Séance du 2 juin 1999
M. le président. « Art. 3. _ I. _ Il est inséré, au titre VIII du livre III du même code, un chapitre préliminaire intitulé : "Personnes affiliées au régime général du fait de leur résidence en France", comprenant les articles L. 380-1 à L. 380-4.
« II. _ Les articles L. 380-1 et L. 380-2 du même code sont ainsi rédigés :
« Art. L. 380-1 . _ Toute personne résidant en France métropolitaine ou dans un département d'outre-mer de façon stable et régulière relève du régime général lorsqu'elle n'a droit à aucun autre titre aux prestations en nature d'un régime d'assurance maladie et maternité.
« Un décret en Conseil d'Etat précise la condition de résidence mentionnée au présent article.
« Art. L. 380-2 . _ Les personnes affiliées au régime général dans les conditions fixées à l'article L. 380-1 sont redevables d'une cotisation lorsque leurs ressources dépassent un plafond fixé par décret, révisé chaque année pour tenir compte de l'évolution des prix.
« Cette cotisation est fixée en pourcentage du montant des revenus, définis selon les modalités fixées au 1° du V de l'article 1417 du code général des impôts, qui dépasse le plafond mentionné au premier alinéa. Un décret détermine le taux et les modalités de calcul de cette cotisation ainsi que les obligations déclaratives incombant aux assujettis.
« La cotisation est recouvrée selon les dispositions des sections 2 à 4 du chapitre III et du chapitre IV du titre IV du livre II du présent code, sous réserve des adaptations prévues par décret en Conseil d'Etat. »
Sur l'article, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en instaurant une couverture universelle dans le cadre du régime général, la réforme proposée par les articles du titre Ier améliorera concrètement et rapidement, de par l'ouverture immédiate et automatique des droits, la situation de 700 000 personnes.
Ces personnes, je le rappelle, parce qu'elles ne remplissaient pas les critères traditionnels, professionnels ou familiaux, d'affiliation à un régime obligatoire, recouraient, pour 550 000 d'entre elles, à l'assurance personnelle, dispositif dont le fonctionnement se révèle inadapté, surtout en ce qui concerne le montant des cotisations.
De surcroît, un nombre non négligeable de personnes, 150 000, ne bénéficiaient d'aucune couverture.
Indéniablement, le dispositif simple, tel qu'il est conçu, constitue un progrès.
Cependant, les critères retenus pour l'affiliation, notamment le critère de résidence qui s'apprécie sur deux plans, celui de la stabilité et celui de la régularité, conduisent à laisser de côté des demandeurs d'asile et des étrangers résidant actuellement sur notre territoire sans titre de séjour. Or ces personnes, qui vivent le plus souvent dans une grande précarité, sont les premières touchées par la recrudescence de la tuberculose, l'hépatite ou le sida.
De telles restrictions réduisent la portée universelle que le Gouvernement a entendu donner à son texte.
De plus, au regard tant de nos engagements internationaux et des principes fondamentaux du droit que des problèmes de santé publique, nous considérons qu'il aurait été légitime de préférer au critère de résidence stable et régulière le critère de résidence durable, au sens de l'avis du Conseil d'Etat du 8 janvier 1981.
Je rappelle, enfin, que M. Boulard lui-même, dans son rapport, a abordé cette question et a envisagé l'affiliation au régime de base sur critère de résidence des étrangers sans titre de séjour justifiant de plus de trois ans de présence ininterrompue en France. Il s'est même demandé si, pour les personnes justifiant de durées de séjour moindres, le moment n'était pas venu de « mettre en oeuvre le seul critère de résidence durable pour ouvrir droit à l'affiliation au régime de base et l'accès à la couverture complémentaire, au regard des intérêts de la personne malade et de ceux de la collectivité d'accueil ».
Dans ce sens, nous présenterons deux amendements.
Nous n'entendons pas, ici, rouvrir le débat sur la régularisation des sans-papiers. Nous tenons simplement à faire part de nos préoccupations, renforcées par le fait que la réforme de l'aide médicale, telle qu'elle est proposée à l'article 30, n'est en rien source de progrès.
M. le président. Par amendement n° 164, Mme Borvo, M. Fischer, Mme Beaudeau, M. Bécart, Mme Bidard-Reydet, MM. Bret, Duffour, Foucaud, Le Cam, Lefebvre, Mme Luc, MM. Ralite, Renar, Mme Terrade et M. Vergès proposent :
A) Au premier alinéa du texte proposé par le II de l'article 3 pour insérer un article L. 380-1 dans le code de la sécurité sociale, de remplacer les mots : « de façon stable et régulière » par les mots : « de façon durable » ;
B) De compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - Le taux prévu à l'article 219 du code général des impôts est relevé à due concurrence de l'introduction du critère de résidence durable dans l'article L. 380-1 du code de la sécurité sociale. »
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Intervenant sur l'article 3, je me suis largement expliqué sur le critère de résidence stable et régulière.
Afin d'écarter toute mesure discriminatoire en matière d'accès aux soins et pour donner tout son sens au principe d'universalité de la CMU, nous proposons, par cet amendement, de retenir comme critère subsidiaire pour ouvrir droit à l'affiliation au régime de base le seul critère de résidence durable.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Descours, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur Fischer, le Gouvernement que vous soutenez a décidé que seraient affiliées à la CMU les personnes résidant sur notre territoire de façon stable et régulière. Dans ce cas précis, monsieur Fischer, la commission soutient le Gouvernement et émet un avis défavorable sur un amendement qui, s'il était adopté, ferait accéder à la CMU les personnes étrangères en situation irrégulière, alors qu'aux termes du texte elles ont déjà droit, et vous le savez bien, monsieur Fischer, à l'aide médicale de l'Etat. (M. Fischer fait des signes de dénégation.) Vous le contestez ?... C'est normal !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le Gouvernement partage l'avis de la commission et ne souhaite pas, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, modifier la législation relative aux étrangers. Nous verrons, au titre III, qu'ils bénéficient effectivement de l'aide médicale de l'Etat, comme vient de le rappeler M. le rapporteur.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 164, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 2, M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales, propose de compléter le premier alinéa du texte présenté par le II de l'article 3 pour l'article L. 380-1 du code de la sécurité sociale par les mots : « ou de la Caisse des Français de l'étranger ».
La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Cet amendement permet aux personnes résidant en France et affiliées à la Caisse des Français de l'étranger, qui n'est pas une caisse obligatoire, de rester affiliées à cette caisse. Je pense, par exemple, aux Français travaillant sur des plates-formes pétrolières hors des eaux territoriales.
Les sénateurs représentant les Français de l'étranger tiennent beaucoup à cet amendement, qui est également très attendu par ceux de nos compatriotes entrant dans la catégorie visée. Pour leur manifester notre soutien, nous pourrions donc l'adopter à l'unanimité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. Je m'en suis expliquée hier, nous devons rester, là encore, dans le système actuel, qui permet aux Français de l'étranger de bénéficier d'une affiliation. Il n'y a pas de raison de faire une exception au principe de territorialité de la CMU.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Nos compatriotes affiliés à la Caisse des Français de l'étranger n'ont pas vocation à entrer dans le champ d'application du futur dispositif de couverture maladie universelle. Or certains d'entre eux pourraient s'y trouver tenus contre leur volonté et devraient soit payer une double cotisation, soit quitter la Caisse des Français de l'étranger.
Il s'agit principalement de salariés français qui exercent leur activité hors de France mais conservent, ainsi que leur famille, leur résidence sur notre territoire. Ils ne relèvent donc pas des actuels régimes obligatoires français et peuvent adhérer à la Caisse des Français de l'étranger. On trouve dans cette catégorie, par exemple, des travailleurs sur plates-formes pétrolières ou des salariés dont les activités sont liées à l'exploration minière ou pétrolière ou à des opérations de travaux publics sans résidence stable en France, ou encore des familles de salariés qui sont restées en France parce que les conditions d'expatriation ne leur permettaient pas d'aller résider avec les salariés à l'étranger.
Ces personnes qui restent résidentes en France devront relever, demain, de la couverture maladie universelle.
Certes, l'article 3 du projet de loi prévoit bien que, pour relever de cette couverture, il faut n'avoir droit à aucun titre ou prestation d'un régime d'assurance maladie, mais cela ne semble viser que les régimes obligatoires.
La Caisse pourrait perdre ainsi de nombreux cotisants, qui sont pourtant nécessaires à son équilibre financier. Pour éviter ces conséquences, il suffirait de compléter le texte présenté par l'article 3 du projet de loi pour l'article L. 380-1 du code de la sécurité sociale par les mots : « ou de la Caisse des Français de l'étranger ». J'avais sollicité la commission en ce sens, et je remercie tant son président que M. Descours, rapporteur, d'avoir, en ma personne, entendu le président de la Caisse des Français de l'étranger.
M. Hubert Durand-Chastel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Je tiens à insister sur le point que mon collègue M. Cantegrit vient de développer. De plus en plus, les Français de l'étranger partent pour des périodes relativement courtes - quelques mois, voire quelques semaines - et de moins en moins pour des durées très longues. A défaut d'un tel amendement, des difficultés plus grandes attendraient tous les Français qui quittent notre pays pour peu de temps. J'appuie donc cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
Le premier, n° 123 rectifié, est déposé par MM. Doublet et Gerbaud.
Le second, n° 155, est présenté par MM. César, Bizet, François, Cornu, Murat, Lassourd, Darcos, Chérioux et Gournac.
Tous deux tendent à compléter in fine l'article 3 par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - Les conditions dans lesquelles le régime agricole peut assurer la couverture des personnes qui cessent de bénéficier d'un droit aux prestations en nature de l'assurance maladie auprès dudit régime sont définies par décret en Conseil d'Etat. »
La parole est à M. Doublet, pour défendre l'amendement n° 123 rectifié.
M. Michel Doublet. Il est apparu légitime, et cela est confirmé par l'article 19, en son paragraphe II, que le régime agricole continue de gérer les personnes relevant de l'assurance personnelle au jour de l'entrée en vigueur de la présente loi.
Toutefois la question reste entière pour la gestion des futurs ressortissants du régime qui viendraient à cesser de remplir les conditions d'affiliation ou qui ne peuvent bénéficier des droits aux prestations en nature de l'assurance maladie.
En effet, sur les 10 000 personnes gérées aujourd'hui par le régime agricole au titre de l'assurance personnelle pour le compte du régime général, on remarque les cas d'exploitants agricoles ne remplissant pas les conditions d'affiliation, c'est-à-dire la demi-SMI, surface minimum d'installation, ou les 1 200 heures de travail au régime de l'AMEXA. Pour autant, en application de l'article 3 du présent projet de loi, ces personnes relèveraient du régime général sous la seule condition de leur résidence stable et régulière sur le territoire.
Cette conséquence, tenant notamment aux spécificités des règles d'affiliation au régime agricole, doit conduire à la modification de l'article 3, et ce pour deux raisons principales.
En premier lieu, la Mutualité sociale agricole, la MSA, avec son organisation en guichet unique, est la mieux placée pour apprécier les critères d'entrée dans la CMU et pour exercer ainsi les contrôles adéquats, à la différence des caisses primaires d'assurance maladie, les CPAM, qui, pour ces populations, ne disposeront que des éléments déclaratifs.
En second lieu, dans le cadre de la lutte contre la précarité engagée par la MSA, il apparaît essentiel de maintenir un suivi continu et global des individus en situation de précarité ou en voie d'exclusion et d'éviter que des personnes anciens ressortissants du régime ne basculent dans le régime général, ce qui ajouterait une forme de précarité administrative à la précarité économique et sociale.
M. le président. La parole est à M. Chérioux, pour défendre l'amendement n° 155.
M. Jean Chérioux. Je fais miens les arguments de M. Doublet, monsieur le président !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements identiques n°s 123 rectifié et 155 ?
M. Charles Descours, rapporteur. Comme l'a très bien expliqué M. Doublet, ces amendements tendent à permettre aux personnes qui cesseraient de remplir les conditions d'affiliation au régime agricole de rester dans ce régime sur critère de résidence.
L'article 19 du projet de loi permet en effet déjà aux personnes qui sont aujourd'hui affiliées au titre de l'assurance personnelle auprès du régime agricole de rester de manière définitive dans ce régime. L'objectif est d'éviter que ces personnes ne soient contraintes de quitter le régime agricole pour bénéficier du maintien de leurs droits à l'assurance maladie.
Consciente du souci qui anime les auteurs de ces amendements, la commission des affaires sociales n'est cependant pas totalement convaincue de l'utilité d'instituer deux - voire trois - possibilités distinctes d'affiliation sur critère de résidence : l'une au régime général, l'autre au régime agricole et, pourquoi pas ? une autre encore à la CANAM. Il faudrait, en outre, assurer le financement de l'affiliation des personnes qui resteraient au régime agricole ou à la CANAM, et nous pensons, nous, malgré les assertions contraires de M. le secrétaire d'Etat, que cela coûterait plutôt cher.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ne soyez pas méchant dès le matin ! (Sourires.)
M. Charles Descours, rapporteur. Il faut bien se mettre en jambes ! (Nouveaux sourires.)
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 123 rectifié et 155 ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je crois vraiment que ces amendements remettraient en cause le critère de base de notre système de sécurité sociale, qui veut que ce soit la situation professionnelle qui permette d'adhérer à tel ou tel régime.
Si un salarié agricole a trouvé un travail dans l'industrie, il n'y a aucune raison - c'est pourtant ce que laisseraient à penser les amendements - qu'il reste affilié au régime agricole. Si, en revanche, il ne relève pas d'un autre régime, par exemple s'il a souscrit une assurance personnelle, là, bien sûr, il reste à la MSA. C'est bien ce qui est prévu, et cela ne pose aucun problème. Les assurés à titre personnel gérés par la MSA demeurent gérés par ces caisses dès lors qu'ils relèvent du critère de résidence, l'article 19 le précise bien. Si, au contraire, ils ont changé d'activité professionnelle, il n'y a aucune raison de les maintenir à la MSA. Ce serait une exception non seulement incompréhensible mais problématique, notamment pour ce qui est du financement, la situation professionnelle déterminant le choix du régime.
Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 123 rectifié et 155, repoussés par le Gouvernement et pour lesquels la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
(Ces amendements sont adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4