M. le président. « Art. 15. - I. - Le 3 de l'article 79 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation aux dispositions ci-dessus et selon des modalités fixées par décret, peuvent être indexés sur le niveau général des prix les titres de créance et les instruments financiers à terme mentionnés au 2° et au 4° de l'article 1er de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières. »
« II. - Les a et c du IV de l'article 125 A du code général des impôts sont complétés par une phrase ainsi rédigée :
« Cette condition n'est cependant pas exigée lorsque l'indexation est autorisée en vertu des dispositions de l'article 79 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959. »
Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'article 15 du projet de loi a une particularité : si l'essentiel des dispositions du présent titre II ont un caractère, disons instrumental, puisqu'elles tendent à balayer l'ensemble des domaines où peut se poser la question de la conversion de nos francs en euros, il nous propose, lui, une autre musique puiqu'il tend à prévoir expressément la mise sur le marché - financier, en l'occurrence - de nouveaux produits obligataires.
On nous invite, en effet, à autoriser l'Etat à émettre sur les marchés, au travers des procédures habituellement utilisées dans ces domaines, des obligations assorties d'une sorte de garantie de rémunération, en les indexant sur le niveau général des prix.
Il s'agit donc a priori de tranquilliser les éventuels investisseurs - et ce ne sont sans doute pas les petits porteurs qui sont visés ! - sur le potentiel de rémunération de leurs placements en titres obligataires dans notre pays.
Peut être verrons-nous dans cet article 15 une sorte d'excroissance des objectifs affichés au système européen de banques centrales, dont nous parlions ici, voilà peu, notamment cet objectif primordial de stabilité des prix, inscrit désormais dans nos lois après l'avoir été, noir sur blanc, dans le traité de Maastricht, et tendant, en fait, à prouver ou à montrer que la clause d'indexation n'est pas destinée à jouer dès lors que la politique économique concertée que mènera notre pays permettra de tenir cet objectif.
Plus sûrement, nous y verrons la marque d'une acceptation d'une règle propre aux marchés financiers, celle des garanties de rémunération.
Le marché obligataire a connu, ces dernières années, une évolution pour le moins contrastée.
Il importe, ici, de se souvenir que le principal vecteur d'investissement sur ces marchés a connu une sensible modification des règles fiscales qui le favorisaient. Je parle, bien entendu - vous l'aurez compris - de l'assurance vie.
Pour autant, compte tenu de la réduction très sensible du mouvement de hausse des prix, la rémunération réelle des titres obligataires publics, même si les émissions d'OAT ont connu une baisse de leur taux de rémunération, demeure, en termes réels, très attractive, quand bien même les prélèvements sociaux pourraient les affecter.
Quand on a des OAT à 5,5 % avec une inflation à 1,5 %, on garde tout de même une rémunération nette de 4 % !
Assortir les nouvelles émissions de titres obligataires publics d'une clause d'indexation occulte donc, de notre point de vue, le véritable débat, celui du coût de la dette en termes de pression sur les dépenses publiques, le taux réel de rémunération de cette dette demeurant supérieur à celui de la croissance et a fortiori au niveau de progression des recettes fiscales.
La clause d'indexation ne permet donc pas de rompre avec l'effet « boule de neige » de la dette publique et de ses intérêts, alors même que se pose de manière de plus en plus aiguë la question de la réduction des déficits.
Nous posons donc le problème : comment paiera-t-on les effets de cette clause d'indexation ? Par quelles hausses de la fiscalité ou par quelles coupes claires dans les dépenses gagera-t-on la mise en jeu éventuelle de la clause d'indexation ?
De notre point de vue, il est aujourd'hui indispensable non pas de garantir une rémunération donnée aux investisseurs et aux marchés financiers, mais plutôt de mettre en place des outils moins coûteux de financement extrabudgétaire de l'action de l'Etat.
Nous ne voterons donc pas cet article 15, qui consacre, d'une certaine façon, l'assujettissement de notre pays à la loi des marchés financiers.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Mon intervention sur cet article n'aura ni la même portée ni peut-être le même sens que celle de ma collègue Marie-Claude Beaudeau.
Pour ma part, je veux simplement attirer l'attention du Sénat, ainsi que la vôtre, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le fait qu'en sortant aujourd'hui de l'interdiction générale d'une indexation fondée sur l'inflation on revient sur une disposition lourde, forte, instaurée au début de la Ve République, au moment où l'on voulait combattre l'inflation.
Il s'agit là d'un tournant essentiel dans la conduite de la politique des taux d'intérêt et de la politique financière que chacun doit avoir à l'esprit.
J'entends bien que cette disposition a pu être prise parce que, aujourd'hui, l'inflation est vaincue, on l'espère durablement, et qu'il n'y aura pas de dérapage des prix. Simplement, soyons tous conscients que, si nous connaissons un jour une nouvelle période d'inflation, ce système d'indexation pourra avoir des effets particulièrement coûteux pour les finances publiques.
Mais puisque l'on revient sur le principe de la non-indexation, je voudrais que le Gouvernement prenne acte de deux choses.
En premier lieu, puisque l'indexation sur les prix n'est plus proscrite dans le domaine financier, j'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il en sera de même pour les salaires. Je ne voudrais pas, en effet, que ce Gouvernement, que je soutiens par ailleurs, admette l'indexation d'instruments financiers sur l'inflation et nous dise, un jour, que l'indexation des salaires sur l'évolution des prix est, elle, inacceptable !
Donc, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement, en nous proposant aujourd'hui cette mesure pour les instruments financiers - c'est du moins comme cela que je le comprends ! - accepte par principe et par avance que les salaires puissent eux-mêmes être indexés sur les prix.
En second lieu, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque vous proposez d'indexer des produits financiers, en l'espèce des émissions d'obligations, sur l'indice des prix, il m'apparaît qu'il serait temps d'aborder le délicat sujet des taux administrés, en particulier du taux du livret A.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat - je m'en suis entretenu plusieurs fois avec vous - je suis de ceux qui pensent qu'il faut sortir d'un système qui fait que, chaque fois que l'on touche au taux du livret A, c'est un drame politique dans le pays, si bien que l'on n'ose pas le faire.
M. René Régnault. Il a raison !
M. Paul Loridant. Puisque vous ouvrez la voie, peut-être pourrait-on décider utilement aujourd'hui - sinon dans ce texte, du moins dans un autre - que le taux du livret A est lui-même indexé sur les prix. Ce pourrait être - je donne des chiffres au hasard - l'inflation plus 1 %, 1,25 % ou 1,5 %, la modification éventuelle intervenant tous les six mois. Ainsi, ce ne serait plus un drame. Nos concitoyens se feraient à l'idée que le taux du livret A et les taux administrés sont eux-mêmes fonction de l'évolution des prix, puisque le principe de l'indexation ne serait plus tabou.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce que je voulais dire sur l'article 15, dont les effets seront plus importants dans le temps qu'on ne semble l'imaginer.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je souhaite répondre brièvement à Mme Beaudeau et à M. Loridant, qui ont argumenté sur cet article, c'est-à-dire sur la possibilité d'émettre des obligations indexées sur l'inflation.
Madame Beaudeau, autoriser cette indexation diminue, en quelque sorte, la prime de risque pour les investisseurs et permet donc d'obtenir des taux d'intérêt plus faibles. On peut ainsi escompter, si la Haute Assemblée adopte l'article 15, un gain de l'ordre d'un demi-point de taux d'intérêt.
Une augmentation d'un demi-point, cela ne paraît pas très significatif. Pourtant, si elle porte sur 100 milliards de francs d'encours de dette, cela représente 500 millions de francs qui ne sont pas donnés aux investisseurs institutionnels.
J'estime donc, contrairement à ce que vous avez dit, madame Beaudeau, qu'il s'agit non pas de donner quelque chose en plus à ces grands investisseurs, pour reprendre l'exemple que j'ai cité, mais d'affecter 500 millions de francs de moins au service de la rente, cette somme désormais disponible pouvant être utilisée à d'autres fins, à une politique en faveur de la croissance, de l'emploi, de la solidarité, par exemple. Cette argumentation se justifie, me semble-t-il.
A M. Loridant, j'apporterai brièvement trois éléments de réponse.
Tout d'abord, dans l'hypothèse que vous évoquiez, monsieur le sénateur, d'un redémarrage de l'inflation, qui est une hypothèse très improbable, il est clair que les taux minimaux, c'est-à-dire les taux non indexés, suivraient exactement la même évolution. Le danger que vous envisagiez est donc bien mince, me semble-t-il.
Venons-en aux salaires. Le salaire minimum est indexé non seulement sur les prix, mais en partie sur la croissance. Je rappelle que le gain de pouvoir d'achat à ce titre a été de l'ordre de 2 % l'an dernier.
Par ailleurs, et cette remarque va tout à fait dans le sens de votre intervention, monsieur Loridant, j'indique que le Gouvernement a une nouvelle fois indexé les minima sociaux, qui avaient été laissés quelque peu en déshérence au cours des années antérieures.
Enfin, avec le modification du taux du livret A, vous avez abordé une question qui est importante du point de vue du logement social, du financement des petites et moyennes entreprises et de la protection de l'épargne populaire. J'ai bien compris votre préoccupation. Elle nourrira la réflexion du Gouvernement.
M. le président. Par amendement n° 197, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose de rédiger ainsi le texte présenté par le I de l'article 15 pour compléter l'article 79 de l'ordonnance du 30 décembre 1958 :
« Par dérogation aux dispositions du présent paragraphe, les instruments financiers mentionnés à l'article 1er de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières peuvent être indexés selon les modalités fixées par un décret du ministre chargé de l'économie et des finances. »
La parole est à M. Marini, rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Tout d'abord, je veux rappeler les trois principales caractéristiques du dispositif de l'article 15, qui me semble aller dans le bon sens.
En premier lieu, comme vous l'avez dit, l'Etat peut escompter une baisse du coût de sa ressource.
En deuxième lieu, il s'agit, en contrepartie, c'est vrai, d'un instrument de protection contre l'inflation, dont les souscripteurs, par définition, bénéficieront.
En troisième lieu, c'est un signal - et c'est sans doute là l'essentiel - de la détermination de l'Etat à poursuivre la lutte contre l'inflation.
Le dispositif est donc astucieux. Il va dans le sens de l'opportunité budgétaire et de la modernité de la gestion technique de la dette publique, et il n'y a aucune raison de s'y opposer, mes chers collègues, en arguant de considérations qui n'ont plus cours aujourd'hui.
Néanmoins, j'ai relevé dans les propos de M. Paul Loridant un argument qui m'a intéressé, parce qu'il recoupe des réflexions antérieures et continues de la commission des finances, monsieur le secrétaire d'Etat, s'agissant des modalités de fixation des taux de rémunération de l'épargne administrée.
Depuis plusieurs années, nous faisons des propositions, notamment sous l'égide de notre rapporteur général, pour que l'on dédramatise les décisions gouvernementales quant à la fixation des taux de l'épargne administrée.
M. René Régnault. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur. Même si, sur les modalités techniques, nous pouvons avoir des idées ou faire des propositions légèrement différentes, il n'en reste pas moins que le fait de soumettre ces décisions à un mécanisme économique en les rattachant à une échelle de taux d'intérêts et de soumettre le fonctionnement du dispositif à un organisme techniquement neutre - ce qui revient à dissocier la fixation des taux de l'épargne administrée, notamment le taux de rémunération du livret A, et la décision purement gouvernementale, ou politique - me semblerait, à moi aussi, une bonne chose, et je crois pouvoir dire que c'est un sentiment largement partagé au sein de la commission des finances.
Permettez-moi maintenant d'en venir à l'amendement n° 197.
A l'heure actuelle, sur nos marchés financiers, nous avons des instruments financiers indexés. Or ces instruments financiers sont rattachés, par exemple, à des indices boursiers en relation directe avec l'activité des établissements financiers qui les émettent.
La crainte de certains professionnels, s'agissant en particulier d'instruments financiers complexes comme les warrants, c'est que la précision que vous apportez ici à l'ordonnance de 1958 ne vienne limiter la sécurité juridique, voire la validité de telles opérations.
Il serait donc souhaitable, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez confirmer que votre texte n'a pas pour effet d'interdire l'émission de titres indexés, tels que les warrants, par les établissements financiers. C'est essentiellement pour vous entendre sur ce point que la commission des finances a déposé l'amendement que je viens de présenter.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. M. Marini a déposé un amendement d'appel à précision.
Je peux très volontiers préciser que l'article 15 porte sur tous les instruments financiers, ceux qui existaient en 1958 et ceux qui ont été créés depuis.
L'ambiguïté apparente ayant été dissipée, rien ne s'oppose à ce que M. Marini retire l'amendement.
M. Philippe Marini, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Marini, rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez répondu en termes généraux, mais je ne sais pas si votre réponse sera considérée comme suffisante par les professionnels s'agissant d'instruments financiers complexes, d'instruments d'intervention sur les marchés à terme.
Un dispositif précis a suscité une certaine inquiétude. Etes-vous en mesure de la dissiper ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur Marini, ce que j'ai dit vaut pour les warrants et pour certaines obligations dites complexes. Il y a donc plus d'ambiguïté !
M. le président. L'amendement n° 197 est-il maintenu, monsieur le rapporteur ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Dans ces conditions, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 197 est retiré.
Je vais mettre aux voix l'article 15.
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le secrétaire d'Etat, à propos de l'article 15, qui me semble avoir une grande portée, vous avez indiqué que le Gouvernement avait procédé - et nous en prenons acte - à l'indexation du SMIC, notamment. C'est bien le moins que l'on pouvait attendre de ce gouvernement !
Toutefois, mon intervention a une portée plus générale, puisque l'ordonnance de 1958 précise que, dans les nouvelles dispositions statutaires ou conventionnelles, sont interdites toutes clauses prévoyant des indexations fondées sur le niveau général des prix et que c'est sur ce texte que, à l'occasion des négociations sur les conventions collectives, le patronat s'appuie pour dire aux représentants des personnels qu'il est impossible de rédiger des clauses prévoyant l'indexation des salaires sur les prix.
Dès lors, monsieur le secrétaire d'Etat, je persiste et signe : puisque ce gouvernement autorise l'émission de produits financiers indexés sur les prix, il serait pour le moins malheureux que, à l'avenir, dans les discussions entre syndicats de salariés et représentants patronaux, l'on puisse encore s'appuyer sur cette ordonnance de 1958 pour proscrire toute indexation des salaires sur les prix.
J'invite donc le Gouvernement à bien préciser que si la voie est ouverte pour les détenteurs de produits financiers et de placements financiers, il doit en être de même pour les salariés.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 15.
(L'article 15 est adopté.)
Section 4
Utilisation de l'euro par les marchés financiers
Articles 16 et 17