RESPONSABILITÉ DU FAIT
DES PRODUITS DÉFECTUEUX
Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 407,
1997-1998) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur
les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la
responsabilité du fait des produits défectueux.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, nous retrouvons donc ce
texte relatif à la responsabilité du fait des produits défectueux, qui tend
uniquement à transposer dans notre droit interne les dispositions d'une
directive européenne.
Cette transposition a été quelque peu laborieuse. Mais je ne reviens pas sur
le passé : ma seule mission - car c'est bien une mission que je remplis -
consiste à présenter les conclusions de la commission mixte paritaire, étant
entendu que, sur nombre de points, ces conclusions ne sont pas conformes à ce
que souhaitait la commission des lois du Sénat, voire à ce que souhaitait le
Sénat lui-même.
Mais enfin, il faut aboutir, et il y a tout de même un élément qui nous
apporte une sécurité : quoi qu'on décide dans cette transposition de la
directive, un article préserve l'application de notre droit tel qu'il est, de
sorte que - c'est très important - en cas de conflit, les victimes éventuelles
pourront toujours invoquer non pas les dispositions des articles 1386 et
suivants du code civil, que nous allons voter, mais, selon la tradition, soit
les textes concernant la responsabilité contractuelle, soit ceux qui concernent
la responabilité délictuelle ou quasi délictuelle, textes auxquels nous sommes
habitués et qui, à mon sens, organisent une meilleure protection des victimes
que le texte qu'il s'agit de transposer aujourd'hui.
Quoi qu'il en soit, trois questions se posaient encore au moment où s'est
ouverte la réunion de la commission mixte paritaire.
La première portait sur ce que l'on appelle la date de mise en circulation du
produit.
La deuxième concernait le point de savoir s'il convenait d'apporter des
exceptions au principe d'exonération de responsabilité pour risques de
développement, exonératoin que, contre l'avis de sa commission des lois, le
Sénat avait adoptée, tout comme l'Assemblée nationale.
La troisième question, de moindre importance du point de vue contentieux mais
peut-être d'une assez grande importance pour l'avenir, visait l'insertion d'un
article 12
ter
nouveau, qui prévoit en quelque sorte la réouverture de
la réflexion sur ces sujets à partir d'un rapport du Gouvernement devant être
déposé d'ici à la fin de l'année.
S'agissant du premier point, la date de mise en circulation du produit, la
question n'a pas qu'un intérêt abstrait, car c'est le point de départ des
prescriptions, et donc le point de départ de la durée des responsabilités.
Il nous avait semblé - j'ai la faiblesse de croire que c'était le bon sens -
que, pour la victime éventuelle d'un accident dû à un produit, le point de
départ de la durée de la responsabilité ne pouvait être que le jour où elle
l'avait acquis. D'autres faisaient valoir que ce point de départ devait être le
jour où le produit quitte l'usine du producteur, sans se poser la question de
savoir si, depuis le départ de l'usine et le moment où le produit arrive au
domicile de celui qui va l'utiliser, ou de ses voisins, quelques semaines ou
quelques années, aux stades du stock, de la vente en gros ou de la centrale
d'achat du magasin distributeur, se sont écoulées. C'était notre point de
vue.
La commission mixte paritaire a considéré plus simple de retenir la date de la
première et seule mise en circulation ; donc la date de la sortie du produit de
l'usine. Je suis obligé de proposer au Sénat, par « sagesse » - il y a bien des
façons d'entendre la sagesse, mais entendons-la dans ce sens, si vous le voulez
bien - d'adopter cette disposition, car c'est celle-là qui a été retenue par la
commission mixte paritaire.
Cette solution ne présentera probablement pas beaucoup d'inconvénients car,
avec les pratiques actuelles, les dates de production et de vente sont très
proches. Dans ces conditions, le délai de prescription de dix ans peut paraître
comme étant relativement confortable, à quelques exceptions près.
Le deuxième point, plus épineux, est relatif au rique de développement. Je ne
reviendrai pas sur l'ensemble du débat. La seule question qui se pose est de
savoir si, ayant admis le principe de l'exonération pour risque de
développement, on l'admet de manière générale ou si on déclare que telles ou
telles catégories de produits n'en feront pas partie.
Les uns considéraient - c'était le point de vue du Gouvernement, du moins à
l'origine - que les médicaments, les produits de santé en général ne devaient
pas bénéficier de cette exonération pour risque de développement pour les
raisons que chacun a présentes à l'esprit et qu'il n'est, je crois, pas
nécessaire de développer.
Il y avait un désaccord sur ce point. Finalement, nos collègues de l'Assemblée
nationale - qui avait admis cette exception pour l'ensemble des médicaments,
alors que le Sénat l'avait rejetée - ont proposé en commission mixte paritaire
une solution dite « transactionnelle ». Là encore, les mots couvrent
quelquefois des réalités qui ne sont pas brillantes, mais contentons-nous des
mots. En l'occurrence, la solution « transactionnelle » est que seuls les
éléments du corps humain et produits issus de celui-ci ne bénéficieront pas de
cette exonération, mais les produits de santé, oui.
Nous avons eu la curiosité, voire l'impertinence, de demander à nos collègues
députés en vertu de quelles considérations particulières s'il fallait
sous-distinguer, parmi les médicaments dits de santé, les produits de santé qui
viennent du corps humain et ceux qui n'en viennent pas, avec les difficultés de
frontière que l'on imagine. Nous n'avons pas obtenu de réponse claire sur ce
point.
Quoi qu'il en soit, la commission mixte paritaire a retenu cette solution
transactionnelle ; le texte établit le principe général de l'exonération pour
risque de développement, à l'exception des éléments du corps humain et des
produits issus de celui-ci.
Le troisième point ne pose pas de problème. Il résulte d'une proposition de
notre collègue M. Charmant, que nous avions adoptée ici-même, invitant le
Gouvernement à déposer avant la fin de l'année un rapport sur le droit de la
responsabilité dans ce domaine et sur les systèmes d'indemnisation applicables
à l'aléa thérapeutique. D'ailleurs, le Gouvernement avait donné un avis
favorable sur l'amendement déposé en ce sens.
La commission mixte paritaire n'a certes retenu que le premier alinéa de ce
texte, mais c'est l'alinéa essentiel. Nous pourrons peut-être rouvrir ce débat
à la lumière de faits nouveaux. Y en aura-t-il avant un certain nombre
d'années, à la suite d'éventuels litiges ? Pour l'instant, je l'ignore.
Cependant, le risque thérapeutique en général est un problème tellement grave,
tellement quotidien, qui touche tellement de cas connus ou moins connus, voire
totalement inconnus, qu'il convient de rester vigilant et donc d'adopter ce
texte.
Sous réserve de ces observations, je vous propose, mes chers collègues, en
tant que rapporteur de la commission mixte paritaire, de voter les conclusions
auxquelles celle-ci est parvenue.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le 28 avril dernier, la commission mixte
paritaire, examinant la proposition de loi relative à la responsabilité du fait
des produits défectueux, est parvenue à un accord sur les trois points restant
en discussion entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Ainsi, près de treize ans après son adoption, la directive du 25 juillet 1985
va donc, enfin, pouvoir être transposée dans notre droit interne.
Bien sûr, je ne sous-estime nullement les obstacles qui ont jalonné ce très
long débat, obstacles tenant essentiellement à l'option offerte aux Etats
membres en ce qui concerne l'exonération pour risque de développement et à la
difficile adéquation entre un régime de responsabilité individuelle et une
indemnisation des risques sériels.
J'ai eu également l'occasion de souligner que ce débat, si souvent marqué du
sceau de la passion, relevait bien plus du domaine symbolique que d'un
véritable enjeu national, puisque le texte de la directive est destiné non pas
à se substituer à notre droit mais à l'enrichir en offrant aux victimes une
nouvelle branche purement optionnelle dans le droit de la réparation.
Alors que la France se voit poursuivie en manquement sur manquement et menacée
d'une astreinte journalière particulièrement lourde, je remercie les deux
assemblées d'avoir pu trouver un terrain d'entente.
La raison ici l'a emporté, ce dont je me félicite.
Le texte issu de la commission mixte paritaire m'apparaît pour l'essentiel
satisfaisant, et ce pour trois raisons.
En premier lieu, il procède d'un équilibre entre l'intérêt de notre recherche
scientifique, les différents enjeux au service de la santé publique et la
légitime protection des consommateurs.
Le principe d'exonération évitera les distorsions de concurrence en Europe.
Le principe dit du « cumul des responsabilités » ménagera la possibilité pour
la victime de se prévaloir du droit national traditionnel.
En deuxième lieu, le texte de transposition repose sur des règles simples, se
démarquant de toute spéculation doctrinale et tendant à assurer une sécurité
juridique optimale aux intéressés.
A cet égard, et tout en comprenant la discussion soulevée par le Sénat sur la
notion de mise en circulation, je ne puis que me féliciter de la solution
retenue par la commission mixte paritaire parce qu'elle m'apparaît propre à
éviter aux victimes des difficultés de preuve quasi insolubles.
Gardant en mémoire les observations formulées par la Commission européenne sur
la rédaction de l'article 6 de la proposition de loi, je me bornerai à rappeler
que ce texte doit s'interpréter comme prévoyant une mise en circulation unique
pour chaque produit fini, comme pour chaque partie composante encore
individualisable.
En troisième lieu, le texte de la commission mixte paritaire a le mérite de
préserver la spécificité, que j'ai soulignée au cours des débats
parlementaires, des éléments du corps humain et des produits qui en sont
issus.
Il n'était en effet pas possible, tant pour des raisons éthiques qu'eu égard
aux drames que nous avons connus en France au cours de ces dernières années,
d'inscrire dans la loi, pour ce type de produit, un principe de
non-responsabilité pour risque de développement.
Pour les produits de santé, je l'ai déjà dit, j'estime que le message
essentiel à faire passer en direction de nos concitoyens est la volonté des
pouvoirs publics d'assurer, quoi qu'il arrive, la meilleure sécurité possible
dans le domaine de la santé.
Le Gouvernement n'entend nullement se soustraire au débat sur l'aléa
thérapeutique, je l'ai rappelé lors de la deuxième lecture ici même.
Je souhaite, en tout cas, que nos concitoyens ne se méprennent pas sur la
portée du choix qui a été fait : le droit positif actuel, qu'ils auront
toujours le loisir d'invoquer demain comme ils le font aujourd'hui, consacre,
en ce qui concerne ces produits, comme pour tous les autres, une obligation de
sécurité absolue du producteur, même en cas de vice indécelable. Cette
coexistence des voies de droit est une forte garantie pour les
consommateurs.
Votre commission des lois, que je tiens ici à remercier, particulièrement son
rapporteur, qui a travaillé avec beaucoup d'intensité à trouver des solutions,
a rappelé, tout au long des deux lectures de la proposition de loi, ce principe
essentiel pour les victimes.
Ainsi, avec l'adoption de ce texte, nous concilierons la richesse de notre
droit et le respect de nos engagements communautaires.
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement,
lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la
commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur
l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :
« Art. 6. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-5 ainsi rédigé
: