Séance du 11 février 1999






SERVICE MINIMUM EN CAS DE GRÈVE
DANS LES SERVICES PUBLICS

Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 194, 1998-1999) de M. Claude Huriet, fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi de MM. Philippe Arnaud, Jean-Paul Amoudry, Jean Arthuis, Alphonse Arzel, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barraux, Jacques Baudot, Michel Bécot, Claude Belot, François Blaizot, Maurice Blin, Mme Annick Bocandé, MM. Didier Borotra, Marcel Deneux, Gérard Deriot, André Diligent, André Egu, Pierre Fauchon, Jean Faure, Serge Franchis, Yves Fréville, Francis Grignon, Marcel Henry, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Jean Huchon, Claude Huriet, Jean-Jacques Hyest, Henri Le Breton, Edouard Le Jeune, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Jacques Machet, Jean Madelain, Kléber Malécot, André Maman, René Marquès, Louis Mercier, Daniel Millaud, Louis Moinard, René Monory, Philippe Nogrix, Jean Pourchet, Michel Souplet et Xavier de Villepin tendant à assurer un service minimum en cas de grève dans les services et entreprises publics (n° 491, 1997-1998).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour les usagers, les conséquences des conflits sociaux dans le secteur public soulèvent un problème lancinant et constituent une question récurrente.
Certes, l'alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946 dispose que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Pour autant, le législateur s'est toujours montré réticent à prendre des dispositions générales. Il n'en reste pas moins que la jurisprudence du Conseil constitutionnel a clairement indiqué qu'un équilibre pouvait être institué entre le droit de grève, d'une part, et d'autres principes de valeur égale, c'est-à-dire reconnus comme principes de valeur constitutionnelle, d'autre part : principe de la continuité du service public et principe de la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens.
Bien que soient prévus l'interdiction complète du droit de grève pour certaines catégories de fonctionnaires, un service minimum dans quelques secteurs et l'obligation de dépôt d'un préavis, le dispositif demeure lacunaire, ce qui ne permet pas d'assurer le respect du principe de continuité. Les chefs de service sont, au demeurant, autorisés par le juge administratif à intervenir de manière supplétive pour prendre les mesures nécessaires.
Pourtant, le principe de continuité, lié à la notion de continuité de l'Etat, mentionnée par la Constitution, est un élément fondateur de la définition du service public en tant qu'activité d'intérêt général assumée ou assurée sous le contrôle de la puissance publique.
A côté du principe d'adaptation aux changements et du principe d'égalité de traitement des usagers, le principe de continuité apparaît comme essentiel parce qu'il justifie que les salariés de droit privé des entreprises chargées d'un service public industriel et commercial bénéficient d'éléments statutaires tels que l'absence de licenciement.
Historiquement, certaines particularités des statuts découlent du principe de continuité : les caisses de retraite des cheminots ont été créées au xixe siècle parce que les sociétés de chemins de fer y voyaient un élément attractif, de nature à retenir des salariés alors naturellement mobiles et à favoriser la stabilité nécessaire à la formation d'une main-d'oeuvre qualifiée.
La fonction publique, à elle seule, a représenté plus de la moitié des jours de grève en 1995 et 1996, alors qu'on assiste à une baisse tendancielle de la conflictualité sur dix ans.
Mais ce que ne font pas apparaître les statistiques, qui agrègent l'ensemble des jours de grève des salariés de droit privé, qu'ils travaillent dans une entreprise privée ou dans le secteur public, c'est que les services publics sont bien à l'origine, chaque année, d'une part prépondérante des conflits du travail dans notre pays.
Rapportés à la population active, les fonctionnaires et salariés qui sont chargés d'assurer le principe de continuité et qui représentent un peu plus de 25 % de la population active sont bien ceux qui sont le plus souvent en grève.
Ce qui est aujourd'hui paradoxal, c'est que les journées de grève sont, pour la plupart, le fait de personnels opérant dans des secteurs où doit s'appliquer le principe de continuité.
A la limite, dans le secteur des transports, en 1998, selon M. Louis Gallois, la SNCF, qui rassemble 1 % de la population active, a enregistré 180 000 jours de grève, c'est-à-dire environ 40 % des journées de grève en France.
Face à cette situation, nombreuses ont été les propositions de loi visant à instituer le principe d'un service minimum en cas de cessation concertée du travail dans les services publics. La proposition de loi de M. Philippe Arnaud s'inscrit dans cette lignée. Elle a été déposée le 11 juin 1998, c'est-à-dire avant qu'interviennent les mouvements de grève de la fin de l'année 1998 et le discours de M. le Président de la République du 4 décembre dernier, qui ont remis la question du service minimum au premier rang de l'actualité.
Parmi ces propositions, il convient de mentionner particulièrement celle de M. Jean-Pierre Fourcade, examinée par notre commission, qui a été pour moi une source de réflexion et d'inspiration parce qu'elle ouvre la voie à une approche réaliste et pragmatique du problème.
En effet, la réflexion sur le service minimum n'a de sens que si elle contribue à aider à la modernisation du service public à un moment où celui-ci fait l'objet d'études et d'analyses propres à assurer une meilleure transparence des rémunérations et du temps de travail.
De manière surprenante, un grand journal du soir concluait ainsi son éditorial : « Comment faut-il réorganiser l'Etat pour que les services qu'il rend aux citoyens soient de qualité telle qu'ils justifient le niveau de prélèvement fiscal dans le pays ? De la réponse à cette question dépend le maintien du service public à la française, auquel une majorité de Français sont légitimement attachés. Faute de se réorganiser..., c'est l'Etat qui portera lui-même le plus mauvais coup à la notion de service public. »
C'est cette démarche qui a inspiré les travaux de notre commission, laquelle est partie d'un triple constat pour aboutir à trois propositions.
Premier constat : la grève dans le secteur public constitue un échec du dialogue social dans ce même secteur.
Deuxième constat : le service minimum est un pis-aller dont on ne saurait se satisfaire.
Troisième constat : sous la pression de plusieurs facteurs extérieurs, des évolutions favorables se dessinent, que la loi doit encourager.
Pour ce qui est du premier constat, je dirai qu'il existe trop souvent, en France, un refus de la recherche du consensus. Dans notre pays, l'idée prédomine selon laquelle le conflit est au coeur de la relation sociale. Aussi la grève est-elle considérée, non plus comme l'arme ultime à utiliser après l'échec de toutes les procédures de négociation, mais plutôt comme un moyen de gestion des conflits sociaux.
Plusieurs syndicats nous ont indiqué qu'ils avaient le sentiment que c'était le degré de la réussite de la grève qui conditionnait la suite de la négociation et le succès de leurs revendications auprès de leur direction.
Au cours de nos auditions, il est apparu que, trop souvent, le préavis obligatoire de cinq jours créé par la loi du 31 juillet 1963, n'est entendu que comme une courte période imposée par la loi, période pendant laquelle chacun reste sur ses gardes dans l'attente de « l'épreuve de vérité » que constituera la grève. Cette incompréhension du rôle du préavis persiste bien que le législateur, lors du vote des lois « Auroux » du 19 octobre 1982, ait solennellement inscrit que « pendant la durée du préavis les parties sont tenues de négocier ».
Par ailleurs, certains syndicats adoptent parfois la tactique dite des préavis « glissants », consistant à déposer quotidiennement des préavis successifs afin de pouvoir déclencher des grèves inopinées. Dans des périodes de tension, le préavis est déposé le soir en fin de semaine afin de rendre insignifiant le temps qui doit être consacré à la négociation.
Le service minimum ne garantit pas, par lui-même, le retour à l'esprit de la négociation en période de tension : son organisation même peut devenir un enjeu de conflit. Une fois établi le tableau de consigne, les gestionnaires doivent parfois se livrer à une sorte de « jeu de piste » pour parvenir à joindre chacun des membres du personnel requis, comme ils sont tenus légalement de le faire pour l'application du service minimum.
Pour expliquer de telles pratiques, on pourrait être tenté d'incriminer le statut protecteur des salariés du secteur public ou encore le caractère peu structuré du paysage syndical français. Mais les auditions des syndicats conduisent aussi à souligner les insuffisances en matière de gestion des ressources humaines, notamment le manque d'écoute de la hiérarchie et la centralisation excessive des décisions.
Derrière cela se profile une constatation : l'Etat en tant qu'employeur et en tant qu'autorité de tutelle est généralement dans l'incapacité d'empêcher les conflits sociaux de dégénérer.
Il est paradoxal que les pouvoirs publics se soucient, au travers de la réduction du temps de travail, par exemple, de donner des leçons d'organisation aux entreprises privées, mais omettent de se pencher sur leurs propres carences : rigidité des rapports sociaux, sclérose des structures, centralisation des organigrammes et confusion des responsabilités.
Une déconcentration insuffisante des structures étatiques, l'emprise pesante du ministère des finances et l'interventionnisme de la tutelle sur les entreprises publiques accentuent certains travers. Certains responsables de service ou d'entreprise peuvent avoir une sorte d'intérêt objectif à ce qu'une grève soit « réussie » à la veille de décisions budgétaires.
L'Etat s'accommode parfois trop facilement de l'absence de réelles procédures de prévention qui nécessiteraient de laisser une marge de manoeuvre plus importante à des échelons déconcentrés de décision. Et les conséquences financières et économiques des faiblesses du dialogue social dans le secteur public sont supportées, en définitive, par les contribuables et les entreprises du secteur marchand.
Le Sénat, au travers des travaux de sa commission des finances, avait déjà constaté l'échec de l'« Etat actionnaire ». Il est temps désormais de porter remède à l'échec de l'« Etat employeur ».
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Claude Huriet, rapporteur. J'en viens au deuxième constat : le service minimum est un pis-aller dont on ne saurait se satisfaire.
Il est urgent que soit dépassée l'opposition entre le respect du droit de grève et celui du principe de continuité, qui débouche sur la querelle portant sur la nature et l'ampleur d'un service minimum.
Le concept de service minimum peut faire l'objet de certaines dérives. Il arrive ainsi que la notion de « service minimum » ait parfois un caractère réducteur par rapport aux dispositifs mis en place dans certaines entreprises.
Il en est ainsi pour EDF où, en cas de grève, l'établissement est en mesure, avec un nombre réduit d'agents, d'assurer l'équilibre de la production par rapport à la consommation, sans coupure de courant, mais en freinant les exportations et en recourant à des achats auprès des partenaires extérieurs. Un « service minimum » comportant une baisse de l'alimentation électrique constituerait aujourd'hui une régression insupportable pour le consommateur.
La Poste a mis en place un réseau de régulation parallèle à partir de neuf centres de traitement qui, en cas de surcharge ou de mouvement social, prennent le relais et permettent ainsi d'éliminer les points de blocage dans les centres névralgiques où la grève d'un faible nombre de salariés pouvait paralyser le tri sur une région entière. Même s'il n'est pas toujours atteint, l'objectif visé est ainsi plus ambitieux que celui d'un service minimum.
Une autre dérive possible du service minimum consisterait à banaliser les carences du service public.
Le fonctionnement des services de la navigation aérienne en cas de conflit social illustre le risque d'une interprétation erronée du service minimum. S'agissant par exemple de l'aéroport de Roissy, une piste sur deux est ouverte et une liste de vols autorisés à décoller ou atterrir est fixée par voie d'arrêté ministériel. Même si un nombre significatif de non-grévistes est présent en plus des personnels consignés, l'autorité responsable de l'aéroport ne sera pas en mesure de faire décoller des vols supplémentaires. En effet, les salariés consignés seraient alors juridiquement fondés à quitter leur poste en considérant que, du fait des vols supplémentaires, le service minimum auquel ils sont astreints n'est plus respecté.
Sauf à définir d'emblée une norme du service optimal que les usagers sont en droit d'attendre - et qui n'est aujourd'hui d'ailleurs pas toujours atteinte, notamment dans les transports publics - le risque n'est pas négligeable de voir le service minimum devenir en quelque sorte la norme de référence « acceptable ».
Le législateur doit veiller à légiférer dans la durée. Dès lors, la fixation d'une norme de service minimum dans la loi pourrait constituer un exercice périlleux au regard de l'évolution des besoins des usagers du service public et de la diversité des situations des entreprises.
Par ailleurs, l'instauration du service minimum risque de soulever parfois des difficultés pratiques et d'être considérée comme mettant en cause l'exercice du droit de grève.
S'agissant des transports en commun, la concentration de la population en région parisienne est telle qu'il est impossible d'imaginer un service réduit à un train sur cinq ou sur quatre dans la journée, y compris aux heures de pointe, sans prendre des risques importants pour la sécurité des voyageurs.
L'autre solution propose de ne faire fonctionner les trains qu'aux heures des déplacements professionnels. De fait, selon le président-directeur général de la RATP, 66 % à 75 % des agents devraient alors être mobilisés aux heures de pointe, matin et soir, sans pour autant que soit garanti un service « minimum » alliant qualité et sécurité pour permettre d'assurer les trajets domicile-travail. Dans ces conditions, la question se poserait alors de savoir si le Conseil constitutionnel validerait de telles dispositions.
Au terme de ces éléments de réflexion, il nous a paru préférable de ne pas donner en l'état au service minimum le caractère d'une disposition législative. Le service minimum n'est certainement pas la panacée : il ne peut être envisagé que comme une solution ultime appliquée, conformément à la loi, uniquement en cas de volonté de blocage manifestée par des acteurs sociaux refusant de mettre en oeuvre le principe de valeur constitutionnelle, de continuité du service public.
Mieux vaut alors s'inscrire dans la démarche voulue par le Président de la République dans son discours de Rennes : « La grève est un droit, mais il est essentiel que les entreprises de service public s'accordent avec leur personnel sur des procédures efficaces de prévention des grèves et sur l'organisation concertée d'un service minimum.
« A défaut d'entente, des règles communes à tous les services publics devraient pouvoir s'appliquer. »
Le Parlement joue son rôle en donnant un caractère solennel aux attentes et aux exigences exprimées de plus en plus fermement par les usagers des services publics. Si le législateur devait finalement se résoudre à inscrire le service minimum dans la loi, il pourrait être le moment venu d'autant plus exigeant - y compris au regard du Conseil constitutionnel - qu'il aurait pris le soin de laisser à chacun des partenaires le temps de réflexion et de concertation nécessaires à l'exercice de leurs responsabilités respectives.
Au vu du troisième constat, il apparaît que, sous la pression de l'opinion publique, de l'émergence de la concurrence et de la construction européenne, il se dessine des évolutions favorables que la loi doit encourager.
Il n'est guère de « muraille de Chine » qui puisse désormais protéger durablement le service public des évolutions économiques et sociales.
Tout d'abord, l'opinion publique accepte de plus en plus difficilement que le service public ne joue pas son rôle. Le sondage IFOP du 6 décembre 1998, qui fait état de 82 % de Français favorables au « service minimum », est très révélateur de cet état d'esprit.
Les usagers font preuve d'une sensibilité accrue dans une société complexe où le secteur des services devient prédominant et l'usager des services publics devient un « consommateur de services ». Il est rare de trouver aujourd'hui dans le discours des entreprises publiques la référence à l'usager ou à la continuité du service.
Au demeurant, certains services sont essentiels à la vie de la nation : à la suite des dernières coupures de courant effectuées en 1988, les agents d'EDF ont pris conscience que l'électricité était maintenant considérée comme un bien « vital » et qu'il devenait impossible de l'interrompre sans générer des réactions violentes de la part des usagers.
Jusqu'à une date récente, peut-être les transports en commun étaient-ils considérés comme moins essentiels par l'opinion publique. Les sentiments contradictoires que peuvent susciter les grèves dans les transports publics tiennent au fait que, dans un premier temps, les usagers ont pensé qu'il existait des moyens de circulation alternatifs. Or, les grèves de 1995 ont bien montré qu'en région parisienne, par exemple, il n'en était rien du fait de la saturation du réseau routier. La crise de confiance des usagers de banlieue à l'égard des transports en commun est donc aujourd'hui durable.
Ensuite, l'émergence de la concurrence dans les services publics constitue indéniablement un facteur de modération du nombre de grèves.
Ainsi, en matière de transport aérien, la disparition du monopole d'Air France entraîne un changement d'état d'esprit des usagers qui deviennent des clients prêts à changer de compagnie en cas d'interruption du trafic. En ce domaine, le « service minimum » est constitué par l'offre de la concurrence.
L'ouverture des monopoles à la concurrence est un puissant facteur d'aide à la prévention des conflits.
Enfin, la perspective de la construction d'une Europe sociale va poser dans des termes nouveaux l'application du principe de continuité des services publics.
Comme le montre l'étude du service des affaires européennes du Sénat, la situation de la France apparaît relativement atypique par rapport à nos principaux partenaires chez lesquels, sauf en Espagne ou au Portugal, l'organisation du service minimum est négocié avec les partenaires sociaux.
Reçu par votre rapporteur, M. Jacques Delors met l'accent sur les différences entre une culture latine, à laquelle se rattachent la France, l'Italie et l'Espagne, qui fait de la grève un moyen d'expression des conflits sociaux, et une culture nordique, plus pragmatique pour laquelle l'essentiel est que la grève s'articule sur un véritable processus de négociation. C'est ainsi qu'en Allemagne, la grève n'est possible que pour conclure et faire appliquer des conventions collectives.
La négociation collective au niveau communautaire commence à acquérir une certaine substance depuis l'intégration des accords signés par des partenaires sociaux européens dans le processus d'élaboration des normes.
Dans la perspective de la mise en oeuvre de l'Europe sociale, la reconnaissance des droits des salariés, en particulier dans les services publics, doit aller de pair avec de plus grandes exigences en matière de continuité du service public. C'est la démarche européenne qui permettra de mettre fin aux insuffisances et aux « archaïsmes » du dialogue social dans les services publics en France.
Dans ce contexte, le protocole d'accord qui a été mis en place à compter du 11 juin 1996 à la RATP montre la voie à suivre puisqu'il a permis de réduire le nombre de préavis de grève de huit cents par an dans les années quatre-vingt à un peu moins de deux cents par an actuellement.
En facilitant la réponse à des réclamations se rapportant à la vie quotidienne des agents de conduite qui risquaient, auparavant, de déboucher sur une grève, faute de négociations, l'alarme sociale semble atteindre son but.
La procédure mise en place à la RATP montre que, si la direction et les partenaires syndicaux se donnent pour objectif de régler les difficultés sans recourir d'emblée à la grève, le climat social dans l'entreprise s'améliore au bénéfice des salariés de cette entreprise et des usagers.
Afin de mettre fin à la « culture de la grève », l'accent doit donc être mis en priorité sur les procédures de prévention des conflits.
Adopté le 11 février 1998 par la section du travail du Conseil économique et social, l'avis de M. Guy Naulin, qui a été utile à votre rapporteur, insiste opportunément sur la nécessité de développer des procédures d'alerte et d'alarme sociale.
Dans ces conditions, la commission a décidé de substituer au texte de M. Arnaud un dispositif à trois étages.
Le premier étage consiste à favoriser l'institution de procédures de prévention des conflits.
Le dispositif ferait appel à la négociation collective et ne serait donc pas applicable aux fonctionnaires régis par un statut.
Le mécanisme serait celui d'un « appel à négocier », similaire au texte prévu pour mettre en oeuvre la réduction du temps de travail.
Les partenaires sociaux et la direction des organismes privés chargés d'un service public seraient « appelés à négocier », dans un délai d'un an, un accord collectif relatif à la mise en oeuvre de procédures destinées à améliorer le dialogue social et à prévenir, le cas échéant, le déclenchement de grèves grâce à des procédures de conciliation.
La commission considère que tout service public doit se doter d'un accord en bonne et due forme prévoyant les procédures d'alerte, de dialogue et de transparence propres à prévenir le recours à la grève.
Le deuxième étage vise à améliorer la procédure du préavis obligatoire en donnant plus de sens à « l'obligation de négocier » prévue par les lois Auroux de 1982.
Cette mesure concerne l'ensemble des fonctionnaires et des personnels des entreprises chargés de la gestion du service public.
La durée du préavis est portée à sept jours au lieu de cinq, afin de tenir compte du week-end. La pratique des « préavis glissants » est proscrite par la généralisation d'une disposition dont l'application était limitée en 1979 au secteur audiovisuel.
Le contenu de l'obligation de négocier serait formalisé en s'inspirant des dispositions mises en place par le protocole d'accord du 11 juin 1996 conclu à la RATP.
L'autorité hiérarchique ou la direction de l'établissement devrait tenir une réunion avec les auteurs du préavis dans les cinq jours à compter de la réception de celui-ci.
En cas de désaccord à l'issue de la négociation, un document mentionnant les revendications à l'origine du préavis et les dernières propositions soumises par la direction au cours de la réunion devrait être établi en commun par la direction et les organisations syndicales.
Ainsi, une impulsion nouvelle serait donnée dans l'ensemble du secteur public à une démarche de responsabilisation des différentes parties prenantes en cas d'annonce d'un conflit collectif.
Le troisième étage tend à permettre la connaissance et le suivi de la conflictualité dans le secteur public.
Le Gouvernement serait appelé à présenter, dans un délai de deux ans, un rapport qui dresserait l'état des grèves et interruptions du service public, ainsi que le bilan des accords collectifs prévus par la loi et destinés à améliorer le dialogue social et à prévenir le déclenchement des conflits.
Etabli en consultant les différentes catégories d'usagers, ce rapport devrait permettre, en outre, d'établir les critères de représentativité des associations.
Il pourrait également présenter le bilan des mesures prises par les entreprises gestionnaires d'un service public pour rendre compatible le principe de continuité des services publics avec le respect du droit de grève et faire en sorte, à l'instar d'EDF, que les salariés puissent exprimer leur mécontentement sans pour autant prendre le public en otage.
Si ce rapport faisait notamment apparaître un constat de carence, tant de la tutelle que des dirigeants de ces entreprises et des responsables des organisationssyndicales, le Parlement serait alors pleinement légitimé à proposer la mise en place, par voie législative ou réglementaire, du principe de continuité des services publics avec toutes ses conséquences.
Appel à la négociation, mesures concrètes ayant trait au préavis pour favoriser le temps du dialogue, évaluation des résultats obtenus, telle a été la démarche retenue par la commission. A l'issue de cette étape, il appartiendrait alors au législateur de tirer, le cas échéant, les conséquences de la carence du service public à se réformer. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Guy Allouche au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, légiférer sur le droit de grève des agents des services publics, voilà, permettez-moi de vous le dire, un thème récurrent et quelque peu usé, me semble-t-il : régulièrement des voix s'élèvent, toujours du même côté d'ailleurs - pour parler de cet hémicycle, de la partie qui se situe à ma droite - et de préférence quand elles sont dans l'opposition, à chaque fois que des grèves touchent le secteur public.
Je vous épargne la liste des propositions intervenues en la matière et la citation, toujours éclairante, des déclarations, beaucoup plus modérées, faites sur ce thème par ces mêmes voix lorsqu'elles étaient aux responsabilités.
Il faut bien constater que la réponse aux difficultés que peut susciter l'usage du droit de grève dans le service public ne réside pas dans une solution législative univoque et contraignante. M. le rapporteur l'a d'ailleurs constaté lors des auditions auxquelles il a été procédé. Il a tenté d'en tirer les conséquences en modifiant substantiellement le texte initial, mais il n'est pas parvenu, malgré ses efforts, à lever la confusion qui règne en la matière.
En effet, de quoi s'agit-il ici ? S'agit-il d'encourager la mise en place de mécanismes de prévention des conflits, reposant sur un dialogue social constructif ? S'agit-il d'instituer un service minimum immédiatement, comme le prévoyait la proposition de loi initiale ? Ou bien encore s'agit-il de faire peser la menace d'une intervention ultérieure du législateur sur le service minimum en cas de carence du dialogue social et d'échec des solutions négociées ?
Cette troisième hypothèse n'est pas inscrite de manière explicite dans le texte, mais elle apparaît très clairement dans le rapport.
Mme Nicole Borvo. Tout à fait !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. J'ajoute que ce texte, même s'il a été modifié, s'inscrit dans la continuité d'une proposition de loi présentée par M. Arnaud et par un certain nombre de sénateurs, qui, dans sarafraîchissante brièveté, posait très clairement les intentions : il s'agissait d'instaurer un service minimum partout. Ainsi, des voix s'élèvent, ici ou là, pour réclamer le service minimum, et cette idée doit séduire certains puisque, à l'Assemblée nationale, M. de Villiers a déposé un texte identique.
Que recherchent ceux qui prennent cette initiative ? Veulent-ils le développement d'une politique contractuelle confiante ou préfèrent-ils des effets d'annonce résultant de la perspective d'une intervention législative qui provoquera inévitablement plus de conflits et bloquera les évolutions en cours qui, vous avez bien voulu le souligner, existent et sont importantes et positives ?
La réponse me semble évidente et c'est pourquoi je ne peux que m'opposer, au nom du Gouvernement, à cette initiative qui repose sur une approche simpliste et, selon moi, imprudente de la question de l'exercice du droit de grève dans les services publics, mais je suis aujourd'hui dans cet hémicycle pour en discuter avec votre assemblée.
Monsieur le rapporteur, quelle est l'idée qui sous-tend votre approche ? C'est de présupposer que les services publics seraient incapables de tenir compte des besoins de l'usager, contrairement au secteur privé, paré de toutes les vertus, même s'il en a. C'est l'idée que les agents du service public et leur représentants, attachés à la seule défense de leurs intérêts catégoriels, feraient volontairement échec à la mise en place de mécanismes de prévention des conflits.
Ces procès sont caricaturaux. Nous ne souscrivons absolument pas à ce genre de démarche, dont nous avons encore, ces jours-ci, quelques illustrations avec le dénigrement de la fonction publique,...
M. Guy Fischer. C'est bien vrai !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ... que certains tentent d'ailleurs de réactiver à l'occasion du débat sur le temps de travail dans la fonction publique.
Pour autant, il faut prendre au sérieux les reproches qui peuvent être formulés à nos services publics lorsqu'ils sont fondés, y apporter des réponses adaptées, ce que le Gouvernement s'attache à faire au quotidien à travers la politique de modernisation, la déconcentration, le développement de l'évaluation des politiques publiques et la promotion du dialogue social.
Permettez-moi de rappeler que nombre d'initiatives fortes en matière de modernisation des services publics sont l'apanage des majorités de gauche,...
M. Guy Fischer. C'est un fait !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ... qu'il s'agisse de la décentralisation en 1982, à laquelle le Sénat se montre désormais très attaché, de la déconcentration en 1992, que plus personne ne conteste,...
M. Guy Fischer. C'est un autre fait !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ... ou de l'évaluation des politiques publiques en 1990, enterrée par le gouvernement de M. Juppé, pourtant si préoccupé d'« efficacité managériale », et que je viens de relancer et d'améliorer parce que cela correspond à un besoin réel et profond de notre pays.
Le Gouvernement, pour sa part, se refuse à jeter l'anathème sur les agents des services publics et sur les services publics eux-mêmes. Il s'attache à obtenir l'adhésion et la participation des hommes et des femmes qui font le service public à une réforme dont l'objectif premier - c'est un point d'accord entre nous - est de placer l'usager au coeur de notre système administratif et d'organiser les services publics en fonction de ses besoins. C'est pourquoi je ne peux accepter une approche par trop idéologique, et peut-être parfois démagogique, du droit de grève dans les services publics.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. C'est du niveau d'un préau d'école !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. La proposition de M. le rapporteur, rendons-lui hommage, opère une synthèse quelque peu acrobatique entre la prise en compte de la réalité des progrès accomplis depuis quelques années en matière de prévention des conflits - et vous vous y êtes longuement attardé, à juste titre d'ailleurs - et l'objectif initial de la proposition de loi qui est de restreindre le droit de grève des agents publics.
M. Philippe Nogrix. Non !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, d'apparence équilibrée, me semble pourtant superflue. En effet, si vous voulez inciter au dialogue social et à la mise en oeuvre concertée de mécanismes de prévention des conflits, il n'est pas nécessaire de légiférer et d'instaurer une contrainte légale.
Cette proposition de loi sera contre-productive parce qu'elle repose sur une méconnaissance assez forte des mécanismes du dialogue social et place la négociation de mécanismes de prévention des conflits sous la menace d'une intervention législative, qui serait en définitive la partie concrète, j'oserai dire « utile », de ce texte, et qui ne pourra que compromettre l'évolution en cours dans la plupart des entreprises publiques.
Il est évidemment hautement souhaitable d'encourager la mise en place de systèmes de prévention des conflits. Je l'ai déjà indiqué devant le Parlement, Mme Aubry et M. Gayssot l'ont également souligné. Des systèmes d'alerte ont été institués à la RATP voilà deux ans, ou à Air France l'été dernier. Ils permettent de traiter les litiges en amont par la concertation. La direction de la SNCF et les organisations syndicales semblent prêtes à débattre sur ce thème. Les dispositifs existants fonctionnent bien parce qu'ils ont été mis en place dans le cadre d'une négociation contractuelle, libre, parce qu'ils reposent sur le sens des responsabilités des partenaires sociaux pour préserver les intérêts de l'usager ou du client. Ils fonctionnent bien parce qu'ils ne restreignent pas unilatéralement les droits des agents et qu'ils ont été consentis dans un climat de transparence et de confiance.
A ce titre, l'article 1er, qui institue une invitation à négocier, pourrait paraître raisonnable. Il l'est moins, je le répète, dès lors qu'il fixe une échéance impérative qui ne permettra pas de prendre en compte les spécificités du dialogue social propres à chaque structure. L'article 2 illustre, pour sa part, une certaine méconnaissance des mécanismes des relations sociales. Il est bien évident que rallonger la durée du préavis et, surtout, imposer un constat écrit des désaccords est de nature, contrairement à l'objectif affiché, à attiser les conflits, à « braquer », à bloquer les partenaires sociaux sur des positions écrites qui ne pourront être amendées qu'après le déclenchement de la grève. Bref, c'est risquer de conduire plus à dessurenchères qu'à un apaisement du conflit. A la RATP, exemple déjà largement cité, c'est en amont du préavis que s'établit le dialogue, et non après son dépôt.
Dans le même sens, l'article 3 traduit clairement l'intention initiale des auteurs de cette proposition de loi : il s'agit bel et bien de préparer le terrain d'une intervention du législateur sur le service minimum.
Mme Nicole Borvo. Bien sûr !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Le Gouvernement ne peut évidemment vous suivre. Il considère, je le rappelle, que le droit de grève est un acquis qui ne peut être remis en cause par la loi. Aussi la majorité actuelle, aujourd'hui comme hier, s'est-elle toujours refusée à l'institution par la loi d'un service minimum, et s'en tient à cette attitude responsable.
D'ailleurs, votre commission a parfaitement compris les difficultés que soulève cette notion de service minimum. Ce n'est pas, vous le constatez vous-même et vous l'avez développé, la solution miracle pour trouver un juste milieu entre principe de continuité et droit de grève. C'est effectivement, désormais, un pis-aller qui ne saurait constituer une réponse adaptée aux besoins des usagers. D'ailleurs, très concrètement, et au-delà des secteurs où, parce qu'il était possible et efficace, parce qu'il avait un sens et, disons-le, parce qu'il était très largement consenti, il a d'ores et déjà été mis en oeuvre soit par la loi, soit par des dispositions réglementaires, soit par la concertation. Hormis ces cas, l'institution d'un service minimum soulèverait des difficultés pratiques insurmontables, notamment dans les services de transport en commun, sauf à remettre en cause, avec un risque constitutionnel important, le droit de grève de la grande majorité des agents de ces services publics.
Je note d'ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, que c'est bien ce que pense l'opposition quand elle est aux affaires et qu'elle s'est toujours bien gardée de légiférer en la matière.
Le Gouvernement est favorable, vous le savez, à laisser aux partenaires sociaux, dans un cadre librement consenti, le soin de définir les régimes pratiques de prévention des conflits. C'est pourquoi il ne peut être que défavorable en tous points au texte qui est examiné aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est fière, à juste titre, de ses services publics. De nombreux pays étrangers partagent cette opinion, consultent notre pays et demandent des missions pour moderniser leurs propres organisations.
Mais le monde évolue rapidement et les services publics, comme les services privés, doivent évoluer avec lui pour ne pas devenir obsolètes et pour rester performants. De plus, certains services, comme l'électricité, qui jouissaient jusqu'à présent d'un monopole de fait, sont amenés à devenir concurrentiels à la suite de modifications de notre société et à se transformer radicalement pour survivre.
Le caractère général et collectif des services publics oblige toujours ces derniers à une certaine continuité, dont dépendent bien souvent la santé et la sécurité des personnes et des biens. Cette nécessité est de plus en plus reconnue avec le développement de l'interdépendance du monde moderne, interdépendance à tous les niveaux : international, national, régional, urbain, familial, etc. Il peut aussi en résulter qu'une interruption, si justifiée puisse-t-elle être, d'un service même limité, entraîne des conséquences graves, sans aucune mesure avec les causes ou les revendications initiales.
Cette continuité de fonctionnement se heurte bien évidemment au droit de grève. Examinons comment nos partenaires, de l'Union européenne en particulier, ont réagi face à cette difficulté.
Certains pays interdisent le droit de grève à leurs fonctionnaires, comme aux militaires et aux forces de police. D'autres ont établi des règles particulières de préavis ou des procédures de négociation destinées à restreindre les grèves.
Mais la formule à laquelle on a de plus en plus recours consiste à garantir un service minimum pour les activités considérées comme essentielles ; cet aspect essentiel peut être défini par des textes législatifs, par la coutume ou par la jurisprudence ; quant à l'organisation du service minimum, elle fait l'objet d'accords entre les partenaires sociaux, qui peuvent l'intégrer dans les conventions collectives.
Il semble bien que le moment soit venu pour notre pays de légiférer sur ce sujet. En effet, seules la radio-télévision et la navigation aérienne font l'objet, en France, d'une loi instaurant un service minimum, les établissements hospitaliers, les installations nucléaires, la météorologie faisant pour leur part l'objet d'une certaine jurisprudence. Or, bien d'autres domaines sont concernés.
On assiste du reste actuellement à une recrudescence de mouvements de grève dans les services publics français, mouvements intervenant de manière souvent subite, sans respect des délais habituels ni des conditions prévues dans les contrats. La banalisation de la grève comme moyen d'expression, la création d'une culture de grève constituent bien évidemment des tendances auxquelles il convient de remédier.
La première étape préventive pourrait consister à réagir en définissant de façon précise le contenu de l'obligation des négociations préalables. La deuxième étape, assurant la continuité, se référerait à un service minimum en cas de carence des partenaires sociaux. Ces étapes sont précisément celles que le Président de la République, M. Jacques Chirac, préconisait le 4 décembre dernier, dans son discours de Rennes.
Aussi, je voterai la proposition de loi qui nous est présentée par la commission des affaires sociales.
Je terminerai en rappelant que, le 9 décembre 1995, lors de la grève de la SNCF et de la RATP, notre ancien collègue M. Jacques Habert avait précisément présenté, à l'occasion de la discussion en deuxième lecture d'un projet de loi relatif aux transports, un amendement analogue en faveur d'un service public minimum, amendement que j'avais soutenu mais qui n'avait pas été retenu par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi a été déposée en juin 1998, c'est-à-dire hors de tout contexte immédiat de grève d'envergure dans un service public. Elle fait néanmoins suite à une longue série de propositions de loi déposées par des parlementaires de la majorité sénatoriale en vue de limiter l'exercice du droit de grève dans les services publics, particulièrement dans les services de transports de voyageurs, en utilisant divers procédés.
En fait, la proposition de loi est très simple dans sa version initiale. Elle vise à instaurer, en cas de grève dans la fonction publique d'Etat, dans la fonction publique territoriale ou dans une entreprise publique chargée de la gestion d'un service public, « un service minimum destiné à maintenir la continuité du service public ».
En l'état, il s'agit donc, pour la majorité sénatoriale, d'obtenir un effet d'affichage en utilisant, par exemple, le résultat d'un récent sondage selon lequel 80 % des Français seraient favorables à l'instauration d'un service minimum, sans autre précision.
Il est de fait que, depuis dix ans, le nombre de jours de grève a diminué de plus d'un million. Il est exact que la plupart de ceux-ci sont comptabilisés dans le secteur public dont les salariés n'ont pas à craindre le chômage et la précarité, et que c'est à la SNCF qu'ont encore lieu le plus grand nombre de jours de grève. Sans doute faut-il raisonnablement voir dans cet état de fait regrettable le résultat d'une carence passée du dialogue social dans cette entreprise, et ne pas en tirer de conséquences aussi hasardeuses qu'agressives en direction de l'ensemble du service public. D'ailleurs, le président de la SNCF lui-même a reconnu la nécessité de développer le dialogue au sein de l'entreprise et n'a pas demandé, pas plus que son représentant, lors des auditions de la commission des affaires sociales, le 20 janvier dernier, d'intervention du législateur.
Les conclusions déposées par le rapporteur au nom de la commission des affaires sociales du Sénat sont très différentes du texte initial et s'efforcent à beaucoup plus d'habileté. Elles tiennent compte de l'évolution de l'environnement économique et social, largement décrit lors des auditions de syndicalistes et de dirigeants d'entreprises publiques. Pour autant, elles ne sont pas acceptables par le groupe socialiste.
En effet, du côté tant patronal que syndical, nul ne s'est risqué à demander au législateur de prévoir l'instauration d'un service minimum. Plusieurs intervenants représentant les directions ont même dit clairement ne pas souhaiter la moindre intervention législative en ce qui concerne l'exercice du droit de grève. L'idéologie et les effets d'annonce sont donc rejetés par les dirigeants d'entreprise eux-mêmes.
A l'inverse, il apparaît que les entreprises publiques ont réalisé des efforts importants en matière de dialogue social, ce qui a permis aux représentants auditionnés de décrire les modalités adoptées de façon négociée par chacune d'entre elles pour assurer la continuité du service public tout en respectant l'exercice du droit de grève.
La compagnie Air France, par exemple, constatant au demeurant la nouvelle situation de concurrence à laquelle elle est confrontée, refuse la notion de service minimum, qui ne correspond pas aux attentes de la clientèle et ne peut être géré. La compagnie a négocié un accord global pluriannuel, qui contractualise la prévention des conflits avec les pilotes. Pour le personnel au sol, la concertation avec les syndicats est plus difficile, mais la négociation relative à la réduction du temps de travail permettra de régler ce problème.
Electricité de France, qui a des obligations en matière de sécurité nucléaire, fait appel en cas de grève aux moyens de production en fonction de leur coût. L'entreprise a mis au point, voilà dix ans, par notes internes, un système de message pour enrayer les baisses de charge, voire remonter le niveau de la production en cas de grève importante. Les grévistes sont présents dans les salles de contrôle, où ils assurent les obligations en matière de sécurité et répondent à ces messages.
La Poste, depuis l'arrêt de la Cour de cassation du mois de mai 1998, ne recourt plus à des salariés intérimaires ou sous contrat à durée déterminée. Seuls les receveurs et cadres peuvent constituer un personnel en cas de grève. La Poste mène aujourd'hui une action préventive de dialogue social et a négocié un accord sur le droit syndical. En cas de grève, la liberté du travail est respectée, sous peine de sanction et de recours au référé et à l'astreinte. Les syndicats ont aussi évolué, notamment en prenant en compte le nouveau contexte de fin du monopole sur le courrier des entreprises. Le nombre de jours de grève est en baisse constante, et les grèves surprises ont pratiquement disparu.
M. Nicolas About. Heureusement !
Mme Gisèle Printz. La RATP a élaboré un protocole, fondé sur l'idée de dialogue et de qualité du service, qui permet une alarme sociale. Cinq jours avant le départ du préavis, les parties ont obligation de se rencontrer et de dialoguer, et l'accord ou le désaccord constaté doit être motivé. Cela a permis de mettre fin aux grèves partielles aux heures de pointe, sauf, bien entendu, en cas d'agression, et d'assurer les retours nocturnes. A la RATP, on ne peut faire fonctionner un service minimum pour au moins deux raisons : d'une part, la sécurité des voyageurs à l'évidence et, d'autre part, le fait qu'aux heures de pointe le service est de toute façon maximum.
Au sein de la SNCF, depuis la grande grève de décembre 1995, un programme réduit de circulation est prévu en cas de grève d'ampleur nationale. Les trains Eurostar, Thalys et les TGV fonctionnent de manière presque normale. Les autres lignes sont desservies par un tiers des trains prévus au moins. Les obstacles à la liberté du travail font là aussi l'objet de sanctions et de retenues sur salaires.
M. Nicolas About. Et les banlieues ? (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.) Mme Gisèle Printz. Au total, la question de la continuité du service public se pose donc surtout à la SNCF, particulièrement sur les réseaux Ile-de-France et Sud-Est. Cela constitue un faible prétexte pour tenter de bouleverser à la fois la législation et le délicat équilibre global obtenu par la négociation pour préserver les droits des usagers !
Du côté syndical, on constate une opposition ferme et générale à l'instauration d'un service minimum légal qui remettrait en cause le droit de grève. La continuité du service public, que nul ne méconnaît dans une optique de responsabilité, doit faire l'objet de négociations collectives dans l'entreprise.
Aussi, conscient du fait que le service minimum risque d'être considéré comme mettant en cause le droit de grève, ce qui signifierait des difficultés pour la majorité sénatoriale, M. le rapporteur nous propose aujourd'hui ce texte volontairement ambigu. En effet, ce dernier est à l'opposé de l'objectif initial manifeste des auteurs de la proposition de loi d'agression contre le service public et ses agents, implicitement accusés d'incompétence et de mauvaise volonté, alors que la privatisation et la mise en concurrence seraient la voie tout indiquée. En outre, il est privé de sens et parfaitement superflu à la fois parce que les partenaires sociaux dans les entreprises préfèrent des solutions pragmatiques et parce que l'obligation d'utiliser le temps de préavis pour négocier est déjà prévue par la loi depuis 1982.
L'article 1er de la proposition de loi tend à appeler les entreprises et organismes chargés de la gestion d'un service public à négocier, dans le délai d'un an, un accord en vue d'améliorer le dialogue social et de prévenir le déclenchement des grèves.
Tout ce qui nous est proposé aujourd'hui est la mise en oeuvre de ce qui est déjà en vigueur dans les grandes entreprises publiques. Au demeurant, la formule vague selon laquelle les partenaires sociaux « sont appelés » est dépourvue de sens juridique, ce qui ne peut avoir échappé à la sagacité de M. le rapporteur. Cet article est donc sans objet.
Il est infiniment préférable de faire confiance aux partenaires sociaux, représentants tant des employeurs que des salariés, et à leur sens des responsabilités pour préserver les intérêts de l'entreprise et les droits des usagers et des clients.
L'article 2 nous apparaît comme une motion de défiance à l'encontre des partenaires sociaux, à l'inverse de ce qu'avait voulu la loi Auroux de 1982. Il n'est pas décisif que la durée du préavis soit augmentée de deux jours. Si cette proposition est en elle-même relativement anodine, elle révèle cependant la méconnaissance de ses auteurs du monde de l'entreprise. ( M. le rapporteur rit. ) La négociation est d'abord un état d'esprit, un climat à établir, fondé sur la transparence. C'est donc bien en amont d'un préavis de grève que ce climat s'établit ; mais, à l'évidence, cela ne peut se faire de manière contrainte, comme le prévoit l'article 1er.
Le deuxième alinéa de l'article 2 ne fait que tenter une généralisation contrainte du dispositif actuellement en place à la RATP, dispositif qui n'est pas nécessairement transposable, même s'il est particulièrement intéressant.
L'article 3, enfin, est totalement superflu, mais il permet à la majorité sénatoriale de réaliser un geste démagogique en direction des associations d'usagers, dont la représentativité demeure difficile à apprécier.
Au total, malgré les efforts et l'habileté déployés par le rapporteur de la commission des affaires sociales pour lui donner un aspect plus « présentable », ce texte purement démagogique dissimule encore mal la volonté de la partie la plus réactionnaire de la droite...
M. Jean-Paul Bataille. Demandez aux usagers !
Mme Gisèle Printz. ... de s'attaquer par tous les moyens au droit de grève des salariés. (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Nous pensons qu'il est préférable de favoriser le dialogue et la négociation constructive dans l'entreprise.
M. Claude Huriet, rapporteur. Nous aussi !
Mme Gisèle Printz. La grève demeure, ne vous en déplaise, un droit constitutionnel auquel nous sommes profondément attachés.
M. Claude Huriet, rapporteur. Nous aussi !
Mme Gisèle Printz. Elle doit être l'ultime moyen de résoudre un conflit, mais elle est - je le dis pour l'avoir vécu en tant que syndicaliste - le tout dernier recours des salariés pour faire aboutir leurs revendications et faire respecter leurs droits et leur dignité. C'est pour cette raison que le groupe socialiste votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès qu'une grève paralyse un ou plusieurs services publics, l'idée d'un service minimum resurgit immédiatement, tant l'exaspération monte parmi les usagers, qui condamnent de plus en plus massivement la technique de prise en otage d'une clientèle déjà captive en raison du caractère souvent monopolistique du service. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Nicole Borvo. Nous y voilà !
M. Jean Chérioux. C'est la vérité ! Il ne faut pas vous énerver comme cela !
M. Pierre Hérisson. On a le sentiment, dans certains cas, que faire grève, c'est d'emblée appliquer une chirurgie lourde...
M. Guy Fischer. Allez voir en Angleterre !
M. Pierre Hérisson. ... à des maux de l'entreprise alors qu'une simple aspirine aurait suffit. En effet, trop souvent, la grève est déclenchée sans qu'il y ait eu un véritable dialogue dans l'entreprise sur les revendications avancées.
M. Pierre Lefebvre. La faute à qui ?
M. Pierre Hérisson. La médiatisation de la grève est recherchée et l'on veut frapper l'opinion.
A la décharge des salariés, il est vrai que, dans certaines entreprises ou services publics, c'est le seul moyen d'ouvrir une discussion avec la direction.
M. Jean Chérioux. Il fallait attendre la fin : vous voyez !
M. Pierre Hérisson. Au fil des années, de nombreuses propositions de loi ont été déposées, prévoyant l'instauration d'un service minimum dans les services publics. En fait, aucune d'entre elles n'a abouti jusqu'à présent de manière satisfaisante, car on s'est aperçu que l'imposer aux entreprises publiques, notamment de transport, relevait apparemment de la mission impossible, tant les obstacles sont multiples.
Ceux-ci sont de nature juridico-politique, d'abord, puisqu'on toucherait à un droit inscrit dans la Constitution ; ils sont techniques, ensuite, quand, par exemple, pour les transports, sur certaines lignes saturées de la région parisienne, le service minimum équivaut déjà à un minimum incompressible ; ils sont aussi psychologiques, quand les grévistes ne veulent pas entendre qu'ils pénalisent les autres travailleurs, qu'ils font fuir une clientèle...
Mme Nicole Borvo. Oh !
M. Pierre Hérisson. ... qui, pendant les grèves des transports collectifs - et souvent après - reprend son véhicule, avec les conséquences que l'on connaît sur l'environnement notamment.
Mme Nicole Borvo. Oh !
M. Pierre Hérisson. Il s'agit, en réalité, d'un rapport de forces, car tant qu'un groupe peut utiliser la grève sans discernement - mais aussi sans risque - en occupant ainsi une position privilégiée, pourquoi s'en priverait-il ?
Il n'est évidemment pas acceptable que les services publics aient le triste record des journées de grève qui paralysent en quelques heures toute l'activité d'une agglomération, quand elles n'affectent pas la France tout entière, et surtout lorsque ces grèves se répètent chaque année. (Mme Borvo proteste.)
Le service minimum est extraordinairement difficile à assurer. C'est la raison pour laquelle, jusqu'à aujourd'hui, en France, il n'existe que de façon ponctuelle.
Cependant, il faut faire évoluer la situation et répondre au principe de continuité du service public, comme l'ont fait la plupart de nos voisins européens. C'est ce que réclament plus de 80 % des Français, monsieur le ministre.
Seuls deux services publics ont fait l'objet, jusqu'à présent, de lois instaurant un service minimum : la radio-télévision publique, ainsi que la sécurité et la navigation aériennes.
Par ailleurs, un arrêté ministériel précise les services prioritaires pour lesquels l'alimentation en électricité doit être maintenue.
Dans les autres services publics, les établissements hospitaliers, par exemple, le service minimum résulte résulte de la jurisprudence.
Tous les pays qui reconnaissent le droit de grève sont confrontés au même problème de conciliation de ce droit avec la nécessité d'assurer la continuité de certains services considérés comme essentiels.
Cependant, la plupart des pays de l'Union européenne disposent d'accords syndicaux ou de dispositions législatives permettant de réguler le droit de grève, assurant ainsi la pérennité des entreprises et évitant de prendre en otage l'ensemble des usagers. La France, pour sa part, semble arcboutée sur des pratiques aujourd'hui dépassées.
L'instauration d'un service minimum pose donc un certain nombre de problèmes et s'avère difficile à assurer puisque c'est pratiquement le programme complet aux heures de pointe qu'il s'agit de mettre en place. Il faudrait alors parler de service total entre certaines heures, par exemple de sept heures à neuf heures et de dix-sept heures à dix-neuf heures, plutôt que de parler de service minimum, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, ou bien tout simplement pour assurer le transport des usagers aux heures de pointe, transport qui réclame sans aucun doute un service optimal, pour ne citer que ce secteur d'activité.
Il apparaît alors qu'il faut s'échapper de l'impasse du service minimum pour négocier plus largement la façon d'utiliser l'arme de la grève.
Il convient déjà de rappeler l'obligation de négocier avant le déclenchement de toute cessation du travail, de mettre en place des procédures efficaces de prévention des grèves, en renforçant le dialogue social. Le service minimum doit pouvoir se négocier par secteur d'activité entre l'ensemble des partenaires sociaux, au besoin avec l'aide du Médiateur de la République, garant de la bonne entente entre les services publics et les citoyens, ce qui permettrait de privilégier la négociation.
Nous pouvons observer que l'ouverture de divers services publics à la concurrence a été un facteur important de réduction du nombre de grèves. La construction de l'Europe sociale donnera certainement une impulsion, afin de mettre un terme à certains archaïsmes du dialogue social, malheureusement propres à la France.
Viser le minimum de grèves par la prévention des conflits en instaurant un véritable dialogue social dans l'entreprise devrait être notre objectif idéal, plutôt que d'imposer un service minimum avec, dans les cas extrêmes, des réquisitions de personnels.
La grève sert des intérêts particuliers qui ne peuvent primer l'intérêt général en mettant à mal la liberté du plus grand nombre d'aller et venir, de travailler, de bénéficier de services indispensables à la vie quotidienne. Le service minimum négocié doit pouvoir concilier l'ensemble des intérêts.
Puisque nous approchons du renouvellement du Parlement européen, j'en profite pour dire que le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui démontre, s'il en était besoin, l'urgence - après la monnaie unique - de parvenir à une harmonisation des règles sociales et fiscales...
Mme Nicole Borvo. Vers le bas !
M. Pierre Hérisson. ... dans l'ensemble des pays de la Communauté. Même si la concurrence économique demeure entre les pays européens, ce qui est sain, on ne peut imaginer que s'immisce une concurrence malsaine du fait de l'absence de règles communes sur le plan social et fiscal. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Madame Borvo, je vous indique que, à Marseille, on a fait grève hier pour agression verbale. Mieux vaut ne pas venir voir dans les assemblées parlementaires !
La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1998, la SCNF a connu 180 000 journées de grève, soit un jour de grève par agent. Avec moins de 1 % de la population active, la SNCF a totalisé 40 % des jours de grève en France l'année dernière !
Certains rétorqueront qu'il s'agit là d'une année exceptionnelle. On a l'exception qu'on peut ! Malheureusement, ce n'est pas le cas, car, en 1997, dans le secteur des transports, près des deux tiers des jours de grève étaient le fait des agents de la RATP et de la SNCF !
En 1996 et en 1995, le secteur public, qui représente environ le quart de la population active, a été à l'origine des deux tiers des conflits sociaux !
Pour George Orwell, la conclusion s'impose : « Si chacun dispose d'un droit égal à faire grève, certains sont plus égaux que d'autres en la matière. »
Interpellé sur ce sujet, le Gouvernement s'est posé en défenseur inconditionnel du droit de grève, oubliant ces inégalités flagrantes qui caractérisent l'exercice de ce droit en pratique.
Certains peuvent ainsi impunément perturber la vie de centaines de milliers de personnes et obtenir des avantages que d'autres, n'ayant pas ce pouvoir de nuisance, n'obtiendront jamais. La continuité du service public, principe fondamental de notre droit, est bafouée sansvergogne.
Cet abus de droit est inadmissible, comme l'a rappelé le Président de la République à Rennes, le 4 décembre dernier : « Il est inacceptable que les services publics aient le triste monopole de grèves qui paralysent en quelques heures toute l'activité d'une agglomération, quand elles n'affectent pas la France entière. C'est le symptôme des défaillances de notre dialogue social. C'est aussi bien souvent l'aveu d'une démission de l'Etat. »
L'Etat a, en effet, une responsabilité majeure dans la poursuite de ces excès. Si le préambule de notre Constitution dispose que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », lesdites lois, disons-le, sont bien timides et fixent un cadre on ne peut plus lâche.
Si la grève est un droit, il est urgent qu'elle redevienne uniquement l'arme ultime des salariés dans les négociations sociales et qu'elle cesse d'être un instrument de chantage dont les clients et les usagers sont les otages.
L'opinion publique n'accepte plus que le service public ne joue pas son rôle : selon un sondage IFOP du 6 décembre 1998, 82 % des Français sont favorables au service minimum.
La situation de notre pays est d'ailleurs unique en Europe. Tous les pays de l'Union européenne ont mis en place une réglementation idoine et aucun d'eux ne s'est vu, que je sache, reprocher d'attenter au droit de grève.
Ainsi, en Allemagne, les cheminots n'ont pas le droit de grève et, dans les autres entreprises chargées d'un service public, il existe un service minimal. Les grévistes eux-mêmes ont l'obligation d'organiser des travaux de continuité et d'urgence.
En Italie, la grève est interdite dans les transports lors des périodes de fêtes et pendant les départs et rentrées de vacances estivales. Les transports en commun sont tenus d'assurer un service minimum le matin et le soir, pour permettre aux usagers de se rendre sur leur lieu de travail et d'en revenir.
En Espagne, l'obligation de service minimum a été instaurée en 1977.
Et je pourrais citer bien d'autres pays, sans oublier la Grande-Bretagne, dont la législation dans ce domaine est effectivement un peu particulière.
Pour remédier aux carences actuelles de la responsabilité de l'Etat, la proposition de loi que nous étudions aujourd'hui apporte des réponses judicieuses, qui devraient être consensuelles.
Entendons-nous bien, tout d'abord, sur la notion de service minimum. Il ne peut s'agir simplement d'assurer une partie seulement du service. En effet, dans les transports publics, par exemple, l'affluence est telle aux heures de pointe qu'un service réduit à 10 %, voire à 50 % du trafic normal, a les mêmes conséquences, pour la très grande majorité des voyageurs, qu'une grève complète. Aussi, par service minimum, entend-on, en fait, l'interdiction de la grève aux heures de pointe, comme cela se pratique dans d'autres pays.
Mme Nicole Borvo. Voilà, c'est clair !
M. Nicolas About. Faut-il légiférer immédiatement en ce sens ? Le vide réglementaire est tel dans notre pays que, avant de recourir à une telle solution, des remèdes visant à prévenir les conflits méritent d'être expérimentés si on y croit encore.
C'est ce à quoi vise cette proposition de loi.
Ainsi, dans les services publics, les employeurs et les partenaires sociaux sont appelés à négocier, dans un délai d'un an, les modalités de mise en oeuvre de procédures destinées à améliorer le dialogue social et à prévenir le déclenchement de grèves.
En outre, la période de préavis est mieux réglementée, le délai de préavis est allongé, le recours au « préavis glissant » est interdit, afin d'éviter que la grève puisse être lancée à n'importe quel moment. Avant tout déclenchement de grève, employeurs et représentants syndicaux sont tenus de se réunir dans un délai de cinq jours maximum à compter du dépôt du préavis.
Enfin, le Gouvernement doit présenter au Parlement, dans un délai de deux ans, un rapport faisant le bilan des grèves dans les services publics, des négociations prévues par cette proposition de loi et de l'application des accords conclus en vue de concilier continuité du service public et droit de grève. En cas d'échec des procédures de prévention des conflits, l'instauration d'un service minimum obligatoire s'imposera.
Cette proposition de loi mesurée devrait, je le pense, recueillir l'assentiment le plus large. Elle instaure des procédures de prévention des conflits acceptables par tous. Elle offre aux partenaires sociaux la possibilité de remédier aux dysfonctionnements actuels, tout en les mettant en garde contre une passivité qui obligerait les pouvoirs publics à légiférer plus sévèrement dans deux ans.
C'est pourquoi les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants se félicitent de cette proposition de loi et voteront le texte qui résulte des travaux de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, entre l'excellent rapport de M. Huriet, qui a reflété l'ensemble des auditions et l'évolution de la matière qui nous occupe, et le discours quelque peu sommaire, vous en conviendrez, que vous nous avez présenté, et dans lequel j'ai entendu quelques histoires anciennes, il nous faudra choisir.
Mais avant de vous dire mon choix, et celui de la majorité de mon groupe, je veux essayer, par-delà le rapport de M. Huriet, de cerner les quatre spécificités françaises qui font que le problème se pose de manière beaucoup plus aiguë chez nous que dans les autres pays de l'Union européenne.
La première spécificité, c'est que, en dépit de la législation sur le préavis, la grève est devenue l'acte initial de la discussion sociale.
Monsieur le ministre, vous avez dit que nous discutions sans savoir. Pour avoir siégé cinq ans au conseil de la RATP et autant à celui de la SNCF, je puis affirmer que je sais de quoi je parle. J'ai longuement discuté de ces problèmes, autour de la table du conseil, avec les représentants syndicaux.
Le préavis ne fonctionne pas parce que l'on commence à faire grève, en pensant qu'après on pourra discuter. Autrement dit, contrairement à ce que déclarait Maurice Thorez en 1946, pour qui la grève devait être l'arme ultime des travailleurs, la grève est aujourd'hui devenue l'acte de déclenchement d'une procédure.
M. Pierre Lefebvre. C'est faux !
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est la réalité !
M. Nicolas About. C'est vrai !
M. François Trucy. C'est évident !
M. Jean Chérioux. Il a raison !
M. Jean-Pierre Fourcade. La deuxième spécificité française est la surenchère entre les syndicats.
Dans les entreprises de transport, comme Air France ou d'autres, il est clair que la discussion avec les partenaires sociaux, dont on parle tout le temps, est une discussion du type « échelle de perroquet », c'est-à-dire avec plusieurs positions. Il est extrêmement difficile, dès lors, de dégager une position commune, alors que chez nos voisins allemands, anglais et même italiens, où ce phénomène est moins fort, on arrive plus facilement à dégager des solutions d'intérêt général.
La troisième spécificité française - à mon avis, elle explique presque tout - c'est que, contrairement à la thèse que vous avez défendue, la discussion, lorsqu'une grève se déclenche dans une entreprise publique et qu'elle a des répercussions, est très centralisée. C'est une cellule du cabinet du Premier ministre qui surveille l'opération, qui détermine les conditions que l'on peut accepter ou non. Tout se passe au niveau interministériel, et nous savons, au vu d'exemples récents, que ce genre de confabulation interministérielle débouche, en général, sur une aggravation et un prolongement de la crise.
C'est parce que les directions d'entreprise ou les états-majors des services publics n'ont pas suffisamment d'autonomie que l'on aboutit à des dysfonctionnements et à des crises graves.
Cette concentration au sommet, à Matignon, de l'ensemble des discussions est certainement un facteur paralysant. Simon Nora l'avait bien dit, avant moi, dans son fameux rapport présenté à Jacques Chaban-Delmas. Il n'en a été tenu aucun compte, si bien que l'on persévère dans les mêmes errements.
Enfin, la quatrième spécificité qui explique nos difficultés, c'est que, en droit français, le principe de la continuité du service public n'est inscrit ni dans le préambule ni dans la Constitution, alors que le droit de grève, lui, est reconnu par la Constitution ; par conséquent, nous considérons, tout naturellement, que le second est supérieur au premier.
Or, que dit le septième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ? Que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».
Cela signifie, d'abord, que les constituants de 1946, qui n'étaient pas tous de droite, vous l'avouerez - rappelez-vous l'époque ! - avaient prévu qu'il était possible d'encadrer le droit de grève et, ensuite, que l'autorité chargé de le faire est le Parlement.
Par conséquent, monsieur le ministre, vous commettez une erreur quand vous dites, à l'instar d'un certain nombre de vos prédécesseurs, que le Parlement n'a rien à voir dans cette affaire. La Constitution le dit : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. »
C'est cette application stricte du principe qui a été codifié dans notre Constitution que nous voulons appliquer. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jean Arthuis. Voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade. Telles sont les quatre spécificités qui font, mes chers collègues, que le système ne fonctionne pas.
J'ai moi-même déposé, il y a une dizaine d'années, des propositions de loi sur le service minimum. Mon expérience au sein des deux conseils de la RATP et de la SNCF m'a toutefois conduit à penser que l'institution d'un service minimum ne réglait pas tous les problèmes.
En effet, cela pose des problèmes de sécurité ; du plus, si l'on va très loin dans la définition du service minimum - M. About l'a dit - on encadre de très près le droit de grève ; enfin, selon qu'il y a ou non concurrence, le problème du service minimum se pose en termes tout à fait différents.
Si la SNCF a un monopole, Air France ne l'a plus ; par conséquent, les problèmes sont différents. La Poste, qui avait un monopole, ne l'a plus, non plus si bien que chaque grève de La Poste se traduit par un déficit, une chute du trafic postal.
En ce qui concerne l'audiovisuel, la multiplication des chaînes, des radios, des satellites, etc., fait qu'une grève sur une chaîne publique n'a plus aucune conséquence. Le système s'est guéri de lui-même : on écoute autre chose, on regarde une chaîne câblée ou autre.
Comme vous, monsieur le ministre, j'estime donc que le service minimum n'est pas une bonne chose. C'est pourquoi j'apprécie d'autant plus ce que propose la commission des affaires sociales, et qui ne m'étonne d'ailleurs pas.
Que nous propose-t-elle ? D'abord, de développer le dialogue au sein de l'entreprise.
J'ai assisté à la création du mécanisme interne à la RATP. Ce mécanisme, on ne l'a pas suffisamment dit, fait appel à des personnalités extérieures à l'entreprise - juristes, professeurs de droit, magistrats, etc. - qui apportent une note d'objectivité et d'impartialité tout à fait naturelle.
A la SNCF, on n'en est pas encore là ! Faire admettre aux syndicats de la SNCF qu'on peut faire juger une réclamation, une revendication par des éléments extérieurs à l'entreprise demandera encore quelques années !
Puis, il y a eu cet accord à EDF, qui me paraît essentiel : après les troubles causés par des coupures de courant électrique, direction et syndicats sont convenus, dans un accord d'entreprise, que, quelles que soient la gravité et la nature des revendications, il n'y aurait plus de coupures de courant.
C'est vers ce système qu'il faut se diriger, et c'est ce à quoi nous engage la proposition de la commission des affaires sociales.
Un point essentiel, dans la proposition de la commission, concerne les préavis glissants.
On le sait fort bien, à l'heure actuelle, un certain nombre d'organisations syndicales déposent des préavis glissants, ce qui rend impossible toute négociation et permet à n'importe laquelle d'entre elles de déclencher une grève à n'importe quel moment.
S'imposent donc à la fois la remise en ordre du préavis, l'allongement du délai, pour atteindre la semaine, et la publication des résultats, de manière que l'opinion publique sache pourquoi on fait grève.
S'agit-il d'un problème catégoriel ? S'agit-il de la prise en compte d'une revendication de l'ensemble du personnel ? S'agit-il de protester contre telle ou telle agression ? Encore une fois, il est important que l'opinion publique sache, et c'est la raison pour laquelle le constat proposé est une bonne chose.
S'agissant du rapport du Gouvernement, j'avoue que ma position diverge quelque peu de celle de la commission. Pour ma part, j'aurais préféré la création d'une mission d'information parlementaire chargée d'aller voir dans les pays étrangers comment les choses se passent effectivement, tant il est vrai que, de France, notre vision de la réalité est toujours parcellaire.
Il faut donc aller sur place, en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Etats-Unis, pour voir comment fonctionnent effectivement les différents systèmes, et c'est là, je crois, le travail d'une mission parlementaire.
Des rapports nous en demandons déjà cent cinquante ou deux cents par an au Gouvernement. Ce ne serait jamais que le deux cent et unième ! De plus, ce rapport ne serait pas fait de manière parfaitement équilibrée.
Monsieur le ministre, l'initiative de M. Arnaud et de ses collègues est donc une bonne initiative car, contrairement à ce que vous avez dit, le thème n'est ni usé ni simpliste.
Quand on administre, comme je le fais à Boulogne-Billancourt, des populations ouvrières qui sont confrontées quotidiennement à des arrêts de services, à des blocages d'autobus, à des difficultés de tout ordre, quand on a sur sa commune un certain nombre d'entreprises qui pâtissent lourdement de la non-distribution du courrier par La Poste et qui sont obligées de trouver des solutions de rechange, on voit que le problème est bien réel ; c'est d'ailleurs ce que pense aussi l'opinion publique, qui estime que nous sommes depuis trop longtemps incapables de le régler.
Il s'agit non pas du tout de s'attaquer au droit de grève,...
M. Pierre Lefebvre. Ah !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... mais d'appliquer la Constitution, de réglementer, par une loi, l'exercice du droit de grève dans les services publics.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Dire que ce n'est pas d'actualité, que c'est passéiste, c'est - permettez-moi de vous le dire, monsieur le ministre - pratiquer la politique de l'autruche. C'est un vrai sujet !
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Si le Sénat, à une large majorité, approuve les propositions de la commission, nous aurons progressé. Nous aurons, je l'espère, ouvert les yeux d'un certain nombre de partenaires qui continuent à vouloir gérer nos entreprises, à l'aube de l'an 2000, comme on le faisait en 1930 ; c'est tout à fait intéressant, mais je crains, hélas ! que ce ne soit dépassé ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « le triste monopole de grèves des services publics en France est le symptôme des défaillances de notre dialogue social ». C'est ainsi que s'exprimait le président Jacques Chirac dans son discours du 4 décembre dernier. Il ajoutait que, si la grève était un droit, il était essentiel que les entreprises du service public s'accordent avec leur personnel sur des procédures efficaces de prévention des grèves et sur l'organisation concertée d'un service minimum.
Je souhaite également rappeler, après d'autres, que 82 % des Français réclament un service minimum, selon un sondage IFOP publié en décembre dernier.
Au niveau communautaire, il est frappant de constater que l'extension du cadre concurrentiel crée une passerelle entre les droits de l'usager et la protection du consommateur. Le droit communautaire se préoccupe de plus en plus de la qualité des services. L'obligation de fournir un service de même qualité sur l'ensemble du territoire pour assurer le respect de l'égalité de traitement a d'ailleurs été consacrée par les institutions communautaires, et l'évaluation du service fourni est le corollaire de ce principe. L'exigence de qualité émergente dans tous les domaines ne peut donc manquer de s'appliquer également aux services publics.
Quelle est donc la situation dans notre pays ?
Si le principe de continuité du service public n'est pas dans le texte même de la Constitution, il est néanmoins un principe fondamental de notre droit. Par conséquent, nous devons en tenir compte et trouver des solutions qui soient compatibles à la fois avec ce droit fondamental et l'exercice du droit de grève, qui, lui, est inscrit dans la Constitution, avec cependant la mention qu'il doit s'exercer dans le cadre des lois qui le réglementent. C'était d'ailleurs là - permettez-moi de vous le dire, mes chers collègues - mon sujet lorsque j'ai passé mon doctorat de droit, voilà une cinquantaine d'années, à la faculté de Paris. Vous le voyez, la question que l'on se posait il y a cinquante ans, on se la pose encore aujourd'hui, ce qui prouve que nous n'avançons pas vite !
L'excellent rapport de notre collègue Claude Huriet explicite parfaitement les difficultés juridiques de cet exercice. Je n'y reviens donc pas.
Que constate-t-on dans les faits ?
La grève, qui devrait être la dernière issue en cas de conflit social - M. Fourcade a cité, à cet égard, un grand orateur - c'est-à-dire après rupture du dialogue social, est bien trop souvent, en réalité, le préalable à l'entrée en négociation des deux parties. Elle devient le moyen de se positionner en situation de force pour entamer le dialogue dans les meilleures conditions. Détournée de sa raison d'être, la grève devient alors impopulaire, notamment lorsqu'elle prend en otage une partie de la population, généralement la plus faible, d'ailleurs. Il en résulte que le droit de grève qui est inscrit dans la Constitution devient impopulaire. Avouez tout de même que c'est regrettable !
Il me semble que, dans un tel contexte, il faut prendre le mal par la racine et faire prévaloir la logique de la discussion avant tout.
Il faut nous interroger sur la médiocrité du dialogue social dans les entreprises de service public, sur les insuffisances dans la gestion des ressources humaines qui y prévalent et sur la culture de conflit qui y règne et dont les effets sont néfastes.
La gestion des conflits sociaux est, hélas ! au sein de ces entreprises une gestion dans l'urgence et trop peu souvent une gestion préventive. La gestion des ressources humaines demande à y être développée, comme elle a pu l'être au sein du secteur privé où elle a pris une place prépondérante. En effet, une entreprise où les hommes se sentent bien parce qu'ils sont traités équitablement, où on les écoute est une entreprise qui fonctionne plus harmonieusement.
Je crois qu'il faudrait replacer nos entreprises publiques au sein d'un modèle social rénové, moins centralisateur et qui responsabilise l'ensemble des partenaires sociaux.
Cette forme de société a un nom : c'est la participation gaulliste. On ne peut que regretter qu'elle n'ait pas été plus développée, en particulier dans le secteur public.
Si cette prévention sociale sur le long terme échoue et qu'un conflit éclate, il me semble que la solution négociée doit alors être privilégiée.
En outre, comme l'ont constaté avec moi mes collègues qui ont participé aux auditions publiques, la mise en oeuvre d'un service minimum est extrêmement difficile en raison de la diversité des entreprises concernées. J'approuve donc totalement la démarche de notre commission des affaires sociales qui propose de favoriser l'institutionnalisation de procédures de prévention de conflits.
Cette solution consiste à mettre l'accent sur « un appel à négocier » dans un délai convenable pour les deux parties. Cette forte incitation à négocier, en responsabilisant les deux parties en présence - direction et organisations syndicales - ne peut qu'améliorer le dialogue social et dénouer la crise avant l'avènement d'un conflit dur.
L'exemple de la RATP, que l'on a déjà cité et dont nos travaux se sont inspirés, est exemplaire ; c'est en tout cas le sentiment de ceux qui ont participé aux réunions de la commission.
Le protocole d'accord mis en place le 11 juin 1996 a permis de diviser par quatre le nombre de préavis de grève depuis les années quatre-vingt.
Dès que la situation est susceptible de générer un conflit, une procédure de négociation est mise en oeuvre qui fait apparaître clairement les données du problème et lui donne une reconnaissance officielle permettant ainsi d'ouvrir une négociation qui peut déboucher soit sur un accord, soit sur un constat de désaccord motivé.
La mise en oeuvre de cette procédure a largement contribué à améliorer le climat social de cette entreprise. Cela doit se faire au niveau le plus décentralisé possible, comme l'a très justement indiqué M. Fourcade.
Le texte issu des conclusions de la commission va dans ce sens ; le groupe du RPR le votera.
Je voudrais maintenant insister tout particulièrement sur un point qui me tient à coeur.
Notre rapporteur s'est référé à la nécessité de respecter un certain nombre de principes fondamentaux de notre droit public et auxquels doit répondre le service public : le principe d'adaptation au changement imposé par la puissance publique ; le principe d'égalité dans le traitement des usagers ; le principe de continuité. Je me permets d'y ajouter le respect de la liberté du travail. Certes, cette liberté est garantie par la loi sur le plan pénal. Cependant, non seulement les procédures sont lourdes et complexes - il est toujours difficile d'établir les faits et d'identifier les auteurs - mais surtout elles n'ont aucun caractère préventif. On constate qu'il y a une grève ; on met en jeu des responsabilités ; mais cela n'a pas empêché la grève !
Or, comme certains de nos collègues socialistes l'ont souligné à juste titre en commission, le choix de faire grève est une décision lourde de conséquences, notamment financières, pour le salarié. Il ne décide jamais de gaieté de coeur d'arrêter le travail.
Le droit de faire grève doit s'exercer dans des conditions de transparence compatibles avec la liberté du travail.
En effet, afin d'éclairer la prise de décision du salarié qui supportera les conséquences de la grève à laquelle il se sera associé, il paraît nécessaire qu'il puisse avoir une connaissance précise du degré d'adhésion des salariés de son entreprise au principe de la grève.
C'est pourquoi je propose d'instituer le principe du vote au scrutin secret sur toutes les décisions relatives au déclenchement ou à la poursuite de la grève. (M. Fischer proteste.)
Attendez la fin de mon propos, monsieur Fischer ; vous verrez, vous serez très satisfait !
Mme Nicole Borvo. Nous n'avons rien dit, monsieur Chérioux !
M. Jean Chérioux. Bien entendu, il s'agit non pas de porter atteinte au droit de grève, ni à la liberté de décision des organisations syndicales puisque celles-ci peuvent décider si il y a vote ou non, mais de prévoir que, si il y a vote, il doit se dérouler dans des conditions de transparence minimales vis-à-vis des salariés, ou des syndicats concernés, et enfin de l'entreprise. En effet, il faut mettre le salarié à l'abri non seulement des excès de ses collègues, mais aussi de ceux du patronat, qui pourrait éventuellement sanctionner celui qui a exercé le droit de grève.
Il faut donc, par l'anonymat, protéger le salarié. C'est l'objet de l'amendement que je présenterai lorsque nous examinerons les articles de la proposition de loi.
M. Claude Estier. Ce sont les patrons qui commettent des excès !
M. Jean Chérioux. Les saints ne sont ni d'un côté ni de l'autre, monsieur Estier ! Tous les hommes ont leur défauts et leurs qualités. Le salarié doit être défendu contre les abus commis par les uns ou par les autres !
M. Henri de Richemont. Très bien !
M. François Trucy. Il a raison !
M. Jean Chérioux. Je tiens à féliciter encore une fois notre rapporteur, Claude Huriet, pour le travail qu'il a effectué et pour les dispositions qu'il nous a présentées, qui, tout en respectant le droit de grève, devraient aider à mettre fin aux dérapages bien trop fréquents des services publics en France. Aussi, je le répète, le groupe du RPR lui apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Raffarin. La voix de la Charente, c'est la voix de la sagesse !
M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai eu l'honneur de déposer, avec l'appui de plusieurs de mes collègues, le 11 juin 1998 - c'est-à-dire avant les derniers événements, avant les dernières secousses - la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui. Elle traite du service minimum dans les services publics en cas de grève et ne prévoyait à l'origine qu'un article unique disposant qu'« en cas de cessation concertée du travail ... est instauré un service minimum destiné à maintenir la continuité du service public ».
Ce simple énoncé suffit à lever toute ambiguïté, tout doute, toute crainte chez ceux qui, à tort, voudraient en conclure que le droit de grève pourrait être remis en cause ou qui voudraient faire croire que l'on veut y porter atteinte.
M. Guy Fischer. Ah ça, c'est la vérité !
M. Philippe Arnaud. « En cas de cessation du travail .... » : le postulat est clair, il réaffirme le droit de grève comme imprescriptible et place le propos sur les conséquences de l'exercice de ce droit dans les services publics.
M. Jean Arthuis. Très bien !
M. Philippe Arnaud. Ma proposition tente de concilier ce droit avec une autre exigence, tout aussi fondamentale : la continuité du service public.
Derrière la continuité du service public, il faut considérer les usagers de ces services : particuliers ou entreprises, citoyens qui ne sauraient être pris constamment en otage par une petite minorité, sans motifs sérieux explicables ou compréhensibles par le public puisqu'on ne peut faire valoir l'échec d'une négociation qui n'a pas eu lieu. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RDSE.)
Banalisation de la grève avant même d'avoir commencé à discuter... alors que la grève doit être l'ultime recours après l'échec du dialogue social.
Banalisation de la grève dans certains services publics alors même que les agents salariés de ces services bénéficient de conditions statutaires favorables, notamment la garantie de l'emploi.
Banalisation de la grève, toujours au préjudice de l'usager, salarié ou entreprise qui, eux, vivent des situations à risque au préjudice du contribuable qui viendra toujours équilibrer les comptes des services publics.
M. Jean Arthuis. Eh, oui !
M. Philippe Arnaud. Non, monsieur le ministre, non, mes chers collègues, il s'agit non pas d'opposer les usagers aux agents des services publics mais bien, d'urgence, de trouver les modalités pour réconcilier les citoyens avec leur service public. Il y a urgence, car, de mon point de vue, le risque est sérieux de conflit qui pourrait dégénérer en conflit public-privé.
Selon un sondage, 82 % des Français ne sont-ils pas favorables à l'instauration d'un service minimum ?
Monsieur le ministre, ma proposition n'est pas, comme vous l'avez dit tout à l'heure, le fruit d'une quelconque démarche idéologique. Elle est seulement l'expression d'un citoyen élu qui, apparemment, est approuvé par 82 % des citoyens.
Certes, ma proposition, dans la sécheresse de sa formulation initiale, était une façon de dire : assez ! attention ! cherchez, cherchons et trouvons des réponses à ce problème posé de façon récurrente - vous avez vous-même employé cet adjectif, monsieur le ministre - mais qui est toujours d'actualité.
Cherchons, trouvons des réponses, des solutions, peut-être d'ailleurs simplement par l'application des lois existantes : celle de juillet 1963, et plus récemment les lois Auroux qui disposent - et je ne fais qu'en citer des extraits - que les grèves inopinées ou grèves surprise sont interdites ; que toute grève doit être précédée d'un préavis de cinq jours francs ; que pendant le préavis les parties intéressées sont tenues de négocier ; que sont interdits les arrêts de travail affectant par échelonnements successifs ou par roulement concerté les divers secteurs ou diverses catégories professionnels d'un même établissement ou d'un même service.
Or, vous le savez bien, nous le savons tous, l'esprit de la loi est détourné, par exemple par le dépôt quotidien de préavis successifs, ce qui donne à une grève surprise un caractère régulier, en tout cas sur le plan formel.
Mais l'usager, lui, il subit une grève surprise.
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est exact !
M. Philippe Arnaud. Et l'usager est de plus en plus un client. Il a des exigences de client et ses exigences sont d'autant plus légitimes qu'il est aussi le contribuable qui concourt au financement du service.
Sujet récurrent, monsieur le ministre, vous l'avez dit. Loin d'être usé, il est tout au contraire d'actualité et il s'impose aujourd'hui dans l'intérêt même du devenir du service public, surtout face au développement de la concurrence.
Sujet d'actualité aussi, quand on constate que, dans la gestion des relations sociales de toute entreprise moderne, la gestion et le management social sont au coeur des préoccupations des dirigeants d'entreprise et des organisations syndicales. Les services publics ne seraient-ils pas des entreprises modernes, monsieur le ministre ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Il le faudrait !
M. Philippe Arnaud. C'est donc, de mon point de vue, monsieur le ministre, défendre nos services publics que de vouloir les mettre à l'abri de querelles avec nos concitoyens en les incitant à développer de nouvelles pratiques de dialogue social.
Je suis heureux, monsieur Delaneau, que notre collègue Claude Huriet ait été désigné rapporteur de ce texte. Son goût pour la réflexion approfondie, son sens de la mesure et sa sagesse, qualités entre autres qui lui sont reconnues bien au-delà de cet hémicycle, sont pour moi un gage d'une issue favorable au délicat et sensible sujet qui nous occupe aujourd'hui.
Je tiens à vous remercier, monsieur le président de la commission, et à saluer encore une fois le rapporteur, M. Claude Huriet, dont j'ai apprécié le travail et l'inflexion qu'il a su donner, avec la commission, à ma proposition de loi.
Ainsi, le texte issu des travaux de la commission comprend trois articles, qui organisent les relations sociales au sein des entreprises publiques autour de trois axes majeurs : la prévention, la négociation et le suivi.
La prévention des conflits est une procédure d'alarme sociale qui consiste à intervenir en amont, avant le déclenchement des conflits. Quant à la négociation, elle est rendue obligatoire, au cours du préavis, comme le prévoient aujourd'hui les textes, ce qui donne d'ailleurs plus de sens et de poids aux lois Auroux. Enfin, le suivi sera permis par le dépôt d'un rapport par le Gouvernement, mais on pourrait aussi envisager la création d'un observatoire permettant de suivre l'évolution des relations sociales dans les entreprises privées. Si un tel suivi était instauré, le Parlement pourrait alors intervenir, le cas échéant, pour infléchir l'évolution des relations sociales.
Tout cela est possible, nous le savons, et nous en avons des exemples spontanés. De telles procédures fonctionnent de façon satisfaisante, par exemple à la RATP ou à EDF. Et que l'on ne dise pas que les agents d'EDF sont privés du droit de grève ! Une solution a été trouvée pour qu'ils puissent exercer ce droit sans jamais pénaliser les usagers.
Une nouvelle forme de dialogue social est possible dans les entreprises publiques, c'est ce que nous souhaitons.
Les dispositions que nous vous proposons aujourd'hui, monsieur le ministre, mes chers collègues, vont dans le bon sens. Elles fixent un cadre au sein duquel devra s'exercer le dialogue social. Dans chaque entreprise, elles renvoient aux partenaires sociaux le soin d'établir le dialogue, elles respectent donc leurs droits.
La proposition de loi modifiée par la commission que vient de nous présenter M. Claude Huriet emporte ma totale adhésion. J'invite donc mes collègues qui ont soutenu ma proposition initiale, ainsi que l'ensemble des sénateurs, à bien vouloir la voter. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Richemont. Bravo !
M. Claude Huriet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet, rapporteur. Tout d'abord, je vous remercie, monsieur le ministre, mes chers collègues, de vous être exprimés sur cette proposition de loi, quelles que soient vos critiques ou vos approbations, puisque, au fond, s'exprimer, c'est enrichir le débat démocratique, chacun ne peut qu'en convenir.
Avant de relever vos remarques, mes chers collègues, je tiens à noter, monsieur le ministre, l'importance et la difficulté des responsabilités que vous exercez, non seulement en tant que ministre de la fonction publique, mais aussi en tant que ministre en charge de la réforme de l'Etat.
J'aurais souhaité qu'à ce dernier titre vous marquiez davantage d'intérêt à l'égard de la démarche sénatoriale, qui s'inscrit parfaitement, vous ne pouvez qu'en convenir, dans le cadre de la modernisation de l'Etat et de l'administration. Or, si j'en crois le rapport de la mission interministérielle sur le temps de travail dans la fonction publique qui vous a été remis tout récemment : « Dans un environnement en mouvement caractérisé par des besoins évolutifs des usagers, la modernisation de l'administration est un impératif. »
Soyons au moins d'accord sur l'objectif à atteindre même si, je le constate avec regret, nous ne sommes pas, pour l'instant, d'accord sur les moyens d'y parvenir.
Vous avez essentiellement retenu dans votre propos, comme certains de mes collègues d'ailleurs, la mise en cause du droit de grève. Reconnaissez pourtant, monsieur le ministre, que non seulement dans son titre mais aussi dans son contenu, à aucun moment, il n'est envisagé, dans la proposition de loi, de porter atteinte au droit de grève.
Ou alors, il faut considérer que les lois Auroux - mais M. Auroux ne peut être suspecté d'avoir voulu attenter au droit de grève - constituaient aussi, en leur temps, une menace contre le principe constitutionnel du droit de grève. Je récuse donc le procès qui pourrait m'être fait à cet égard et auquel aucun interlocuteur de bonne foi ne pourrait souscrire.
En revanche, monsieur le ministre, mes chers collègues, si vous avez souligné - à tort ! - les intentions malveillantes de la majorité sénatoriale en ce qui concerne le droit de grève, vous n'avez pas suffisamment insisté, à mon sens, sur l'autre principe de valeur constitutionnelle qu'est la continuité du service public.
Au fond, nous pourrions être d'accord sur l'impossibilité de mettre en cause le droit de grève, ce n'est pas notre intention, et vous le savez. En revanche, là où nous ne sommes pas d'accord, c'est sur le point de savoir si le droit de grève doit l'emporter sur la continuité du service public.
Pour nous, les deux sont liés ; pour vous, malheureusement, ils ne le sont pas.
Je voudrais venir maintenant aux grandes considérations qui ont été développées soit pour soutenir le texte, soit pour le contester.
Pour ceux qui le contestent, pour vous-même, monsieur le ministre, la proposition de loi est inutile parce qu'elle constitue une menace, entre autres, pour le droit de grève.
La loi serait inutile. Pourtant, Mme Printz a largement dénoncé les carences passées et moi-même, tant en commission que dans le rapport ou lors de mon intervention, j'ai souligné, mieux qu'elle, d'ailleurs, les carences de la gestion des ressources humaines dans certaines entreprises publiques. Grâce à mes interlocuteurs, j'ai en effet pu dresser un diagnostic qui remonte très en amont d'une évolution qui a abouti à une dégradation, à une insuffisance du dialogue social dont, malheureusement, la conséquence est le recours à la grève.
On ne peut donc pas m'accuser de centrer mon propos et mes propositions uniquement sur le droit de grève et de faire l'impasse sur tout ce qui a pu conduire à ce que chacun d'entre nous ne peut considérer que comme un échec.
La loi serait inutile aussi parce que certains facteurs extérieurs, que nous ne contestons d'ailleurs pas, font que l'évolution est plutôt favorable.
Vous avez ainsi fait état de la privatisation, de la mise en concurrence. Que je sache, elles ne sont pas seulement le fait des gouvernements de droite. Ainsi, le monopole de La Poste n'a pas été remis en question par un gouvernement de droite.
Monsieur le ministre, ou bien vous souscrivez à ces pratiques, ou bien vous les déplorez, mais chacun ne peut que convenir qu'elles font partie de l'évolution inexorable de l'administration qui, en passe de se moderniser, devrait également quelque peu accélérer le rythme.
La loi serait inutile également parce que ces dispositions seraient déjà appliquées dans les grandes entreprises publiques. Pourtant, à part la RATP, je n'en connais pas tellement.
Vous avez aussi contesté, madame Printz, la rédaction de l'article 1er parce qu'elle serait malvenue et inutile.
Permettez-moi, à titre de réponse, de vous lire l'article 2 de la loi du 13 juin 1998 : « Les organisations syndicales d'employeurs, groupements d'employeurs ou employeurs ainsi que les organisations syndicales de salariés reconnues représentatives sont appelées à négocier, d'ici aux échéances fixées à l'article 1er, les modalités de réduction effectives de la durée du travail adaptées aux situations des branches... ».
Chère collègue, l'appel à négocier, ce n'est pas une création pour les besoins de la cause de la majorité sénatoriale. Faire figurer dans une loi un appel à négocier ne doit pas être considéré comme une aberration législative, l'exemple de la loi de 1998 en témoigne.
Par ailleurs, la proposition de loi serait une menace.
Pourtant, mes chers collègues, tous mes interlocuteurs, qu'il s'agisse des organisations syndicales ou des responsables d'entreprises, ont cité le protocole d'accord de la RATP de juin 1996. Mais force est de constater, pour le regretter, que cet exemple n'a pas été suffisamment suivi jusqu'à ce jour.
De ce fait, le législateur ne joue-t-il pas son rôle quand il favorise les initiatives et leur aboutissement dans un délai compatible avec les exigences, les attentes des usagers du service public ?
Enfin, je me référerai à la loi relative à la réduction du temps de travail : elle prévoit en effet une disposition législative, une seconde loi, qui est, à coup sûr, une menace.
Vous ne pouvez donc pas nous reprocher de prévoir un dispositif menaçant pour obliger les partenaires sociaux réticents à négocier. A travers la loi sur la réduction du temps de travail, l'Etat prévoit un tel dispositif à l'égard des entreprises privées, et il refuserait de l'appliquer aux entreprises qui sont sous sa responsabilité !
Peut-être ces arguments contribueront-ils non seulement à la sérénité du débat, qui est une règle constante dans cette enceinte, vous le savez, monsieur le ministre, mais aussi à éclairer votre vote, mes chers collègues, et, pourquoi pas, à convaincre ceux qui hésiteraient encore à apporter leur soutien au texte de la commission des affaires sociales du Sénat que j'ai eu l'honneur de rapporter en son nom. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certains travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Question préalable