Séance du 20 mai 1999
ORGANISATION DE LA RÉSERVE MILITAIRE
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 171, 1998-1999)
portant organisation de la réserve militaire et du service de défense.
[(Rapport n° 355), 1998-1999]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, le Gouvernement vous soumet aujourd'hui un projet de loi portant
organisation de la réserve militaire et du service de défense. Ce texte marque
une étape importante dans notre réforme militaire.
A l'heure où des militaires français, auxquels je rends ici hommage, oeuvrent
avec détermination, courage et professionnalisme dans les Balkans, ce texte
nous rappelle aussi que nos débats publics, nos choix ont des conséquences
directes sur l'efficacité de nos forces armées au combat et, par conséquent,
sur la capacité de la France à assumer sa place dans le monde.
Ce projet constitue, dans la continuité de la loi de programmation militaire
pour les années 1997-2002, de la loi d'accompagnement de la
professionnalisation et de la loi portant réforme du service national, le
dernier volet législatif nécessaire à la réforme globale de notre défense
nationale.
Il conférera aux pouvoirs publics une capacité accrue et une plus grande
souplesse d'utilisation de nos moyens militaires, pour faire face aux
engagements que nous prenons et auxquels nous avons ensuite le devoir de nous
tenir.
Il permettra ainsi aux forces armées de disposer d'une réserve d'emploi
totalement intégrée aux forces d'active professionnelles, apte à remplir les
mêmes missions.
Il poursuit, dans le même temps, la traduction concrète de notre volonté de
renforcer le lien qui unit la nation à son armée.
Il pérennise enfin la possibilité, pour l'Etat, d'assurer en toutes
circonstances le fonctionnement régulier des services dont dépend la vie de la
nation.
Le texte que vous allez examiner est un projet global et cohérent, qui prend
en compte les intérêts de chacun. Il conforte les réservistes dans leur rôle de
lien essentiel entre la défense et la société. Il leur assure un statut social.
Il fonde les relations entre la défense et l'entreprise sur un partenariat de
long terme, modernisé.
Ses dispositions sont le fruit d'une concertation large et méthodique. Il a en
effet paru à la fois légitime et efficace au Gouvernement de rechercher, dès la
phase d'élaboration du projet de loi, le consensus le plus large.
Les réserves telles que nous les avons connues étaient adaptées à
l'environnement stratégique qui était le nôtre. Elles ont rempli avec
dévouement leurs missions et ont droit, à ce titre, à la reconnaissance du
pays.
C'est l'évolution même de ce contexte qui nous a conduits à réformer en
profondeur notre défense : le choix de professionnaliser nos forces a ainsi été
fait, et l'appel sous les drapeaux a été progressivement suspendu. L'adaptation
de notre dispositif de réserve, en cohérence avec nos choix de défense, en
constitue l'achèvement.
Le texte qui vous est aujourd'hui soumis permettra de constituer une réserve
d'emploi, pleinement intégrée aux forces d'active, comprenant, au terme de la
loi de programmation, 100 000 hommes, dont 50 000 gendarmes. Cette réserve
constitue la première réserve.
Militaires d'active et de réserve seront appelés à exécuter les mêmes
missions, dans le cadre d'un même et unique concept d'emploi. Ces réservistes
formeront ainsi le complément indispensable, en nombre mais aussi en
qualification, dont nos forces armées ont besoin pour assurer les missions que
les pouvoirs publics ont décidé de leur confier.
Je voudrais présenter devant vous quelques cas concrets d'emploi des
réservistes.
La gendarmerie nationale disposera, par exemple, de 50 000 réservistes, soit
la moitié du total.
En gendarmerie territoriale, ces réservistes renforceront les capacités des
brigades, des PSIG - pelotons de surveillance et d'intervention de la
gendarmerie - et des structures départementales de commandement. Le recours
pourra avoir lieu lors d'événements prévisibles de grande ampleur ou de
calamités mais aussi pour des actions de prévention comme la sécurisation des
transports publics ou la prévention routière.
En gendarmerie mobile, des escadrons et des pelotons seront constitués,
susceptibles d'être engagés en tout point du territoire en renfort de l'active,
par exemple dans des missions de sécurisation des zones sensibles.
Dans ce même domaine de la sécurité publique et de la protection du
territoire, auquel, je le sais, le Sénat porte un grand intérêt, des
réservistes des forces armées seront affectés au renforcement des cellules au
sein des états-majors civils de département et de zone, ainsi qu'à celui des
cellules du réseau national d'alerte. Cela s'inscrit pleinement dans la volonté
du Gouvernement d'unir les compétences du ministère de l'intérieur et du
ministère de la défense dans ce domaine.
L'armée de terre comptera, quant à elle, 30 000 réservistes. La présence d'une
unité de réserve dans chaque régiment de combat est la traduction concrète de
l'intégration dans l'active. Appelés individuellement ou collectivement, ces
réservistes constitueront de véritables unités de combat, entraînées, disposant
du même équipement que les unités d'active, aptes à participer à toutes les
missions du régiment, y compris à l'extérieur.
La marine comptera 6 500 réservistes et l'armée de l'air 8 000. Ces
réservistes apporteront leur concours dans la protection des ports, des bases
et des installations sensibles. Aptes également à renforcer les états-majors,
ils pourront contribuer activement au soutien des forces navales et
aériennes.
En outre, 7 000 réservistes du service de santé assureront le remplacement ou
le renfort du personnel technique d'active des hôpitaux des armées, ainsi que
la constitution de formations sanitaires de chaque armée.
Enfin, 500 réservistes du service des essences renforceront les tâches de
soutien pétrolier des unités, dont nous vérifions aujourd'hui, en projection,
le caractère indispensable.
Par une présence effective et efficace, par leur rayonnement propre dans leur
vie civile, professionnelle et associative, tous ces réservistes contribueront
aussi aux actions menées par leur armée au profit du lien entre l'armée et la
nation. Ils participeront également à l'encadrement des journées d'appel de
préparation à la défense et des préparations militaires.
Dans le cadre des actions dites « civilo-militaires », qui devraient
connaître, à la lumière des crises récentes ou en cours, des développements
importants, des spécialistes pourront être recrutés et utilisés avec une pleine
efficacité au profit direct des forces armées ou dans le cadre de la résolution
des crises. Ce sera une autre application précieuse du système des réserves.
L'un de nos soucis constants dans l'élaboration de ce projet de loi a été
d'assurer le renouvellement du lien qui unit la nation à son armée.
La loi portant réforme du service national a été la première traduction
législative de cette volonté. Elle institue un parcours d'apprentissage de la
citoyenneté, universel, équilibrant obligations et possibilités de choix.
L'enseignement de défense à l'école, le recensement et l'appel de préparation
à la défense sont ainsi désormais inscrits dans le processus républicain qui
fait, des adolescents, des citoyens conscients de leurs devoirs et de leurs
responsabilités. L'accès aux préparations militaires, au volontariat dans les
forces armées et, bien sûr, à la réserve constituent autant d'espaces laissés à
la prise de responsabilité de chacune et de chacun.
Dans ce même esprit, le projet de loi qui vous est soumis va plus loin qu'une
adaptation technique de nos forces et de leurs moyens, pour importante qu'elle
soit. Dans l'échange permanent et responsable que nous voulons entretenir entre
la société et sa défense, il assure une place pleine et entière aux réservistes
et à leurs associations reconnues.
Ainsi, aux côtés des forces armées et de la première réserve, une seconde
réserve, plus nombreuse, présentant la même diversité que la première, oeuvrera
au profit de la diffusion de l'esprit de défense. Elle permet une relation
essentielle entre les forces armées et la société dont elles sont issues.
Formée de réservistes non affectés et de réservistes honoraires, elle
participera aux activités organisées pour contribuer au renforcement du lien
entre l'armée et la nation, que ce soit à titre individuel ou dans un cadre
associatif.
La priorité que nous accordons aux actions en faveur du lien armée-nation a
été reconnue dans l'organisation même du ministère. M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants, a ainsi vu
s'ajouter à ses premiers domaines d'attribution tout ce qui vise au
renforcement de cette relation et qui s'inscrit dans notre longue histoire. Il
exerce ainsi ses responsabilités auprès de moi, dans les domaines du service
national universel, de la réserve militaire et de ce lien entre la nation et
son armée. Cela renforce la cohérence de l'action du Gouvernement dans ce
domaine qui touche aux fondements de la cohésion nationale. C'est d'ailleurs à
ce titre que je demanderai à M. Jean-Pierre Masseret de soutenir la discussion
des articles.
L'un des défis majeurs qui se présentent à nous est d'intéresser les jeunes
Françaises et les jeunes Français aux questions de défense, éventuellement de
leur permettre d'intégrer la réserve sur la base d'un choix personnel et
raisonné. En effet, cette réserve se recrutera sur la base de l'adhésion
volontaire de nos concitoyens.
Parce que la réserve contribue au renforcement du lien armée-nation, le
Gouvernement a souhaité qu'il n'y ait aucune exclusive liée à une expérience
militaire préalable.
Outre l'aptitude, ne sont requis qu'un âge minimum - dix-huit ans - la
satisfaction aux obligations du service national et un profil judiciaire
adapté.
Certains spécialistes reconnus dans leur activité civile pourront se voir
conférer, sous certaines conditions, le grade attaché à leur niveau de
technicité. Chaque Français pourra ainsi, à un moment de sa vie, décider de
participer, sous une forme qu'il aura choisie, à la défense du pays.
Les réservistes sont souvent très impliqués dans une vie sociale,
professionnelle ou associative prenante.
En fonction des convenances personnelles, le projet de loi permet à chaque
citoyen de quitter la première réserve pour rejoindre la seconde, et, selon les
besoins des armées, de revenir dans la première, dès lors qu'il en réunit les
conditions, et qu'il le souhaite.
Pour compléter les effectifs de la première réserve, qui peuvent ne pas
atteindre complètement l'objectif dès les premières années, le projet de loi
dispose que les anciens militaires ou volontaires quittant le service actif
sont soumis, pour leur part, à une obligation de disponibilité. Cette
obligation est volontairement allégée pour ne pas pénaliser la reconversion des
anciens militaires, mais elle permettra aux forces d'être assurées de pouvoir
remplir l'intégralité de leurs missions. Les disponibles, à l'instar de tous
les Français, ont, par ailleurs, évidemment la possibilité d'exercer, de leur
propre choix, des activités dans la première ou dans la seconde réserve.
Nous quittons donc définitivement une logique de réserve de masse pour adopter
une logique de réserve d'emploi, partie intégrante de l'armée professionnelle.
Cette logique impose de nombreuses exigences, notamment celle d'assurer un
niveau suffisant de disponibilité des réservistes et, symétriquement, un statut
social satisfaisant. Il était donc nécessaire, dans cette optique, que la loi
établisse des relations modernes et contractuelles entre le réserviste et son
employeur, en inscrivant dans le code du travail les dispositions
nécessaires.
Désormais, l'appartenance à la réserve ne peut en aucun cas devenir un motif
de licenciement. Si le contrat de travail est ainsi suspendu, les périodes
d'activité sont considérées comme du travail effectif chez l'employeur pour
l'estimation des droits sociaux tels que l'avancement, les primes et avantages
liés à l'ancienneté, les congés payés ou le droit aux prestations sociales. Le
projet de loi garantit, de plus, pendant les périodes actives, une rémunération
et une protection sociale alignées sur celles des militaires professionnels.
En effet, pendant ses périodes d'activité, le réserviste est un militaire à
part entière. Il perçoit une solde et des indemnités identiques à celles des
militaires d'active placés dans la même situation. Maintenu dans son système de
protection sociale habituel, le réserviste bénéficie aussi des soins gratuits
du service de santé des armées et de la couverture offerte par le code des
pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, en cas
d'invalidité résultant de l'activité militaire.
Les conditions de volontariat dans la première réserve sont consignées dans un
engagement. D'une durée de cinq ans renouvelable, cet accord organise les
modalités de convocation pour recevoir une formation ou un entraînement, pour
dispenser un enseignement de défense ou apporter un renfort temporaire aux
forces armées.
Le succès de cette réforme sera assuré parce que les intérêts légitimes de
toutes les parties prenantes sont pris en compte dans ce texte. L'employeur,
public ou privé, est reconnu, lui aussi, comme un partenaire essentiel de la
défense.
Le projet de loi favorise la recherche systématique de conventions prévoyant,
en amont, la disponibilité en respectant non seulement les besoins
opérationnels des armées mais aussi les contraintes de l'employeur. Son
principe de base est donc un partenariat renouvelé entre l'Etat et l'employeur
du réserviste, moyen efficace et moderne d'obtenir l'adhésion de toutes les
parties prenantes à notre système.
Ces accords d'entreprise peuvent contenir des dispositions plus favorables au
réserviste et ainsi déroger aux dispositions du projet de loi. Ces dernières
prévoient un délai pour prévenir l'employeur d'un mois pour les activités
militaires ne dépassant pas cinq jours ouvrables par an et exigent son accord,
après un délai de prévenance qui a été porté à deux mois, pour les activités
d'une durée supérieure à ces cinq jours.
Le projet de loi vise également à réformer le service de défense. En effet,
l'organisation du service de défense était en partie définie par des
dispositions du code du service national, lesquelles seront suspendues au 1er
janvier 2003. Il était donc nécessaire de lui conférer un nouveau fondement
juridique. Par ailleurs, il convenait de procéder à une adaptation de cette
mission essentielle, en ne conservant que les dispositions relatives à
l'affectation collective de défense.
Ainsi, le projet de loi qui vous est soumis, conformément à l'ordonnance de
1959, permet d'assurer, en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes
les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire ainsi que la
vie de la population. Il le fait en maintenant à leur poste des personnels qui
concourent à la continuité de l'action gouvernementale, à la protection des
populations et à l'accomplissement de tâches vitales pour la nation.
Je sais que cette assemblée porte une attention particulière à ces impératifs
de continuité de fonctionnement des services publics, nationaux et
territoriaux, essentiels à la vie des populations. C'est bien dans cet esprit
que s'inscrira la refonte des dispositions réglementaires relatives au service
de défense, dont le secrétariat général de la défense nationale assure le
chantier et dont le Sénat sera tenu informé.
Il a semblé naturel au Gouvernement d'ouvrir une large concertation lors de
l'élaboration du projet de loi. En effet, ayant des répercussions aussi bien
sur les fondements opérationnels de notre défense que sur la cohésion de notre
société, ce texte ne pouvait se concevoir sans une telle démarche. Il
s'agissait de prendre en compte le plus en amont possible les remarques des
armées, des réservistes eux-mêmes, par le biais de leurs associations et de
leurs employeurs, pour créer les conditions d'un intérêt mutuel. Les
associations de réservistes, groupées maintenant au sein du Conseil supérieur
d'études et des réserves, ont vu l'essentiel de leurs propositions prises en
compte et ont bien voulu, d'ailleurs, en donner acte. Les grandes organisations
d'employeurs ont rappelé leurs contraintes propres et ont pu constater, je
crois, que la légitimité de leurs préoccupations était reconnue.
C'est donc dans un esprit d'ouverture que ce projet de loi a été conçu avant
d'être conclu au sein du Gouvernement et d'être présenté au chef de l'Etat.
Pour conclure, je veux souligner notre volonté de donner à la réserve les
moyens matériels de remplir son rôle. La dimension financière a été prise en
compte dans les travaux d'élaboration et de mise à niveau de la loi de
programmation. Les budgets qui seront soumis à votre approbation au cours des
prochaines années continueront leur progression pour atteindre, en 2002, un
montant d'environ 580 millions de francs, en augmentation de 140 % par rapport
à 1996.
Une nouvelle répartition des crédits permettra d'assurer la cohérence avec les
missions et l'emploi des réservistes. Par ailleurs, les réserves seront
désormais dotées des mêmes équipements que l'armée d'active, mettant fin à une
situation dont chacun s'accorde à reconnaître qu'elle est désuète. Cette
réforme est, dans ce domaine également, partie intégrante de la réforme globale
de notre outil de défense.
Le projet de loi comporte quelques dispositions diverses, en cohérence avec la
professionnalisation et le recrutement de réservistes ; il s'agit de
modifications apportées au statut général des militaires qui permettent la mise
en place du corps des chirurgiens-dentistes et du corps de soutien de la
gendarmerie nationale.
Par ailleurs, la préparation militaire, qui s'inscrit dans le parcours de
citoyenneté, trouve dans ce texte un fondement législatif nouveau.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est aujourd'hui
soumis organise les moyens d'une réserve disponible et efficace au service des
forces armées mais aussi de la nation tout entière, dont elle est un acteur
essentiel de la cohésion.
L'adoption rapide par le Parlement d'un tel texte, qui a fait l'objet d'un
travail collectif approfondi, sera suivie d'une mise en oeuvre concrète et
exemplaire de ses dispositions. Tel est l'objectif du Gouvernement.
Je suis sûr de votre volonté de mener ce débat avec la hauteur de vue qu'il
justifie. C'est donc avec la plus grande confiance que j'ai l'honneur de vous
présenter ce projet de loi.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je sais que vous comprenez que la réforme de la
réserve militaire et du service de défense est aussi le moyen pour la
représentation nationale d'affirmer une nouvelle fois que la défense est
l'affaire de tous.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Serge Vinçon,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux que le
Gouvernement ait décidé de déposer en première lecture, devant le Sénat, le
projet de loi portant organisation de la réserve militaire. Vous connaissez,
monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, l'intérêt de la Haute
Assemblée pour la réserve et le travail accompli par certains de nos collègues
dans ce domaine. Je pense notamment à M. Hubert Haenel, auteur d'un très
remarquable rapport sur le sujet, dont le présent projet de loi s'inspire
d'ailleurs en partie.
L'examen, aujourd'hui, du projet de loi sur les réserves revêt une importance
toute particulière. Il apporte en effet la dernière pierre à l'édifice
législatif qui, en quelques années, sous l'impulsion du Président de la
République, a réformé l'organisation de notre défense pour l'adapter aux
évolutions de notre environnement international.
Dernier volet d'une oeuvre législative de grande ampleur, le projet de loi sur
les réserves constitue aussi le complément indispensable d'une armée
professionnalisée au regard tant de la sécurité de notre pays que de la
pérennité du lien entre les armées et la nation. Tel est le double enjeu de
l'organisation des réserves.
Evoquons la sécurité de la nation, d'abord.
Certes, nous ne sommes plus au temps où le poids du nombre déterminait la
victoire sur les champs de bataille. Le modèle des réserves de masse,
d'ailleurs très largement virtuel, a vécu. Toutefois, à l'heure où les
effectifs des militaires professionnels ont été resserrés, la ressource
supplémentaire procurée par les réservistes représente un élément de souplesse
pour nos armées et une garantie indispensable pour faire face à des événements
imprévisibles.
Le second enjeu touche au lien armées-nation dans le nouveau contexte créé par
la suspension de la conscription. La pérennité de cette relation représente, à
mes yeux, le défi majeur que nous aurons à relever dans les années à venir.
Notre armée doit rester l'armée des Français. Il y va de la légitimité de nos
forces et de leur action sur le territoire national et hors de nos frontières.
Les réserves ont, de ce point de vue, un rôle éminent à jouer.
Ce double enjeu au regard de notre sécurité et du lien armée-nation a conduit
notre commission à examiner le présent projet de loi dans le souci de l'intérêt
supérieur du pays et dans un esprit constructif.
Ce texte, nous l'avons longuement attendu. Trois années en effet auront été
nécessaires à son élaboration. Sans doute, entre temps, la réorganisation des
réserves avait été entreprise par chaque armée et la gendarmerie. Mais cette
réorganisation reposait sur des bases fragiles. D'une part, elle s'appuyait sur
le confort d'une ressource obligée, procurée par la conscription. Or la
suspension de l'appel sous les drapeaux et la disparition des obligations
légales en matière de réserve vont tarir cette ressource. D'autre part, la
réorganisation en cours suppose des hommes et des femmes plus disponibles.
Cette disponibilité ne sera consentie que si le réserviste est assuré de ne pas
en subir les conséquences négatives dans son travail. De ce point de vue, les
garanties reconnues au réserviste apparaissent aujourd'hui très lacunaires.
Le projet de loi, en fixant les nouveaux principes de la composition de la
réserve et en déterminant, pour la première fois, un socle de garanties pour le
réserviste, donne ainsi à la réforme engagée l'assise nécessaire.
Je vous ferai d'abord part de l'appréciation générale que notre commission des
affaires étrangères et de la défense a portée sur ce texte, avant de vous
présenter les principales orientations qui ont guidé nos amendements. Je
conclurai, enfin, par quelques observations sur la mise en oeuvre effective de
réserves opérationnelles.
Quelle appréciation avons-nous portée sur ce texte ?
Dans ses grandes lignes, le présent projet de loi a suscité notre
approbation.
Il s'inscrit dans le cadre des orientations arrêtées par le Président de la
République en 1996. Il s'appuie ainsi sur le nouveau modèle fixé par la loi de
programmation 1997-2002, qui a substitué à une réserve de masse, largement
virtuelle, je le répète, une réserve d'emploi aux effectifs resserrés. Il
reprend d'ailleurs la distinction posée par la loi de programmation entre une
première réserve opérationnelle et limitée à 100 000 hommes, dont 50 000 pour
la gendarmerie, et une deuxième réserve principalement tournée vers le lien
armée-nation.
Le projet de loi cherche, en outre, à satisfaire un double équilibre auquel
nous étions particulièrement attachés. D'une part, un équilibre entre la
valorisation du rôle du volontariat dans la composition des réserves et le
maintien d'un élément d'obligation, afin de mieux garantir la sécurité de la
nation contre les périls. D'autre part, un équilibre entre l'indispensable mise
en place de garanties en faveur du réserviste et la prise en compte des
intérêts de l'employeur, dont l'adhésion est évidemment nécessaire au succès de
la réforme.
Je souhaiterais revenir sur les solutions prévues par le projet de loi pour
concilier ces différentes préoccupations. J'évoquerai d'abord la composition de
la réserve.
Sur quelles nouvelles bases fonder la réserve militaire ?
La suspension du livre II du code du service national à compter du 1er janvier
2003 aura en effet pour conséquence de faire disparaître toute obligation
relative à la réserve. Fallait-il, dès lors, maintenir une obligation générale
pour tous les citoyens d'effectuer des périodes au titre de la réserve sur un
nouveau fondement juridique ? Nous serions alors restés dans le schéma
antérieur marqué par un système obligatoire avec lequel la loi sur le service
national avait souhaité précisément rompre. Le volontariat s'imposait dès lors
comme l'élément fondateur de l'organisation des réserves. Ce modèle,
successivement recommandé par le rapport de M. Haenel et par le rapport de M.
Teissier, s'est d'ailleurs généralisé dans tous les pays qui ont choisi de
professionnaliser leurs armées.
Le projet de loi, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, ouvre la faculté
à tout Français, même dépourvu d'expérience militaire, de souscrire un
engagement pour servir dans la réserve.
Mais le volontariat ne garantit pas que, dans les jours d'épreuve, la réserve
pourra procurer les effectifs suffisants aux armées et à la gendarmerie. C'est
pourquoi il convenait de maintenir dans le nouveau système des réserves, mais
de manière encadrée, un élément d'obligation. En soumettant les anciens
militaires à une obligation de disponibilité dans la limite des cinq années qui
suivent la fin de leur activité dans les armées, le projet de loi répond à
cette préoccupation. En prévoyant que cette obligation ne joue que dans les
seules circonstances exceptionnelles, le texte a posé, de manière justifiée,
des limites au recours à l'obligation.
Le succès de la nouvelle organisation des réserves dépend aussi, à nos yeux,
d'un équilibre satisfaisant entre les intérêts des réservistes et les intérêts
des employeurs. Les intérêts des réservistes d'abord, car sans les garanties
nécessaires en matière sociale et financière, le réserviste ne pourra témoigner
de cette disponibilité que requiert une réserve véritablement opérationnelle.
De ce point de vue, le texte comble un grand vide en assurant au réserviste la
garantie du maintien de l'emploi à l'issue des périodes, le maintien dans le
régime de protection habituel ou encore le droit au code des pensions
militaires.
Toutefois, il est indispensable de tenir compte aussi des intérêts des
employeurs. Comment conduire en effet l'employeur à laisser le salarié
réserviste consacrer une part de son temps aux activités militaires ? Toute
contrainte se révélerait en la matière contestable dans son principe et
contreproductive dans la pratique. Contestable dans son principe, car il serait
paradoxal d'attacher à un acte volontaire du salarié des effets obligatoires
pour les entreprises. Contreproductif, car un cadre contraignant pourrait
dissuader l'embauche des réservistes. Il convient donc de susciter l'adhésion
volontaire des employeurs. Tel est l'esprit du projet de loi qui limite à cinq
jours seulement la durée pendant laquelle le réserviste peut s'absenter de son
travail sans autorisation de l'employeur et qui laisse à l'employeur l'entière
liberté de rémunérer ou non le réserviste pendant ses périodes. Le projet de
loi évoque aussi la possibilité de conventions entre l'employeur et le ministre
de la défense, et souligne ainsi la primauté du cadre contractuel.
Tels sont les équilibres que le projet de loi cherche à satisfaire. Loin de
les remettre en cause, nous avons au contraire souhaité mieux les mettre en
lumière.
J'en viens ainsi aux propositions d'amendements de votre commission, dont je
souhaiterais montrer la cohérence avant que nous procédions à l'examen des
articles.
Lors de nos travaux, nous nous sommes résolument placés dans le cadre général
de la professionnalisation des armées voulue par le Président de la République
et soutenue par la majorité sénatoriale. Mais nous avons eu constamment à
l'esprit une préoccupation majeure, partagée, je crois, sur toutes les travées
de notre assemblée, à savoir la recomposition de la relation entre les forces
armées et la nation.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Serge Vinçon,
rapporteur.
La réserve, qui associe des civils à des activités
militaires, représente en effet l'expression privilégiée de ce lien. Ainsi,
c'est le lien armée-nation qui nous a servi de fil directeur dans les
propositions d'amendements que notre commission vous soumettra.
Ces propositions s'articulent autour de quatre orientations majeures :
d'abord, mieux souligner le rôle de la réserve au sein de notre dispositif de
défense ; ensuite, promouvoir le volontariat ; en outre, valoriser davantage la
deuxième réserve ; enfin, encourager le partenariat avec les entreprises.
Il s'agit, d'abord, de mieux affirmer le rôle de la réserve. Cette priorité
nous a conduits à modifier les dénominations de « première réserve » et de «
deuxième réserve », qui ne disent rien sur le rôle respectif de ces deux
composantes. Nous proposons ainsi les termes de « réserve opérationnelle » pour
la première et de « réserve citoyenne » pour la seconde. Je reviendrai tout à
l'heure plus longuement sur les raisons de ce choix qui, à nos yeux, permet de
mieux définir la vocation propre de ces deux ensembles, en particulier pour nos
concitoyens qui connaissent souvent fort mal la réserve. Tel est en effet le
fruit paradoxal de l'organisation antérieure des réserves, qui posait une
obligation générale pour tous les citoyens mais n'avait d'implications
pratiques que pour un nombre très restreint de personnes vraiment motivées. Or
il est indispensable de rompre avec l'ignorance qui entoure la réserve. Il y va
du développement du volontariat sur lequel s'appuieront les nouvelles réserves.
C'est pourquoi, sur une proposition de M. Bertrand Delanoë, nous avons
également souhaité que soit instituée une journée nationale du réserviste au
cours de laquelle la place du réserviste dans notre société pourrait être mieux
reconnue.
Nous avons, ensuite, estimé indispensable de promouvoir le volontariat qui
constitue sans doute le meilleur garant du lien armée-nation. Nous proposerons
donc de rappeler que la réserve a vocation à être composée avant tout de
volontaires et, en fonction des besoins des armées seulement, d'anciens
militaires soumis à l'obligation de disponibilité. Ce principe étant posé,
comment encourager le volontariat ? D'abord en assouplissant les limites d'âge
et en permettant ainsi aux personnes, en particulier à celles qui peuvent faire
valoir des compétences spécialisées, de souscrire, même après leur mise à la
retraite, un engagement pour servir dans la réserve.
Il était important, par ailleurs, que les missions confiées aux réservistes
soient valorisées. La perspective de participer à des activités hors du
territoire national, comme nous l'avons prévu explicitement, peut contribuer à
cette valorisation.
M. François Trucy.
Excellent !
M. Serge Vinçon,
rapporteur.
De manière plus générale, nous avons eu à coeur d'inscrire la
réserve dans un parcours citoyen qui comporte notamment l'appel de préparation
à la défense et le volontariat militaire. Précisément, nous avons voulu
encourager le volontariat militaire en prévoyant qu'il soit possible de
l'accomplir de manière fractionnée dans la perspective de favoriser, à terme,
le volontariat dans la réserve. En effet, alors même que la suspension de la
conscription risque d'affaiblir au sein des jeunes générations une certaine «
culture militaire », le volontariat militaire offre, pour les jeunes Français,
un contact avec les armées qu'ils auront peut-être le goût de prolonger dans le
cadre d'un engagement dans la réserve.
La troisième orientation des modifications que nous vous proposons touche à la
deuxième réserve, à laquelle le projet de loi ne semble pas donner sa juste
place. Le choix même des termes retenus pour la désigner paraissait la reléguer
à une réserve de deuxième ordre ou de deuxième choix, ce que confirmait
d'ailleurs la disposition du projet de loi aux termes de laquelle cette
composante reçoit les volontaires qui n'ont pas pu accéder à la première
réserve. Or la deuxième réserve a un rôle éminent à jouer au regard du lien
entre la nation et les armées. La nouvelle dénomination que nous proposons, à
savoir « réserve citoyenne », permet de réaffirmer cette vocation.
En outre, nous avons souhaité que l'affectation au sein de la deuxième réserve
puisse résulter d'un choix délibéré du volontaire. En effet, de nombreux
citoyens, compte tenu de leur activité professionnelle, n'ont pas la
disponibilité souhaitable pour participer à la réserve opérationnelle, mais
souhaitent malgré tout apporter une contribution à la défense nationale. Cette
dernière ne doit pas se priver de ces bonnes volontés. Il y a là, en effet, une
mine d'intelligence et de compétences très utile pour les armées. Cette
ouverture apparaît, en outre, comme l'une des conditions de la vitalité du lien
armée-nation.
Enfin, notre quatrième priorité a été d'encourager le partenariat entre la
défense et les entreprises dans l'esprit même du projet de loi. L'adhésion des
entreprises à la mise en oeuvre des dispositions de la future loi sur les
réserves représente le facteur clé de la réussite de la réforme engagée par le
Gouvernement. Comment susciter cette adhésion ? En conférant d'abord à
l'entreprise le rang d'un véritable partenaire de la politique des réserves au
côté des armées, des réservistes et de leurs associations. C'est pourquoi la
commission a souhaité que le rôle des entreprises soit mentionné à l'article
1er du texte. Ainsi, associés à la réussite de la réforme des réserves, les
employeurs doivent aussi être conduits à mieux mesurer leurs responsabilités au
regard de leurs salariés réservistes. Pour la commission, l'effort consenti par
les entreprises qui s'engagent dans cette voie mérite une reconnaissance, même
symbolique, sous la forme de l'attribution, par le ministère de la défense, de
la qualité de « partenaire de la défense ».
Tels sont les principaux axes des modifications proposées qui, de manière très
constructive, je crois, viennent renforcer l'esprit même du texte.
On pourra, peut-être, reprocher au projet de loi de manquer de souffle. Nous
aurions nous-mêmes été tentés d'aller plus loin, en particulier dans la mise en
valeur du volontariat. Mais l'esprit général dans lequel nous avons travaillé
nous a amenés à renoncer à réorganiser entièrement le texte, dont nous aurions
bien sûr préservé les orientations majeures. Nous avons finalement préféré
considérer le projet de loi comme un jalon, certes essentiel, dans la
réorganisation des réserves et, au-delà, comme une première pierre dans le
travail de recomposition du lien armée-nation.
Il reste toutefois de nombreuses questions en suspens, même si les amendements
de la commission tentent d'apporter quelques éléments de réponse à ces sujets
de préoccupation.
J'évoquerai, à cet égard, quatre incertitudes.
La première porte sur le recrutement des volontaires. Ce recrutement
représentera un défi de plus en plus difficile à relever au fur et à mesure que
la culture militaire liée à l'organisation du service national s'affaiblira.
Cette observation montre combien il sera dès lors important de valoriser les
missions qui seront confiées aux réservistes, afin de susciter leur intérêt et
d'encourager ainsi le volontariat. Le problème se pose en particulier pour les
militaires du rang, dont les tâches devront faire l'objet d'une attention
particulière de la part des armées.
Le deuxième sujet de préoccupation porte sur le déficit de communication de la
défense, s'agissant des réserves. Aussi l'un des défis les plus urgents pour le
Gouvernement est-il sans doute de conduire une politique de communication
adaptée pour mieux informer nos concitoyens sur les réserves. Cette politique
pourrait comprendre un volet décentralisé et trouver dans des « clubs réserve
», au niveau du chef-lieu de département, des relais très utiles pour une
meilleure communication sur la réserve. Ces clubs associeraient en effet, outre
les représentants du pouvoir central et les autorités militaires, des membres
de la société civile.
Le troisième sujet de préoccupation porte sur l'attitude des entreprises à
l'égard des réserves. L'adhésion des entreprises à la politique des réserves
représente la condition
sine qua non
de sa réussite. Aujourd'hui, en
effet, 75 % des réservistes actifs sont des salariés du secteur privé. Le
nouveau système demandera des réservistes plus disponibles et supposera, en
conséquence, un effort plus important de la part des entreprises. Un tel effort
peut-il être obtenu par la mise en place de règles contraignantes ? Je ne le
crois pas, et ce n'est d'ailleurs pas l'esprit du projet de loi.
Il faut donc favoriser une politique contractuelle à travers la signature de
nouvelles conventions armées-entreprises et remettre peut-être à jour
l'ensemble des conventions déjà signées, tout en prenant en compte de manière
plus systématique la situation des réservistes dans la négociation collective.
Mais il faudra, ici aussi, que le Gouvernement conduise une politique de
communication spécifique en direction des entreprises pour les sensibiliser au
problème des réserves.
Enfin, le dernier sujet de préoccupation, et non le moindre, concerne les
moyens financiers dévolus aux réserves. La formation, l'entraînement,
l'équipement d'une réserve véritablement opérationnelle demanderont un effort
financier soutenu. Certes - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - la loi
de programmation a prévu une augmentation significative des crédits. Toutefois,
à supposer même que le niveau de dotations soit respecté, il pourrait se
révéler insuffisant. Quoi qu'il en soit, les réserves devront faire l'objet,
lors des prochains budgets, d'une attention particulière que nous vous
promettons.
Tels sont les différents points sur lesquels vous pourrez nous apporter,
monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, les éclairages
nécessaires.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. André
Rouvière applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le ministre, si j'ai tenu à intervenir dans cette
discussion générale après votre présentation du projet de loi et après
l'excellente intervention de M. le rapporteur, qui a parfaitement synthétisé
l'approche de la commission sur ce texte, c'est pour marquer la signification
particulière et l'importance singulière tant politique que technique de cette
nouvelle organisation des réserves militaires.
Cette réforme constitue le dernier mais indispensable pilier législatif de la
rénovation radicale de notre système de défense entreprise voilà trois ans sur
l'initiative de M. le Président de la République et fondée sur la
professionnalisation de nos armées.
Après la loi de programmation 1997-2002, qui a elle-même fixé les effectifs de
la nouvelle réserve et les crédits qui y seront consacrés, après les mesures
nécessaires à la professionnalisation des armées et après, bien sûr, la loi du
28 octobre 1997 suspendant le service national, la mise en place d'une réserve
d'emploi, moins nombreuse mais mieux entraînée et plus disponible, constitue
une exigence d'efficacité de l'armée professionnelle et une condition
indispensable au maintien du lien entre nos armées et la nation. M. le
rapporteur avait d'ailleurs fortement souligné, dès 1996, dans l'étude du Sénat
sur l'avenir du service national, que la constitution de forces de réserves
efficaces était à la fois un corollaire inéluctable et l'un des défis majeurs
de la professionnalisation.
Au demeurant, si elle n'avait été rendue indispensable par les conséquences
mécaniques de la réforme du service national sur la réserve, cette réforme eût
été de toute façon nécessaire pour corriger les insuffisances de l'organisation
antérieure des réserves qui, malgré les progrès accomplis, apparaissait, à
certains égards, comme un dispositif en trompe-l'oeil.
Ce projet de loi était donc particulièrement attendu, et ce depuis plusieurs
années. Son élaboration a été longue, ce qui, au demeurant, a donné le temps de
mener l'indispensable concertation, au premier chef avec les associations de
réservistes. Je me félicite aussi, monsieur le ministre, du climat constructif
qui a prévalu, lors de la mise au point et de l'examen préparatoire de ce
texte, entre le Gouvernement et le Sénat...
M. Hubert Haenel.
Tout à fait !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
... sur le bureau duquel le projet de loi a
d'abord été déposé. Je ne doute pas que nos débats d'aujourd'hui ne confirment
la qualité de cette réflexion en commun et cette approche positive pour
l'avenir de notre défense.
Notre objectif est de bâtir des réserves plus efficaces, qui reposeront sur
des volontaires, éventuellement renforcés par d'anciens professionnels
astreints à une modeste obligation de disponibilité. Ces réservistes seront
appelés à faire partie intégrante, en toutes circonstances, de notre dispositif
de défense. Ce doit pouvoir être le cas, notamment, lors d'opérations
extérieures et dans le cadre des affaires civilo-militaires pour lesquelles les
Français - l'expérience des conflits en ex-Yougoslavie l'a illustré - ont
beaucoup de progrès à faire pour se hisser au niveau des pays les plus
efficaces.
M. Hubert Haenel.
C'est vrai !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
Le dispositif que vous nous proposez
aujourd'hui, monsieur le ministre, est apparu, dans ses grandes lignes,
satisfaisant à la commission, qui a procédé à de très nombreuses auditions pour
l'apprécier dans toutes ses dimensions, en particulier pour le comparer aux
forces étrangères de réserves les plus efficaces, britanniques et américaines
notamment.
Ces expériences étrangères, ainsi d'ailleurs que l'esprit général de la
réforme d'ensemble de notre défense, nous ont confortés dans la nécessité de
fonder les nouvelles réserves sur le volontariat. Ainsi réduites en nombre mais
gérées et entraînées de manière personnalisée, ces réserves seront plus
motivées, plus disponibles, largement intégrées aux unités professionnelles,
et, dès lors, plus efficaces. La mise en valeur du volontariat, qui constitue
l'une des meilleures garanties du lien armées-nation, nous est ainsi apparue
nécessaire et se trouve soulignée dans certains des amendements proposés par la
commission.
Je dois à la vérité de dire que nous avions même envisagé d'aller plus loin
en introduisant un lien encore plus direct entre la notion de réserviste et le
concept de volontariat. Nous nous sommes toutefois ralliés aux légitimes soucis
de précaution et de simplicité de gestion, soucis qui conduisent à intégrer
dans les forces de réserves, en cas de crise ou de menace de crise, les anciens
militaires soumis, durant cinq ans, à une obligation de disponibilité pour
compléter, le cas échéant, l'effectif, prévu par la loi de programmation, de
100 000 réservistes opérationnels dotés d'une affectation.
L'efficacité attendue des futures réserves supposait aussi l'élaboration d'un
véritable statut social du réserviste et la recherche d'un équilibre entre les
garanties ainsi accordées aux réservistes et l'activité de leurs employeurs.
Notre collègue et ami M. Hubert Haenel avait d'ailleurs fait, voilà quelques
années, de judicieuses propositions dans ce domaine. Les dispositions prévues
dans le projet de loi pour accorder aux réservistes les garanties nécessaires
et la reconnaissance que leur doit le pays répondent à ce souci, tandis que les
préoccupations, également légitimes, des employeurs sont aussi prises en
compte, en particulier - et M. le rapporteur l'a rappelé - en limitant à cinq
jours la durée de base annuelle durant laquelle un réserviste peut s'absenter
de droit.
La commission a toutefois eu, là aussi, le souci de mieux mettre en valeur le
nécessaire partenariat avec les entreprises.
En effet, s'il est indispensable de donner aux réservistes les garanties
juridiques nécessaires - à commencer, bien entendu, par la garantie du maintien
de leur emploi - les formules retenues ne doivent pas être trop contraignantes
pour les entreprises, faute de quoi elles pourraient s'avérer
contre-productives, notamment en termes d'embauche. Notre objectif est de
trouver les dispositions les plus adaptées pour créer entre les différents
partenaires un climat de confiance qui favorise, en les clarifiant et en les
assainissant, la qualité des relations entre les réservistes et leurs
employeurs.
La commission a enfin eu la volonté de souligner plus fortement, à travers
plusieurs propositions d'amendements, l'indispensable maintien du lien entre la
nation et son armée, car notre armée, fût-elle professionnelle, doit rester
celle du peuple français. Et le premier rôle des réserves, qui se situent à la
charnière du monde militaire et du monde civil, est précisément d'irriguer l'un
et l'autre de leurs valeurs respectives. Les aspirations de la société civile
ne doivent pas devenir étrangères à l'armée professionnelle, qui doit être
nourrie du quotidien de la nation. Et cette dernière ne doit pas s'éloigner de
ses soldats qui ne sauraient en aucun cas être considérés comme des
mercenaires. Les réservistes ont, dans les deux sens de cette relation, un rôle
majeur à jouer.
Ce sera en particulier la tâche de la seconde réserve qui garde, à nos yeux,
un rôle important et que nous proposons dans cet esprit, monsieur le ministre,
de baptiser du beau nom de « réserve citoyenne » ; cette seconde réserve sera
parfaitement complémentaire de la première réserve, qui constituera « la
réserve opérationnelle. »
L'activité dans la réserve - et, bien sûr, dans les associations de
réservistes - fait ainsi partie intégrante d'un parcours citoyen, qui doit
commencer par l'enseignement et l'appel de préparation à la défense et peut se
poursuivre par une préparation militaire, un volontariat dans les armées mais
aussi, bien sûr, par le choix de devenir réserviste.
Il reste, monsieur le ministre, que le texte que vous nous proposez ne
garantit pas, par lui seul, le succès de la nouvelle organisation des réserves
que nous souhaitons mettre en place. Il ne constitue en effet qu'un cadre
législatif dont les conditions d'application seront déterminantes. Nous
demandons au Gouvernement d'y être très attentifs. La commission, soyez-en
assuré, sera particulièrement vigilante sur deux points essentiels.
Le premier est la création des conditions d'un recrutement conforme aux
besoins. Le réaménagement de nos réserves est déjà en cours dans nos armées et
au sein de la gendarmerie. Mais il s'appuie encore, pour peu de temps, sur le
vivier de réservistes créé, en quelque sorte mécaniquement, par le système de
la conscription, qui vit ses dernières années.
Il est dès lors essentiel, pour éviter une insuffisance, voire un tarissement,
de la ressource, de mettre en place, au-delà des garanties juridiques, les
mesures incitatives nécessaires pour favoriser l'intérêt, encourager le
volontariat et valoriser les missions des réservistes.
Monsieur le ministre, je ne vous cacherai pas, en particulier, une certaine
inquiétude pour les militaires du rang, qui devront être recrutés en nombre
significatif et dont les tâches devront faire l'objet d'une attention
particulière de la part des armées.
Comme M. Vinçon l'a rappelé, il faudra une politique de communication
particulièrement active du ministère de la défense, de chaque armée et de la
gendarmerie pour favoriser l'engagement dans les réserves, mais aussi, plus
généralement, pour mieux faire connaître les réserves à nos concitoyens.
La seconde condition du succès opérationnel de la réforme entreprise réside,
ensuite, dans les moyens financiers qui seront consacrés aux réserves. Ces
moyens, chacun le sait, ont fait jusqu'ici cruellement défaut et ils
expliqueraient la disproportion flagrante entre les objectifs affichés et la
réalité concrète en matière de réserves.
La loi de programmation s'est efforcée d'amorcer le redressement indispensable
tout en faisant preuve, là aussi, de réalisme. Les crédits consacrés aux
réserves doivent passer de 235 millions de francs, en 1996, à 584 millions de
francs en 2002, soit un accroissement net très significatif sur l'ensemble de
la période de programmation. Il s'agit donc d'un effort substantiel. Et nous
devons éviter la facilité d'un discours ambitieux qui ignorerait les
contraintes budgétaires qui s'imposent à nous. Mais la priorité demeure. Et si
l'actuelle loi de programmation marque un progrès, elle ne doit être considérée
que comme une première étape dans le processus de montée en puissance de la
nouvelle réserve.
Je conclurai, monsieur le président, mes chers collègues, en formulant trois
brèves observations auxquelles j'attache une importance particulière.
Tout d'abord, je veux rendre hommage aux cadres de réserve et aux associations
de réservistes, dont nous connaissons la sincérité de l'engagement et la
solidité du dévouement
(Très bien ! et applaudissements.)
Ils ont, à
travers la rénovation de nos réserves, un rôle majeur à jouer dans la réforme
décisive de notre système de défense qui est aujourd'hui engagée et, même,
malgré certains mauvais augures et grâce à l'admirable état d'esprit de tous
les personnels de la défense, bien engagée.
Je veux, ensuite, attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la
question particulière des réserves du service de santé des armées lorsqu'il
sera privé de la ressource appelée, qui lui assurait, grâce à la conscription,
une partie importante de ses effectifs. Pouvez-vous nous apporter des
précisions sur les dispositions envisagées pour faire face à cette situation
délicate ?
Mon dernier mot sera, enfin, pour vous redire la nécessité, à mes yeux
décisive pour la réussite de la réforme entreprise, d'un travail d'information
d'envergure sur les réserves, car, quels que soient les efforts financiers
nécessaires, ils ne suffiront pas à garantir le succès. Comme l'a résumé
justement l'ancien inspecteur des réserves, « nous n'achèterons pas nos
réserves ! Il nous faudra convaincre ! ».
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
Sous le bénéfice de ces observations et des
différents amendements qu'elle vous propose, la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées demande au Sénat d'approuver le
présent projet de loi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur
les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, le 23 février 1996, le Président de la République
engageait le débat sur la restructuration de nos forces armées et la refonte du
service national.
Le long processus de modernisation qui doit faire entrer notre outil défense
dans une nouvelle ère a été marqué par l'adoption de trois lois successives. Il
est, aujourd'hui, en voie d'aboutissement.
Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, est en effet
la dernière pierre de cet édifice. Il est certes, chronologiquement, le
dernier, mais il n'est pas le moins important. Bien au contraire, il est
résolument indispensable, et j'ai eu, à maintes reprises, l'occasion d'exprimer
ici ma conviction.
Hautement désiré, ce texte était largement attendu, la longueur de notre
attente était sans doute à la mesure de son importance. Mais l'essentiel n'est
pas là !
Outre le fait que la Haute Assemblée en soit saisie la première, je vous sais
gré, monsieur le ministre, d'avoir poursuivi et enrichi la large concertation
engagée par votre prédécesseur.
D'ailleurs, je veux rendre hommage au remarquable travail accompli par le
Parlement sur ce sujet, marqué par deux rapports de grande qualité, le premier
de notre éminent collègue Hubert Haenel, dès 1993, et le second, trois ans plus
tard, de Guy Tessier, député des Bouches-du-Rhône. C'est en grande partie sur
la base de ces travaux qu'a été préparé le projet de loi qui nous est
soumis.
Passé ces considérations de forme, force est de constater, monsieur le
ministre, que, si ce texte permet de doter la réserve militaire d'un nouveau
cadre, il n'en n'est pas moins porteur de lourdes interrogations en ce qui
concerne tant son ambition que ses moyens.
Des armées professionnelles, moins nombreuses, sont en effet amenées presque
systématiquement à recourir aux réservistes, soit pour tenir des emplois très
spécialisés, qui ne peuvent être tenus à temps plein pour des raisons
économiques, soit pour renforcer les unités en cas d'engagement de longue
durée. Notre pays a déjà recouru aux réservistes dans le premier cas de figure,
lors de nos récentes opérations extérieures.
Le recours ne pourra que se développer à l'avenir et s'étendra certainement au
second cas de figure dès que le besoin se fera sentir. Nos propres expériences,
comme celles des pays qui disposent déjà d'armées entièrement
professionnalisées, attestent assez de la nécessité de disposer de réserves
opérationnelles.
Mais, pour légitimer la constitution de réserves opérationnelles, la
définition d'un concept d'emploi constitue un préalable indispensable.
Il est en partie - je dis « en partie » parce que j'y reviendrai - répondu à
cette exigence. Désormais adaptées aux besoins réels, tels qu'évalués par le
ministère de la défense, les réserves suivent une évolution qui concourt à la
disponibilité et à l'efficacité de nos armées.
Ainsi, à l'ancien concept d'une réserve de masse, juxtaposée pour l'essentiel
aux forces d'active, se substitue une réserve au format certes plus réduit,
mais intégrée aux forces, entraînée et plus disponible, fondée sur le
volontariat et donc plus motivée.
Cette première réserve, qu'il est sans nul doute plus judicieux de qualifier
d'« opérationnelle », sera en effet composée de 100 000 hommes et femmes,
sélectionnés sur la base du volontariat, ainsi que d'anciens militaires
professionnels et d'anciens volontaires du service national.
Ces réservistes disposeront tous d'affectations précises, 50 000 d'entre eux
étant spécialement affectés à la gendarmerie. Les réservistes deviennent donc,
pendant leur période d'activité, des militaires à part entière, susceptibles de
remplir les mêmes missions que leurs camarades d'active.
Dans ces conditions, on ne peut qu'approuver l'instauration de garanties,
financières et sociales, pour les réservistes et les employeurs. Et l'idée
avancée par le rapporteur de notre commission de favoriser les entreprises qui
auront conclu une convention, en leur accordant la qualité de « partenaire de
la défense », peut inciter certains employeurs, encore réticents, à s'engager
dans cette démarche citoyenne.
J'y vois notamment un moyen, parmi d'autres, bien sûr, de donner une vraie
consistance au volontariat, qui demeure la pierre angulaire de l'organisation
des nouvelles réserves, et, plus encore, de renforcer le lien armée-nation.
Lors du débat sur l'abandon de la conscription, nous étions d'ailleurs un
certain nombre à manifester notre souci de préserver ce lien, tant il paraît
essentiel que chaque citoyen se sente concerné par la défense de son pays, pour
que l'armée demeure, comme le disait à l'instant M. de Villepin, celle du
peuple français.
Cela me conduit logiquement à approuver l'organisation d'un système de
sauvegarde fondé sur l'obligation de disponibilité et le service de défense
dans l'hypothèse de circonstances exceptionnelles.
Dans le même esprit, j'adhère pleinement à l'idée de mon excellent collègue et
ami Bertrand Delanoë d'instituer une « journée nationale du réserviste »,
laquelle permettra à la nation de manifester sa reconnaissance à celles et à
ceux qui consacrent une partie de leur temps à la défense nationale, ainsi
qu'aux propositions de suppression de la limite d'âge, fixée à soixante ans
pour les cadres de réserve, et de la participation des membres de la réserve
opérationnelle à des opérations extérieures.
Cette dernière faculté devrait permettre de motiver réellement et efficacement
des volontaires. Elle me paraît d'autant plus importante, comme l'a fort
opportunément relevé M. le rapporteur, qu'il y a une certaine ambiguïté dans la
composition de la réserve opérationnelle. La présence conjointe de volontaires
vraiment volontaires, si l'on peut dire, et de personnels disponibles, plus
obligés que réellement volontaires, dans le même ensemble est, en elle-même,
source potentielle de démotivation des volontaires.
Aussi, il me paraîtrait utile, monsieur le ministre, que vous nous précisiez
les conditions d'emploi de ces deux catégories de personnels composant la
réserve opérationnelle.
Cette ambiguïté, perceptible au niveau de la première réserve, devient
confusion quand on aborde la seconde. On est là dans le brouillard. Notre
collègue Serge Vinçon a d'ailleurs parlé d'une « réserve en attente ».
Dès lors, comment ne pas y voir l'expression d'un projet inachevé ? C'est
justement ce qu'en a conclu la commission, qui, en même temps qu'elle proposait
de rebaptiser cette seconde réserve « réserve citoyenne », s'employait à lui
donner un contenu dont j'approuve les modalités.
Cette seconde réserve doit effectivement être un vivier dans lequel les armées
pourraient puiser les renforts nécessaires, si les circonstances venaient à
l'exiger. Mais, indépendamment de l'hypothèse d'une crise majeure, elle doit
entretenir dans le pays l'esprit de défense. Et cela ne peut passer que par la
dévolution de missions précises qui éloigneront d'autant le spectre d'une
réserve de « seconde zone ».
J'insiste sur ce point, car le succès du volontariat, à mon sens, en dépend
très largement. Il me paraît essentiel de présenter l'adhésion à cette seconde
réserve non comme une solution de rattrapage, en quelque sorte, pour les
recalés de la première, mais bien comme une volonté de participer à l'effort de
défense, avec simplement une disponibilité temporelle différente.
Cette remarque met en lumière la difficulté principale de ce projet de loi, à
savoir le recrutement des volontaires. Nous en sommes tous conscients, il va
falloir susciter les vocations.
Pour ce faire, il va falloir disposer des moyens budgétaires appropriés, car
les besoins dépasseront largement les crédits actuellement destinés aux
réserves. Les dotations budgétaires à venir sont d'autant plus importantes que
le risque est grand de voir la réserve opérationnelle progressivement composée
des seuls disponibles.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaite que vous puissiez nous
indiquer l'ampleur et la nature des moyens que vous entendez consacrer à la
valorisation et à la promotion du volontariat auprès de nos concitoyens.
Cela étant, je regrette vivement que la réforme qui nous est proposée manque
finalement d'ambition. Le format retenu répond au strict minimum. J'avoue que
j'espérais que serait retenue la vision des réserves proposée par mon ami Guy
Tessier qui était d'une autre nature. Quant au concept d'une réserve «
hautement disponible », dont l'équipement et l'entraînement auraient été
alignés sur les pratiques de l'armée d'active, il aurait été mieux à même de
répondre aux nécessités du temps présent.
Toutefois, je crois volontiers que le nouveau dispositif ne pourra pas faire
l'économie d'une évaluation en profondeur, après quelque temps de mise en
oeuvre, au même titre d'ailleurs que l'appel de défense, car je suis convaincu
qu'il faudra plusieurs années avant de trouver le bon équilibre et le bon
rythme pour notre nouvel outil de défense.
C'est par conséquent sur la durée que nous jugerons la volonté du Gouvernement
de doter la France d'une armée moderne. Il y aura pour cela plusieurs exercices
budgétaires, et deux lois de programmation, d'ici à 2015. Mais, d'ici là,
combien de gouvernements ?...
Napoléon disait que le moral est au matériel ce que trois est à un. Pour
assurer le moral de la nation, il est primordial de faire participer tous les
citoyens. Il est tout aussi important de ne pas décourager ceux qui participent
déjà.
C'est pourquoi je voudrais conclure, monsieur le ministre, par une question.
Pour la motivation des troupes, certaines distinctions honorifiques sont
hautement symboliques. Les réserves aussi en mesurent la valeur. Je
souhaiterais donc savoir, monsieur le ministre, si vous envisagez de permettre
l'échange de décorations avec les militaires d'active et l'accès au généralat
pour quelques officiers de réserve, ce qui serait de nature à renforcer la
cohésion de notre défense.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, le projet de loi portant organisation de la réserve
militaire et du service de défense a été déposé en première lecture sur le
bureau du Sénat, et vous devez en être remercié, monsieur le ministre. Je
souligne que ce sont deux anciens sénateurs qui sont aujourd'hui au banc du
Gouvernement.
Ce projet de loi est la conséquence que le Président de la République, chef
des armées, le Gouvernement et vous-même, monsieur le ministre, tirez des
changements fondamentaux intervenus ces dernières années, dans le domaine de la
défense. Votre réforme que le réserviste que je suis approuve totalement
procède en effet de trois révolutions.
Il s'agit d'abord d'une révolution géostratégique. La nature des problèmes de
défense qui se posent à notre pays a été profondément modifiée, que ce soit ses
intérêts vitaux, la sécurité de son territoire, son engagement en faveur de la
sécurité collective, dans le cadre d'organisations internationales ou en dehors
de celles-ci. Cette révolution a conduit à la profonde réforme de notre défense
dans laquelle les réserves occupent une place tout à fait nouvelle, cela vient
d'être souligné.
La suspension de l'appel sous les drapeaux et la professionnalisation des
armées constituent la deuxième révolution. Votre projet de loi, monsieur le
ministre, complète et achève le dispositif législatif qui permettra d'organiser
l'armée professionnelle, quelles que soient la nature et l'ampleur des menaces
qui pourraient peser sur la France. La réserve constitue désormais la seule
variable d'adaptation disponible pour faire face aux nécessités de la défense,
le complément indispensable à l'accomplissement des missions assignées à
l'armée professionnelle.
La troisième révolution, qui est d'ordre culturel, se fera sentir au sein des
états-majors et dans l'esprit des militaires, officiers et sous-officiers de
métier. Les réserves - sans doute faudrait-il, comme vous le souhaitez,
monsieur le ministre, trouver un terme correspondant mieux à cette profonde
évolution ; la commission fera des propositions en ce sens - deviennent une
composante essentielle de la défense et des forces armées alors qu'elles
étaient, dans le système de dérivation que j'ai connu et pratiqué, des boulets
pour les unités actives. Les réservistes sont appelés à devenir des «
professionnels à temps partiel », on l'a dit. Du concept de la « nation en
armes », qui se traduisait par la notion de « mobilisation générale » répondant
à la conception et aux besoins d'armées nombreuses dont les soldats ont
d'ailleurs fait preuve d'un sens du devoir et du sacrifice tout à fait
comparable à celui de leurs camarades de métier, nous passons à celui d'une
réserve d'emploi qui permet l'adaptabilité permanente du format des forces
engagées sur un théâtre d'opérations, renfort ou remplacement du personnel
d'active engagé dans des opérations, besoin ponctuel en spécialistes,
participation à des missions de sécurité, mais aussi, protection du territoire
en période de crise, Vigipirate, etc.
Le concept d'emploi spécifique des réserves disparaît puisque celles-ci,
totalement intégrées au dispositif de défense, assurent désormais les mêmes
missions que les forces d'active.
Ce que je constatais et préconisais en mars 1994, à l'issue d'une mission
confiée par le Premier ministre de l'époque, M. Edouard Balladur, sur
l'évaluation générale de la situation des réserves et de leurs conditions
d'emploi, est encore plus vrai aujourd'hui, compte tenu des changements
profonds qui sont intervenus depuis et que je viens de résumer.
En rappelant les missions, ambitions et responsabilités de la France en
Europe, dans le bassin méditerranéen et dans le monde entier, lesquelles sont
liées à son histoire, à sa culture, à la géographie, à des intérêts économiques
vitaux, à des engagements internationaux dans le cadre de l'ONU, de l'OTAN, de
l'UEO ou dans celui de traités bilatéraux, je posais la question suivante : la
France peut-elle continuer à afficher ses ambitions et assumer ses missions
sans un appel permanent dès le temps de paix, et à plus forte raison, en temps
de crise, aux réservistes ?
La réponse était déjà négative. Elle l'est encore plus aujourd'hui à la suite
de la réduction du format des forces consécutive à la programmation.
En 1994, je pouvais donc écrire sans risquer d'être contredit que les réserves
étaient un deuxième souffle pour les armées. Les réserves deviennent
aujourd'hui une composante essentielle du dispositif de défense.
Mais l'oeuvre que vous entreprenez, monsieur le ministre, ne peut être menée à
bien que si elle s'accompagne d'une véritable révolution culturelle dans les
milieux politiques, au sein des forces armées, chez les employeurs civils et
publics et dans l'opinion publique.
En conclusion de ce rapport, j'avais formulé toute une série de propositions :
trente et une au total et notamment deux : celle qui traite du partenariat avec
les entreprises employant des réservistes et celle qui concerne la protection
sociale des réservistes et la couverture des risques.
Ces deux propositions je les retrouve au coeur du projet de loi dont nous
débattons, notamment au travers du droit au code des pensions militaires
d'invalidité et des victimes de la guerre, des retraites de guerre et d'actes
de terrorisme.
Le projet de loi, comme vient de le rappeler le président de la commission
Xavier de Villepin et notre éminent rapporteur Serge Vinçon, distingue une
première réserve comprenant des volontaires issus de la société civile et
d'anciens militaires - ces deux catégories de personnels reçoivent une
affectation - et une deuxième réserve comprenant les autres réservistes, qui
regroupera des personnes ayant exprimé leur volontariat et les anciens
militaires sans affectation.
Ma première question, monsieur le ministre, rejoint les questions qui ont été
posées par le président de la commission et son rapporteur : comment sera
organisée cette deuxième réserve et quels emplois sont envisagés pour les
unités de cette réserve citoyenne considérée comme la clef de voûte du
renouvellement du lien entre la nation et son armée ?
Ma seconde question, qui complète la première, se pose dans le contexte de
réduction drastique et systématique des forces d'active voulue par le Président
de la République et le Gouvernement : la première réserve, objet de notre
attention, sera-t-elle suffisante pour faire face à l'ensemble des menaces qui
pourraient peser sur notre pays et, partant, dans quelles conditions et dans
quels délais la deuxième réserve pourrait-elle devenir opérationnelle et
compléter la première ?
Partageant les observations, questions, suggestions, et propositions que le
rapporteur, M. Serge Vinçon, a formulées, tant dans ses écrits qu'oralement à
cette tribune, je vais maintenant tenter d'illustrer mon propos par un exemple,
celui de la gendarmerie nationale qui a déjà commencé, comme d'ailleurs l'armée
de terre, la marine nationale et l'armée de l'air, à anticiper les dispositions
législatives à venir en mettant en oeuvre un schéma directeur des réserves
précédant les directives d'emploi des réservistes.
J'entends ainsi démontrer à ceux qui douteraient encore de la révolution qui
est en cours de réalisation que, sans, par exemple, les réserves de la
gendarmerie nous ne pouvons faire face aux menaces pesant sur notre pays dans
le domaine de la sécurité intérieure. La même démonstration pourrait être faite
pour l'armée de terre, les services de santé, l'armée de l'air et la marine.
La gendarmerie tient, en effet, une place majeure dans le dispositif de
défense du territoire au sens de sécurité intérieure.
Monsieur le ministre, dans votre réponse à ma question écrite du 4 mars 1999 -
une longue réponse d'ailleurs de trois pages parue ce jour au
Journal
officiel
, vous rappelez : « La loi du 2 juillet 1996 précise, dans la
fonction "protection", que "la défense du territoire" doit pouvoir être assurée
en toutes circonstances. C'est aujourd'hui une mission de sécurité intérieure.
Il s'agit d'être capable de prévenir ou de réprimer les agressions limitées
contre le territoire national. Il faut également répondre à la diversification
des menaces, terrorisme, drogue, grande criminalité... De même, dans le cadre
de leurs missions de service public, les armées continueront d'apporter leur
concours aux populations, en cas de catastrophes naturelles ou pour parer aux
conséquences d'accidents technologiques. Cet ensemble constitue la notion de
défense du territoire. »
Dans ce cadre, les missions assignées à la gendarmerie nationale constituent
un élément essentiel du dispositif de sécurité intérieure dans les différentes
phases de la crise.
La gendarmerie nationale a pour mission de rechercher, élaborer et diffuser le
renseignement de défense, d'assurer, en temps de paix comme en temps de crise
et jusqu'à l'engagement offensif des forces, la protection et la défense des
points sensibles civils et des services communs indispensables, ainsi que
l'intervention immédiate au profit des points sensibles menacés. Elle aide
également à la montée en puissance et aux mouvements des forces militaires sur
le territoire national dans le cadre de la circulation routière de défense et
participe, dans la mesure de la disponibilité de ses moyens, à des actions de
combat visant à détruire ou à neutraliser des éléments ennemis infiltrés. Elle
continue de remplir ses missions permanentes de service public dans les
domaines administratif, judiciaire et militaire.
La gendarmerie joue donc un rôle majeur dans le cadre de la sécurité
intérieure. Grâce à ses unités d'active, de réserve et à ses réservistes, à son
statut militaire, à ses pouvoirs, la gendarmerie est la seule force armée et de
police de continuité. Sur les 100 000 réservistes, la gendarmerie en compte 50
000, dont 12 000 réservistes présélectionnés, soit près du tiers de l'ensemble
de la réserve présélectionnée.
Son organisation, ses compétences, ses missions et ses moyens permettent aux
pouvoirs publics de faire face à toutes les situations et niveaux de crise
intérieure. Elle est donc la seule qui a les capacités de pouvoir couvrir
l'ensemble des missions de maintien et de rétablissement de l'ordre public, et
ce quels que soient la nature, l'ampleur et la gravité de la crise et le droit
applicable. C'est le principe du «
continuum
».
C'est pourquoi, en application de la réforme des armées et de la loi de
programmation, le plan d'action Gendarmerie 2002 prévoit la création d'une
nouvelle réserve de gendarmerie de 50 000 hommes, plus simple d'emploi et mieux
adaptée aux besoins opérationnels permanents.
Les réserves de la gendarmerie deviennent l'indispensable souplesse, la seule
peut-être, pour que la gendarmerie puisse réagir efficacement à une situation
de crise intérieure, localisée ou généralisée, en tout temps, en toute
circonstance et, souhaitons-le, dans les plus brefs délais.
La gendarmerie a donc besoin d'une réserve plus souple, mieux formée et
équipée, capable de fournir, dès « les temps ordinaires », le complément en
effectifs nécessaire pour lui permettre de s'impliquer plus fortement dans ses
missions de sécurité et de protection.
Soulignons, si besoin était, qu'à la différence de toute autre force, y
compris de police, la gendarmerie, force de sécurité intérieure polyvalente,
peut s'appuyer sur un système de montée en puissance progressive et simple qui
lui permet d'adapter son dispositif à la diversité des situations. Grâce à la
décentralisation - toutes ses unités sont ou seront organes mobilisateurs - à
la proximité, les réservistes sont recrutés sur place - et aux relations
permanentes réserve-active, la mise sur pied des unités devrait être
particulièrement rapide.
Il en découle, certains avantages non négligeables. En effet, la « réserve »
représente l'enracinement et l'allonge : le réserviste est chez lui, il connaît
le territoire et les populations. Le réserviste sélectionné rejoint non pas son
lieu de mobilisation, mais son emploi. La formalité de la convocation
individuelle est suffisante. Enfin, le réserviste disposera, en permanence chez
lui, du paquetage complet « à la suisse », sauf l'armement ; ce n'est pas dans
notre culture. Mais en aucun cas le réserviste ne doit être assimilé à une
sorte de vacataire, ni être considéré comme le confort de l'active.
Il s'agit donc bien d'un nouveau concept d'emploi de la gendarmerie qui a le
mérite de tordre le cou aux tentations maintes fois exprimées de créer en
France une sorte de garde civile à l'américaine, ainsi que le préconisait
l'ancien député Alain Marsaud.
Dans une circulaire du 28 octobre 1998 relative à la mise en oeuvre du schéma
directeur des réserves de la gendarmerie, son directeur général rappelle que la
gendarmerie a pour ambition de transformer la réserve actuelle chargée
d'assurer des missions de type guerre en une réserve capable de fournir à
l'active, dès le temps normal, le complément en effectif nécessaire pour lui
permettre de s'impliquer davantage dans ses missions de protection du
territoire, comme l'indique la loi de programmation militaire.
Cette circulaire, dont il faut souligner par ailleurs le caractère très
opérationnel et précis, me conduit à vous poser une série de questions,
monsieur le ministre.
Sur les 331 pelotons de réserve de la gendarmerie départementale destinés à
être utilisés en renfort des groupements pour des missions de gendarmerie
départementale, combien ont été mis sur pied à ce jour ?
Des 121 escadrons de réserve de la gendarmerie mobile, combien, à ce jour,
sont dans une situation opérationnelle ?
Quid
des moyens - matériels, parc automobile, armement, habillement,
transmissions - nécessaires à leur mise en oeuvre ?
Il ne suffit pas en effet d'assigner dans les lois des missions essentielles
aux réserves - deuxième souffle pour les unités professionnelles - de faire des
réservistes des professionnels à temps partiel, encore faut-il leur octroyer
très rapidement tous les moyens pour que la réserve, composante à part entière
du dispositif actuel de défense, soit réellement opérationnelle.
Je viens de faire la démonstration que la gendarmerie nationale est la force
par excellence qui peut répondre, par sa posture du temps de paix, son
organisation et sa montée en puissance, à toutes les situations de crise. Elle
est donc irremplaçable.
Alors, monsieur le ministre, la question qui transpire dans certaines
gazettes, qui inquiète les militaires de l'arme et qui n'est certes pas
nouvelle mais qui ressurgit comme le phénix des cendres d'une paillote
malencontreusement incendiée, est celle-ci : le Gouvernement, pressé par
certaines corporations du ministère de l'intérieur mais aussi incité par
certains commentateurs ignorants du fonctionnement de l'Etat et de la
gendarmerie, est-il tenté de trouver dans l'arme le fusible idéal du fait que,
par son statut, la gendarmerie non syndiquée, fort heureusement, ne défilera
pas dans les rues, ne se mettra pas en grève, son statut militaire la vouant en
effet, comme les autres militaires, à l'obéissance et au silence ?
Pouvez-vous, monsieur le ministre, rassurer le Sénat ainsi que les militaires
de l'arme et tous ceux qui sont attachés au fonctionnement de nos institutions
?
Le Gouvernement envisage-t-il de répondre favorablement à ceux qui préconisent
des réformes qui conduiraient à terme à une fusion des forces de police et de
gendarmerie ?
Une réforme qui irait dans ce sens serait en effet incohérente car elle
bouleverserait le système mis en place par les grandes lois récentes sur la
défense.
C'est au bénéfice de ces observations, de ces questions et de l'adoption des
amendements de la commission des affaires étrangères que le groupe du
Rassemblement pour la République adoptera l'ensemble de ce projet de loi, qui
est de qualité et qui vient à point nommé.
(Applaudissements sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons concerne l'une des
dernières adaptations à effectuer dans le cadre de la réforme des armées
engagées en 1996.
En effet, à partir du moment où la conscription a été suspendue, l'ancienne
réserve ne dispose plus ni de fondement juridique ni de son mode de recrutement
principal. C'est donc un nouveau type de réserve qui est organisé, fondé sur le
volontariat. Il permet, en outre, d'apporter un complément indispensable aux
forces armées.
La première remarque que je veux faire sur ce projet de loi, qui est d'abord
examiné par le Sénat, porte sur le climat qui a présidé à son élaboration. Je
me réjouis que les associations de réservistes aient été étroitement associées
à la réflexion autour de cette réforme. De la même manière, je note avec une
grande satisfaction l'attitude constructive de tous les acteurs de ce débat,
ici au Sénat.
A ce titre, je veux saluer particulièrement le président de notre commission,
notre rapporteur et vous-même, monsieur le ministre, qui avez été attentif aux
préoccupations des sénateurs qu'ils appartiennent à la majorité ou à
l'opposition. Je pense que c'est du bon travail qui a été fait en commission et
au Sénat.
Sur le fond, je ne ferai que de brefs commentaires, d'autant que les
interventions de ce matin ont été d'une grande convergence.
Je soulignerai tout de même qu'il est juste de bien caractériser le statut
militaire des réservistes pendant leur période d'activité.
Quant aux relations entre les employeurs et ces futurs réservistes, les
conventions prévues par votre projet initial offrent un cadre opportun tout
comme les dispositions permettant de rendre compatibles engagement dans la
réserve et vie professionnelle. Mais il me semble que l'amendement présenté par
notre commission, à l'instigation de M. Serge Vinçon, renforce l'idée même de
partenariat entre employeurs et ministère de la défense, ce qui montre bien
que, dans ce texte, nous traitons une part non négligeable du nouveau lien
entre les citoyens et la préoccupation de défense.
Je nous sais tous très attachés à poser les bases d'une relation forte et
refondée entre la collectivité nationale et les impératifs de sécurité. Pour
l'exprimer plus nettement encore, notre commission proposera trois amendements
qui me paraissent aller dans ce sens.
Le premier rappelle, dès le premier article de cette loi, que la réserve a
bien pour objet d'entretenir l'esprit de défense et de contribuer au maintien
du lien entre les forces armées et la nation.
Le deuxième vise à intégrer la question de la réserve dans un parcours citoyen
qui commence par les enseignements de défense à l'école, qui se poursuit par
l'obligation de recensement, par l'appel de préparation à la défense et, pour
ceux qui le veulent, par une préparation militaire, que je souhaite réellement
voir valorisée.
Le troisième amendement porte sur la création d'une journée nationale du
réserviste afin de reconnaître publiquement l'apport de ces femmes et de ces
hommes qui effectueront le choix de donner de leur temps, de leur énergie, de
leur motivation à la défense du pays. Cette journée peut également être un
instrument d'information sur l'existence même et le contenu de la réserve.
Dans le même esprit, je voudrais vous faire, monsieur le ministre, deux
suggestions qui me semblent plus du ressort de la politique gouvernementale que
du contenu de la loi.
Je souhaite en premier lieu la création d'un observatoire de la réserve,
dépendant du ministère de la défense et réunissant des associations de
réservistes, des associations de jeunes et des élus locaux. Cette institution
examinerait les enseignements que nous pourrons tirer de la mise en place de
cette nouvelle organisation et réfléchirait à ses évolutions futures, qui sont
inéluctables.
Je souhaite par ailleurs que le Gouvernement, dans le souci d'une meilleure
information de la représentation parlementaire, adresse chaque année, à tous
les sénateurs, à tous les députés, un rapport sur l'état et l'utilisation de la
réserve.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Bertrand Delanoë.
Ce peut être à l'occasion du débat budgétaire ou à un autre moment. Mais je
crois que, sur le plan du principe, il est très important que l'ensemble de la
représentation parlementaire puisse être informée des constatations et du bilan
que vous faites de la mise en place des réserves.
M. Jacques Legendre.
Très bien !
M. Bertrand Delanoë.
J'en termine, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, par une remarque d'ordre général.
Si je n'ai jamais contesté la nécessité de moderniser et d'adapter nos forces
armées, j'ai nourri et exprimé quelques interrogations sur l'appréciation du
contexte stratégique qui a présidé à la réorganisation de notre défense,
notamment sur la disparition proclamée des menaces.
Par ailleurs, une des priorités définies en 1996 m'a paru exagérément calquée
sur le concept américain de projection. Cette culture de la défense comprenant,
en outre, les notions de guerre propre, de zéro mort, du « tout » technologique
censé résoudre tous les problèmes n'est pas la nôtre. J'ai même l'impression
que l'expérience en montre les limites.
C'est pourquoi, au moment où nous allons adopter un projet de loi très
important dans un consensus que je juge utile pour nos forces armées et pour
l'évolution du travail que nous avons les uns et les autres à faire, je veux
simplement rappeler ma conviction que la défense du territoire national, de
l'Europe et de ses valeurs est bien et restera la priorité absolue de notre
défense pour les décennies à venir.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté porte sur
l'organisation de la réserve militaire et du service de défense. Il s'inscrit
dans un ensemble contraignant sur le plan législatif, financier et social.
Sur le plan législatif, ce projet de loi complète et prolonge ce qui a été mis
en chantier par le précédent gouvernement. Vous devez, monsieur le ministre,
vous adapter à des textes et à une situation qui s'impose à vous, dont vous
n'êtes pas à l'origine. Votre marge de manoeuvre est donc étroite.
Vos choix sont en grande partie conditionnés par la professionnalisation des
armées, qui se concrétise, et par la suppression du service national programmé
pour 2002.
Bien que cela ne soit plus d'actualité, je continue à penser que cette
suppression apparaîtra dans l'avenir comme une erreur,...
M. Jean-Luc Bécart.
Très bien !
M. André Rouvière.
... que je ne vous impute d'ailleurs pas, monsieur le ministre.
La réserve militaire apparaît ainsi comme une conséquence, comme
l'aboutissement des deux lois que je viens d'évoquer : professionnalisation des
armées et disparition du service national.
Sa vocation est donc double : compléter et remplacer, il lui faut compléter
l'armée professionnelle et remplacer le service national.
C'est ainsi que les deux types de réserve ont pour vocation le soutien des
forces armées, le maintien de l'ordre, la protection des populations et le
maintien du lien armée-nation. Cette dernière mission est essentielle, car l'un
des dangers d'une armée de métier est qu'elle se coupe de l'ensemble des
citoyens.
La réserve sera-t-elle suffisante pour renforcer et maintenir ce lien entre la
nation et son armée ? Je n'en suis pas totalement convaincu. La réserve, sous
ses deux aspects, ne concernera qu'un nombre limité de volontaires. Certes, il
y a la journée d'appel de préparation à la défense, mais je pense que d'autres
actions devront être imaginées et mises en place pour perpétuer et renforcer le
lien armée-nation.
Monsieur le ministre, en aurez-vous les moyens financiers ? La loi de
programmation militaire limite forcément les initiatives que vous pourriez nous
proposer en plus de ce présent projet de loi portant organisation de la réserve
militaire.
Au demeurant, je m'interroge déjà sur le financement de l'équipement, du
matériel et des locaux nécessaires aux réserves. Monsieur le ministre,
l'importance des réserves, si j'ai bien compris, variera en fonction des
circonstances et des besoins, sans pouvoir dépasser un certain plafond.
Toutefois, le matériel de transport, les armements et les logements
indispensables devront être disponibles en permanence. Le seront-t-ils pour les
deux réserves ou uniquement pour la réserve qui sera opérationnelle ? Par
ailleurs, cette réserve comprendra-t-elle un quota de femmes ?
M. Hubert Haenel.
Il y aura des femmes, bien sûr !
M. André Rouvière.
Elle sera bien évidemment mixte, mais y aura-t-il un quota ?
Le coût de la maintenance des matériels, armements et logements que je viens
d'évoquer est-il évalué, monsieur le ministre ?
Les contraintes législatives et financières ne sont pas les seules.
Votre projet de loi traite des questions liées à l'emploi. Cet aspect d'ordre
social n'est pas secondaire. Vous prévoyez des garanties permettant aux
réservistes de s'absenter, avec l'accord de leur employeur, et de retrouver
leur travail sans perdre les avantages qui y sont liés, notamment les
possibilités d'avancement.
En théorie, c'est très bien. Vous prévoyez même des conventions à passer avec
les employeurs. Mais, dans la réalité, je crains que la multiplication actuelle
des contrats à durée déterminée n'empêche les volontaires potentiels d'exprimer
leur désir d'être réservistes.
La loi, je le sais, ne permet pas à l'employeur de licencier un de ses
salariés au motif qu'il est réserviste. Toutefois l'employeur pourra toujours
préférer renouveler le contrat d'un non-réserviste théoriquement plus présent.
Monsieur le ministre, si cette crainte se concrétisait, pourquoi ne pas
envisager alors pour les grandes entreprises un quota minimal de réservistes,
comme cela se fait pour les handicapés ?
M. Jacques Legendre.
Quel rapprochement !
M. André Rouvière.
Les entreprises participeraient ainsi obligatoirement à l'effort de défense.
Je sais que ce n'est pas dans l'esprit du texte, mais la réalité nous amènera
peut-être à revoir ce problème de volontariat des entreprises. Le lien
armée-nation s'en trouverait, à mon sens, renforcé.
Chacun reconnaîtra le souci exemplaire du Gouvernement de traiter de façon
réaliste les questions sociales : protection de l'emploi, protection sociale
proprement dite, protection des RMIstes.
Monsieur le ministre, l'article 40 précise que sont également exclus du
montant des ressources servant au calcul de l'allocation les soldes,
accessoires et primes mentionnés à l'article 20 de la loi portant organisation
de la réserve militaire et du service de défense. Cet article ainsi libellé
permettra-t-il aux réservistes bénéficiant du RMI de conserver leur allocation,
sans que celle-ci soit diminuée de la solde ou des primes attachées à la
situation de réserviste ? Cette mesure positive témoigne d'une préoccupation
sociale qui vous honore, monsieur le ministre, et que je salue.
Votre projet de loi est marqué par une souplesse pragmatique qui vous permet
de proposer des solutions concrètes, réalistes et susceptibles de satisfaire
celles et ceux qui veulent concilier les impératifs d'une armée professionnelle
moderne avec les exigences légitimes d'une société en quête de plus de sécurité
et de protection. C'est donc sans l'ombre d'une hésitation, monsieur le
ministre, que je voterai votre projet de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, le présent projet de loi constitue - cela a été dit, bien
sûr - le dernier volet de la réforme de notre outil de défense, réforme centrée
sur la professionnalisation complète de nos forces armées d'ici à 2002. Comme
vous le savez, monsieur le ministre, nous n'étions pas convaincus - et nous ne
le sommes toujours pas - du bien-fondé de cette professionnalisation.
La réforme a été annoncée au pas de charge par le Président de la République
en février 1996, dans les conditions que l'on sait. Sans revenir longuement sur
ce point, certes crucial mais, hélas ! acquis, je souhaiterais rappeler que mes
collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même avions
souhaité que la modernisation du service national, plutôt que sa suppression,
soit mise en oeuvre en vue de l'adapter aux conditions d'aujourd'hui - l'ancien
service national était en effet en partie discrédité, faute de moyens et,
surtout, faute d'avoir été aménagé à temps - en faisant en sorte de ne plus
retenir pendant un an ou dix mois des jeunes hors de la vie civile, mais en
donnant aussi à chaque jeune citoyen une formation civique et militaire de
base, prolongée dans sa dimension sociale pour les jeunes issus de milieux
défavorisés ou de l'immigration.
Je sais bien que l'exploration et l'achèvement d'un tel chantier n'étaient pas
choses aisées, d'autant que l'annonce, en février 1996, par le Président de la
République, de la prochaine disparition du service national obligatoire avait
trouvé rapidement un écho important et que cette suppression ainsi annoncée
avait été ressentie par bon nombre de jeunes comme un fait acquis et
irrévocable.
Avec le recul, nous continuons de penser que tout cela est bien dommage et
qu'à côté d'une professionnalisation de bon nombre d'unités, ce que nous
comprenons fort bien, il pouvait exister complémentairement des unités
accueillant des jeunes pour cette formation civique et militaire courte et, à
notre avis, utile pour les jeunes eux-mêmes, bien sûr, mais aussi pour la
cohésion nationale et pour la liaison entre les forces armées et les citoyens
français.
Cela dit, ce dernier volet arrive peut être un peu tardivement, même si votre
ministère n'avait pas attendu pour introduire, ici et là, des changements dans
la gestion des réserves qui ont bien besoin d'un « coup de jeunesse ».
La réserve dite « de masse » d'aujourd'hui est devenue, pour l'essentiel,
virtuelle et démunie de moyens et de doctrines. Il fallait - et c'est l'un des
mérites de votre projet de loi - sortir de la décrépitude actuelle.
Il n'est pas inutile de rappeler que l'armée britannique, si souvent prise
comme référence, dépense aujourd'hui pour ses réserves trente fois plus que
l'armée française et qu'elle dispose de 250 000 réservistes, que les Etats-Unis
en comptent plus de 1 500 000 et l'Allemagne 350 000.
Je rapproche ces chiffres de l'effectif de 50 000 retenu pour la réserve
opérationnelle des trois armées et le service de santé pour considérer que ce
qui est prévu dans ce projet de loi n'est qu'une étape avant d'aller un peu
plus loin. Ai-je tort de le penser, monsieur le ministre ?
On peut encore noter le cas des Pays-Bas, dont l'armée de terre dispose de 45
000 réservistes, à comparer avec les 30 000 dont pourra disposer notre force
terrestre.
Certes, notre pays a vu disparaître les menaces militaires immédiates et
clairement identifiées. Certes, il est possible, de ce fait, de réduire le
format de nos forces armées immédiatement et en permanence disponibles, mais,
le monde restant instable, imprévisible et donc dangereux, cette réduction
devrait s'accompagner d'un renforcement du rôle de nos réserves tant dans le
domaine de l'opérationnel - c'est l'un des buts du présent projet de loi, qui
tend à dissiper le flou qui entourait les réserves actuelles - que dans celui
du lien armée-nation. Dans ce dernier domaine, il reste beaucoup à faire ! Cela
me fait dire, une nouvelle fois, que ce projet de loi ne devrait être qu'une
étape.
La professionnalisation privera nos forces armées du contact qu'elles avaient
jusqu'alors, certes de plus en plus imparfaitement, avec la majeure partie de
la jeunesse de notre pays.
Les réserves auront, avec l'enseignement civique et militaire, un rôle
essentiel à jouer dans le maintien de l'esprit de défense et d'un niveau
suffisant de conscience civique.
S'agissant de l'accès aux nouvelles préparations militaires, je souhaite
qu'elles soient largement ouvertes et, en tous les cas, au-delà des besoins de
recrutement, car je suis de ceux qui pensent qu'il serait bon que les jeunes
qui seront amenés à exercer des postes à responsabilité dans les différents
domaines de la vie du pays puissent suivre une préparation militaire.
Je voudrais souligner ici le bon niveau de concertation qui a présidé à
l'élaboration de votre projet, notamment au sein du Conseil supérieur d'études
des réserves créé en avril 1998 autour des associations de réservistes. De
cette concertation que vous avez voulue, monsieur le ministre, s'est dégagé
nombre de bonnes dispositions, qui constituent ce qu'on peut appeler la
création d'un véritable statut du réserviste, lequel correspond, mieux que par
le passé, à la valorisation nécessaire du sens civique démontré par le
réserviste.
Les crédits consacrés aux réserves passeraient de 240 millions de francs en
1997 à 584 millions de francs en 2002. C'est la preuve que l'entretien de nos
réserves, même après l'important coup de pouce induit par le projet de loi, ne
coûte pas cher, et que cela peut même être rentable pour contribuer à conserver
dans notre pays une prise de conscience civique et l'idée d'un besoin de
défense suffisante, qui n'a pas de prix. Il doit donc s'agir d'une première
montée en puissance qui en appelle d'autres.
Il est vrai que l'équilibre institué par le projet de loi entre les garanties
sociales et financières accordées aux réservistes et les intérêts des
employeurs aurait pu comporter des contreparties, notamment fiscales, pour
encourager les entreprises à maintenir le salaire du réserviste pendant sa
période de service.
Plusieurs de nos collègues ont évoqué ce point en commission et ils ont eu
raison.
Au total, monsieur le ministre, en approuvant le volet technique de votre
projet de loi et en lui rendant hommage pour les progrès qu'il induit, mes
collègues et moimême maintenons notre défiance à l'égard d'une réforme lancée
par le Président de la République, M. Chirac, tout en reconnaissant au
Gouvernement ses efforts pour en limiter les aspects négatifs.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
C'est subtil !
(Sourires.)
C'est dans cet esprit que, partagés entre deux sentiments, les sénateurs
du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront sur ce projet de
loi.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, je souhaite apporter un
certain nombre de compléments ou de réponses aux observations présentées.
Sans en être surpris, parce que je m'y attendais, je salue la grande
pertinence et le haut niveau d'information de toutes les interventions. En
outre, je me félicite du climat de convergence et de volonté constructive qui
règne de toute part.
Puisque Jean-Luc Bécart vient d'évoquer cette question à différents stades de
son intervention, reconnaissons que ce volet se situe bien en effet dans la
cohérence d'une réforme en profondeur de notre système de défense, fondée sur
la professionnalisation. On peut tout à fait émettre des réserves ou exprimer
des préoccupations par rapport à cette réforme.
Je relèverai toutefois un propos, sans doute sympathique mais pas tout à fait
exact, de mon ami André Rouvière : si je partageais le sentiment que cette
politique est une erreur, je ne concourrais pas à l'accomplir !
Cette politique est donc en marche.
Ma conviction profonde - je crois qu'elle gagnera nombre d'entre vous - est
que les situations de conflit, les situations de tension que nous connaissons
et qui mettent en jeu, ainsi que le disait M. Bertrand Delanoë, la crédibilité,
la capacité de l'influence de l'Europe démontreront, chemin faisant, que cette
réforme est cohérente et qu'elle vise à renforcer l'influence de notre pays.
Vous avez été nombreux à soulever la question des moyens matériels.
Je le répète, vous envisageons que nos crédits atteignent 580 millions de
francs en 2002. Une part appréciable de cette progression a déjà été réalisée :
20 millions de francs supplémentaires ont été inscrits en 1998, auxquels
s'ajouteront 40 millions de francs en 1999. Une nouvelle étape sera franchie en
2000 ; elle est en préparation au sein du Gouvernement. Les conditions sont
donc réunies pour que nous atteignions bien notre objectif en 2002.
L'effectif envisagé pour la réserve est-il suffisant - la question a été
évoquée par M. Bécart - comparé à ce qu'il est aux Etats-Unis et en
Grande-Bretagne ?
Il faut être attentif à la manière dont on établit la comparaison.
En effet, les missions confiées aux réservistes dans les trois pays ne sont
pas identiques ; elles sont beaucoup plus larges aux Etats-Unis et en
Grande-Bretagne. Ainsi, certaines des missions qui, en France, vont rester de
la responsabilité de l'armée d'active sont, en Grande-Bretagne, confiées à des
réservistes ; il est donc logique que leur nombre y soit plus élevé.
Par ailleurs, je voudrais mettre M. Bécart en garde contre le fait de ne
compter que les 50 000 réservistes hors gendarmerie. Les 50 000 réservistes de
la première réserve gendarmerie assurent bien une mission de préservation et de
protection de notre territoire, mission à laquelle il est légitimement
attaché.
D'une façon plus générale - je reviens sur une observation du président de
Villepin - nous examinons comment les pays qui en ont déjà l'expérience - les
Etats-Unis, la Grande-Bretagne et un certain nombre d'autres, qui conduisent
des expériences originales, notamment en ce qui concerne l'insertion
professionnelle des réservistes - emploient les réserves. Les uns et les autres
font évoluer leurs concepts.
En tout cas, l'un des domaines dans lesquels cette observation nous a déjà
fait beaucoup progresser, en particulier à l'occasion du conflit bosniaque, est
celui de ce que l'on appelle le civilo-militaire, qui recouvre la relation
entre le soutien institutionnel apporté à un pays, les activités de
substitution lorsqu'un Etat se trouve privé d'infrastructures, et la
contribution fournie par les réservistes.
Il est vraisemblable, d'ailleurs - comme j'ai eu l'occasion de le dire lors
d'une séance de questions à l'Assemblée nationale - que la phase du conflit du
Kosovo actuellement en préparation, c'est-à-dire la mise en place d'une
administration internationale accompagnée d'une force militaire veillant à sa
mise en application, comportera un volet civilo-militaire important. Ce sera
pour nous l'occasion de tester cette nouvelle organisation.
A ce propos, certains ont évoqué le manque de souffle du projet de loi, ce que
je conteste.
M. Plasait a fait référence à un concept qui avait été évoquée voilà quelque
temps par M. Guy Teissier dans son rapport, à savoir celui de « réserve
hautement disponible ».
Nous avons envisagé cette possibilité, mais se pose alors un problème : cette
formule, telle que l'avait envisagé M. Guy Teissier, serait de fait peu
compatible avec la vie professionnelle, sauf à anticiper fougueusement sur la
réduction du temps de travail, ce qui serait original dans sa famille
politique.
(Sourires.)
Cela relève d'un choix citoyen et, de ce point de vue, je rejoins la
recommandation de M. le rapporteur quant à la dénomination. Si l'on veut
instaurer un rapport citoyen entre la réserve et la société, les activités de
réserve doivent être réellement compatibles avec la vie professionnelle. Cette
option ne nous a donc pas semblé réaliste.
Pour établir cette relation, M. Delanoë propose la création d'un observatoire
de la réserve associant non seulement les associations de réservistes mais
également des partenaires extérieurs. Il a notamment évoqué les associations de
jeunesse avec lesquelles nous travaillons régulièrement, au sein de la
commission armées-jeunesse. Cette proposition me paraît bonne. Nous avons
commencé à y réfléchir de manière à disposer d'un lieu d'échange, d'un lieu
d'analyses qui nous permette d'évaluer le niveau de disponibilité volontaire
pour la réserve dans notre société.
Cela me conduit à poser la question de l'information.
Il s'agit de susciter la motivation pour le volontariat, sujet qui a été
évoqué par plusieurs orateurs, en particulier par M. le président de la
commission. Nous y réfléchissons.
M. Jean-Pierre Masseret a déjà consacré beaucoup de temps au travail préparé
au sein de la direction de la communication de la défense pour familiariser nos
concitoyens avec la nouvelle réserve. En ce sens, nous serons intéressés par
l'amendement instituant une journée nationale des réservistes, défendu par M.
Bertrand Delanoë.
Nous devons disposer d'un large éventail de moyens pour populariser la
réserve, en particulier pour y intéresser les jeunes.
Sur ce point, je rejoins M. le président de la commission : je n'ai aucune
inquiétude sur le potentiel d'engagement, de dévouement et d'intérêt pour la
défense qui existe dans la société française, ce qui nous permettra, à mon avis
aisément, dans de bonnes conditions de qualité, et de totale mixité
naturellement, monsieur Rouvière, d'obtenir les effectifs que nous
recherchons.
C'est sûrement vrai pour les emplois d'officier et de sous-officier ; cela va
moins de soi pour les effectifs de militaires du rang. C'est donc en direction
des plus jeunes que nous devons diriger notre effort d'information. Pour
susciter les vocations des réservistes militaires du rang correspondant à nos
besoins, c'est essentiellement à travers la filière « appel de préparation à la
défense » et « préparation militaire », tournée vers les jeunes, que nous
pouvons obtenir les meilleurs résultats.
Des questions particulières ont été posées sur certains services et certaines
armes.
S'agissant du service de santé, nous avons clairement besoin des réservistes
pour assurer l'ensemble des nouvelles fonctions du service. Nous le savons
puisque, par définition, il fonctionnait grâce à un très fort apport de moyens
humains qualifiés venant de la conscription.
Les effectifs que nous cherchons sont de l'ordre de 1 400 personnels médicaux
et de 2 800 personnels paramédicaux, pour un vivier de professionnels
potentiellement volontaires qui représente cent fois ces chiffres.
Compte tenu de l'intérêt professionnel qui est reconnu au service de santé, de
sa très forte réputation dans les milieux médicaux, compte tenu des conditions
très concrètes des emplois proposés, du savoir-faire médical exigé, la
motivation d'une proportion suffisante de médecins des diverses spécialités et
de personnels infirmiers paramédicaux paraît d'ores et déjà acquise.
M. Hubert Haenel, pour sa part, a présenté de façon détaillée une analyse, à
laquelle je souscris entièrement, des missions et des moyens de la réserve dans
la gendarmerie. Je partage en particulier sa vision, fondée sur l'expérience,
de la relation entre l'armée d'active et la réserve.
Je répondrai tout d'abord à sa question sur les effectifs déjà constitués dans
les unités de réserve.
Nous en sommes parvenus, je le rappelle, presque à mi-chemin du processus de
transition. Nous sommes donc plutôt des bons élèves puisque nous avons atteint
en gros la moitié de l'objectif. C'est ainsi que, sur l'objectif de 331
pelotons, environ un tiers ont été constitués dans les groupements. Mieux
encore, près des deux tiers - environ 80 - des 121 escadrons de gendarmerie
mobile prévus ont été formés. J'ai d'ailleurs assisté, récemment, en compagnie
du rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, M. Michel Dasseux, à
une manoeuvre d'un de ces escadrons de réservistes en Dordogne.
La mise en place des futures unités est déjà bien avancée.
M. Hubert Haenel m'a également interrogé sur l'approche du Gouvernement quant
à la modification des rapports entre la police nationale et la gendarmerie
nationale.
Le Premier ministre a déjà évoqué les points sur lesquels le Gouvernement, sur
ma proposition, envisagerait des perfectionnements, des améliorations dans un
certain nombre de dispositifs de travail de la gendarmerie nationale...
M. Hubert Haenel.
Cela, c'est normal !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
...qui peuvent se justifier à la suite d'un
dysfonctionnement très spécifique qui a été identifié en Corse.
Mais cette question n'est pas à l'ordre du jour.
Chacun perçoit la richesse de cette dualité qu'expriment les fonctions mixtes
de la gendarmerie et qui donne une très grande liberté de détermination, à la
fois, au pouvoir exécutif - pour les fonctions de sécurité publique et de
maintien de l'ordre - et au pouvoir judiciaire dans la conduite de ses
enquêtes.
Pour conclure, je dirai que ce débat sur la réserve nous a permis d'explorer
bien des thèmes relatifs à l'évolution de notre défense.
Si la réorganisation de notre défense est encore en phase transitoire, les
personnels d'active adhèrent à cette réforme et y contribuent avec
efficacité.
Les appelés, qui sont encore indispensables à la vie de nos armées, se
comportent aujourd'hui en collaborateurs efficaces et dévoués de la défense. Il
faut leur en rendre hommage.
Nos concitoyens, qui comprennent cette réforme, me paraissent prêts à jouer
sur le plan moral leur rôle de partenaires de la défense du pays.
La réserve me semble constituer un élément synthétique de nature à assurer la
clé de voûte de cette nouvelle cohérence. Je pense que l'adoption du projet de
loi auquel nous travaillons maintenant constituera un élément tout à fait utile
ce nouvel édifice.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
LA RÉSERVE MILITAIRE
Chapitre Ier
Dispositions générales
Section 1
Dispositions communes
Article 1er