M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 191, adressée à M. le secrétaire d'Etat à la santé.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question comporte en fait trois volets.
Premier volet : le congé bonifié a été accordé à tout agent hospitalier comme à tout employé de la fonction publique originaire des départements ou territoires d'outre-mer exerçant sur le sol métropolitain. Cette disposition a été appliquée sans trop de difficulté à l'origine.
Deuxième volet : depuis juillet 1987, des clauses restrictives ont été apportées, limitant le droit aux congés bonifiés. Des administrations exigent que l'agent apporte la preuve de sa résidence habituelle dans un département ou territoire d'outre-mer entendu comme celui où se trouve le « centre des intérêts matériels et moraux de l'agent ». Des interprétations très restrictives et diverses sont alors apportées, les situations personnelles étant différentes.
Troisième volet : complétant ces interprétations, les réductions des crédits d'Etat, notamment ceux qui sont destinés aux hôpitaux, conduisent les administrations dans un souci d'économies à remettre en cause un certain nombre d'acquis et de droits des personnels et, en premier lieu, les congés bonifiés. C'est le cas dans la plupart des centres hospitaliers du Val-d'Oise, mais aussi du Val-de-Marne, notamment à Créteil, et dans les Yvelines à Versailles.
Aujourd'hui, est remise en cause la destination du lieu où le fonctionnaire a le centre de ses intérêts matériels et moraux. Dans certains cas, plus aucun congé bonifié n'est accordé.
Cette situation n'est pas admissible car elle entraîne, vous le comprendrez, l'existence de zones de non-droits.
Cette remise en cause est injuste. Un droit est contesté alors qu'il trouve son origine dans des batailles syndicales de 1946, puis dans les accords et les lois ayant défini un droit à réparation pour un habitant des départements et territoires d'outre-mer quittant son département ou son territoire d'origine situé à dix mille kilomètres de la métropole pour travailler et servir l'Etat français.
Le Gouvernement s'était engagé. Il n'est que, en 1980, M. Papon, alors ministre du budget, pour avoir le premier osé définir de façon restrictive et défavorable les notions de résidence et, par là-même, de congé bonifié.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande de redéfinir ce droit et de lever toutes les interdictions, les interprétations, les restrictions.
La quasi-unanimité des salariés originaires des DOM-TOM conservent domicile, famille, attaches au pays. Cessons de donner des interprétations administratives aux réalités humaines que personne ne conteste. La meilleure preuve est qu'à l'heure de la retraite ces travailleurs venus en métropole retournent dans leur pays, c'est-à-dire là où sont leurs racines, leur famille et, dans bien des cas, leurs biens, même s'ils sont modestes.
Je vous demande également, monsieur le secrétaire d'Etat à la santé, de définir des moyens financiers pour apporter une aide exceptionnelle aux hôpitaux devant appliquer les congés bonifiés.
N'oubliez pas que nombre de centres hospitaliers ne fonctionnent que grâce à la présence de nombreux employés originaires des DOM-TOM, représentant dans certains cas 10 % du personnel.
Le jour où, lors de la discussion d'un projet de loi portant diverses mesures d'ordre financier, le 27 décembre 1994, M. Hoeffel, alors ministre délégué à l'aménagement du territoire et aux collectivités locales, a pris la responsabilité de soustraire au Centre national de la fonction publique territoriale la gestion des congés bonifiés pour les agents communaux, un processus de transfert s'est effectivement engagé.
Accompagné de budgets difficiles en constante régression et en fragile équilibre, le transfert compromet l'existence et la réalisation d'un droit. N'était-ce pas là aussi une préfiguration de ce que représentent la remise en cause des statuts et l'abolition des conventions collectives ?
Aujourd'hui, face à une déferlante de remis en cause, il faut trancher. Envisagez-vous de réaffirmer le droit au congé bonifié ? Envisagez-vous d'abandonner les restrictions, les malentendus et je dirai les faux prétextes avancés contre les démarches déposées ? Pourquoi refusez-vous la proposition de création d'un fonds spécial géré paritairement avec les salariés originaires des DOM-TOM ?
Si vous acceptiez cela, le droit, je crois, serait garanti.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Madame le sénateur, vous m'avez posé une question technique, je vous répondrai techniquement. Mais comme vous n'avez pas dit que cela, je vous répondrai auparavant que le Gouvernement est très conscient de l'apport que représentent les travailleurs originaires des DOM-TOM dans notre tissu hospitalier. Vous avez eu raison de le souligner, le nombre est souvent considérable de ces employés, de ces travailleurs qui participent à la vie et à l'organisation de nos hôpitaux.
Je vous répondrai aussi qu'un emploi dans les DOM-TOM en général, et dans les départements d'outre-mer en particulier, n'est pas facile à trouver. Cette offre hospitalière en métropole représente donc pour de nombreuses familles un apport tout à fait particulier et très notable.
Sur le plan technique, le décret n° 87-482 du 1er juillet 1987 fixe les conditions d'attribution des congés bonifiés aux fonctionnaires hospitaliers qui, exerçant leurs fonctions sur le territoire européen de la France, ont leur résidence habituelle dans un département d'outre-mer. Le lieu de la résidence habituelle est celui où se trouve le centre des intérêts moraux et matériels de l'agent. Cette réglementation ne s'applique pas aux fonctionnaires des territoires d'outre-mer.
Concernant le financement de ces congés, des crédits supplémentaires nécessaires ont été attribués en 1987 aux établissements, notamment à ceux qui sont susceptibles d'être concernés par un fort taux d'octroi de congés bonifiés. Ce sont souvent ceux de la région parisienne. Ces crédits sont actuellement toujours dans les bases budgétaires de ces établissements.
S'agissant de la législation ou de la réglementation en vigueur concernant les congés bonifiés accordés dans les trois fonctions publiques - car il ne s'agit pas seulement de la fonction publique hospitalière, madame le sénateur, vous le savez - aucune modification n'est actuellement envisagée, j'ai le regret de vous le dire.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Sur le plan politique, je me permettrai d'ajouter que, en plus d'un droit, le congé bonifié est une reconnaissance de la situation de ces travailleurs exilés beaucoup plus victimes que les autres du chômage et des bas salaires, car ils sont bien souvent plus exploités, ils effectuent des travaux pénibles et contraignants, n'ayant pas pu trouver d'emploi dans leur département d'origine.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question et le débat de ce matin étaient très attendus par les agents hospitaliers. Il est vrai que les congés bonifiés ne concernent pas que les agents hospitaliers mais, pour le moment, aucune collectivité territoriale ne les a remis en cause ; je pense aux collectivités locales, principalement les communes, ce problème n'existe que dans les hôpitaux.
Je peux vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre réponse de ce matin était très attendue. Ainsi, dans mon département, par exemple, au centre hospitalier de Montmorency-Eaubonne, une trentaine de congés bonifiés ont été refusés. Certains, au cours d'un débat, ont même établi une comparaison entre cette remise en cause des congés bonifiés et le fait que le Gouvernement, estiment-ils, a déjà « lésiné » sur la célébration du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage. (M. le secrétaire d'Etat sourit.) Eh oui, monsieur le secrétaire d'Etat, vous voyez comment les choses sont ressenties dans les hôpitaux !
Le congé bonifié, c'est, encore plus qu'un droit aux vacances, un droit au pays. C'est aussi, pour celui qui est venu travailler en métropole pour l'Etat, un témoignage de respect de la dignité de sa culture et de son identité, un moyen d'entreprendre une formation nouvelle permettant d'accéder à des emplois qualifiés ; c'est une organisation du travail et des congés qui valorise l'apport culturel et le savoir des agents, qu'ils viennent de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion, voire de la Corrèze ou du Midi.
Nous estimons donc, avec les agents hospitaliers, que la République doit reconnaître le droit aux congés bonifiés. Mais ce droit, pour s'exprimer, a besoin de spécificités. La loi du 9 janvier 1986 allait dans le bon sens, mais elle doit être confirmée, et il faut surtout prévoir des moyens en vue de son application.
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