ÉLOGE FUNÈBRE DE PIERRE LAGOURGUE,
SÉNATEUR DE LA RÉUNION
M. le président.
Mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre de Pierre Lagourgue.
(Mme le garde des sceaux, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Il avait une rare élégance d'âme, un sens aigu de la liberté et cette
simplicité qui signale les grands hommes. Nous étions fiers et heureux de
compter dans nos rangs Pierre Lagourgue, qui incarnait si bien notre
assemblée.
C'est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris sa disparition brutale.
Le 16 février dernier, nous avons perdu un collègue infiniment estimé et son
île tant aimée s'est réveillée orpheline.
Peut-on, d'un mot, résumer une vie ? Certes non. Pourtant, s'il fallait n'en
retenir qu'un pour éclairer celle de notre collègue de la Réunion, alors, sans
hésiter, j'écrirais SERVIR, en lettres capitales. Le médecin a toujours servi
les autres ; l'homme politique, le bien commun.
Pierre Lagourgue naît le 3 janvier 1921, à Sainte-Marie.
Après une scolarité au lycée Leconte-de-Lisle, ses études de médecine
l'éloignent un temps de sa terre natale. Puis, docteur en médecine, il revient
à la Réunion pour exercer en ville et à l'hôpital.
Devenu chef du service de radiologie du centre hospitalier départemental de
Saint-Denis, il entre en politique en 1958, à l'âge de trente-sept ans.
Elu conseiller général du canton de Saint-Benoît, il est réélu six ans plus
tard dans celui de Saint-Denis.
Porté à la tête du conseil général de la Réunion en 1967, il en assure, quinze
ans durant, la présidence.
En 1983, s'ouvre une autre étape importante de son parcours politique : il
entre au conseil régional, dont il devient vice-président, puis président, de
1986 à 1992.
En tant qu'élu local, Pierre Lagourgue concentre son action sur trois terrains
qu'il juge prioritaires : la cohésion sociale de la population de l'île, les
grandes infrastructures et le logement.
Pour briser un isolement géographique obstacle à la mobilité et aux échanges,
il combat les monopoles en matière de liaisons aériennes et téléphoniques.
C'est ainsi que l'arrivée des premiers vols charters à Gillot lui permet de
faire bénéficier les îliens d'une baisse considérable des tarifs.
La construction et l'entretien d'un réseau routier plus performant
s'inscrivent dans sa politique de développement des infrastructures pour
favoriser les activités économiques et la circulation des personnes.
Il s'attaque à l'un des problèmes majeurs de la Réunion, le logement. C'est
ainsi que 9 000 logements sociaux seront construits sous son autorité.
Soucieux de la cohésion de la population de l'île dans un contexte économique
qui favorise les fractures, il oeuvre sans relâche pour la fraternité et
l'entente entre les créoles et les « zoreilles », nom local des
métropolitains.
Ardent défenseur de l'action à l'échelon départemental, il combat avec succès
les projets de réforme visant à fusionner les assemblées locales en une
assemblée unique.
Pierre Lagourgue est apprécié de ses concitoyens pour sa droiture et la
transparence de son action. Ils savent qu'il n'a toujours qu'un seul discours
et qu'un seul visage. Ils savent aussi que la Réunion a en lui le plus
passionné et le meilleur des avocats.
Elu du sud de l'île, Pierre Lagourgue accède à la députation en 1978. Il va
ainsi porter les intérêts de la Réunion à l'échelon national. En mars 1979,
membre de la commission d'enquête sur le chômage, il appelle l'attention de
tous sur la situation particulièrement dramatique des départements d'outre-mer
dans ce domaine.
Le rôle du Sénat dans la représentation des collectivités locales, en
particulier celles de l'outre-mer, lui fait briguer un mandat de sénateur.
Son indépendance politique, la confiance que les maires lui témoignent et sa
capacité à faire émerger un consensus dans des circonstances politiques
difficiles le conduisent à la Haute Assemblée en 1992.
Il rejoint le groupe de l'Union centriste et entre simultanément à la
commission des lois et à la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Dès 1993, il est rapporteur pour avis du budget des départements
d'outre-mer.
Dans ses fonctions, il déploie une activité inlassable pour resserrer les
liens entre le territoire métropolitain et cette partie lointaine de la terre
de France qu'est la Réunion.
Les problèmes sociaux sont au premier plan de ses préoccupations. Il se bat
pour une égalité sociale avec la métropole pour ce qui est de l'éducation, du
RMI ou encore du logement. Il plaide pour une fiscalité favorable à
l'emploi.
Fervent partisan d'une décentralisation accrue, Pierre Lagourgue voit dans
l'Europe un partenaire à privilégier pour les collectivités territoriales.
C'est la raison pour laquelle il joue un rôle important, à l'échelon européen,
à la présidence de la commission des îles européennes.
En 1995, Pierre Lagourgue intègre la commission des affaires sociales de la
Haute Assemblée. Il s'y voit naturellement confier le rapport sur le budget
social des départements et territoires d'outre-mer. Membre titulaire du comité
directeur du Fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer, il y
poursuit son action dans le domaine social.
En mars 1997, la fonction publique réunionnaise est agitée de soubresauts qui
conduisent bientôt à une paralysie totale de l'île. Jean-Jacques de Peretti,
alors ministre délégué à l'outre-mer, fait appel à lui. Pierre Lagourgue se
révèle un médiateur attentif et respecté qui contribuera notablement au
dénouement de la crise.
L'ouverture, le dialogue, il ne se contente pas de les prôner, il les pratique
au quotidien. Sans jamais rien renier de ses convictions, il se montre toujours
un homme de conciliation et de paix. C'est au-delà des clivages politiques
qu'il recherche toujours les meilleures solutions pour la Réunion.
Pour nous tous enfin, Pierre Lagourgue était un collègue unanimement apprécié.
Il apportait à nos travaux son enthousiasme et une formidable fraîcheur
d'esprit. Modeste, il n'ambitionnait ni lauriers ni honneurs. Aider les femmes
et les hommes de son île à mieux vivre, c'était la raison de son combat !
Au nom du Sénat tout entier, j'assure de notre profonde sympathie ses amis
réunionnais, ses collègues de la commission des affaires sociales et du groupe
de l'Union centriste.
A sa femme et à ses enfants, je voudrais dire combien sincèrement nous nous
associons à leur deuil.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, le Gouvernement s'associe à l'hommage rendu aujourd'hui par la Haute
Assemblée à l'un des siens, décédé à l'aube de sa soixante-dix-huitième
année.
Médecin, Pierre Lagourgue a toujours fait preuve d'un profond dévouement à
l'égard de ses semblables et d'un grand attachement à l'île de la Réunion.
Elu pour la première fois au conseil général en 1958, il avait alors
trente-sept ans, il en fut ensuite le président, de 1967 à 1982. C'est à cette
date qu'il sera élu au conseil régional, qu'il présidera ensuite de 1986 à
1992.
Elu sénateur en 1992, Pierre Lagourgue avait rejoint le groupe de l'Union
centriste et siégeait naturellement au sein de la commission des affaires
sociales.
Au nom du Gouvernement, j'adresse à sa famille, à ses proches et à ses amis
l'expression de mes sincères condoléances.
M. le président.
Mes chers collègues, selon la tradition, nous allons interrompre nos travaux
quelques instants en signe de deuil.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt,
sous la présidence de M. Paul Girod.)