M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Pagès, pour explication de vote.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les raisons qui motivaient notre opposition à ce texte au cours des première et deuxième lectures. Chacun les connaît ici, même si, hélas ! peu les partagent.
La commission mixte paritaire réunie le 28 avril 1998 a, en quelque sorte, « coupé la poire en deux » sur le principal point d'achoppement entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Selon la nouvelle rédaction de l'article 12 bis, un producteur ne pourra pas invoquer la clause d'exonération pour risque de développement si le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par un produit issu de celui-ci. En revanche, il sera exonéré de sa responsabilité pour les produits médicamenteux.
La solution à laquelle a abouti la commission mixte paritaire ne nous satisfait pas, puisqu'elle ne peut que contribuer encore davantage à créer la confusion dans l'esprit des victimes et, surtout, à amoindrir leur protection.
Vouloir ne pas subir les foudres de la Communauté européenne ne nous semble pas une raison valable et suffisante pour justifier ce texte.
Fidèles à nos convictions et à nos prises de positions antérieures, nous voterons donc contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Le texte élaboré par la commission mixte paritaire est l'aboutissement d'un long processus, rare d'ailleurs lorsqu'il s'agit de la mise en oeuvre d'une directive. Comme l'a rappelé Mme le garde des sceaux, cette affaire dure depuis déjà treize ans. Et ceux qui en ont vécu à peu près toutes les péripéties se rappellent que des commissions mixtes paritaires ont été réunies, et que celles-ci n'avaient pas abouti.
La question fondamentale est la suivante : l'exonération de responsabilité pour risque de développement est-elle admise, étant bien entendu que la législation française en matière de responsabilité ne disparaît pas ? Il était dangereux, me semble-t-il, de ne pas l'admettre.
A partir du moment où ce principe de base a été admis par les deux assemblées, fallait-il prévoir des exceptions ? On nous a dit qu'il s'agissait d'un geste quelque peu symbolique. Pour ma part, je n'aime pas beaucoup les lois symboliques, je préfère celles qui prescrivent, interdisent ou obligent.
Il est donc regrettable, selon moi, qu'on ait fait une « cote mal taillée » au motif qu'un certain nombre de choses s'étaient produites dans le passé.
Aussi bien M. Claude Huriet que M. François Autain ont bien expliqué que ce n'était pas une raison, au contraire, et qu'il était peut-être plus dangereux d'exclure du dispositif les éléments du corps humain et les produits issus de celui-ci, d'autant qu'il est très difficile aujourd'hui de savoir ce qu'est précisément un médicament dans un tel contexte.
Néanmoins - vous l'avez également dit, madame le garde des sceaux - le vrai problème porte sur l'aléa thérapeutique. Celui-ci doit faire l'objet d'une législation. En effet, à trop parler de la responsabilité lorsqu'on fait allusion à l'aléa thérapeutique, et réciproquement, on risque de ne pas avancer.
Le texte élaboré en commission mixte paritaire constitue un compromis temporaire pour les éléments du corps humain et les produits issus de celui-ci. Ce compromis nous obligera à légiférer de nouveau. Mais le Gouvernement se propose de déposer un texte.
Compte tenu des enjeux et des risques que prenait notre pays en ne mettant pas en oeuvre la directive européenne, la commission mixte paritaire a eu raison, en définitive, de se prononcer comme elle l'a fait.
De toute manière, les propos de notre rapporteur reflétaient un tel enthousiasme que je ne vois pas comment nous pourrions faire pour ne pas voter ce texte ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je crois avoir accompli consciencieusement mon devoir de rapporteur de la commission mixte paritaire et je suis d'autant plus à mon aise pour expliquer mon vote personnel avec le renfort moral de savoir que celui-ci est en correspondance étroitre avec les orientations de la commission des lois ; je regrette à cet égard que celle-ci n'ait pas été mieux entendue.
J'ai déjà dit tout à l'heure, et je n'y reviendrai donc pas, que je trouve normal qu'une directive réalise un équilibre moyen entre diverses législations. Je crois qu'en l'occurrence ce niveau est un peu au-dessous pour les consommateurs de notre pays, et un peu au-dessus pour les consommateurs d'autres pays. Au-delà de cette considération, j'estime que, pour toutes les victimes éventuelles, cette directive sera plutôt un leurre qu'un élément d'amélioration.
Par ailleurs, cette affaire comporte un point important pour les juristes, c'est le principe d'irresponsabilité. En effet, l'exonération, c'est l'irresponsabilité liée aux risques de développement.
Compte tenu du maintien de notre droit classique, sans doute est-il difficile d'apprécier la portée de ce principe. Il n'a peut-être qu'une valeur quelque peu théorique, mais qui est tout de même significative et que je tiens à souligner.
En effet, le principe d'irresponsabilité pour risques de développement, qui était inconnu et rejeté jusqu'ici dans notre droit, ferait ainsi, par la petite porte en quelque sorte, une entrée qui doit être soulignée.
On renverse dès lors le courant d'humanisation qui marque le droit de la responsabilité en France face aux effets du développement industriel depuis plus d'un siècle. Je ne puis supporter qu'on agisse ainsi en faisant semblant de ne pas s'apercevoir qu'on le fait ou qu'on essaie de le faire.
Même s'il ne s'agit que d'une mesure théorique, il nous faut dès maintenant mesurer les conséquences qu'elle pourrait avoir et pour les producteurs et pour les victimes.
Pour les producteurs, affirmer un principe d'irresponsabilité pour ce « qu'on ne sait pas », ce n'est évidemment pas les encourager à « savoir », à approfondir les recherches. En effet, le risque encouru du fait de la responsabilité est inversement proportionnel à l'approfondissement des recherches. Il y a là en germe - ne faisons pas d'angélisme ! - une pédagogie qui me paraît plutôt négative.
Mais que dire de la situation dans laquelle on va ainsi placer les victimes, qui se retrouveront dans la solitude de leur malheur, mes chers collègues ?
En effet, elles seront bien d'abord des « victimes » face à d'inextricables et lourdes procédures d'expertise et de contre-expertise pour démêler l'état des connaissances à un moment donné - merci du plaisir et de la recherche ! - dans des domaines spécifiques de pointe qui sont rendus encore plus obscurs par le caractère confidentiel des recherches appliquées. Celles-ci, généralement, ne sont pas à la disposition du public.
Au bout du parcours, c'est-à-dire au terme des procédures - j'attire l'attention du Gouvernement sur ce point - si le risque de développement est finalement reconnu, donc l'exonération, on aboutira soit à l'absence totale d'indemnisation pour les victimes qui sont isolées, car personne ne s'en souciera - je pourrais citer des noms, car j'en connais, et c'est le Vae victis ! qui nous ramène plusieurs siècles en arrière - soit, pour les victimes qui sont suffisamment nombreuses, à des instances auprès de l'Etat qui, devant le nombre, finira par payer et se substituer ainsi à la responsabilité des industriels, ce qui n'est pas non plus, je crois, une très bonne méthode !
Parce que je suis un libéral, et que je n'imagine pas, en tant que tel, que le champ de la liberté, spécialement la liberté de produire, ne soit pas accompagné d'un champ rigoureusement égal de la responsabilité de celui qui produit, parce que je suis humaniste, et que je ne crois pas qu'il y ait de progrès du droit dans une société civilisée qui puisse se dissocier de l'humanisme - certes, autant qu'il est possible, car je ne suis ni un perfectionniste ni un idéaliste absolu - je pense qu'il était possible de concilier le point de vue des victimes et celui des producteurs.
On peut le faire et on le fait correctement par un système d'assurance - les assurances existantes, qui, jusqu'à nouvel ordre, fonctionnent, contrairement à ce que l'on dit ici même, avec une autorité qui a été démentie par les faits presque immédiatement d'ailleurs - et même, s'il fallait en arriver là, par une assurance obligatoire, comme nous l'avons fait dans tant de domaines : la construction, les accidents automobiles, etc. C'est une solution qui permet de préserver le producteur des conséquences économiques d'un vice effectivement indécelable tout en maintenant le principe de responsabilité qui est cohérent avec notre système juridique.
Telles sont les raisons pour lesquelles, même s'il ne s'agit que d'un signe, je ne saurais, à titre personnel, approuver ce texte. Cela me conduira donc à m'abstenir. (M. Pagès applaudit.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
(La proposition de loi est adoptée.)
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