Séance du 20 mai 1999






ORGANISATION DE LA RÉSERVE MILITAIRE

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 171, 1998-1999) portant organisation de la réserve militaire et du service de défense. [(Rapport n° 355), 1998-1999]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous soumet aujourd'hui un projet de loi portant organisation de la réserve militaire et du service de défense. Ce texte marque une étape importante dans notre réforme militaire.
A l'heure où des militaires français, auxquels je rends ici hommage, oeuvrent avec détermination, courage et professionnalisme dans les Balkans, ce texte nous rappelle aussi que nos débats publics, nos choix ont des conséquences directes sur l'efficacité de nos forces armées au combat et, par conséquent, sur la capacité de la France à assumer sa place dans le monde.
Ce projet constitue, dans la continuité de la loi de programmation militaire pour les années 1997-2002, de la loi d'accompagnement de la professionnalisation et de la loi portant réforme du service national, le dernier volet législatif nécessaire à la réforme globale de notre défense nationale.
Il conférera aux pouvoirs publics une capacité accrue et une plus grande souplesse d'utilisation de nos moyens militaires, pour faire face aux engagements que nous prenons et auxquels nous avons ensuite le devoir de nous tenir.
Il permettra ainsi aux forces armées de disposer d'une réserve d'emploi totalement intégrée aux forces d'active professionnelles, apte à remplir les mêmes missions.
Il poursuit, dans le même temps, la traduction concrète de notre volonté de renforcer le lien qui unit la nation à son armée.
Il pérennise enfin la possibilité, pour l'Etat, d'assurer en toutes circonstances le fonctionnement régulier des services dont dépend la vie de la nation.
Le texte que vous allez examiner est un projet global et cohérent, qui prend en compte les intérêts de chacun. Il conforte les réservistes dans leur rôle de lien essentiel entre la défense et la société. Il leur assure un statut social. Il fonde les relations entre la défense et l'entreprise sur un partenariat de long terme, modernisé.
Ses dispositions sont le fruit d'une concertation large et méthodique. Il a en effet paru à la fois légitime et efficace au Gouvernement de rechercher, dès la phase d'élaboration du projet de loi, le consensus le plus large.
Les réserves telles que nous les avons connues étaient adaptées à l'environnement stratégique qui était le nôtre. Elles ont rempli avec dévouement leurs missions et ont droit, à ce titre, à la reconnaissance du pays.
C'est l'évolution même de ce contexte qui nous a conduits à réformer en profondeur notre défense : le choix de professionnaliser nos forces a ainsi été fait, et l'appel sous les drapeaux a été progressivement suspendu. L'adaptation de notre dispositif de réserve, en cohérence avec nos choix de défense, en constitue l'achèvement.
Le texte qui vous est aujourd'hui soumis permettra de constituer une réserve d'emploi, pleinement intégrée aux forces d'active, comprenant, au terme de la loi de programmation, 100 000 hommes, dont 50 000 gendarmes. Cette réserve constitue la première réserve.
Militaires d'active et de réserve seront appelés à exécuter les mêmes missions, dans le cadre d'un même et unique concept d'emploi. Ces réservistes formeront ainsi le complément indispensable, en nombre mais aussi en qualification, dont nos forces armées ont besoin pour assurer les missions que les pouvoirs publics ont décidé de leur confier.
Je voudrais présenter devant vous quelques cas concrets d'emploi des réservistes.
La gendarmerie nationale disposera, par exemple, de 50 000 réservistes, soit la moitié du total.
En gendarmerie territoriale, ces réservistes renforceront les capacités des brigades, des PSIG - pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie - et des structures départementales de commandement. Le recours pourra avoir lieu lors d'événements prévisibles de grande ampleur ou de calamités mais aussi pour des actions de prévention comme la sécurisation des transports publics ou la prévention routière.
En gendarmerie mobile, des escadrons et des pelotons seront constitués, susceptibles d'être engagés en tout point du territoire en renfort de l'active, par exemple dans des missions de sécurisation des zones sensibles.
Dans ce même domaine de la sécurité publique et de la protection du territoire, auquel, je le sais, le Sénat porte un grand intérêt, des réservistes des forces armées seront affectés au renforcement des cellules au sein des états-majors civils de département et de zone, ainsi qu'à celui des cellules du réseau national d'alerte. Cela s'inscrit pleinement dans la volonté du Gouvernement d'unir les compétences du ministère de l'intérieur et du ministère de la défense dans ce domaine.
L'armée de terre comptera, quant à elle, 30 000 réservistes. La présence d'une unité de réserve dans chaque régiment de combat est la traduction concrète de l'intégration dans l'active. Appelés individuellement ou collectivement, ces réservistes constitueront de véritables unités de combat, entraînées, disposant du même équipement que les unités d'active, aptes à participer à toutes les missions du régiment, y compris à l'extérieur.
La marine comptera 6 500 réservistes et l'armée de l'air 8 000. Ces réservistes apporteront leur concours dans la protection des ports, des bases et des installations sensibles. Aptes également à renforcer les états-majors, ils pourront contribuer activement au soutien des forces navales et aériennes.
En outre, 7 000 réservistes du service de santé assureront le remplacement ou le renfort du personnel technique d'active des hôpitaux des armées, ainsi que la constitution de formations sanitaires de chaque armée.
Enfin, 500 réservistes du service des essences renforceront les tâches de soutien pétrolier des unités, dont nous vérifions aujourd'hui, en projection, le caractère indispensable.
Par une présence effective et efficace, par leur rayonnement propre dans leur vie civile, professionnelle et associative, tous ces réservistes contribueront aussi aux actions menées par leur armée au profit du lien entre l'armée et la nation. Ils participeront également à l'encadrement des journées d'appel de préparation à la défense et des préparations militaires.
Dans le cadre des actions dites « civilo-militaires », qui devraient connaître, à la lumière des crises récentes ou en cours, des développements importants, des spécialistes pourront être recrutés et utilisés avec une pleine efficacité au profit direct des forces armées ou dans le cadre de la résolution des crises. Ce sera une autre application précieuse du système des réserves.
L'un de nos soucis constants dans l'élaboration de ce projet de loi a été d'assurer le renouvellement du lien qui unit la nation à son armée.
La loi portant réforme du service national a été la première traduction législative de cette volonté. Elle institue un parcours d'apprentissage de la citoyenneté, universel, équilibrant obligations et possibilités de choix.
L'enseignement de défense à l'école, le recensement et l'appel de préparation à la défense sont ainsi désormais inscrits dans le processus républicain qui fait, des adolescents, des citoyens conscients de leurs devoirs et de leurs responsabilités. L'accès aux préparations militaires, au volontariat dans les forces armées et, bien sûr, à la réserve constituent autant d'espaces laissés à la prise de responsabilité de chacune et de chacun.
Dans ce même esprit, le projet de loi qui vous est soumis va plus loin qu'une adaptation technique de nos forces et de leurs moyens, pour importante qu'elle soit. Dans l'échange permanent et responsable que nous voulons entretenir entre la société et sa défense, il assure une place pleine et entière aux réservistes et à leurs associations reconnues.
Ainsi, aux côtés des forces armées et de la première réserve, une seconde réserve, plus nombreuse, présentant la même diversité que la première, oeuvrera au profit de la diffusion de l'esprit de défense. Elle permet une relation essentielle entre les forces armées et la société dont elles sont issues. Formée de réservistes non affectés et de réservistes honoraires, elle participera aux activités organisées pour contribuer au renforcement du lien entre l'armée et la nation, que ce soit à titre individuel ou dans un cadre associatif.
La priorité que nous accordons aux actions en faveur du lien armée-nation a été reconnue dans l'organisation même du ministère. M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants, a ainsi vu s'ajouter à ses premiers domaines d'attribution tout ce qui vise au renforcement de cette relation et qui s'inscrit dans notre longue histoire. Il exerce ainsi ses responsabilités auprès de moi, dans les domaines du service national universel, de la réserve militaire et de ce lien entre la nation et son armée. Cela renforce la cohérence de l'action du Gouvernement dans ce domaine qui touche aux fondements de la cohésion nationale. C'est d'ailleurs à ce titre que je demanderai à M. Jean-Pierre Masseret de soutenir la discussion des articles.
L'un des défis majeurs qui se présentent à nous est d'intéresser les jeunes Françaises et les jeunes Français aux questions de défense, éventuellement de leur permettre d'intégrer la réserve sur la base d'un choix personnel et raisonné. En effet, cette réserve se recrutera sur la base de l'adhésion volontaire de nos concitoyens.
Parce que la réserve contribue au renforcement du lien armée-nation, le Gouvernement a souhaité qu'il n'y ait aucune exclusive liée à une expérience militaire préalable.
Outre l'aptitude, ne sont requis qu'un âge minimum - dix-huit ans - la satisfaction aux obligations du service national et un profil judiciaire adapté.
Certains spécialistes reconnus dans leur activité civile pourront se voir conférer, sous certaines conditions, le grade attaché à leur niveau de technicité. Chaque Français pourra ainsi, à un moment de sa vie, décider de participer, sous une forme qu'il aura choisie, à la défense du pays.
Les réservistes sont souvent très impliqués dans une vie sociale, professionnelle ou associative prenante.
En fonction des convenances personnelles, le projet de loi permet à chaque citoyen de quitter la première réserve pour rejoindre la seconde, et, selon les besoins des armées, de revenir dans la première, dès lors qu'il en réunit les conditions, et qu'il le souhaite.
Pour compléter les effectifs de la première réserve, qui peuvent ne pas atteindre complètement l'objectif dès les premières années, le projet de loi dispose que les anciens militaires ou volontaires quittant le service actif sont soumis, pour leur part, à une obligation de disponibilité. Cette obligation est volontairement allégée pour ne pas pénaliser la reconversion des anciens militaires, mais elle permettra aux forces d'être assurées de pouvoir remplir l'intégralité de leurs missions. Les disponibles, à l'instar de tous les Français, ont, par ailleurs, évidemment la possibilité d'exercer, de leur propre choix, des activités dans la première ou dans la seconde réserve.
Nous quittons donc définitivement une logique de réserve de masse pour adopter une logique de réserve d'emploi, partie intégrante de l'armée professionnelle. Cette logique impose de nombreuses exigences, notamment celle d'assurer un niveau suffisant de disponibilité des réservistes et, symétriquement, un statut social satisfaisant. Il était donc nécessaire, dans cette optique, que la loi établisse des relations modernes et contractuelles entre le réserviste et son employeur, en inscrivant dans le code du travail les dispositions nécessaires.
Désormais, l'appartenance à la réserve ne peut en aucun cas devenir un motif de licenciement. Si le contrat de travail est ainsi suspendu, les périodes d'activité sont considérées comme du travail effectif chez l'employeur pour l'estimation des droits sociaux tels que l'avancement, les primes et avantages liés à l'ancienneté, les congés payés ou le droit aux prestations sociales. Le projet de loi garantit, de plus, pendant les périodes actives, une rémunération et une protection sociale alignées sur celles des militaires professionnels.
En effet, pendant ses périodes d'activité, le réserviste est un militaire à part entière. Il perçoit une solde et des indemnités identiques à celles des militaires d'active placés dans la même situation. Maintenu dans son système de protection sociale habituel, le réserviste bénéficie aussi des soins gratuits du service de santé des armées et de la couverture offerte par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, en cas d'invalidité résultant de l'activité militaire.
Les conditions de volontariat dans la première réserve sont consignées dans un engagement. D'une durée de cinq ans renouvelable, cet accord organise les modalités de convocation pour recevoir une formation ou un entraînement, pour dispenser un enseignement de défense ou apporter un renfort temporaire aux forces armées.
Le succès de cette réforme sera assuré parce que les intérêts légitimes de toutes les parties prenantes sont pris en compte dans ce texte. L'employeur, public ou privé, est reconnu, lui aussi, comme un partenaire essentiel de la défense.
Le projet de loi favorise la recherche systématique de conventions prévoyant, en amont, la disponibilité en respectant non seulement les besoins opérationnels des armées mais aussi les contraintes de l'employeur. Son principe de base est donc un partenariat renouvelé entre l'Etat et l'employeur du réserviste, moyen efficace et moderne d'obtenir l'adhésion de toutes les parties prenantes à notre système.
Ces accords d'entreprise peuvent contenir des dispositions plus favorables au réserviste et ainsi déroger aux dispositions du projet de loi. Ces dernières prévoient un délai pour prévenir l'employeur d'un mois pour les activités militaires ne dépassant pas cinq jours ouvrables par an et exigent son accord, après un délai de prévenance qui a été porté à deux mois, pour les activités d'une durée supérieure à ces cinq jours.
Le projet de loi vise également à réformer le service de défense. En effet, l'organisation du service de défense était en partie définie par des dispositions du code du service national, lesquelles seront suspendues au 1er janvier 2003. Il était donc nécessaire de lui conférer un nouveau fondement juridique. Par ailleurs, il convenait de procéder à une adaptation de cette mission essentielle, en ne conservant que les dispositions relatives à l'affectation collective de défense.
Ainsi, le projet de loi qui vous est soumis, conformément à l'ordonnance de 1959, permet d'assurer, en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire ainsi que la vie de la population. Il le fait en maintenant à leur poste des personnels qui concourent à la continuité de l'action gouvernementale, à la protection des populations et à l'accomplissement de tâches vitales pour la nation.
Je sais que cette assemblée porte une attention particulière à ces impératifs de continuité de fonctionnement des services publics, nationaux et territoriaux, essentiels à la vie des populations. C'est bien dans cet esprit que s'inscrira la refonte des dispositions réglementaires relatives au service de défense, dont le secrétariat général de la défense nationale assure le chantier et dont le Sénat sera tenu informé.
Il a semblé naturel au Gouvernement d'ouvrir une large concertation lors de l'élaboration du projet de loi. En effet, ayant des répercussions aussi bien sur les fondements opérationnels de notre défense que sur la cohésion de notre société, ce texte ne pouvait se concevoir sans une telle démarche. Il s'agissait de prendre en compte le plus en amont possible les remarques des armées, des réservistes eux-mêmes, par le biais de leurs associations et de leurs employeurs, pour créer les conditions d'un intérêt mutuel. Les associations de réservistes, groupées maintenant au sein du Conseil supérieur d'études et des réserves, ont vu l'essentiel de leurs propositions prises en compte et ont bien voulu, d'ailleurs, en donner acte. Les grandes organisations d'employeurs ont rappelé leurs contraintes propres et ont pu constater, je crois, que la légitimité de leurs préoccupations était reconnue.
C'est donc dans un esprit d'ouverture que ce projet de loi a été conçu avant d'être conclu au sein du Gouvernement et d'être présenté au chef de l'Etat.
Pour conclure, je veux souligner notre volonté de donner à la réserve les moyens matériels de remplir son rôle. La dimension financière a été prise en compte dans les travaux d'élaboration et de mise à niveau de la loi de programmation. Les budgets qui seront soumis à votre approbation au cours des prochaines années continueront leur progression pour atteindre, en 2002, un montant d'environ 580 millions de francs, en augmentation de 140 % par rapport à 1996.
Une nouvelle répartition des crédits permettra d'assurer la cohérence avec les missions et l'emploi des réservistes. Par ailleurs, les réserves seront désormais dotées des mêmes équipements que l'armée d'active, mettant fin à une situation dont chacun s'accorde à reconnaître qu'elle est désuète. Cette réforme est, dans ce domaine également, partie intégrante de la réforme globale de notre outil de défense.
Le projet de loi comporte quelques dispositions diverses, en cohérence avec la professionnalisation et le recrutement de réservistes ; il s'agit de modifications apportées au statut général des militaires qui permettent la mise en place du corps des chirurgiens-dentistes et du corps de soutien de la gendarmerie nationale.
Par ailleurs, la préparation militaire, qui s'inscrit dans le parcours de citoyenneté, trouve dans ce texte un fondement législatif nouveau.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis organise les moyens d'une réserve disponible et efficace au service des forces armées mais aussi de la nation tout entière, dont elle est un acteur essentiel de la cohésion.
L'adoption rapide par le Parlement d'un tel texte, qui a fait l'objet d'un travail collectif approfondi, sera suivie d'une mise en oeuvre concrète et exemplaire de ses dispositions. Tel est l'objectif du Gouvernement.
Je suis sûr de votre volonté de mener ce débat avec la hauteur de vue qu'il justifie. C'est donc avec la plus grande confiance que j'ai l'honneur de vous présenter ce projet de loi.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je sais que vous comprenez que la réforme de la réserve militaire et du service de défense est aussi le moyen pour la représentation nationale d'affirmer une nouvelle fois que la défense est l'affaire de tous. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Serge Vinçon, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux que le Gouvernement ait décidé de déposer en première lecture, devant le Sénat, le projet de loi portant organisation de la réserve militaire. Vous connaissez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, l'intérêt de la Haute Assemblée pour la réserve et le travail accompli par certains de nos collègues dans ce domaine. Je pense notamment à M. Hubert Haenel, auteur d'un très remarquable rapport sur le sujet, dont le présent projet de loi s'inspire d'ailleurs en partie.
L'examen, aujourd'hui, du projet de loi sur les réserves revêt une importance toute particulière. Il apporte en effet la dernière pierre à l'édifice législatif qui, en quelques années, sous l'impulsion du Président de la République, a réformé l'organisation de notre défense pour l'adapter aux évolutions de notre environnement international.
Dernier volet d'une oeuvre législative de grande ampleur, le projet de loi sur les réserves constitue aussi le complément indispensable d'une armée professionnalisée au regard tant de la sécurité de notre pays que de la pérennité du lien entre les armées et la nation. Tel est le double enjeu de l'organisation des réserves.
Evoquons la sécurité de la nation, d'abord.
Certes, nous ne sommes plus au temps où le poids du nombre déterminait la victoire sur les champs de bataille. Le modèle des réserves de masse, d'ailleurs très largement virtuel, a vécu. Toutefois, à l'heure où les effectifs des militaires professionnels ont été resserrés, la ressource supplémentaire procurée par les réservistes représente un élément de souplesse pour nos armées et une garantie indispensable pour faire face à des événements imprévisibles.
Le second enjeu touche au lien armées-nation dans le nouveau contexte créé par la suspension de la conscription. La pérennité de cette relation représente, à mes yeux, le défi majeur que nous aurons à relever dans les années à venir.
Notre armée doit rester l'armée des Français. Il y va de la légitimité de nos forces et de leur action sur le territoire national et hors de nos frontières. Les réserves ont, de ce point de vue, un rôle éminent à jouer.
Ce double enjeu au regard de notre sécurité et du lien armée-nation a conduit notre commission à examiner le présent projet de loi dans le souci de l'intérêt supérieur du pays et dans un esprit constructif.
Ce texte, nous l'avons longuement attendu. Trois années en effet auront été nécessaires à son élaboration. Sans doute, entre temps, la réorganisation des réserves avait été entreprise par chaque armée et la gendarmerie. Mais cette réorganisation reposait sur des bases fragiles. D'une part, elle s'appuyait sur le confort d'une ressource obligée, procurée par la conscription. Or la suspension de l'appel sous les drapeaux et la disparition des obligations légales en matière de réserve vont tarir cette ressource. D'autre part, la réorganisation en cours suppose des hommes et des femmes plus disponibles. Cette disponibilité ne sera consentie que si le réserviste est assuré de ne pas en subir les conséquences négatives dans son travail. De ce point de vue, les garanties reconnues au réserviste apparaissent aujourd'hui très lacunaires.
Le projet de loi, en fixant les nouveaux principes de la composition de la réserve et en déterminant, pour la première fois, un socle de garanties pour le réserviste, donne ainsi à la réforme engagée l'assise nécessaire.
Je vous ferai d'abord part de l'appréciation générale que notre commission des affaires étrangères et de la défense a portée sur ce texte, avant de vous présenter les principales orientations qui ont guidé nos amendements. Je conclurai, enfin, par quelques observations sur la mise en oeuvre effective de réserves opérationnelles.
Quelle appréciation avons-nous portée sur ce texte ?
Dans ses grandes lignes, le présent projet de loi a suscité notre approbation.
Il s'inscrit dans le cadre des orientations arrêtées par le Président de la République en 1996. Il s'appuie ainsi sur le nouveau modèle fixé par la loi de programmation 1997-2002, qui a substitué à une réserve de masse, largement virtuelle, je le répète, une réserve d'emploi aux effectifs resserrés. Il reprend d'ailleurs la distinction posée par la loi de programmation entre une première réserve opérationnelle et limitée à 100 000 hommes, dont 50 000 pour la gendarmerie, et une deuxième réserve principalement tournée vers le lien armée-nation.
Le projet de loi cherche, en outre, à satisfaire un double équilibre auquel nous étions particulièrement attachés. D'une part, un équilibre entre la valorisation du rôle du volontariat dans la composition des réserves et le maintien d'un élément d'obligation, afin de mieux garantir la sécurité de la nation contre les périls. D'autre part, un équilibre entre l'indispensable mise en place de garanties en faveur du réserviste et la prise en compte des intérêts de l'employeur, dont l'adhésion est évidemment nécessaire au succès de la réforme.
Je souhaiterais revenir sur les solutions prévues par le projet de loi pour concilier ces différentes préoccupations. J'évoquerai d'abord la composition de la réserve.
Sur quelles nouvelles bases fonder la réserve militaire ?
La suspension du livre II du code du service national à compter du 1er janvier 2003 aura en effet pour conséquence de faire disparaître toute obligation relative à la réserve. Fallait-il, dès lors, maintenir une obligation générale pour tous les citoyens d'effectuer des périodes au titre de la réserve sur un nouveau fondement juridique ? Nous serions alors restés dans le schéma antérieur marqué par un système obligatoire avec lequel la loi sur le service national avait souhaité précisément rompre. Le volontariat s'imposait dès lors comme l'élément fondateur de l'organisation des réserves. Ce modèle, successivement recommandé par le rapport de M. Haenel et par le rapport de M. Teissier, s'est d'ailleurs généralisé dans tous les pays qui ont choisi de professionnaliser leurs armées.
Le projet de loi, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, ouvre la faculté à tout Français, même dépourvu d'expérience militaire, de souscrire un engagement pour servir dans la réserve.
Mais le volontariat ne garantit pas que, dans les jours d'épreuve, la réserve pourra procurer les effectifs suffisants aux armées et à la gendarmerie. C'est pourquoi il convenait de maintenir dans le nouveau système des réserves, mais de manière encadrée, un élément d'obligation. En soumettant les anciens militaires à une obligation de disponibilité dans la limite des cinq années qui suivent la fin de leur activité dans les armées, le projet de loi répond à cette préoccupation. En prévoyant que cette obligation ne joue que dans les seules circonstances exceptionnelles, le texte a posé, de manière justifiée, des limites au recours à l'obligation.
Le succès de la nouvelle organisation des réserves dépend aussi, à nos yeux, d'un équilibre satisfaisant entre les intérêts des réservistes et les intérêts des employeurs. Les intérêts des réservistes d'abord, car sans les garanties nécessaires en matière sociale et financière, le réserviste ne pourra témoigner de cette disponibilité que requiert une réserve véritablement opérationnelle. De ce point de vue, le texte comble un grand vide en assurant au réserviste la garantie du maintien de l'emploi à l'issue des périodes, le maintien dans le régime de protection habituel ou encore le droit au code des pensions militaires.
Toutefois, il est indispensable de tenir compte aussi des intérêts des employeurs. Comment conduire en effet l'employeur à laisser le salarié réserviste consacrer une part de son temps aux activités militaires ? Toute contrainte se révélerait en la matière contestable dans son principe et contreproductive dans la pratique. Contestable dans son principe, car il serait paradoxal d'attacher à un acte volontaire du salarié des effets obligatoires pour les entreprises. Contreproductif, car un cadre contraignant pourrait dissuader l'embauche des réservistes. Il convient donc de susciter l'adhésion volontaire des employeurs. Tel est l'esprit du projet de loi qui limite à cinq jours seulement la durée pendant laquelle le réserviste peut s'absenter de son travail sans autorisation de l'employeur et qui laisse à l'employeur l'entière liberté de rémunérer ou non le réserviste pendant ses périodes. Le projet de loi évoque aussi la possibilité de conventions entre l'employeur et le ministre de la défense, et souligne ainsi la primauté du cadre contractuel.
Tels sont les équilibres que le projet de loi cherche à satisfaire. Loin de les remettre en cause, nous avons au contraire souhaité mieux les mettre en lumière.
J'en viens ainsi aux propositions d'amendements de votre commission, dont je souhaiterais montrer la cohérence avant que nous procédions à l'examen des articles.
Lors de nos travaux, nous nous sommes résolument placés dans le cadre général de la professionnalisation des armées voulue par le Président de la République et soutenue par la majorité sénatoriale. Mais nous avons eu constamment à l'esprit une préoccupation majeure, partagée, je crois, sur toutes les travées de notre assemblée, à savoir la recomposition de la relation entre les forces armées et la nation.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Serge Vinçon, rapporteur. La réserve, qui associe des civils à des activités militaires, représente en effet l'expression privilégiée de ce lien. Ainsi, c'est le lien armée-nation qui nous a servi de fil directeur dans les propositions d'amendements que notre commission vous soumettra.
Ces propositions s'articulent autour de quatre orientations majeures : d'abord, mieux souligner le rôle de la réserve au sein de notre dispositif de défense ; ensuite, promouvoir le volontariat ; en outre, valoriser davantage la deuxième réserve ; enfin, encourager le partenariat avec les entreprises.
Il s'agit, d'abord, de mieux affirmer le rôle de la réserve. Cette priorité nous a conduits à modifier les dénominations de « première réserve » et de « deuxième réserve », qui ne disent rien sur le rôle respectif de ces deux composantes. Nous proposons ainsi les termes de « réserve opérationnelle » pour la première et de « réserve citoyenne » pour la seconde. Je reviendrai tout à l'heure plus longuement sur les raisons de ce choix qui, à nos yeux, permet de mieux définir la vocation propre de ces deux ensembles, en particulier pour nos concitoyens qui connaissent souvent fort mal la réserve. Tel est en effet le fruit paradoxal de l'organisation antérieure des réserves, qui posait une obligation générale pour tous les citoyens mais n'avait d'implications pratiques que pour un nombre très restreint de personnes vraiment motivées. Or il est indispensable de rompre avec l'ignorance qui entoure la réserve. Il y va du développement du volontariat sur lequel s'appuieront les nouvelles réserves. C'est pourquoi, sur une proposition de M. Bertrand Delanoë, nous avons également souhaité que soit instituée une journée nationale du réserviste au cours de laquelle la place du réserviste dans notre société pourrait être mieux reconnue.
Nous avons, ensuite, estimé indispensable de promouvoir le volontariat qui constitue sans doute le meilleur garant du lien armée-nation. Nous proposerons donc de rappeler que la réserve a vocation à être composée avant tout de volontaires et, en fonction des besoins des armées seulement, d'anciens militaires soumis à l'obligation de disponibilité. Ce principe étant posé, comment encourager le volontariat ? D'abord en assouplissant les limites d'âge et en permettant ainsi aux personnes, en particulier à celles qui peuvent faire valoir des compétences spécialisées, de souscrire, même après leur mise à la retraite, un engagement pour servir dans la réserve.
Il était important, par ailleurs, que les missions confiées aux réservistes soient valorisées. La perspective de participer à des activités hors du territoire national, comme nous l'avons prévu explicitement, peut contribuer à cette valorisation.
M. François Trucy. Excellent !
M. Serge Vinçon, rapporteur. De manière plus générale, nous avons eu à coeur d'inscrire la réserve dans un parcours citoyen qui comporte notamment l'appel de préparation à la défense et le volontariat militaire. Précisément, nous avons voulu encourager le volontariat militaire en prévoyant qu'il soit possible de l'accomplir de manière fractionnée dans la perspective de favoriser, à terme, le volontariat dans la réserve. En effet, alors même que la suspension de la conscription risque d'affaiblir au sein des jeunes générations une certaine « culture militaire », le volontariat militaire offre, pour les jeunes Français, un contact avec les armées qu'ils auront peut-être le goût de prolonger dans le cadre d'un engagement dans la réserve.
La troisième orientation des modifications que nous vous proposons touche à la deuxième réserve, à laquelle le projet de loi ne semble pas donner sa juste place. Le choix même des termes retenus pour la désigner paraissait la reléguer à une réserve de deuxième ordre ou de deuxième choix, ce que confirmait d'ailleurs la disposition du projet de loi aux termes de laquelle cette composante reçoit les volontaires qui n'ont pas pu accéder à la première réserve. Or la deuxième réserve a un rôle éminent à jouer au regard du lien entre la nation et les armées. La nouvelle dénomination que nous proposons, à savoir « réserve citoyenne », permet de réaffirmer cette vocation.
En outre, nous avons souhaité que l'affectation au sein de la deuxième réserve puisse résulter d'un choix délibéré du volontaire. En effet, de nombreux citoyens, compte tenu de leur activité professionnelle, n'ont pas la disponibilité souhaitable pour participer à la réserve opérationnelle, mais souhaitent malgré tout apporter une contribution à la défense nationale. Cette dernière ne doit pas se priver de ces bonnes volontés. Il y a là, en effet, une mine d'intelligence et de compétences très utile pour les armées. Cette ouverture apparaît, en outre, comme l'une des conditions de la vitalité du lien armée-nation.
Enfin, notre quatrième priorité a été d'encourager le partenariat entre la défense et les entreprises dans l'esprit même du projet de loi. L'adhésion des entreprises à la mise en oeuvre des dispositions de la future loi sur les réserves représente le facteur clé de la réussite de la réforme engagée par le Gouvernement. Comment susciter cette adhésion ? En conférant d'abord à l'entreprise le rang d'un véritable partenaire de la politique des réserves au côté des armées, des réservistes et de leurs associations. C'est pourquoi la commission a souhaité que le rôle des entreprises soit mentionné à l'article 1er du texte. Ainsi, associés à la réussite de la réforme des réserves, les employeurs doivent aussi être conduits à mieux mesurer leurs responsabilités au regard de leurs salariés réservistes. Pour la commission, l'effort consenti par les entreprises qui s'engagent dans cette voie mérite une reconnaissance, même symbolique, sous la forme de l'attribution, par le ministère de la défense, de la qualité de « partenaire de la défense ».
Tels sont les principaux axes des modifications proposées qui, de manière très constructive, je crois, viennent renforcer l'esprit même du texte.
On pourra, peut-être, reprocher au projet de loi de manquer de souffle. Nous aurions nous-mêmes été tentés d'aller plus loin, en particulier dans la mise en valeur du volontariat. Mais l'esprit général dans lequel nous avons travaillé nous a amenés à renoncer à réorganiser entièrement le texte, dont nous aurions bien sûr préservé les orientations majeures. Nous avons finalement préféré considérer le projet de loi comme un jalon, certes essentiel, dans la réorganisation des réserves et, au-delà, comme une première pierre dans le travail de recomposition du lien armée-nation.
Il reste toutefois de nombreuses questions en suspens, même si les amendements de la commission tentent d'apporter quelques éléments de réponse à ces sujets de préoccupation.
J'évoquerai, à cet égard, quatre incertitudes.
La première porte sur le recrutement des volontaires. Ce recrutement représentera un défi de plus en plus difficile à relever au fur et à mesure que la culture militaire liée à l'organisation du service national s'affaiblira. Cette observation montre combien il sera dès lors important de valoriser les missions qui seront confiées aux réservistes, afin de susciter leur intérêt et d'encourager ainsi le volontariat. Le problème se pose en particulier pour les militaires du rang, dont les tâches devront faire l'objet d'une attention particulière de la part des armées.
Le deuxième sujet de préoccupation porte sur le déficit de communication de la défense, s'agissant des réserves. Aussi l'un des défis les plus urgents pour le Gouvernement est-il sans doute de conduire une politique de communication adaptée pour mieux informer nos concitoyens sur les réserves. Cette politique pourrait comprendre un volet décentralisé et trouver dans des « clubs réserve », au niveau du chef-lieu de département, des relais très utiles pour une meilleure communication sur la réserve. Ces clubs associeraient en effet, outre les représentants du pouvoir central et les autorités militaires, des membres de la société civile.
Le troisième sujet de préoccupation porte sur l'attitude des entreprises à l'égard des réserves. L'adhésion des entreprises à la politique des réserves représente la condition sine qua non de sa réussite. Aujourd'hui, en effet, 75 % des réservistes actifs sont des salariés du secteur privé. Le nouveau système demandera des réservistes plus disponibles et supposera, en conséquence, un effort plus important de la part des entreprises. Un tel effort peut-il être obtenu par la mise en place de règles contraignantes ? Je ne le crois pas, et ce n'est d'ailleurs pas l'esprit du projet de loi.
Il faut donc favoriser une politique contractuelle à travers la signature de nouvelles conventions armées-entreprises et remettre peut-être à jour l'ensemble des conventions déjà signées, tout en prenant en compte de manière plus systématique la situation des réservistes dans la négociation collective. Mais il faudra, ici aussi, que le Gouvernement conduise une politique de communication spécifique en direction des entreprises pour les sensibiliser au problème des réserves.
Enfin, le dernier sujet de préoccupation, et non le moindre, concerne les moyens financiers dévolus aux réserves. La formation, l'entraînement, l'équipement d'une réserve véritablement opérationnelle demanderont un effort financier soutenu. Certes - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - la loi de programmation a prévu une augmentation significative des crédits. Toutefois, à supposer même que le niveau de dotations soit respecté, il pourrait se révéler insuffisant. Quoi qu'il en soit, les réserves devront faire l'objet, lors des prochains budgets, d'une attention particulière que nous vous promettons.
Tels sont les différents points sur lesquels vous pourrez nous apporter, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, les éclairages nécessaires. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. André Rouvière applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le ministre, si j'ai tenu à intervenir dans cette discussion générale après votre présentation du projet de loi et après l'excellente intervention de M. le rapporteur, qui a parfaitement synthétisé l'approche de la commission sur ce texte, c'est pour marquer la signification particulière et l'importance singulière tant politique que technique de cette nouvelle organisation des réserves militaires.
Cette réforme constitue le dernier mais indispensable pilier législatif de la rénovation radicale de notre système de défense entreprise voilà trois ans sur l'initiative de M. le Président de la République et fondée sur la professionnalisation de nos armées.
Après la loi de programmation 1997-2002, qui a elle-même fixé les effectifs de la nouvelle réserve et les crédits qui y seront consacrés, après les mesures nécessaires à la professionnalisation des armées et après, bien sûr, la loi du 28 octobre 1997 suspendant le service national, la mise en place d'une réserve d'emploi, moins nombreuse mais mieux entraînée et plus disponible, constitue une exigence d'efficacité de l'armée professionnelle et une condition indispensable au maintien du lien entre nos armées et la nation. M. le rapporteur avait d'ailleurs fortement souligné, dès 1996, dans l'étude du Sénat sur l'avenir du service national, que la constitution de forces de réserves efficaces était à la fois un corollaire inéluctable et l'un des défis majeurs de la professionnalisation.
Au demeurant, si elle n'avait été rendue indispensable par les conséquences mécaniques de la réforme du service national sur la réserve, cette réforme eût été de toute façon nécessaire pour corriger les insuffisances de l'organisation antérieure des réserves qui, malgré les progrès accomplis, apparaissait, à certains égards, comme un dispositif en trompe-l'oeil.
Ce projet de loi était donc particulièrement attendu, et ce depuis plusieurs années. Son élaboration a été longue, ce qui, au demeurant, a donné le temps de mener l'indispensable concertation, au premier chef avec les associations de réservistes. Je me félicite aussi, monsieur le ministre, du climat constructif qui a prévalu, lors de la mise au point et de l'examen préparatoire de ce texte, entre le Gouvernement et le Sénat...
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. ... sur le bureau duquel le projet de loi a d'abord été déposé. Je ne doute pas que nos débats d'aujourd'hui ne confirment la qualité de cette réflexion en commun et cette approche positive pour l'avenir de notre défense.
Notre objectif est de bâtir des réserves plus efficaces, qui reposeront sur des volontaires, éventuellement renforcés par d'anciens professionnels astreints à une modeste obligation de disponibilité. Ces réservistes seront appelés à faire partie intégrante, en toutes circonstances, de notre dispositif de défense. Ce doit pouvoir être le cas, notamment, lors d'opérations extérieures et dans le cadre des affaires civilo-militaires pour lesquelles les Français - l'expérience des conflits en ex-Yougoslavie l'a illustré - ont beaucoup de progrès à faire pour se hisser au niveau des pays les plus efficaces.
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. Le dispositif que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, est apparu, dans ses grandes lignes, satisfaisant à la commission, qui a procédé à de très nombreuses auditions pour l'apprécier dans toutes ses dimensions, en particulier pour le comparer aux forces étrangères de réserves les plus efficaces, britanniques et américaines notamment.
Ces expériences étrangères, ainsi d'ailleurs que l'esprit général de la réforme d'ensemble de notre défense, nous ont confortés dans la nécessité de fonder les nouvelles réserves sur le volontariat. Ainsi réduites en nombre mais gérées et entraînées de manière personnalisée, ces réserves seront plus motivées, plus disponibles, largement intégrées aux unités professionnelles, et, dès lors, plus efficaces. La mise en valeur du volontariat, qui constitue l'une des meilleures garanties du lien armées-nation, nous est ainsi apparue nécessaire et se trouve soulignée dans certains des amendements proposés par la commission.
Je dois à la vérité de dire que nous avions même envisagé d'aller plus loin en introduisant un lien encore plus direct entre la notion de réserviste et le concept de volontariat. Nous nous sommes toutefois ralliés aux légitimes soucis de précaution et de simplicité de gestion, soucis qui conduisent à intégrer dans les forces de réserves, en cas de crise ou de menace de crise, les anciens militaires soumis, durant cinq ans, à une obligation de disponibilité pour compléter, le cas échéant, l'effectif, prévu par la loi de programmation, de 100 000 réservistes opérationnels dotés d'une affectation.
L'efficacité attendue des futures réserves supposait aussi l'élaboration d'un véritable statut social du réserviste et la recherche d'un équilibre entre les garanties ainsi accordées aux réservistes et l'activité de leurs employeurs. Notre collègue et ami M. Hubert Haenel avait d'ailleurs fait, voilà quelques années, de judicieuses propositions dans ce domaine. Les dispositions prévues dans le projet de loi pour accorder aux réservistes les garanties nécessaires et la reconnaissance que leur doit le pays répondent à ce souci, tandis que les préoccupations, également légitimes, des employeurs sont aussi prises en compte, en particulier - et M. le rapporteur l'a rappelé - en limitant à cinq jours la durée de base annuelle durant laquelle un réserviste peut s'absenter de droit.
La commission a toutefois eu, là aussi, le souci de mieux mettre en valeur le nécessaire partenariat avec les entreprises.
En effet, s'il est indispensable de donner aux réservistes les garanties juridiques nécessaires - à commencer, bien entendu, par la garantie du maintien de leur emploi - les formules retenues ne doivent pas être trop contraignantes pour les entreprises, faute de quoi elles pourraient s'avérer contre-productives, notamment en termes d'embauche. Notre objectif est de trouver les dispositions les plus adaptées pour créer entre les différents partenaires un climat de confiance qui favorise, en les clarifiant et en les assainissant, la qualité des relations entre les réservistes et leurs employeurs.
La commission a enfin eu la volonté de souligner plus fortement, à travers plusieurs propositions d'amendements, l'indispensable maintien du lien entre la nation et son armée, car notre armée, fût-elle professionnelle, doit rester celle du peuple français. Et le premier rôle des réserves, qui se situent à la charnière du monde militaire et du monde civil, est précisément d'irriguer l'un et l'autre de leurs valeurs respectives. Les aspirations de la société civile ne doivent pas devenir étrangères à l'armée professionnelle, qui doit être nourrie du quotidien de la nation. Et cette dernière ne doit pas s'éloigner de ses soldats qui ne sauraient en aucun cas être considérés comme des mercenaires. Les réservistes ont, dans les deux sens de cette relation, un rôle majeur à jouer.
Ce sera en particulier la tâche de la seconde réserve qui garde, à nos yeux, un rôle important et que nous proposons dans cet esprit, monsieur le ministre, de baptiser du beau nom de « réserve citoyenne » ; cette seconde réserve sera parfaitement complémentaire de la première réserve, qui constituera « la réserve opérationnelle. »
L'activité dans la réserve - et, bien sûr, dans les associations de réservistes - fait ainsi partie intégrante d'un parcours citoyen, qui doit commencer par l'enseignement et l'appel de préparation à la défense et peut se poursuivre par une préparation militaire, un volontariat dans les armées mais aussi, bien sûr, par le choix de devenir réserviste.
Il reste, monsieur le ministre, que le texte que vous nous proposez ne garantit pas, par lui seul, le succès de la nouvelle organisation des réserves que nous souhaitons mettre en place. Il ne constitue en effet qu'un cadre législatif dont les conditions d'application seront déterminantes. Nous demandons au Gouvernement d'y être très attentifs. La commission, soyez-en assuré, sera particulièrement vigilante sur deux points essentiels.
Le premier est la création des conditions d'un recrutement conforme aux besoins. Le réaménagement de nos réserves est déjà en cours dans nos armées et au sein de la gendarmerie. Mais il s'appuie encore, pour peu de temps, sur le vivier de réservistes créé, en quelque sorte mécaniquement, par le système de la conscription, qui vit ses dernières années.
Il est dès lors essentiel, pour éviter une insuffisance, voire un tarissement, de la ressource, de mettre en place, au-delà des garanties juridiques, les mesures incitatives nécessaires pour favoriser l'intérêt, encourager le volontariat et valoriser les missions des réservistes.
Monsieur le ministre, je ne vous cacherai pas, en particulier, une certaine inquiétude pour les militaires du rang, qui devront être recrutés en nombre significatif et dont les tâches devront faire l'objet d'une attention particulière de la part des armées.
Comme M. Vinçon l'a rappelé, il faudra une politique de communication particulièrement active du ministère de la défense, de chaque armée et de la gendarmerie pour favoriser l'engagement dans les réserves, mais aussi, plus généralement, pour mieux faire connaître les réserves à nos concitoyens.
La seconde condition du succès opérationnel de la réforme entreprise réside, ensuite, dans les moyens financiers qui seront consacrés aux réserves. Ces moyens, chacun le sait, ont fait jusqu'ici cruellement défaut et ils expliqueraient la disproportion flagrante entre les objectifs affichés et la réalité concrète en matière de réserves.
La loi de programmation s'est efforcée d'amorcer le redressement indispensable tout en faisant preuve, là aussi, de réalisme. Les crédits consacrés aux réserves doivent passer de 235 millions de francs, en 1996, à 584 millions de francs en 2002, soit un accroissement net très significatif sur l'ensemble de la période de programmation. Il s'agit donc d'un effort substantiel. Et nous devons éviter la facilité d'un discours ambitieux qui ignorerait les contraintes budgétaires qui s'imposent à nous. Mais la priorité demeure. Et si l'actuelle loi de programmation marque un progrès, elle ne doit être considérée que comme une première étape dans le processus de montée en puissance de la nouvelle réserve.
Je conclurai, monsieur le président, mes chers collègues, en formulant trois brèves observations auxquelles j'attache une importance particulière.
Tout d'abord, je veux rendre hommage aux cadres de réserve et aux associations de réservistes, dont nous connaissons la sincérité de l'engagement et la solidité du dévouement (Très bien ! et applaudissements.) Ils ont, à travers la rénovation de nos réserves, un rôle majeur à jouer dans la réforme décisive de notre système de défense qui est aujourd'hui engagée et, même, malgré certains mauvais augures et grâce à l'admirable état d'esprit de tous les personnels de la défense, bien engagée.
Je veux, ensuite, attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la question particulière des réserves du service de santé des armées lorsqu'il sera privé de la ressource appelée, qui lui assurait, grâce à la conscription, une partie importante de ses effectifs. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les dispositions envisagées pour faire face à cette situation délicate ?
Mon dernier mot sera, enfin, pour vous redire la nécessité, à mes yeux décisive pour la réussite de la réforme entreprise, d'un travail d'information d'envergure sur les réserves, car, quels que soient les efforts financiers nécessaires, ils ne suffiront pas à garantir le succès. Comme l'a résumé justement l'ancien inspecteur des réserves, « nous n'achèterons pas nos réserves ! Il nous faudra convaincre ! ».
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. Sous le bénéfice de ces observations et des différents amendements qu'elle vous propose, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées demande au Sénat d'approuver le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le 23 février 1996, le Président de la République engageait le débat sur la restructuration de nos forces armées et la refonte du service national.
Le long processus de modernisation qui doit faire entrer notre outil défense dans une nouvelle ère a été marqué par l'adoption de trois lois successives. Il est, aujourd'hui, en voie d'aboutissement.
Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, est en effet la dernière pierre de cet édifice. Il est certes, chronologiquement, le dernier, mais il n'est pas le moins important. Bien au contraire, il est résolument indispensable, et j'ai eu, à maintes reprises, l'occasion d'exprimer ici ma conviction.
Hautement désiré, ce texte était largement attendu, la longueur de notre attente était sans doute à la mesure de son importance. Mais l'essentiel n'est pas là !
Outre le fait que la Haute Assemblée en soit saisie la première, je vous sais gré, monsieur le ministre, d'avoir poursuivi et enrichi la large concertation engagée par votre prédécesseur.
D'ailleurs, je veux rendre hommage au remarquable travail accompli par le Parlement sur ce sujet, marqué par deux rapports de grande qualité, le premier de notre éminent collègue Hubert Haenel, dès 1993, et le second, trois ans plus tard, de Guy Tessier, député des Bouches-du-Rhône. C'est en grande partie sur la base de ces travaux qu'a été préparé le projet de loi qui nous est soumis.
Passé ces considérations de forme, force est de constater, monsieur le ministre, que, si ce texte permet de doter la réserve militaire d'un nouveau cadre, il n'en n'est pas moins porteur de lourdes interrogations en ce qui concerne tant son ambition que ses moyens.
Des armées professionnelles, moins nombreuses, sont en effet amenées presque systématiquement à recourir aux réservistes, soit pour tenir des emplois très spécialisés, qui ne peuvent être tenus à temps plein pour des raisons économiques, soit pour renforcer les unités en cas d'engagement de longue durée. Notre pays a déjà recouru aux réservistes dans le premier cas de figure, lors de nos récentes opérations extérieures.
Le recours ne pourra que se développer à l'avenir et s'étendra certainement au second cas de figure dès que le besoin se fera sentir. Nos propres expériences, comme celles des pays qui disposent déjà d'armées entièrement professionnalisées, attestent assez de la nécessité de disposer de réserves opérationnelles.
Mais, pour légitimer la constitution de réserves opérationnelles, la définition d'un concept d'emploi constitue un préalable indispensable.
Il est en partie - je dis « en partie » parce que j'y reviendrai - répondu à cette exigence. Désormais adaptées aux besoins réels, tels qu'évalués par le ministère de la défense, les réserves suivent une évolution qui concourt à la disponibilité et à l'efficacité de nos armées.
Ainsi, à l'ancien concept d'une réserve de masse, juxtaposée pour l'essentiel aux forces d'active, se substitue une réserve au format certes plus réduit, mais intégrée aux forces, entraînée et plus disponible, fondée sur le volontariat et donc plus motivée.
Cette première réserve, qu'il est sans nul doute plus judicieux de qualifier d'« opérationnelle », sera en effet composée de 100 000 hommes et femmes, sélectionnés sur la base du volontariat, ainsi que d'anciens militaires professionnels et d'anciens volontaires du service national.
Ces réservistes disposeront tous d'affectations précises, 50 000 d'entre eux étant spécialement affectés à la gendarmerie. Les réservistes deviennent donc, pendant leur période d'activité, des militaires à part entière, susceptibles de remplir les mêmes missions que leurs camarades d'active.
Dans ces conditions, on ne peut qu'approuver l'instauration de garanties, financières et sociales, pour les réservistes et les employeurs. Et l'idée avancée par le rapporteur de notre commission de favoriser les entreprises qui auront conclu une convention, en leur accordant la qualité de « partenaire de la défense », peut inciter certains employeurs, encore réticents, à s'engager dans cette démarche citoyenne.
J'y vois notamment un moyen, parmi d'autres, bien sûr, de donner une vraie consistance au volontariat, qui demeure la pierre angulaire de l'organisation des nouvelles réserves, et, plus encore, de renforcer le lien armée-nation.
Lors du débat sur l'abandon de la conscription, nous étions d'ailleurs un certain nombre à manifester notre souci de préserver ce lien, tant il paraît essentiel que chaque citoyen se sente concerné par la défense de son pays, pour que l'armée demeure, comme le disait à l'instant M. de Villepin, celle du peuple français.
Cela me conduit logiquement à approuver l'organisation d'un système de sauvegarde fondé sur l'obligation de disponibilité et le service de défense dans l'hypothèse de circonstances exceptionnelles.
Dans le même esprit, j'adhère pleinement à l'idée de mon excellent collègue et ami Bertrand Delanoë d'instituer une « journée nationale du réserviste », laquelle permettra à la nation de manifester sa reconnaissance à celles et à ceux qui consacrent une partie de leur temps à la défense nationale, ainsi qu'aux propositions de suppression de la limite d'âge, fixée à soixante ans pour les cadres de réserve, et de la participation des membres de la réserve opérationnelle à des opérations extérieures.
Cette dernière faculté devrait permettre de motiver réellement et efficacement des volontaires. Elle me paraît d'autant plus importante, comme l'a fort opportunément relevé M. le rapporteur, qu'il y a une certaine ambiguïté dans la composition de la réserve opérationnelle. La présence conjointe de volontaires vraiment volontaires, si l'on peut dire, et de personnels disponibles, plus obligés que réellement volontaires, dans le même ensemble est, en elle-même, source potentielle de démotivation des volontaires.
Aussi, il me paraîtrait utile, monsieur le ministre, que vous nous précisiez les conditions d'emploi de ces deux catégories de personnels composant la réserve opérationnelle.
Cette ambiguïté, perceptible au niveau de la première réserve, devient confusion quand on aborde la seconde. On est là dans le brouillard. Notre collègue Serge Vinçon a d'ailleurs parlé d'une « réserve en attente ».
Dès lors, comment ne pas y voir l'expression d'un projet inachevé ? C'est justement ce qu'en a conclu la commission, qui, en même temps qu'elle proposait de rebaptiser cette seconde réserve « réserve citoyenne », s'employait à lui donner un contenu dont j'approuve les modalités.
Cette seconde réserve doit effectivement être un vivier dans lequel les armées pourraient puiser les renforts nécessaires, si les circonstances venaient à l'exiger. Mais, indépendamment de l'hypothèse d'une crise majeure, elle doit entretenir dans le pays l'esprit de défense. Et cela ne peut passer que par la dévolution de missions précises qui éloigneront d'autant le spectre d'une réserve de « seconde zone ».
J'insiste sur ce point, car le succès du volontariat, à mon sens, en dépend très largement. Il me paraît essentiel de présenter l'adhésion à cette seconde réserve non comme une solution de rattrapage, en quelque sorte, pour les recalés de la première, mais bien comme une volonté de participer à l'effort de défense, avec simplement une disponibilité temporelle différente.
Cette remarque met en lumière la difficulté principale de ce projet de loi, à savoir le recrutement des volontaires. Nous en sommes tous conscients, il va falloir susciter les vocations.
Pour ce faire, il va falloir disposer des moyens budgétaires appropriés, car les besoins dépasseront largement les crédits actuellement destinés aux réserves. Les dotations budgétaires à venir sont d'autant plus importantes que le risque est grand de voir la réserve opérationnelle progressivement composée des seuls disponibles.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaite que vous puissiez nous indiquer l'ampleur et la nature des moyens que vous entendez consacrer à la valorisation et à la promotion du volontariat auprès de nos concitoyens.
Cela étant, je regrette vivement que la réforme qui nous est proposée manque finalement d'ambition. Le format retenu répond au strict minimum. J'avoue que j'espérais que serait retenue la vision des réserves proposée par mon ami Guy Tessier qui était d'une autre nature. Quant au concept d'une réserve « hautement disponible », dont l'équipement et l'entraînement auraient été alignés sur les pratiques de l'armée d'active, il aurait été mieux à même de répondre aux nécessités du temps présent.
Toutefois, je crois volontiers que le nouveau dispositif ne pourra pas faire l'économie d'une évaluation en profondeur, après quelque temps de mise en oeuvre, au même titre d'ailleurs que l'appel de défense, car je suis convaincu qu'il faudra plusieurs années avant de trouver le bon équilibre et le bon rythme pour notre nouvel outil de défense.
C'est par conséquent sur la durée que nous jugerons la volonté du Gouvernement de doter la France d'une armée moderne. Il y aura pour cela plusieurs exercices budgétaires, et deux lois de programmation, d'ici à 2015. Mais, d'ici là, combien de gouvernements ?...
Napoléon disait que le moral est au matériel ce que trois est à un. Pour assurer le moral de la nation, il est primordial de faire participer tous les citoyens. Il est tout aussi important de ne pas décourager ceux qui participent déjà.
C'est pourquoi je voudrais conclure, monsieur le ministre, par une question. Pour la motivation des troupes, certaines distinctions honorifiques sont hautement symboliques. Les réserves aussi en mesurent la valeur. Je souhaiterais donc savoir, monsieur le ministre, si vous envisagez de permettre l'échange de décorations avec les militaires d'active et l'accès au généralat pour quelques officiers de réserve, ce qui serait de nature à renforcer la cohésion de notre défense. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi portant organisation de la réserve militaire et du service de défense a été déposé en première lecture sur le bureau du Sénat, et vous devez en être remercié, monsieur le ministre. Je souligne que ce sont deux anciens sénateurs qui sont aujourd'hui au banc du Gouvernement.
Ce projet de loi est la conséquence que le Président de la République, chef des armées, le Gouvernement et vous-même, monsieur le ministre, tirez des changements fondamentaux intervenus ces dernières années, dans le domaine de la défense. Votre réforme que le réserviste que je suis approuve totalement procède en effet de trois révolutions.
Il s'agit d'abord d'une révolution géostratégique. La nature des problèmes de défense qui se posent à notre pays a été profondément modifiée, que ce soit ses intérêts vitaux, la sécurité de son territoire, son engagement en faveur de la sécurité collective, dans le cadre d'organisations internationales ou en dehors de celles-ci. Cette révolution a conduit à la profonde réforme de notre défense dans laquelle les réserves occupent une place tout à fait nouvelle, cela vient d'être souligné.
La suspension de l'appel sous les drapeaux et la professionnalisation des armées constituent la deuxième révolution. Votre projet de loi, monsieur le ministre, complète et achève le dispositif législatif qui permettra d'organiser l'armée professionnelle, quelles que soient la nature et l'ampleur des menaces qui pourraient peser sur la France. La réserve constitue désormais la seule variable d'adaptation disponible pour faire face aux nécessités de la défense, le complément indispensable à l'accomplissement des missions assignées à l'armée professionnelle.
La troisième révolution, qui est d'ordre culturel, se fera sentir au sein des états-majors et dans l'esprit des militaires, officiers et sous-officiers de métier. Les réserves - sans doute faudrait-il, comme vous le souhaitez, monsieur le ministre, trouver un terme correspondant mieux à cette profonde évolution ; la commission fera des propositions en ce sens - deviennent une composante essentielle de la défense et des forces armées alors qu'elles étaient, dans le système de dérivation que j'ai connu et pratiqué, des boulets pour les unités actives. Les réservistes sont appelés à devenir des « professionnels à temps partiel », on l'a dit. Du concept de la « nation en armes », qui se traduisait par la notion de « mobilisation générale » répondant à la conception et aux besoins d'armées nombreuses dont les soldats ont d'ailleurs fait preuve d'un sens du devoir et du sacrifice tout à fait comparable à celui de leurs camarades de métier, nous passons à celui d'une réserve d'emploi qui permet l'adaptabilité permanente du format des forces engagées sur un théâtre d'opérations, renfort ou remplacement du personnel d'active engagé dans des opérations, besoin ponctuel en spécialistes, participation à des missions de sécurité, mais aussi, protection du territoire en période de crise, Vigipirate, etc.
Le concept d'emploi spécifique des réserves disparaît puisque celles-ci, totalement intégrées au dispositif de défense, assurent désormais les mêmes missions que les forces d'active.
Ce que je constatais et préconisais en mars 1994, à l'issue d'une mission confiée par le Premier ministre de l'époque, M. Edouard Balladur, sur l'évaluation générale de la situation des réserves et de leurs conditions d'emploi, est encore plus vrai aujourd'hui, compte tenu des changements profonds qui sont intervenus depuis et que je viens de résumer.
En rappelant les missions, ambitions et responsabilités de la France en Europe, dans le bassin méditerranéen et dans le monde entier, lesquelles sont liées à son histoire, à sa culture, à la géographie, à des intérêts économiques vitaux, à des engagements internationaux dans le cadre de l'ONU, de l'OTAN, de l'UEO ou dans celui de traités bilatéraux, je posais la question suivante : la France peut-elle continuer à afficher ses ambitions et assumer ses missions sans un appel permanent dès le temps de paix, et à plus forte raison, en temps de crise, aux réservistes ?
La réponse était déjà négative. Elle l'est encore plus aujourd'hui à la suite de la réduction du format des forces consécutive à la programmation.
En 1994, je pouvais donc écrire sans risquer d'être contredit que les réserves étaient un deuxième souffle pour les armées. Les réserves deviennent aujourd'hui une composante essentielle du dispositif de défense.
Mais l'oeuvre que vous entreprenez, monsieur le ministre, ne peut être menée à bien que si elle s'accompagne d'une véritable révolution culturelle dans les milieux politiques, au sein des forces armées, chez les employeurs civils et publics et dans l'opinion publique.
En conclusion de ce rapport, j'avais formulé toute une série de propositions : trente et une au total et notamment deux : celle qui traite du partenariat avec les entreprises employant des réservistes et celle qui concerne la protection sociale des réservistes et la couverture des risques.
Ces deux propositions je les retrouve au coeur du projet de loi dont nous débattons, notamment au travers du droit au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, des retraites de guerre et d'actes de terrorisme.
Le projet de loi, comme vient de le rappeler le président de la commission Xavier de Villepin et notre éminent rapporteur Serge Vinçon, distingue une première réserve comprenant des volontaires issus de la société civile et d'anciens militaires - ces deux catégories de personnels reçoivent une affectation - et une deuxième réserve comprenant les autres réservistes, qui regroupera des personnes ayant exprimé leur volontariat et les anciens militaires sans affectation.
Ma première question, monsieur le ministre, rejoint les questions qui ont été posées par le président de la commission et son rapporteur : comment sera organisée cette deuxième réserve et quels emplois sont envisagés pour les unités de cette réserve citoyenne considérée comme la clef de voûte du renouvellement du lien entre la nation et son armée ?
Ma seconde question, qui complète la première, se pose dans le contexte de réduction drastique et systématique des forces d'active voulue par le Président de la République et le Gouvernement : la première réserve, objet de notre attention, sera-t-elle suffisante pour faire face à l'ensemble des menaces qui pourraient peser sur notre pays et, partant, dans quelles conditions et dans quels délais la deuxième réserve pourrait-elle devenir opérationnelle et compléter la première ?
Partageant les observations, questions, suggestions, et propositions que le rapporteur, M. Serge Vinçon, a formulées, tant dans ses écrits qu'oralement à cette tribune, je vais maintenant tenter d'illustrer mon propos par un exemple, celui de la gendarmerie nationale qui a déjà commencé, comme d'ailleurs l'armée de terre, la marine nationale et l'armée de l'air, à anticiper les dispositions législatives à venir en mettant en oeuvre un schéma directeur des réserves précédant les directives d'emploi des réservistes.
J'entends ainsi démontrer à ceux qui douteraient encore de la révolution qui est en cours de réalisation que, sans, par exemple, les réserves de la gendarmerie nous ne pouvons faire face aux menaces pesant sur notre pays dans le domaine de la sécurité intérieure. La même démonstration pourrait être faite pour l'armée de terre, les services de santé, l'armée de l'air et la marine.
La gendarmerie tient, en effet, une place majeure dans le dispositif de défense du territoire au sens de sécurité intérieure.
Monsieur le ministre, dans votre réponse à ma question écrite du 4 mars 1999 - une longue réponse d'ailleurs de trois pages parue ce jour au Journal officiel , vous rappelez : « La loi du 2 juillet 1996 précise, dans la fonction "protection", que "la défense du territoire" doit pouvoir être assurée en toutes circonstances. C'est aujourd'hui une mission de sécurité intérieure. Il s'agit d'être capable de prévenir ou de réprimer les agressions limitées contre le territoire national. Il faut également répondre à la diversification des menaces, terrorisme, drogue, grande criminalité... De même, dans le cadre de leurs missions de service public, les armées continueront d'apporter leur concours aux populations, en cas de catastrophes naturelles ou pour parer aux conséquences d'accidents technologiques. Cet ensemble constitue la notion de défense du territoire. »
Dans ce cadre, les missions assignées à la gendarmerie nationale constituent un élément essentiel du dispositif de sécurité intérieure dans les différentes phases de la crise.
La gendarmerie nationale a pour mission de rechercher, élaborer et diffuser le renseignement de défense, d'assurer, en temps de paix comme en temps de crise et jusqu'à l'engagement offensif des forces, la protection et la défense des points sensibles civils et des services communs indispensables, ainsi que l'intervention immédiate au profit des points sensibles menacés. Elle aide également à la montée en puissance et aux mouvements des forces militaires sur le territoire national dans le cadre de la circulation routière de défense et participe, dans la mesure de la disponibilité de ses moyens, à des actions de combat visant à détruire ou à neutraliser des éléments ennemis infiltrés. Elle continue de remplir ses missions permanentes de service public dans les domaines administratif, judiciaire et militaire.
La gendarmerie joue donc un rôle majeur dans le cadre de la sécurité intérieure. Grâce à ses unités d'active, de réserve et à ses réservistes, à son statut militaire, à ses pouvoirs, la gendarmerie est la seule force armée et de police de continuité. Sur les 100 000 réservistes, la gendarmerie en compte 50 000, dont 12 000 réservistes présélectionnés, soit près du tiers de l'ensemble de la réserve présélectionnée.
Son organisation, ses compétences, ses missions et ses moyens permettent aux pouvoirs publics de faire face à toutes les situations et niveaux de crise intérieure. Elle est donc la seule qui a les capacités de pouvoir couvrir l'ensemble des missions de maintien et de rétablissement de l'ordre public, et ce quels que soient la nature, l'ampleur et la gravité de la crise et le droit applicable. C'est le principe du « continuum ».
C'est pourquoi, en application de la réforme des armées et de la loi de programmation, le plan d'action Gendarmerie 2002 prévoit la création d'une nouvelle réserve de gendarmerie de 50 000 hommes, plus simple d'emploi et mieux adaptée aux besoins opérationnels permanents.
Les réserves de la gendarmerie deviennent l'indispensable souplesse, la seule peut-être, pour que la gendarmerie puisse réagir efficacement à une situation de crise intérieure, localisée ou généralisée, en tout temps, en toute circonstance et, souhaitons-le, dans les plus brefs délais.
La gendarmerie a donc besoin d'une réserve plus souple, mieux formée et équipée, capable de fournir, dès « les temps ordinaires », le complément en effectifs nécessaire pour lui permettre de s'impliquer plus fortement dans ses missions de sécurité et de protection.
Soulignons, si besoin était, qu'à la différence de toute autre force, y compris de police, la gendarmerie, force de sécurité intérieure polyvalente, peut s'appuyer sur un système de montée en puissance progressive et simple qui lui permet d'adapter son dispositif à la diversité des situations. Grâce à la décentralisation - toutes ses unités sont ou seront organes mobilisateurs - à la proximité, les réservistes sont recrutés sur place - et aux relations permanentes réserve-active, la mise sur pied des unités devrait être particulièrement rapide.
Il en découle, certains avantages non négligeables. En effet, la « réserve » représente l'enracinement et l'allonge : le réserviste est chez lui, il connaît le territoire et les populations. Le réserviste sélectionné rejoint non pas son lieu de mobilisation, mais son emploi. La formalité de la convocation individuelle est suffisante. Enfin, le réserviste disposera, en permanence chez lui, du paquetage complet « à la suisse », sauf l'armement ; ce n'est pas dans notre culture. Mais en aucun cas le réserviste ne doit être assimilé à une sorte de vacataire, ni être considéré comme le confort de l'active.
Il s'agit donc bien d'un nouveau concept d'emploi de la gendarmerie qui a le mérite de tordre le cou aux tentations maintes fois exprimées de créer en France une sorte de garde civile à l'américaine, ainsi que le préconisait l'ancien député Alain Marsaud.
Dans une circulaire du 28 octobre 1998 relative à la mise en oeuvre du schéma directeur des réserves de la gendarmerie, son directeur général rappelle que la gendarmerie a pour ambition de transformer la réserve actuelle chargée d'assurer des missions de type guerre en une réserve capable de fournir à l'active, dès le temps normal, le complément en effectif nécessaire pour lui permettre de s'impliquer davantage dans ses missions de protection du territoire, comme l'indique la loi de programmation militaire.
Cette circulaire, dont il faut souligner par ailleurs le caractère très opérationnel et précis, me conduit à vous poser une série de questions, monsieur le ministre.
Sur les 331 pelotons de réserve de la gendarmerie départementale destinés à être utilisés en renfort des groupements pour des missions de gendarmerie départementale, combien ont été mis sur pied à ce jour ?
Des 121 escadrons de réserve de la gendarmerie mobile, combien, à ce jour, sont dans une situation opérationnelle ?
Quid des moyens - matériels, parc automobile, armement, habillement, transmissions - nécessaires à leur mise en oeuvre ?
Il ne suffit pas en effet d'assigner dans les lois des missions essentielles aux réserves - deuxième souffle pour les unités professionnelles - de faire des réservistes des professionnels à temps partiel, encore faut-il leur octroyer très rapidement tous les moyens pour que la réserve, composante à part entière du dispositif actuel de défense, soit réellement opérationnelle.
Je viens de faire la démonstration que la gendarmerie nationale est la force par excellence qui peut répondre, par sa posture du temps de paix, son organisation et sa montée en puissance, à toutes les situations de crise. Elle est donc irremplaçable.
Alors, monsieur le ministre, la question qui transpire dans certaines gazettes, qui inquiète les militaires de l'arme et qui n'est certes pas nouvelle mais qui ressurgit comme le phénix des cendres d'une paillote malencontreusement incendiée, est celle-ci : le Gouvernement, pressé par certaines corporations du ministère de l'intérieur mais aussi incité par certains commentateurs ignorants du fonctionnement de l'Etat et de la gendarmerie, est-il tenté de trouver dans l'arme le fusible idéal du fait que, par son statut, la gendarmerie non syndiquée, fort heureusement, ne défilera pas dans les rues, ne se mettra pas en grève, son statut militaire la vouant en effet, comme les autres militaires, à l'obéissance et au silence ? Pouvez-vous, monsieur le ministre, rassurer le Sénat ainsi que les militaires de l'arme et tous ceux qui sont attachés au fonctionnement de nos institutions ?
Le Gouvernement envisage-t-il de répondre favorablement à ceux qui préconisent des réformes qui conduiraient à terme à une fusion des forces de police et de gendarmerie ?
Une réforme qui irait dans ce sens serait en effet incohérente car elle bouleverserait le système mis en place par les grandes lois récentes sur la défense.
C'est au bénéfice de ces observations, de ces questions et de l'adoption des amendements de la commission des affaires étrangères que le groupe du Rassemblement pour la République adoptera l'ensemble de ce projet de loi, qui est de qualité et qui vient à point nommé. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons concerne l'une des dernières adaptations à effectuer dans le cadre de la réforme des armées engagées en 1996.
En effet, à partir du moment où la conscription a été suspendue, l'ancienne réserve ne dispose plus ni de fondement juridique ni de son mode de recrutement principal. C'est donc un nouveau type de réserve qui est organisé, fondé sur le volontariat. Il permet, en outre, d'apporter un complément indispensable aux forces armées.
La première remarque que je veux faire sur ce projet de loi, qui est d'abord examiné par le Sénat, porte sur le climat qui a présidé à son élaboration. Je me réjouis que les associations de réservistes aient été étroitement associées à la réflexion autour de cette réforme. De la même manière, je note avec une grande satisfaction l'attitude constructive de tous les acteurs de ce débat, ici au Sénat.
A ce titre, je veux saluer particulièrement le président de notre commission, notre rapporteur et vous-même, monsieur le ministre, qui avez été attentif aux préoccupations des sénateurs qu'ils appartiennent à la majorité ou à l'opposition. Je pense que c'est du bon travail qui a été fait en commission et au Sénat.
Sur le fond, je ne ferai que de brefs commentaires, d'autant que les interventions de ce matin ont été d'une grande convergence.
Je soulignerai tout de même qu'il est juste de bien caractériser le statut militaire des réservistes pendant leur période d'activité.
Quant aux relations entre les employeurs et ces futurs réservistes, les conventions prévues par votre projet initial offrent un cadre opportun tout comme les dispositions permettant de rendre compatibles engagement dans la réserve et vie professionnelle. Mais il me semble que l'amendement présenté par notre commission, à l'instigation de M. Serge Vinçon, renforce l'idée même de partenariat entre employeurs et ministère de la défense, ce qui montre bien que, dans ce texte, nous traitons une part non négligeable du nouveau lien entre les citoyens et la préoccupation de défense.
Je nous sais tous très attachés à poser les bases d'une relation forte et refondée entre la collectivité nationale et les impératifs de sécurité. Pour l'exprimer plus nettement encore, notre commission proposera trois amendements qui me paraissent aller dans ce sens.
Le premier rappelle, dès le premier article de cette loi, que la réserve a bien pour objet d'entretenir l'esprit de défense et de contribuer au maintien du lien entre les forces armées et la nation.
Le deuxième vise à intégrer la question de la réserve dans un parcours citoyen qui commence par les enseignements de défense à l'école, qui se poursuit par l'obligation de recensement, par l'appel de préparation à la défense et, pour ceux qui le veulent, par une préparation militaire, que je souhaite réellement voir valorisée.
Le troisième amendement porte sur la création d'une journée nationale du réserviste afin de reconnaître publiquement l'apport de ces femmes et de ces hommes qui effectueront le choix de donner de leur temps, de leur énergie, de leur motivation à la défense du pays. Cette journée peut également être un instrument d'information sur l'existence même et le contenu de la réserve.
Dans le même esprit, je voudrais vous faire, monsieur le ministre, deux suggestions qui me semblent plus du ressort de la politique gouvernementale que du contenu de la loi.
Je souhaite en premier lieu la création d'un observatoire de la réserve, dépendant du ministère de la défense et réunissant des associations de réservistes, des associations de jeunes et des élus locaux. Cette institution examinerait les enseignements que nous pourrons tirer de la mise en place de cette nouvelle organisation et réfléchirait à ses évolutions futures, qui sont inéluctables.
Je souhaite par ailleurs que le Gouvernement, dans le souci d'une meilleure information de la représentation parlementaire, adresse chaque année, à tous les sénateurs, à tous les députés, un rapport sur l'état et l'utilisation de la réserve.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Bertrand Delanoë. Ce peut être à l'occasion du débat budgétaire ou à un autre moment. Mais je crois que, sur le plan du principe, il est très important que l'ensemble de la représentation parlementaire puisse être informée des constatations et du bilan que vous faites de la mise en place des réserves.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Bertrand Delanoë. J'en termine, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, par une remarque d'ordre général.
Si je n'ai jamais contesté la nécessité de moderniser et d'adapter nos forces armées, j'ai nourri et exprimé quelques interrogations sur l'appréciation du contexte stratégique qui a présidé à la réorganisation de notre défense, notamment sur la disparition proclamée des menaces.
Par ailleurs, une des priorités définies en 1996 m'a paru exagérément calquée sur le concept américain de projection. Cette culture de la défense comprenant, en outre, les notions de guerre propre, de zéro mort, du « tout » technologique censé résoudre tous les problèmes n'est pas la nôtre. J'ai même l'impression que l'expérience en montre les limites.
C'est pourquoi, au moment où nous allons adopter un projet de loi très important dans un consensus que je juge utile pour nos forces armées et pour l'évolution du travail que nous avons les uns et les autres à faire, je veux simplement rappeler ma conviction que la défense du territoire national, de l'Europe et de ses valeurs est bien et restera la priorité absolue de notre défense pour les décennies à venir. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté porte sur l'organisation de la réserve militaire et du service de défense. Il s'inscrit dans un ensemble contraignant sur le plan législatif, financier et social.
Sur le plan législatif, ce projet de loi complète et prolonge ce qui a été mis en chantier par le précédent gouvernement. Vous devez, monsieur le ministre, vous adapter à des textes et à une situation qui s'impose à vous, dont vous n'êtes pas à l'origine. Votre marge de manoeuvre est donc étroite.
Vos choix sont en grande partie conditionnés par la professionnalisation des armées, qui se concrétise, et par la suppression du service national programmé pour 2002.
Bien que cela ne soit plus d'actualité, je continue à penser que cette suppression apparaîtra dans l'avenir comme une erreur,...
M. Jean-Luc Bécart. Très bien !
M. André Rouvière. ... que je ne vous impute d'ailleurs pas, monsieur le ministre.
La réserve militaire apparaît ainsi comme une conséquence, comme l'aboutissement des deux lois que je viens d'évoquer : professionnalisation des armées et disparition du service national.
Sa vocation est donc double : compléter et remplacer, il lui faut compléter l'armée professionnelle et remplacer le service national.
C'est ainsi que les deux types de réserve ont pour vocation le soutien des forces armées, le maintien de l'ordre, la protection des populations et le maintien du lien armée-nation. Cette dernière mission est essentielle, car l'un des dangers d'une armée de métier est qu'elle se coupe de l'ensemble des citoyens.
La réserve sera-t-elle suffisante pour renforcer et maintenir ce lien entre la nation et son armée ? Je n'en suis pas totalement convaincu. La réserve, sous ses deux aspects, ne concernera qu'un nombre limité de volontaires. Certes, il y a la journée d'appel de préparation à la défense, mais je pense que d'autres actions devront être imaginées et mises en place pour perpétuer et renforcer le lien armée-nation.
Monsieur le ministre, en aurez-vous les moyens financiers ? La loi de programmation militaire limite forcément les initiatives que vous pourriez nous proposer en plus de ce présent projet de loi portant organisation de la réserve militaire.
Au demeurant, je m'interroge déjà sur le financement de l'équipement, du matériel et des locaux nécessaires aux réserves. Monsieur le ministre, l'importance des réserves, si j'ai bien compris, variera en fonction des circonstances et des besoins, sans pouvoir dépasser un certain plafond. Toutefois, le matériel de transport, les armements et les logements indispensables devront être disponibles en permanence. Le seront-t-ils pour les deux réserves ou uniquement pour la réserve qui sera opérationnelle ? Par ailleurs, cette réserve comprendra-t-elle un quota de femmes ?
M. Hubert Haenel. Il y aura des femmes, bien sûr !
M. André Rouvière. Elle sera bien évidemment mixte, mais y aura-t-il un quota ?
Le coût de la maintenance des matériels, armements et logements que je viens d'évoquer est-il évalué, monsieur le ministre ?
Les contraintes législatives et financières ne sont pas les seules.
Votre projet de loi traite des questions liées à l'emploi. Cet aspect d'ordre social n'est pas secondaire. Vous prévoyez des garanties permettant aux réservistes de s'absenter, avec l'accord de leur employeur, et de retrouver leur travail sans perdre les avantages qui y sont liés, notamment les possibilités d'avancement.
En théorie, c'est très bien. Vous prévoyez même des conventions à passer avec les employeurs. Mais, dans la réalité, je crains que la multiplication actuelle des contrats à durée déterminée n'empêche les volontaires potentiels d'exprimer leur désir d'être réservistes.
La loi, je le sais, ne permet pas à l'employeur de licencier un de ses salariés au motif qu'il est réserviste. Toutefois l'employeur pourra toujours préférer renouveler le contrat d'un non-réserviste théoriquement plus présent. Monsieur le ministre, si cette crainte se concrétisait, pourquoi ne pas envisager alors pour les grandes entreprises un quota minimal de réservistes, comme cela se fait pour les handicapés ?
M. Jacques Legendre. Quel rapprochement !
M. André Rouvière. Les entreprises participeraient ainsi obligatoirement à l'effort de défense. Je sais que ce n'est pas dans l'esprit du texte, mais la réalité nous amènera peut-être à revoir ce problème de volontariat des entreprises. Le lien armée-nation s'en trouverait, à mon sens, renforcé.
Chacun reconnaîtra le souci exemplaire du Gouvernement de traiter de façon réaliste les questions sociales : protection de l'emploi, protection sociale proprement dite, protection des RMIstes.
Monsieur le ministre, l'article 40 précise que sont également exclus du montant des ressources servant au calcul de l'allocation les soldes, accessoires et primes mentionnés à l'article 20 de la loi portant organisation de la réserve militaire et du service de défense. Cet article ainsi libellé permettra-t-il aux réservistes bénéficiant du RMI de conserver leur allocation, sans que celle-ci soit diminuée de la solde ou des primes attachées à la situation de réserviste ? Cette mesure positive témoigne d'une préoccupation sociale qui vous honore, monsieur le ministre, et que je salue.
Votre projet de loi est marqué par une souplesse pragmatique qui vous permet de proposer des solutions concrètes, réalistes et susceptibles de satisfaire celles et ceux qui veulent concilier les impératifs d'une armée professionnelle moderne avec les exigences légitimes d'une société en quête de plus de sécurité et de protection. C'est donc sans l'ombre d'une hésitation, monsieur le ministre, que je voterai votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le présent projet de loi constitue - cela a été dit, bien sûr - le dernier volet de la réforme de notre outil de défense, réforme centrée sur la professionnalisation complète de nos forces armées d'ici à 2002. Comme vous le savez, monsieur le ministre, nous n'étions pas convaincus - et nous ne le sommes toujours pas - du bien-fondé de cette professionnalisation.
La réforme a été annoncée au pas de charge par le Président de la République en février 1996, dans les conditions que l'on sait. Sans revenir longuement sur ce point, certes crucial mais, hélas ! acquis, je souhaiterais rappeler que mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même avions souhaité que la modernisation du service national, plutôt que sa suppression, soit mise en oeuvre en vue de l'adapter aux conditions d'aujourd'hui - l'ancien service national était en effet en partie discrédité, faute de moyens et, surtout, faute d'avoir été aménagé à temps - en faisant en sorte de ne plus retenir pendant un an ou dix mois des jeunes hors de la vie civile, mais en donnant aussi à chaque jeune citoyen une formation civique et militaire de base, prolongée dans sa dimension sociale pour les jeunes issus de milieux défavorisés ou de l'immigration.
Je sais bien que l'exploration et l'achèvement d'un tel chantier n'étaient pas choses aisées, d'autant que l'annonce, en février 1996, par le Président de la République, de la prochaine disparition du service national obligatoire avait trouvé rapidement un écho important et que cette suppression ainsi annoncée avait été ressentie par bon nombre de jeunes comme un fait acquis et irrévocable.
Avec le recul, nous continuons de penser que tout cela est bien dommage et qu'à côté d'une professionnalisation de bon nombre d'unités, ce que nous comprenons fort bien, il pouvait exister complémentairement des unités accueillant des jeunes pour cette formation civique et militaire courte et, à notre avis, utile pour les jeunes eux-mêmes, bien sûr, mais aussi pour la cohésion nationale et pour la liaison entre les forces armées et les citoyens français.
Cela dit, ce dernier volet arrive peut être un peu tardivement, même si votre ministère n'avait pas attendu pour introduire, ici et là, des changements dans la gestion des réserves qui ont bien besoin d'un « coup de jeunesse ».
La réserve dite « de masse » d'aujourd'hui est devenue, pour l'essentiel, virtuelle et démunie de moyens et de doctrines. Il fallait - et c'est l'un des mérites de votre projet de loi - sortir de la décrépitude actuelle.
Il n'est pas inutile de rappeler que l'armée britannique, si souvent prise comme référence, dépense aujourd'hui pour ses réserves trente fois plus que l'armée française et qu'elle dispose de 250 000 réservistes, que les Etats-Unis en comptent plus de 1 500 000 et l'Allemagne 350 000.
Je rapproche ces chiffres de l'effectif de 50 000 retenu pour la réserve opérationnelle des trois armées et le service de santé pour considérer que ce qui est prévu dans ce projet de loi n'est qu'une étape avant d'aller un peu plus loin. Ai-je tort de le penser, monsieur le ministre ?
On peut encore noter le cas des Pays-Bas, dont l'armée de terre dispose de 45 000 réservistes, à comparer avec les 30 000 dont pourra disposer notre force terrestre.
Certes, notre pays a vu disparaître les menaces militaires immédiates et clairement identifiées. Certes, il est possible, de ce fait, de réduire le format de nos forces armées immédiatement et en permanence disponibles, mais, le monde restant instable, imprévisible et donc dangereux, cette réduction devrait s'accompagner d'un renforcement du rôle de nos réserves tant dans le domaine de l'opérationnel - c'est l'un des buts du présent projet de loi, qui tend à dissiper le flou qui entourait les réserves actuelles - que dans celui du lien armée-nation. Dans ce dernier domaine, il reste beaucoup à faire ! Cela me fait dire, une nouvelle fois, que ce projet de loi ne devrait être qu'une étape.
La professionnalisation privera nos forces armées du contact qu'elles avaient jusqu'alors, certes de plus en plus imparfaitement, avec la majeure partie de la jeunesse de notre pays.
Les réserves auront, avec l'enseignement civique et militaire, un rôle essentiel à jouer dans le maintien de l'esprit de défense et d'un niveau suffisant de conscience civique.
S'agissant de l'accès aux nouvelles préparations militaires, je souhaite qu'elles soient largement ouvertes et, en tous les cas, au-delà des besoins de recrutement, car je suis de ceux qui pensent qu'il serait bon que les jeunes qui seront amenés à exercer des postes à responsabilité dans les différents domaines de la vie du pays puissent suivre une préparation militaire.
Je voudrais souligner ici le bon niveau de concertation qui a présidé à l'élaboration de votre projet, notamment au sein du Conseil supérieur d'études des réserves créé en avril 1998 autour des associations de réservistes. De cette concertation que vous avez voulue, monsieur le ministre, s'est dégagé nombre de bonnes dispositions, qui constituent ce qu'on peut appeler la création d'un véritable statut du réserviste, lequel correspond, mieux que par le passé, à la valorisation nécessaire du sens civique démontré par le réserviste.
Les crédits consacrés aux réserves passeraient de 240 millions de francs en 1997 à 584 millions de francs en 2002. C'est la preuve que l'entretien de nos réserves, même après l'important coup de pouce induit par le projet de loi, ne coûte pas cher, et que cela peut même être rentable pour contribuer à conserver dans notre pays une prise de conscience civique et l'idée d'un besoin de défense suffisante, qui n'a pas de prix. Il doit donc s'agir d'une première montée en puissance qui en appelle d'autres.
Il est vrai que l'équilibre institué par le projet de loi entre les garanties sociales et financières accordées aux réservistes et les intérêts des employeurs aurait pu comporter des contreparties, notamment fiscales, pour encourager les entreprises à maintenir le salaire du réserviste pendant sa période de service.
Plusieurs de nos collègues ont évoqué ce point en commission et ils ont eu raison.
Au total, monsieur le ministre, en approuvant le volet technique de votre projet de loi et en lui rendant hommage pour les progrès qu'il induit, mes collègues et moimême maintenons notre défiance à l'égard d'une réforme lancée par le Président de la République, M. Chirac, tout en reconnaissant au Gouvernement ses efforts pour en limiter les aspects négatifs.
M. Xavier de Villepin, président de la commission. C'est subtil ! (Sourires.)
C'est dans cet esprit que, partagés entre deux sentiments, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, je souhaite apporter un certain nombre de compléments ou de réponses aux observations présentées.
Sans en être surpris, parce que je m'y attendais, je salue la grande pertinence et le haut niveau d'information de toutes les interventions. En outre, je me félicite du climat de convergence et de volonté constructive qui règne de toute part.
Puisque Jean-Luc Bécart vient d'évoquer cette question à différents stades de son intervention, reconnaissons que ce volet se situe bien en effet dans la cohérence d'une réforme en profondeur de notre système de défense, fondée sur la professionnalisation. On peut tout à fait émettre des réserves ou exprimer des préoccupations par rapport à cette réforme.
Je relèverai toutefois un propos, sans doute sympathique mais pas tout à fait exact, de mon ami André Rouvière : si je partageais le sentiment que cette politique est une erreur, je ne concourrais pas à l'accomplir !
Cette politique est donc en marche.
Ma conviction profonde - je crois qu'elle gagnera nombre d'entre vous - est que les situations de conflit, les situations de tension que nous connaissons et qui mettent en jeu, ainsi que le disait M. Bertrand Delanoë, la crédibilité, la capacité de l'influence de l'Europe démontreront, chemin faisant, que cette réforme est cohérente et qu'elle vise à renforcer l'influence de notre pays.
Vous avez été nombreux à soulever la question des moyens matériels.
Je le répète, vous envisageons que nos crédits atteignent 580 millions de francs en 2002. Une part appréciable de cette progression a déjà été réalisée : 20 millions de francs supplémentaires ont été inscrits en 1998, auxquels s'ajouteront 40 millions de francs en 1999. Une nouvelle étape sera franchie en 2000 ; elle est en préparation au sein du Gouvernement. Les conditions sont donc réunies pour que nous atteignions bien notre objectif en 2002.
L'effectif envisagé pour la réserve est-il suffisant - la question a été évoquée par M. Bécart - comparé à ce qu'il est aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ?
Il faut être attentif à la manière dont on établit la comparaison.
En effet, les missions confiées aux réservistes dans les trois pays ne sont pas identiques ; elles sont beaucoup plus larges aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Ainsi, certaines des missions qui, en France, vont rester de la responsabilité de l'armée d'active sont, en Grande-Bretagne, confiées à des réservistes ; il est donc logique que leur nombre y soit plus élevé.
Par ailleurs, je voudrais mettre M. Bécart en garde contre le fait de ne compter que les 50 000 réservistes hors gendarmerie. Les 50 000 réservistes de la première réserve gendarmerie assurent bien une mission de préservation et de protection de notre territoire, mission à laquelle il est légitimement attaché.
D'une façon plus générale - je reviens sur une observation du président de Villepin - nous examinons comment les pays qui en ont déjà l'expérience - les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et un certain nombre d'autres, qui conduisent des expériences originales, notamment en ce qui concerne l'insertion professionnelle des réservistes - emploient les réserves. Les uns et les autres font évoluer leurs concepts.
En tout cas, l'un des domaines dans lesquels cette observation nous a déjà fait beaucoup progresser, en particulier à l'occasion du conflit bosniaque, est celui de ce que l'on appelle le civilo-militaire, qui recouvre la relation entre le soutien institutionnel apporté à un pays, les activités de substitution lorsqu'un Etat se trouve privé d'infrastructures, et la contribution fournie par les réservistes.
Il est vraisemblable, d'ailleurs - comme j'ai eu l'occasion de le dire lors d'une séance de questions à l'Assemblée nationale - que la phase du conflit du Kosovo actuellement en préparation, c'est-à-dire la mise en place d'une administration internationale accompagnée d'une force militaire veillant à sa mise en application, comportera un volet civilo-militaire important. Ce sera pour nous l'occasion de tester cette nouvelle organisation.
A ce propos, certains ont évoqué le manque de souffle du projet de loi, ce que je conteste.
M. Plasait a fait référence à un concept qui avait été évoquée voilà quelque temps par M. Guy Teissier dans son rapport, à savoir celui de « réserve hautement disponible ».
Nous avons envisagé cette possibilité, mais se pose alors un problème : cette formule, telle que l'avait envisagé M. Guy Teissier, serait de fait peu compatible avec la vie professionnelle, sauf à anticiper fougueusement sur la réduction du temps de travail, ce qui serait original dans sa famille politique. (Sourires.)
Cela relève d'un choix citoyen et, de ce point de vue, je rejoins la recommandation de M. le rapporteur quant à la dénomination. Si l'on veut instaurer un rapport citoyen entre la réserve et la société, les activités de réserve doivent être réellement compatibles avec la vie professionnelle. Cette option ne nous a donc pas semblé réaliste.
Pour établir cette relation, M. Delanoë propose la création d'un observatoire de la réserve associant non seulement les associations de réservistes mais également des partenaires extérieurs. Il a notamment évoqué les associations de jeunesse avec lesquelles nous travaillons régulièrement, au sein de la commission armées-jeunesse. Cette proposition me paraît bonne. Nous avons commencé à y réfléchir de manière à disposer d'un lieu d'échange, d'un lieu d'analyses qui nous permette d'évaluer le niveau de disponibilité volontaire pour la réserve dans notre société.
Cela me conduit à poser la question de l'information.
Il s'agit de susciter la motivation pour le volontariat, sujet qui a été évoqué par plusieurs orateurs, en particulier par M. le président de la commission. Nous y réfléchissons.
M. Jean-Pierre Masseret a déjà consacré beaucoup de temps au travail préparé au sein de la direction de la communication de la défense pour familiariser nos concitoyens avec la nouvelle réserve. En ce sens, nous serons intéressés par l'amendement instituant une journée nationale des réservistes, défendu par M. Bertrand Delanoë.
Nous devons disposer d'un large éventail de moyens pour populariser la réserve, en particulier pour y intéresser les jeunes.
Sur ce point, je rejoins M. le président de la commission : je n'ai aucune inquiétude sur le potentiel d'engagement, de dévouement et d'intérêt pour la défense qui existe dans la société française, ce qui nous permettra, à mon avis aisément, dans de bonnes conditions de qualité, et de totale mixité naturellement, monsieur Rouvière, d'obtenir les effectifs que nous recherchons.
C'est sûrement vrai pour les emplois d'officier et de sous-officier ; cela va moins de soi pour les effectifs de militaires du rang. C'est donc en direction des plus jeunes que nous devons diriger notre effort d'information. Pour susciter les vocations des réservistes militaires du rang correspondant à nos besoins, c'est essentiellement à travers la filière « appel de préparation à la défense » et « préparation militaire », tournée vers les jeunes, que nous pouvons obtenir les meilleurs résultats.
Des questions particulières ont été posées sur certains services et certaines armes.
S'agissant du service de santé, nous avons clairement besoin des réservistes pour assurer l'ensemble des nouvelles fonctions du service. Nous le savons puisque, par définition, il fonctionnait grâce à un très fort apport de moyens humains qualifiés venant de la conscription.
Les effectifs que nous cherchons sont de l'ordre de 1 400 personnels médicaux et de 2 800 personnels paramédicaux, pour un vivier de professionnels potentiellement volontaires qui représente cent fois ces chiffres.
Compte tenu de l'intérêt professionnel qui est reconnu au service de santé, de sa très forte réputation dans les milieux médicaux, compte tenu des conditions très concrètes des emplois proposés, du savoir-faire médical exigé, la motivation d'une proportion suffisante de médecins des diverses spécialités et de personnels infirmiers paramédicaux paraît d'ores et déjà acquise.
M. Hubert Haenel, pour sa part, a présenté de façon détaillée une analyse, à laquelle je souscris entièrement, des missions et des moyens de la réserve dans la gendarmerie. Je partage en particulier sa vision, fondée sur l'expérience, de la relation entre l'armée d'active et la réserve.
Je répondrai tout d'abord à sa question sur les effectifs déjà constitués dans les unités de réserve.
Nous en sommes parvenus, je le rappelle, presque à mi-chemin du processus de transition. Nous sommes donc plutôt des bons élèves puisque nous avons atteint en gros la moitié de l'objectif. C'est ainsi que, sur l'objectif de 331 pelotons, environ un tiers ont été constitués dans les groupements. Mieux encore, près des deux tiers - environ 80 - des 121 escadrons de gendarmerie mobile prévus ont été formés. J'ai d'ailleurs assisté, récemment, en compagnie du rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, M. Michel Dasseux, à une manoeuvre d'un de ces escadrons de réservistes en Dordogne.
La mise en place des futures unités est déjà bien avancée.
M. Hubert Haenel m'a également interrogé sur l'approche du Gouvernement quant à la modification des rapports entre la police nationale et la gendarmerie nationale.
Le Premier ministre a déjà évoqué les points sur lesquels le Gouvernement, sur ma proposition, envisagerait des perfectionnements, des améliorations dans un certain nombre de dispositifs de travail de la gendarmerie nationale...
M. Hubert Haenel. Cela, c'est normal !
M. Alain Richard, ministre de la défense. ...qui peuvent se justifier à la suite d'un dysfonctionnement très spécifique qui a été identifié en Corse.
Mais cette question n'est pas à l'ordre du jour.
Chacun perçoit la richesse de cette dualité qu'expriment les fonctions mixtes de la gendarmerie et qui donne une très grande liberté de détermination, à la fois, au pouvoir exécutif - pour les fonctions de sécurité publique et de maintien de l'ordre - et au pouvoir judiciaire dans la conduite de ses enquêtes.
Pour conclure, je dirai que ce débat sur la réserve nous a permis d'explorer bien des thèmes relatifs à l'évolution de notre défense.
Si la réorganisation de notre défense est encore en phase transitoire, les personnels d'active adhèrent à cette réforme et y contribuent avec efficacité.
Les appelés, qui sont encore indispensables à la vie de nos armées, se comportent aujourd'hui en collaborateurs efficaces et dévoués de la défense. Il faut leur en rendre hommage.
Nos concitoyens, qui comprennent cette réforme, me paraissent prêts à jouer sur le plan moral leur rôle de partenaires de la défense du pays.
La réserve me semble constituer un élément synthétique de nature à assurer la clé de voûte de cette nouvelle cohérence. Je pense que l'adoption du projet de loi auquel nous travaillons maintenant constituera un élément tout à fait utile ce nouvel édifice. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

LA RÉSERVE MILITAIRE

Chapitre Ier

Dispositions générales

Section 1

Dispositions communes

Article 1er