M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Au terme de ces deux jours de débat argumenté et précis sur la réduction du temps de travail, permettez-moi, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, de tirer quelques conclusions de nos échanges.
La commission des affaires sociales nous a proposé de procéder à une modification profonde du texte, au travers d'une pérennisation des dispositifs issus de la loi quinquennale et de la loi Robien.
Peut-être le CNPF a-t-il tiré parti de la rencontre qu'il a eue la veille du débat avec le président de notre Haute Assemblée.
Pour le coup, permettez-moi de souligner que cette initiative est pour le moins surprenante. Mais les initiatives du président du CNPF ne peuvent que nous surprendre, comme il vient encore de le prouver à cette ocasion, d'autant que, devant la commission des affaires sociales, il avait affirmé que ce texte ne pouvait pas être amendé !
Revenons-en à la position de la commission.
On connaît les termes du marché : parce que la commission ne peut ignorer l'aspiration forte des salariés à travailler moins, elle ne souhaite pas faire obstacle à toute expérimentation de la réduction du temps de travail.
Mais, dans son analyse, la prise en compte de cette aspiration est détournée de son objet par la nature des négociations envisagées : primauté évidente à la négociation d'entreprise, même si le rapporteur a affirmé tout à l'heure qu'il était plus nuancé ; pas de recours aux organisations syndicales représentatives, nous l'avons vu, et ce sur des bases incluant un recours massif à l'annualisation, à la modération salariale - elle va même jusqu'à la baisse des rémunérations - et à la désorganisation des rythmes de tavail au seul profit du patronat.
En fait, c'est un marché de dupes que nous propose la commission des affaires sociales, marché de dupes uniquement guidé par une prétendue modernité des relations sociales dans l'entreprise, qui fait la part belle aux seuls intérêts des employeurs et des actionnaires aux dépens du plus grand nombre, les salariés.
Bien entendu, parce que la commission des affaires sociales a beaucoup d'imagination, cela peut paraître incitatif.
Comme si, d'ailleurs, le fameux coût du travail était le principal poste de dépenses à faire varier dans la comptabilité de nos entreprises !
La force de la compétitivité de nos entreprises réside - que les choses soient dites une fois pour toutes - non pas dans un allégement permanent et obsessionnel du coût du travail, mais dans la diversité des compétences, donc dans la qualification des personnels et la créativité des salariés.
Ce sont ces potentiels qu'il convient, à notre avis, de développer, aujourd'hui, pour permettre à l'individu de trouver toute sa place dans l'entreprise, et donc dans la société, plutôt que de continuer à faire porter la pression sur les salaires, pression qui brime les capacités de croissance, et donc de création d'emplois.
Lorsque le Sénat s'est livré, en décembre dernier, à cette opération politicienne de constitution d'une pseudo-commission d'enquête sur les conséquences de la réduction du temps de travail, ma collègue Nicole Borvo avait eu l'occasion de rappeler qu'en 1996 les coûts salariaux en France étaient inférieurs à ce qu'ils étaient en 1970.
Pis même pour ce discours ambiant, une étude de la délégation aux investissements internationaux du ministère de l'économie et des finances - nous venons de recevoir une plaquette - souligne que les coûts salariaux dans l'industrie sont, dans notre pays, inférieurs de 15 % à la moyenne de l'Union européenne, tandis que la productivité du travail est aujourd'hui placée, dans le même secteur, en première position en Europe, loin même devant les Etats-Unis.
Nous avions, pour notre part, une série de positions de principe dans ce débat : faire en sorte que soient créées les conditions d'une application effective des 35 heures par élargissement du champ des entreprises concernées ; aboutir à ce que les accords collectifs signés permettent effectivement de répondre aux attentes fortes de la société, notamment à l'attente de tous ceux - ils sont 7 millions - qui sont privés du droit au travail ; inscrire durablement la réduction du temps de travail dans une réflexion plus large sur l'ensemble des questions d'organisation du travail, de la répartition de la richesse produite.
Pour notre groupe, il s'agissait de participer à la réflexion engagée dans le cadre des débats à l'Assemblée nationale, de faire connaître l'ensemble des problèmes posés par la réduction du temps de travail, ce que nous avons, naturellement, traduit dans notre stratégie d'amendements.
Certaines réponses qui ont été apportées aux questions que nous avons soulevées laissent augurer une amélioration du texte lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
Pour autant, tout ne nous semble pas réglé, notamment quand on garde à l'esprit que, au-delà de nos débats, c'est dans la vie des salariés de ce pays qu'il faudra faire vivre les 35 heures.
C'est pourquoi le reprofilage de la loi Robien que nous propose la commission des affaires sociales est un profil plutôt bas, qui consiste, en fait, à limiter aux seules entreprises tout le bénéfice de la mesure.
On comprendra, par conséquent, que nous votions sans la moindre hésitation contre ce projet de loi amendé par la commission et la majorité sénatoriale.
M. le président. La parole est à M. Madelain.
M. Jean Madelain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malgré les divergences qui nous séparent, le débat auquel a donné lieu l'examen de ce texte important s'est déroulé dans un climat de courtoisie et de sérieux bien dans la tradition du Sénat.
Nous devons féliciter et remercier le président de la commission et son rapporteur, notre collègue Louis Souvet, dont la tâche était lourde et difficile. Une fois de plus, il a fait la preuve de sa grande compétence en matière de législation du travail.
Lors de la discussion générale, les intervenants du groupe de l'Union centriste ont exprimé leur accord global sur les propositions de la commission. Celles-ci ayant été adoptées, nous avons le sentiment d'avoir élaboré un texte équilibré et réaliste. C'est pourquoi notre groupe lui apportera un soutien unanime. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain. Vous nous avez présenté, madame la ministre, un projet de loi de réduction autoritaire du temps de travail complexe et étatiste, en avançant des études orientées promettant 200 000, 700 000, un million d'emplois créés, suivant les hypothèses retenues.
Mais vous vous êtes bien gardée de mettre en évidence le coût pour le contribuable, en termes de prélèvements supplémentaires, pour le salarié, en termes de perte de pouvoir d'achat, et pour l'entreprise, en termes de compétitivité.
Il s'agissait tout simplement de tenir une promesse électorale, construite à la hâte, sans véritable réflexion préalable.
Le groupe du RPR ne peut donc vous suivre dans cette démarche qui ne résolvera en rien les difficultés qui touchent plus de trois millions de nos concitoyens.
Nous pensons que la solution est ailleurs, que la réduction du temps de travail n'est qu'un outil parmi d'autres, qui ne doit pas nous mener à négliger les autres, tels que la réduction des charges sur les bas salaires, et qui ne peut se concevoir que librement négociée et choisie.
C'est pour ces raisons que notre groupe votera le texte proposé par la commission des affaires sociales, modifié par plusieurs amendements présentés par nos collègues, et qui me paraît constituer une solution équilibrée.
Librement négociée et associée à une souplesse indispensable à la compétitivité de l'économie, la réduction du temps de travail pourrait sans doute créer des emplois, ou du moins en préserver.
De même, votre dispositif est accompagné de plusieurs mesures défavorables à la pratique des heures supplémentaires et au travail à temps partiel. La majorité sénatoriale a donc décidé de supprimer ces dispositions.
En effet, il nous semblait regrettable d'entraver le recours aux heures supplémentaires, qui correspond souvent à une demande du salarié, désireux d'améliorer son niveau de revenu, et des entreprises, qui souhaitent mieux répondre aux fluctuations de leurs activités.
Quant au recours au temps partiel, il répond dans de nombreux cas au besoin d'un salarié de concilier vie professionnelle et vie familiale, ou d'organiser un départ à la retraite progressif, ou encore à un moyen de se réinsérer dans le monde du travail.
Il était donc important que le Sénat revienne sur ces dispositions pénalisantes, même si nous sommes tout à fait favorables à une moralisation dans le domaine de la pratique du travail à temps partiel.
En conclusion, je tiens à remercier notre rapporteur pour son excellent rapport qui a montré, par une analyse détaillée, les enjeux et les effets de la réduction autoritaire du temps de travail en en dévoilant systématiquement les incertitudes et le manque de réalisme. Cette étude nous a permis d'avoir un débat riche et ouvert et d'aboutir à un texte satisfaisant.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RPR votera le projet de loi ainsi réécrit par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, au terme de ce débat, je souhaiterais remercier, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, la commission, son président, M. Jean-Pierre Fourcade, et son rapporteur, M. Louis Souvet, pour le travail accompli.
Je ne veux pas omettre non plus l'importante investigation préalable réalisée par la commission d'enquête, son rapporteur, M. Jean Arthuis, et son président, M. Alain Gournac.
Le texte qui résulte des travaux du Sénat, à la suite de ceux de la commission, nous ont permis d'adopter une position équilibrée et d'atteindre l'objectif auquel nous sommes très attachés : laisser aux entreprises, c'est-à-dire aux partenaires sociaux, l'intitiative des négociations les concernant, particulièrement quand il s'agit des modalités de l'organisation du travail à l'intérieur de l'entreprise.
S'agissant par ailleurs de la durée du travail, la problématique d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle qui prévalait à une époque où il convenait de protéger les salariés contre les excès des durées inhumaines du travail.
Si une loi historique prévoit la diminution du temps de travail, pourquoi craindre qu'elle ne soit devenue inopérante ? Nous avons considéré qu'il n'y avait pas lieu de recourir à des méthodes dirigistes alors qu'un sage pragmatisme pourrait se révéler plus efficace et qu'il suffisait de perfectionner la loi Robien.
Cette loi a déjà porté ses premiers fruits - vous l'avez vous-même rappelé, madame le ministre - et 2 000 accords ont été conclus.
Au cours de la discussion générale et de la discussion des articles, nous avons suffisamment pu exposer nos arguments et nos divergences quant à la méthode. La méthode choisie par votre Gouvernement, madame le ministre, a eu pour premier effet de durcir la position des représentants du patronat. C'était tout à fait prévisible. Vous êtes ainsi engagée dans une dynamique bien connue de rivalité mimétique. Mais je suis certain que vous saurez en refroidir les enchaînements.
Un changement de méhtode viendra inévitablement, tout comme en 1983, quand le Gouvernement d'alors avait radicalement changé son approche de l'économie d'entreprise. Il fera vraisemblablement l'objet de la deuxième loi que vous avez annoncée, madame le ministre.
Je suis personnellement convaincu que cela se passera ainsi parce que vous n'êtes pas favorable à la recherche d'une crise. Au contraire !
Après avoir été contrainte de sacrifier à un rituel hautement symbolique de lutte, nous retrouverons, avec le deuxième texte, le scénario de l'apaisement pour les chefs d'entreprise.
M. Strauss-Kahn n'a-t-il pas souligné devant la commission des affaires sociales le caractère maximum du taux de rémunération à 25 % des heures supplémentaires ? De son côté, la direction de la prévision intègre dans ses hypothèses une fluctuation de ce taux en dessous des 25 %.
Le projet sénatorial permet, lui, de gagner du temps par rapport à la méthode du Gouvernement pour obtenir les créations d'emplois que peut apporter une réduction de la durée légale du travail. De plus, il éviterait ce psychodrame anachronique suscité non pas, selon moi, par un calcul machiavélique, mais par une simple maladresse dans les négociations conduites avec M. Gandois.
Notre contre-projet s'inscrit donc dans la filiation de la loi Robien : il encourage le dialogue social et garde le souci de l'équilibre des finances publiques ; il essaie de réaliser tout à la fois une réduction progressive du temps de travail effectif et une amélioration durable de l'emploi.
En fixant le seuil d'application du texte à cinquante salariés, nous apportons, nous semble-t-il, une réponse de nature à rassurer les petites et moyennes entreprises. C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants votera sans réserve ce texte tel qu'il résulte des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Madame le ministre, dans votre propos liminaire lors de la discussion générale, en évoquant la loi Robien, vous avez dit en substance : nous sommes tous d'accord sur le fond, mais en désaccord sur la méthode. Il est évident que cette phrase résume bien la situation.
Oui, nous sommes tous d'accord sur le fond : il faut absolument qu'ensemble nous réussissions à mettre en place tous les éléments d'une véritable lutte contre le chômage, en même temps qu'une politique qui permette des créations d'emplois.
Cependant, les méthodes varient et les moyens que nous proposons sont loin d'être les mêmes, bien évidemment, on l'a vu dans le débat.
Les sénateurs de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe estiment que la commission des affaires sociales a accompli un excellent travail et nous en remercions son président, M. Fourcade, et son rapporteur, M. Souvet. Par ailleurs, nous prenons acte que nous sommes les uns et les autres tous d'accord sur l'essentiel et que nos différences devraient, à terme, être gommées. En tout cas, nous voterons ce projet de loi tel qu'il ressort des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le chômage est la grande plaie de cette fin de siècle. Il s'agit d'un problème qui décourage jusqu'au désespoir ceux qui veulent vraiment travailler et cherchent un emploi.
En revanche, il encourage ceux qui s'accommodent de l'assistance et en exploitent les possibilités.
Ces deux attitudes coexistent, nous le savons tous, même s'il n'est pas politiquement correct de le dire. Il ne faut pourtant pas se voiler la face.
Cela dit, si la réduction du temps de travail à 35 heures ou moins afin de créer des emplois peut être facilitée et encouragée pour les entreprises qui le souhaitent et peuvent le faire, j'y suis tout à fait favorable.
On ne peut négliger aucune piste, comme vous l'avez à juste titre répété, madame le ministre, mais il faut réunir deux conditions formelles : que cette réduction ne soit pas obligatoire et générale, et que les 35 heures ne deviennent pas la durée légale du temps de travail, avec toutes les conséquences néfastes que cela peut entraîner.
Au cours de la discussion générale, de nombreux orateurs ont relaté les taux historiques de la baisse du temps de travail au cours du siècle écoulé. Ils ont même insisté sur ce point. C'est en effet une constatation.
S'agit-il pour autant d'une loi pérenne ? Je n'en suis pas sûre ! Il semble que l'on puisse encore penser que cela va durer. Tant mieux d'ailleurs, si c'est un souhait. Mais est-ce bien sûr ? Je m'interroge.
En effet, on sait bien que, poussés à l'extrême, tous les phénomènes dynamiques changent de nature à un moment donné. De linéaires, ils peuvent devenir exponentiels. Tout le problème est de savoir quand se produit le changement.
Par ailleurs, la globalisation et la mondialisation vers lesquelles nous allons à grands pas vont certainement faire évoluer de façon considérable les conditions économiques du travail.
Dans quel sens ces bouleversements vont-ils exercer une influence sur la durée du temps de travail, ne serait-ce qu'en France et dans les autres pays européens ? Nul ne le sait ! Mais ces bouleversements ne manqueront pas d'avoir une influence.
Par ailleurs, si nous bloquons dès maintenant la durée légale du travail à 35 heures et que, pour des raisons concurrentielles, nous sommes un jour obligés de travailler plus, ce qui n'est pas exclu, le réveil sera dur, la déception immense et de grands risques de bouleversements de société se profileront. C'est la raison majeure, même s'il en existe d'autres, pour laquelle je suis résolument hostile au fait de fixer à 35 heures la durée légale du travail.
Ce sont, bien sûr, ces considérations qui m'ont conduite à voter la suppression de l'article 1er et à adopter les propositions de la commission des affaires sociales, que je remercie d'ailleurs pour le travail immense qu'elle a accompli.
Madame le ministre, maintenant, je veux vous parler de la trente-sixième heure.
Hier soir, j'ai écouté les débats avec une grande attention et, le temps passant, je me sentais de plus en plus le coeur serré non pas que les discussions fussent de mauvaise qualité, bien au contraire, chacun y défendait ses choix selon la règle démocratique, certains apportèrent même d'excellentes précisions techniques et d'autres des arguments d'une grande élévation morale comme notre collègue M. Seillier, vous l'avez noté vous-même, madame le ministre.
Mais, si les 35 heures représentent le temps de la nécessité en matière de temps de travail, que reste-t-il pour le goût du travail bien fait, qui ne s'arrête pas au coup de marteau, comme chez le commissaire-priseur ?
Que reste-t-il pour l'imagination, pour la réflexion collective, pour la prospective, pour l'audace de la prise de risque qu'il faut estimer, pour le dynamisme dont on risque de casser les jambes, comme lorsqu'on entrave trop court un animal sauvage ?
Où est le temps du combat pour gagner, le temps pour écouter les autres, le temps pour créer la vie, la vie économique comme la vie sociale ?
C'est cela, madame le ministre, le temps de la trente-sixième heure - et de celles qui suivent, bien sûr - c'est le temps de la création de la vie de demain.
Aujourd'hui même, on m'a parlé d'une entreprise qui aurait été condamnée à des amendes parce que ses cadres tenaient des réunions hors du temps légal. C'est comme si l'on signait des arrêts de mort de l'entreprise : mort de l'enthousiasme, mort de l'innovation, mort du sens de la responsabilité, et ce n'est pas ce que vous souhaitez.
Va-t-on persévérer dans cette voie, meurtrière à terme de par la stérilité qu'elle engendre ? Prenons garde à ce risque, madame le ministre, il existe.
Vous-même - permettez-moi de vous le demander -, n'avez-vous travaillé que 35 heures par semaine pour arriver aux hautes fonctions que vous exercez ? Si vous répondez oui, je ne le croirais pas ! Travaillerez-vous désormais 35 heures seulement ? Je ne le crois pas non plus.
Si travailler plus de 35 heures sans amende est réservé à une petite classe de privilégiés, dont nous faisons tous partie dans cet hémicycle, ou aux étudiants qui passent des examens, si travailler seulement 35 heures sans amende devient un privilège, pourquoi nous l'octroyons-nous et ne voulons-nous pas l'accorder aux autres ? N'y a-t-il pas là une injustice énorme ?
Madame le ministre, les Français, notre jeunesse plus particulièrement, ont besoin, avant tout, de retrouver l'espoir.
M. le président. Vous dépassez votre temps de parole, madame Heinis.
Mme Anne Heinis. Certes, monsieur le président, mais je vous demanderai de faire preuve d'indulgence à mon égard : je suis peu intervenue dans la discussion.
M. le président. Je suis chargé de la réduction du temps de parole ! (Sourires.)
Mme Anne Heinis. Notre jeunesse a besoin de croire qu'en travaillant dur elle pourra façonner son avenir : elle a besoin de grandes causes pour lesquelles se battre ; elle a besoin de dépenser sans compter, ni sa peine, ni son temps.
Pardonnez-moi de le dire, mais ce sont les vieux qui s'épargnent, ce ne sont pas les jeunes. Pourtant, nous n'avons pas eu un mot pour notre jeunesse sur ce point, et cela m'a fait mal.
Nous croyons tous que le travail est une valeur fondamentale de notre société. Puisqu'il en est ainsi, valorisons-le, défendons-le et ne le présentons pas comme un os à ronger sur lequel on fait des calculs de boutiquiers pour des quarts d'heure dépassés. Ce n'est pas cela l'avenir du travail !
Je sais bien qu'ici personne ne voit le travail sous cette forme. Mais croyez-moi, en écoutant nos débats, hier soir, c'est l'horrible sentiment que j'ai eu, et c'est pour cela que j'avais le coeur serré, et d'autres l'auront peut-être aussi.
Ne croyez surtout pas que je méprise notre travail de législateur. Comme nous tous, j'y suis passionnément attachée : c'est notre mission. Mais la situation est difficile, nous sommes bien obligés de poser des règles pour limiter les excès et pour baliser notre société. Il faudra toujours le faire, mais en pensant sans cesse à libérer les énergies, notamment dans le domaine économique...
M. le président. J'en suis navré, madame Heinis, mais je vous demande de conclure.
Mme Anne Heinis. Je conclus, monsieur le président. Ce qui trouble le déroulement des modèles macro-économiques, c'est l'action de l'homme - au sens ancien du terme, c'est-à-dire - l'homme et la femme - qui perturbe la belle ordonnance de ces modèles ; l'homme seul a le pouvoir de faire vivre ou de faire sombrer une situation.
Madame le ministre, par nos lois, rouvrons partout, des espaces de liberté ; de confiance dans le travail de l'homme quand il croit à ce qu'il fait, d'audace créatrice à tous les niveaux ! C'est ce dont nous avons besoin pour la France.
Si nous allons dans ce cens, madame le ministre, vos voeux et les nôtres seront exaucés : la France au travail repartira pour une reconquête et ce sera le fruit de la trente-sixième heure. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. Madame Heinis, vous avez utilisé presque le double du temps de parole que le règlement vous donne.
Mme Anne Heinis. Je vous remercie de votre indulgence, monsieur le président.
Mmes Nicole Boivo et Marie-Madeleine Dieulangard. Pour ce qu'on a entendu !
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste va devoir voter contre le projet de loi tel qu'il résulte de nos discussions.
C'est un texte sur lequel nous aurions pourtant dû trouver un accord, car nous tous, ici, parlementaires de gauche et de droite, sommes préoccupés par le problème du chômage. Mais nos approches concernant les moyens de le résoudre divergent et sont même - nous avons dû le constater - assez opposés. Ils entraîneront, en tout cas, des votes différents.
En adoptant la suppression de son premier article, la majorité de cette assemblée a souhaité amputer le projet de loi de sa dimension essentielle : l'abaissement de la durée légale hebdomadaire à 35 heures alors que, tout au long de ce débat, vous avez reconnu que la réduction du temps de travail était efficace en termes de créations d'emplois et vous vous êtes félicités des résultats déjà enregistrés par la loi Robien, en reconnaissant toutefois qu'ils étaient largement insuffisants.
Or, quand il s'agit de voter une loi permettant d'amplifier ce mouvement timidement amorcé, vous déclarez, monsieur le rapporteur, que la réduction du temps de travail doit être utilisée sur « le long terme » et qu'il s'agit d'une voie qu'il convient d'explorer « sans précipitation ».
Vous avez tenté de nous convaincre durant ce débat que vous étiez disposés à encourager la poursuite de l'expérience de la loi Robien jusqu'en 2000, ou 2002 pour les entreprises de moins de cinquante salariés, tout en la « reprofilant » selon votre expression.
Au-delà de la diminution des allégements consentis, que vous avez revus à la baisse au cours de ce débat, vous avez adopté parallèlement des amendements qui diminueront l'impact de ce nouveau dispositif.
S'agissant de la distinction selon le seuil de cinquante salariés, je ne reprendrai pas les propos de M. le président de la commission des affaires sociales qui, ici, en a reconnu cependant l'effet restrictif en termes de création d'emplois.
Enfin, vous avez refusé d'attribuer une majoration supplémentaire au profit des entreprises de main-d'oeuvre, celles qui recruteraient certaines catégories de public en difficulté.
Vous étayez votre position en affirmant ne pas vouloir court-circuiter les partenaires sociaux. Devons-nous en conclure que vous jugez les bilans de la loi quinquennale et de la loi Robien suffisant - 1 % des 13 millions de salariés, je vous le rappelle ?
Or, le projet que nous propose le Gouvernement doit justement permettre de lancer une dynamique de négociation globale, à l'échelon national. Il dote les partenaires sociaux de moyens financiers, techniques pour aborder cette négociation.
En matière de travail à temps partiel, vous faites disparaître les garanties importantes apportées par le Gouvernement afin de prémunir les salariés des abus enregistrés dans la gestion de ce temps partiel et, selon vous, de limiter les contraintes entourant l'usage du temps partiel et d'enrichir, toujours selon vous, la croissance en emplois.
C'est le discours trop souvent entendu en provenance de certains pays que nous refusons d'ériger en modèle, au moins sur ce point.
Il ne faudrait pas qu'au nom d'une équation apparamment de bon sens : « un temps partiel vaut mieux que le chômage » le législateur laisse se développer une main-d'oeuvre servable et corvéable à merci, et vous savez bien, les uns et les autres, que cette expression n'a rien d'excessif !
Le projet du Gouvernement est un texte d'incitation et d'orientation. Des bilans seront faits, des enseignements seront tirés et, d'ici vingt mois, nous nous retrouverons pour mieux cerner un certain nombre de dispositifs sur lesquels il nous faudra légiférer, à la lumière précisément de ces enseignements.
Pour ce qui concerne notre groupe, nous ne prendrons pas la responsabilité de ne pas lancer une mécanique dont on sait bien qu'elle peut, qu'elle doit produire ce que tout le monde attend tellement : de l'emploi.
Nous serons vigilants, très attentifs à ce que cette machine avance sans déraper. Mais, ce soir, nous ne voterons pas le texte, je le rappelle, tel qu'il est sorti de nos discussions. Ce texte, nous ne le voterons pas, pleinement responsables, conscients de l'attente des Français concernant le travail, conscients aussi qu'il nous faut de toute urgence trouver du sens ailleurs que dans le travail. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Louis Souvet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur. Je souhaite répondre brièvement aux propos de Mme Dieulangard.
« Vous avez tenté tout au long du débat de nous convaincre », avez-vous dit, madame. Non ! Je suis rapporteur et j'ai exposé, fidèlement je l'espère, ce qu'a retenu la commission. Je n'ai pas tenté de vous convaincre et, au demeurant, si j'avais quelqu'un à convaincre, je pense vraiment que je n'aurais pu le faire en ce qui vous concerne, en tout cas.
Vous avez vos idées, j'ai les miennes. Je n'ai pas cette possibilité et je n'ai pas autant d'espoir. Non, je crois vraiment que je n'aurais pas essayé de vous convaincre.
L'objectif est le même pour les uns et pour les autres.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je l'ai dit !
M. Louis Souvet, rapporteur. Nos voies divergent, nos chemins ne sont pas les mêmes. Est-ce une raison suffisante pour se jeter des invectives à la figure ? Il faut rester convenables et nous l'avons fait.
Dans ces conditions, restons-en là. Je ne pense pas que l'on puisse aller plus loin dans ce domaine.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe des Républicains et Indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ? ...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 81:
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour l'adoption | 220 |
Contre | 96 |
4