent l'économie française de sclérose. Il n'a bien entendu pas employé le
mot « sclérose », car la retenue d'un gouverneur de la Banque de France ne le
lui permettrait pas, mais tel est bien le sens de son propos.
La première raison tient à la part excessive des dépenses publiques dans la
richesse nationale. Cette part doit passer, nous dit-il, de 54,2 % aujourd'hui
à moins de 50 %.
M. Roland du Luart.
On n'en prend pas le chemin !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
C'est - je reprends
ses propres termes - une « condition vitale de la croissance et du
développement de l'emploi en France ».
La deuxième raison réside dans l'absence de réformes structurelles. Le
chômage, écrit-il, « est d'origine structurelle dans la proportion des trois
quarts ».
Or, force est de constater que les orientations qui nous sont proposées sont,
selon nos experts de la commission des finances, fort éloignées de ce
diagnostic et des politiques qu'il induit.
Le déficit budgétaire, c'est vrai, monsieur le ministre, paraît maîtrisé ;
mais ni la dépense publique ni les prélèvements obligatoires ne diminuent.
L'opposition, direz-vous, n'a pas de leçon à donner. C'est possible, mais ce
n'est pas en polémiquant qu'on résoudra les problèmes de la France.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
Faut-il d'ailleurs
rappeler que ce déficit, dont la précédente majorité avait hérité en
1993,...
M. Henri de Raincourt.
Absolument !
M. Jean-François Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
... - l'histoire ne
commence pas en 1997 - ainsi que la situation économique qui prévalait alors ne
laissaient au gouvernement de l'époque guère d'autre choix ?
Quant aux réformes structurelles, celles qui sont mises en oeuvre - je pense,
en particulier, aux 35 heures - elles vont dans le sens opposé de celles que
préconise le gouverneur de la Banque de France. Et celles qu'il faudrait mettre
en oeuvre pour rétablir l'équilibre financier de notre système de retraite ou
de sécurité sociale sont sans cesse reportées.
Je sais que votre majorité, monsieur le secrétaire d'Etat, n'entend pas de
tels propos, des propos qui rejoignent pourtant ceux qui ont été tenus, voilà
peu - M. le président de la commission des finances vient de le rappeler mais
comment ne pas le faire à nouveau ? - par le chancelier social-démocrate
d'Allemagne et le Premier ministre travailliste de Grande-Bretagne. L'un et
l'autre appellent la social-démocratie européenne à ouvrir les yeux sur le
monde qui l'entoure. Ils l'appellent à s'engager sur la voie de la diminution
des dépenses publiques, de la flexibilité du travail et de la réforme de
l'Etat-providence.
En restant sourd à cet appel, que le revers électoral subi par leurs auteurs
n'a pas privé de sa portée, en ignorant cette mise en garde, vous isoleriez la
France en Europe et vous accélereriez l'exode des jeunes créateurs d'entreprise
qui choisissent les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, de préférence à la
France, pour y tenter leur chance.
M. Pierre Laffitte.
Et y réussir !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
Mes chers collègues,
une chose est certaine : nous ne ferons pas reculer la mondialisation. Dès
lors, pourquoi ne pas profiter de la conjoncture favorable que nous connaissons
pour définir, gauche et droite pour une fois d'accord, une règle du jeu
économique adaptée aux défis globaux de notre époque et dégagée, autant que
faire se peut, des aléas de la vie politique, une règle du jeu guidée par une
seule volonté, celle d'assurer à la France le maximum de croissance économique,
de création d'emplois et de progrès scientifiques et technologiques ? Un rêve
sans doute...
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Cela peut devenir une réalité !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
... mais un rêve
dont la plupart des pays développés ont réussi depuis longtemps à faire une
réalité.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
depuis qu'il a été inauguré en 1990, il est habituel de se féliciter du débat
d'orientation budgétaire qui se tient aujourd'hui au Sénat. Il permet au
Gouvernement d'informer le Parlement sur l'évolution des finances à
mi-parcours. Il devrait également permettre au Parlement de faire valoir auprès
du Gouvernement les points sur lesquels il souhaite infléchir les orientations
de la prochaine loi de finances. Conseils et admonestations ne manqueront
pas.
Pour sa part, la commission des affaires sociales ajoutera une question. Elle
s'interroge en effet, cette année comme l'an dernier, sur la nature de
l'exercice.
Un récent rapport de notre commission, présenté par M. Charles Descours,
rapporteur des projets de loi de financement pour les équilibres généraux de
l'assurance maladie, vient de faire le point sur la présentation, la discussion
et le suivi des lois de financement de la sécurité sociale.
Sans aborder le détail des analyses et des propositions que comporte ce
travail austère et précis, je voudrais en retenir un élément qui me semble
particulièrement fondé : à l'évidence, toutes les conséquences n'ont pas encore
été tirées de la réforme de 1996 et de la discussion, chaque année, par le
Parlement, d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les
calendriers, les procédures et les moyens mis en oeuvre n'ont pas encore été
adaptés à ce nouveau contexte.
La commission des affaires sociales considère que le débat d'orientation
budgétaire date : il date d'avant les lois de financement ; il date également
d'avant le pacte de stabilité et de croissance de juin 1997.
L'an dernier, M. Jean-Pierre Fourcade, alors président de la commission des
affaires sociales, avait attiré l'attention sur ce point. Il avait exposé les
raisons qui conduisaient à organiser un véritable débat d'orientation sur les
finances publiques, incluant donc les finances sociales, qui aurait été un
débat préparatoire à la fois au projet de loi de finances et au projet de loi
de financement de la sécurité sociale. Vous-même, monsieur le secrétaire
d'Etat, aviez alors indiqué : « Peut-être faudra-t-il qu'en 1999, dans le
prochain débat d'orientation budgétaire, nous trouvions ensemble une façon de
traiter plus directement de la question de la sécurité sociale ? »
Je constate que nous n'avons guère avancé sur cette question. Dans ce débat,
les finances sociales sont toujours vues depuis Bercy. C'est à Mme la ministre
de l'emploi et de la solidarité qu'il incombera de nous présenter, dans
quelques mois, le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Les analyses et les affirmations que contiennent les documents préparatoires
au débat d'orientation budgétaire appellent des questions et ont des
conséquences lourdes sur le projet de loi de financement de la sécurité
sociale. Il nous semble, pour le moins, qu'il manque un interlocuteur au banc
du Gouvernement.
L'an dernier, vous aviez, monsieur le secrétaire d'Etat, imputé pour partie la
dérive des dépenses de l'assurance maladie « à une épidémie de grippe
particulièrement forte ». C'était le 4 juin 1998, devant la commission des
finances de l'Assemblée nationale.
Cette année, vous n'évoquez guère le dérapage des comptes en 1998 et en 1999.
Cependant, par une sorte de jeu de saute-mouton, vous vous félicitez d'ores et
déjà de l'excédent que dégagera le régime général l'an prochain, comme vous
vous félicitiez, l'an dernier, d'un retour à l'équilibre qui n'a pas eu
lieu.
Reprenant un peu les propos du rapporteur général de la commission des
finances, M. Marini, je me permettrai d'observer ce qui s'est passé les années
précédentes, sans avoir la myopie du télescope Hubble, auquel on a dû, à un
moment donné, mettre en quelque sorte des lunettes. Dans ce domaine, un
gouvernement est toujours l'héritier d'un autre gouvernement. Tel a été votre
cas en 1997. Toutefois, en ce qui concerne les comptes de l'ensemble du régime
général et de l'assurance maladie, les chiffres sont cruels, et non pas pour la
précédente majorité, mais pour celle qui était au pouvoir avant 1993.
M. Marcel Charmant.
Ah bon !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Voici la courbe qui a
été publiée récemment dans
Le Monde. (L'orateur montre un document.)
On constate qu'un énorme décrochage s'est produit avant le changement de
gouvernement en 1993. D'un seul coup, en un an et demi, un trou de 40 milliards
de francs s'est en effet creusé au titre de l'ensemble du régime général. Dans
l'année et demie suivante, sous le gouvernement de M. Balladur, la descente
s'est certes poursuivie, mais la pente a été beaucoup moins forte puisque, pour
une même période de dix-huit mois, ce sont seulement 10 milliards de francs qui
sont venus s'ajouter au déficit, lequel était au départ, je le rappelle, de 12
ou 15 milliards de francs.
M. Marcel Charmant.
Cela faisait tout de même 50 milliards !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Par conséquent, quand
vous ou Mme Aubry vous référez au trou de 65 milliards de francs de 1995, c'est
tout de même un mauvais procès que vous faites, puisque, sur ces 65 milliards
de francs, il n'y en a que 15 qui sont à mettre au débit, et encore
s'inscrivaient-ils dans une procédure de freinage, car on sait bien que l'on
n'arrête pas aussi brutalement les choses.
Ensuite, on constate une remontée régulière, ce qui fait que vous avez trouvé
un déficit de 25 milliards de francs, ramené maintenant à 5 milliards de
francs. Mais si l'on considère l'assurance maladie, vous n'avez rien fait
depuis que le peuple vous a redonné le pouvoir.
(M. Marcel Charmant
sourit.)
Pour étudier ce qu'a été l'action des gouvernements de la gauche
depuis 1992, il suffit d'examiner la courbe : on voit, d'un côté, une descente
vertigineuse et, de l'autre, une relative stagnation depuis 1997.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très bien !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Alors, je veux bien que
vous fassiez de l'autosatisfaction, mais, pour notre part, nous n'avons aucun
penchant pour l'autoflagellation. Je tenais à ce que ces choses fussent dites.
(M. Jean-Louis Lorrain applaudit.)
Parallèlement, la commission des comptes de la sécurité sociale s'émeut. Elle
estime - je cite son rapport rendu public fin mai - qu'il est « regrettable que
le débat sur les orientations budgétaires qui se tiendra prochainement au
Parlement ne soit nourri que par les prévisions de la commission des comptes et
des budgets économiques de la nation, au lieu de l'être, aussi, par celles
émanant de la commission des comptes de la sécurité sociale ».
Aussi, je réitère fermement le souhait que soit mis en place, dès l'an
prochain, un véritable débat sur l'évolution des finances publiques. Si nous ne
progressons pas dans cette voie, la commission des affaires sociales demandera
qu'à l'issue de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale,
qui se tient au printemps, soit organisé un débat sur l'évolution des comptes
sociaux et les orientations de la prochaine loi de financement de la sécurité
sociale.
Je reviendrai sur deux points qui ont été évoqués précédemment par mes
collègues. On nous annonce un système de baignoires se vidant les unes dans les
autres par un système compliqué de tuyauteries qui concerne, d'une part, le
dispositif des retraites et, d'autre part, les trente-cinq heures.
En ce qui concerne les retraites, le Gouvernement prévoit pour l'an 2000 un
excédent du régime général. J'observe que cet excédent serait atteint non pas
grâce à une maîtrise des dépenses, mais « par une progression des recettes
supérieure à celle des dépenses ». Cet excédent, poursuit le rapport, «
pourrait nourrir le fonds de réserve pour les retraites et permettrait de
"lisser" les effets du choc démographique qui affectera les régimes de
retraites à partir de 2005 ».
Après-demain, la commission des affaires sociales entendra une communication
de M. Alain Vasselle, qui analysera les apports des travaux du commissaire
général du Plan, les réactions des partenaires sociaux et les conditions dans
lesquelles s'ouvre une nouvelle concertation. Il analysera également les choix
implicites qu'emporte la décision de renvoyer à plus tard les ajustements
nécessaires.
Mais, d'ores et déjà, notre inquiétude est grande, car, conformément au
principe d'autonomie des branches posé par la loi du 25 juillet 1994, nous
connaissons non pas un excédent du régime général - cela n'existe pas ; c'est
cependant cet excédent que vous évoquez dans votre rapport - mais des excédents
ou des déficits selon les branches.
Nous constatons que les dettes de la branche maladie se reconstituent sous
l'effet des déficits de 1998 et 1999. Nous constatons que l'indexation
généreuse des pensions, fondée sur des prévisions d'inflation surévaluées deux
années de suite, pèse sur les comptes de la branche vieillesse avant même
qu'elle n'aborde le choc démographique de 2005. Nous constatons que la branche
famille connaître des excédents croissants.
Est-ce à dire que les excédents de la branche famille seront confisqués et
affectés au fonds de réserve pour les retraites, dont nous ne savons rien, au
demeurant, puisque le Gouvernement n'a pas annoncé comment il compte partager
l'effort qui sera nécessaire pour assurer l'avenir de nos retraites ?
En ce qui concerne le dispositif des trente-cinq heures, la commission des
affaires sociales entendra bientôt M. Louis Souvet, qui présentera aussi un
début de rapport sur les problèmes qu'il soulève.
Tout le monde sera d'accord pour constater, comme le fait le Gouvernement, que
la réussite de la réduction du temps de travail « dépend de manière cruciale de
sa mise en oeuvre ».
De fait, le Sénat a souligné, lors des débats sur la loi du 13 juin 1998, la
différence profonde qui existait entre, d'une part, une réduction du temps de
travail négociée et adaptée à la situation de chaque branche, de chaque
entreprise et, d'autre part, l'abaissement autoritaire et généralisé de la
durée légale du travail.
Vous avez choisi la seconde solution. Ayant créé un problème, vous cherchez
les moyens de le résoudre. Sans doute aurait-il été préférable de ne pas le
créer. Et déjà, prise au piège, Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité
envisage une année supplémentaire de rodage. Constatant le renchérissement du
coût du travail non qualifié qu'entraînent les trente-cinq heures, vous
cherchez à le compenser par une politique d'allégement des charges sociales,
sans assumer le coût de cette politique, c'est-à-dire, en définitive, le coût
des trente-cinq heures.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Une usine à gaz !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
S'agissant des mesures
dites structurelles, elles seront financées par les entreprises au moyen d'un
transfert des cotisations.
Quant aux mesures dites d'incitation, le Gouvernement n'a, semble-t-il, pas
renoncé à sa thèse dite de la neutralité.
Une des annexes du rapport du Gouvernement évoque le « retour pour les
finances publiques » des aides associées aux trente-cinq heures ; elle le
chiffre à 2 milliards de francs en 1999 et à 20 milliards de francs en 2000,
essentiellement pour le régime d'assurance chômage et le régime de sécurité
sociale.
« Ces montants, conclut le rapport, correspondent au financement disponible
qui peut être mobilisé pour couvrir les dépenses des aides à la réduction du
temps de travail en respectant les principes de neutralité retenus par le
Gouvernement. »
En d'autres termes, le Gouvernement n'entend pas compenser à la sécurité
sociale les allégements de charges consentis dans le cadre des trente-cinq
heures. Il entend, de surcroît, se tourner vers le régime de l'assurance
chômage.
Cette prétendue « neutralité », outre qu'elle va totalement à l'encontre d'un
principe affirmé par la loi du 25 juillet 1994, à savoir la compensation
intégrale des exonérations de charges décidée par l'Etat, posera de redoutables
problèmes de méthode dont le premier, et non le moindre, sera la mesure des
effets d'aubaine.
Les observations que j'ai formulées correspondent à des questions de fond,
qu'il faudra bien un jour aborder au cours de tels débats.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et
une heure cinquante, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)