Séance du 16 novembre 1998







M. le président. « Art. 4. - I. - Le premier alinéa de l'article 6 de la loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 portant diverses mesures d'ordre social est complété par les mots : ", afférentes à une fraction de la rémunération égale au salaire minimum de croissance, par heure rémunérée dans la limite de la durée légale ou conventionnelle du travail".
« II. - L'article 6-2 de la même loi est ainsi modifié :
« 1° Au premier alinéa, les mots : "jusqu'au 31 décembre 1998" sont remplacés par les mots : "jusqu'au 31 décembre 2001" ;
« 2° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il ne peut être cumulé avec le bénéfice d'une autre exonération totale ou partielle de cotisations patronales ou l'application de taux spécifiques, d'assiettes ou de montants forfaitaires de cotisations. »
« III. - Les dispositions du présent article s'appliquent aux embauches réalisées à compter du 1er janvier 1999. »
Par amendement n° 2, M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales, propose de supprimer le paragraphe I de cet article.
La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Cet amendement reprend un amendement déposé à l'Assemblée nationale par M. Gérard Bapt, mais qui fut retiré en séance. Il a pour objet d'écarter le plafonnement au niveau du SMIC de l'exonération au titre du premier salarié. Ce plafonnement pénaliserait en effet les entreprises innovantes.
Selon une étude récente, environ 38 % des personnes concernées par l'exonération au titre du premier salarié ont le niveau baccalauréat ou ont suivi des études supérieures. Il est évident que, aujourd'hui, les entreprises high tech - pardon à M. Chérioux, qui déteste ce terme - créent un certain nombre d'emplois destinés à des personnes qui ont atteint un tel niveau d'études.
Par ailleurs, la part des entreprises individuelles dans le total des entreprises bénéficiaires diminue d'année en année et le secteur des services est largement majoritaire parmi les acteurs de l'économie ayant recours à ce dispositif.
La commission a considéré que la restriction de ce dispositif ne paraissait pas fondé, alors que le Gouvernement n'a pas encore présenté son plan de réforme des cotisations patronales et n'a pas précisé ses intentions quant à la suite qu'il entend donner au rapport Malinvaud, notamment.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Guy Fischer. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Au-delà du point précis en cause, cet amendement porte sur la question fondamentale des exonérations de cotisations sociales des entreprises.
En l'occurrence, il s'agit, avec l'article 4, de proroger le dispositif de réduction de cotisations pour l'embauche du premier salarié, dispositif qui devrait venir à expiration au 31 décembre de cette année.
Ce dispositif d'exonération « accompagne » les mesures, prises dans le cadre de la loi de finances, tendant à relever le seuil d'application du régime des micro-entreprises et à pratiquer un abattement sur la base « salaires » de la taxe professionnelle.
Indépendamment des conditions de sa prorogation, le dispositif se situe dans un cadre de réduction globale des prélèvements touchant les petites et moyennes entreprises.
L'article 4 tend donc à proroger un dispositif en en limitant l'application aux cotisations correspondant au SMIC, afin d'en réduire le coût pour la sécurité sociale.
Une telle orientation est évidemment absente des préoccupations de la commission des affaires sociales, qui nous invite à faire « sauter » ce seuil et à faire assumer le coût de cette suppression par l'Etat, au travers de la stricte application de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, article dont l'auteur est encore parmi nous et qui, à peine voté, fut déjà contourné dans le projet de loi portant diverses mesures d'ordre social adopté à la fin de l'année 1994.
Je me permettrai de faire part à nouveau de notre grande circonspection devant les dispositifs d'allégement des cotisations.
On ne peut en effet oublier que, pour alléger la contribution des entreprises au financement de la protection sociale, on a, ces dernières années, augmenté le taux de CSG appliqué aux salaires et qu'un beau jour de juillet 1995, pour financer entre autres la ristourne dégressive, on a cru bon de majorer de deux points le taux normal de la TVA.
A force d'engager ainsi toujours plus les finances publiques à prendre en charge, en lieu et place des entreprises, le financement de la protection sociale, on a fini par majorer les prélèvements obligatoires et par rigidifier une part toujours plus grande des dépenses publiques, conduisant à une diminution des possibilités de réduction des impôts et des prélèvements.
Le dispositif que prévoit l'article 4 tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale nous semble tout à fait équilibré. Tout au plus nécessiterait-il, de notre point de vue, d'être soumis à une analyse critique quant à sa portée et à son efficacité sociale et économique.
Voilà pourquoi nous voterons contre l'amendement de la commission des affaires sociales.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Les sénateurs socialistes voteront contre cet amendement, qui vise notamment à remettre en cause le plafonnement au niveau d'un SMIC de l'exonération consentie pour l'embauche d'un premier salarié, plafonnement prévu à l'article 4.
M. le rapporteur nous le rappelait : il s'agit d'un système qui bénéficie, presque par définition, aux entreprises artisanales, de commerce et de services. Or ce sont des secteurs dans lesquels, ne nous leurrons pas, les salaires avoisinent souvent le SMIC.
Il est donc faux de dire que le plafonnement est en contradiction avec le souci du Gouvernement de ne pas encourager des systèmes d'exonération qui seraient des « trappes » à bas salaires.
Par ailleurs, pour beaucoup d'entreprises, l'embauche d'un premier salarié est programmée, qu'il y ait ou non exonération. De plus, nous semble-t-il, pour les entreprises de haute technologie, la question des charges ne se pose pas avec la même acuité.
Les discussion autour de cet article ainsi que la question récurrente de la compensation démontrent la nécessité d'une remise à plat des multiples exonérations de charges et d'une évaluation de leur impact réel sur l'emploi.
Par ailleurs, elles mettent en évidence l'urgence qu'il y a à poursuivre, par une réforme des cotisations patronales, la réforme structurelle du financement de notre protection sociale, engagée l'année dernière grâce au transfert à la CSG des cotisations maladie.
Aujourd'hui, force est de constater que les mutations profondes de notre économie et les conséquences de l'évolution technologique n'ont pas encore été intégrées dans le mode de financement de la sécurité sociale.
Les opinions divergent sur le contenu de cette réforme, y compris parmi les experts qui, à la demande des gouvernements successifs, ont été chargés d'éclairer notre réflexion. Faut-il ou non transférer l'assiette de la masse salariale à la valeur ajoutée ? Faut-il procéder à des exonérations sur les bas salaires en se rattrapant sur d'autres catégories salariales, au risque d'encourager un nivellement par le bas ?
Sur un sujet aussi sensible, le Gouvernement entend organiser une consultation aussi large que possible. Celle-ci est incontestablement nécessaire.
Pourtant, madame la ministre, nous espérons pouvoir aborder le plus rapidement possible cette question de la réforme des cotisations patronales.
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Je voudrais simplement rappeler qu'un tel amendement avait été déposé à l'Assemblée nationale - avant d'être retiré en séance - par M. Gérard Bapt, qui est socialiste - nul n'est parfait ! - mais surtout député de la région de Toulouse. Or cette région compte nombre de jeunes petites sociétés high tech, que ce plafonnement gêne lorsqu'elles embauchent leur premier salarié.
La commission des affaires sociales et son rapporteur veulent bien se charger de tous les péchés d'Israël, mais chacun doit admettre que ce fardeau est aussi porté par un certain nombre de députés de la majorité !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je note simplement que ceux qui souhaitent la diminution des prélèvements obligatoires, et notamment des impôts, les accroissent au fur et à mesure des articles.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 3, M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales, propose d'insérer, après le paragraphe II de l'article 4, un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« II bis. - Les dispositions de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale s'appliquent à la prorogation, au-delà du 31 décembre 1998, du dispositif d'exonération de cotisations patronales pour l'embauche d'un premier salarié résultant du paragraphe II. »
La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Il s'agit toujours du même problème, et la même remarque pourrait être faite à tous les gouvernements.
Cet amendement a pour objet de prévoir explicitement la compensation intégrale, au bénéfice de la sécurité sociale, du dispositif dont il vient d'être question et qui a coûté 2,8 milliards de francs en 1998.
On ne peut pas se gausser du trou de la sécurité sociale et prendre des mesures qui le perpétuent ou qui l'aggravent.
L'article 4, dans sa rédaction actuelle, prévoit une prorogation, pour trois années supplémentaires, d'un dispositif d'ailleurs antérieur à la loi de 1994 puisqu'il avait été créé par la loi du 13 janvier 1989.
Quoi qu'il en soit, la prorogation n'était évidemment pas prévue en 1994, et la commission estime que, dès lors, il doit y avoir une compensation.
Si l'on suivait l'interprétation que semble faire le Gouvernement, il suffirait qu'un dispositif d'exonération soit étendu à l'occasion d'une mesure de prorogation pour que l'Etat puisse réaliser d'importantes économies au détriment de l'équilibre des régimes sociaux. Ou encore il suffirait que l'Etat, plutôt que de mettre en place un nouveau dispositif qu'il devrait compenser intégralement, décide de s'emparer d'un dispositif existant, de le vider de son contenu, de le définir autrement et de considérer qu'il ne doit pas être compensé au motif que le dispositif originel est antérieur.
Je pense qu'il ne faut pas, en l'occurrence - mais personne n'a cette idée en tête, et vous moins que quiconque, madame la ministre - vider de son sens la loi du 25 juillet 1994.
Considérer que la prorogation - accompagnée, en l'espèce, d'une modification du dispositif - constitue une novation juridique et que, en conséquence, le dispositif doit être compensé intégralement s'inscrit parfaitement dans la lettre et l'esprit de la loi du 25 juillet 1994.
Une telle interprétation est en outre incitatrice, car elle conduit l'Etat à mieux apprécier l'intérêt d'un dispositif d'exonération avant d'en décider la prorogation puisqu'il en supporte le coût.
La palette des différents dispositifs d'exonération de charges sociales est particulièrement riche et complexe puisqu'il en existe trente - vous en avez évoqué sept ou huit, tout à l'heure, madame la ministre - qui ont donné lieu à cent cinquante-sept textes d'application. Un rapport de mai 1998 de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales sur la branche du recouvrement a rappelé que la difficulté de gestion de ces dispositifs était due à leur multiplicité. Une simplification et une compensation s'imposent donc, ainsi que l'ACOSS l'a souligné à de très nombreuses reprises, pour l'équilibre des branches de la sécurité sociale.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4, modifié.

(L'article 4 est adopté.)

Article 5