Séance du 19 novembre 1998
M. le président. La parole est à Mme Derycke, auteur de la question n° 357, adressée à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.
Mme Dinah Derycke. J'ai en effet souhaité attirer l'attention de M. Bernard Kouchner sur l'avenir de la gynécologie médicale.
Il s'agit d'une spécialité propre à notre pays, créée en 1966, soit un an avant la loi Neuwirth. L'évolution de ses pratiques et le fait que 80 % des praticiens soient des femmes ne sont pas détachables de ces trente années de lutte en faveur du droit des femmes.
Le gynécologue médical suit sa cliente tout au long de sa vie, parfois dès l'âge de quatorze ans. Sa pratique est fondée essentiellement sur la prescription de contraceptifs, la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles, le dépistage des cancers féminins et la prescription des traitements substitutifs de la ménopause. C'est dire que sa mission est, pour une très large part, une mission de prévention.
Un sondage réalisé récemment par la SOFRES a démontré l'attachement des femmes à ces consultations régulières : 67 % d'entre elles déclarent refuser de remplacer leurs rendez-vous réguliers chez leur gynécologue par les rendez-vous chez leur médecin généraliste, et elles sont encore plus nombreuses à refuser de les remplacer par des consultations à l'hôpital.
Or les gynécologues médicaux sont appelés à disparaître à moyen terme, cette spécialité en tant que telle ayant été supprimée en 1986. La gynécologie médicale est devenue une matière théorique enseignée aux gynécologues obstétriciens, dont la formation demeure fondée essentiellement sur l'obstétrique et la chirurgie. Très peu d'entre eux pratiqueront en cabinet la gynécologie médicale. Avant 1986, cent trente gynécologues médicaux étaient formés par an. Aujourd'hui, ce ne sont plus que vingt des gynécologues obstétriciens formés chaque année qui pratiqueront éventuellement, en cabinet, la gynécologie médicale.
L'harmonisation européenne des études ne saurait être une justification. Cette spécialité, que nos voisins européens nous envient, doit-elle disparaître au motif qu'elle est une spécificité française ?
Au regard de la maîtrise des dépenses de santé, la gynécologie médicale est peu coûteuse et cette spécialité a contribué au fort recul de nombreuses maladies, comme le cancer du col de l'utérus.
En outre, la plupart des gynécologues médicaux sont conventionnés.
La disparition à moyen terme des gynécologues médicaux sera fortement préjudiciable à l'état de santé des femmes. Elles seront moins nombreuses à se faire suivre régulièrement et la politique de prévention des cancers féminins, réaffirmée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, en pâtira.
En conséquence, je souhaiterais savoir si le secrétariat d'Etat à la santé envisage de prendre des mesures pour enrayer cette évolution, qui est un recul pour les femmes, une régression au regard de leurs droits, notamment de leur droit à la santé.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur. Monsieur le président, je crois que ma présence au banc du Gouvernement devrait durer le plus possible car, au fur et à mesure que la matinée avance, les réponses que je suis chargé d'apporter sont de plus en plus positives ! (Sourires.)
Madame la sénateur, vous avez appelé l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale sur l'avenir de la gynécologie médicale.
Il n'est pas dans l'intention du Gouvernement de supprimer la pratique de la gynécologie médicale, bien au contraire. Martine Aubry et Bernard Kouchner s'étonnent simplement que le problème soit soulevé à la fin 1998, alors que, comme vous l'avez d'ailleurs rappelé, la décision générale de créer une seule filière de formation pour les spécialistes date de 1982.
Cette décision était d'ailleurs incontournable puisqu'elle était liée à la nécessité d'instituer la reconnaissance mutuelle des diplômes européens et la libre circulation des médecins à l'intérieur de l'espace européen. Chacun comprendra qu'il ne peut, dès lors, être question de revenir à une double filière de formation.
Cela étant, cette décision de 1982 ne peut expliquer, à elle seule, la diminution du nombre de gynécologues médicaux dont vous faites état.
Il convient de rappeler que les gynécologues médicaux sont actuellement, en France, au nombre de mille neuf cent vingt. Dans ces conditions, il n'est peut-être pas tout à fait pertinent de parler d'une disparition à moyen terme de cette profession car, même si le Gouvernement ne prend aucune mesure, les gynécologues médicaux seront encore environ mille cinq cents en 2010 et mille en 2020.
Quoi qu'il en soit, Mme Aubry et M. Kouchner ont d'ores et déjà annoncé, à la lumière des propositions du groupe de travail présidé par le professeur Nicolas, que, dès 1999, serait individualisée une filière de gynécologie-obstétrique à l'issue du concours d'internat.
Actuellement, le nombre de gynécologues-obstétriciens formés chaque année est compris entre soixante-quinze et quatre-vingt-cinq. Dès 1999, ce nombre pourra être augmenté de façon très significative.
Il convient par ailleurs de noter que, depuis quelques années, 50 % des internes préparant le diplôme de gynécologie-obstétrique sont de sexe féminin. L'expérience montre que les femmes spécialistes en gynécologie-obstétrique s'orientent plutôt vers la gynécologie médicale.
Ce sont donc aujourd'hui près de quarante gynécologues qui se forment chaque année à cette spécialité et l'individualisation de la filière de formation va permettre, en quelques années, de revenir à la formation d'environ centre trente gynécologues médicaux par an.
Faut-il encore le rappeler ? les gynécologues médicaux et les obstétriciens se sont mis d'accord sur un plan de formation de quatre ans. Ce plan comprend une base chirurgicale d'un an et une base obstétricale d'un an également, ainsi qu'une formation de deux ans au libre choix de l'interne. Comme vous le constatez, il ne s'agit pas du tout d'une formation exclusivement chirurgicale.
Pour autant, cela ne veut pas dire que le Gouvernement va abandonner l'idée de former de façon plus complète les généralistes, en particulier pour la participation aux gestes de dépistage des cancers féminins. Si les généralistes ne s'y intéressent pas, toute une partie de la population qui ne consulte pas de gynécologue en sera exclue. C'est une situation que Mme Martine Aubry comme M. Bernard Kouchner se refusent à envisager. Il en va de même de la prescription de la contraception et du traitement hormonal substitutif de la ménopause.
Il y aura donc bien une modification de la formation du généraliste dans la réforme des études médicales à venir, ce qui n'est en rien contradictoire avec notre volonté de former plus de gynécologues médicaux.
Tels sont les éléments de réponse que Mme Martine Aubry et M. Bernard Kouchner souhaitaient porter à votre connaissance, madame la sénateur, éléments qui vous montrent que la santé des femmes, dans le domaine qui vous préoccupe, n'est nullement menacée.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le secrétaire d'Etat, si je ne devais retenir qu'un élément de votre réponse, c'est que nous reviendrons, à terme, à la formation d'environ cent trente gynécologues médicaux par an, comme c'était effectivement le cas voilà une quinzaine d'années.
La réduction drastique opérée depuis n'a peut-être pas attiré l'attention sur le moment mais, aujourd'hui, nous en constatons les résultats : il n'y a plus que vingt ou trente gynécologues médicaux nouveaux par an. Et même si, comme vous le dites, nous disposons aujourd'hui de mille neuf cent vingt gynécologues médicaux, le chiffre ne me semble pas vraiment exorbitant au regard de la population féminine de notre pays.
La seule formation des médecins généralistes, qui, il est vrai, notamment pour le dépistage des cancers féminins, doit peut-être encore être améliorée, ne règlera pas pour autant la question parce que la réalité, incontournable, c'est que les femmes ne souhaitent pas consulter leur médecin généraliste sur des problèmes gynécologiques. Je sais que cela peut paraître curieux pour des êtres humains de sexe masculin, mais c'est ainsi, et tous les sondages le prouvent. Une relation intime et très particulière se noue entre la femme et son gynécologue, qui, dans 80 % des cas, est en fait une femme. Et les femmes refusent, là aussi, de changer leurs pratiques.
Je rappelle également que les gynécologues médicaux accomplissent un vrai travail de prévention, qui permet de réaliser des économies à la fois humaines, puisqu'il y a moins de maladies, et financières.
Je ne souhaiterais donc pas que l'on nous oppose une législation européenne, dont on voit mal tout de même pourquoi elle aurait des effets aussi négatifs sur la formation des gynécologues médicaux.
Je serai attentive à l'évolution, dans les prochaines années, de l'effectif des gynécologues médicaux en formation, souhaitant que nous retrouvions effectivement le nombre annuel de cent trente.
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