Séance du 7 avril 1999
DÉVELOPPEMENT DES SOINS PALLIATIFS
Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 287,
1998-1999) de M. Lucien Neuwirth, fait au nom de la commission des affaires
sociales sur la proposition de loi (n° 223, 1998-1999) de MM. Lucien Neuwirth,
Jean Delaneau, Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard,
MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, Mme Annick Bocandé, MM.
Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, Henri d'Attilio, François
Autain, Paul Blanc, Mme Nicole Borvo, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard
Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Christian Demuynck,
Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis,
Francis Giraud, Claude Huriet, André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger
Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel
Lesbros, Jacques Machet, Georges Mouly, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM.
Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Henri de
Richemont, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès,
André Vézinhet et Guy Vissac tendant à favoriser le développement des soins
palliatifs et de l'accompagnement.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est pour notre commission
des affaires sociales, et pour moi-même, une profonde satisfaction de voir
venir en discussion ce texte cosigné par l'ensemble de nos cinquante et un
collègues de la commission et dont les conclusions ont été adoptées à
l'unanimité.
Je ne vous apprendrai rien, monsieur le secrétaire d'Etat, si je vous dis
qu'il est des moments et des sujets dans la vie d'un pays où s'impose une
certaine vision de la nécessité mais aussi de l'urgence de faire bouger les
choses et avancer notre société.
Dans de tels moments et sur de tels sujets, les femmes et les hommes de toutes
origines et de toutes conditions se retrouvent ensemble pour construire la cité
que souhaitent leur intelligence et leur sensibilité.
Ce texte est l'aboutissement d'une longue marche, aussi bien pour des membres
des professions de santé que pour des associations et des bénévoles qui furent
autant de pionniers de l'accompagnement, trop souvent démunis de moyens.
Il constitue le prolongement direct des travaux que nous avions entrepris, dès
1994, sur la prise en charge de la douleur et qui se sont notamment traduits
par l'adoption, à l'unanimité des parlementaires des deux assemblées, d'une
nouvelle législation. Le chemin était tracé : après la prise en charge de la
douleur, qui était le préalable incontournable, il convenait qu'une véritable
volonté politique s'exprime à travers la loi pour développer les soins
palliatifs et d'accompagnement, ainsi que cela se pratique dans de nombreux
pays.
Le 10 février 1999, dans le prolongement de nos travaux sur la douleur engagés
dès 1994, nous avons donc adopté, à l'unanimité, un rapport d'information
consacré aux soins palliatifs et à l'accompagnement.
Ce rapport, qui a mis en évidence leur insuffisant développement dans notre
pays, concluait à la nécessité de l'adoption rapide d'une loi permettant de
lever les nombreux obstacles qui freinent l'adaptation de notre système de
santé à une meilleure prise en compte des besoins des personnes atteintes d'une
maladie mettant en jeu le pronostic vital.
Le rapport d'information proposait très explicitement les modifications
législatives à entreprendre. Aussi, à la suite de son adoption, avons-nous,
collectivement, déposé une proposition de loi reprenant mot pour mot les
conclusions du rapport.
Cette unanimité, au-delà des clivages traditionnels, ne peut surprendre. Déjà
constatée à l'occasion de l'adoption de la loi sur la prise en charge de la
douleur, elle témoigne d'un souci commun de promouvoir l'évolution d'une
médecine plus humaine, qui prenne en considération l'ensemble des souffrances
ressenties par les patients, qu'elles soient d'ordre physique ou
psychologique.
Depuis le dépôt de cette proposition de loi, le 16 février 1999, le Conseil
économique et social, au cours de sa séance du 24 février, a adopté, lui aussi
à l'unanimité, l'excellent rapport de M. Donat Decisier sur l'accompagnement
des personnes en fin de vie qui conclut également à la nécessité de
légiférer.
Nous nous sommes, d'ailleurs, très directement inspirés des travaux du Conseil
économique et social, dont nous avons auditionné le rapporteur, dans le texte
des conclusions de la commission. J'espère aussi que le débat en séance
publique puis la navette parlementaire constitueront autant de sources
d'enrichissement de la proposition de loi.
Je vais maintenant vous présenter, brièvement, le texte des conclusions de la
commission.
L'article 1er prévoit d'inscrire dans la loi une définition des soins
palliatifs et la reconnaissance d'un « droit d'accès » aux soins palliatifs
pour tous les malades qui en ont besoin.
La définition proposée se caractérise par le fait qu'elle affirme
explicitement que les soins palliatifs concernent non pas uniquement les
malades en phase terminale, mais tous ceux qui sont atteints d'une maladie
mettant en jeu le pronostic vital, quelle que soit l'issue de cette maladie.
L'article 2 prévoit de lever les obstacles législatifs qui s'opposent au
développement des soins palliatifs dans les hôpitaux et les cliniques sur
l'ensemble du territoire.
En effet, les textes régissant la planification sanitaire ne prévoient pas,
dans le droit en vigueur, une individualisation des soins palliatifs qui
conduirait les autorités sanitaires à déterminer les besoins en soins
palliatifs puis à autoriser les équipements et activités correspondants : les
soins palliatifs ne correspondent pas à une activité susceptible de faire
l'objet d'autorisation.
Il importe donc que la loi prévoie explicitement la reconnaissance autonome
des soins palliatifs dans la planification hospitalière, pour le secteur public
comme pour le secteur privé.
L'article 3 vise à mettre en place des structures de soins, d'enseignement et
de recherche dans les centres hospitaliers et universitaires. Sur ce point
aussi, l'avis adopté par le Conseil économique et social a confirmé l'analyse
de notre rapport d'information : il demande l'extension à tous les centres
hospitaliers et universitaires d'un « modèle normalisé d'équipes mobiles de
soins palliatifs ». L'article 4 prévoit la prise en charge forfaitaire des
frais de formation et d'encadrement des bénévoles par l'assurance maladie.
Cette prise en charge est subordonnée à un agrément des associations par les
caisses.
L'avis rendu par le Conseil économique et social a souligné la nécessité d'une
extension de cette prise en charge aux dépenses engagées pour la coordination
de l'action des bénévoles et M. Fischer, en commission, a recommandé que les
critères de l'agrément soient définis par décret en Conseil d'Etat. Sur ces
deux points, le texte des conclusions a été enrichi par rapport au texte
initial de la proposition de loi.
L'article 5 des conclusions procède à un assouplissement de la législation sur
l'hospitalisation à domicile. Il supprime un système de troc que vous
connaissez, mes chers collègues, et qui s'est révélé très préjudiciable au
développement de structures d'hospitalisation à domicile pour les soins
palliatifs.
Désormais, les projets de création de structures d'hospitalisation à domicile
en soins palliatifs ne pourront plus être refusés, du point de vue de la
planification hospitalière, que si l'offre en soins palliatifs est
excédentaire. Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de faire des soins
palliatifs une « discipline » ou une « spécialité » médicale, comme certains
lecteurs un peu rapides de la proposition de loi ont pu le croire ; il s'agit
de les individualiser pour l'application de la législation sur
l'hospitalisation à domicile.
L'article 6 des conclusions institue la possibilité d'une prise en charge
forfaitaire pour les soins palliatifs à domicile. Il répond à l'analyse faite
par notre rapport, qui a montré l'inadaptation du paiement à l'acte pour
favoriser le développement d'interventions pluridisciplinaires, comme au
souhait du Conseil économique et social.
L'article 7 demande qu'un rapport du Gouvernement fasse le point sur la prise
en compte des soins palliatifs par le programme de médicalisation du système
d'information, le PMSI, et propose des améliorations.
L'article 8 est à un ajout au texte initial de la proposition de loi : il
s'inspire aussi des recommandations du Conseil économique et social. Il s'agit
d'étendre à l'ensemble des établissements de santé, publics et privés, la
mission de dispenser des soins palliatifs qui n'est aujourd'hui prévue que pour
le service public hospitalier.
Il en est de même pour l'article 9, qui élargit les missions de l'Agence
nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, à l'élaboration de
normes de qualité et d'évaluation des pratiques dans le domaine des soins
palliatifs.
Cette nécessité a été abondamment soulignée par l'avis du Conseil économique
et social qui a estimé qu'« un développement cohérent et maîtrisé des soins
palliatifs et d'accompagnement en France doit se faire, comme cela a été prévu
et réalisé dans les pays qui ont ouvert la voie en la matière, sur la base de
normes de qualité impératives ».
Enfin, nous avons adopté un article 10 créant un congé d'accompagnement. En
effet, dans l'attente de l'adoption de l'avis du Conseil économique et social,
nous n'avions pas souhaité anticiper et inscrire dans la proposition de loi
initiale une mesure à laquelle les partenaires sociaux n'avaient pas encore
consenti. L'avis du Conseil économique et social recommandant cette création
ayant été adopté à l'unanimité, il nous a semblé utile que la loi en fixe le
principe.
L'article 10 prévoit que tout salarié dont un ascendant ou une personne
partageant son domicile fait l'objet de soins palliatifs a le droit soit de
bénéficier d'un congé d'accompagnement, soit de réduire sa durée du travail
pour une durée maximale de deux mois. Ce congé est accordé au vu de la
production d'un certificat médical.
Il n'est pas rémunéré par l'entreprise. Aussi faudra-t-il instituer une
prestation de sécurité sociale ou de solidarité nationale, dont le coût ne sera
pas très élevé, en tout cas moins élevé qu'on pourrait le penser. L'institution
d'un congé d'accompagnement permettra en effet de réaliser des économies
substantielles en évitant des hospitalisations qui ne seraient ni utiles ni
souhaitées, sans parler de certains congés de maladie.
Bien entendu, nous ne pouvons pas, dans une proposition de loi, créer
nous-mêmes cette prestation. C'est le Gouvernement qui devra en prendre
l'initiative, conformément aux voeux du Conseil économique et social.
Je suis convaincu que, avec ces ajouts et d'autres qui résulteront de la
séance publique, notre texte sera complet, équilibré et de nature à donner un
élan considérable au développement des soins palliatifs en France.
Il est bien entendu que soins curatifs et soins palliatifs sont les deux
termes d'un même système de soins continus, où l'on retrouve d'ailleurs la même
prise en charge de la douleur, et que l'un de ces termes ne doit pas être
considéré comme un échec de l'autre. S'il en était autrement, nous en serions
aux antipodes du but recherché.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ainsi que je vous l'ai écrit, connaissant votre
engagement en faveur du développement des soins palliatifs et de
l'accompagnement, nous souhaitons que vous favorisiez une navette parlementaire
de ce texte en vue de son adoption avant la fin de la session parlementaire, ce
qui permettrait de lever les obstacles administratifs et juridiques qui sont un
frein au développement des soins palliatifs et d'accompagnement. Une adoption
dans ces délais serait en effet étroitement complémentaire de l'action que vous
venez de mener dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale
pour dégager des crédits supplémentaires en leur faveur.
Sous le bénéfice de ces observations, mes chers collègues, la commission des
affaires sociales, à l'unanimité de ses membres, vous invite à adopter le texte
qui vous est présenté.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - M. Lejeune
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.
Monsieur le
président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, comme
vous le savez, et au même titre que la lutte contre la douleur, le
développement des soins palliatifs constitue l'une des priorités du
Gouvernement. C'est la raison pour laquelle j'ai annoncé, dès avril 1998, la
mise en place d'un plan triennal de développement des soins palliatifs. Vous
partagez cette préoccupation, et je m'en réjouis, monsieur le rapporteur.
A mes yeux, les soins palliatifs et leur nécessaire développement ne
correspondent pas à une préoccupation marginale, encore moins à un luxe ; ils
sont au coeur des enjeux et des défis de la santé. Ils correspondent en réalité
à une nécessité de transformation de notre culture.
Un système de santé plus proche de nos concitoyens doit savoir traiter de la
mort, de l'accompagnement de la fin de vie. Il s'agit d'une préoccupation
directe, je dirai même intime, des Français. Les états généraux de la santé,
dont la première partie s'achève et que je souhaite voir se prolonger, l'ont
clairement montré : la fin de vie, la lutte contre la douleur, la
reconnaissance des droits des personnes malades et des usagers constituent des
demandes légitimes de nos concitoyens en matière de santé. La lutte contre la
douleur et la nécessité des soins palliatifs sont apparues, au cours de ces
états généraux, comme l'une des premières préoccupations des Français.
Le plan gouvernemental mis en place en avril 1998 comporte quatre grandes
orientations.
Premièrement, il s'agit de disposer d'un état des lieux de l'offre de soins
palliatifs et des associations et de rendre public ce bilan. Nous disposons
depuis un mois d'un recensement exhaustif de l'offre de soins hospitalière. J'y
reviendrai. L'offre de soins de ville, plus difficile à quantifier, est en
cours de recensement.
Deuxièmement, il s'agit de créer et de diffuser une culture de soins
palliatifs chez les professionnels de santé.
La formation initiale des médecins sera prochainement revue. Dans ce cadre,
les soins palliatifs, mais aussi les rites sociaux et religieux de la mort, les
différents aspects du deuil devront pouvoir leur être enseignés. Ces thèmes
seront également développés dans la formation médicale continue, lorsqu'elle
fonctionnera, et dans la formation initiale et continue de l'ensemble des
professionnels de santé.
Dès cette année, une brochure reprenant ces différents éléments sera réalisée
par mes services et diffusée à l'ensemble des professionnels de santé.
Troisièmement, il s'agit de créer et de renforcer l'offre de soins palliatifs
et de réduire les inégalités.
Comme vous venez d'y faire allusion, monsieur le rapporteur, des crédits
importants ont été votés par le Parlement dans la loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999 en vue du développement des soins palliatifs : grâce
aux 150 millions de francs qui y sont consacrés dans l'enveloppe hospitalière
dès 1999, l'offre de soins palliatifs existante sera pratiquement doublée et
couvrira ainsi la totalité du territoire national.
En effet, au 30 mai 1997, la société française d'accompagnement et de soins
palliatifs recensait 55 équipes mobiles et 41 unités de soins palliatifs
représentant un total de 547 lits.
Par ailleurs, d'importantes disparités entre les régions ont été mises en
évidence : à cette date, les régions Centre, Limousin, Languedoc-Roussillon et
la Corse, notamment, ne disposaient d'aucun équipement. Quarante et un
départements ne disposaient ni d'unités ni d'équipes mobiles de soins
palliatifs.
Grâce au financement spécifique de 150 millions de francs en 1999, l'offre de
soins palliatifs va, je le répète, plus que doubler. J'ai choisi, en outre, de
privilégier dans un premier temps le développement des équipes mobiles de soins
palliatifs au sein des établissements plutôt que les unités fixes. Vous
comprenez facilement pourquoi : l'unité mobile dispense évidemment son savoir à
d'autres unités de l'établissement. J'entends en effet faciliter l'intégration
des soins palliatifs dans l'ensemble des services concernés et leur pratique
par ces derniers. Mais nous n'en sommes pas là.
Adoptons, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le rapporteur, une
démarche transversale. Ne créons pas une discipline « soins palliatifs », mais
faisons en sorte que tous les services soient partie prenante dans leur
démarche. Je sais bien que tout cela ne se fera bien entendu pas du jour au
lendemain.
Nos concitoyens disposeront ainsi, à la fin de 1999, de 177 équipes mobiles de
soins palliatifs, de 97 unités fixes représentant un total de 774 lits, et
d'une dizaine de réseaux de soins entre des établissements ou entre la ville et
l'hôpital, répartis sur l'ensemble du territoire.
Tous les départements, à l'exception de la Martinique et de la Guyane, seront
dotés d'au moins une équipe mobile ou d'une unité fixe, marquant ainsi une
nette progression de l'offre de soins. S'agissant de la Martinique et de la
Guyane, j'entends rappeler aux deux directeurs d'agence régionale ma volonté en
ce domaine.
Parallèlement à ces créations, un effort important est accompli, au niveau
régional, pour renforcer les équipes déjà existantes. Sur la seule année 1999,
il est prévu un renforcement des moyens humains dans plus d'une cinquantaine de
structures et équipes mobiles de soins palliatifs.
Quatrièmement - c'est le dernier élément du plan gouvernemental - il faut
favoriser la prise en charge à domicile.
Alors qu'une majorité de nos concitoyens souhaitent mourir chez eux, on le
sait, le pourcentage des morts à domicile diminue régulièrement et se situe
actuellement à 25 %.
Mes services travaillent à un nouveau cadre juridique de l'hospitalisation à
domicile qui devrait favoriser son développement et donc améliorer
l'accompagnement de fin de vie au domicile, aussi longtemps que les personnes
malades le souhaitent.
Il est également possible de créer des réseaux de soins palliatifs en ville
qui pourront bénéficier du fonds d'action pour la qualité des soins de ville
prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. Ce fonds est
créé pour cinq ans et doté de 500 millions de rancs en 1999.
Ces réseaux de soins palliatifs en ville doivent être organisés autour des
médecins généralistes, des infirmiers, des services de soins infirmiers à
domicile et des associations de bénévoles. Ces réseaux doivent être articulés
et pouvoir s'appuyer sur les équipes mobiles de soins palliatifs. Ces réseaux
doivent prendre en charge les problèmes médicaux et socio-relationnels de la
personne en fin de vie, ainsi que les problèmes de la famille et de l'équipe
soignante.
Nous étudions également la possibilité de créer, dans un cadre expérimental,
un forfait de soins spécifique, identique à celui qui avait été créé pour le
sida, pour les services de soins infirmiers à domicile.
Il semble nécessaire de susciter le développement de gardes-malades,
d'accompagnants en fin de vie, d'auxiliaires de vie qui puissent venir soulager
la famille et les proches dans les derniers jours, et surtout dans les
dernières nuits. La Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs
salariés, la CNAMTS, sans avoir besoin d'une disposition législative, a décidé
d'attribuer aux soins palliatifs une somme de 50 millions de francs, dont une
grande partie sera consacrée à la formation des accompagnants et au financement
des gardes-malades.
Le Premier ministre, à ma demande, a saisi le Conseil économique et social du
développement de soins palliatifs et de l'éventuelle création d'un congé
d'accompagnement.
Le Conseil économique et social, auquel se réfère à plusieurs reprises M. le
rapporteur, préconise l'adoption d'une loi d'orientation et de programmation en
matière de soins palliatifs. Cette proposition semble avoir déclenché une
multitude d'initiatives parlementaires, tant au sein de votre assemblée qu'à
l'Assemblée nationale.
Je partage bien évidemment toutes ces préoccupations et je vous remercie de
considérer, à travers cette proposition de loi, que le sujet mérite un grand
débat. Je voudrais d'ailleurs, en cet instant, rendre hommage à M. Neuwirth,
qui lutte avec acharnement, depuis longtemps, pour imposer ce fameux changement
de culture dans notre pays.
Pour autant, pardonnez-moi de vous dire que je m'interroge toujours sur
l'opportunité. Est-ce en effet le meilleur vecteur pour mener à bien une
politique gouvernementale ? Peut-être. Ce qui compte, c'est la volonté de tous
les instants d'aller de l'avant. Vous me direz qu'elle sera renforcée par cette
proposition de loi. Mais l'essentiel, pour le sujet qui nous réunit ce soir,
est autant, je le reconnais, l'application de mesures concrètes que le contrôle
de ces dernières dans le temps. En effet, on peut très vite faire le point sur
l'efficacité d'un dispositif, sur ses éventuelles insuffisances, et être
beaucoup plus opérationnel qu'en se bornant à contrôler à terme l'application
d'une loi. A dire vrai, ce qui me préoccupe, c'est le changement de la culture
médicale et, comme vous le savez les uns et les autres, mesdames et messieurs
les sénateurs, ce n'est pas l'aspect le plus facile de notre sujet !
Cela étant dit, je ne peux et ne veux bien sûr pas m'opposer à « l'ardente
obligation » de légiférer, souhaitée par les groupes parlementaires du Sénat,
et très prochainement de l'Assemblée nationale.
Mais permettez-moi d'émettre un souhait. Oui, il faut alors que la loi ait un
sens. Evitons des dispositions qui relèvent, à n'en pas douter, du domaine
réglementaire ; évitons des dispositions qui pourraient conduire à l'effet
inverse de celui qui est recherché ; méfions-nous de l'idée selon laquelle le
vote d'une loi va automatiquement consacrer la reconnaissance de soins
palliatifs par l'ensemble du corps médical, alors que nous devons travailler
les uns et les autres à l'évolution de ce dernier. Mais j'aurai l'occasion de
revenir sur ces points lors de l'examen des articles.
Je vous remercie d'avoir fait diligence, mesdames, messieurs les sénateurs.
J'espère qu'il en sera ainsi tout au long de ce débat.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous discutons ce soir d'une question délicate qui revêt une importance
particulière dans notre société : l'amélioration du confort des personnes en
fin de vie.
Définis notamment dans le préambule des statuts de la société française
d'accompagnement et de soins palliatifs comme étant « des soins actifs dans une
approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou
terminale » dont « l'objectif est de soulager les douleurs physiques ainsi que
les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique,
sociale et spirituelle », les soins palliatifs interviennent à un moment
particulier de la vie ; ils nous renvoient à nos tabous touchant au rapport que
nous avons avec la mort.
Préférant ne pas la regarder, la cacher tout en la médicalisant, du fait des
grands progrès de notre médecine, nous avons oublié d'entourer, de soulager et
d'accompagner nos semblables de façon continue durant toute la durée
d'évolution de leurs maladies létales.
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur.
Très bien !
M. Guy Fischer.
Oui, comme tout être humain, chaque malade en fin de vie aspire à la dignité
!
S'engager sur la voie d'une reconnaissance des soins palliatifs comme une
activité de soins à part entière et décider de favoriser leur développement est
aujourd'hui une nécessité.
Nous devons toutefois être conscients du fait qu'il s'agit là d'une véritable
révolution culturelle. Les réticences de nos concitoyens et du corps médical ne
peuvent être balayées d'un revers de main. L'amalgame entre soins palliatifs et
euthanasie, quant à lui, doit absolument être évité, banni.
Que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat, les initiatives visant toutes
à remédier aux carences dont souffrent les soins palliatifs se concrétisent.
Le Gouvernement lui-même, à la suite de la question de Roger-Gérard
Schwartzenberg du 17 février dernier, s'est engagé - vous l'avez rappelé,
monsieur le secrétaire d'Etat - en débloquant une enveloppe de 150 millions de
francs, à doubler cette année le nombre d'unités de soins palliatifs et
d'équipes mobiles spécialisées.
Ainsi, certaines régions jusque-là dépourvues, comme l'Auvergne, par exemple,
verront la création ou le renforcement de leurs structures.
Le volonté politique est là pour franchir un pas important. Il est maintenant
opportun de légiférer, de définir des lignes directrices, de donner du corps et
de la cohérence au dispositif de soins palliatifs, tant en milieu hospitalier
qu'à domicile.
Sur ces questions essentielles, nous nous devons de réfléchir au fond,
sereinement, loin de considérations particulières et partisanes.
C'est pourquoi je regrette un peu que le débat sur la proposition de loi dont
M. Neuwirth est à l'origine et qui a été cosignée par l'ensemble des groupes
parlementaires du Sénat ait été avancé. J'espère que son inscription à l'ordre
du jour complémentaire n'a aucunement été motivée par le souci de « couper
l'herbe sous le pied » aux auteurs de la proposition de loi déposée à
l'Assemblée nationale par le groupe RCV...
M. Emmanuel Hamel.
Bien sûr que non !
M. Guy Fischer.
... et qui doit venir en discussion en mai prochain.
Notre travail et celui de l'Assemblée nationale doivent être complémentaires
et non concurrentiels.
M. Jacques Machet.
Bien sûr !
M. Guy Fischer.
Toute querelle quant à la paternité d'un texte promouvant les soins palliatifs
et d'accompagnement paraît inutile.
Cette réserve sur la forme étant exprimée, je tiens à réaffirmer ici
l'adhésion pleine et entière du groupe communiste républicain et citoyen à la
démarche engagée par M. Neuwirth.
Avec justesse, le rapport d'information sur les soins palliatifs adopté par la
commission des affaires sociales de la Haute Assemblée pointait les carences du
système français dans le domaine de l'accompagnement des malades en fin de
vie.
Non seulement les structures de soins en institution comme à domicile manquent
cruellement au regard des besoins - quarante et un départements sont totalement
dépourvus de structures médicales spécialisées - mais, de surcroît, la
formation, l'enseignement des personnels médicaux et paramédicaux pèchent ;
bien souvent, les équipes interviennent sans être réellement
pluridisciplinaires. Enfin, autres acteurs importants, les accompagnants
bénévoles et les associations dont ils relèvent paraissent bien isolés.
Convaincus que cette triste réalité ne pouvait décemment perdurer, résolus à
développer concrètement ces soins en humanisant la fin de vie et la médecine
pour que le patient et sa famille puissent véritablement choisir la formule la
mieux adaptée à son état, nous avons donc décidé de cosigner la présente
proposition de loi.
Je tiens à préciser que je suis tout particulièrement attaché au fait qu'ainsi
la notion de soins continus soit mise en avant.
Notre médecine n'est pas duale. En rien la médecine « technique » curative
n'est exclusive de l'autre, la médecine qui pallie. Le patient doit pouvoir
être pris en charge dans sa globalité ; l'ensemble de ses besoins est à
considérer, pour soulager sa douleur physique mais aussi morale.
La définition retenue à l'article 1er du texte est, à ce titre, performante.
Loin d'être circonscrits et accordés aux seuls malade en phase terminale, les
soins palliatifs pourront concerner tous ceux qui sont atteints par une maladie
mettant en jeu le pronostic vital.
Si les soins palliatifs trouvent ainsi une reconnaissance officielle, les
autres articles du texte permettent effectivement l'extension de ces derniers,
tant en milieu hospitalier qu'à domicile et sur l'ensemble du territoire.
La mise en place de pôles de référence dans chaque centre hospitalier et
universitaire pour dispenser les soins aux malades et favoriser le
développement de la recherche et de la formation des équipes soignantes est une
condition à ce développement.
Vous connaissez tous la position de notre groupe sur les restructurations
hospitalières en cours. Elle va dans le sens de l'avis rendu par le Conseil
économique et social, qui préconise, notamment, l'extension d'un modèle
normalisé d'équipes mobiles de soins palliatifs.
Autre point essentiel abordé par la proposition de loi, grâce à une prise en
charge forfaitaire par l'assurance maladie des frais de formation,
d'encadrement et de coordination de l'action des bénévoles, les associations
agréées, maillon essentiel, seront aidées.
Si les soins palliatifs sont constitués en discipline, les autorisations de
créations de structures de soins à domicile pourront se faire sans « troc » de
lits avec les autres disciplines, sans fermeture de lits hospitaliers : c'est
essentiel.
A l'article 6, qui prévoit pour ceux qui interviennent dans ces soins à titre
libéral un mode particulier de rémunération autre que le paiement à l'acte,
nous avons obtenu, dès l'examen en commission, que les salariés des centres de
santé soient concernés.
Autre élément de satisfaction, l'article 7 reconnaît que le programme de
médicalisation des systèmes d'information, le PSMI, qui sert de référence pour
répartir les budgets de chaque établissement, n'est pas un outil opérant pour
décrire cette activité de soins.
Enfin, la proposition de loi a su s'enrichir des propositions faites par M.
Donat Decisier dans l'excellent avis adopté à ce sujet à l'unanimité par le
Conseil économique et social.
En effet, ont été fort heureusement intégrés le principe de l'élaboration de
normes de qualité et d'accréditation et le congé d'accompagnement ouvert aux
proches.
Je souhaite vivement qu'à ce sujet le Gouvernement complète le dispositif
retenu en suivant les préconisations du Conseil économique et social, favorable
à une prestation compensatrice forfaitaire.
La présente proposition de loi nous semble de nature à lever les obstacles
empêchant actuellement l'essor des soins palliatifs. C'est pourquoi nous la
voterons. Toutefois, lorsque nous avons pris la décision de la cosigner, un
point crucial, la question du financement du dispositif, nous a semblé quelque
peu, sinon totalement, éludé.
Soucieux d'éviter que l'initiative prise se réduise à de seuls effets
d'annonce, désireux de ne pas voir financer cette politique de soins palliatifs
au détriment d'autres missions essentielles assignées à l'hôpital, nous avons
adressé un courrier à M. le rapporteur pour lui faire part de nos
inquiétudes.
Nos soucis sont fondés. Le récent plan d'économie de la CNAM, les débats que
nous avons eus lors de l'examen du dernier projet de loi de financement de la
sécurité sociale, avec la diminution de l'ONDAM et l'utilisation parfois,
d'outils rigides d'évaluation dans un souci de rigueur budgétaire, renforcent
nos craintes.
Si l'on veut que ce projet réussisse, des crédits nouveaux devront être
dégagés. Pratiquer par redéploiements serait inacceptable !
Par amendement, nous proposerons que le rapport annuel du Haut comité de santé
publique évalue les effets de la présente loi et des crédits dégagés.
Pour que le concept de soins palliatifs et d'accompagnement trouve toute son
efficacité, pour que chaque malade puisse bénéficier d'une prise en charge
adaptée et continue, quelles que soient sa situation et les structures
choisies, nous devons impérativement sortir d'une vision purement comptable des
dépenses de santé.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
c'est empreint de beaucoup d'humilité et de respect de la personne humaine que
j'interviens sur le délicat problème posé par cette proposition de loi.
Membre de la commission des affaires sociales, j'ai suivi avec une grande
attention les débats du groupe d'études animé par notre rapporteur, Lucien
Neuwirth, que je félicite et remercie : avec cette proposition de loi - dont je
suis cosignataire - il nous interpelle sur la situation des personnes en fin de
vie.
Mes chers collègues, nous sommes bien petits, bien démunis face à ce délicat
problème posé par la douleur, la souffrance et la mort.
Comme chacun d'entre nous, j'ai été confronté à ce problème de
l'accompagnement de la fin de vie.
C'est d'abord en famille que nous devons y répondre en priorité : c'est à la
famille, quand elle existe au vrai sens du terme, qu'il revient d'accompagner
la personne en fin de vie. Mais la famille seule, même entourée des soins
médicaux nécessaires, ne peut pas répondre à tous ces problèmes douloureux.
C'est ainsi que nous devons favoriser, par cette proposition de loi, le
développement des soins palliatifs et de l'accompagnement en fin de vie.
Qu'ils sont difficiles à prononcer, ces mots de « fin de vie » ! L'homme
propose, Dieu dispose...
Sachons reconnaître qu'en matière de structures aptes à répondre à ces
problèmes, que ce soit à domicile ou à l'hôpital, nous avons beaucoup à faire !
N'est-ce pas, monsieur le secrétaire d'Etat ! Ne l'avez-vous pas dit tout à
l'heure ?
Mais, d'abord, sachons remercier - oui, remercier ! - toutes celles et tous
ceux qui se dévouent, souvent dans l'ombre, et qui sont insuffisamment
reconnus. Je pense, bien sûr, aux infirmières et aux infirmiers, aux
aides-soignantes et aux aides-soignants, à toutes celles et à tous ceux qui
permettent aux structures existantes de fonctionner le mieux possible : les
professions de santé, l'ensemble des médecins, des assistantes sociales, les
milliers de personnes qui répondent au mieux à leur mission, sillonnant les
routes nuit et jour, les acteurs de la vie associative, les bénévoles, et j'en
oublie : qu'ils me pardonnent !
Prendre le temps de s'arrêter, d'écouter le malade, de respecter la personne
âgée, préserver le contact, donner la lumière d'un sourire, voilà autant de
gestes d'amour qui sont bien des soins palliatifs !
Ces personnes ne sont malheureusement pas en nombre suffisant et n'ont pas
toujours reçu la formation qui leur permettrait de mieux faire face à leur
mission. N'est-ce pas, monsieur le secrétaire d'Etat ? N'est-ce pas, mes chers
collègues ?
L'adoption de ce texte donnera enfin l'élan qui convient au développement des
soins palliatifs, par la nécessaire augmentation des structures en milieu
hospitalier et à domicile.
La formation des bénévoles qui concourent à l'accompagnement des personnes en
fin de vie sera prise en considération par l'assurance maladie, dans des
conditions prévues par décret en Conseil d'Etat.
Petit texte, grandes décisions. C'est pourquoi, avec les membres de mon
groupe, nous apportons notre total soutien à cette proposition de loi.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
vous remercie de votre attention.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'approche de la mort dans nos sociétés modernes a changé.
Les progrès de la médecine, l'allongement de la vie, l'évolution de notre
société dans les domaines tant de l'éducation et du savoir que de la
spiritualité, font que la mort n'est plus porteuse de la théâtralité des
siècles passés. Aujourd'hui, elle est souvent précédée de souffrances physiques
et morales curativement dépassées.
Cette souffrance nécessite, certes, la prise en compte de soins techniques,
qui ne doivent cependant pas faire oublier la dimension psychogique, sociale et
relationnelle, intégrant l'environnement affectif et familial, du problème.
C'est parce que les questions délicates soulevées par la fin de vie nous
préoccupent et nous concernent tous, parce que la reconnaissance, en France, de
la nécessité d'accompagner le malade et de soutenir ses proches a été tardive,
parce qu'il existe encore dans notre pays de graves carences, insuffisances et
lacunes en ce domaine, que nous avons collectivement décidé, quelle que soit
notre sensibilité politique, de déposer ce texte.
Le groupe socialiste a fait ce choix parce qu'il estimait que l'importance du
sujet et l'ampleur des enjeux et des besoins méritaient que l'on rompe avec les
clivages politiques traditionnels.
Alors, ce soir, je m'étonne. Pourquoi une telle précipitation ? Pourquoi ce
subit changement de l'ordre du jour, qui plus est à la dernière minute, ce qui
n'a guère facilité l'établissement de l'emploi du temps des uns et des autres
?
Quelle raison peut bien justifier que l'on décide soudainement et
prématurément, avec près d'un mois d'avance, l'examen d'un tel texte ?
Cette hâte ne peut être que préjudiciable à la réflexion et à
l'approfondissement dont aurait pu et dû bénéficier ce débat.
Je crains que certains, ici, n'aient préféré d'autres enjeux...
M. Roland Courteau.
Eh oui !
M. Bernard Cazeau.
... à la considération bien légitime que l'on doit à chaque être qui souffre.
Je ne peux que dénoncer et regretter ce comportement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, chacun, ici, connaît le poids de la souffrance,
véhiculée par la maladie et la mort, chacun sait la douleur des malades,
touchés dans leur chair, et la détresse de leurs proches.
Aujourd'hui, le droit à une mort décente pour tous ne peut plus être
ignoré.
Il est de notre devoir de favoriser la création et la diffusion d'une culture
de soins palliatifs, lorsque le curatif est devenu inefficace ou, pis,
lorsqu'il relève d'un véritable acharnement.
C'est ce parti pris qui nous a décidés à nous associer à cette initiative
législative.
Pourtant - je tiens, après vous, à le souligner - la nécessité d'une loi en
vue de développer les soins palliatifs ne va pas forcément de soi.
En effet, si l'on se réfère aux autres pays européens, excepté la Belgique et
l'Espagne, les soins palliatifs demeurent hors de tout cadre juridique. Mieux
encore, la Grande-Bretagne, qui peut être considéré comme le pays de référence
en la matière, ne dispose pas d'une loi spécifique. Et pourtant, les soins
palliatifs s'y sont développés bien plus que partout ailleurs !
En ce qui nous concerne, nous avons pensé qu'une loi, de part sa force
juridique, pourrait être propice à une généralisation plus rapide du
développement de ces soins et que l'ouverture de débats parlementaires
permettrait d'accélérer la modification des comportements, car, il faut bien le
souligner, l'un des principaux obstacles au développement des soins palliatifs
en France est, vous l'avez dit, d'ordre culturel.
J'en viens maintenant à l'étude plus précise du texte et de ses principaux
articles.
Si l'essence du texte et le principe qui l'anime sont incontestables, le texte
lui-même me paraît perfectible.
Il vise le développement et les modalités de prise en charge des soins
palliatifs et de l'accompagnement.
Il s'attache, en priorité, à combattre les différents obstacles à leur
diffusion et consacre ainsi cinq articles - peut-être quatre, tout à l'heure -
à leur développement spécifique.
Lorsqu'on sait que, malgré les progrès constatés ces dernières années, l'offre
en soins palliatifs reste encore trop faible, on ne peut nier la nécessité de
l'accroître davantage. Cependant, prenons garde que la problématique ne se
réduise aux seuls enjeux de son développement.
Comme je l'ai dit précédemment, sur ce point-là comme sur d'autres, la
proposition de loi mériterait quelques améliorations.
Nous aurions pu chercher la meilleure solution pour accroître l'offre de soins
palliatifs, tout en évitant soigneusement qu'ils puisssent devenir synonymes de
mort et de ségrégation dans l'esprit des individus.
Ce risque psychologiquement grave, tant pour les patients que pour leurs
proches, est malheureusement présent aussi bien dans la définition proposée par
l'article 1er que dans le contenu des articles 2 et 5.
En effet, il est certes louable, en vue d'une meilleure reconnaissance, de
vouloir individualiser et de créer une discipline spécifique de soins
palliatifs. Cependant, toute la notion de transversalité et
d'interdisciplinarité, déjà évoquée par M. le secrétaire d'Etat, s'en retrouve
affectée, ainsi, d'ailleurs, que le développement des équipes mobiles, qui
jouent pourtant un rôle essentiel dans la mise en place des réseaux
ville-hôpital.
En outre, nous souhaitons qu'en matière de soins à domicile la prise en charge
forfaitaire prévue prenne réellement en compte - j'ai entendu que cela allait
être possible - l'ensemble des dépenses relatives aux nécessités de la
condition du malade et de son entourage.
Enfin, il va sans dire, monsieur le rapporteur - mais c'est une boutade ! -
qu'un tel projet ne va pas de pair avec la volonté affichée par nos collègues
de la majorité sénatoriale de faire des économies lors du vote du budget et de
la loi de financement de la sécurité sociale.
M. Guy Fischer.
Eh oui !
M. Bernard Cazeau.
En dernier lieu, je tiens à souligner que, dans la problématique délicate
soulevée par la fin de vie et l'accompagnement, il faut se garder de confondre
- M. Fischer l'a dit également - soins palliatifs et euthanasie.
Il faut savoir que, si nous parvenons à répondre à la demande des premiers, ne
sera pas pour autant réglée la question très sensible que posent ceux qui
continueront de faire le choix d'une mort dans la dignité, comme le colloque
auquel vous nous avez conviés récemment, monsieur le ministre, l'a bien
montré.
Nous voterons ce texte en raison de l'objet qui est le sien, plutôt que pour
son contenu.
Parce que nous sentons la nécessité de donner, au moyen de la législation, un
coup d'accélérateur à la mise en oeuvre, sur l'ensemble du territoire, des
soins palliatifs et de l'accompagnement, parce que nous savons que ce texte
peut être largement amélioré sur certains aspects et efficacement précisé sur
d'autres, parce que nous savons aussi - on l'a dit, c'est un secret de
Polichinelle - que plusieurs textes sont à l'étude à l'Assemblée nationale,
nous voulons, nous aussi, à un moment donné, dans le cadre d'un examen commun,
pouvoir donner à ce texte la dimension et la faisabilité que mérite le projet.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Je n'ai nullement l'intention de revenir, au
fond, sur tout ce qui a été dit, et bien dit, par M. le rapporteur, par M. le
secrétaire d'Etat et par tous ceux qui sont intervenus.
Simplement, j'ai bien senti, à un certain moment, dans les propos de M. le
secrétaire d'Etat, davantage encore dans ceux de M. Fischer et tout à fait
clairement dans ceux de M. Bernard Cazeau, que l'on soupçonnait une quelconque
manoeuvre qui nous aurait amenés à siéger ce soir pour discuter de ce texte.
Je tiens donc à apporter quelques précisions.
C'est le 27 octobre dernier que nous avons procédé à une série d'auditions en
vue d'aboutir à un tel texte.
Puis, voilà à peu près un mois et demi, nous nous sommes entretenus, avec mon
homologue Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles,
familiales et sociales de l'Assemblée nationale, de ce problème. Il m'a informé
qu'un certain nombre de textes étaient en préparation sur le sujet à
l'Assemblée nationale.
Nous sommes donc convenus de veiller à ce que, sur un sujet dont chacun s'est
accordé à dire qu'il n'était pas politicien, qui touche à quelque chose de tout
à fait fondamental que nous avons connu ou que nous connaîtrons tous, les
différentes propositions puissent se rejoindre. Tel est l'esprit dans lequel
nous avons travaillé.
Le présent texte devait être inscrit à l'ordre du jour de demain, 8 avril,
date initialement prévue pour l'examen des textes d'origine parlementaire.
Mais, en accord avec le Gouvernement, et pour faciliter l'examen de projets
importants, cette journée réservée aux propositions des parlementaires a été
reportée au mercredi 28 avril.
Or, à la fin de la semaine dernière, l'Assemblée nationale nous a fait savoir
que, entre le mardi et le jeudi, au moins trois propositions avaient été
déposées à l'Assemblée nationale, qui devaient être examinées par la commission
le 28 avril, jour, je le rappelle, où nous devions étudier le présent texte.
Il ne restait plus qu'une solution, qui a d'ailleurs été envisagée à
l'Assemblée nationale : inscrire la proposition de loi sénatoriale à l'ordre du
jour complémentaire pour que la commission des affaires culturelles, familiales
et sociales de l'Assemblée nationale puisse également se saisir de ce texte le
28 avril et en faire, avec les textes émanant des députés, une première
synthèse, qui nous serait ensuite renvoyée pour que nous puissons alors
éventuellement modifier un certain nombre de propositions qui sont faites
aujourd'hui. Voilà, il n'y a rien d'autre, ni manoeuvre, ni arrière-pensée, et
je regrette que M. Bernard Cazeau ait tenu les propos qu'il a tenus. Si je ne
l'ai pas convaincu, qu'il demande à M. Jean Le Garrec comment cela s'est passé
!
L'objectif était de travailler en commun, et la seule façon pour qu'il n'y ait
pas deux textes qui se croisent sans jamais se rencontrer était de faire comme
nous avons fait.
Je remercie d'ailleurs le Gouvernement d'avoir, hier, en conférence des
présidents, donné suite à ma demande, appuyée par M. le président du Sénat, et
accepté donc que cette « lucarne » que nous avons ce soir, puisque M. le
ministre de l'intérieur ne pouvait pas être présent, puisse être utilisée dans
le cadre de l'ordre du jour complémentaire.
Voilà ce que je voulais dire pour qu'il en soit fait mention dans les comptes
rendus.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er