M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, mais elle concerne également M. le ministre de l'intérieur.
Cinquante-trois voitures incendiées, des dizaines d'abribus et de cabines téléphoniques détruits, plusieurs bâtiments publics endommagés, tel est le bilan de la Saint-Sylvestre dans l'agglomération strasbourgeoise.
On assiste ainsi, à Strasbourg comme dans beaucoup d'autres villes et villages, à une recrudescence des violences aux caractéristiques inquiétantes. En effet, ce sont bien souvent des actes de dégradation gratuits, commis par de très jeunes adolescents, très minoritaires, sur des voitures d'habitants de leur quartier déjà fragilisés par le chômage et un environnement urbain dégradé.
Face à ce type de délinquance, la politique de sécurité doit être prioritaire, le sentiment d'impunité étant intolérable. Il est impératif, à mon sens, de rétablir l'ordre et de redonner des repères à ces jeunes en déshérence, notamment en matière de respect de l'autorité.
Pourquoi ne pas favoriser ainsi le développement de structures de réinsertion en milieu fermé, la réinsertion en milieu ouvert ayant montré ses limites ?
La délinquance doit également faire l'objet d'un traitement plus global. C'est le rôle de la politique de la ville.
Sur ce point, madame la ministre, vous avez récemment multiplié les déclarations.
Il est toutefois regrettable qu'il ait fallu de tels incidents, et surtout une aussi forte médiatisation, pour que le Gouvernement réagisse. En effet, depuis l'annonce d'une réforme de la politique de la ville, au mois de juillet dernier, peu a été fait.
Cela était, à mon sens, prévisible, la politique de la ville ayant été noyée dans un gigantesque et tentaculaire ministère de l'emploi et de la solidarité.
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Joseph Ostermann. Or, six mois plus tard, le Gouvernement annonce enfin la création d'un secrétariat d'Etat. Aveu d'impuissance, sans aucun doute, mais que de temps perdu !
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Joseph Ostermann. En outre, au vu de vos récentes déclarations, votre désir de réorienter en profondeur la politique de la ville se révèle n'être qu'un voeu pieux.
Ainsi, par exemple, en fait de remise en question, vous ne proposez qu'une réactivation de certains dispositifs existants.
La sécurité des personnes et des biens ainsi que la justice relèvent, malgré la décentralisation, de la responsabilité prioritaire de l'Etat.
Par conséquent, nous souhaiterions obtenir des précisions sur les aspects réellement novateurs de votre politique, ainsi que sur le calendrier de leur mise en oeuvre. Les habitants des quartiers en difficulté, qui perdent patience, ne peuvent plus se satisfaire d'effets d'annonce contradictoires ou de demi-mesures. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, les faits de violence urbaine ont vu leur nombre quadrupler depuis 1993, passant, pour toute la France, d'un peu plus de 3 500 à 15 791 aujourd'hui !
A Strasbourg, le nouvel an donne traditionnellement lieu à certains débordements. Le nombre de voitures brûlées était, si je ne me trompe, de dix en 1995, de quinze en 1996 et il a été de 40 en 1997.
A la fin de l'année dernière, la médiatisation s'était déjà concentrée plusieurs jours auparavant sur la ville de Strasbourg et sur l'agitation qui régnait dans certains de ses quartiers. On peut penser, d'après tous les renseignements dont je dispose, qu'il y a un rapport entre cette médiatisation et le niveau atteint par les violences urbaines. (C'est vrai ! sur les travées du Rassemblement pour la République.)
Eh oui ! Cela correspond d'ailleurs à un creux de l'actualité, entre Noël et le nouvel an. Les caméras se braquent sur ces incidents, car une voiture qui brûle, c'est très spectaculaire ! On en tire des conséquences qui, quelquefois, n'ont pas lieu de l'être, et la concurrence s'exacerbe entre ces quartiers que vous connaissez bien - la Meinau, Haute-Pierre, Neuhof et d'autres encore - pour savoir qui fera le mieux, ou plutôt le pire.
Nous sommes donc en présence d'un phénomène qui, naturellement, n'existe pas seulement à Strasbourg, même s'il a revêtu cette année, dans cette ville, une importance particulière, et qui renvoie, bien sûr, à d'autres problèmes - la précarité, le chômage, l'absence de repères - que vous avez justement soulignés et sur lesquels chacun, parent, enseignant, éducateur, citoyen, doit s'interroger.
Pourquoi ne transmettons-nous pas nos valeurs ? Pourquoi n'en sommes-nous plus capables ? Peut-être par ce que ces valeurs se transmettent surtout par l'exemple, et que l'exemple qui est donné à travers les médias de masse n'est pas toujours le meilleur. Je ne veux naturellement pas dire par là que la violence urbaine n'existerait pas sans les médias !
Par conséquent, il faut se concentrer sur quelques problèmes.
Vous avez abordé celui de la délinquance des mineurs. Une mission a été confiée à deux parlementaires, Mme Lazerges et M. Balduyck, qui va rendre ses conclusions. J'ai moi-même évoqué au colloque de Villepinte, qui a posé fermement une équation de la sécurité que je crois juste, la question de savoir s'il n'y avait pas entre l'éducation ouverte et la prison, souvent criminogène, des formules intermédiaires.
Je ne prétends pas apporter la réponse à moi tout seul. La question doit néanmoins être posée de savoir si une poignée de mineurs multirécidivistes ne doivent pas être éloignés au moins temporairement de leur quartier et faire tout de même l'objet d'un rappel à la loi.
De manière générale, même les primodélinquants devraient faire l'objet d'un rappel à la réalité et à la loi, parce que cela est nécessaire (Murmures d'approbation sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) sans que pour autant on perde de vue les causes, le terreau sur lequel prospèrent ces violences, à savoir la misère, le chômage, la dualisation de notre société, autant de phénomènes gravement préoccupants qui sont la conséquence, à bien des égards, de plus de vingt années de laisser-aller social, pour dire les choses clairement. (Vives exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean Chérioux. Tournez-vous vers la gauche !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Non, monsieur Chérioux, je suis tourné vers vous et je vous regarde.
En fait, je regarde M. Ostermann, mais vous êtes dans ma ligne de mire, si je puis dire. (Sourires.)
M. Jean Chérioux. Je suis très flatté !
M. le président. Monsieur le ministre, veuillez conclure, je vous prie.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'en termine, monsieur le président.
Le Gouvernement entend également mettre sur pied partout des contrats locaux de sécurité, avec des moyens substantiels et sur la base de diagnostics aussi précis que possible.
J'organise, avec Mme le ministre de la justice, Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité et M. le ministre de la défense, patron de la gendarmerie, le 19 janvier prochain, une réunion avec des maires des vingt-six départements qui concentrent 80 % de la violence et de la délinquance. Ainsi, 350 maires seront réunis avec des procureurs de la République et des préfets.
Nous allons donc nous atteler à cette tâche : faire en sorte qu'il y ait des contrats locaux de sécurité, dans lesquels je vous invite à vous investir, avec des adjoints de sécurité mais aussi avec des agents locaux de médiation, qui pourront être recrutés par les collectivités locales, les bailleurs sociaux ou les compagnies de transport.
Je ne développerai pas davantage, cédant aux objurgations, d'ailleurs parfaitement justifiées, de M. le président. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE.)

DROIT À L'EMPLOI